La bataille de Tinchebray (1106) Conférence de Véronique Gazeau, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Caen, à l’occasion de la publication des actes du colloque de Tinchebray (2006) Tinchebray, 14 mars 2009 A l’occasion du 900e anniversaire de la bataille de Tinchebray, un colloque international réunissant de nombreux médiévistes s’était tenu à Tinchebray du 28 au 30 septembre 2006. Afin de marquer la sortie officielle des actes publiés par l’association du Pays Bas-Normand, Véronique Gazeau, professeur d’histoire médiévale à l’université de Caen Basse-Normandie, est revenue sur les lieux de la célébration et a présenté les principales avancées de la recherche permises par cette rencontre. Destinée au grand public, cette conférence s’est déroulée dans une ambiance informelle et décontractée, ce qui n’a nui en rien à l’intérêt et à la rigueur du propos. Véronique Gazeau a d’abord rappelé que ni la date, ni le lieu exact de la bataille de Tinchebray n’étaient connus. De même les chiffres improbables que livrent les sources ne permettent pas d’évaluer de façon satisfaisante le nombre de morts et de blessés que fit cet affrontement. En revanche, la portée de la bataille de Tinchebray est bien mesurée et on peut dire qu’il s’agit d’un événement historique majeur à l’échelle de l’Occident médiéval. L’interprétation de la bataille reste difficile car elle est connue principalement par l’œuvre d’Ordéric Vital. Le moine de Saint-Évroult est pétri d’une conception providentielle de l’histoire, et la défaite de Robert Courteheuse est conçue comme la punition divine d’un pécheur, même si, revenu de la croisade, le duc normand est auréolé par la victoire acquise à Jérusalem. Les historiens doivent donc décrypter ce récit et c’est tout l’intérêt de la publication des actes du colloque de Tinchebray qui s’attèlent à cette tâche. Les recherches récentes tendent à mettre en avant l’influence des milieux cléricaux et plus particulièrement monastiques dans l’affrontement entre Henri Beauclerc et Robert Courteheuse. Ainsi, sous l’influence d’Anselme de Cantorbéry, Henri Ier accepta les principes de la réforme grégorienne. Il devint alors le champion de l’Église dans la querelle qui l’opposait à son frère aîné. On peut ajouter que Vital de Savigny tenta de concilier les belligérants avant la bataille. On a ici un exemple de médiation pour éviter l’affrontement armé. Après la capture de Robert Courteheuse par Henri Ier, le pape Pascal II joua un rôle comparable en faveur du duc de Normandie déchu et emprisonné à Cardiff. En effet, le pontife chercha à obtenir la libération de ce dernier auprès du roi d’Angleterre, mais n’eut aucun succès. Robert Courteheuse mourut captif en 1134. Après avoir rendu hommage à la mémoire de Gérard Louise, qui fut président du Pays Bas-Normand, un fin connaisseur des sources médiévales normandes et un spécialiste des espaces de frontière, Véronique Gazeau a souligné l’intérêt porté par les historiens aux espaces de frontière auxquels Tinchebray appartient. Ces territoires à la soumission fluctuante étaient souvent les lieux d’événements marquants. Henri Ier, qui s’était attaché à la conservation de Domfront dans son patrimoine, semble en avoir mesuré les enjeux stratégiques. Hélie de la Flèche, comte du Maine, était un personnage de ces marches dont la prise de position en faveur d’Henri fut décisive dans l’issu du conflit entre les deux fils de Guillaume le Conquérant. L’une des contributions du colloque tend à montrer que les relations d’affinité entre ces deux hommes furent déterminantes dans la prise de position d’Hélie. L’affinité et plus généralement les réseaux de sociabilité constituent un champ d’exploration ouvert pour de nouvelles recherches. Les actes du colloque de Tinchebray permettent également de mieux connaître Robert Courteheuse. Auréolé d’un immense prestige, le duc de Normandie fut acclamé à Rouen et à Caen lors de son retour de la croisade en 1100. Pourtant Ordéric Vital justifie la défaite du duc de Normandie à Tinchebray en le décrivant comme un mauvais chevalier. Des hypothèses nouvelles tentent d’expliquer ce changement de perception. Ayant gagné son salut et manifesté sa bravoure en Terre sainte, Robert aurait pu perdre le goût du gouvernement d’une petite principauté comme la Normandie. Cette analyse met en avant la personnalité du duc et interroge les conditions qui l’ont développée, en particulier l’influence de la place des enfants dans les fratries. Malgré, ou peut-être à cause, de sa position d’aîné, Robert fut marqué dans sa jeunesse par la frustration de pouvoir et l’impossibilité de se préparer à son destin en raison de la poigne de fer du Conquérant, peu enclin à partager son autorité. Ni l’inclination à la bienveillance de Mathilde envers son fils aîné, ni les plaintes de Robert auprès du roi Philippe Ier ne permirent d’apaiser des relations exécrables entre Guillaume et son fils, allant même jusqu’à un affrontement direct en 1078-1079. La conférence de Véronique Gazeau a ainsi mis en lumière les difficultés du travail de l’historien qui, face à des sources partiales et lacunaires, peine à construire des certitudes. Ce bilan du colloque tenu à Tinchebray en 2006 témoigne également de l’intérêt des rencontres entre spécialistes pour stimuler la recherche et invite à se plonger dans la nouvelle livraison du Pays Bas-Normand. Maxime Guilmin - relu par VG