Séance spéciale du 19 septembre 2016 Le Brexit

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L E S C A H I E R S D U CO M IT E D E P R O SP E C T I V E
Séance spéciale du 19 septembre 2016
Le Brexit
Cette séance hors calendrier a été programmée dans le sillage du résultat du referendum britannique,
à la fois pour essayer de mieux comprendre les raisons de son résultat et pour tenter d’en dégager
quelques perspectives politiques et économiques.
1 L’analyse du vote britannique vu de l’intérieur. Nick Butler
Ce que ce vote n’est pas :
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le résultat d’un débat approfondi sur l’avenir du Royaume Uni et de l’Europe
une surprise
une manifestation d’hostilité envers l’Europe (ses peuples)
une fracture entre pauvres « laissés pour compte » et riches ou entre anciennes régions
industrielles et Londres (à Londres, le centre était « remain » et les faubourgs « exit ».)
Ce que le vote traduit :
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les anciens (60% des + 65 ans « leave ») contre les jeunes (73% des – 25 ans « remain »)
la nostalgie et l’hubris d’une nation âgée : « nous avons gagné la guerre et ne devons pas être
dirigés par Bruxelles »
l’hostilité envers Bruxelles (la Commission)
le rejet de la vitesse de l’immigration et l’hostilité envers les immigrants d’Europe de l’Est
(Pologne)
l’extrême pauvreté de la campagne référendaires
les désillusions accumulées de longue date sur le projet européen
l’addiction de l’Europe continentale à l’austérité et aux excédents
1
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l’absence d’engagement affectif de l’Europe. « we are not leaving, we were never really in in
the first place »
Que va-t-il se passer ?
Les britanniques ont le choix entre stratégie de négociation et exit rapide (« leave means
leave »).
Suites possibles
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Des négociations détaillées débouchant sur un accord sui generis obtenu par épuisement des
parties. Un tel accord pragmatique ne devrait pas, pour les européens, créer de précédent
favorable pour d’autres candidats à l’« Exit »
Un enlisement dans la complexité
Le changement en Europe
o Fin de l’austérité et des décisions prises à l’unanimité ; fonctionnement en cercles
concentriques de coopération. Fin de la candidature turque.
o Si l’Europe devient une autre Europe, un nouveau vote sera possible.
L’Europe sans le ROYAUME UNI se resserre, vers une union économique (politique commune)
et politique (armée, sécurité)
Ce qui va changer
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Le Brexit n’est pas la fin du monde,
mais
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Le Royaume-Uni va perdre de l’attractivité pour les (entrepreneurs) européens
L’Europe perd un partenaire majeur.
Ce qui ne va pas changer
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La terreur islamique
Le repli des USA
La montée en puissance de la Chine
La globalisation
Conclusion
Un résultat qui n’a rien à voir avec une hostilité envers Paris, Berlin et les peuples européens mais un
vote contre Bruxelles, l’austérité et l’emprise bureaucratique.
Beaucoup de britanniques souhaitent rester européens.
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2
L’illusion rétrospective de la fatalité. Dominique Moïsi
(Pouvait-il en aller autrement ?)
Pourquoi me suis-je trompé ?
La sortie n’était pas dans l’intérêt des britanniques (prisme de la rationalité des affaires).
Le vote britannique, un avertissement sérieux dans la montée des populismes en Europe.
Dissociation de l’économie et du politique : « it’s no longer economy, stupid ! » Le XXI° siècle est le
siècle de l’identité. Les thèmes majeurs deviennent l’immigration, la sécurité et l’identité, attisés par
un mélange de peur et de nostalgie.
De 1960 à 2010, le vote en faveur de l’extrême droite est passé de 6,7% à 13,4% au Royaume-Uni, de
2,4% à 12,7% en Europe.
La différentiation politique entre les partis de gouvernement se dissipe à mesure que l’écart
riches/pauvres se creuse.
Le divorce entre la démocratie libérale et le capitalisme mondialisé marque la crise du politique et de
la politique, dont le Brexit est le double symbole. Il y a un parallèle avec la nostalgie et la peur du
présent traduite par le Brexit et le désenchantement des huit années Obama aux Etats-Unis. La montée
de Trump symbolise la fin de la démocratie occidentale1.
L’Europe est en première ligne dans la montée du populisme, y compris en Allemagne, alors qu’il
régresse en Amérique du sud. L’Europe est prise en tenaille entre le Brexit, la contre-révolution des
pays de l’Est et les divergences économiques entre la France et l’Allemagne.
3
L’imbroglio juridique de l’exit. Christian Pennera
« Comment les traités balisent-ils l’exit ? »
La sortie d’un pays hors de l’Union fait l’objet de l’article 50 du traité de Lisbonne de 2009 sur le
fonctionnement de l’UE (décalque de feu le traité de constitution de 2005).
L’exit s’oppose à l’idée initiale fondamentale d’irrévocabilité et de non négociabilité de l’engagement
dans l’Union et des abandons partiels de souveraineté qui l’accompagnent. Il a été abordé pour la
première fois en 2002-2004 à propos des petits pays nouveaux entrants.
1
Dans la ligne de son intervention devant le comité Dominique Moïsi a publié, le 26 septembre dans
Les Echos, un article prémonitoire, intitulé « Trump et la fin de la démocratie ».
3
Il s’applique avec le ROYAUME UNI à un membre majeur de l’Union, dépourvu de constitution écrite,
suite à une procédure référendaire dont on peut mettre en question la validité et la performativité.
Procédure de l’article 50 §2
Notification par le pays sortant au Conseil européen, en un acte unilatéral de son propre
gouvernement.
Négociation avec la Commission (d’où conflit possible avec le Conseil), en tenant compte des relations
actuelles et futures
Dans un délai de deux ans, accord de retrait entre l’Etat membre et l’Union doit être passé, qui est un
acte de l’Union, dont la conformité est contrôlée par la CJE.
NB. Les traités de l’Union ne changent pas. Ils cessent de s’appliquer au UK. Le Brexit est en réalité la
sécession d’un partenaire d’une taille équivalente à l’Union (12% de la population et 13,5% du PIB).
4 Perspectives économiques et financières.
Michel Didier
Malgré les difficultés de la prospective en l’absence de précédent, on peut essayer de distinguer entre
les conséquences à court terme, d’une part et de la prévision macro pour 2017 d’autre part. on peut
aussi évoquer des perspectives à plus long terme dépendant du type d’association mise en place.
Conséquences sur l’économie britannique
Avant le Brexit l’économie britannique se portait bien. Le chômage a reculé de 8,5 à 4% avec 2,5
millions de créations d’emploi. La croissance annuelle a été de 2,5% sur les années 2013-2015 mais
elle manifestait au premier semestre 2016 une tendance à l’épuisement avec une saturation de
l’endettement des ménages et le plafonnement des prix de l’immobilier.
La situation après le vote est marquée à la fois par l’effet de choc et par la réactivité de la BoE, se
traduisant par un repli important de la Livre et une envolée symétrique de la bourse de Londres alors
que les bourses continentales stagnaient.
La dévaluation de la livre, 10% depuis le début 2016 et 20% par rapport aux cours de 2015, jumelée à
des anticipations d’inflation autour de 1,5% conduit à une perte de pouvoir d’achat des ménages qui
va peser lourdement sur les ventes au détail.
De fortes incertitudes sur l’environnement commercial européen et sur les investissements
continentaux vont également peser sur la conjoncture.
4
Conséquences sur les autres économies de l’Union.
La contagion récessive est estimée à 0,2% de PIB pour l’Europe dans son ensemble. Elle vient s’ajouter
à un climat plutôt maussade, du fait de la fin de « l’alignement des planètes » (baisses du prix du
pétrole, de l’euro, des taux d’intérêt).
Michel Cicurel
« Evacuer quelques rêves et en caresser d’autre ».
Premiers constats
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Rétractations de certains promoteurs de l’exit
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Position initiale dure de l’Union mais pragmatisme dans les faits
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Pour les marchés financiers continentaux, passé le choc initial, le Brexit apparaît comme un
non event. Pour la bourse britannique, l’effet est nul si on corrige la hausse des cours de la
dévaluation de la devise.
Quelques idées fausses
Le Brexit n’est pas un jeu à somme nulle mais à effet global négatif. Par exemple, l’Europe continentale
ne récupérera pas la City en un jour, faute d’une culture appropriée (la France n’aime pas l’argent zet
l’Allemagne est orientée vers l’industrie et l’assurance).
Points marquants
Le Brexit marque la fin de la phase de globalisation de l’ « après chute du Mur », sans pour autant
marquer le retour en force des Etats-nations. Les classes moyennes du « Nord » fracassées par la
montée de celles du « Sud » vont encaisser un 2° tsunami avec la numérisation et la robotisation. Si la
tendance mondiale va bien vers des négociations par blocs régionaux, c’est une erreur de traiter cette
nouvelle globalisation avec négligence. La sécession du ROYAUME UNIest de ce point de vue un
contresens, une faute lourde, une catastrophe.
Le seul gain possible serait un sursaut du « couple » franco-allemand, dans lequel le français est doué
mais négligent et l’allemand fait très sérieusement ses devoirs. Ce sursaut présuppose que l’Allemagne
donne du temps à la France pour mener à bien ses réforme, en sorte que l’effort financier portant sur
les ménages, via la baisse de la dépense publique, et les allègements d’impôts puissent intervenir
ensemble et non l’un après l’autre car cela serait socialement insupportable. Cette tolérance par
rapport à l’austérité doctrinaire est nécessaire car on ne peut pas toucher massivement aux transferts
publics vers les ménages AVANT d’avoir relancé l’économie marchande, l’emploi et les revenus privés.
«ll faut descendre les prélèvements par l’ascenseur et les dépenses par l’escalier (NKM) ».
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5 Débat
Amiral Lanxade
Le BREXIT fera disparaitre l'opposition au développement de la défense européenne que n'ont cessé
d'afficher les Britanniques pour éviter toute évolution vers une intégration politique accrue et pour
préserver le leadership de l'OTAN.
Pour autant, tout progrès en matière de défense européenne ne pourra venir que d'une réelle
convergence sur l'appréciation des menaces (Russie, terrorisme, migrations ) et d'un accroissement
significatif des budgets. L'inquiétude sur l'éventualité d'un retrait des Etats-Unis du théâtre européen
pourrait aider à cette évolution chez nos partenaires.
Il conviendra alors de déterminer les rôles respectifs de l'OTAN et de l'UE et d'aborder sérieusement
le dossier de l'industrie d'armement.
Mais, en tout état de cause, il ne saurait être question de créer une armée européenne qui supposerait
un degré d'intégration politique difficile à envisager avant longtemps.
Serge Roussely
Constats
La première (historiquement) et la dernière (fonctionnellement) démocratie libérale quitte l’Europe.
La France perd sa seule alliée dans les conflits du moment militaire (avec laquelle elle est en paix depuis
200 ans) et sa seule homologue en matière nucléaire.
Il faut beaucoup d’optimisme pour penser que l’Europe va faire maintenant ce qu’elle n’a pas fait
jusqu’à maintenant (en matière d’identité européenne et d’harmonisation sociale par ex.).
Des causes parmi d’autres
Bruxelles n’a pas respecté le principe de subsidiarité.
Suite à la crise, la zone monétaire imparfaite a perdu ses avantages (circulation de l’épargne) tout en
conservant ses inconvénients.
Jacques Ninet Conseiller pour la recherche Groupe La Française. Secrétaire du Comité de prospective
Ont participés à ce comité de Prospective le 16 septembre 2016 :
Présents :
Amiral Jacques Lanxade ; François Chabannes ; Michel Cicurel ; Henri
Chaffiotte ; Bertrand Collomb ; Bernard Descreux ; Michel Didier ; Jean-Paul
Gauzès ; Alain Gerbaldi ; Xavier Lépine ; Claude Mandil ; Dominique Moïsi ;
Jacques Ninet ; Christian de Perthuis ; Patrick Rivière
Invités :
Pascale Auclair ; Pascale Cheynet ; Thierry Gortzounian
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