Annexe O. Quelques compléments sur la génétique des populations

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Annexe O. Génétique des populations.
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Annexe O. Quelques compléments sur la génétique des populations.
NB. 1. A côté de questions, que j’espère avoir éclairées, j’en ai rencontré
beaucoup d’autres, auxquelles je n’ai pas de réponse. Elles sont posées, en notes en
caractères « arial », à mesure de leur apparition dans ce « text in progress ». Là où –
sans être sûr de la réponse – je penche d’un côté, je l’indique par un (oui ?) ou un (non ?).
Les questions proprement dites sont mises en italiques. Leur numérotation peut
comporter des trous : ils correspondent à des questions antérieures, qui ont trouvé leur
solution. Je serai reconnaissant à mes lecteurs de me donner (par courriel –
[email protected]) leur point de vue, ou de m’indiquer quelles lectures ils
pourraient me recommander. 2. Les références de type sp-14-4B concernent la section
4B du chapitre 14 de « Science et philosophie ». Comme dans l’ensemble de cet ouvrage,
les définitions sont en caractères gras, mes positions personnelles en caractères Arial.
Les * après les noms des auteurs renvoient aux références à la fin de l’annexe.
1. Rappels généraux concernant les mutations.
Toute mutation concerne le génome d’une cellule et se décrit au
niveau élémentaire des nucléotides. Elle est due à des phénomènes
externes (rayonnements, attaques chimiques, etc..), ou internes (erreurs
de réplication, réarrangements de gènes…). Généralement, on a affaire à
un pseudo-hasard déterministe, mais cela n’empêche pas, raisonnant en
probabilité, de définir des taux de mutation. Plusieurs modes de mutation
existent : substitution d’une base à une autre, délétion... Les taux de
mutation différent (de 1 à 10) d’un mode à l’autre, mais on considérera
un taux moyen μ. Ils sont généralement évalués au niveau des paires de
base (pb) et exprimés, sous une forme utilisable par la génétique des
populations, en nombres/pb/génération.
Les conséquences d’une mutation sont très différentes, selon que l’on
considère une cellule somatique ou une cellule germinale. Une mutation
d’une cellule somatique peut, par exemple, déclencher le cancer fatal
d’un individu. La mutation d’une cellule germinale sera transmise à
toutes les cellules de tous les individus de sa lignée et influencera
l’évolution.
Les premières estimations des taux de mutation se sont longtemps
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fondées sur les méthodes classiques de la génétique des populations,
avec leurs inévitables circularités (choix d’un coefficient de sélection,
d’une population « effective » bien loin de la population réelle,
approximation de l’horloge moléculaire1, difficultés de la
coalescence…).
Une mutation peut : 1. concerner un seul nucléotide ; 2. déclencher
un réarrangement d’un gène entier, qui affectera de nombreux
nucléotides. 3. concerner un gène, appartenant à un réseau de gènes
régulateurs et, par là, avoir des effets plus importants. Les probabilités
des deux derniers cas sont extrêmement inférieures à celles du premier.
Les seules probabilités, pour lesquelles des estimations sont possibles
concernent le premier cas (au-delà, il sera difficile de traduire par un
nombre l’adjectif « extrêmement »). Rappelons que nos conclusions
viseront l’extrême improbabilité de l’évolution et donc qu’il suffira
d’avoir fixé des limites supérieures, très faibles, à nos évaluations de
probabilités. Un autre classement, corrélé au premier, se fonde sur l’effet
de la mutation : elle peut être neutre (le plus souvent), létale (trop
fréquente, elle menacerait le maintien de l’espèce), favorable (d’autant
plus rare qu’elle est plus importante). Nous ne considérerons pas ici
l’évolution à l’intérieur d’une espèce, pour laquelle un équilibre
dynamique existe entre les différents allèles, et dont la description
recueille un consensus.
Pour les mammifères, la méthode principale étudie l’évolution de la
divergence de leurs pseudogènes (gènes inactifs, non fonctionnels) ou
1
Quand on compare entre des espèces, dont les individus jouissent de durées de vie très
différentes, on constate que le taux de mutation varie moins si on l’évalue par unité de temps que si
on le fait par génération; ceci confirme l’hypothèse que les phénomènes extérieurs sont
prépondérants, et justifie que l’on parte – quitte à l’infléchir à partir des données de l’expérience –
de l’hypothèse d’une horloge moléculaire constante (qui bât au rythme du temps, et non à celui du
nombre de générations).
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de gènes synonymes, qui ont les uns et les autres l’avantage de ne pas
intervenir dans la sélection naturelle. Les premières évaluations
(Nachman*) ont concerné la divergence homme/chimpanzé. Elle
remonte à 5.106 années, soit 2,5.105 générations de 20 ans. Rappelons
parallèlement que la taille du génome humain est de 3.109 pb (paires de
bases. Avec une estimation assez imprécise d’une population effective
de 104, Nachman arrive à : μ = 2,5.10-8/pb/génération (soit 175/génome
diploïde/génération).
Toujours sur les mêmes principes, des estimations (KumarSubramanian*) ont été faites sur l’ensemble des mammifères ; elles
concluent à un nombre un peu inférieur : μ = 2.10-9. Il est plus
significatif, puisque portant sur une période plus longue. Il est
probablement de portée plus générale, puisque la divergence homme/
chimpanzé a été exceptionnellement rapide.
Remarque méthodologique : Quand on considère des gènes
synonymes ou des pseudogènes, il est normal de donner le résultat par
base. Mais quand nous nous préoccuperons de mutations importantes,
nous donnerons des taux par codon, seul élément significatif. Il
conviendra de les comparer au taux de mutations neutres par base, car –
pour les mutations importantes – la seule modification d’une des trois
lettres est une modification du codon.
Chez les bactéries, et avec les immenses progrès faits dans le
décryptage de leurs génomes, des méthodes plus directes sont possibles :
ainsi sur Escherichia Coli, des « expériences d’évolution » (Wielgoss2011*) sur 40000 générations et des mutations synonymes concluent à
environ 10-10/pb/génération.
Les idées, assez naturelles, de Kimura sur la grande proportion de
mutations neutres paraissent confirmées. Kimura* a développé des
modèles mathématiques intéressants, permettant de calculer la
probabilité P de fixation d’une mutation et le temps T de fixation
(calculé en nombre de générations) en fonction du coefficient de
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sélection s et de N (ainsi, dans l’hypothèse de la semi-dominance, il
obtient : P = (1- e-2s)/ (1 – e-4Ns) et T = 2/s. log2N. Comme on a quelques
données concrètes sur T (souvent au moins 103 générations), le calcul
n’est pas complètement circulaire.2
2. Quelques difficultés de la génétique des populations.
L’épistasie se définit comme le cas, très fréquent, où l’action de
plusieurs gènes n’est pas purement additive. On conçoit que, très vite,
les calculs y deviennent inextricables.
Les modèles de « shifting balance » (une évolution plus rapide quand
la population se divise en sous-populations isolées – Wright, S. 1977,
Evolution and the Genetics of Populations. Chicago) ont été contestés.
De même ses « paysages rugueux » (cf. annexe T) sont trop flous pour
être utiles.
Hétérozygotie. Il y a encore controverse aujourd'hui pour savoir
si la "théorie de la balance évolutive" est vérifiée. Celle-ci, très
schématiquement, tente de trouver une réponse au paradoxe suivant :
Une population ne devrait présenter un fort taux d'hétérozygotie que si
la possession simultanée de deux allèles différents présentait un
avantage sélectif, la surdominance. Or, d'un côté on observe souvent
des taux élevés d'hétérozygotie; de l'autre, on bâtit des raisonnements,
d'après lesquels la surdominance ne devrait pas être fréquente. Il est
plausible que, pour les mutations vraiment utiles, deux gènes,
produisant "deux fois plus" de la bonne protéine, valent mieux qu'un;
2
Sur la rapidité de la divergence homme-chimpanzé, voir les développements de sp-14-4. Sur les
mutations neutres, voir la fin de sp-14-3. Remarquons aussi, sur la probabilité p des fixations, que le cas
le plus fréquent est celui où s est assez faible, mais sN assez grand ; il se simplifie en p = 2s (la mutation
neutre serait celle où sN ≤ 1).
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le cas souvent cité des deux allèles, l'un qui évite l'anémie, et l'autre
qui protège de la malaria, est assez particulier
La théorie de la balance essaie donc d'expliquer ces paradoxes.
Mais elle recourt trop facilement à des hypothèse ad hoc, sur la
fréquence des mutations, la variabilité des coefficients de sélection, ou
de l'environnement extérieur. La meilleure explication est
probablement, rejoignant la théorie neutraliste, de distinguer une forte
hétérozygotie des caractères neutres, "sans importance", d'une
homozygotie des caractères décisifs.
- De même, dans la formule bien connue: H = 4Nνn/(4Nnν +1),
reliant le taux d'hétérozygotie H au taux de mutation ν et à l'effectif de
la population N, il est troublant que l'on trouve toujours des valeurs
"acceptables" pour H (ni très proches de 0, ni très proches de 1), alors
que N et ν, qui n'interviennent que par leur produit, sont totalement
indépendants et connaissent chacun de grandes plages de variation.
Le fardeau génétique voudrait traduire la diminution de la
valeur sélective d’une population, quand – tout naturellement – elle ne
contient pas que l’allèle le plus favorable. Cette notion, au mieux
inutile, peut même avoir une dérive eugénique !
Polymorphisme et mutations neutres. Le polymorphisme se
définit par la probabilité que deux individus différents aient, sur un
site pris au hasard, une différence d’allèles. Il serait chez l’homme de
10-3. Il faut trouver un compromis entre meilleure adaptation absolue
et souplesse vis à vis des bouleversements de l'environnement
extérieur. O1. Le large polymorphisme observé est-il expliqué
par une génétique des populations, qui prévoit au contraire la
fixation du meilleur alléle? (intuitivement, un allèle reste neutre
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pendant longtemps, puis prend son intérêt lors d’un
changement notable de l’environnement). O2. Par ailleurs, dans
l’évaluation des fréquences de mutations neutres, et du
polymorphisme correspondant, ne conviendrait-il pas de
distinguer les mutations banales, ne changeant pas la
signification du codon en matière d’acide aminé, de celles où le
codon est transformé, mais où cela n’a pas d’incidence visible
sur l’individu ?
- On cite toujours *l’anémie falciforme comme exemple d’un
cas où l’hétérozygote est avantageux. Mais, n’est-ce pas un
cas exceptionnel ?
03. .Anagenèse (évolution sans branchements) versus
phylogénèse. Dans les discussions sur la macroévolution et
les équilibres ponctués, comme dans celles sur la cladistique,
cette distinction entre deux processus a une grande
importance. A-t-on des moyens d’évaluer les parts respectives
de ces deux processus dans l’évolution. Evidemment, par les
mêmes arguments, qui fondent la notion de coalescence, la
part de l’anagenèse est forcément faible. Mais peut-on la
préciser ?
L’Eve mitochondriale.
Rappelons que les chromosomes des mitochondries se transmettent
uniquement par les femmes. Un raisonnement de pure logique montre
que – fatalement – il y a eu une époque et, à cette époque, une « Eve
mitochondriale », seule à assurer jusqu’à aujourd’hui la descendance
par les femmes. A chaque nouvelle génération, un certain nombre de
femmes n’a pas de filles ; progressivement, les femmes des
générations successives descendront d’un nombre décroissant des
femmes d’origine (c’est un cas typique de coalescence). Mais on
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conçoit que, si la population était importante à l’époque de cette Eve,
la progression serait extrêmement lente ; à la limite, on ne remonterait
pas à une femme, mais à un poisson femelle ! Dans la réalité, il est
plus raisonnable de penser que les vraies candidates à la dignité d’Eve
formaient au départ une population restreinte de par exemple 100
femmes.3
On utilise ensuite le concept d’Eve mitochondriale pour
comparer, par les méthodes de la génétique des populations (et, en
particulier grâce à la formule de Kimura sur le temps de fixation citée
plus haut), les différences sur les gènes mitochondriaux entre les
différents humains actuels, et avec ceux de leur ancêtre commune. Le
but est de reconstituer des phylogénies. Le résultat paraît triplement
heureux : De l’ordre de 200.000 ans nous séparent de l’Eve
mitochondriale, c’était donc bien une femme ! Pour être fait en si peu
de temps, il fallait que le nombre de femmes de son temps fût faible ce qui confirmerait* la thèse que les grands changements évolutifs ne
concernent au départ qu’un très petit nombre d’individus.4 Les lignées
des non-africains viendraient de lignées africaines. Mais cette
troisième affirmation, qui était le but de la communication initiale
(1987) de R. Cann* et A. Wilson, largement reprise par les media, ne
résulte pas automatiquement de leur travail (il reste concevable que
l’homme moderne soit issu de souches et de régions variées). En
revanche, des études plus récentes, tant sur les mitochondries que
phénotypiques, semblent bien confirmer cette troisième affirmation.
3
Hypothèse extrême (interprétation littérale de la Bible, ou
« monstre prometteur » de Goldschmidt) : un seul couple a donné
naissance à toute l’humanité.
4
C‘est la position exprimée en 14-4B.
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De toute façon, les calculs de génétique peuvent être discutés,
puisqu’ils extrapolent une formule, conçue pour des populations
stables, à des populations humaines, qui ont peut-être été multipliées
par 107 ! De plus, les résultats dépendent des incertitudes d’une horloge
moléculaire imprécise.
.
L’Eve africaine mitochondriale n’est qu’une descendante
fortuite des premiers homo sapiens, dont elle n’est pas contemporaine ;
elle est plus un artefact de la logique, une vedette médiatisée, qu’une
référence scientifique ou qu’une vraie Eve !
De même, l’analyse de l’ADN du chromosome Y, propre aux
mâles,
permet de remonter la généalogie à un « Adam Ychromosomique ». Il n’aurait vécu qu’il y a 70.000 ans (mais ceci n’est
pas un problème puisqu’il s’agit d’un homme et d’une femme, chacun
repéré par sa descendance, mais qui n’a aucune raison d’avoir constitué
un couple).
Ces réserves ne remettent pas en cause l’intérêt d'étudier les gènes
des mitochondries ; évoluant plus vite que ceux de l'ADN nucléaire, ils
permettent, pour la première fois, d'étudier des évolutions à l'intérieur
d'une espèce.
Question O-4: N’est-il pas étrange que les gènes
mitochondriaux, aux mutations 10 fois plus fréquentes que celles
des gènes Y-chromosomiques, semblent s’être fixés plus
lentement ?
Question O-5 : Y a-t-il eu des études sur d’autres espèces que
l’homme ? Si oui, qu’ont elles donné ? Cette évolution rapide des
mitochondries empêche-t-elle de plus remonter le temps ?
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Question diverse O6. La mutation du gène Ultrabithorax réprime le
développement d’ailes chez la drosophile et l’initie chez l’abeille
(Futuyma, Evolution, p. 598). Cf. sp-9-4. Une drosophile ayant ce
gène, qui lui fait développer des haltères, est-elle viable (Non ?).
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Références.
Cann, R et als (1-1987), Mitochondrial DNA and Human
Evolution. Nature, p. 31-36.
Futuyma, D. J. (2013), Evolution. Sinauer.
Kimura, Genetics (47), pages 713-719 et (61), pages 763-771. Ce
sont de belles mathématiques.
Kumar, S et Subramanian, S (2002). Mutation Rates in
Mammalian Genomes, in Proceedings of the National Academy of
Science, vol 99, p.803-808.
Nachman, M et Crowell, S. Estimate of the Mutation Rate per
Nucleotide in Humans, in Genetics, Sept 1, 2000, vol 156.
Wielgoss et als. (2011), Genetics 1 p.183-186.
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