Quels moyens pour une éthique appliquée de la recherche dans les

Quels moyens pour une éthique appliquée
de la recherche dans les pays
en développement ?
Entre avancées significatives et obstacles majeurs
Ingrid Callies
PHD (Université Paris Descartes), LLM (University of Virginia),
DEA (Université Panthéon-Assas Paris II), member of the New York Bar,
conseillère pour l’éthique, Institut Pasteur
Il est tout d’abord indispensable de rappeler en préambule que des protocoles de
recherche doivent indéniablement être menés dans les pays en développement1. Il
est également indispensable que les protocoles menés le soient dans des conditions
éthiques irréprochables.
Ce sujet soulève de très nombreuses questions préalables auxquelles il n’est pas
toujours possible d’apporter une réponse.
Tout d’abord, la notion de « pays en développement » est-elle la plus adaptée ?
Un autre terme serait-il plus pertinent : pays du Sud, pays émergents, pays à res-
sources limitées ? Pourquoi se poser cette question : la raison d’être des inter-
rogations éthiques vient du fait que des promoteurs, financeurs, chercheurs d’un
pays vont mener des recherches dans un autre pays et que l’encadrement de ces
recherches en termes de protection des personnes n’est pas toujours aussi rigou-
reux que dans leur propre pays. Quel que soit le terme choisi se pose alors le pro-
blème de sa traduction juridique. Il est en effet impossible d’inscrire dans une loi un
terme de ce type. Il n’existe pas, ne serait-ce qu’en droit français, de définition
légale des pays en voie de développement ou de tout autre terme qui pourrait être
choisi.
1. Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commis-
sion européenne, avis no 17 : « Aspects éthiques de la recherche clinique dans les pays en développe-
ment », 4 févr. 2003.
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Ensuite, doit-on élaborer des textes spécifiques pour l’éthique de la recherche
dans les pays en développement ou des textes applicables de manière universelle ?
Les choix opérés par les grands textes internationaux sur cette question ne sont pas
uniformes.
Une troisième question essentielle est de savoir si des protocoles de recherche
doivent être menés alors que la population qui va participer à la recherche n’est pas
la population cible. Certaines institutions de recherche, chinoises par exemple,
démarchent des institutions étrangères afin qu’elles viennent promouvoir dans leur
pays des recherches qui n’ont pas spécialement d’intérêt scientifique pour ledit
pays.
Le Financial Times, journal économique et financier, a consacré en début
d’année 2008 un article relatif aux essais cliniques dans les pays en développement
intitulé « New lease on life ? The ethics of offshoring clinical trials » (28 janvier
2008). En 1997, moins de 5 % des essais cliniques étaient réalisés en dehors des
États-Unis et de l’Europe occidentale. En 2007, ce chiffre dépasse les 25 %. Ces
recherches sont menées notamment dans les pays émergents : Chine, Inde, Europe
de l’Est et Amérique latine.
À l’heure où les autorités de santé demandent de plus en plus d’assurances
concernant la sécurité des produits de santé, et par conséquent de plus en plus de
données, les industriels et organismes de recherche doivent réaliser plus d’essais
cliniques, incluant plus de patients.
Tout ceci a un coût. Les inclusions en particulier sont difficiles et onéreuses.
Or, dans certains pays étrangers, ce coût peut être diminué de moitié voire plus.
Ainsi, quand ces questions sont appréhendées par la presse financière, c’est
qu’elles présentent un intérêt financier. Pour les promoteurs et pour ces pays, c’est
très certainement un enjeu financier majeur.
I. UN FOISONNEMENT DE TEXTES INTERNATIONAUX
De nombreuses organisations internationales se penchent sur la question de
l’éthique de la recherche dans les pays en développement, notamment, l’Organisa-
tion des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), l’Organi-
sation mondiale de la santé (OMS), le programme commun des Nations unies sur
le VIH/sida (Onusida), le Conseil de l’Europe, l’Union européenne. En revanche,
les règles énoncées ne sont le plus souvent pas contraignantes.
Plusieurs initiatives naissent actuellement au niveau international mais il
est capital de noter, avant tout, la convergence qu’elles réalisent pour une
éthique appliquée de la recherche dans les pays en développement. Nous allons
nous attacher à exposer les avancées possibles ou acquises tout en identifiant les
obstacles.
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Ainsi, au début du mois de novembre 2009, une réunion organisée par le
Comité d’éthique de la recherche (Research Ethics Review Committee : ERC) de
l’OMS, s’est tenue à Genève sur le thème des Normes et standards pour les comités
d’éthique de la recherche (REC).
Cette réunion faisait suite aux recommandations de la Stratégie et du plan
d’action mondiaux pour la santé publique, l’innovation et la propriété intellec-
tuelle, tels qu’établis par l’assemblée générale de l’OMS et de la Stratégie pour la
recherche en santé de l’OMS, telle qu’approuvée par son conseil exécutif. Ces deux
instruments ont en effet identifié la nécessité de la revue éthique comme compo-
sante de la qualité de la recherche en santé et comme moyen de faire progresser la
santé humaine.
Cette réunion a regroupé les principales organisations internationales et inter-
gouvernementales compétentes dans le domaine (notamment l’Unesco, le Conseil
de l’Europe, les différents services de l’OMS, l’Association médicale mondiale
[AMM], le Conseil des organisations internationales des sciences médicales
[CIOMS], le Nuffield Council on Bioethics, le Wellcome Trust, le Council on
Health Research for Development [COHRED]). Il y a été majoritairement reconnu
que la revue éthique des protocoles de recherche est une composante indispensable
de la qualité de la recherche. En effet, elle rendrait la recherche meilleure du fait de
sa capacité à minimiser les préjudices et à assurer un meilleur respect des commu-
nautés et des individus impliqués, ce qui permettrait d’éviter des problèmes ulté-
rieurs aux participants mais également aux chercheurs et aux financeurs. La même
semaine, se tenait une réunion au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, en vue de la
préparation d’une conférence ministérielle consacrée à la recherche biomédicale
dans les pays émergents et les pays en voie de développement. Elle se tiendra à
l’hiver 2010-2011 et réunira l’ensemble des ministres des 47 États membres et des
États observateurs compétents pour la recherche biomédicale afin de signer une
déclaration internationale commune sur ce sujet.
Pour finir, l’European Medicines Agencies (EMA), l’agence européenne des
médicaments, a créé un groupe afin d’établir des normes éthiques pour la recherche
dans les pays tiers dans le cadre des activités qui la concerne.
S’agissant des grands textes internationaux existant dans le domaine, on peut
citer notamment par ordre chronologique :
1. La déclaration d’Helsinki, principes éthiques applicables à la recherche médicale
impliquant des êtres humains, adoptée par l’AMM en 1964 et dont la dernière modifi-
cation date d’octobre 2008. Là encore, il s’agit d’un texte issu d’une association et qui
n’a donc aucune valeur contraignante en droit interne.
2. La convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être
humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : convention sur les
droits de l’homme et la biomédecine adoptée à Oviedo le 4 avril 1997 par les États
membres du Conseil de l’Europe, que la France n’a pas encore ratifiée et son protocole
additionnel à la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, relatif à la
recherche biomédicale, adopté à Strasbourg le 25 janvier 2005. Ces deux textes sont
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contraignants en droit interne une fois ratifiés par le pays s’agissant de la convention et
signé s’agissant du protocole.
3. La directive no 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001
concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et adminis-
tratives des États membres relatives à l’application de bonnes pratiques cliniques dans
la conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain, dont nous verrons qu’elle
s’applique indirectement aux essais cliniques effectués en dehors de l’Union euro-
péenne.
4. Les lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impli-
quant des sujets humains. Élaborées par le CIOMS avec la collaboration de l’OMS à
Genève en 2003. Ce texte est issu d’une association et n’a donc par définition aucune
valeur contraignante en droit interne.
5. La déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco
adoptée le 19 octobre 2005 par tous les États membres de l’Unesco. Ce texte a été
adopté par acclamation ce qui constitue un réel tour de force de la part de ces auteurs
car il n’était pas évident d’arriver à un consensus sur les sujets abordés. Ce texte, force
d’engagement moral de la part des États, n’a toutefois qu’une valeur de droit souple et
n’est pas contraignant en droit interne.
Il n’y a donc pas de texte international contraignant, applicable directement
dans le droit interne des pays concernés à large échelle. Il ne faut pas pour autant
sous-estimer l’importance de ces textes internationaux. En effet, lorsque ceux-ci
vont dans le même sens, énoncent des principes communs, ils forment alors indé-
niablement une doctrine à laquelle il est difficile de déroger dans les pratiques de
recherche. En outre, s’agissant des textes signés par les gouvernements, ils repré-
sentent un engagement moral de leur part.
Enfin, il existe également des guides et ouvrages rédigés à l’attention des mem-
bres des comités d’éthique de la recherche ou de personnes qui souhaitent en créer
et qui peuvent également être fort utiles aux chercheurs et institutions de recherche
qui souhaitent que leurs projets respectent les grands textes et recommandations
internationaux. Il faut notamment citer ainsi : les Lignes directrices opérationnelles
pour les comités d’éthique chargés de l’évaluation de la recherche biomédicale2
dont une révision est envisagée par l’OMS ; un document intitulé Comités d’éthique
de la recherche, Notions de base pour le renforcement des capacités (OMS 2009) ;
le Casebook on Ethical Issues in International Health Research3 et deux guides de
l’Unesco4 — qui ne sont toutefois pas dédiés aux comités d’éthique de la recherche.
Enfin, le Conseil de l’Europe a préparé un projet de guide à l’intention des membres
de comités d’éthique de la recherche5 qui sera bientôt ouvert à la consultation
publique. Ce guide, qui s’appuiera sur les instruments du Conseil de l’Europe, sera
cependant utilisable par tous les comités d’éthique de la recherche.
2. OMS 2000, TDR/PRD/ETHICS/2000.1.
3. OMS, Casebook on Ethical Issues in International Health Research, 2009.
4. Unesco, Établir des comités de bioéthique, 2006 et Unesco, Les comités de bioéthique au travail :
procédures et politiques, 2006.
5. CDBI-CO-GT2 (2008)9.
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Il existe donc à l’heure actuelle un foisonnement de textes internationaux
concernant l’éthique de la recherche, dont certains sont dédiés aux recherches réa-
lisées dans les pays en développement et d’autres non.
Ces textes ne comportent pas entre eux, fort heureusement, de contradictions
majeures. Ils ne sont pas pour autant équivalents, que ce soit en termes de caractère
contraignant ou non, de champ d’application, de public visé. Certains, non cités
ici, sont dédiés à la recherche sur certaines pathologies spécifiques, notamment le
VIH/sida.
Si l’on se place du côté de l’utilisateur, que ce soit les membres des comités
d’éthique de la recherche ou les chercheurs rédigeant un protocole de recherche, il
n’est pas toujours aisé de s’y retrouver entre ces différents textes, d’en choisir un
pour en écarter un autre, ou au contraire de tenter de les appliquer tous. L’existence
de ces textes est une richesse inestimable, notamment dans les pays où il n’y a pas
de texte de droit national, mais leur nombre est un obstacle majeur à leur bonne
application. Une initiative visant à élaborer des textes communs constituerait ainsi
une avancée significative vers une meilleure prise en compte des aspects éthiques
d’un protocole recherche.
II. VERS UNE NÉCESSAIRE ÉVOLUTION DES DROITS NATIONAUX
En l’absence d’un consensus sur un texte international contraignant, fort impro-
bable, une évolution des droits nationaux est souhaitable. En effet, sans un droit
national applicable aux recherches, les sociétés et institutions ne disposent pas d’un
cadre légal applicable et restent donc libres de mener des recherches dans les condi-
tions qu’elles souhaitent ou encore sans savoir quelles règles respecter.
Il existe très rarement des textes spécifiques relatifs à la recherche biomédicale
au sens de recherche impliquant des personnes, dans le domaine de la santé ou de la
biologie. Il existe plus fréquemment des textes relatifs au statut des personnes, textes
prévoyant par exemple les conditions d’exercice de l’autorité parentale ou encore
de l’autorité du mari.
Dans certains pays, il n’existe pas d’autorité compétente et parfois même pas de
comité d’éthique.
Il est donc essentiel que toute création de texte, toute nouvelle exigence, au
niveau international ou national, se fasse en concorde avec les situations des pays
concernés. Ainsi, les exigences de pharmacovigilance de l’Union européenne ne
sont absolument pas transposables à l’heure actuelle dans la majorité des pays afri-
cains par exemple.
À notre niveau national, en France, un certain nombre de signaux nous
annoncent que là aussi, dans ce domaine, les choses avancent. Tout d’abord, le
Conseil d’État, juge administratif suprême en droit français, mais également
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