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7 mars 2012
actualité, info
La prévention des fractures ostéo-
porotiques est justifiée chez la
femme ménopausée en cas de
dimi nution significative de la den-
sité osseuse (T-score l - 2,50), et
la pratique d’une densitométrie
osseu se est ainsi recommandée
après 65 ans. A quelle fréquence
faut-il contrôler l’évolution de ce
paramètre en l’absence d’indication
initiale au traitement préventif ? A
ce jour, la littérature ne permet
pas de répondre. Les auteurs de
cette étude ont donc utilisé les
données de la cohorte prospec-
tive SOF (près de 5000 femmes
américaines recrutées entre 1986
et 1988 et présentant à l’inclusion
soit une densitométrie osseuse
normale, soit une ostéopénie avec
un T-score l - 2,50), afin dévaluer
l’intervalle nécessaire pour que
10% des participantes aient pro-
gressé vers une ostéoporose avé-
rée. En divisant la cohorte en
quatre groupes selon la densi
initiale et par une analyse statis-
tique ajustée en fonction des
autres risques, dits compétitifs,
les auteurs montrent que l’âge et
la densité osseuse initiale sont les
facteurs les plus importants pour
prédire le risque de développe-
ment d’une ostéoporose. Ainsi,
plus de seize ans sont néces-
saires pour qu’une ostéoporose
se développe chez une femme sur
dix présentant une densité nor-
male ou légèrement diminuée ; ce
délai passe à environ cinq ans en
cas dostéopénie modérée, et à un
an pour les ostéopénies avancées.
Commentaire :
Dans de nom-
breuses situations cliniques, nous
cherchons à guider notre prise en
charge par la mesure d’un «mar-
queur» objectif et une utilisation
exagérée de ces paramètres pour-
rait nous conduire à centrer nos
objectifs plus sur la maladie que
sur le malade. Peu détudes se
sont intéressées à déterminer l’in-
tervalle raisonnable permettant de
distinguer le vrai signal d’évolution
d’un «bruit de fond». Cette analyse
originale fait partie de ces appro-
ches indispensables, et donne
des indications précieuses pour la
prise en charge de l’ostéoporose.
Elle permet de conforter l’attitude
généralement recommandée d’es-
pacer les mesures densitomé-
triques, en tenant compte de l’âge
et de la densité osseuse initiale,
les autres facteurs ayant une utili
réduite. Ainsi, une femme de 70 ans
avec un score densitométrique su-
périeur à - 1,5 ne devrait pas avoir
de contrôle d’évolution avant
quinze ans. Il reste à traduire ces
résultats dans des recommanda-
tions simples et utilisables dans la
pratique clinique quotidienne !
Dr Thierry Fumeaux
Hôpital de Nyon
Gourlay ML, Fine JP, Preisser JS, et al.
Bone-density testing interval and tran-
sition to osteoporosis in older women.
N Engl J Med 2012;366:225-33.
Embryon humain, président
républicain
Il n’y a pas que l’époque que nous vivons
qui soit formidable. Certains pays le sont
aussi. Et la France en fait partie. Son jaco-
binisme associé à un régime politique de-
venu ultra-présidentiel fournit, à qui sait re-
garder, un assez remarquable balcon alpin
doté d’une longue-vue. C’est le cas, comme
souvent, avec les questions relatives à la bio-
éthique, continent moral généralement à la
dérive. Le pays avait commencé, on s’en sou-
vient peut-être, la transcription dans la loi
du fruit de réflexions généralement consen-
suelles nées de l’avancée de quelques tech-
niques médicales. La chose se passait à la fin
des années 80 et au début de la décennie
suivante.
Pour pimenter le tout le législateur trico-
lore se fouetta : les lois de 1994 allaient être
relues et réécrites tous les cinq ans. C’était
pécher là par ambition ou gourmandise. On
rata 1999 pour se retrouver en 2004. Puis on
patienta à nouveau jusqu’en 2011. La machi-
nerie républicaine était fourbue. Dans leur
infinie sagesse, les élus de la Nation jugèrent
que le temps de la révision périodi que avait,
précisément, fait son temps. On légiférerait
encore dans le champ de la bio éthique, cer-
tes. Mais le moment venu et en cas de force
majeure. Quand les avancées des scien ces
du vivant heurteraient vraiment la cons cience
humaniste du plus grand nom bre.
Voilà qui était sage. Mais c’était sans comp-
ter avec le grand rendez-vous – printemps
2012 – des élections présidentielles. Et voici
que la bioéthique est à nouveau présente
dans le paysage tricolore. Cette fois, elle est
sur la scène électorale, bien visible. Et loin
devant les questions financières, économi-
ques, de sécurité, de justice sociale et d’iden-
tité nationale. Il y a la question de l’euthana-
sie et de la fin de vie, bien sûr. Avec une
question phare : celle de la dépénalisation/
légalisation de la pratique du suicide médi-
calement assisté. Le prin cipal candidat de
droite (par ailleurs président sortant) s’y op-
pose quand celui de la gauche (du moins la
socialiste) tourne encore la langue dans sa
bouche pour expliquer qu’il y serait bien a
priori favorable s’il n’y avait pas des argu-
ments contraires qui, malgré tout, né cessi-
tent réflexion. Attendons.
Et l’affaire ne serait pas complète sans les
questionnements por tant sur l’autre extré-
mité de l’existence humaine. Questionne-
ments, là aussi, aisément réductibles à une
question : celle d’autoriser ou pas la recher che
sur l’embryon humain ? Il n’est pas inutile
de rappeler qu’en France cette recherche est
interdite ; sauf à disposer d’une dérogation.
Et que pour obtenir ce sésame, il faut que ceux
qui entendent la mener puissent démontrer
(à ceux habilités à donner le feu vert) qu’elle
est a priori utile et qu’elle ne pourrait être
menée par d’autres voies. Ajou tons encore
qu’en toute hypothèse, il s’agira d’embryons
surnuméraires conçus par fécon dation in vi-
tro et ne s’inscrivant plus dans un projet pa-
rental pas plus que dans le cadre d’un projet
de don. Et ajoutons pour finir qu’en prati que,
il s’agit souvent pour l’heure d’embryons
porteurs d’une anomalie génétique ayant con-
duit à les exclure – après diag nostic préim-
plantatoire – d’un éventuel projet parental.
point de vue
CC BY Neeta Lind
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Ceci posé, qu’apprend-on ? Que le candi-
dat régulièrement donné (par les sondages)
pour futur président de la République fran-
çaise (le candidat du Parti socialiste) vient
d’annoncer qu’élu, il proposerait au Parle-
ment de modifier des articles de la loi con cer-
nant cette recherche. Il a fait cette annonce à
l’occasion d’une visite effectuée au Géno-
pôle d’Evry (banlieue parisienne). Et il a sans
surprise invoqué la nécessité absolue pour
la France de rester dans la nouvelle compé-
tition (industrielle, économi-
que et à visée thérapeutique)
à laquelle donnent lieu les
cellules souches embryonnai-
res. Attention : cette recherche «devra être
encadrée (…) de manière à éviter toute mar-
chandisation du corps humain».
Réactions immédiates des candidats ou
porte-parole des différentes pièces de l’échi-
quier politique français. Pour François Bay-
rou, candidat centriste, il ne faut pas être
«léger» avec ce «qui touche au début de la
vie humaine». Pour Christine Boutin (droite
catholique), le candidat de gauche «fait le
choix d’une société dans laquelle la valeur
de l’homme est relative». Médecins et scien-
tifiques impliqués dans ces recherches (Phi-
lippe Menasché, chirurgien à l’Hôpital euro-
péen Georges-Pompidou ; Marc Peschanski,
directeur du laboratoire I-Stem d’Evry) sa-
luent sans surprendre la proposition du can-
didat socialiste. C’est pour eux l’espoir d’une
forme d’hypocrisie, une situation incompré-
hensible à l’étranger et qui retarde la recher-
che française. Reste, bien sûr, à savoir si la
nécessaire destruction des embryons portera
un jour ses fruits.
Autre camp, autres propos ; là encore sans
surprise. «Il est inacceptable de faire de
l’embryon un matériau de recherche, s’in-
surge Jean-Marie Le Mené – cité par La Croix
– président de la Fondation Jérôme-Lejeune.
Autant les dérogations peuvent être conçues
comme transitoires, en attendant de faire des
progrès avec d’autres types de cellules sou-
ches (cellules souches adultes), autant l’au-
torisation transgresse un principe éthique
majeur.» Quant à Jean Leonetti, qui fut le
rapporteur de l’actuelle loi de bioéthique
(aujourd’hui ministre des Affaires euro-
péennes), cité par Le Parisien, il estime que
l’autorisation encadrée équivaut à l’interdic-
tion avec dérogations, l’éthique en moins.
Serait-ce dire que l’éthique n’est qu’appa-
rence ?
Autre temps, autres mœurs. Celui qui fut
membre du Comité national français d’éthi-
que et président de l’Université Paris-Des-
cartes est aujourd’hui en campagne pour
devenir député (socialiste) de Paris. Il s’ex-
prime sur le tout jeune site français du Huf-
fington Post à propos de l’annonce du candi-
dat socialiste, annonce qui – sans surprise –
doit selon lui «être approuvée sans réserve».
Ecoutons Axel Kahn puisque c’est de lui,
médecin et généticien, qu’il s’agit.
«La position (…) d’une interdiction défi-
nitive de la recherche sur l’embryon du fait
de sa nature humaine, était très difficile à
défendre en raison, écrit-il. Non seulement
parce que l’Eglise elle-même a beaucoup
évo lué quant à sa vision de l’embryon : c’est
seulement en 1869 que, dans sa lettre (in
Apostolicae Sedis), Pie IX retînt la notion d’une
animation immédiate de l’embryon, dès sa
conception (…). Cela dit, même si l’on voit
l’embryon, issu de la fécondation d’un ovule
par un spermatozoïde, comme une personne
à part entière, cela ne justifie pas en soi une
interdiction de la recherche. C’est parce que
cette dernière peut être menée à tous les
âges de la vie humaine que la médecine pro-
gresse et il serait singulier d’en exclure le
seul âge embryonnaire.»
Serait-ce si simple ? Non, bien évidem-
ment. «On peut bien sûr objecter que la re-
cherche médicale s’efforce de ne pas entraî-
ner la mort des sujets alors qu’à l’inverse les
embryons seront détruits, reconnaît Axel
Kahn. En réalité, la norme de la fécondité
humaine veut que le destin normal de la
majorité des embryons conçus soit de ne se
développer jamais en nouveau-nés, qu’il
s’agisse des procédés naturels, c’est-à-dire
l’étreinte amoureuse, ou bien de l’assistance
médicale à la procréation (AMP) (…). Il est
difficile, voire impossible, de soutenir que
détruire ces embryons surnuméraires sans
autre forme de procès, ce qui est tôt ou tard
leur destin inéluctable, respecterait mieux
leur humanité que de les impliquer sous un
con trôle strict dans des recherches dont on
attend une amélioration des techniques
d’AMP ou la mise au point de traitements
contre des maladies dégénératives.»
Trois questions, pour nourrir un débat trop
souvent famélique. Existerait-il des destins
qui ne soient pas inéluctables ? Est-il vraiment
difficile de soutenir une telle thèse ? Et impos-
sible serait-il, ici et maintenant, devenu fran-
çais ?
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
Et voici que la bioéthique est à nouveau
présente dans le paysage tricolore …
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