16 L’INFORMATION DENTAIRE n° 11 - 18 mars 2015
Formation l
Endodontie
Les antibiotiques sont des substances
naturelles produites par des micro-
organismes ou semi-synthétiques
produites en laboratoire qui présentent
une activité antimicrobienne en de faibles
concentrations. Ils agissent en détruisant
certains micro-organismes ou en inhibant
leur croissance.
E
n endodontie, les antibiotiques sont utiles
quand il est nécessaire d’aider les défenses de
l’hôte à éliminer les micro-organismes résiduels
qui nont pu être anéantis par le traitement local adapté.
En pratique quotidienne, les cliniciens prescrivent fré-
quemment des antibiotiques seuls ou comme adjuvants
au traitement canalaire dans l’espoir de combattre des
douleurs d’origine endodontique. Ces habitudes de pres-
cription se révèlent la plupart du temps inutiles et même
dangereuses aussi bien pour la santé individuelle que col-
lective. Elles sont empiriques et posent un vrai problème
de santé publique.
La littérature clinique ne confirme pas le bien-fondé de
ces pratiques et tend à montrer que dans la plupart des
infections et douleurs d’origine endodontique, la pres-
cription d’antibiotiques est injustifiée.
Us et abus des antibiotiques
en endodontie (1/3)
Abus, résistance, infection endodontique
Cécilia Bourguignon
CPEA Rubrique du Cercle parisien d’endodontologie appliquée dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin
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L’INFORMATION DENTAIRE n° 11 - 18 mars 2015
Utilisation des antibiotiques
L'abus des antibiotiques
Les découvertes de la pénicilline par Fleming en 1928 et
des sulfanilamides par Domagk en 1934 ont révolutionné la
médecine en permettant lentrée dans une ère où un grand
nombre de maladies infectieuses ont pu être contrôlées.
Cela a amélioré la qualité et l’espérance de vie de millions
de personnes. Largement utilisés depuis la seconde Guerre
mondiale, les antibiotiques ont permis un recul considé-
rable de la mortalité associée aux maladies infectieuses
comme la tuberculose ou la peste au cours du XXe siècle.
Néanmoins, ils sont trop souvent prescrits en odonto-
logie sans aucun discernement. Cela pose problème, car
ces drogues ne sont pas dépourvues de potentiels effets
secondaires : réactions d’hypersensibilité, allergies, sen-
sibilisations, colites pseudo-membraneuses, nausées,
vomissements, diarrhées, inconfort gastro-intestinal,
photosensibilisation, fièvres ou toxicité rénale. Mais la
survenue de résistances bactériennes est de loin l’effet
secondaire le plus grave et est la conséquence directe de
l’utilisation fréquente et indiscriminée des antibiotiques.
Dès la fin des années 1970, certains signaux d’alarme liés
à leur usage abusif apparaissent [1].
Des études menées auprès de généralistes et celle de
Yingling en 2002 [2] conduite auprès d’endodontistes
montrent une tendance persistante à la prescription danti-
biotiques en conjonction avec le traitement endodontique,
bien que dans la plupart des situations douloureuses d’ori-
gine infectieuse endodontique, un traitement “local” (trai-
tement endodontique, incision ou drainage) permette
une résolution sans traitement antibiotique [2, 3, 4, 5, 6].
Résistances bactériennes
et « super-bugs »
La résistance bactérienne est la capacité des bacté-
ries à résister aux effets des antibiotiques ou des biocides
qui sont censés les tuer ou les contrôler. La résistance aux
antibiotiques peut s’exprimer au travers de plusieurs méca-
nismes : production d’une enzyme modifiant ou détruisant
l’antibiotique, modification de la cible de l’antibiotique ou
encore imperméabilisation de la membrane de la bactérie.
Certaines bactéries sont naturellement résistantes à des
antibiotiques. La résistance acquise, plus préoccupante,
entrne l’apparition subite dune résistance à un ou plu-
sieurs antibiotiques auxquels la bactérie était auparavant
sensible. Ces résistances peuvent survenir via une muta-
tion génétique affectant le chromosome de la bactérie,
lui permettant de contourner leffet délétère de l’anti-
biotique. Elles peuvent aussi être liées à l’acquisition de
matériel génétique (plasmide) porteur d’un ou plusieurs
gènes de résistance, en provenance d’une autre bactérie.
Les animaux sont malheureusement eux aussi de gros
consommateurs d’antibiotiques. D’après l’OMS, au
moins 50 % des antibiotiques produits dans le monde
sont destinés aux animaux. Aux États-Unis, ces médi-
caments sont utilisés de façon systématique comme fac-
teurs de croissance, une pratique interdite en Europe
depuis 2006. Or, comme chez l’homme, la surconsom-
mation d’antibiotiques dans les élevages est responsable
de l’apparition de résistances. Les bactéries multi-
sistantes issues des élevages peuvent se transmettre à
l’homme directement ou via la chaîne alimentaire.
La majorité des cas de résistances aux antibiotiques est
retrouvée à l’hôpital. C’est par exemple le cas pour les
souches de Staphylococcus aureussistantes à la méticil-
line (SARM), responsables d’infections pulmonaires,
osseuses et autres, ainsi que de septicémies, notamment
dans les unités sensibles de soins intensifs.
Néanmoins, les résistances surviennent aussi en
ville, au détour dantibiothérapies “apparem-
ment anodines”. Sous la pression d’un banal traite-
ment antibiotique par voie orale, une espèce bactérienne
1. Pneumococci-Diplo et Streptococci
pneumoniae.
2. Escherichia coli.3. Neisseria gonorrhoea.
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Formation l
Endodontie
de la flore intestinale peut développer un mécanisme de
résistance. La flore associée va être détruite et laisser le
champ libre à la bactérie résistante pour se développer.
En médecine générale, le problème du pneumocoque
résistant à la pénicilline, retrouvé dans de nombreuses
infections ORL, est encore préoccupant. Cette résis-
tance, quasiment nulle il y a vingt ans a atteint un pic
en 2002. Aujourd’hui, elle concerne un grand nombre
de souches. Autre bactérie inquiétante : Escherechia coli,
laquelle est responsable de nombreuses infections uri-
naires. Elle est devenue résistante à lamoxicilline, qui
cède la place à d’autres molécules comme les céphalospo-
rines de deuxième puis de troisième génération (C3G).
Aujourd’hui, en ville, 7 % des souches sont devenues
résistantes à ces C3G. Les médecins doivent alors utiliser
des antibiotiques de derniers recours ou « de réserve » :
les carbapénèmes. Ce qui posera vraisemblablement
d’autres problèmes dans le futur.
Les entérobactéries, présentes aussi dans un grand
nombre d’infections endodontiques, deviennent résis-
tantes au carbapénème et résistent à la plupart des
antibiotiques. La gonorrhée, infection sexuellement
transmissible, devient elle aussi résistante aux anti-
biotiques. Enfin, les bactéries Clostridium difcile
provoquent un nombre de maladies et de décès en aug-
mentation du fait de leur résistance augmentée.
Les bactéries multirésistantes (« super-bugs » ou « super-
microbes ») peuvent provoquer des infections très diverses :
infection des voies urinaires, pneumonie, infection cuta-
née, diarrhée, septicémie. Le siège de l’infection dépend
de l’espèce bactérienne et de létat de santé du patient.
Lefficacité remarquable des antibiotiques s’est malheu-
reusement accompagnée de leur utilisation massive,
répétée et immodérée en santé humaine et animale, ce qui
a généré une pression de sélection conduisant à l’appa-
rition de résistances bactériennes. La mauvaise utilisation
des antibiotiques, passant par des traitements trop courts
ou trop longs, souvent mal dosés, est clairement un facteur
primordial responsable de ce phénomène.
Linfection endodontique
Les infections endodontiques sont le plus souvent poly-
microbiennes contenant des germes anaérobies et parfois
anaérobies facultatifs. Les bactéries prédominent et ont
été les plus étudiées, mais l’infection peut contenir des
champignons, des virus et des Archea [7, 8].
Une dent dont la pulpe est nécrosée et infectée devient un
réservoir infectieux isolé et à l’abri des défenses immuni-
taires du patient. Les bactéries et leurs toxines peuvent
produire une réponse inflammatoire périapicale. Dans
la plupart des cas, la réponse inflammatoire parvient à
empêcher la diffusion des bactéries par le foramen api-
cal. Cette réponse est facilitée essentiellement par les
leucocytes polymorphonucléaires qui phagocytent et
détruisent les bactéries. S’il y a invasion microbienne
des tissus périapicaux, un abcès ou une cellulite peuvent
s’ensuivre. La réponse inflammatoire peut avoir un rôle
protecteur et immunologique ou au contraire un rôle
destructeur des tissus avoisinants et contribuer à léclo-
sion de signes et symptômes adverses. Selon la viru-
lence des micro-organismes concernés et la résistance
de l’hôte, des infections sévères peuvent se développer.
La propagation de l’infection et de l’inflam-
mation évolue tant que la source de l’irritation
n’est pas éliminée. C’est pourquoi il est fondamental
de conduire un examen détaillé du patient. Il permet-
tra d’établir le diagnostic et le traitement local approprié
en vue d’éliminer la source infectieuse. D’un point de
5. Infection d’origine endodontique sur une 46.4. Biofilm bactérien.
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Utilisation des antibiotiques
vue clinique, il faudra distinguer deux formes
d’infection endodontique : l’infection localisée et
l’infection diffuse, qui tend à se propager.
Inefficacité lors d’infections
endodontiques
Pourquoi les antibiotiques sont-ils inefficaces dans la
plupart des infections endodontiques ?
Les bactéries qui parviennent à contrecarrer les défenses
de l’hôte et à envahir l’espace pulpaire, via une carie
par exemple, le font de façon graduelle et en direction
corono-apicale [7]. Elles s’organisent le plus souvent sous
forme de biofilms hautement organisés qui empêchent
les cellules immunitaires de l’hôte ainsi que les anti-
biotiques de les atteindre. La première ligne d’infec-
tion est donc constituée d’un biofilm, éventuellement
alimenté par des bactéries planctoniques provenant de
la salive ou qui se sont détachées de biofilms existants.
Progressivement, le biofilm mature entre en contact
avec les tissus de l’hôte, adhère aux parois canalaires et
recouvre la surface du tissu enflammé [10]. Cette orga-
nisation des bactéries sous forme de biofilms à
l’intérieur du système canalaire explique large-
ment le manque d’efficacité des antibiotiques
contre les infections endodontiques.
Les espèces bactériennes capables de produire des bio-
films sont plus résistantes aux antibiotiques [11].
Étant donné l’absence de circulation sanguine à l’inté-
rieur de pulpes totalement nécrosées, les antibiotiques
systémiques ne peuvent atteindre et détruire les micro-
organismes présents dans le système canalaire [12, 13,
14]. Néanmoins, ils peuvent contribuer à éviter la propa-
gation de l’infection ainsi que le développement d’infec-
tions secondaires chez les patients immunodéprimés.
Dans les cas d’infections extra-radiculaires, même si la cir-
culation sanguine au niveau du péri apex reste en principe
assez présente, certaines bactéries parviennent à adhérer
à la surface radiculaire externe grâce à la formation de
structures ressemblant à de la plaque dentaire, donc à des
biofilms extrêmement résistants face aux mécanismes de
défense de l’hôte et à lapport d’éventuels antibiotiques sys-
témiques. Certaines bactéries, en particulier les Actinomyces
spp, formant parfois des colonies cohésives qui se nichent
même à lintérieur de lésions inflammatoires [15, 16].
Les biolms ne peuvent être détruits efficacement que
par disruption ou élimination mécanique, d’où l’impor-
tance du traitement local par le débridement endocana-
laire, associé à la désinfection chimique [17].
Un prochain article, à paraître le 1er avril, abordera
l’importance du geste local pour un bénéfice global
de santé publique, en évitant lutilisation dantibiotiques.
A partir de situations cliniques concrètes, il montrera
que le traitement local suffit à contrôler l’infection et
doit être privilégié par le chirurgien-dentiste. Il montrera
aussi que dans la plupart des cas, la prescription
d’antibiotiques adjuvants est injustifée en endodontie.
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