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Richard Magué
Richard Magué est diplômé du Master de relations internationales
enSciences politiques de l’ICES. Il s’est spécialisé dans l’analyse duChili
contemporain et il a longuement séjourné à Santiago.
la recherche de la staBilité chilienne
Le Chili récent montre une image contrastée. Aux indiscutables réussites sur les plans de l’éco-
nomie et de la stabilité du Chili des vingt dernières années répond un malaise croissant dans le
domaine social. La contestation a progressivement pris un tour politique notamment lors de la
contestation récente de la politique de privatisation tous azimuts. C’est la problématique de ce
paradoxe que veut développer les développements de cet article.
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«Entre el dicho y el hecho, hay mucho trecho»
1
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Surtout celui du contraste entre sa réussite économique et politique sur le plan
international et la tension sociale qui ébranle le pays depuis 2006 et qui gagne
constamment en intensité. Depuis le changement de régime au début des années
1990, le Chili a parcouru un long chemin et est peu à peu devenu l’un des pays les
plus performants de la région, en termes de stabilité économique et de transparence
de ses institutions. Car il est vrai qu’en Amérique Latine, les bons exemples tendent
à manquer et le Chili fait gure de cas unique en son genre, sur un continent où
l’organisation de la vie politique et sociale est parfois chaotique. Depuis le retour à
la démocratie en 1990, le Chili a apporté des preuves solides de sa stabilité. Il a su
s’insérer dans l’économie mondiale, grâce à l’assurance et à l’expérience qu’il avait
jusqu’alors accumulées en matière d’économie avec l’adoption du système néoli-
béral dès l’apparition du régime militaire et malgré les déances liées à l’exercice
du pouvoir d’une junte militaire. En s’insérant dans l’économie internationale, le
1. Proverbe chilien: «Entre ce qui est dit et ce qui est fait, il y a une bonne distance».
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Chili a continué d’aiguiser sa compétitivité et s’est progressivement construit un
leadership, et ce à plusieurs niveaux. Dans la région premièrement, en l’espace d’une
vingtaine d’années, le pays a su récupérer le retard qu’il avait avec ses voisins pour
revenir en tête de peloton. Cette vigoureuse remontée lui a aussi assuré un succès
international et une grande reconnaissance et grâce à une politique économique
internationale intelligente, il apparaît comme l’un des partenaires économiques les
plus ables de la région et dans le monde. Cette stabilité est un atout de taille à tous
les niveaux et contribue à faire du Chili une plateforme économique en Amérique
Latine, un pont entre les diérents marchés, ce qui, sur le long terme et malgré cer-
taines dicultés d’ordre structurel, assoie d’autant plus la stabilité économique du
pays qu’elle a pu créer les ressources nécessaires à une croissance à tous les niveaux.
L’armation du développement économique
Durant les trois dernières décennies, l’insertion internationale est devenue l’un
des composants les plus importants de la stratégie de développement du Chili et
l’ouverture au marché mondial a dynamisé le commerce et augmenté les ux d’in-
vestissements, permettant en outre, et particulièrement à partir de l’année 1990, une
croissance soutenue de l’économie. L’ouverture unilatérale du marché à l’étranger, par
la réduction des barrières douanières et un traitement du capital étranger similaire au
capital national, a été appliquée au Chili dès la moitié de la décennie 1970. Cette
ouverture, lancée au début de la dictature militaire, a contribué à l’accroissement des
exportations et des importations. Cette internationalisation de l’économie chilienne
n’a eu de cesse d’être approfondie par les gouvernements de Patricio Aylwin et par
celui du président Eduardo Frei Ruiz-Tagle. La politique concernant le commerce
international est peu à peu devenue la pièce centrale de la croissance économique
chilienne. Au regard de la taille relativement restreinte de son marché interne, son
potentiel de croissance est directement associé à la réussite de son ouverture.
Le grand nombre de Traités de libre échange qui se sont créés, et ceux qui sont
aujourd’hui discutés, vont donc permettre de renforcer le faitque le Chili est ac-
tuellement considéré comme l’économie la plus ouverte en Amérique Latine
2
. Le
pays a un grand potentiel d’investissements et de services, il se fait le pont entre les
économies latino-américaines et d’autres régions du monde avec l’Asie et les pays
qui composent la Cuenca del Pacíco. Des études internationales ont montré la
capacité du Chili de se faire plateforme sur le continent, comme celle d’Heritage
Foundation qui, en 2003, a positionné le Chili comme étant le pays latino-améri-
2. Cf. Banque Mondiale, 2006
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cain ayant la plus grande liberté économique et en quatrième position entre les pays
émergents au niveau mondial. À son tour, l’International Institute for Management
Development (IMD) de Suisse, par le biais d’une étude sur la compétitivité publiée
en 2008, a placé le Chili à la vingt-sixième position sur cinquante-cinq, s’éloignant
largement du Pérou, à la trente-cinquième place, laissant ce dernier à la deuxième
place au niveau sud-américain.
Il ne fait aucun doute que le long chemin parcouru est le produit d’une poli-
tique extérieure ecace. Elle lui a permis de se développer en Amérique Latine
et au-delà des frontières sud-américaines et l’on peut prendre l’exemple des neuf
accords commerciaux que le pays a signés avec le Panama, le Japon, la Chine, les
États-Unis, le Canada, le Mexique, la Corée du Sud, l’Amérique Centrale (Costa
Rica, le Salvador, le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua) et lEFTA (Norvège,
Islande et Suisse) en plus des accords complémentaires d’association avec l’Union
Européenne.) Bien sûr, ces accords commerciaux ont donné un cachet, et de sérieux
et de conance, au gouvernement chilien.
En eet, il est possible d’observer qu’avec le régime démocratique moderne, les
indicateurs de variables économiques ont entamé un très net mouvement d’ascen-
sion rapide. Lorsque Patricio Aylwin prend la présidence le 11 mars 1990, les chan-
gements sont immédiats. Commence dès lors l’ouverture politique dans lequel le
«régionalisme ouvert»
3
a été l’un des mécanismes appliqué, permettant un meilleur
échange commercial, technologique et culturel avec les pays de la région et aussi
de l’extérieur, comme les États-Unis et le Japon. En seulement deux ans après le
début de cette politique, le Chili avait déjà signé des Accords de Complémentation
économique avec l’Argentine (1990), le Mexique (1992) et la Bolivie (1993). Dans
le même temps, le Chancelier de l’époque, Alejandro Foxley, signalait l’importance
d’établir des relations diplomatiques et commerciales avec la région asiatique, en
s’incorporant à la Coopération économique Asie-Pacique
4
. À cette époque, le
Pérou et le Mexique étaient en meilleure position que le Chili.
La rigueur et la clarté avec lesquelles fonctionnent les institutions ont fait
du Chili un pays reconnu dans la région, sa notoriété institutionnelle et le bon
fonctionnement de celles-ci en étant les caractéristiques les plus fondamentales.
L’indépendance des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires ont donné de vrais
gages de stabilité et de conance comme aucun autre pays en Amérique Latine
3. Alberto Van Klaveren, vice ministre chargé des Aaires étrangères, 2007.
4. En anglais : APEC (Asia-Pacic Economic Cooperation)
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ne l’avait fait jusqu’à présent. Cette caractéristique a une relation directe avec la
politique économique de libre marché, se positionnant directement comme un
pays libre, stable et cohérent avec sa politique extérieure. Grace à ce pragmatisme,
le Chili s’est bien positionné au niveau international, et les nombreuses entités
internationales, gouvernementales, organisations, investisseurs et entrepreneurs du
secteur privé ont pu considérer le Chili comme le pays ayant les meilleurs résultats
en termes de stabilité institutionnelle et de gouvernance démocratique d’Amérique
Latine.
Au cœur de ce processus de démocratisation latino-américaine, le Chili s’est
transformé en un exemple en la matière, en devenant une destination privilégiée et
sûre pour les investissements. C’est ainsi que l’ont signalé certaines études d’orga-
nismes internationaux comme la Banque Interaméricaine de Développement, qui
par le biais d’une enquêtes d’investisseurs espagnols, dans laquelle ils demandaient
quel était le pays qui démontrait le plus de conance en Amérique Latine, ont
choisi le Chili principalement pour «la clarté et la stabilité des cadres régulateurs,
la professionnalisation et la qualication de l’administration centrale et des agences
de régulations, ainsi qu’un système judiciaire able».
5
Mentionnons aussi la stabilité et la force du système bancaire, qui comme ins-
titution nancière remplit un rôle fondamental dans le processus d’attraction des
capitaux étrangers. Le pays est même à la première place, suivi par le Mexique. De
l’extérieur, sur la scène internationale, le Chili a donc conquis une place impor-
tante en Amérique Latine pour son image rassurante auprès des investisseurs qui
choisiront bien sûr un pays plus stable. Autre indicateur qui nous permet de conr-
mer l’image du Chili projetée au monde est le niveau de corruption existant. En
2011, sur 183 pays, l’organisation Transparency International classait le Chili à la
22
e
position, devant la France classée en 25
e
position, à la même hauteur que l’Uru-
guay. La Colombie et le Pérou arrivent 80
e
, l’Argentine à la 100
e
position…
6
. Le
Chili s’est toujours à peu près tenu à ce niveau, toujours à la première position par
rapport à ses pairs latino-américains, ce qui sans aucun doute aide à l’importance
de l’image que le Chili projette au monde.
Au cours de ces vingt dernières années, le pays a eectué de grands progrès éco-
nomiques et a acquis une grande stabilité, gage de sérieux et attractif pour tous les
investisseurs. Dans la critique actuelle de l’ecacité du système chilien, cet aspect
5. BID, p. 14, 2004.
6. http://cpi.transparency.org/cpi2011/results/
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est relativement mis de côté, par rapport aux thèmes sociaux. Elle est aujourd’hui
une condition nécessaire dans le monde et le Chili remplit correctement cette fonc-
tion. En ce sens, l’on remarque que le pays se trouve sur une pente à l’ascendance
stable, et propose une gestion intéressante de ses ressources.
La menace sociale sur la stabilité politique
Cette réussite non négligeable de la société chilienne doit cependant être nuan-
cée. Notamment par le maigre recul de la grande pauvreté et le relatif échec des
politiques publiques mises en œuvre pour endiguer celle-ci, et à un manque certain
de représentation politique. La pauvreté dans le pays est un état de fait et contre-
balance l’ecacité de la réussite économique au Chili. Elle est un contrepoids de
taille et il semble que sa réussite économique ne permette pas, seule, un bon déve-
loppement de la société. En eet, avec le retour à la démocratie, toutes les carences
de l’État de la citoyenneté laissées par dix-sept ans au pouvoir du régime mili-
taire se retrouvent exposées. Ce sont les gouvernements de Patricio Ailwin (1990-
1994), Eduardo Frei Ruiz-Tagle (1994-2000) et de Ricardo Lagos (2000-2006) qui
doivent alors se charger de diminuer l’inégalité sociale, restituer la démocratie et les
processus démocratiques. Dans cette période, la dépense publique sociale marque
le cachet des gouvernements post-dictatoriaux, en s’instaurant comme un instru-
ment fondamental dans la stratégie de croissance de l’équité et d’intégration de ces
secteurs qui étaient restés jusqu’à lors en dehors des réformes économiques, c’est à
dire, les secteurs pauvres du pays.
Le changement institutionnel et économique développé au Chili, conséquence
directe de la dictature, a généré de hauts indices de précarité dans la citoyenneté, ce
qui s’est reété dans les nouvelles politiques sociales mises en œuvre pour combattre
la pauvreté, comme l’a été Crecimiento con equitad de Patricio Aylwin, puis par le
Programme national pour vaincre la pauvreté du président Eduardo Frei et nale-
ment le gouvernement de Ricardo Lagos qui a introduit le nouveau modèle d’inter-
vention sociale Chile Solidario. An de parvenir à diminuer les indices de pauvreté
et éventuellement d’en terminer avec elle, chaque gouvernement en a cherché les
moyens, et pour cela, de nouvelles institutions ont été créées par l’État orientées
vers la formulation des programmes sociaux et entités qui allaient s’en charger.
Un des dés du pays dans les prochaines années est de continuer son avancée en
matière de réduction de la pauvreté et de l’extrême pauvreté, an aussi de réduire
les disparités sociales et ainsi devenir une démocratie plus équitable. Le diagnostic
des dernières années indique que la réduction de la pauvreté est entrée dans une
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