Tulle. Enquête sur un massacre. 9 juin 1944
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Fabrice Grenard
Fabrice Grenard
Tulle. Enquête sur un massacre. 9 juin 1944
Tulle. Enquête sur un massacre. 9 juin 1944
Tallandier, 2014, 345 pages, 20,90 €
par Joël Drogland
Mise en ligne : jeudi 5 juin 2014
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Histoire de France, Deuxième Guerre mondiale, Histoire de la Résistance
Tulle. Enquête sur un massacre. 9 juin 1944
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99 hommes ont été pendus par des membres de la division SS « Das Reich » et 149 autres ont été
déportés (dont 101 ne revinrent pas), le 9 juin 1944 à Tulle. Il s’agit du troisième massacre en ordre
d’importance (si l’on se limite aux seules exécutions du 9 juin, sans tenir compte des personnes
décédées en déportation) après celui d’Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne le 10 juin 1944 (642
victimes) et Maillé, en Indre-et-Loire, le 25 août 1944 (124 victimes). Le drame de Tulle a été
largement occulté par le massacre survenu le lendemain à Oradour, qui fut érigé après la guerre au
rang de véritable symbole national de la barbarie pratiquée par les SS en France. Le fait que le
drame de Tulle ait été présenté par les SS comme des représailles, après que le maquis eut attaqué
la ville et infligé des pertes importantes à la garnison allemande, contribua durablement à diviser
la mémoire de l’événement, autour duquel les controverses ne cessèrent de se développer.
Historien, spécialiste du ravitaillement sous l’Occupation, de la Résistance et de l’histoire des
maquis (nous avons récemment rendu compte de son avant-dernier ouvrage consacré au chef de
maquis Georges Guingouin), Fabrice Grenard a été conseiller historique du film documentaire
d’Emmanuel Amara sur le massacre de Tulle. Ce livre constitue le prolongement et
l’approfondissement du film, s’appuyant sur les entretiens effectués pour sa réalisation, sur
d’autres témoignages, sur de précédentes études du massacre, mais aussi sur de nombreuses
sources primaires : archives du Service historique de l’Armée de terre, archives nationales,
archives départementales de Corrèze, archives du Musée associatif de la Résistance et de la
Déportation de la ville de Tulle.
Tulle. Enquête sur un massacre. 9 juin 1944
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La première partie du livre contextualise le drame de Tulle dans une histoire plus large de la
Corrèze sous l’Occupation. La seconde étudie l’investissement de la ville de Tulle par les maquis
FTP et la mission de la division « Das Reich » qui devait les combattre et semer la terreur parmi les
populations civiles. La troisième partie analyse le déroulement du massacre de Tulle dans la
journée du 9 juin 1944, tandis que la quatrième traite de la mémoire douloureuse de ce drame. Des
notes, des annexes (dont la liste des martyrs et la directive du général SS Lammerding), un index,
les sources et la bibliographie complètent l’ouvrage.
Première partie : le contexte
Première partie : le contexte
La Corrèze, terre de maquis
La Corrèze, terre de maquis
« Le département de la Corrèze fut indéniablement l’endroit en France les maquis connurent leur
développement le plus important et menèrent les opérations armées les plus précoces et les plus
spectaculaires. » Département rural, avec un habitat très dispersé et de nombreuses forêts, le
département de la Corrèze est aussi l’un de ceux qui connurent une importante implantation
communiste. La résistance s’y organisa dès l’hiver 1940-1941 et, un an plus tard, de petites équipes
de corps francs se constituaient, chargées de protéger les diffuseurs de tracts ou d’organiser des
sabotages. Au début de l’année 1943, toute l’infrastructure de l’Armée secrète est en place et un
premier parachutage est réceptionné. Cette résistance non communiste entretient de bonnes
relations avec les FTP auxquels elle fournit des armes.
Les premiers maquis qui apparaissent en février-mars 1943 sont la conséquence de l’instauration
du Service du travail obligatoire : de nombreux petits camps de maquisards se constituent,
encadrés par des responsables locaux du parti communiste, refuges pour de nombreux étrangers
qui avaient été mobilisés dans des Groupements de travailleurs étrangers institués par Vichy pour
les contrôler. Le grand nombre de camps de maquisards provoque plusieurs opérations de la part
des policiers et des GMR (Groupes mobiles de réserve, spécialisés dans la lutte contre les maquis).
Coups de main, manifestations patriotiques et sabotages se multiplient au cours de l’année 1943,
tandis que des espaces départementaux entiers sont désormais administrés par les maquis.
Tulle, une préfecture sous l’Occupation
Tulle, une préfecture sous l’Occupation
Tulle est une ville provinciale de 20 000 habitants qui abrite de nombreux services administratifs
et qui est également un centre industriel actif, siège de l’une des principales manufactures d’armes
françaises. L’adhésion au régime de Vichy semble assez large durant les deux premières années de
l’Occupation, mais la résistance s’organise dès 1941, dans le cadre du mouvement Combat pour la
résistance non communiste, et dans le cadre du Front National puis des FTP pour les
communistes, après juin 1941. Les Allemands s’y installent en novembre 1942 et prennent le
contrôle de la manufacture ils installent un directeur allemand. L’arrivée des Allemands
provoque plusieurs manifestations à caractère patriotique et une multiplication des arrestations de
résistants. Au cours de l’hiver 1943-1944, la ville de Tulle fait l’objet de plusieurs opérations
spectaculaires menées par des commandos constitués à partir des maquis qui se sont développés
dans les massifs entourant la ville. Ainsi, dans la nuit du 2 mars, un commando de 32 FTP
parvient à libérer 23 résistants incarcérés à la prison de Tulle.
Seconde partie : l’offensive du maquis
Seconde partie : l’offensive du maquis
Veillée d’armes, avril-mai 1944
Veillée d’armes, avril-mai 1944
Ce chapitre démontre que l’attaque sur Tulle par les maquis FTP les 7 et 8 juin 1944 n’est pas la
conséquence immédiate du débarquement allié comme sa date pourrait le laisser croire, mais
qu’elle a été envisagée par l’état-major FTP dès la mi avril 1944 et qu’elle était « pensée, planifiée
et réalisable »
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Au cours des mois de mars, avril et mai 1944, les FTP se rassemblent dans une organisation
pyramidale et militarisée, tandis que la population locale apparaît de plus en plus favorable au
maquis. Des agents anglais sont parachutés pour aider à les encadrer et à les armer, y compris les
maquis communistes, contrairement à ce que l’on a souvent dit. Les sabotages se multiplient, ainsi
que les embuscades, créant un véritable climat d’insécurité pour les Allemands et les forces de
Vichy. D’importants renforts sont d’ailleurs envoyés pour accentuer la répression, dont des
troupes géorgiennes et une « Légion nord-africaine » dirigée par Henri Chamberlain, dit Lafont,
chef de la « Gestapo française de la rue Lauriston ». Arrestations et exactions se multiplient, faisant
régner dans Tulle une véritable terreur.
Au début du mois d’avril 1944, les maquis de haute Corrèze sont la cible d’une vaste opération de
ratissage et de répression de la part d’une division blindée qui s’illustre par sa cruauté et ses
exactions, la division Brehmer. Pendant deux semaines, en Dordogne puis en Corrèze, des
colonnes allemandes pénètrent dans les localités après les avoir encerclées, rassemblent les
habitants, les interrogent sur la présence de maquisards, de communistes ou de Juifs, prennent des
otages, fouillent et incendient les maisons, exécutent sommairement. En Corrèze, au cours de la
« semaine sanglante », du 31 mars au 7 avril, le bilan de cette répression s’établit à une centaine de
destructions de fermes et d’habitations, 3000 arrestations, 300 déportations et 55 exécutions. Les
maquis se replient, évitant tout contact avec l’unité blindée allemande : celle-ci a semé la terreur
parmi la population locale mais n’a pas démantelé les maquis corréziens.
Lors d’une réunion à Limoges le 17 avril 1944, l’état-major FTP décide d’intensifier les actions. Il
est décidé de faire du 1er mai 1944 une journée symbolique avec des occupations de petites
localités par le maquis, des attaques de gendarmeries et de postes ennemis destinées à récupérer
armes et matériels, l’exécution de collaborateurs et dénonciateurs. Une possible attaque de la
préfecture de Corrèze est aussi envisagée. Ces actions auront pour objectif de montrer la force du
maquis et s’inscriront dans le cadre de « l’insurrection nationale » réclamée par la direction du
parti communiste et celle des FTP. L’opération du 1er mai est considérée comme un succès, avec
plusieurs occupations de localités dans le département. Les responsables FTP, avec leur nouveau
chef, Jean Jacques Chapou, qui s’est illustré par l’occupation le 10 avril 1944 de la petite commune
de Cajarc dans le Lot, réfléchissent à l’occupation de la ville de Tulle. Dans la mesure où cette
opération a donné lieu à de très nombreuses polémiques ultérieures, Fabrice Grenard s’efforce de
faire le point de manière incontestable. Il montre « que l’attaque de Tulle relevait d’une décision
mûrement réfléchie et avait été préparée, avec toutes les limites évidemment liées au contexte particulier
de la lutte clandestine (…) L’attaque de Tulle n’apparaît nullement comme la réponse spontanée et
quelque peu irréfléchie à l’ordre d’insurrection nationale donné le 6 juin 1944, jour du Débarquement (…)
Il y eut une simple concomitance entre un projet qui avait déjà été pensé localement depuis près d’un mois
et demi et l’ordre d’insurrection transmis par la direction de la zone Sud le jour du débarquement allié
(…) L’idée selon laquelle les FTP auraient voulu instituer des soviets à Tulle une fois la ville prise, et en
faire le point de départ d’une révolution susceptible de s’étendre à tout le centre de la France, relève du
pur fantasme anticommuniste ». L’Armée secrète refusa de participer à l’opération, officiellement
parce qu’elle la jugeait trop risquée, en réalité parce que les officiers de carrière qui en étaient les
responsables refusèrent de se retrouver sous un commandement FTP. Dans d’autres situations,
l’Armée secrète accepta de mener aux côtés des FTP des opérations tout aussi périlleuses (Guéret,
Saint-Amand-Montrond) , mais dont elle avait le commandement.
L’opération avait un enjeu militaire : prendre le contrôle de la manufacture d’armes qui travaillait
pour les Allemands et des axes ferroviaires passant par la ville. Mais elle avait aussi une dimension
symbolique : défier Vichy en prenant le contrôle d’une préfecture. Ceux qui la décidèrent étaient
conscients de la réalité des forces en présence ; ils repoussèrent à la même époque l’attaque de
Limoges jugée trop risquée. Ils ne pouvaient être informés que la division blindée « Das Reich »,
basée dans le secteur de Montauban à plus de 200 km de Tulle, allait recevoir l’ordre de mener
une opération de ratissage des maquis limousins.
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7 et 8 juin 1944 : attaque de Tulle par les maquis FTP, victoire puis repli
7 et 8 juin 1944 : attaque de Tulle par les maquis FTP, victoire puis repli
Le 25 mai 1944, l’état-major FTP départemental lance une mobilisation générale, appelant les
résistants sédentaires à rejoindre les maquis. Le 1er juin, les maquisards investissent plusieurs
petites villes dans lesquelles ils sont accueillis avec enthousiasme par la population. Le nombre des
combattants FTP engagés dans l’offensive sur Tulle le 7 juin se situe dans une fourchette allant de
400 à 600. L’effectif total des forces allemandes se situe autour de 350 hommes, mais il faut ajouter
les GMR et les gardes mobiles qui sont près de 600, ainsi que des miliciens. Les FTP savent qu’ils
sont en infériorité numérique, mais sont persuadés que les GMR et les gendarmes se rendront sans
combattre.
Dans la matinée du 7 juin, alors que débutent les combats, les difficultés s’additionnent pour les
FTP : les GMR engagent une violente riposte aux côtés des Allemands, beaucoup de maquisards
font leur première expérience du feu et sont décevants au combat, les liaisons fonctionnent très
mal, rendant très difficile l’application des ordres. Néanmoins, une négociation aboutit à la
reddition des GMR, qui quittent la ville sans qu’aucun ne se rallie aux maquisards. Le 8 juin,
l’attaque de la caserne de gendarmerie permet aux FTP de bénéficier d’armes supplémentaires. Ils
parviennent à encercler une partie de la garnison allemande qui finit par se rendre. Parmi eux, une
dizaine d’agents du SD, français et allemands, sont identifiés et exécutés. Les Allemands
prisonniers sont bien traités et bien soignés ; les thèses qui seront plus tard développées au sujet
des violences infligées aux blessés, comme celle de la mutilation des cadavres, sont sans
fondement. Mais il est vrai que quand les SS entrèrent dans la ville, ils découvrirent plusieurs
cadavres de soldats allemands particulièrement abîmés par les combats.
La population sort alors dans les rues, les commerces qui étaient fermés depuis deux jours sont
réouverts, les cafés se remplissent, on chante. Des Allemands demeurent cependant retranchés en
divers points de la ville qui n’est pas encore libérée ; l’offensive générale doit avoir lieu le
lendemain. Mais, aux environs de 20h, les premiers chars allemands de la division « Das Reich »
pénètrent dans les quartiers sud de la ville, à la totale stupéfaction de la population et des
maquisards. Un ordre de repli général leur est donné.
La division « Das Reich » et l’exportation des méthodes du front de l’Est en
La division « Das Reich » et l’exportation des méthodes du front de l’Est en
France
France
Présentée par le régime nazi comme l’une des unités les plus héroïques, la « SS Panzergrenadier
Division Das Reich » a combattu en Yougoslavie, en Pologne et en URSS. Elle a mis en pratique les
méthodes préconisées par le haut commandement allemand dans le cadre d’une guerre
d’anéantissement : non-respect des conventions internationales, généralisation des massacres de
masse, politique de terreur menée auprès des civils, généralisation des mesures collectives contre
les populations. Ces actions de terreur l’amenèrent à se spécialiser dans les représailles massives
sur les civils et dans ce cadre, elle procéda à de nombreuses reprises à des exécutions collectives
par pendaison. Au début de 1944, la division est transférée en France afin d’augmenter le potentiel
militaire allemand dans la perspective d’un débarquement. De nouvelles recrues lui sont affectées,
de très jeunes Allemands sans expérience, des étrangers et des Alsaciens-Lorrains. Le général
Heinz Lammerding en prend le commandement ; c’est un ancien combattant du front de l’Est et,
comme la majorité de ses officiers, il se considère comme le représentant d’une élite nazie et a
tendance à mépriser les membres de la Wehrmacht stationnée en France, considérés comme trop
réservés sur le plan des méthodes répressives.
La division inscrit son action dans le cadre des nouvelles directives adoptées par le haut
commandement de l’Ouest au début de l’année 1944, qui permettent de radicaliser la répression à
l’égard des populations dans le cas de la lutte contre les maquis. Elle mène des expéditions
punitives dans le Lot et l’Aveyron au mois de mai 1944. Début juin, le général Lammerding prend
l’initiative de mesures radicales destinées à éradiquer les maquis : l’objectif est de couper la
population de la résistance en criminalisant les maquisards et en les rendant directement
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