Imaginaire et réalité de l'anthropocène ?
Extrait du Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie
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AUDIO - Paroles de Chercheurs 27 mars 2014
Imaginaire et réalité de
l'anthropocène ?
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Date de mise en ligne : mardi 7 janvier 2014
Date de parution : 27 mars 2014
Description :
L'Anthropocène désigne une époque géologique au cours de laquelle l'influence de l'homme sur le système terrestre serait devenue prédominante, responsable de
changement climatiques, extinction et migration globale d'espèces, etc.
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Imaginaire et réalité de l'anthropocène ?
L'Anthropocène désigne une époque géologique au cours de laquelle l'influence de l'homme
sur le système terrestre serait devenue prédominante, responsable de changements
climatiques, extinction et migration globale d'espèces, etc.
Avec Jean-Baptiste Fressoz, autour de son dernier ouvrage, paru fin 2013 : L'Evénement
Anthropocène : La Terre, l'histoire et nous, et Pierre-Frédéric TENIERE-BUCHOT
Débat enregistré le 27 mars 2014 - 18h30-20h00
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L'Evénement Anthropocène
La Terre, l'histoire et nous
Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz,
Anthropocène Seuil, 2013
Utilisé depuis les années 2000 par un certain nombre de scientifiques, l'Anthropocène désigne une nouvelle époque
géologique au cours de laquelle l'influence de l'homme sur le système terrestre serait devenue prédominante,
responsable de changement climatiques, extinction et migration globale d'espèces, modifications à grande échelle
de la végétation naturelle, etc.
Dans cet ouvrage, et en s'appuyant sur d'abondantes références, les auteurs décrivent dans un premier temps "Ce
dont l'Anthropocène est le nom". Ils se penchent ensuite sur les discours de ceux qui veulent "Parler pour la Terre,
guider l'humanité" afin de dénoncer la façon dont l'Anthropocène est pensé et mis en scène par les
"anthropocénologues", des experts qui prétendent guider des choix apolitiques et objectifs. Enfin dans la troisième
partie, ils retracent l'histoire des événements, des idées, des comportements, des choix politiques et économiques
qui ont conduit l'homme, depuis plus de 200 ans, a modifier en profondeur les principaux paramètres géophysiques
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de la planète.
En conclusion, le livre "appelle à de nouvelles humanités environnementales concourant à renouveler nos visions du
monde et nos façons d'habiter ensemble la Terre".
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La notion d'anthropocène désigne une nouvelle époque
géologique
Jean-Baptiste FRESSOZ : La notion d'anthropocène désigne une nouvelle époque géologique. Elle a été proposée
par le chimiste Paul Crutzen, prix Nobel pour ses travaux sur la couche d'ozone. Après l'holocène, commencé il y a
11 500 ans, il semble approprié de nommer « anthropocène » l'époque géologique présente dominée à de nombreux
titres par l'action humaine. L'anthropocène est donc la nouvelle période des humains, l'âge géologique de l'homme.
Quels arguments justifient d'ouvrir une nouvelle ère géologique à partir de la Révolution industrielle ?
Premièrement, du fait des émissions humaines, l'atmosphère s'est « enrichie » de 150 % de méthane, de 63 % de
protoxyde d'azote et de 43 % de CO2. Concernant ce dernier gaz, la concentration est passée de 280 parties par
million à 400 parties par million en 2013. Ce niveau est inégalé depuis 3 millions d'années.
Le deuxième aspect concerne l'effondrement de la biodiversité. Le taux de disparition des espèces est actuellement
de 100 à 1 000 fois plus élevé que la normale géologique. Les biologistes évoquent la 6e extinction depuis
l'apparition de la vie sur Terre. Il faut remonter à 65 millions d'années pour trouver un rythme d'extinction similaire.
Troisièmement, nous prenons en considération l'altération des sites biochimiques et géochimiques de l'eau, de
l'azote et du phosphate.
La modification du cycle continental de l'eau est massive, avec le drainage de la moitié des zones humides de la
planète et la construction de 45 000 barrages de plus de 15 mètres de haut, qui retiennent la quantité astronomique
de 6 500 km3 d'eau, soit 15 % du flux hydrologique du globe.
Le cycle de l'azote a été complètement transformé avec l'industrialisation, en particulier avec le procédé
Haber-Bosch qui transforme l'azote atmosphérique en azote assimilable (engrais artificiels). Ce flux d'azote est deux
fois plus important que le flux naturel.
Le cycle global du phosphore est aussi entièrement modifié, puisque le flux anthropique est huit fois plus important
que le flux naturel (essentiellement lié aux engrais).
L'anthropocène n'est pas encore officiellement acté. Il fait encore l'objet de débats parmi les géologues. Le terme «
d'anthropocène » connaît cependant un grand succès scientifique et public. Il est devenu un point de ralliement
essentiel entre les sciences « dures » et les sciences humaines, qui tentent de penser ensemble cette nouvelle
époque géologique.
Pourquoi ce terme est-il fascinant ? Il constitue une très bonne alternative à « changement global ». Avec «
anthropocène », l'humain est placé au coeur du problème. Le suffixe « -cène » place aussi l'histoire au coeur du
problème. De plus, par rapport à la temporalité courte du vocable de « crise environnementale », l'anthropocène
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désigne un point de non-retour. Nous ne vivons pas simplement une crise environnementale ; nous vivons une
révolution géologique d'origine humaine. En deux siècles, nous avons perturbé le système Terre pour des centaines
de milliers d'années au moins.
Toutefois, l'élégance et la concision du terme « anthropocène » présentent des défauts.
Tout d'abord, de quelle humanité parlons-nous ? Un Étasunien et un Français moyens consomment respectivement
32 fois et 16 fois plus de ressources et d'énergie qu'un Kenyan moyen. Les Indiens Yanomami, qui chassent,
pêchent et jardinent dans la forêt amazonienne, en travaillant 3 heures par jour sans aucune énergie fossile, font-ils
partie de l'émergence de l'anthropocène ? Ce n'est pas évident.
Les géologues, climatologues et spécialistes du système Terre qui ont avancé le terme « anthropocène » ont
également proposé une histoire. Ils ont souhaité répondre à la question suivante : comment sommes-nous entrés
dans l'anthropocène ? Will Steffen, ancien directeur de l'International Geosphere-Biosphere Program, propose une
histoire essentiellement fondée sur la mesure globale. Il a proposé une série impressionnante de courbes
démontrant l'impact de l'humanité sur la planète. Cependant, ces courbes ne font que refléter des processus
historiques, qui sont eux déterminants. Les courbes ne sont qu'un effet secondaire. De plus, la mesure globale crée
une entité abstraite (l'espèce humaine prise comme un tout). Or rien ne diffracte plus l'humanité que son impact sur
l'environnement.
Ce problème est lié au déficit de compréhension historique de la crise environnementale contemporaine. A mes
yeux, ce déficit de compréhension est parfaitement illustré par cette courbe des émissions de CO2, pourtant
emblème de l'anthropocène. Nous n'avons néanmoins pas d'histoire précise de cette courbe. Aucune histoire ne la
relie à des choix politiques ou économiques précis. Je prends pour exemples le rôle de suburbanisation, le rôle de
l'impérialisme formel et informel, le rôle du fordisme, le rôle des guerres, le rôle des militaires... Quelles institutions et
quels processus historiques connus doit-on mettre derrière cette courbe ?
Faute d'ancrage historique précis, le concept d'anthropocène risque d'entériner une vision simplifiée de l'humanité,
unifiée par la biologie et le carbone, et donc collectivement responsable de la crise, effaçant par là même de manière
très problématique la grande variation des causes et des responsabilités entre les différents peuples et les
différentes classes sociales.
Les enjeux des dérèglements écologiques contemporains
Dans L'Evénement anthropocène, Christophe Bonneuil et moi-même avons tenté de porter un regard historique
lucide sur l'anthropocène, pour étudier les enjeux des dérèglements écologiques contemporains. Je développerai
cinq thèses.
1) L'origine anglo-américaine
Premièrement, jusque dans les années 1980, l'anthropocène aurait pu être nommé avec plus de précision «
l'anglocène ». Lorsque nous portons un regard rétrospectif sur les émissions de CO2 cumulées, nous constatons
que les deux puissances hégémoniques du XIXe et du XXe siècle représentent l'essentiel de ces émissions.
Concrètement, en 1950, les émissions de CO2 cumulées du Royaume-Uni et des Etats-Unis représentent 65 % des
émissions mondiales. A partir de 1980, ces deux pays ne sont plus majoritaires dans les émissions mondiales.
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2) L'Humanité aveugle
Deuxièmement, le récit de l'anthropocène proposé par Crutzen, Steffen et Grinevald dans Philosophical Transactions
présente notamment la caractéristique suivante : l'humanité était aveugle à son action sur l'environnement global.
Grâce à quelques savants de la fin du XXe siècle, l'humanité ouvre enfin les yeux. Ma thèse s'inscrit contre cette
histoire. Nous ne sommes pas entrés dans l'anthropocène sans nous en rendre compte et sans nous poser de
questions. J'illustre ma thèse par un exemple précis qui a trait au changement climatique au XIXe siècle. Au début
du XIXe siècle, un grand débat est mené en Europe et aux Etats-Unis sur le changement climatique anthropique lié à
la déforestation. En se référant aux théories de Stephen Hales sur les échanges gazeux entre la végétation et
l'atmosphère, les naturalistes blâment la déforestation pour les dérèglements climatiques. L'arbre joue un rôle central
dans le cycle de l'eau : en coupant les arbres, nous risquons de rompre le cycle providentiel de l'eau qui relie la
végétation à l'atmosphère.
Ce changement climatique du XIXe siècle n'est pas de même nature que celui que nous connaissons actuellement.
Son point central est le cycle de l'eau, alors que le changement climatique posant aujourd'hui problème est lié au
cycle du carbone. Des similitudes sont toutefois intéressantes :
Il s'agit d'un phénomène global, la Terre étant envisagée comme un grand système traversé de flux de matières. Le
cycle de l'eau altéré par l'humanité est un cycle global reliant les tropiques et les latitudes tempérées.
Le débat est savant. Il est central au sein des académies européennes et étasuniennes. En 1817, Joseph Banks,
président de la Royal Society, s'interroge sur les refroidissements constatés dans différents pays européens après
l'explosion d'un volcan en Indonésie. Il suppose que la déforestation a accumulé l'humidité dans l'atmosphère, l'eau
se condensant aux pôles et accroissant la calotte glaciaire, produisant ainsi les mauvaises saisons en Europe.
Joseph Banks demanda à la flotte des baleiniers britannique de renseigner l'évolution de la calotte glaciaire.
De ce débat émergent les méthodes fondamentales de la climatologie historique.
Le changement induit un phénomène irréversible.
Les savants des années 1820 mettent en exergue le déclin des civilisations orientales, en prenant pour exemple les
ruines de civilisations brillantes, désormais situées au milieu de déserts (Palmyre, Babylone...), pour avertir les
gouvernements européens de la nécessité de lutter contre la déforestation.
La question est prise en charge par des institutions politiques. En 1821, le ministre de l'Intérieur français lance une
grande enquête sur le changement climatique, qui mobilise l'ensemble des départements. Ces documents
démontrent le caractère sérieux et répandu des inquiétudes en la matière. En 1836, le Parlement français fonde une
commission d'enquête sur le changement climatique.
Ainsi, au lieu d'affirmer l'ignorance et l'inconscience, il faut penser l'entrée dans l'anthropocène comme étant un
moment de savoirs et d'attentions aiguës à l'impact de l'humain sur l'environnement et le climat.
3) Une autre histoire était possible
Troisièmement, l'anthropocène n'était pas inéluctable. Nous pouvons mettre en avant une histoire des techniques
moins linéaire, qui laisse une place aux alternatives et aux bifurcations techniques. Ces chemins prometteurs n'ont
pas été pris pour des raisons spécifiques. Je prends l'exemple de l'énergie, caractéristique centrale dans l'histoire de
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