Les pathologies en rénovation

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TECHNIQUES
PRÉVENTION
Photo Thomas Lemerre – Socabat
Exemple d’une rénovation d’un bâtiment en pierre.
LE TOP 10 DE LA PATHOLOGIE
Quels sont les 10 éléments d’ouvrage qui portent les effectifs de désordres et les coûts de réparation les plus importants? Dans la dernière
édition Sycodés 2014 – Pathologie, un Top 10 de la pathologie propose une répartition hiérarchisée des dommages sur travaux neufs, en
dissociant résidentiel/non résidentiel. Chaque élément d’ouvrage fait l’objet d’un zoom, avec les pourcentages par effectifs et par coût total
de réparation – observés durant près de deux périodes décennales (1995 à 2013); les coûts moyens de
réparation (€ HT) et le Coût relatif de désordre (CRD) (1) sont respectivement associés.
D’où viennent ces informations? De la base de données de l’AQC Sycodés (Système de Collecte des
Désordres), alimentée par les experts construction mandatés par l’assurance. Elle contient
400000 désordres «moyens», dont le coût de réparation varie entre 762 et 250000 euros HT. Environ
20000 dommages sont ajoutés chaque année. Sycodés est constituée à 80 % de désordres expertisés en DO
(Dommages-Ouvrage) et 20 % d’expertises RCD (Responsabilité civile décennale) et RC (Responsabilité
civile). Depuis 2006, une convention entre les assureurs, les experts et l’AQC a intégré Sycodés dans les
fiches barème Crac (Convention de règlement de l’assurance construction) – représentant environ 20 %
des règlements de l’assurance construction.
Cette rubrique de Qualité Construction vous propose de découvrir, numéro après numéro, l’ensemble de ce
Top 10 de la pathologie, sous un angle technique, juridique et assurantiel.
(1) CRD : coût de réparation exprimé en part du coût de construction.
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QUALITÉ CONSTRUCTION • N° 154 • JANVIER / FÉVRIER 2016
TOP 10 DE LA PATHOLOGIE
LES PATHOLOGIES
EN RÉNOVATION
Si elles ne diffèrent pas fondamentalement de celles
rencontrées dans le neuf, les pathologies issues de travaux
de rénovation sont généralement le fruit d’une analyse préalable insuffisante
du bâti. Un constat qui concerne autant les réhabilitations lourdes (avec une
équipe de maîtrise d’œuvre complète) que les petites interventions
d’entretien dans le secteur diffus.
TEXTE : IDIR ZEBBOUDJ
PHOTOS & ILLUSTRATIONS :
AQC, THOMAS LEMERRE/SOCABAT
ans le focus que leur consacre Sycodés
2014 – Pathologie, les ouvrages existants
(toutes destinations confondues) font
l’objet de quelque 55000 pathologies sur
la période 1995-2013. En préambule, il est
souligné que «les éléments d’ouvrage qui portent les
effectifs importants, représentant les pathologies
traditionnelles de fréquence, sont similaires à ceux
identifiés dans le neuf, toiture-terrasse en plus.» Si
le document ne mentionne pas le détail des effectifs par pathologie, il donne pour chacune les coûts
moyens de réparation ainsi que le Coût relatif de
désordre (CRD, coût moyen de réparation rapporté
au coût de la construction.) Sont donc mis en exergue,
par ordre décroissant de coût moyen de réparation:
les dallages sur terre-plein (22000 euros, pour un
CRD de 7,6 %), les murs enterrés ou de soubassement (11400 euros, 6,5 %), les revêtements de sols
carrelés (10 200 euros, 9 %), les réseaux d’eau
encastrés (5900 euros, 3,3 %), les toitures-terrasses
(4 800 euros, 5,3 %) et les couvertures en petits
éléments (4100 euros, 8,3 %).
Pour compléter cet état des lieux, sont mentionnés
un certain nombre d’ouvrages aux coûts moyens de
réparations très élevés, tels les ossatures poteauxpoutres (11500euros, 4,8%), les climatisations et VMC
(10600 euros, 2,6 %), les équipements sanitaires,
dont les douches (8020 euros, 6,4 %).
D
Le diagnostic avant travaux :
une étape cruciale
Sycodés 2014 – Pathologie n’entre pas dans le détail
des causes techniques liées à ces désordres. En première approche, une explication simple peut être
avancée: étant donné le fait que toutes ces pathologies se retrouvent également dans le neuf, il suffit
“Ce diagnostic
initial est non
seulement
indispensable
mais doit
être réalisé
impérativement avant
le lancement
des opérations
de réhabilitation. Il est
donc impératif
d’y consentir
temps et
argent”
de se reporter aux chapitres dédiés aux pathologies touchant les différents types d’ouvrages, en
partant du principe que les mêmes effets résultent
des mêmes causes. Est-ce à dire pour autant que
les opérations de rénovation ne comportent pas de
risques spécifiques, distincts de ceux encourus
lors de la réalisation d’un ouvrage neuf? Aux yeux
des experts, cette spécificité existe bel et bien :
« Les pathologies survenant en rénovation ne sont
pas forcément différentes de celles du neuf, notamment dans le registre de la mise en œuvre, rappelle
dans un premier temps Jean-Pierre Thomas, expert Crac chez Eurisk. En revanche, des problèmes
de diagnostic (c’est-à-dire un défaut ou une analyse
insuffisante de l’existant avant travaux) vont générer
ces pathologies spécifiques.»
Cette analyse du bâti doit être à la fois structurelle
et fonctionnelle. Structurelle, surtout lorsqu’il est
question d’une opération de rénovation lourde, sur
du patrimoine de grande envergure (logements
collectifs, locaux non résidentiels). Les travaux
touchant à la structure des ouvrages (percement
de murs porteurs, reprise de fondations, de planchers…), ce diagnostic initial est non seulement
indispensable mais doit être réalisé impérativement avant le lancement des opérations de
réhabilitation. Il est donc impératif d’y consentir
temps et argent, sous peine de déconvenues durant
l’exécution. «J’ai le souvenir d’une opération lancée
de la sorte: faute de financements suffisants, le chantier a été lancé avec un minimum d’études préalables
et sans diagnostic de la charpente existante, évoque
Jean-Pierre Thomas. La stabilité de la structure
n’étant plus assurée compte tenu des modifications
du bâti projetées, faute de diagnostic précis sur le
report des charges, le chantier a dû être www
JANVIER / FÉVRIER 2016 • N° 154 • QUALITÉ CONSTRUCTION
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TECHNIQUES
PRÉVENTION
“Sur des
projets de
rénovation
visant des
bâtiments
relativement
anciens,
la maîtrise
d’œuvre
veillera à
identifier les
éventuelles
techniques de
construction
traditionnelles
qui ont pu
parfois
tomber dans
l’oubli”
suspendu durant six mois pour des études complémentaires indispensables, entraînant des surcoûts
(immobilisations…) et des retards à la livraison.» Et
ce dernier d’insister sur un point: l’argument économique ne doit en aucun cas être brandi pour
escamoter ces études de diagnostic: «En opérant
de la sorte, on ne fait que différer le problème; l’économie réalisée sur les études se verra annulée
ultérieurement. D’autant que des désordres de structures sur de grandes opérations peuvent atteindre
plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de
milliers d’euros. Sans compter des délais d’exécution
supplémentaires de travaux de reprise et de confortement de plusieurs semaines, voire plusieurs mois.»
Les études préalables doivent également être en
mesure de garantir l’éventuel changement de
destination de l’ouvrage: la répartition de charges
au niveau des planchers ne sera pas la même au
sein d’un bâtiment à usage d’habitation que celle
au sein d’un bâtiment de stockage d’archives, par
exemple. Il est du ressort de l’équipe de conception, avec l’intervention, si nécessaire, de bureaux
d’études spécialisés, de redimensionner une structure en fonction des reports de charge inhérents à
la nouvelle destination de l’ouvrage.
Sur des projets de rénovation visant des bâtiments
relativement anciens, la maîtrise d’œuvre veillera
également à identifier les éventuelles techniques
de construction traditionnelles qui ont pu parfois
tomber dans l’oubli. C’est d’ailleurs une obligation
dans le cas des bâtiments classés, dont les Architectes des bâtiments de France (ABF) sont censés
être les garants. Plus largement, la phase de diagnostic fait fréquemment appel à des connaissances
historiques en matière de construction. Une tâche
à mi-chemin entre celle de l’historien et du médecin
de famille: «Je conseille de consacrer beaucoup de
temps à la phase d’observation, indique Thomas Lemerre, expert conseil chez Socabat: la façade a-t-elle
connu des modifications? Comment se répartissent
les charges au sein de l’ouvrage ? Arbore-t-il des
débords de toit ? Les murs présentent-ils des fissures, des remontées d’humidité, des spectres? Et
effectivement, il est conseillé de se renseigner sur les
méthodes de construction en vigueur lors de la
construction de l’ouvrage afin de mieux appréhender
le squelette non visible du bâtiment.»
Techniques de construction
traditionnelles
Ce qui amène à considérer les pathologies résultant directement d’une perte de savoir-faire de la
part des exécutants. Certains ouvrages anciens
requièrent une maîtrise parfaite de ces techniques
pour être restaurés, sous peine de générer des sinistres. Si reprendre un plancher en bois représente
une tâche anodine a priori, la donne s’avère autrement plus ardue dans le cas d’un plancher sur
voûte comme il s’en trouve dans les bâtiments de
la fin du XIXe siècle.
Certains types d’ouvrages peuvent quant à eux pâtir
de leur remise au goût du jour, au gré des tendances
et des modes. C’est le cas par exemple des enduits
à la chaux: de nos jours, les artisans recourent à
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QUALITÉ CONSTRUCTION • N° 154 • JANVIER / FÉVRIER 2016
de la chaux conditionnée et prête à l’emploi, sans
qu’il soit besoin d’en maîtriser le dosage. Ce qui
pourtant ne préserve pas toujours de quelques
ratés – spectres, marbrures, coulées blanches –
qui nuisent à l’esthétique de la façade (même si ce
genre de désordre ne rend pas l’ouvrage impropre
à sa destination, sauf arbitrage contraire).
Cette méconnaissance peut aussi conduire un artisan à appliquer un enduit inadéquat: «En région
Bretagne, où beaucoup de constructions sont encore
constituées de murs en terre, de nombreux sinistres
surviennent suite à l’application de nouveaux enduits
en ciment, signale Thomas Lemerre. Empêchant l’humidité de traverser les cloisons, ces enduits conduisent
à une liquéfaction de la terre qui constitue ces murs
et in fine à leur effondrement.» Autant de sinistres
évitables si des enduits traditionnels, n’entravant
pas la migration de la vapeur d’eau, étaient appliqués
(terre/chaux ou chaux/chanvre). Cet emprisonnement de l’humidité par les enduits ciment peut
également nuire à d’autres types d’ouvrage (planchers bois s’insérant au niveau des cloisons).
«On voit réapparaître les murs en paille ou en pisé,
qui sont modernisés ou adaptés, mais dont la technicité s’était perdue, complète Jean-Pierre Thomas.
Il y a toutefois une volonté des professionnels promoteurs du renouveau de ces techniques anciennes, de
constituer un référentiel de base reconnu par la
profession, afin de limiter les mauvais retours d’expérience et que l’image de ces techniques traditionnelles
ne soit pas impactée.»
Transferts d’humidité
En construction neuve, l’imperméabilisation des enveloppes fait partie des principes de base. Mais
transposée à l’existant, elle en devient source de pathologies. Car pour rappel, l’imperméabilisation
des enveloppes en neuf va de pair avec un système
de renouvellement d’air propice à assurer du même
coup les transferts d’humidité. Transferts qui, dans
l’ancien, s’effectuent à la faveur des passages d’air
parasites (liaisons entre les parois et les dormants
de menuiserie, joints de simple vitrage…). Vouloir
rendre un ouvrage totalement étanche en occultant
les nécessaires transferts d’humidité en son sein,
c’est courir à la catastrophe: «Les bâtiments anciens doivent pouvoir continuer à “respirer”, tranche
Thomas Lemerre. L’interruption des transferts de
vapeur d’eau au sein d’une paroi – en l’isolant avec
du polystyrène, un pare-vapeur et des plaques de
plâtre – risque de conduire au pourrissement des
éléments d’un bâtiment en structure bois. Il faut
savoir maîtriser la perspirance des parois. L’inertie
thermique des bâtiments anciens avec murs épais
disparaît si des doublages thermiques intérieurs trop
performants sont employés.»
D’autres types de travaux de rénovation sont susceptibles de perturber ces transferts d’humidité:
une maison avec un sous-sol en terre battue ne peut
accueillir un nouveau dallage en béton sans
conduire à des remontées capillaires au niveau
des parois. «L’humidité du sous-sol va se trouver
bloquée par le dallage puis se concentrer en pied
de murs, détaille Thomas Lemerre. Les www
Photos Thomas Lemerre – Socabat
Diagnostic de charpente métallique ancienne.
Parmi les dommages
signalés à l’AQC sur la
période 1995-2013,
près de 55000 concernent
les travaux sur existants.
On observe que les
éléments d’ouvrage qui
portent les effectifs
importants, représentant
les pathologies
traditionnelles de
fréquence, sont similaires
à ceux identifiés dans le
neuf – toiture-terrasse en
plus. Mentionnons aussi,
dans une moindre mesure:
• les évacuations pluviales
(coût moyen de
réparation: 6250 euros
et Coût relatif des
désordres [CRD]: 7 %),
• les ossatures poutres
poteaux (coût moyen de
réparation: 11500 euros
et CRD: 4,8 %);
• ou les équipements
sanitaires, dont les
douches (coût moyen de
réparation: 8020 euros
et CRD: 6,4 %).
Si l’on considère la
hiérarchie des répartitions
en coût total de réparation,
il faut mentionner les
dallages sur terre-plein
mais aussi, dans une
moindre mesure:
• les couvertures en
ardoises (coût moyen de
réparation: 5200 euros
et CRD: 8 %):
• les façades en blocs
de béton avec enduit
monocouche (coût
moyen de réparation:
4500 euros
et CRD: 4,3 %);
• les climatisations
et ventilations
mécaniques contrôlées
(coût moyen de
réparation: 10600 euros
et CRD: 2,6 %).
JANVIER / FÉVRIER 2016 • N° 154 • QUALITÉ CONSTRUCTION
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TECHNIQUES
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PRÉVENTION
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Photo Thomas Lemerre – Socabat
remontées capillaires seront ainsi beaucoup plus importantes qu’avant et vont laisser des traces blanches
(salpêtres) sur les parois.»
En recrudescence depuis le début des années 2000
(notamment en régions Bretagne et Normandie),
les cas de prolifération de mérule en maison à
structure bois sont directement imputables à une
mauvaise gestion de l’humidité. Celle-ci favorise en
effet la prolifération de ce champignon, présent
initialement sous forme de spores. Dès lors le
champignon se nourrit de la cellulose du bois, croît
en déployant ses ramifications, pouvant même
traverser les murs. D’anodines interventions de
plomberie peuvent avoir des conséquences dramatiques : un siphon remplacé mal jointé, donnant
lieu à un goutte-à-goutte, dans une salle de bains
pourvue d’un plancher bois, est susceptible d’entraîner un pourrissement du plancher et de
déclencher un foyer de mérule. Et dans la quasitotalité des sinistres de ce type, les coûts s’avèrent
colossaux, de l’ordre de dizaines, voire de centaines
de milliers d’euros. «Lorsqu’un foyer de mérule est
détecté, il faut en premier lieu le circonscrire sur un
périmètre de sécurité d’au moins 1,50 m et mettre à
nu la partie de la structure qui aura été touchée. Mais
parfois malheureusement, c’est toute la structure qui
se trouve “contaminée”. Dès lors, la pérennité du bâtiment dans son ensemble peut être remise en cause…»
1 et 2 Développement
de mérule.
3
Mérule sur mur.
4
Linteau bois conservé derrière
des doublages.
La rénovation énergétique
Au même titre que les travaux d’imperméabilisation des enveloppes, les travaux de rénovation
énergétique, et en particulier d’isolation thermique,
font également peser un risque hygrométrique. Les
programmes de rénovation de logements sociaux
ont pu donner lieu à ce type de sinistres, faute d’une
programmation globale et exhaustive: ces logements
«fuyards» sont pourvus d’isolation thermique et de
menuiseries à double vitrage sans l’installation de
systèmes de VMC, générant de fait de la condensation et des moisissures, faute de renouvellement
efficace de l’air intérieur et d’évacuation de l’humidité. Autre cas de figure assez proche: l’amélioration
de la ventilation et le remplacement des fenêtres
ne s’accompagnant pas d’une isolation thermique
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L’AQC a publié avec plusieurs
partenaires trois plaquettes
Rénovation thermique
performante par étapes
consacrées à l’isolation
des parois opaques, au
changement des menuiseries
et au changement des
équipements. Elles sont
téléchargeables sur
www.qualiteconstruction.com,
rubrique « Nos publications ».
QUALITÉ CONSTRUCTION • N° 154 • JANVIER / FÉVRIER 2016
Photo Thomas Lemerre – Socabat
des façades engendrent l’apparition de ponts thermiques localisés, favorisant le phénomène de
condensation, et incidemment, la formation de moisissures au niveau des linteaux de baie.
Parfois, l’imperméabilisation des parois ne fait
que canaliser ces transferts d’humidité, aboutissant à la création de points humides propices aux
sinistres. Thomas Lemerre évoque un cas précis:
«Un ancien manoir aux parois en pierre avec enduit
poreux a été revêtu d’une imperméabilisation de
type I2. Mais les contours de fenêtres, en brique, ont
été préservés. Étant donné la propension de la brique
à absorber l’eau, et alors que le reste des parois a été
imperméabilisé, les transferts d’humidité se sont
concentrés autour des menuiseries. Conséquence,
l’ensemble du manoir a été touché par la mérule, qu’il
a fallu traiter en profondeur…» Dans le même registre, le confinement des solives de plancher par
l’isolant thermique empêche l’évacuation de l’humidité de la paroi vers l’intérieur, entraînant leur
pourriture. «Une entreprise peut donc faire de très
grosses bêtises si elle ne sait pas qu’il faut traiter l’humidité des murs, malgré le fait que les travaux
d’isolation thermique aient été faits consciencieusement», conclut Thomas Lemerre. Et de rappeler
son leitmotiv: le diagnostic préalable de l’habitat
est incontournable. Or l’habitat diffus fait office de
parent pauvre en la matière. « Il faut faire
comprendre au maître d’ouvrage qu’il doit agir de façon cohérente lorsqu’il envisage une rénovation et
qu’il entreprend une démarche de long terme, insiste Jean-Pierre Thomas. Malgré l’absence de
maîtrise d’œuvre en maison individuelle, il peut se
référer aux entreprises RGE (Reconnu garant de
l’environnement), capables de remplir ce rôle.»
Les travaux de rénovation thermique soulèvent une
fois de plus les difficultés économiques que peuvent
rencontrer certains maîtres d’ouvrage, les incitant
à échelonner leurs bouquets de travaux. Or toute
rénovation nécessite une réflexion globale en mettant en œuvre une planification logique, afin qu’à
la livraison, le bâtiment puisse être exploité sans
dommages. À défaut de pouvoir programmer simultanément l’ensemble des travaux, il est impératif de
les planifier de manière cohérente. «Le propriétaire
Photo Thomas Lemerre – Socabat
d’une maison individuelle construite dans les années
cinquante m’a consulté un jour parce qu’il voulait remplacer sa chaudière, raconte Jean-Pierre Thomas.
Je lui ai plutôt recommandé d’isoler d’abord ses
combles, puis ses parois froides avant de songer à
s’équiper d’une nouvelle chaudière, dont la puissance
ne serait alors plus la même…»
Sans aller jusqu’à parler de sinistres, ce manque
de cohérence dans la planification des travaux se
traduit régulièrement par des problèmes de dimensionnement des lots de génie climatique. Dans
les bâtiments basse consommation, les besoins
énergétiques sont sensiblement réduits, si bien
que les générateurs s’avèrent surpuissants. Dans
ces conditions, ces générateurs voient leur rendement dégradé et leur durée de vie entamée. C’est
notamment le cas des chaudières dont la puissance nominale est largement supérieure aux
déperditions thermiques de l’habitat et, partant,
sont contraintes à un fonctionnement à bas régime. Il en va de même pour les chauffe-eau solaires
dont la surface des capteurs aura été surdimensionnée: c’est l’ensemble du système qui risque ainsi
la surchauffe.
Pour terminer cette revue de détail, évoquons un
autre désordre visant plus spécifiquement les
maisons individuelles équipées de chaudières
atmosphériques. Plusieurs cas de remplacements
des menuiseries et de la VMC ont entraîné des dysfonctionnements des chaudières atmosphériques
maintenues en place. En effet, ces dernières deviennent inopérantes, du fait de la dépression
régnant dans la pièce suite aux travaux (résultant
de la réduction des infiltrations d’air parasites et
de l’extraction due à la VMC). «Le menuisier qui a
posé les fenêtres, l’électricien qui aura installé la VMC,
3
Photo Thomas Lemerre – Socabat
4
voire l’architecte qui aura préconisé les travaux, ne
seront pas forcément au fait du fonctionnement d’une
chaudière atmosphérique », souligne Jean-Pierre
Thomas.
Responsabilités et garanties
La garantie
des dommages
aux existants
Est garantie dans les dix ans
suivant la réception des
travaux neufs, la réparation
des dommages matériels subis
par les parties de l’ouvrage
existant, du fait de l’exécution
des travaux neufs à condition
que ces dommages:
• rendent la partie de l’ouvrage
existant avant les travaux
impropre à sa destination ou
portent atteinte à sa solidité;
• soient la conséquence directe
de l’exécution des travaux
neufs et non des propres
défauts des parties
préexistantes.
Par existants, on entend les
parties anciennes d’une
construction existant avant
l’ouverture du chantier sur,
sous ou dans lesquelles sont
exécutés les travaux.
Source: www.ffsa.fr. ■
La répartition des responsabilités est d’abord
tributaire du type de chantier. Sur des opérations
de grande envergure, menées par une équipe de
maîtrise d’œuvre complète, cette répartition sera
largement partagée dans le cas où le diagnostic
préalable ferait défaut ou s’avérerait insuffisant.
« Le rapport de diagnostic préalable, qui constitue
une trace écrite, peut être plus ou moins succinct, mais
il doit rendre compte de l’analyse de l’ouvrage et de
choix adaptés quant à la conduite des travaux, énonce
Jean-Pierre Thomas. Pour des travaux lourds, une
note d’un bureau d’études spécialisé peut s’avérer
utile, si l’architecte a jugé nécessaire de s’allouer ses
services. L’idéal est de joindre ce document dans le
descriptif des travaux destiné aux entreprises, de
sorte qu’elles aient une bonne connaissance de l’état
général de l’ouvrage avant travaux. »
En prenant comme référence le barème Crac (1),
et en considérant un désordre dû à un défaut de
conception, lui-même consécutif à une absence de
diagnostic, la responsabilité du sinistre incombera
essentiellement au maître d’œuvre de conception
(entre 40 et 60 %) ainsi qu’au contrôleur technique
(à hauteur de 10 à 15 %). Toutefois, en cas de
défaut de diagnostic, les entreprises auront également à répondre du sinistre (à hauteur de 40 à
50 %, pour ne pas avoir demandé à consulter ledit
diagnostic ou relevé son absence). N.B.: ces proportions de répartition sont données à titre indicatif.
Il n’est pas rare toutefois que le partage www
(1) Convention de règlement de l’assurance construction (Crac) : accord conventionnel signé par presque tous les assureurs intervenant sur le
marché français de l’assurance construction, pour faciliter la gestion des sinistres dans le cadre de l’application de la loi Spinetta. Cette
convention stipule notamment que l’assureur de dommages – saisi par le maître d’ouvrage – instruit l’affaire pour le compte de l’ensemble
des autres. Il désigne notamment un expert commun, choisi sur la liste établie par les assureurs signataires de la Crac, et les taux de
responsabilités sont attribués aux constructeurs selon un barème prédéterminé par cette convention.
Source : www.cea-assurances.fr/documentation/convention-de-reglement-de-lassurance-construction-crac-0
Convention disponible à l’adresse : www.cea-assurances.fr/sites/cea/files/CRAC.pdf
JANVIER / FÉVRIER 2016 • N° 154 • QUALITÉ CONSTRUCTION
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TECHNIQUES
PRÉVENTION
des responsabilités soit plus difficile à établir: «Les
expertises peuvent donner lieu à des surprises,
confirme Jean-Pierre Thomas: les compte rendus
de chantier, parfois très succincts, ne rendent pas
forcément compte de tous les aléas de chantier. À
titre d’exemple, j’ai rencontré sur un chantier un désordre suite à une réfection de couverture, au sein d’un
espace sauvegardé. La toiture devait respecter des
contraintes d’aspect et de pente imposées par
l’Architecte des bâtiments de France. Pour ce faire,
ont été mises en œuvre des tuiles plates, mais la
pente prescrite par le DTU n’a pu être respectée. Pour
pallier ce problème, l’entreprise de couverture a mis
en place un double écran de sous-toiture complexe,
qui a donné lieu à quelques infiltrations aux points
singuliers. Or, s’il est facile de savoir qui a réalisé,
plus difficile est de connaître celui qui a préconisé et
conçu. Dans ce genre de cas de figure, nous nous efforçons, en tant qu’expert, d’établir un partage des
responsabilités le plus objectif possible, selon les éléments recueillis, en essayant de nous rapprocher des
barèmes types.»
En se penchant sur la notion d’impropriété à
destination, au cœur de la Responsabilité civile
décennale (RCD), le cas des rénovations acoustiques peut se révéler litigieux (2). En effet, les
maîtres d’ouvrage se plaignent fréquemment de
la résurgence des bruits intérieurs consécutifs à
des travaux visant à isoler les bâtiments contre les
bruits extérieurs. Cela génère-t-il une impropriété
à destination? De même, le craquement d’un plancher bois (très difficile à traiter au plan acoustique),
considéré comme acceptable dans un immeuble
ancien, le reste-t-il dans un immeuble rénové ?
Sans qu’il y ait de jurisprudence claire en la matière, la question reste en suspens.
En revanche, si l’entreprise est intervenue seule,
comme cela est souvent le cas en maison individuelle, pour de l’entretien, sa responsabilité peut être
engagée, faute d’avoir accompli son devoir de conseil.
«C’est souvent pour rendre service que l’entreprise
accepte ces petites interventions d’entretien, qui pour
“Dans le cas où
des techniques
et savoir-faire
anciens doivent
être employés
pour une
rénovation […],
le recours à
des entreprises
dûment
qualifiées est
impératif. C’est
d’ailleurs un
prérequis qui
leur est imposé
par leurs
assureurs
en RCD”
(2) Voir l’article « Acoustique :
viser le confort plutôt que la
performance à outrance »,
publié dans notre numéro
spécial Batimat 2015 de
Qualité Construction,
« Massifier la rénovation
énergétique des logements »,
téléchargeable à l’adresse :
www.qualiteconstruction.com
/revue-qualite-construction/
presentation.html.
elle ne sont pas très lucratives», déplore Thomas
Lemerre. Et d’encourager ces derniers à ne pas
minimiser d’éventuels sinistres potentiels lors de
ces interventions d’apparence bénignes, et dans tous
les cas, de formaliser la proposition d’intervention
par un devis qui constituera ainsi un élément de
preuve écrite que l’entreprise a rempli son devoir
de conseil.
Dans le cas où des techniques et savoir-faire
anciens doivent être employés pour une rénovation – notamment sur les chantiers au sein d’espaces
sauvegardés ou classés, ainsi que sur les monuments historiques –, le recours à des entreprises
dûment qualifiées est impératif. C’est d’ailleurs un
prérequis qui leur est imposé par leurs assureurs
en Responsabilité civile décennale.
La Multirisque habitation (MRH)
Lorsque la période décennale de l’ouvrage a cours,
l’assureur Multirisque habitation peut se porter
garant d’un dommage si celui-ci est considéré
comme n’étant pas constitutif d’un ouvrage. Toute
la question est de savoir si des travaux de rénovation sont constitutifs d’un ouvrage ou non. «C’est
là une notion difficile à établir, reconnaît Jean-Pierre
Thomas. Si l’on considère par exemple le remplacement d’une chaudière, il s’agit là d’une rénovation
partielle du système de chauffage. Or, selon la jurisprudence, cette rénovation ne vise pas un élément
constituant un ouvrage en tant que tel, faisant valoir que
c’est le système de chauffage dans son ensemble – soit
le générateur associé au réseau de distribution et aux
émetteurs – qui peut être qualifié de constitutif d’ouvrage. Idem pour le cas d’un épaississement d’une
couche d’isolant : s’agit-il d’un élément constitutif
d’ouvrage? Certains assureurs répondront oui, d’autres
considéreront que non…». La jurisprudence n’est
pas nécessairement fixée de façon générale par
rapport à chaque cas d’espèce.
Si l’élément considéré n’est pas constitutif d’un
ouvrage, la MRH peut intervenir, ainsi que l’assurance en Responsabilité civile de l’entreprise. ■
Rappel sur les responsabilités spécifiques des constructeurs,
assurables ou pas, et la Dommages-Ouvrage
À compter de la réception de l’ouvrage, tout constructeur (architecte, bureau d’études, maître d’œuvre, entreprises, etc.) lié à un commanditaire par un
«contrat de louage d’ouvrage» est notamment redevable de deux garanties légales: 1. la garantie de bon fonctionnement: d’une durée de deux ans à
compter de la réception, cette garantie vise la réparation des défauts qui affectent le fonctionnement des éléments d’équipement dissociables (c’est-àdire ceux qui peuvent être retirés sans détérioration de l’ouvrage). Ce risque peut faire l’objet d’une garantie d’assurance facultative; 2. la garantie
décennale: les dommages, survenus dans un délai de dix ans à compter de la réception, susceptibles de tomber sous le coup de la garantie décennale
sont ceux qui affectent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent «impropre à sa destination». Il s’agit d’une présomption de responsabilité (article 1792
du Code civil). La loi oblige le constructeur à assurer cette responsabilité (article L.241-1 du Code des assurances – Voir pour les ouvrages exclus de cette
obligation, article L.243-1-1). Les entreprises et artisans de mise en œuvre sont en plus redevables de la garantie de parfaitement achèvement: durant la
première année suivant la réception, ils sont tenus de réparer les désordres qui ont fait l’objet de réserves lors de la réception ou qui ont été notifiés
par le client pendant la première année. Cette responsabilité n’est pas assurable. De son côté, le maître d’ouvrage a pour obligation de souscrire une
assurance Dommages-Ouvrage (DO). Cette garantie couvre les désordres de nature décennale. Elle a pour objet d’offrir rapidement une indemnité
d’assurance au maître d’ouvrage afin qu’il puisse procéder aux réparations (procédure de gestion de sinistre fixée par un arrêté – Voir article A.243-1 du Code
des assurances). ■
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QUALITÉ CONSTRUCTION • N° 154 • JANVIER / FÉVRIER 2016
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