Aucourant de l’hiver 2008-2009, plusieurs médecins en ville nous ont
demandé de réagir au sujet de la prescription d’antibiotiques chez
leurs patients par des confrères d’un service d’urgences à domicile. Il
s’agissait très souvent de prescriptions d’antibiotiques pour des états fébriles
d’origine virale.
Interpellé, un des responsables d’un service d’urgences a répondu qu’il
prescrivait des antibiotiques pour prévenir des complications ORL et pour
éviter des plaintes de la part des
patients demandeurs d’antibiotiques ;
en plus, il était d’avis que la résistance
aux antibiotiques était tout au plus un
problème hospitalier, des EMS ou des
prisons, mais pas de la communauté.
Que devons-nous répondre à ces dé-
clarations qui vont à l’encontrede ce que nous enseignons et préconisons à
nos étudiants et médecins en formation ?
La prescription inappropriée d’antibiotiques a plusieurs effets délétères :
a) Les antibiotiques agissent sur des bactéries mais pas sur les virus ; leur
prescription est inutile pour des infections respiratoires virales.
b) L’utilisation systématique d’antibiotiques pour prévenir des complications
bactériennes survenant après un épisode viral a une relation coût/bénéfice
défavorable.
Atitre d’exemple, des méta-analyses récentes1,2 indiquent qu’il faut traiter
quinze patients avec rhinosinusites aiguës pour qu’un patient puisse en
bénéficier, avec disparition plus rapide des symptômes.
Même si l’on traite le sous-groupe à risque avec des symptômes de plus
d’une semaine, 80% sous placebo vont guérir par rapport à 90% sous antibio-
tiques en l’espace de deux semaines.
Une proposition simple est qu’il faut traiter seulement les patients qui,
après une semaine de symptômes banals, développent un écoulement puru-
lent, des douleurs sinusiennes ou de la fièvre. Des méta-analyses ont montré
des résultats similaires pour l’otite chez l’enfant.
c) L’administration d’antibiotiques peut avoir des conséquences fâcheuses
pour les patients (d’autant plus si elle est inappropriée…). Une récente étude
des motifs de consultations aux urgences des hôpitaux pour des effets secon-
daires à des médicaments3montre que 20% sont dues à des effets indésira-
bles d’antibiotiques prescrits en ambulatoire (trois quarts de ces cas concer-
naient des manifestations allergiques – surtout pénicillines et céphalospo-
rines et le reste concernait des diarrhées parfois sévères ou des manifestations
neuro-psychiatriques – surtout pour les fluoroquinolones). Si les patients sont
informés des dangers d’une antibiothérapie inappropriée, ils comprennent
mieux notreattitude.
d) De nombreuses études effectuées dans plusieurs pays ont démontré d’une
manièreformelle qu’il existe une association entrela prescription d’antibioti-
ques et le développement de résistance dans la communauté.4-6
Actuellement, nous observons ce phénomène dans des situations très fré-
quentes :
Nous hésitons à prescrire des macrolides pour des infections ORL et respi-
ratoires car les streptocoques
(S. pneumoniae, S. pyogenes)
deviennent résis-
tants à cette classe d’antibiotiques.
Antibiotiques dans l’urgence
en ambulatoire – à propos d’une
controverse
«… il faut traiter quinze
patients avec rhinosinusites
aiguës pour qu’un patient
puisse en bénéficier …»
éditorial
Revue Médicale Suisse
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1er avril 2009 707
Editorial
D.P.Lew
Daniel P. Lew
Service des maladies infectieuses
HUG, Genève
Thierry Calandra
Service des maladies infectieuses
CHUV, Lausanne
Articles publiés
sous la direction des professeurs
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L’ampicilline ou plus récemment le co-trimoxazole (et de plus en plus les
fluoroquinolones), amplement utilisés dans le passé, ne sont plus actuels pour
beaucoup d’infections urinaires. On constate aussi l’apparition d’un nouveau
phénomène : des infections urinaires en ambulatoire par des entérobactéries
avec bêtalactamase à spectre élargi (ESBL), nécessitant un traitement intra-
veineux car il n’y a pas d’autres alternatives par voie orale.
Les infections cutanées dues à des staphylocoques résistant aux pénicil-
lines (MRSA) se propagent actuellement en communauté à travers le monde
et chez nous.
Il est donc illusoire d’imaginer que la communauté est épargnée.
Les raisons suivantes peuvent mener à une prescription inappropriée :
L’explication d’une abstention thérapeutique exige du médecin une prise
de temps supplémentaire.
Il est difficile d’expliquer aux patients tant le problème des résistances que
celui de l’inefficacité du traitement d’une infection virale par des antibio-
tiques.
Il y a aussi l’inquiétude de perdre un patient insatisfait.
Heureusement, plusieurs campagnes nationales ont amélioré et facilité le
travail éducatif des médecins auprès des patients dans ces domaines.7Une
surveillance nationale en France a démontré
qu’une diminution de la prescription n’entraîne
pas de complications infectieuses supplémen-
taires.7Ces constatations sont importantes
pour le canton de Genève, où la consommation
d’antibiotiques est la plus élevée de Suisse.
Une étude pédiatrique genevoise a démontré qu’il y a peu de pression des
parents pour une prescription d’antibiotiques si on explique bien la situation.
En conclusion, la prescription d’antibiotiques pour patients souffrant de
maladies virales, non seulement ne les guérit pas et n’est pas une stratégie
efficace pour prévenir des infections bactériennes subséquentes, mais peut
être à l’origine d’effets secondaires indésirables, d’une colonisation de la peau
et du tube digestif par des souches bactériennes résistantes même en dehors
de l’hôpital et d’un surcoût.
Les antibiotiques restent de formidables outils dans les mains des méde-
cins pour guérir des infections bactériennes. L’énorme difficulté de dévelop-
per de nouveaux antibiotiques associée à l’augmentation des résistances
nous mène malheureusement à la fin possible de ces médicaments miracle
du XXesiècle, encore plus rapidement si nous contribuons à ce phénomène.
708 Revue Médicale Suisse
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1er avril 2009
«… Les antibiotiques restent
de formidables outils dans
les mains des médecins …»
Revue Médicale Suisse
www.revmed.ch
1er avril 2009 0
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