Traitement de l hépatite chronique B due aux virus mutants

La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998 89
e virus de l’hépatite B est un virus à ADN qui appar-
tient à la famille des hépadnavirus dont la particula-
rité est de répliquer leur génome par l’intermédiaire
d’une transcriptase inverse. Du fait du taux d’erreur de cette
enzyme de réplication, l’apparition de virus mutants survient
donc de façon spontanée dans l’histoire naturelle de la maladie.
Ces virus mutants peuvent alors être sélectionnés et éventuelle-
ment dominer le virus sauvage lorsqu’une pression de sélection
forte est appliquée sur le virus sauvage, permettant ainsi au
virus muté d’être sélectionné si celui-ci présente un avantage
réplicatif. Différents types de pression de sélection peuvent être
à l’origine de la sélection de virus mutés :
1. une pression de sélection anti-HBe qui, lors de la séroconver-
sion anti-HBe,peut être à l’origine de la sélection de virus
mutés défectifs pour la synthèse d’antigène HBe ;
2. une pression de sélection anti-HBs, qui peut survenir notam-
ment lors de la sérovaccination de nouveau-nés nés de mères
porteuses de l’antigène HBs ou lors de l’immunoprophylaxie
passive administrée aux patients transplantés hépatiques pour
prévenir la récurrence de l’infection virale. Celle-ci peut être à
l’origine de la sélection de mutants du gène d’enveloppe du
virus de l’hépatite B modifiant le déterminant a commun à tous
les sous-types viraux ;
3. une pression de sélection antivirale lors de traitements antivi-
raux prolongés à l’aide d’analogues de nucléosides inhibant la
transcriptase inverse virale, pouvant sélectionner des virus
mutants de la polymérase virale et résistant à l’inhibiteur de
reverse transcriptase.
Le traitement des mutants du gène S principalement rencontré
dans nos pays, dans le cadre de la transplantation hépatique,
sera évoqué dans un chapitre spécial. Nous aborderons ici suc-
cessivement le traitement des mutants négatifs pour l’antigène
HBe qui représentent les mutants le plus fréquemment rencon-
trés en pratique clinique,puis le traitement des mutants de la
polymérase virale qui représentent une pathologie émergente
compte tenu de la plus grande disponibilité des nouveaux médi-
caments antiviraux (lamivudine et famciclovir).
TRAITEMENT DES VARIANTS NÉGATIFS
POUR LANTIGÈNE HBE (MUTANTS PRÉ-C)
Physiopathologie
Ces infections par un variant négatif pour l’antigène HBe cor-
respondent le plus souvent à la sélection d’un virus muté dans
la région pré-C du génome viral lors de la séroconversion anti-
HBe, qu’elle soit spontanée ou induite par un traitement par
interféron alpha. Plusieurs types de mutation ont été décrits avec
soit une mutation conduisant à un codon stop dans la région pré-
C, soit une mutation au niveau du codon d’initiation de la région
pré-C qui sont donc à l’origine d’un arrêt de la synthèse d’anti-
gène HBe. Plus récemment, des mutations dans le promoteur de
la région pré-C ont été décrites, qui sont responsables d’une
d i m i nution de l’ex p r ession de l’antigène HBe. Ces viru s
mutants défectifs pour la synthèse d’antigène HBe gardent leur
capacité de réplication virale expliquant ainsi la persistance
virale malgré la séroconversion anti-HBe. Cela explique donc
que le verrou immunologique anti-HBe ne soit pas fonctionnel
dans cette situation, rendant compte des difficultés à obtenir une
réponse antivirale, prolongée lors des traitements antiviraux.
Présentation clinique
Traitement de l’hépatite chronique B
due aux virus mutants
F. Zoulim, C. Trépo*
L
* Hôpital Hôtel-Dieu, Lyon et INSERM, U 271, Lyon.
La variabilité génétique du VHB peut-être à l’origine de la
sélection de mutants résistants aux traitements.
Les mutants de la région pré-C (phénotype négatif pour
l’AgHBe) échappant à la réponse anti-HBe sont intrinsèque-
ment résistants à l’interféron? Dans cette forme clinique, du
fait de l’inefficacité du verrou immunologique anti-HBe, le
traitement par interféron alpha doit être prolongé pour éviter
les rechutes.
Les traitements par analogues de nucléotides en monothé-
rapie peuvent être associés à l’émergence de mutants résis-
tants dans le gène de la polymérase virale.Des associations
thérapeutiques seront nécessaires pour combattre et/ou préve-
nir l’émergence de ces virus résistants.
P O I N T S F O R T S
P O I N T S F O R T S
D
O S S I E R T H É M A T I Q U E
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 199890
Les patients infectés par ces souches virales mutées présentent
des transaminases élevées soit de façon permanente,soit de
façon intermittente avec des phases de rémission spontanée
pouvant gêner le diagnostic différentiel avec le portage asymp-
tomatique. Dans certains cas, le diagnostic est porté devant une
exacerbation aiguë de la maladie pouvant se présenter sous la
forme d’une cytolyse très importante avec ictère et, éventuelle-
ment, insuffisance hépatocellulaire. L’évolution de cette infec-
tion est caractérisée par le développement d’une maladie hépa-
tique chronique active avec l’apparition d’une cirrhose et d’un
carcinome hépatocellulaire. Dans les séries italiennes, la préva-
lence de la cirrhose est d’environ 40 % chez ces patients.
Le diagnostic repose sur la mise en évidence de signes de
r é p l i c a tion virale malgré la présence d’anticorps anti-HBe.
Compte tenu des fa i bles taux de réplicationralement re n-
contrés dans cette pat h o l ogi e, des techniques sensibles de
détection de l’ADN viral doivent être employées (ADN bra n-
ch é , PCR quantitat i ve). Cep e n d a n t , étant donné la fl u c t u at i o n
spontanée de la réplication vira l e, ces techniques peuvent être
p rises en défaut. Des marq u e u r s indirects de réplication vira l e
d o ivent être utilisés dans ces cas-, avec notamment la détec-
tion de l’antigène pré-S1 et de l’IgM anti-HBc ultra s e n s i bl e s
dans le sérum. La présence d’antigène HBc intra h é p a t i q u e,d e
l o c a l i s ation généralement cytoplasmique en immu n o m a r q u a-
ge, re n f o rce le diag n o s t i c . Sur le plan moléculaire, le génoty-
p age viral et la détection spécifique des mu t ations peuvent être
réalisés avec des techniques de re ch e r che basées sur la PCR et
l ’ hy b r i d a tion avec des sondes spécifiques des mu t a tions. Il
faut noter que certaines mu t ations sont associées au génotype
D plus fréquemment rencontré dans le bassin méditerra n é e n ,
expliquant donc la très fo rte prévalence de ces infe c t i o n s
v i r ales dans cette gi o n .
Traitement par interféron alpha
Compte tenu du potentiel évolutif de ces hépatites chroniques,
l’intérêt thérapeutique de l’interféron alpha a été évalué dans
des essais cliniques. Les premiers essais comportaient de l’in-
terféron alpha recombinant ou alpha lymphoblastoïde à forte
dose sur des périodes courtes de 6 à 12 mois. Ce type de traite-
ment court est associé à une annulation de la réplication virale
et une amélioration histologique chez la plupart des patients en
cours de traitement (50 à 75 % des cas, en fonction des séries).
Cependant, vu l’absence de verrou immunologique efficace, les
rechutes sont très fréquentes et 15 % seulement des patients pré-
sentent une réponse prolongée après l’arrêt du traitement.
Récemment, une étude contrôlée a été réalisée en Italie :
21 patients ont reçu de l’interféron alpha 2b à la posologie de
6MU 3 fois par semaine pendant 24 mois, alors que 24 autres
patients ne recevaient pas de traitement. Pendant la durée du
traitement, 40 % des patients traités ont normalisé leurs trans-
aminases et négatil’ADN viral contre 10 % des patients du
groupe contrôle (p = 0,03). Les exacerbations cytolytiques clas-
siquement rencontrées dans cette forme d’hépatite chronique
n’étaient plus observées chez 17 patients pendant le traitement
contre seulement 6 dans le groupe contrôle (p < 0,001).
L’analyse histologique comparative pré- et post-thérapeutique
montrait une diminution significative du score de Knodell chez
les patients traités (le score diminuait de 10 à 5 ; p < 0,001) alors
qu’il restait stable chez des patients non traités (score de
Knodell à 9, sans variation significative). Les réponses prolon-
gées étaient significativement plus fréquentes chez les patients
traités que dans le groupe contrôle. Dix pour cent des patients
traités ont négatil’antigène HBs et fait une séroconversion
anti-HBs pendant une durée moyenne de suivi de 22 mois après
l’arrêt du traitement. Les transaminases sont restées normales
de façon prolongée chez 33 % des patients traités alors qu’au-
cun des patients du groupe contrôle n’avait une normalisation
prolongée des transaminases (p < 0,001). Une réponse prolon-
gée était observée chez 75 % des patients initialement répon-
deurs à l’interféron. Cette étude indique bien qu’un traitement
prolongé par interféron alpha peut être associé à une réponse
virologique et clinique soutenue dans cette forme particulière
d’hépatite B chronique.
Récemment, notre groupe a analysé les facteurs de réponse à
l’interféron alpha dans cette situation clinique. Notre étude a
montré que le taux d’ADN viral préthérapeutique estimé par les
tests d’ADN branc et les doses d’interféron administrées
n’étaient pas associés à la réponse virologique et clinique. Les
études moléculaires ont montré que les mutants comprenant un
codon stop dans la région pré-C étaient plus résistants à l’inter-
féron alpha que le virus sauvage. D’autre part, les patients infec-
tés par un VHB de génotype A ou un VHB ne comportant pas
de codon stop dans la région pré-C répondaient à l’interféron
dans 75 % des cas contre 40 % des patients infectés par un
génotype D ou un mutant comportant un codon stop de la région
pré-C (p < 0,05). Ces facteurs virologiques moléculaires de
réponse pourraient être particulièrement importants pour adap-
ter nos stratégies thérapeutiques.
Dans notre ex p é ri e n c e, nous avons l’habitude de débuter le tra i-
tement par interféron à des doses re l at ivement fo rt e s , e n t re 5 et
10 M U 3 fois par semaine, en fonction de la surface corp o re l l e
du pat i e n t , pendant une période de 4 à 6 mois. Chez les pat i e n t s
présentant une réponse antiv i rale et bioch i m i q u e, un pro t o c o l e
de doses dégre s s ives est alors appliqué avec passage à 5 M U
3 fois par semaine pour 6 mois, puis 3 M U 3 fois par semaine
pour 6 mois supplémentaires et, si la réponse se maintient, p a s-
s age à 1 M U 3 fois par semaine de façon prolongée sur plusieurs
années. Ce type de protocole a l’ava n t age de maintenir une pre s-
sion antiv i rale et de perm e t t re une tolérance correcte pour obte-
nir une amélioration histologique et l’élimination de l’antigène
HBs chez 10 à 15 % des patients traités pendant au moins
18 mois.
Nouveaux agents antiviraux
Avec le développement de nouvelles molécules antivirales inhi-
bant la transcriptase inverse du VHB et permettant des traite-
ments antiviraux prolongés, le famciclovir et la lamivudine ont
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 1998 91
été étudiés dans cette forme d’hépatite B chronique. Les résul-
tats d’études multicentriques européennes ont été présentés pro-
récemment au congrès de l’Association européenne de l’étude
pour le foie. Ces résultats indiquent que le famciclovir ou la
lamivudine permettent d’inhiber la réplication virale,de norma-
liser les transaminases et d’éviter les exacerbations cytolytiques
en cours de traitement chez trois quarts des patients traités.
Aucune donnée sur l’évolution post-thérapeutique n’est actuel-
lement disponible. Ces molécules représenteront clairement une
alternative thérapeutique très intéressante chez les patients
infectés par un VHB muté dans la région pré-C résistant à l’in-
terféron ou en cas de contre-indication à ce traitement.
LES MUTANTS DE LA POLYMÉRASE
VIRALE RÉSISTANT AUX ANTIVIRAUX
Données physiopathologiques et cliniques
Les données précises de la dynamique de réplication virale ont
permis de préciser les cinétiques d’élimination lors d’un traite-
ment antiviral prolongé par lamivudine ou famciclovir. Étant
donné la demi-vie des hépatocytes infectés, la demi-vie des
virions sériques et l’arrêt de la réplication virale par ces agents
antiviraux, il a été calculé que, chez la plupart des patients
infectés par le VHB, un traitement antiviral de plus d’un an sera
nécessaire pour obtenir une éradication virale. Cependant, les
traitements prolongés sont associés à l’émergence de virus
mutants de la polymérase virale résistant aux analogues de
nucléosides. Ces mutants surviennent à partir du sixième mois
de traitement. Après un an de traitement par lamivudine, 15 %
des patients immunocompétents et 30 % des patients transplan-
tés hépatiques développent une résistance à la lamivudine. Ces
mutations surviennent dans le site catalytique de la transcripta-
se inverse et confèrent une résistance à la molécule antivirale
comme cela avait été montré pour le VIH. En ce qui concerne le
famciclovir, des mutations ont été décrites chez les transplantés
hépatiques et chez les patients immunocompétents et survien-
nent dans des domaines différents de la polymérase virale. Chez
les patients transplantés hépatiques, les mutants résistant aux
antiviraux peuvent être associés à une pathologie hépatique
sévère de type hépatite fibrosante cholestatique. Les attitudes
thérapeutiques concernant ces mutants ne sont pas encore éta-
blies.
Aspects
cliniques,
biologiques
et virologiques
de l’infection
chronique
par le virus B
mutant
Le clonage et l’établissement de la
séquence nucléotidique ont permis
de connaître l’organisation géné-
tique du virus B. Des séquences
codant pour des protéines virales
ou phases de lecture ouvertes ont
pu être identifiées. Elles sont au
nombre de quatre : S, C, P et X. L a
gion C se compose de deux
séquences dénommées re s p e c t i v e-
ment pré-C et C. Le gène C code
pour la protéine de capside (Ag
H B c ) . Les deux quences pré-C et C
sont nécessaires pour la synthèse de
la protéine Ag HBe. La substitution
de la guanine par l’adénine au nive a u
du gène pré-C (en position 1896)
entraîne l’apparition d’un codon stop.
La protéine de capside peut toujours
ê t r e synthétisée et donc la réplica-
tion virale peut se poursuivre. E n
rev a n c h e , la protéine Ag HBe ne peut
plus être synthétisée.
En France,la plupart des patients
porteurs de ce mutant sont origi-
n a i res du bassin diterr a n é e n
(Italie, Portugal,Turquie, etc.).
Le mutant pré-C est responsable
d’atteintes hépatiques plus sévères,
aussi bien chez le sujet immunocom-
pétent que chez le transplanté hépa-
tique.
Les transaminases évoluent souvent
par poussées, avec des valeurs pou-
vant atteindre 20 N, entrecoupées
de périodes elles sont normales
ou modérément augmentées.
Le profil sérologique est le suivant :
Ag HBs+,Ag HBe-,Ac HBe+.
L’ADN du virus B constitue soit
positif de manière continue ou
intermittente, soit négatif. Dans ce
dernier cas, la PCR est une aide dia-
gnostique.
L’activité histologique est souve n t
i m p o rtante et une cirrhose est fré-
quente quand la virémie est positive.
La re c h e r che de l’Ag HBc en immu-
n o p e r oxydase re t ro u ve une fixation
essentiellement cytoplasmique, a l o r s
qu’elle est nu c l é a i r e chez les patients
i n f ectés par le virus sauvage.
En pratique,le diagnostic est évoqué
chez un patient originaire du bassin
m é d i t e rran éen porteur chro n i q u e
du virus B ayant des transaminases
élevées, un Ac HBe positif, des anti-
corps anti-VHD et anti-VHC néga-
tifs et un ADN du virus B positif en
hybridation moléculaire et/ou en
amplification génique (PCR).
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 3 - juin 199892
Traitement des mutants résistant à la lamivudine
Différentes expériences ont été rapportées. Chez les patients
transplantés hépatiques résistant à la lamivudine, il existe une
résistance croisée avec le famciclovir qui, de ce fait, devient peu
efficace. Des cas de succès thérapeutiques avec le ganciclovir
(Cymévan
®
) ont été rapportés dans cette situation cliniquement
spectaculaire.
Mutants résistant au famciclovir
Le traitement de ces mutants a été rapporté dans le cadre de la
transplantation hépatique. D’après l’expérience australienne, la
lamivudine est efficace et permet d’annuler la réplication virale
rapidement, mais l’émergence de virus mutants résistant à la
lamivudine est alors plus rapide que chez les patients naïfs non
traités.
Perspectives
S ’ agissant d’une pat h o l o gie émergente induite par les nou-
velles thérap e u t i q u e s , il est donc important de fa i re face à
cette situation. Nous développons actuellement dans notre
l ab o r at o i re de nouveaux tests diagnostiques pour la mise en
évidence de ces mutants. D’autre part , nous recueillons tous
les isolats viraux résistants pour étudier leur capaci de répli-
c a tion virale en cultures d’hépat o cytes et chez l’animal pour
d é t e r miner leur sensibilité aux nouveaux analogues de
nu cléosides. Il ap p a raît donc important de créer rap i d e m e n t
un observat o i r e clinique des résistances pour que des études
fondamentales puissent être alisées afin d’adapter nos stra-
t é gies antiv i ra l e s .
Il apparaît clair que des stratégies visant à éradiquer l’infection
virale le plus précocement possible,par le biais d’associations
thérapeutiques utilisant des analogues de nucléosides et des
médicaments immunomodulateurs visant à éliminer les derniers
hépatocytes infectés, sont nécessaires après validation dans les
modèles expérimentaux pour prévenir ou retarder le développe-
ment de ces virus mutants résistants.
Mots-clés. Virus mutants de l’hépatite B - Interféron -
Hépatite chronique B.
R
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D
O S S I E R T H É M A T I Q U E
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