En route vers la vie
éternelle?
Texte CHRISTIAN RAPPAZ
La nouvelle ne vous
a sans doute pas
échappé. Il y a quelques
semaines, une jeune
Anglaise de 14 ans,
souffrant d’un cancer
en phase terminale, a
obtenu de la justice le
droit de se faire cryogéniser
après son décès. Ce n’est pas
que cette pratique soit inter-
dite au Royaume-Uni, mais
l’un de ses deux parents s’était
opposé à sa décision. Pour
convaincre les juges, l’adoles-
cente, qui demanda que son
identité ne soit pas révélée,
adressa une lettre à la Haute
Cour de Londres, dans laquelle
elle exposa son désir de vivre
plus longtemps, pariant sur les
progrès de la science et de la
médecine pour la ranimer et
la soigner d’ici à un ou deux
siècles. Bingo. Elle fut autorisée
à rejoindre le cercle encore très
fermé des cryonics. Trois cent
cinquante personnes à travers
le monde, croyant dur comme
fer que la science ranimera
un jour leur corps vitrifié et
conservé dans de l’azote liquide
à –196°C. Parmi elles, une majo-
rité de «neuros», ainsi nom-
més parce qu’ils ont choisi de
cryogéniser seulement leur tête
et donc leur cerveau, certains
que leurs chances de revivre
avec un corps qu’on leur gref-
fera est beaucoup plus grande.
A ce stade, vous pensez sans
doute être en train de lire au
mieux un roman de science-
fiction et au pire un délire de
journaliste. Eh bien pas du tout.
Certes, à l’image du généticien
franco-suisse André Langaney,
spécialiste de l’évolution et de
la génétique des populations, la
cryogénie a ses détracteurs. «Ce
n’est pas une science, mais une
technique, une forme de momi-
fication, comme Ramsès II en
est l’exemple, en un peu mieux.
Mais les chances de «résurrec-
tion» ne sont pas supérieures à
la sienne, donc égales à zéro»,
estime le professeur honoraire
de l’Université de Genève. Reste
que depuis que le professeur
de physique américain Robert
Ettinger a exposé La perspective
de l’immortalité dans un livre,
en 1962, l’idée de conserver un
mort à très basse température et
de le réveiller un jour a non seu-
lement alimenté les fantasmes,
mais aussi fait son chemin et
ses adeptes. Ettinger repose lui-
même, avec sa mère et ses deux
épouses, au Cryonics Institute,
dont il est le fondateur.
2000 personnes en attente
Le premier être humain cryogé-
nisé fut toutefois James Bedford,
un professeur de psychologie
américain, en 1967. Son corps
est toujours conservé par la
Fondation Alcor, en Arizona,
première entreprise du genre
sur la planète, rejointe dix ans
plus tard par sa concurrente
du Michigan, le Cryonics Ins-
titute, puis par KrioRus, une
société moscovite, en 2005. A
ce jour, plus de 2000 personnes
ont signé un contrat de cryo-
génisation, qui sera honoré
leur dernière heure venue. En
l’envisageant publiquement,
des célébrités telles que Simon
Cowell, le producteur anglais de
l’émission Britain’s Got Talent
(et de sa version américaine), et
l’intervieweur star de CNN Larry
King ont également contribué à
remettre la cryogénie au cœur
de l’actualité. Sans oublier la
découverte de Google X, le
laboratoire du géant du Net, qui
assure développer un concept
de détection des maladies sus-
ceptible de mesurer les chan-
gements biochimiques annon-
ciateurs de la maladie avant
l’apparition de celle-ci. Une
somme d’éléments qui poussent
les gens à s’intéresser de plus
près à la cryogénisation.
De Shakespeare à Rostand
Mais le chemin vers la résur-
rection et la vie éternelle est
semé d’embûches. Pour l’ins-
tant, les seuls succès avérés
concernent la réanimation
d’un rein de lapin, de larves
de mouches drosophiles et de
certains parasites. «Mais qui
ne tente rien n’a rien. De toute
façon, si ça ne marche pas, on
ne s’en rendra pas compte»,
confie Roland Missonnier, le
pionnier français du procédé.
«Arrêtez cette escroquerie»,
supplie André Langaney. «Si
la technique marche très bien
pour les ovocytes, les sperma-
tozoïdes, des cellules sanguines
et des embryons précoces, elle
est impossible à appliquer à
des vertébrés supérieurs. Je ne
vois pas comment un prétendu
antigel miracle peut se répandre
dans le volume considérable
d’un corps humain. Comment
ce liquide pénétrerait la moelle
osseuse, indispensable à la
création des globules du sang.
Et puis, comment ressusciter la
mémoire qui est perdue à peine
quelques minutes après la mort,
lorsque les circuits de neurones
arrêtent de fonctionner? C’est
techniquement inimaginable»,
affirme le généticien français, en
rappelant qu’après avoir passé
un peu plus d’une heure dans
une eau à 17°C, un corps humain
nu et immobile ne donne plus
aucun signe de vie. «Comme
l’a si bien souligné Shakespeare,
nous n’existons que par notre
pensée», conclut André Lan-
ganey, sûr de son fait. Comme
l’était aussi le célèbre biolo-
giste et écrivain français Jean
Rostand, lorsqu’il délivra cette
phrase qui fit le buzz en 1959:
«Un jour, on verra les incurables
et les vieillards aller se faire
congeler. On les mettra dans
des tiroirs avec des étiquettes:
à réveiller quand on aura un
remède contre le cancer, contre
le vieillissement, et pourquoi
pas contre la mort.»
Comme 300 personnes avant elle, une
adolescente britannique a récemment
obtenu le droit de se faire cryogéniser
après son décès. Bien que la technique
de conservation des corps évolue,
réveiller les morts n’est pas encore
pour demain. Le point.
C M Y K C M Y K
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«Ce n’est pas une science, mais
une technique, une forme
de momification» André Langaney, professeur
En 1959, «Sciences et Avenir» fait sa une sur
la cryogénisation. A dr.: congélation en 1967
de James Bedford, le premier homme
cryogénisé. Tout à dr.: portraits de patients
cryogénisés, affichés au mur du Cryonics
Institute, dans le Michigan.
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CRYOGÉNISATION
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PHOTOS: MURRAY BALLARD, THE LIFE PICTURE COLLECTION/GETTY IMAGES, DR