La main d`œuvre dans les travaux publics du Second Empire

La
main-d'œuvre
dans
les
travaux
publics
du
Second Empire
consacrés
au
département des Alpes-Maritimes
1860-1863
Rappel
du
passé
Dans cette étude
sur
la
main-d'œuvre nécessaire au gouv
er
-
nement
de Napol
éo
n III, lors des
travaux
d'intérêt
général entrepris
au
lendemain du
rattachement
de la province de Nice à la France,
nous évoquons
d'abord
l'incompatibilité des
projets
économiques
de l'avenir
entre
le
Piémont
et
la
province de Nice,
entre
un
état
en
voie d'expansion vers l'Italie et une province périphérique.
Il est admis que le gouvernement piémontais manifeste
un
désintéressement progressif envers la province de Nice entre
1851
et
1859, tout
au
moins dans le domaine précis de l'équipement
économique tel que nous le comprenons
au
j
ourd'hui
: voies de
communications et protection des terres cultivables.
Ses ambitions politiques
tourn
ées vers Rome, Milan
et
Venise,
lui font disposer des ressources de son trésor
en
faveur des moyens
de
puissance constitués
par
l'essor
du
port
de Gênes,
du
port
militaire de La Spezzia, de la liaison ferrée Gênes-Turin,
du
ratta-
chement
de cette
artère
nationale
aux
circulations européennes
en
direction de )' Allemagne
du
Sud, de la Suisse, éventuellem
ent
de la France.
Ces
entreprises
diminuent
à ses yeux
l'int
é
rêt
du
rivage médite
....
anéen de Gênes à l'embouchure
du
Var
et son
arrière-pays (1). .
(l)
Archives du Ministère des Affaires Etrangères Paris, Sardaigne.
Turin, correspondance de l'Ambassade de France -Années
1845-1847.
Les rapports
de
l'ambassade sur les chemins
de
fer donnent la genèse de
catte orientation.
LA
MAIN-D'ŒUVRE
DANS
LES
TRAVAUX PUBLICS 109
LeI
vœux
préc
is
de ('arrondissement de Nice
Dans ces mêmes années, la région niçoise exprime des vœux
précis
en
sens contraire. Elle vit dans la
crainte
de l'isolement.
Dès 1849 les
premiers
à percevoir l'orientation nouvelle de la Cour
de
Turin
sont
les libé
raux
francophiles niçois, à
l'esprit
critique
aigu, poursuivis,
âprement
combattus
par
une
majorité
conserva-
trice fidèle à ses traditions
d'attachement
à la Maison de Savoie
(2).
La
suite
des événements, mieux que les polémiques, éclaire les
récalcitrants.
La
politique d'unification douanière réalisée
par
C
avour
de 1851 à 1854,
jointe
à la réserve avec laquelle
l'Intendant
général de la province accueille les
projets
d'amélioration de l'éco-
·nomie locale, indisposent les esprits les
plus
fidèles à
la
fédération
des
Etats
sardes.
La
hourgeoisie niçoise
qui
accède depuis 1849
aux
Conseils
communaux, au conseil divisionnaire, au conseil
de
la province
exprime
des vœux précis
(3).
Elle souhaite
adapter
le comté
au
rythme
technique de l'époque
par
l'établissement
d'une
voie ferrée
Nice-Coni qui lui évitera le péril
de
l'isolement
(4),
des relations
routi
ères avec les bourgs de
la
montagne
(5),
l'endiguement des
torrents
afin
de
limiter
leurs
ravages
(6).
Le
changement de souveraineté : le désir de prestige
Au
15
juin
1860, lors
du
changement
de ·souveraineté, le
chantier
de l'endiguement
du
Var
végète, quelques routes
sont
construites depuis 1853, le
chemin
de fer est encore à lointaine
portée de Nice.
Du
côté italien rien
n'est
entrepris
entre
Gênes
et Vintimille;
du
côté français, le trafic ferroviaire
s'arrête
aux
Arcs. L'opinion générale espère
que
le nouveau souverain
mènera
(2)
Voir
j'Echo
~.
Alpes-Maritime., 1848-1851. et L'AvenIr
~
Hl
••
(1851-1860).
(3) L'intendance générale de
la.
province de Nice maritime"concentre l'admi·
ntstratl
on
des divisions de Nice,
San
Remo, One
gl1
a.
(4) ProJet avorté d'une ligne Nlce-Conl,
1856-1858.
(S)
SatIsfaction parttelle obtenue par
la
loi consorttale du
26
Juin
1853,
par
laquelle l'Etat participe
pour
moitié avec les communes à la construction
de
quatre routes.
(6)
En
1845,
l'endiguement du Var est concédé à une entreprise privée.
L'atrai
re
végétera jus
qu
'en
1859.
Sur la situation de la Vallée
du
Var en
1853
(V.
Désiré
Niel:
La
viabilité
du Var, Nice, 1853).
110
R. TRf:SSE
Il
bien
les
grands
travaux
étudiés
au
temps
de
l'administration
piémontaise
et
souvent
ajournés
(7).
Pour
ce
qui
nous
intéresse
ici, notons
en
avril 1860,
au
nomb
re
des multiples visites
que
reçoit
le
sénateur
Pie
tri
l'envoyé de
l'Emp
ere
ur,
celle
d'une
dép
utation
des
actionnaires
malbeureux
du
consortium
de l'
endiguement
du
Var
: elle lui
demande
de
renfl
ouer l'en
trepr
ise. Une adresse
du
6
juin
1860
Il
l'Empereur
récapitule les
vœux
de la population.
En
septembre
1860,
informé
de ce
que
l'on
attend
de lui,
l'Empereur
visite ostensiblement le
pauvre
chantier
de l'endigue-
ment
du
Var
et
confirme
sa
volonté
d'une
prompte
exécution des
travaux
. publics
util
es
au
nouveau
dé
partement.
Un mois plus
tard
,
entre
le
11
et
le 13 octobre, Rouher,
ministre
de l'Agriculture,
du
Commerce
et
des
Travaux
publics, procède à l'inspection
du
département.
Il
ajoute
Il
la
bienveillance impériale en
autorisant
une
dépense
supplémentaire
de
quatre
millions de francs
en
faveur
de
l'endiguement
du
Var.
Il
consent
à
ce
que
l'entretien
de
certaines
portions de
routes
nationales,
traversant
les villes soit
porté
Il
la
charge
de
l'Etat.
L.
zèle
préfectoral
La
sollicitude impériale invite
l'autorité
préfectorale à
la
dili-
gence.
Le
préfet
Paulze d'Ivoy
estim
e que
la
réalisation des
travaux
attendus
est
un
des éléments
capitaux
de
la
réus
site de son pro-
consulat. L'ingénie
ur
en chef des
Ponts
et
Chaussées
Lonjon
tient
la
vedette de
l'actualité
sans
l'avoir
souha
ité.
Il
est
arrivé
Il
Nice
en
juillet. Le
départ
des techniciens
pi
é
montais
, l'envoi des docu-
ments
essentiels
Il
Turin,
ont
désorg
an
i le service;
il
entend
le
reconstituer
selon les sages
méthod
es de
la
nér
ab
le Ecole des
Ponts.
En
septembre
, le préfet, mft
par
des considérations politi-
ques,
s'impatiente
des
lenteurs
de l'ingé
nieur;
il
souhaite
c
une
prompte
exécution des
travaux
publics dès cet
hiver.
(8).
(7)
Arch. dép. des
A.-M.
Répertoire de
la
Série S,
et
R. Latouche, Hfstofre
de Nfce, t. II.
(8)
Arch.
nat.
F ' 2
Alpes·Maritlmes
et
FI
BI
170,
6. L'impatience
du
préfet
est
tout
entière exprimée
d~
septembre à décembre 1
86
0,
da
ns
sa correspondance
avec le ministre de
l'I
nté
rleur.
E
ll
e
sera
utilement
complétée
par
les
notations
des
Mé1'!10
ir
es
(1859~lB61)
de l'
abbé
Montolivo,
qui
exprime,
à
titre
individuel,
le
scepticisme
nIç
ois.
(Bibliothèque
municip
ale
de
Nice.)
,"Il
NAIN-D'ŒUVRE
DANS
Lili
TRAVAUX PUBLICS
lU
Le
départ
des
grands
travaux
a lieu
au
début
de
l'année
1861
pour
se développer
en
1862, sous l'autorité
du
nouveau
préfet
Gavini qui,
au
rebours
de
son prédécesseur,
vante
les mérites de
son ingénieur
en
chef des
Ponts
et
Chaussées.
Le
recrutement de la main-d'œuvre
L'on
recourt
à
un
emploi accru de main-d'œuvre,
car
l'on
est
à l'âge de la pelle, de la pioche, de la brouette,
du
moellon soigneu-
sement
appareillé. Selon l'expression
du
XVIII'
siècle : c Il
faut
des
bras
"
Attirée
par
ces entreprises, la
main
-d'œuvre piémontaise et
lignrienne se présente d'elle-même avec une facilité qui déconcerte
le
préfet
Gavini désireux
de
protéger la main-d'œuvre locale. Les
craintes
de l'Administration impériale
de
l'année 1861 se
rattachent
à
une
tradition
née
au
moins depuis vingt
ans
avec la création des
voies ferrées. Le politique
et
l'économique
s'y
beurlent
dans
un
flux
et
un
reflux
perpétuels.
Evoquons-en
le.
phases
depuis 1844,
s'ouvre
en
Méditer·
ranée
l'ère des chemins de fer (9).
Lors
du
premier
trimestre
de
l'année 1844, le consul de
France
à Nice a délivré 232 visas
gratuits
aux
passeports établis
par
les autorités de San Remo, à des ouvriers
ou
à des
cultivateurs
désireux de travailler
en
France,
soit
une
moyenne
de
77
entrées
par
mois. Deux
ans
plus
tard,
à
Turin,
le 6 avril 1848, l'Ambassade de
France
rend
compte
du
prochain
établissement de la voie ferrée Gênes-Turin; toutefois les
travaux
sont
retardés
. Aussi 80 travailleurs
par
jour
obtiennent
un
passe-
port
à l'Ambassade
pour
le midi de la
France.
« Il y a
une
véritable
immigration
due à
la
prospérité croissante de la
France
"
conclut
l'ambassadeur
(10).
Puis
la. situation se renverse. Le chô-
mage de l'année 1847,
l'arrêt
prolongé
du
travail
accusé
par
la
Révolution de 1848 provoquent
un
reflux.
En
mars
1848, l'on
voit tous les
jour.
à Nice
de.
ouvriers
venant
de
France.
Le gou-
(9)
Arch. dép. des A.-M., série Z,
Consulat
de
France
à Nic
•.
Nice, le
28
avril
1844.
Mouvement des travailleurs sortis en France.
Nous
n'avons
pas
trouvé d'allusions plus
anciennes
dans
la
série 3
M.
12.
(0)
Arch.
du
Minist.
des
A.E.
Sardaigne,
Turin,
vol. 319. -
Turin,
le
6 avrU
1846,
f'
232.
112
R. TRESSE
vernement provisoire français favorise
leur
retour
et
sa police leur
fournit
les moyens de regaguer
leur
domicile (11).
En
l'année 1849, les nécessités démographiques piémontaises
menacent de renverser le courant. Les revers
du
Piémont
en
mars
entraînent
la démobilisation de son armée, libérant ainsi une
masse de travailleurs à la recherche
d'un
emploi. Le gouvernement
français se dresse à nouveau contre les incidences sociales causées
par
les remous politiques.
Par
une circulaire générale
il
fait appel
à
la
vigilance des préfets de la frontière alpine, à celle des consuls
de
France
en
Piémont
(12). De
1851
à 1858
l'Empire
autoritaire
contrôle de son mieux les mouvements d'immigration.
En
18
57
à Saint-Laurent-du-Var, l'on
arrête
l'activité des passeurs profes-
sionnels. Au passage de la frontière ils
prêtent
aux ouvriers les
cinq pièces
d'or
exigées
par
la loi,
et
se les font restituer en
demandant
5 francs
pour
leurs bons offices (13).
Tout
change en avril 1859 lors des
préparatifs
de la guerre
d'Italie. Des raisons stratégiques poussent à l
'ac
lération des
travaux
préparatoires
sur
la voie ferrée unique entre Toulon
et
Les Arc. Le préfet
du
Var
accorde des fonds à son commissaire
de police de
Saint-Laurent
en
faveur des ouvriers piémontais
désireux de travailler
sur
les
chanti
ers
du
chemin
de fer (14).
Le
traité
·
du
24
mars
1860
entre
le
Piémont
et
la
France
clarifie l'horizon économique. Un décret
du
22
août
1860 autorise
la Compagnie
du
chemin de fer de la Méditerranée à poursuivre
ses
travaux
du
Var
jusqu'à
Nice. Attirée
par
les nouveaux travaux,
la main-d'œuvre piémontaise se présente avec ténacité
au
début
de 1861.
En
aotlt et septembre
1861
l'immigration
prend
ceUe
ampleur
dont
s'inquiète le préfet Gavini,
car
pour lui les fluctua-
tions que nous avons évoquées sont
un
passé récent, aisément
rattaché
aux
préoccupations
du
jour.
(11)
L'Echo
du
Alpes-Maritimes, chronique locale,
23
mars
1848.
(12) Arch. dép. des
A.~M
.•
série
Z,
Consul
at
de
France à Nice,
t.
32.
Circu-
laire du ministère de l'Intérieur, parIs. le
15
avril
1849.
(~
Les événements qui
Be
sont déroulés en ItalIe vont amener sur notre territoire une immigration consi-
dérable.
On
évalue à plusIeurs milliers d'hommes le nombre
de
ceux
qui
se met-
tent en route
pour
la France. »
(13) Arch. dép. des
A.
-M., série M,
Pe
rso
nnel
Administratif,
1848-1860.
Commissaire spécial du pont-du-Var, février
1857.
(14) L'Avenir
de
Nice,
24
avril
1859
. Information probablement inspirée
par
le Consulat de France à Nice.
1 / 9 100%

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