Dalloz 2011 p43

publicité
Lois de bioéthique et aspects culturels,
difficultés du modèle libanais
Fadi Abou-Mrad
Professeur associé de neurologie et éthique médicale,
Université libanaise,
coordonnateur de la Commission universitaire d’éthique médicale
et de bioéthique,
président de La Société libanaise de neurologie,
directeur médical, hôpital Saint-Charles, Fayadieh, Liban
Le Liban est un pays formé de dix-neuf communautés, ayant chacune une autonomie propre en matière de statut personnel que l’État est constitutionnellement
obligé de respecter. Toute réforme demeure l’apanage des communautés.
La réflexion bioéthique au Liban se situe dans un contexte différent de celui de
l’Amérique du Nord et de l’Europe. Un travail fructueux dans ce domaine, qui
interpelle la société, est difficile, et limite les possibilités de traduire une réflexion
éthique en une proposition législative parce que le Liban est très particulier de par
son système politique, ses statuts civils, sa diversité culturelle, ses mouvances religieuses ou plutôt confessionnelles, sans oublier ses conditions économiques et les
secousses de la région.
C’est ainsi que le Comité consultatif national libanais d’éthique (CCNLE)
pour les sciences de la vie a présenté au ministère de la Santé, des recommandations
concernant l’expérimentation de nouveaux médicaments, l’acharnement thérapeutique, la création de comités locaux d’éthique et l’usage du clonage reproductif en
thérapeutique.
De même, le CCNLE a préparé cinq projets de lois d’une nécessité prioritaire
« afin de sauvegarder l’humain dans toutes les situations où il peut être menacé »1.
Ces projets ont été agréés par le ministère de la Santé et le Conseil d’État.
1. J. Ducruet, La bioéthique dans la société pluriconfessionnelle du Moyen-Orient, Elsevier, 2005,
p. 103-106.
06_Abou-Mrad.indd 43
28/09/11 11:28:06
44
Le droit aux soins en médecine prénatale
Le sérieux et la persévérance du CCNLE ont été couronnés par la promulgation de deux lois : la première sur les droits du malade et le consentement éclairé a
été adoptée par le Parlement libanais le 11 février 2004 et la seconde sur les tests
génétiques l’a été en 2005. Trois autres projets de loi dans le domaine de la bioéthique attendent d’être débattus au Parlement, à savoir :
– un projet de loi sur les techniques de procréation médicalement assistée a été
déposé en sa forme finale au Conseil d’État en 2006 ;
– un projet de loi sur la formation de comités d’éthique locaux dans les établissements de santé pour contrôler la recherche et l’expérimentation de nouveaux
traitements chez les malades ;
– un projet de loi sur les essais thérapeutiques incluant des sujets humains.
D’après les entretiens avec les professionnels de santé, les chefs des communautés religieuses, le ministre de la Santé et les députés concernés, il semble que les
deux derniers projets pourront passer directement comme ce fut le cas avec les deux
autres lois déjà votées successivement en 2004 et 20052.
Puisqu’il concerne le début de vie et le concept de vie humaine, le projet de loi
sur les techniques de procréation médicalement assistée (PMA)3, soulève des problèmes essentiels de croyance en particulier au Moyen-Orient. Cette problématique
touche principalement le statut de l’embryon, sujet d’un débat toujours houleux
partout dans le monde. Elle pose un dilemme amplifié par le manque de dialogue
social dans la diversité culturelle qui forme le Liban.
Au Liban, plus de seize centres spécialisés en matière de PMA fonctionnent
avec leur propre règlement intérieur. Ce dernier dépend de la conscience du centre,
sans aucun règlement professionnel sur lequel il y a un consensus, et tout en visant
à gagner le maximum d’argent : chaque couple paie entre 2 000 et 5 000 dollars à
chaque essai.
À part le Code de déontologie médicale4 qui exige le mariage du couple et leur
consentement éclairé et écrit (« L’insémination artificielle ainsi que la fécondation
in vitro ne sont autorisées qu’entre conjoints ayant donné leur consentement par
écrit »), le vide législatif dans ce domaine ouvre la voie à plusieurs dérives. Ceci
exige la présence d’une loi claire qui freine ces dérives et l’égocentrisme, et empêche
la poursuite de gains matériels, rappelant au passage qu’il « est interdit de pratiquer
la profession médicale avec un but commercial »5 sous prétexte de protéger la personne humaine, la famille et la société.
Une plainte a été déposée, en 2008, auprès de la commission disciplinaire de
l’Ordre des médecins à Beyrouth, à propos d’une erreur commise dans un centre
2. F. Abou-Mrad, « Les essais cliniques au Liban », thèse doctorale soutenue le 20 nov. 2008,
Université Paris Descartes, p. 249-308, disponible sur le site :
[http://www.éthique.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/AllDocumentsByUNID/51EDD9BA4BAEC3
FC1257718002DB0B8/].
3. On parle aujourd’hui d’AMP : assistance médicale à la procréation.
4. Loi no 288 Code libanais de déontologie médicale, JO 3 mars 1994, no 9, art. 30, p. 15-16.
5. Projet de loi sur la PMA, CCNLE, Rapport général annuel 2001-2002, Beyrouth, 2003.
06_Abou-Mrad.indd 44
28/09/11 11:28:06
Lois de bioéthique et aspects culturels, difficultés du modèle libanais
45
d’insémination artificielle au Liban6. Nous nous contenterons de la mentionner. Il
s’agissait d’une procédure juridique initiée par un époux à l’encontre de sa femme,
accusée d’adultère (cause d’un grand tumulte dans notre société), du médecin du
couple ayant exécuté l’insémination et commis l’erreur d’une insémination à partir
d’un donneur hors mariage sans la révéler et finalement du laboratoire où l’acte de
soins s’est déroulé. Est-ce un acte de protection et d’attention pour la personne
humaine, la famille ou la société ?
Le projet de loi libanais sur la PMA et les recherches sur l’embryon condamne,
comme la législation internationale, la création d’embryons dans un but de
recherche (art. 8). Mais il semble qu’elle a aussi contourné la difficulté en proposant d’utiliser des embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental
(art. 16). Cette situation reviendrait à autoriser la manipulation d’embryons, en
utilisant des mesures législatives comme caution morale et marque de respect. Travaillons donc sur les embryons et montrons par « de strictes mesures » notre respect ! Se pose alors la question de l’agence compétente qui surveillerait les dérives
dans un contexte dépourvu de toute veille sanitaire significative, au moins pour
contrer les effets indésirables des médicaments7. Le ministère de la Santé ne suffit pas. Pourquoi faciliter l’existence d’embryons surnuméraires et les congeler ?
Comment contrôler l’apparition d’embryons créés par un transfert nucléaire qui
seraient une source de cellules souches embryonnaires ? Est-ce seulement par la loi ?
Les limites restent floues.
Il est important de veiller à ne pas se laisser bercer par l’illusion que dans le cas
où les limites sont floues, il n’y a pas de différence comme, par exemple, entre
l’eugénisme et la thérapie génique ; toute thérapie de gènes n’est pas forcément de
l’eugénisme. Axel Khan considère qu’utiliser des embryons surnuméraires dans un
protocole de recherche à visée thérapeutique « est une occasion de les intégrer à
une entreprise humaine et humaniste qu’ils n’auraient pas eue sans cela »8. Lucien
Sève ajoute que le respect de l’embryon fait éminemment partie de l’ordre civilisé
de la société.
Le projet de loi sur la PMA déposé en 2003 semble être courageux. Il interdit la
recherche sur l’embryon quatorze jours après la fécondation. Ainsi, il facilite le travail avant cette période et écarte la notion de vie humaine dès la fécondation. Ce
travail a été révisé en 2006. La forme finale écarte cette ligne de démarcation représentée par le J14. Malgré l’effort, le projet est toujours en sommeil au Conseil d’État
non seulement parce que ce dernier est paralysé et pris par d’autres considérations
mais aussi parce que les stigmates de la forme initiale de 2003 restent peu rassurants
et provocateurs pour les convictions religieuses de la majeure partie de la communauté libanaise.
6. Saisine du Département juridique de l’Ordre des médecins au Liban à Beyrouth.
7. F. Abou-Mrad, « Le Cadre législatif des essais cliniques au Liban », Rev. Med. de Bruxelles,
2010, p. 467-473.
8. A. Kahn, Et l’Homme dans tout ça ?, Pocket, coll. « Littérature », 2004.
06_Abou-Mrad.indd 45
28/09/11 11:28:06
46
Le droit aux soins en médecine prénatale
Légiférer dans un pays où une communauté domine est parfois simple. Cette
tâche devient plus compliquée dans un pays multiculturel comme le Liban. Devant
un désaccord prononcé, il n’y a que des législations prématurées superficielles basées
sur le « noui », c’est-à-dire ni le non ni le oui, non créditées par les communautés et
non instructives au niveau de l’éthique intergénérationnelle. La solution réside
dans le débat social objectif pour une politique publique juste et instructive.
06_Abou-Mrad.indd 46
28/09/11 11:28:06
Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace
que représente pour l’avenir de l’écrit, particulièrement dans le domaine de l’édition technique et
universitaire, le développement massif du photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet
1992 interdit en effet expressément la photocopie à
usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les
établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres
et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles
et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).
31-35, rue Froidevaux, 75685 Paris cedex 14
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2o et 3o a),
d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste
et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes
citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction
intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants
cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait
donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
© ÉDITIONS DALLOZ — 2011
ISBN 978-2-247-11407-8
00_I_XIV.indd IV
28/09/11 11:21:44
Téléchargement