QUELLES CHANCES POUR LA FRANCE DANS UN MONDE GLOBALISÉ?
par François Nicoullaud
L'exposé que je vais vous présenter doit être vu comme une introduction au sujet, pas
comme un essai de réponse. Les réponses surgiront peut-être du débat que nous aurons
ensuite, où nous nous efforcerons de confronter nos vécus respectifs. Je souhaite donc que
ce débat soit aussi libre, aussi vif, aussi étendu que possible.
Les Français sont quand même de drôles de gens. Depuis deux siècles une question les
taraude "sommes-nous à la hauteur?","avons-nous été à la hauteur?","serons-nous à la
hauteur?" Dans la tourmente actuelle de la mondialisation, ils se torturent plus que jamais.
Pourquoi deux siècles? En gros parce qu'en 1815, après Waterloo, la France se retrouve
diminuée, entourée d'une coalition de vainqueurs. La très visible ascension démographique
et économique de l'Angleterre et du monde germanique, désormais en route vers l'unité,
oblige les Français à comprendre qu'ils ne seront plus jamais la puissance hégémonique qui
a dominé l'Europe depuis 1650, l'époque des Traités de Westphalie. Au XVIIème et au
XVIIIème siècle, la France est vraiment sur tous les plans, démographique, économique,
culturel, militaire... à son zénith en Europe. En 1815, le reflux s'amorce.
C'est alors que s'épanouit ce sentiment de déclin qui n'abandonnera plus les Français jusqu'à
nos jours. Le thème se retrouve dans le pessimisme romantique. Il reprend vigueur au
lendemain de défaite de 1870 et à nouveau après la défaite de 1940. Plus tard, l''on se
souvient du "mal français" d'Alain Peyrefitte paru en 1976. Il y a eu en 2003 "la France qui
tombe" de Nicolas Baverez. Le thème du déclin parcourt aussi toute la production d'Alain
Minc, pour parler d'un autre essayiste à la mode. Les ouvrages consacrés à ce thème
remportent à coup sûr un grand succès critique et de librairie. Ce courant de pensée a donné
naissance récemment à un nouveau mot, le "déclinisme", lancé d'ailleurs par Dominique de
Villepin, qui dit assez plaisamment ce qu'il veut dire.
Entrons un peu dans le raisonnement des "déclinistes", tentons d'y discerner la part de
réalité et de fantasmes, avant de voir si la France a une chance de s'en sortir, et comment,
dans la nouvelle compétition qui s'est ouverte entre nations et continents sous le nom de
mondialisation, ou globalisation.
Quels sont les handicaps les plus souvent cités lorsqu'on veut expliquer le recul, au moins
relatif, de la France?
Ils s'articulent en fait autour de deux visions, l'une qui regrette que la France n'ait pas su
rester fidèle à elle-même, l'autre au contraire qu'elle ne parvienne pas à se réformer. L'une
des critiques est donc d'essence conservatrice, l'autre d'essence moderniste. Elles ne
recoupent d’ailleurs pas le clivage droite-gauche, car tout dépend de ce que l'on veut
conserver et de ce que l'on veut faire bouger.
Premier handicap, le handicap démographique. Assez mystérieusement, les Français ont
commencé à pratiquer le contrôle des naissances un siècle à un siècle et demi avant tout le
monde, c'est-à-dire dès la fin du XVIIIème siècle. Et ils ont été les moins féconds du
monde, jusqu'à la veille de la deuxième guerre mondiale. Mais surtout ils ont sacrifié sur les
champs de bataille européens, avec la Révolution et l'empire napoléonien, leur dernière
génération d'avant la diffusion des pratiques contraceptives. Près d'un million de jeunes
Français dans une France de 30 millions d'habitants meurent pour leur patrie et pour la
gloire au lieu d'émigrer hors d'Europe. Si une partie de ces Français et à peu près autant de
jeunes femmes, étaient partis, par exemple, pour la Louisiane française, l'histoire de
l'Amérique du Nord, peut-être l'histoire du monde, et certainement le rang de la
francophonie dans le monde en auraient été changés. Rappelons que de 1800 à 1940, 50
millions d'Européens ont quitté leur pays pour aller ailleurs. Parmi eux 17 millions
d'Anglais et d'Irlandais, 10 millions d'Italiens, 6,5 d'Espagnols et de Portugais, 6 millions
d'Allemands... et 500.000 Français.
Cette baisse prématurée de la natalité peut être vue comme le résultat de l'avance de la
France en matière de civilisation, comme l'effet de la philosophie des Lumières. Du côté du
monde conservateur, l'on y a vu surtout le résultat de la perte des valeurs morales, de la
recherche du plaisir sans risque, de la déchristianisation des villes puis des campagnes.
Pour le monde conservateur un autre facteur de déclin a été l'importance des querelles
intestines, des soubresauts politiques et sociaux que la France a connus depuis la
Révolution française, destructrice de la cohésion traditionnelle de la société : longue série
de crises, qui vont jusqu'à Mai 1968. Les conservateurs les plus radicaux dénoncent
l'impuissance générée par le jeu des partis, par l'expression désordonnée des libertés
démocratiques.
Le camp moderniste a aussi intégré cette notion de handicap, mais en transférant la
responsabilité du retard français sur notre classe dirigeante. Au XIXème siècle, les
Républicains critiquent les prêtres et les nobles qui se sont toujours efforcé de maintenir la
population dans un état d'arriération. L'on explique alors volontiers le retard français au fait
qu'il s'agit d'une nation catholique, et que les nations protestantes ont fait mieux que les
autres le saut vers la modernité. Après la deuxième guerre mondiale, Jean-Paul Sartre
condamnait le malthusianisme des capitalistes français opposés à la croissance pour mieux
protéger leurs privilèges, alors que le marxisme-léninisme préparait une société
d'abondance.
Notre président de la République, dont le volontarisme puise à la source de la tradition
bonapartiste, est bien dans cette école de pensée qui explique le retard français par la
difficulté de la société française à se réformer. Trop de fonctionnaires, trop de protection
sociale, trop de syndicats, trop de laisser-aller, trop d'oisiveté minent notre compétitivité. Et
à partir de ce constat, il développe la rhétorique du sursaut.
Il est vrai que la mondialisation représente pour la société française qui nous paraît si
fragile, un vrai défi.
Mettons quand même les choses en perspective, il ne paraît pas plus dramatique que le défi
du nazisme et du fascisme, ou le défi du bloc communiste. Et cette mondialisation n'est pas
la première. L'histoire moderne a vu alterner à trois reprises phases de repli et phases
d'expansion.
Des deux premières phases, la France s'est, disons, moyennement bien sortie.
La première mondialisation moderne a été liée à la découverte des Amériques. La France
est passée largement à côté, ne conquérant guère que quelques îles et comptoirs deci delà,
les arpents glacés du Canada, pour citer Voltaire, et les territoires sans or, sans argent, et
sans population exploitable de la Louisiane. Les Rois de France sont en effet trop occupés
ailleurs. Deux ans après l'arrivée de Christophe Colomb aux Caraïbes, ils se lancent dans
soixante ans de guerres d'Italie, sans résultat aucun. Et ensuite, ce seront les guerres de
religion.
Avec le XIXème siècle, arrive la seconde expansion coloniale, appuyée sur
l'industrialisation. La France, même si elle fait nettement moins bien que la Grande-
Bretagne, fait preuve alors d'un peu plus d'esprit de suite, notamment dans la conquête
opiniâtre du Maghreb, son plus beau succès si l'on se replace dans l'esprit du temps. Mais
dès la fin du XIXème siècle, les nations européennes dominantes voient la montée en
puissance des Etats-continents, Etats-Unis d'abord, puis Russie, qui vont les ramener à la
taille de nains.
Deuxième repli sur soi de l'Europe, avec les deux guerres mondiales, puis les décennies de
la reconstruction et de l'expansion économique, accompagnées symptomatiquement d'une
décolonisation à grande vitesse. L'effondrement de l'empire soviétique délivre évidemment
l'Occident d'un gros souci. Souvenons-nous que des conservateurs bon teint comme
Georges Pompidou étaient encore persuadés dans les années 1960 qu'il fallait, bien sûr, se
battre contre le communisme, mais un peu comme la chèvre de M.Seguin. A la fin des fins,
le communisme finirait par triompher. La chute du rideau de fer et du mur de Berlin aurait
donc dû ouvrir une longue période d'euphorie. On l'a vu poindre dans la théorie de la fin de
l’Histoire. Mais avec la troisième mondialisation qui s'est alors amorcée, c’est plutôt à une
remise en marche de l’Histoire qu’on assiste. Ecoutez ceci
"La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de
production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports
sociaux... Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le
système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque
bourgeoise de toutes les précédentes...
Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la
production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires,
elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été
détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries,
dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées,
industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières
premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non
seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe.
A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins
nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus
lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-
mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des
nations."
Cela a l’air d’avoir été écrit hier, non ? Et pourtant c’est extrait du « Manifeste
communiste » de Karl Marx et Friedrich Engels, paru en 1847…
Certes, nous ne sommes pas les seuls visés, nous les Français, par cette troisième vague de
mondialisation. C'est toute l'Europe et même l'Occident qui s'interroge : voir la thèse à
succès d'Huntington sur "le choc des civilisations". Mais fragilisés par tous les handicaps
que nous avons relevés, conservant néanmoins l'ambition de jouer un rôle sur la scène
mondiale, nous nous sentons particulièrement menacés, nous Français, dans notre identité,
et dans notre capacité à maintenir à la fois notre cohésion interne et notre influence externe.
- défi démographique, économique, technologique des nouveaux géants, Chine, Inde, Etats-
mondes, car ils ont chacun plus d'habitants que n'en avait le monde entier il y a deux
siècles. Ils s'apprêtent donc à dépasser les deux Etats continents du XXème siècle, Etats-
Unis et Russie. Et il y a le défi des pays émergents, qui veulent désormais leur place au
soleil,
- contestation du modèle occidental de société fondé sur la libération des potentialités de
l'individu au travers des libertés politiques, du libre marché, de la libération des moeurs.
L'on pense en particulier ici au défi lancé, non par l'Islam comme on le dit un peu
facilement, mais par l'idéologie islamiste,
- défi culturel qui semble nous viser tout particulièrement, nous Français, en submergeant
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