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[Interview] Jayro Bustamante pour "Ixcanul", film
volcanique et féministe
Ixcanul a séduit le Festival de Berlin (Ours d’argent, Prix Alfred Bauer), le Festival de Biarritz
(Grand Prix, voir notre article) et connaît un vif succès au Guatemala. TLC a rencontré le jeune
et talentueux Jayro Bustamante, qui habite entre la France et le Guatemala. Ixcanul sort le 25
novembre : à voir absolument (voir notre critique).
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Ixcanul est un très beau film, fort et émouvant sur la condition des femmes.
Jayro Bustamante : Je ne voulais pas faire un pamphlet, encore moins de la propagande. Il
s’agit, bien sûr, de dénoncer une situation sociale fondamentalement injuste, mais j’avais un
véritable souci scénaristique. Le film ne devait surtout pas être trop manichéen : c’est l’histoire
d’une femme, l’histoire d’une famille, et aussi une histoire sociale.
Le film est inspiré d’une histoire vraie, la vie d’une femme : au Guatemala, la condition des
femmes est très paradoxale. Elles ont des caractères forts, ce sont elles qui mènent le ménage
et qui prennent les décisions, y compris au lit. C’est très étrange : c’est une société matriarcale
mais, justement, il y a un gaspillage terrible de toute cette énergie. Le volcan symbolise la
puissance féminine prête à exploser. A la fin du tournage, il y a d’ailleurs eu une éruption, que
je n’ai pas montrée à l’écran. Car l’éruption, la libération, pour les femmes, n’a pas encore eu
lieu.
Le rythme du film est très prenant : presque hors du temps au début, puis proche du thriller vers
la fin.
Jayro Bustamante : Oui, j’ai beaucoup travaillé le rythme. Je voulais d’abord immerger le
spectateur dans la plantation de café. Il y a quelque chose de contemplatif. En amont du
tournage, j’ai d’ailleurs pris le temps de vivre trois mois dans cette plantation avec les acteurs,
pour s’imprégner de l’atmosphère, sentir les arbres. Le matin, avec la jeune actrice Maria,
nous partions embrasser un arbre ! Et, en effet, le rythme du film s’accélère peu à peu, en
crescendo, pour basculer dans le thriller. Le film devient d’ailleurs plus sombre dans les
lumières, même les costumes. Il y a un ressenti qui passe. Le rythme est quelque chose de très
difficile à saisir, j’y ai été très attentif.
La jeune actrice est extraordinaire d’intensité. Etait-ce son premier rôle ? Et pour les autres
acteurs ?
Jayro Bustamante : A part la mère de Maria, qui est actrice professionnelle, c’était la première
expérience de cinéma pour tous les acteurs. Pour la jeune Maria, nous avons organisé un
grand casting de rues, et surtout de marchés d’ailleurs. J’ai choisi Maria Mercedes Croy très
facilement : elle était la seule à ne pas être soumise. Elle ne baissait pas les yeux, son regard
était franc, direct. C’est très rare, au Guatemala, où les femmes sont traditionnellement
soumises. Bien sûr, Maria était un peu timide, réservée, mais elle n’avait pas une once de
soumission. Elle n’avait alors que dix-sept ans. A présent, elle en a dix-neuf et son évolution
est déjà incroyable : elle poursuit des études, veut continuer le cinéma et, surtout, elle a acquis
une grande conscience politique. Au Guatemala, son visage est d’ailleurs devenu un symbole
d’émancipation pour les femmes, c’est très beau. Maria en est très fière.
Le film n’est pas du tout manichéen. Les personnages sont très humains : même très démunis,
les parents de Maria sont animés de bonne volonté. Le seul personnage plus noir est le patron
de la plantation, à qui Maria est promise. Mais, là aussi, vous avez évité la caricature.
Jayro Bustamante : Oui, cet homme persiste à vouloir épouser Maria, même en sachant qu’elle
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en a fréquenté un autre, car il l’a dans la peau. Et puis, c’est une question de fierté masculine :
on lui a promis Maria, donc il doit l’avoir, c’est sa possession et, bien sûr, la mère de ses futurs
enfants. Mais je ne voulais pas tomber dans la caricature du méchant. La base du scénario,
c’est que chaque personnage est égoïste et recherche son intérêt, même Maria. L’actrice,
Maria Mercedes Croy, en avait discuté avec moi avant le tournage : aimait-elle Manuel ? Ou
bien se servait-elle de lui pour s’évader ? Elle avait décidé qu’elle utiliserait Manuel, de
manière pragmatique.
Il y a une tension très réussie entre l’onirisme, comme un conte noir, et le réalisme quasi
documentaire.
Jayro Bustamante : Le réalisme magique, ça peut faire peur, c’est évidemment difficile à doser.
Au Guatemala, en fait, c’est très typique, ce fantastique qui se mêle à la réalité. Il y a encore
une grande prégnance des croyances, comme au Moyen-Age. Et la peur occupe une place très
importante.
Les élections présidentielles au Guatemala viennent de porter au pouvoir un acteur comique,
quel regard portez-vous sur cette situation politique ?
Jayro Bustamante : Le Guatemala n’avait pas connu, depuis 1940, un aussi grand
soulèvement populaire et pacifique. Le président sortant et son équipe ont été chassés du
pouvoir par ces nombreuses manifestations. Cela signifie qu’il y a une énergie dans le pays.
Mais il n’y avait pas d’opposition structurée, organisée. D’où cette élection d’un acteur
comique, car les gens ne l’associaient pas au pouvoir et à la corruption, comme tous les autres
politiciens de métier. Ils ont voté « contre », en quelque sorte. Ceci dit, il n’y a eu que 4000
votants dans le pays, ce qui est très peu.
Le seul espoir, c’est que, grâce à ces grands soulèvements populaires, on a appris quelque
chose. Comme dans Ixcanul, on en revient au problème crucial de l’éducation.
visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.
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