Tirage: 11485
Poids: Article sur pages régionales, grand
14. février 2013
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JURA BERNOIS PAGE 7
PHARMACIES Les apothicaires craignent pour l’avenir de leur profession et
s’insurgent contre certaines pratiques
Gare à la guerre des médicaments
MÉLANIE BRENZIKOFER
L’association pharmaSuisse l’annonçait en novembre 2011: une pharmacie sur trois
n’est plus rentable, donc, menacée de fermeture. Avec la concurrence des pharmacies
online dites d’envoi postal et celle des médecins pratiquant la dispensation de
médicaments, les apothicaires n’ont plus le privilège de la vente des pilules et
craignent pour leur profession. Tour d’horizon.
Terminée l’époque où les prix des médicaments étaient imposés et où les pharmaciens
étaient (presque) les seuls à pouvoir en fournir. Depuis la révision de la loi sur les
cartels, place à la libéralisation et à la concurrence...
30% des pharmacies ne sont plus rentables DansuneétudeduCentrederecherches
conjoncturelles de l’ETH Zurich, mandatée par pharmaSuisse, il ressort que plus de
30% des pharmacies incluses dans cette enquête ne réalisent plus assez de bénéfices
pour être rentables. En cause, les multiples baisses des prix des médicaments,
imposées depuis plusieurs années par l’OFSP et rendues possibles grâce à la
libéralisation du marché. Mais aussi les médecins dits«vendeurs»,ainsi que les
pharmacies d’envoi postal recommandées par les caisses-maladie, telles que
MediService ou Zur Rose, dite «pharmacie des médecins», accusée d’appliquer une
«politique commerciale agressive» par pharmaSuisse. «Ces officines online dépouillent
les pharmacies de leurs clients en faisant miroiter des rabais sur faits aux
caisses-maladie et des ristournes aux médecins», s’insurge Yves Boillat, pharmacien à
Bienne.
Il faut savoir qu’en Suisse, la vente de médicaments par correspondance est autorisée
sous certaines conditions, dont la présentation d’une ordonnance médicale. Pour
vendre, les pharmacies online ont donc besoin de l’aide des praticiens, qui, en retour,
touchent des indemnisations sur chaque ordonnance rédigée. «A se demander si les
médecins ont besoin de ces revenus supplémentaires pour s’en sortir…», note Yves
Boillat qui estime que, pour le bien des patients, il serait préférable d’établir une
bonne collaboration entre les deux professions qui ne devraient pas être concurrentes,
mais complémentaires. «Chacun son métier, chacun son rôle: le pharmacien ne fait
pas de diagnostics et le médecin ne vend pas de traitements», ajoute notre
interlocuteur.
Des conséquences pour les patients Daniel Salzmann, pharmacien à Malleray, déplore
également les conséquences que peuvent engendrer les services de vente de
médicaments par correspondance. «Avec ce système, le suivi des patients n’est pas
assuré, il n’est pas possible de savoir comment les gens prennent leur médication. La
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sécurité du traitement n’est donc pas assurée». Il rappelle également le rôle
indispensable du pharmacien, notamment dans le soutien et le suivi des malades
chroniques. Il précise enfin que toutes les pharmacies de la région assurent aussi un
service de livraison à domicile, gratuit.
Outre les cas des ventes par correspondance, il y a ceux où le médecin délivre
directement les médicaments au patient. Selon la loi cantonale, cette pratique n’est
autorisée que sous certaines conditions, notamment en cas d’urgence ou lorsqu’il n’y a
pas de pharmacie ouverte. Pour ce qui est deTramelan, village possédant deux
officines, Hugo Schneeberger, pharmacien, constate que les malades sont de plus en
plus nombreux à recevoir leurs traitements directement au cabinet. «Depuis
l’ouverture du Centre médical, j’ai pu constater une baisse de près de 50% de
prescriptions. J’en déduis que le terme urgence doit être interprété de façon assez
large par certains praticiens» .
Et lorsqu’on lui demande s’il a déjà tenté d’aborder ce problème
aveclesprofessionnelsconcernés, il répond, dépité, que cela ne sert pas à grand-chose.
«Les médecins se réfugient derrière la loi cantonale. Et puis, pour aboutir à quelque
chose, il faudrait aller au tribunal avec des patients en guise de témoins et prouver
que le cas n’était pas une urgence ou qu’il y avait une pharmacie ouverte au moment
où le traitement a été délivré. Quel client serait d’accord de témoigner contre son
médecin?»
Risque de fermeture Le Dr Hugo Figueiredo, pharmacien à La Neuveville et à
SaintImier, souhaiterait une remise en question de cette pratique opérée par les
médecins. Pour lui, le problème a pris tellement d’ampleur que l’une de ses officines
pourrait être contrainte de fermer. «L’existence même d’une pharmacie à La
Neuveville est remise en question. Les praticiens installés dans le village ont renforcé
la vente directe de médicaments d’une manière très forte. La première conséquence a
été le renoncement au service de garde, puisque les médecins ne collaborent que de
manière insignifiante.
Plusieurs milliers d’ordonnances ne sont plus prescrites. Outre les conséquences
financières, pouvant même porter un coup fatal aux emplois de l’entreprise, ces
pratiques empêchent la pharmacie d’assumer sa mission de professionnelle de la
santé. Comment travailler avec toute la sécurité requise lorsqu’on ignore ce que le
médecin a remis au patient? Qui assumera les conséquences d’erreurs qui finiront pas
se produire, malgré toutes les précautions que la pharmacie peut prendre?», soulève
Hugo Figueiredo.
Pour les pharmaciens interrogés et pour pharmaSuisse, si la situation actuelle
continue à se détériorer, beaucoup de personnes en feront les frais, et pas
uniquement les professionnels. Exemple, les prestations offertes gratuitement à la
clientèle. «Si nous n’arrivons plus à gagner notre vie avec la vente de médicaments,
nous serons peut-être contraints de facturer le temps passé avec les clients, comme le
font les médecins avec le TARMED», relève Yves Boillat. Et Hugo Schneeberger
d’ajouter que son métier est le seul issu d’une lignée universitaire à ne pas être
rémunéré en fonction d’honoraires.
Les apothicaires sont unanimes et veulent défendre leurs intérêts. Au-delà des enjeux
économiques précités, ils tiennent également à rappeler l’utilité de leur fonction.
«Un pharmacien, c’est un professionnel qui connaît les médicaments. La vérification
de l’ordonnance est quelque chose d’indispensable, c’est une double sécurité qui
permet d’empêcher des accidents, dont certains qui pourraient avoir des
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permet d’empêcher des accidents, dont certains qui pourraient avoir des
conséquences tragiques» , insiste Yves Boillat. Daniel Salzmann évoque également
l’importance du contact humain, rappelant qu’on ne peut pas résumer un patient à
une liste de médicaments: «Notre rôle est indispensable, il ne consiste pas
uniquement à remettre une boîte, mais à expliquer, conseiller et soutenir, tout au long
du traitement» .
Avenir incertain A entendre les professionnels, l’avenir de la branche semble
compromis. Les pharmacies sont-elles alors vouées à disparaître les unes après les
autres? Trop tôt pour le dire. Quoi qu’il en soit, si tel devait être le cas, l’enquête de
pharmaSuisse conclut que «les coûts de la santé pourraient augmenter de 1,35 million
de francs par jour, en se basant sur l’hypothèse que 10% des clients se tourneraient
alors vers les médecins, chez qui une consultation coûte au minimum 45 francs».
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Et si on orientait les aspirants pharmaciens vers la médecine générale?
L’AVIS D’UN MÉDECIN
A Moutier, le docteur Frédéric Gerber (diplômé en médecine générale FMH et en
médecine tropicale et des voyages) pratique la dispensation de médicaments à son
cabinet. «J’aurais pu demander une dérogation pour bénéficier d’une autorisation
‹complète›, mais avec mes collègues, nous avons préféré renoncer à cette possibilité
pour ne pas installer un mauvais climat avec les pharmaciens de la place. Nous avons
donc préféré nous en tenir à la possibilité offerte par la loi bernoise, à savoir délivrer
les médicaments pour tout début de traitement ou pour toute nouvelle thérapie. Les
médicaments prescrits au long cours pour les maladies chroniques n’entrent donc pas
en ligne de compte.»
S’il admet trouver un intérêt financier dans cette pratique, il tient toutefois à mettre en
évidence des avantages pour le patient, à savoir la rapidité de l’intervention, le confort
et le gain de temps, la discrétion (dans le cas de certaines pathologies), et les coûts,
«moins élevés qu’en pharmacie, étant donné l’absence de taxes et de frais de
dossier» .
Pour le médecin, chacun doit être en mesure de garder sa place et ses fonctions et il
va de soi que chacun essaie de défendre ses intérêts. «Ces dernières années, les
revenus des médecins ont beaucoup baissé. La dispensation de médicaments permet
donc de combler partiellement ces pertes. Pour un praticien qui dispense
complètement, les gains peuvent être importants. Pour ma part, cet apport représente
un petit pourcentage de mon revenu, mais il est le bienvenu et permet de mettre du
beurre dans les épinards.»
DES ACTES MÉDICAUX PRATIQUÉS
Si Frédéric Gerber admet que la vente de médicaments est largement répandue dans
sa profession, il tient aussi à évoquer les «actes médicaux» pratiqués par certains
apothicaires. « Les pharmaciens sortent également de leur domaine de compétences
en effectuant des contrôles de tension artérielle, des tests urinaires, des dépistages ou
diagnostics de certaines maladies comme le diabète, l’élévation du taux de cholestérol
et parfois même des vaccinations alors qu’ils ne sont pas formés pour cela».
Enfin, pour notre interlocuteur, la solution existe. Il suffirait d’orienter les aspirants
apothicaires vers la médecine générale… «Finalement, peut-être que la profession de
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pharmacien est en danger dans cette société qui évolue très vite. Mais, apparemment
les solutions de remplacement existent déjà et ceci à la plus grande satisfaction des
patients et des consommateurs. Par contre, le risque de pénurie de médecins est bien
réel, notamment dans les régions périphériques. Il faut donc absolument tout mettre
en œuvre pour éviter de diminuer davantage les attraits de la profession de médecin
de premier recours. Peutêtre que les difficultés dénoncées par certains pharmaciens
motiveront les jeunes étudiants à se tourner vers des études de médecine? Le
maintien de la très haute qualité de notre système de santé, c’est certain, a beaucoup
plus besoin de médecins que de pharmaciens» , conclut le praticien.
UNE BONNE COLLABORATION
Malgré toutes ces histoires, Frédéric Gerber tient tout de même à souligner les
compétences, la disponibilité et l’utilité des pharmaciens. Bien que le climat actuel soit
plus à la guerre qu’à la paix, il souhaite que la collaboration soit bonne et que chacun
gagne décemment sa vie. MBR
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ÉGALEMENT PARU LE MÊME JOUR DANS: L'IMPARTIAL
© Le Journal du Jura
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