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l’ethnographie des usages des drogues s’articule à la fois à l’histoire sociale, aux représentations
collectives, aux politiques publiques, à l’économie, et aux processus de subjectivation individuelles,
elle constitue un point d’observation privilégiée de toutes les échelles où se façonne le social.
Complexité de l’objet « drogue » : approche conceptuelle
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L’ambivalence de cet objet d’étude apparaît immédiatement dès que l’on compare le vocable
anglais « drug », qui signifie aussi bien « narcotique » que « médicament », avec le terme français
« drogue », lequel avait autrefois la même acception duale mais ne signifie plus aujourd’hui qu’un
produit moralement stigmatisé, d’usage occulte. Comme le soulignent les travaux de François
Dagognet (1964), une telle complexité renvoie au statut du pharmakon, qui revient à introduire dans le
corps une substance étrangère afin de rétablir, par un désordre consenti, l’équilibre organique ou
psychique, et aux constructions sociales et culturelles afférentes. Tantôt substance soignante à fin
curative, tantôt poison ou altérité nocive, la drogue est tour à tour mobilisée dans les actions
contradictoires du chaman et du sorcier, du médecin et de l’assassin, ou encore, à l’époque
contemporaine, en tant que produit dopant visant à augmenter les performances (dans le sport ou les
activités de production), ou encore comme simple objet de consommation récréative. Le terme
« drogue » lui-même mérite ainsi d’être interrogé en fonction du type d’objet auquel il renvoie, ou
non. En effet, dans ses usages sociaux, le terme tend à être utilisé comme une catégorie infamante. Il
est une étiquette qui a pour effet de stigmatiser une pratique ou une substance (voir Roustan, 2005).
Penser les drogues invite donc à se pencher sur les limites que chaque définition fixe à notre réflexion.
Doit-elle se fonder sur le critère comportemental de l’addiction, ou bien sur le caractère psychoactif
des substances/produits ? Ou encore sur une définition emic de la « drogue », renvoyant alors le sens
du terme à sa condition de label et à ses enjeux de luttes politiques, sociales et morales ? Quelles sont
donc, en définitive, les implications de la notion de « drogue » ? !
Ce séminaire propose en premier lieu de rendre compte de la variété des approches
anthropologiques de la drogue et de faire dialoguer deux traditions qui ne le font peut-être pas assez.
Renvoyant au « Grand Partage » de l’anthropologie, on peut en effet distinguer d’une part une
anthropologie des substances psychoactives dans les dispositifs rituels (religieux ou thérapeutiques) et
d’autre part une approche, liée à l’anthropologie urbaine ou à l’anthropologie de la santé, de la drogue
comme pratique déviante ou comme enjeu de politique publique. Dans tous les types de pratiques,
chamaniques, thérapeutiques, récréatives ou addictives, l’idée de drogue, en son statut de pharmakon,
renvoie à une substance étrangère qui prend possession du corps et de l’esprit de l’individu. Il existe
donc des passerelles et des parallèles entre les deux types de perspectives, que ce séminaire a pour
ambition d’approfondir. En second lieu, il s’agira de questionner l’ambivalence morale et le flottement
sémantique qui enveloppent ce type de substances, et de discuter la manière dont l’anthropologie peut
faire usage de la catégorie « drogue » sur un mode à la fois distancié et relativiste. Les interventions
pourront à titre d’exemple aborder les thèmes et questionnements suivants :!
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- L’approche culturelle, en soulignant la diversité des usages des drogues, leurs représentations
et leurs significations sociales selon les époques et les lieux : comment les transformations
sociales récentes (rapport à l’État-nation et aux politiques de santé, rapport à la biomédecine,
tourisme, etc.) ont-elles affecté les manières de vivre, de penser l’usage des drogues et de
catégoriser les substances ? Comment les groupes sociaux gèrent-ils et parlent-ils de ces
situations complexes où les usages rituels, thérapeutiques et récréatifs se confrontent (voir par
exemple les cas du peyotl au Mexique et aux Etats-Unis, de l’ayahuasca en Amazonie andine,
ou de l’iboga au Gabon et au Cameroun) ? Comment analyser sur un plan anthropologique les