Droits des travailleuses-eurs du sexe

publicité
Droits des travailleuses-eurs du sexe
Contexte
Le 20 décembre 2013, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu un jugement unanime dans l’affaire Bedford c.
Canada, invalidant les dispositions du Code criminel compromettant la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe. Cette déclaration d’invalidité fut suspendue pour un an, période au cours de laquelle le gouvernement
du Canada se vit offrir l’opportunité de considérer l’élaboration de nouvelles lois, ou non, et le temps de s’assurer que
toutes nouvelles lois soient conformes à la Charte des droits et libertés.
Profitant de ce délai, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-36 en juin 2014. La Loi sur la protection des
collectivités et des victimes d’exploitation (LPCVE) a reçu la sanction royale le 6 décembre 2014, criminalisant par
ce fait même l’obtention de services sexuels moyennant rétribution, la communication en vue d’obtenir ou d’offrir
de tels services moyennant rétribution, spécialement dans les endroits publics, près des écoles, églises ou garderie, le
fait de bénéficier d’un avantage matériel (profit) provenant de l’offre de services sexuels moyennant rétribution, le fait
d’amener une personne à offrir ou à rendre des services sexuels moyennant rétribution, et quiconque fait sciemment la
publicité de services sexuels moyennant rétribution.
Avec le LPCVE, le gouvernement fédéral a rétabli des dispositions très similaires à celles abrogées par la CSC pour leurs
atteintes à la santé et à la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe, tout simplement en reformulant certaines
d’entre elles et en y accolant de nouveaux objectifs plus larges. Ceci indique que les nouvelles lois sur la prostitution,
comme les anciennes, sont susceptibles d’être contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Les dispositions de
la LPCVE interdisant la publicité et l’obtention de services sexuels moyennant rétribution soulèvent aussi de nouveaux
enjeux constitutionnels. Cette approche continue d’imposer des conditions de travail dangereuses, de criminaliser les
travailleuses et travailleurs du sexe, de limiter leur contrôle sur leurs conditions de travail ainsi que les options sécuritaires à leur disposition. Cette approche est contraire aux exigences de la CSC pour ce qui est de répondre à des lois
ayant été jugées dangereuses et inefficaces et ne semble pas se conformer à l’arrêt Bedford.
Les connaissances en sciences sociales produites au Canada et partout au monde démontrent que la promulgation de
telles lois poussent davantage l’industrie du sexe dans la clandestinité, limitent l’accès des travailleuses et travailleurs
du sexe à des mesures de sécurité critiques et a d’importantes conséquences négatives sur leur santé, leur sécurité, le
respect des droits de la personne.
La situation est particulièrement alarmante dans le cas de personnes dont le statut d’immigration est précaire puisque, sans mentionner ces dernières de façon spécifique, la nouvelle loi vise à imposer un traitement cohérent entre
les infractions dans le cas du travail du sexe et les cas de traite des personnes. À cette fin, une indifférenciation entre
le travail du sexe et la traite des personnes est imposée comme cadre d’interprétation. Les personnes immigrantes travaillant dans l’industrie du sexe sont ainsi souvent perçue comme victimes de traite et leurs activités souvent qualifiées
automatiquement d’exploitation sexuelle. Cela augmente le risque d’une double pénalisation puisque les dispositions
législatives visant la prostitution et l’immigration peuvent être utilisées pour viser spécifiquement les personnes de
couleur ou issues de minorités raciales. Déjà vulnérables, ces personnes sont ainsi encore plus à risque d’être victimes
de violence et de se voir criminaliser.1
Le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à la santé a condamné toute forme
de pénalisation de la prostitution. En effet, pareille pénalisation nuit aux droits et affecte
la santé des travailleuses et travailleurs du sexe en bloquant leur accès à des services
Droits des travailleuses-eurs du sexe | 1
sanitaires.2 Les gouvernements doivent protéger avec diligence les droits fondamentaux
des travailleuses et travailleurs du sexe, incluant leur droit à la santé et à une existence
exempte de violence, toute loi ou politique doit être fondée des données factuelles et
viser les diverses formes d’oppression auxquelles ces personnes font face.
Faire face aux faits
Droit à la santé la pénalisation de l’offre et de l’obtention de services sexuels moyennant
rétribution :
Pousse les travailleuses et travailleurs du sexe à craindre des représailles légales ou du harcèlement si l’on trouve
sur leurs personnes des condoms ou du lubrifiant qui peuvent être utilisées comme preuves de leur engagement
dans l’industrie du sexe.3
Réduit la capacité des travailleuses et travailleurs du sexe d’exiger de leurs clients (en ligne, dans la rue ou au
téléphone) des pratiques sexuelles plus sécuritaires.4
Nuit aux liens qu’entretiennent les travailleuses et travailleurs du sexe avec des fournisseurs de services sociaux
et de santé (par exemple, la distribution de condoms ou autres services de réduction des méfaits), pour éviter
le profilage policier.5
Accroît les risques d’infection au VIH et autres infections sexuellement transmissibles en raison du fait que
les travailleuses et travailleurs du sexe font face à d’importants obstacles en ce qui a trait à l’accès aux services
de prévention, de traitement et de soins, principalement à cause de la stigmatisation, la discrimination et la
criminalisation auxquels ils font face. La décriminalisation du travail du sexe, par la baisse de violence qui en
résulte, est considérée comme l’approche structurelle la plus efficace pour réduire les infections au VIH chez les
travailleuses et travailleurs du sexe.6
Droit à une existence exempte de violence la pénalisation de l’offre et de l’obtention de
services sexuels moyennant rétribution :
Invite le harcèlement de la police et rend les travailleuses et travailleurs du sexe plus vulnérables à la violence
comme cela pousse l’industrie du sexe dans la clandestinité où il est plus difficile de négocier des conditions de
travail sécuritaires et l’utilisation consistante du préservatif.
Isole et marginalise davantage les travailleuses et travailleurs du sexe, tout en réduisant la protection policière
et l’accès à des services de soutien importants et nécessaires, ainsi que l’habilité de rapporter tout incident à la
police.
Pousse les travailleuses et travailleurs du sexe à prendre de plus grands risques avec de nouveaux clients, des clients moins familiers ou moins désirables, ayant moins de temps pour évaluer de potentiels clients et se voyant
forcer de se déplacer vers des endroits plus isolés en raison de l’effet de dispersion que cause la peur des clients
de se faire arrêter.
Force les travailleuses et travailleurs du sexe à abandonner des mesures de sécurité reconnues comme travailler
en paires et dans des endroits familiers ou encore prendre temps nécessaires pour consulter les listes de mauvais
clients.
Droits des travailleuses-eurs du sexe | 2
Exacerbe la stigmatisation du travail du sexe.
Intégrité corporelle et l’autodétermination des femmes la pénalisation de l’offre et de
l’obtention de services sexuels moyennant rétribution :
Viole le droit à l’intégrité corporelle d’une personne et son droit de décider en toute liberté de sa sexualité; la
nouvelle loi présume que les travailleurs du sexe sont automatiquement des femmes, perpétuant ainsi la pratique établie de tenter de contrôler la sexualité de ces dernières.
Empêche les travailleuses et travailleurs du sexe de communiquer avec leurs clients quant aux services qu’elles
ou ils consentent à offrir et ceux qu’elles ou ils ne consentent pas à offrir. Cette approche se base sur l’indifférenciation erronée du travail sexuel consensuel avec l’exploitation sexuelle ou la traite des personnes, interdisant
par ce fait même le travail du sexe consensuel. Cela malgré le fait qu’il y ait des lois qui visent directement
l’exploitation, la violence et les activités sexuelles non-consensuelles, notamment celles qui interdisent l’agression physique, agression sexuelle, les menaces, le harcèlement, le meurtre, l’extorsion, le trafic des personnes et
l’exploitation des mineurs.
Perpétue les mythes entourant le travail du sexe et les personnes qui en vivent : par exemple que ces personnes
soient obligatoirement des femmes, qu’elles soient des victimes, qu’elles soient vulnérables, et, par extension,
aient besoin de la protection du gouvernement. Cette approche nie aux travailleuses et travailleurs du sexe, et,
par extension, aux femmes plus généralement, la capacité, en tant que personnes rationnelles, de naviguer des
choix plus ou moins contraints, car elle se base sur la croyance erronée qu’aucune personne n’est travailleuse
ou travailleur du sexe par choix.
Les Nations Unies en sont actuellement à élaborer un cadre global de développement
pour la période 2015-2030, axé sur des objectifs de développement durable qui viseront
tous les pays, abstraction faite de toute considération économique, sociale ou politique.
Le Canada sera donc obligé de répondre aux droits des travailleuses et travailleurs du
sexe et de les protéger, notamment en respectant les cibles suivantes :
3.7 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous à des services de soins de santé sexuelle et procréative, y compris
à des fins de planification familiale, d’information et d’éducation, et la prise en compte de la santé procréative dans les stratégies et programmes nationaux
3.8 Faire en sorte que chacun bénéficie d’une assurance santé, comprenant une protection contre les
risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité et à des médicaments et
vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable
5.6 Assurer l’accès de tous aux soins de santé sexuelle et procréative et faire en sorte que chacun puisse
exercer ses droits en matière de procréation, ainsi qu’il a été décidé dans le Programme d’action de la
Conférence internationale sur la population et le développement et le Programme d’action de Beijing et
les documents finals des conférences d’examen qui ont suivi
10.2 D’ici à 2030, autonomiser toutes les personnes et favoriser leur intégration sociale, économique et
politique, indépendamment de leur âge, de leur sexe, de leurs handicaps, de leur race, de leur appartenance ethnique, de leurs origines, de leur religion ou de leur statut économique ou autre
10.3 Assurer l’égalité des chances et réduire l’inégalité des résultats, notamment en éliminant les lois,
politiques et pratiques discriminatoires et en promouvant l’adoption de lois, politiques et mesures
Droits des travailleuses-eurs du sexe | 3
adéquates en la matière
Nous demandons au gouvernement du Canada de :
Protéger les droits que garantit la Charte canadienne des droits et libertés aux travailleuses et travailleurs du sexe en :
Abrogeant les dispositions du Code criminel qui menacent la santé et la sécurité des travailleuses et travailleuses
du sexe qui criminalisent l’obtention de services sexuels moyennant rétribution, la communication en vue d’obtenir
ou d’offrir de tels services moyennant rétribution, le fait de bénéficier d’un avantage matériel (profit) provenant de l’offre de services sexuels moyennant rétribution, et quiconque fait sciemment la publicité de services sexuels moyennant
rétribution.
Impliquant les travailleuses et travailleurs du sexe dans le processus de modernisation et des réformes juridiques
et politiques nécessaires les concernant, en accord avec les principes de transparence, participation et responsabilité
attachés au respect des droits de la personne.
Étudiant les impacts documentés ayant suivi la promulgation en 2003 en Nouvelle-Zélande de la Prostitution
Reform Act.
Soutenant des mesures concrètes pour améliorer la sécurité des personnes qui vendent des services sexuels et
aider ceux qui souhaitent transitionner hors de l’industrie du sexe, notamment en augmentant les paiements de
transfert aux provinces et aux territoires pour leur permettre d’assurer un filet de sécurité sociale qui suppléerait à
leur revenu, assurerait leur habilité à se loger, offrirait des opportunités éducationnelles et ou de formation, lutterait
contre la pauvreté, et augmenterait les ressources dédiées au traitement et au soutien pour les personnes toxicomanes.
Notes de fin
Voir à ce sujet la page Facebook (en anglais seulement) de la Canadian Alliance of Sex Work Law Reform www.sexworklawreform.com et le site Web (en anglais et en chinois
seulement) du réseau Supporting Women’s Alternatives Network de Vancouver, notamment le rapport (en anglais seulement) paru en 2015 sur les prostituées chinoises de Toronto et de Vancouver http://swanvancouver.ca/wp-content/uploads/2015/05/Chinese-sex-workers-in-Toronto-amp-Vancouver-Ziteng-SWAN-amp-ACSA.pdf
2
Voir le rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, déposé en 2010 par le Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé
physique et mentale possible http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G10/131/19/PDF/G1013119.pdf?OpenElement
3
Voir la fiche publiée en français par la Canadian Alliance for Sex Work Law Reform sur la décriminalisation de la prostitution et son impact sur les objectifs de santé publique
Répertoire : https://drive.google.com/folderview?id=0B3mqMOhRg5FeUWNObDNMS3AzUW8&usp=sharing&tid=0B3mqMOhRg5FeNlY4ZkxFb2pLaWM, fichier intitulé « public_health_140422.pdf »
4
Blankenship et Koester, supra, note 5, p. 550; Eriksson, supra, note 25, paragr. 5; Stridbeck, supra, note 11, p. 12, citant Socialstyrelsen, Kännedom om Prostitution 2003
(Socialstyrelsen, 2004); Östergren, supra, note 11; Campbell et Storr, supra, note 14; Pro Sentret, supra, note 2, p. 57.
5
Helsedirektoratet, supra, note 7, p. 95-102.
6
Voir l’étude (en anglais seulement) publiée en juillet 2014 par la revue The Lancet http://www.thelalancet ncet.com/series/HIV-and-sex-workers
1
Droits des travailleuses-eurs du sexe | 4
Téléchargement