CR Acad. Sc. Paris, t. 303, Série III, no 16, 1986 665

C.
R.
Acad. Sc. Paris,
t.
303, Série
III,
no 16,
1986
665
ZOOLOGIE.
-
A
propos d'une gestation énigmatique chez Ctenodactylus vali (Roden-
tia). Note de
Janine
Gouat,
présentée par Théodore Monod.
Une mise bas a été observée chez une femelle isolée depuis une durée largement supérieure
à
une durée de
gestation. La discussion montre que l'hypothèse la plus probable est l'existence d'un stock de spermatozoïdes
en réserve dans les voies génitales femelles et servant
à
la fécondation sans nécessité d'accouplement concomitant.
ZOOLOGY.
-
About an enigmatic gestation in
Ctenodactylus vali
(Rodentia).
A
parturition occurred in a female isolated since a duration longer than a gestation period. The most consistent
hypothesis
was
the existence of sperm stocked inside the female and used for fertilization without the need of
subsequent mating.
La reproduction chez les Rongeurs de la petite famille des Ctenodactylidae (cinq
espèces) a fait l'objet d'un nombre réduit de travaux ([l], [2]). Ces animaux rappellent
par certains traits beaucoup de Rongeurs Hystricomorphes [3]
:
jeunes nidifuges, longue
durée de gestation, existence d'une membrane vaginale, etc. Cependant, ils offrent égale-
ment quelques particularités. Entre autres, on sait que chez Ctenodactylus gundi [2] se
produit couramment un œstrus pre-partum, prélude
à
la deuxième et dernière gestation
de la saison de reproduction, ce qui implique un phénomène de superfœtation analogue
à
celui décrit chez le lièvre (Lepus europaeus) ([4]
à
[l).
En ce qui concerne Ctenodactylus
vali, des observations in natura
(P.
Gouat et
J.
Gouat inéd.) semblent montrer qu'il n'y
a pas non plus d'intervalle entre les deux gestations habituelles de l'année.
-
Le 27 mars 1986, nous avons capturé au nord de Taghit (Algérie) deux animaux de
cette dernière espèce sous le même rocher
:
une femelle pleine ainsi que son jeune, un
mâle âgé approximativement de 50
à
60 jours (estimé d'après son poids
:
140
g).
Les
deux animaux ont été définitivement isolés le même jour, la mère étant agressive envers
son jeune dans la cage exiguë (40
x
25
x
20 cm) servant au transport.
-
Le 31 mars, la femelle a mis bas un jeune mort-né (peut-être légèrement prématuré?)
pesant 15 g, ce qui représente donc la deuxième portée de l'année.
-
64 jours plus tard, le 3 juin, alors qu'elle était isolée depuis 68 jours, la même
femelle a mis au monde une jeune femelle de 17 g, bien vivante et très mobile. Ses
incisives supérieures n'étaient pas encore sorties et les inférieures sorties mais non usées.
Cela semble être la règle chez C. vali puisqu'il en était de même pour trois autres jeunes
nés dans notre élevage. Ceci est
à
souligner car chez l'espèce voisine C. gundi, dont la
durée de gestation est en moyenne de 73,2 jours[2], les incisives commencent
à
s'user
in utero.
Une telle mise bas chez une femelle isolée depuis longtemps appelle la question
suivante
:
quand a eu lieu l'accouplement responsable de cette gestation?
Il y a selon nous deux possibilités
:
A. Copulation juste avant la capture.et donc précédant la mise bas du jeune mort-né,
à
la faveur d'un œstrus pre-partum.
B.
Copulation plus ancienne, lors d'un œstrus situé aux environs de la première mise
bas (pre- ou post-partum) voire même avant, lors de l'œstrus également
à
l'origine de la
première gestation.
Nous examinerons ces deux hypothèses successivement
:
A.
L'accouplement pre-partum existe notamment chez le lièvre (Lepus europaeus) il
permet la fécondation par les spermatozoïdes stockés lors d'un accouplement précédent [7].
0249-6313/86/03030665
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Acad. Sc. Paris,
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303, Série
III,
no
16, 1986
C'est le mécanisme invoqué chez
Ctenodactylus gundi
l'on observe de façon habituelle
deux gestations successives dans l'année, avec un premier accouplement donnant naissance
à
la première portée et un deuxième accouplement
à
l'origine de la deuxième portée,
intervenant juste avant la première mise bas[2]. Mais dans le cas qui nous préoccupe,
cette hypothèse paraît cependant peu vraisemblable pour plusieurs raisons
:
1.
La copula-
tion aurait nécessairement avoir lieu avant la capture, soit
5
jours ou plus avant la
mise bas du mort-né.
Qr
il s'agit d'un délai bien long comparé
à
ce que l'on observe
chez l'espèce voisine
C.
gundi
l'accouplement
pre-partum
se produit la veille de la
parturition [2]. De même, il faudrait admettre que la durée de gestation peut atteindre 68
jours ou davantage, alors que George [l] mentionne le chiffre de 56 jours
-
à
partir d'un
seul exemple il est vrai.
2.
Lors de la capture, il n'y avait aucun autre adulte en vue. La membrane vaginale
de la femelle était intacte et la zone génitale propre, alors que des écoulements se
produisent après une copulation [l].
3.
Enfin des observations de longue durée sur le terrain
(P.
Gouat et
J.
Gouat inéd.)
révèlent que les
C. vali
vivent le plus souvent de façon solitaire.
Le
mâle ne rejoint la
femelle qu'un bref moment (décembre/jhnvier) pour la reproduction, et n'est déjà plus
alors que la première portée n'est encore âgée que de quelques jours.
Or,
ici, la capture
est intervenue alors que la femelle s'apprétâit
à
donner naissance
à
sa deuxième portée,
ce qui laisse supposer que le géniteur était parti depuis longtemps.
En conséquence, nous pensons pouvoir éliminer sans risques cette hypothèse et prendre
en compte la deuxième
:
B.
La copulation responsable de cette troisième portée a eu lieu aux environs de la
première mise bas ou même avant. La prise en considération de cette hypothèse implique
l'acceptation des phénomènes suivants
:
1. Fécondation possible sans qu'il y ait une copulation concomitante.
2. Ovulation spontanée, au moins dans ce cas précis.
3.
Longue faculté de conservation des spermatozoïdes, pendant au moins l'équivalent
d'une durée de gestation soit 8 ou 9 semaines. Cela paraît possible puisque Chez le lièvre,
on sait que la conservation se prolonge au moins une quarantaine de jours[7]. Ceci
suggère en outre que, les spermatozoïdes pouvant survivre pendant une durée de gestation
à
l'intérieur de la femelle, le deuxième accouplement
à
l'origine de la deuxième gestation
est sans doute superfétatoire.
La question restant
à
résoudre est de savoir si le phénomène rapporté ici est exception-
nel pour l'espèce ou non. Nous ne pouvons répondre actuellement. Cependant il est
tentant de considérer le dernier jeune de cette femelle comme une portée de remplacement,
possible malgré l'absence de mâle et apparaissant seulement dans les cas la deuxième
portée disparaît précocement (fausse-couche, jeunes mourant avant d'avoir tété...). Une
ovulation précipitée après l'échec de la deuxième gestation rendrait alors possible la
fécondation.
Quoi qu'il en soit, considérant les contraintes de l'habitat désertique de
C. vali
([8], [9]),
sa faible prolificité
-
deux portées annuelles de un
à
trois jeunes chacune ([l],
[IO])
-
et la brièveté de la période.où mâles et femelles cohabitent, ce phénomène apparaît
comme une adaptation extrêmement efficace pour la survie de l'espèce.
Je remercie Patrick Gouat pour son aide, tant dans la capture et l'élevage des animaux que pour sa
participation
à
la discussion du
cas
décrit.
Reçue le
6
octobre
1986.
C.
R.
Acad.
Sc Pans,
t.
303,
Série
III,
no
16,1986
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Symp. Zool. Soc. Lond.,
34, 1974,
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Mammalia,
48, 1984,
p.
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[IO]
C.
GRENOT,
Acta tropica,
30, 1973,
p.
237-250.
Laboratoire d'Éthologie expirimentale,
Université Claude-Bernard, Lyon-1,
86,
rue
Pasteur,
69007
Lyon.
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