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métaphysiques portant entre autres choses sur les origines ultimes du monde, sur son sens
éventuel, sur l’existence de Dieu, sur la nature intime du réel, sur nos destins individuels, sur
la mort, sur la présence du « Mal » et a contrario de la beauté, du plaisir, des satisfactions de
toutes sortes etc.
Face à cette impuissance, la raison s’est parfois résolue à l’expliquer, à la théoriser
rationnellement. Telle fut l’entreprise de Kant au XVIII° siècle. Si la raison a échoué dans ce
type d’entreprise métaphysique alors qu’elle a démontré avec éclat sa fécondité en matière
mathématique et scientifique, c’est simplement parce qu’elle n’est pas faite pour cela. Son
usage en matière métaphysique est stérile et illégitime. La raison, par l’intermédiaire de
l’entendement ou de la faculté de comprendre, ne peut raisonner de manière féconde que sur
des données offertes à son intuition entendue ici comme perception. Je puis utiliser mes
facultés de l’esprit pour affirmer que si j’échauffe une barre de fer, elle va se dilater car la
cause (l’échauffement) et l’effet (la dilatation) font l’objet d’une intuition sensible.
En revanche si je dis que tout a une cause, donc que le monde a une cause et que cette
cause est Dieu, mon raisonnement tourne à vide car ni le monde dans sa totalité ni Dieu ne
sont des données de l’intuition sensible. L’entreprise métaphysique est vaine. La raison pure,
c’est-à-dire la raison livrée à ses seules ressources, ne peut délivrer aucun savoir. Mais au-
delà du fait qu’il s’agit d’une interprétation de l’échec de la métaphysique parmi d’autres,
doit-on en conclure que désormais seule l’activité scientifique détient le monopole du savoir
et a vocation à terme à répondre à toutes nos questions, y compris les questions de nature
métaphysique ?
Cette croyance dans le pouvoir illimité de la science, qui a donné naissance au courant dit
positiviste, est empreinte, selon nous, d’une grande naïveté. Notre jugement ne repose pas
seulement sur son égale impuissance que l’entreprise philosophique à répondre aux questions
métaphysiques. Car l’examen des conditions et des limites du savoir scientifique, et qui fait
l’objet de ce qu’on appelle l’épistémologie ou réflexion sur la connaissance, relativise
considérablement la nature du savoir délivré par la science.
Nous rappellerons à cet effet trois limitations fondamentales de ce type de savoir. En
premier lieu, les vérités scientifiques, celles qui portent sur l’explication des phénomènes, bref
sur les théories, sont des vérités provisoires. Elles n’ont de sens que par rapport au niveau du
réel que l’on est à même de prendre en considération, grâce à nos moyens techniques
d’expérimentation, aux outils mathématiques dont nous disposons, au savoir antérieur dont
nous sommes tributaires. C’est ainsi que pour s’en tenir à un exemple spectaculaire, la
physique classique de Newton considérait et vérifiait que la masse d’un corps, c’est-à-dire sa
quantité de matière, était constante alors que la théorie de la relativité d’Einstein établit
théoriquement et expérimentalement que la masse croît avec la vitesse.
En second lieu, nous ne savons pas si nos explications ou nos théories doivent être
considérées comme de simples interprétations humaines du réel ou bien si elles
correspondent de manière plus ou moins éloignée mais fidèle quant à la direction prise, au
réel lui-même. Einstein, reprenant en cela une image proposée par Descartes, comparait les
données de l’expérimentation aux éléments du cadran d’une montre mécanique. Nous