44. L’évangile de Jean « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu […] et le Verbe s’est fait chair et il a campé parmi nous ». Nicodème et la seconde naissance Dans l’évangile de Jean, Nicodème pose à Jésus la question cruciale : que fautil faire pour entrer dans le royaume de Dieu ? Jésus répond : « A moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3, 3). Comme Nicodème pense à une seconde naissance physique, Jésus lui dit : « A moins de naître d’eau et d’esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit ». Le Christ sait que ses paroles sont de nature à troubler Nicodème et il ajoute : « Ne t’étonne pas, si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit (Jn 3, 4-8). Le royaume de Dieu est donc caché, tel le vent que l’on ne peut voir mais que l’on reconnaît à ses effets. L’homme ne sait pas non plus quand ni pourquoi soufflera l’esprit, dans son cœur il doit toujours être prêt à l’accueillir. Dieu et le Christ donnent un nom différent au « nouveau né » dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Abram devient Abraham, Jacob devient Israël, Saül devient Paul et Simon devient Pierre. La nouvelle naissance s’oppose à la première, de nature physique, celle « de la chair ». « Mais à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de dieu, à ceux qui croient en son nom, eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni du vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu »(Jn 1, 12-13). Donc l’enfant de la seconde naissance est engendré de Dieu. L’homme doit ouvrir d’abord son cœur à la parole de Dieu transmise par le Christ, Verbe fait chair qui a séjourné parmi nous. Les disciples nés une seconde fois de l’Esprit à la Pentecôte « entendent » les paroles du Christ, ont foi en lui et le suivent sur son chemin pour proclamer la bonne nouvelle. Celui qui est né de l’esprit est non seulement prêt à suivre le Christ mais encore il le suivra, ne pouvant s’y soustraire en son for intérieur et, le suivant, il verra sa vie bouleversée, il sera entré dans une Vie Nouvelle. Le royaume de Dieu Naître une seconde fois, c’est se connaître soi-même. C’est prendre connaissance, par les yeux de l’âme, de ce que tous les hommes sont les enfants de Dieu et vivent dans le royaume invisible de Dieu. « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. Quiconque en effet commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables, mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu » (Jean 3, 19-21). Les notions d’eau, de feu, de lumière et d’esprit sont toujours employées en relation avec le royaume de Dieu et la seconde naissance. Dans l’évangile de Thomas, Jésus dit : « Celui qui est près de moi est près du feu, celui qui est loin de moi est loin du Royaume » (Thomas 86). « Mais le Royaume est au-dedans de vous et il est au-dehors de vous. Lorsque vous vous connaîtrez, alors on vous connaîtra, et vous saurez que c’est vous les fils du Père qui est vivant. Mais si vous ne vous connaissez point, alors vous serez dans un dénuement, et c’est vous [qui serez] le dénuement ! » (Thomas 23). « Jésus dit : Je ne peux pas vous montrer le roi à moins que vous ne le perceviez avec les yeux de l’âme, car le royaume du roi est dans l’âme. Toute âme est un royaume, et il y a un roi pour chaque homme. Ce roi est l’amour, et quand cet amour devient le principal mobile de la vie, c’est le Christ. C’est ainsi que Christ est roi. Ce Christ peut habiter l’âme de chacun comme Christ habite mon âme. […] « Quand [l’homme de Dieu] s’élève à la conscience christienne, il sait qu’il est lui-même un roi, qu’il est amour, qu’il est Christ, et donc qu’il est fils de Dieu » (Levi 71, 2 et 6)11. « Le Dieu sauveur habite vos âmes. Il se manifeste en se servant de vos propres pieds, de vos jambes, de vos bras, de vos mains » (Levi 46, 4). 11 L. H. Dowling, L’Évangile du verseau, Librairie et Éditions Leymarie, 1991, traduction de Louis Colombelle (1939) Le royaume, « il ne viendra pas quand on l’attendra. On ne dira pas : ‘voici il est ici !’ ou : ‘Voyez, il est là !’ mais le Royaume du Père est répandu sur toute la terre et les hommes ne le voient point » (Thomas 113). « La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et l’on ne dira pas : ‘Voici, il est ici !! ou bien : il est là !’ Car voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17, 20-21). « Jésus répondit : Ce royaume n’est pas lointain, mais l’homme ne peut pas le voir par les yeux de sa chair. Il est à l’intérieur du cœur » (Levi 29, 9). « Jésus dit : Le royaume de Dieu est dans l’âme. Il est invisible aux yeux de la chair. Il est incompréhensible aux hommes malgré toutes leurs facultés de raisonnement. C’est une manière de vivre profondément cachée en Dieu. Le travail de la conscience intérieure consiste à le reconnaître. Les royaumes du monde sont des royaumes visibles. Le royaume de Dieu est celui de la foi, et son roi est l’amour » (Levi 75, 8). La rencontre au puits de Jacob : la source de la vie éternelle Jésus parle à la Samaritaine de « l’eau vive ». Quiconque boira de l’eau du puits aura soif à nouveau. « Mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (Jean 4, 14). La métaphore de l’eau est riche : sans eau les plantes se dessèchent, aucune vie nouvelle n’apparaît. Sans nourriture, l’homme peut survivre quelques jours, sans eau seulement quelques heures. Pour la nourriture spirituelle, il en va de même. L’eau de Jésus, ce sont ses paroles, et il promet à celui qui les comprend et qui vit selon elles qu’il pourra accéder à une source qui jamais ne tarira. Cette source est la vérité, l’un qui est profondément enfoui en nous. Krishna dit : « Je suis le noyau originaire et éternel de tout être vivant » (Bhagavad Gita 7, 10). La notion d’unicité, c’est-àdire non la polarité mais l’union des couples de contraires peut être identifiée au noyau originaire, au « soi », à la semence divine présente en l’homme. L’eau vive, processus dynamique, est la preuve évidente de l’action divine. Tout homme se trouve un jour devant une décision cruciale : opter pour la voie du moi au « soi » ou pour celle du moi au « super-moi ». Il est difficile de tout soupeser et la voie qui mène à soi est jalonnée d’impondérables. Jésus dit au « jeune homme riche » de vendre ce qu’il possède et de le suivre. Le jeune homme s’en va et pleure. Jésus n’exagère-t-il pas ? Le chemin vers soi est-il réservé aux seuls pauvres ? Peut-être Jésus veut-il par cette parabole souligner la « gratuité » de son action ? On reconnaît l’arbre à ses fruits mais le royaume de Dieu, on le reconnaît à ce que les choses essentielles et précieuses n’ont pas de prix : elles sont gratuites. Cette déclaration fondamentale est au cœur du message christique. La foi dans le Père et le détachement, voilà le chemin de la sagesse, celui du Christ. La rencontre au puits de Jacob : comment aimer Dieu ? Une deuxième thématique est soulevée ici, et elle est la quintessence de la nouvelle pensée, que l’on peut qualifier de révolutionnaire. Ce n’est pas seulement au Temple de Jérusalem que l’on prie Dieu mais dans son for intérieur. « … l’heure vient – et c’est maintenant – où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer » (Jean 4, 23-24). Dieu n’est plus une statue, un culte, un mythe. Dieu est une composante de ma vie, la principale. L’Église n’a plus seule le monopole de la rencontre, Dieu est en permanence en moi, il m’accompagne dans mes actes, dans ma joie et dans mes peines. Dieu est une partie de moi, il est mon confident, mon partenaire, mon conseiller. Je ne peux pas me cacher de lui, il dialogue avec moi. « Dieu dans le ciel » est devenu « mon Dieu en moi ». Il faut que j’apprenne à penser autrement pour relever ce défi véritablement révolutionnaire. L’heure de la vérité a sonné, il n’y a pas d’échappatoire, pas de prétexte ni de diversion qui tiennent. C’est un changement tellement radical que l’on peut déjà parler d’une nouvelle naissance en esprit. La seconde naissance est la prise de conscience intime de la présence en moi du divin.