L’IRAN REEL – DES SPECIALISTES CIVILS ET MILITAIRES DECRYPTENT LIBREMENT LA
QUESTION IRANIENNE
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l’institut des hautes études internationales et du développement à Genève, s’intéresse à la politique
arabe de l’Iran qui entend bien développer un certain leadership au Moyen-Orient. Denis Lambert
chargé d’études géostratégiques au Collège Interarmées de Défense à Paris, analyse les relations
qu’entretient l’Iran avec ses voisins du Golfe mais aussi avec l’Inde. Gaïdz Minassian, chercheur
au groupe d’analyse politique défense relations internationales sécurité à Paris X, nous propose un
visage méconnu de l’Iran qui tente, dans un partenariat privilégié avec la Russie, d’investir peu à
peu le Caucase du Sud, terre familière pour les Iraniens et irriguée de gazoducs. Jonathan Piron,
diplômé en histoire et relations internationales de l’université de Liège nous éclaire sur les liens
ténus qui lient l’Iran et la Russie. L’année 2008 aura été l’accélérateur dans cette coopération où
chaque partenaire met en sourdine ses griefs afin de privilégier, avant tout, ses intérêts de
développement. Enfin, Yasmine Valipour, iranienne, diplômée en sciences économiques, a
effectué l’essentiel de sa carrière professionnelle dans le domaine bancaire et dresse un autre
portrait de l’Iran où un mouvement pétionnaire féminin tente de modifier les lois actuelles
régissant le mariage, l’adultère ou bien encore le divorce. L’auteure nous rappelle que les femmes,
en Iran, sont, dans de nombreux cas, considérées en droit comme la moitié des hommes.
DES AMBITIONS AFFICHEES
Héritier d’une histoire plurimillénaire, exaltée par le shah Mohammed Reza Pahlevi lors des fêtes
organisées à Persépolis en 1971, l’Iran apparaît comme le porteur d’une mémoire civilisationnelle
que même la révolution islamique de 1979 n’a pu ou voulu entamer en tentant de faire « table rase
du passé ». Entrée au XVIIIème siècle en décadence sous la dynastie des Qadjars, la Perse devient
alors l’un des enjeux du « great game » évoqué par Kipling lorsque la puissance maritime anglaise
luttait contre l’empire russe désireux d’accéder aux mers chaudes et qui finit par imposer sa loi à
l’Iran. Premier pays musulman à se doter d’une constitution en 1906 avant la révolution « jeune
turque », le pays n’a cependant pas les moyens de faire face à la puissance tutélaire britannique.
Passé la Seconde guerre mondiale et les affres des dernières grandes ruptures, la révolution
islamique s’inscrit dans le contexte du formidable réveil religieux, l’Iran d’aujourd’hui peut
prétendre à accéder au rang de grande puissance régionale qui a été le sien dans un passé lointain.
La Chine ne le prouve t’elle pas de manière éclatante ?
Afin de soutenir ses ambitions, l’Iran a patiemment tissé des réseaux d’amitié mêlant
opportunisme et intérêts communs. Bien entendu, le programme nucléaire joue le rôle d’une
variable d’ajustement non négligeable dans cette quête de puissance mais aussi, de reconnaissance
internationale. Pour la Russie, l’économie sert de levier à ce positionnement géopolitique, que ce
soit à travers le nucléaire, l’énergie ou bien encore l’armement. Depuis 1991 par exemple, l’Iran
est un nouveau débouché pour ses ventes d’armes et est progressivement devenu le troisième
importateur d’armes russes après la Chine et l’Inde. En contrepartie, ces investissements russes en
Iran s’accompagnent, en retour, d’un soutien iranien dans la résolution des crises impactant la
Russie, comme la Tchétchénie où le mouvement islamiste d’obédience wahabbite s’oppose au
chiisme. Les relations avec l’Inde sont également complexes malgré les liens séculaires
qu’entretiennent ces deux civilisations. Sur le volet nucléaire, l’Inde réprouve l’acquisition par un
pays tiers d’un arsenal nucléaire qu’elle condamne mais considère que l’Iran pourrait,
éventuellement, en tant que puissance musulmane, servir d’intermédiaire dans le problème
kashmiri. Cependant, côté économique, l’Inde présente l’avantage d’être un éventuel contre-poids
face à l’agressivité commerciale de la Chine qui gagne des parts de marchés en venant
concurrencer les produits manufacturés iraniens. Enfin, comment ne pas s’intéresser à la politique
arabe de l’Iran. Or, une difficulté sous-jacente au développement des relations entre l’Iran et les
pays arabes résulte de la vision, pour le moins ambivalente, qu’Iraniens et Arabes ont les uns des
autres. L’origine de cette opposition sourde mais tenace remonte loin dans le temps, les Iraniens
reprochant aux Arabes l’invasion de leur pays tandis que les Arabes ont en mémoire les
nombreuses révoltes aux VIIIème et IXème siècle. Aujourd’hui, avec l’avènement d’une
République islamique en Iran et l’éclosion de mouvements fondamentalistes en général dans le
monde musulman, force est de constater que les oppositions traditionnelles entre Iraniens et
Arabes demeurent alors que l’Iran aspire à devenir le chef de file du Moyen-Orient, voire du
monde musulman.