Tulle. Enquête sur un massacre. 9 juin 1944
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Au cours des mois de mars, avril et mai 1944, les FTP se rassemblent dans une organisation
pyramidale et militarisée, tandis que la population locale apparaît de plus en plus favorable au
maquis. Des agents anglais sont parachutés pour aider à les encadrer et à les armer, y compris les
maquis communistes, contrairement à ce que l’on a souvent dit. Les sabotages se multiplient, ainsi
que les embuscades, créant un véritable climat d’insécurité pour les Allemands et les forces de
Vichy. D’importants renforts sont d’ailleurs envoyés pour accentuer la répression, dont des
troupes géorgiennes et une « Légion nord-africaine » dirigée par Henri Chamberlain, dit Lafont,
chef de la « Gestapo française de la rue Lauriston ». Arrestations et exactions se multiplient, faisant
régner dans Tulle une véritable terreur.
Au début du mois d’avril 1944, les maquis de haute Corrèze sont la cible d’une vaste opération de
ratissage et de répression de la part d’une division blindée qui s’illustre par sa cruauté et ses
exactions, la division Brehmer. Pendant deux semaines, en Dordogne puis en Corrèze, des
colonnes allemandes pénètrent dans les localités après les avoir encerclées, rassemblent les
habitants, les interrogent sur la présence de maquisards, de communistes ou de Juifs, prennent des
otages, fouillent et incendient les maisons, exécutent sommairement. En Corrèze, au cours de la
« semaine sanglante », du 31 mars au 7 avril, le bilan de cette répression s’établit à une centaine de
destructions de fermes et d’habitations, 3000 arrestations, 300 déportations et 55 exécutions. Les
maquis se replient, évitant tout contact avec l’unité blindée allemande : celle-ci a semé la terreur
parmi la population locale mais n’a pas démantelé les maquis corréziens.
Lors d’une réunion à Limoges le 17 avril 1944, l’état-major FTP décide d’intensifier les actions. Il
est décidé de faire du 1er mai 1944 une journée symbolique avec des occupations de petites
localités par le maquis, des attaques de gendarmeries et de postes ennemis destinées à récupérer
armes et matériels, l’exécution de collaborateurs et dénonciateurs. Une possible attaque de la
préfecture de Corrèze est aussi envisagée. Ces actions auront pour objectif de montrer la force du
maquis et s’inscriront dans le cadre de « l’insurrection nationale » réclamée par la direction du
parti communiste et celle des FTP. L’opération du 1er mai est considérée comme un succès, avec
plusieurs occupations de localités dans le département. Les responsables FTP, avec leur nouveau
chef, Jean Jacques Chapou, qui s’est illustré par l’occupation le 10 avril 1944 de la petite commune
de Cajarc dans le Lot, réfléchissent à l’occupation de la ville de Tulle. Dans la mesure où cette
opération a donné lieu à de très nombreuses polémiques ultérieures, Fabrice Grenard s’efforce de
faire le point de manière incontestable. Il montre « que l’attaque de Tulle relevait d’une décision
mûrement réfléchie et avait été préparée, avec toutes les limites évidemment liées au contexte particulier
de la lutte clandestine (…) L’attaque de Tulle n’apparaît nullement comme la réponse spontanée et
quelque peu irréfléchie à l’ordre d’insurrection nationale donné le 6 juin 1944, jour du Débarquement (…)
Il y eut une simple concomitance entre un projet qui avait déjà été pensé localement depuis près d’un mois
et demi et l’ordre d’insurrection transmis par la direction de la zone Sud le jour du débarquement allié
(…) L’idée selon laquelle les FTP auraient voulu instituer des soviets à Tulle une fois la ville prise, et en
faire le point de départ d’une révolution susceptible de s’étendre à tout le centre de la France, relève du
pur fantasme anticommuniste ». L’Armée secrète refusa de participer à l’opération, officiellement
parce qu’elle la jugeait trop risquée, en réalité parce que les officiers de carrière qui en étaient les
responsables refusèrent de se retrouver sous un commandement FTP. Dans d’autres situations,
l’Armée secrète accepta de mener aux côtés des FTP des opérations tout aussi périlleuses (Guéret,
Saint-Amand-Montrond) , mais dont elle avait le commandement.
L’opération avait un enjeu militaire : prendre le contrôle de la manufacture d’armes qui travaillait
pour les Allemands et des axes ferroviaires passant par la ville. Mais elle avait aussi une dimension
symbolique : défier Vichy en prenant le contrôle d’une préfecture. Ceux qui la décidèrent étaient
conscients de la réalité des forces en présence ; ils repoussèrent à la même époque l’attaque de
Limoges jugée trop risquée. Ils ne pouvaient être informés que la division blindée « Das Reich »,
basée dans le secteur de Montauban à plus de 200 km de Tulle, allait recevoir l’ordre de mener
une opération de ratissage des maquis limousins.