La mémoire juive du Maroc. Le droit à la diversité culturelle. Car c’est un droit. Le Maroc vient en juin 2013 de ratifier la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, indique la délégation permanente du Royaume auprès de l'Unesco. « En devenant le 130ème Etat membre à ratifier ladite Convention, le Royaume du Maroc permet à cette dernière d'acquérir son statut d'universalité », précise le communiqué. « Ayant toujours fait du respect de la diversité culturelle, du dialogue des cultures et des valeurs universelles fondamentales une véritable vocation, le Maroc s'est, dès le départ, investi dans le cadre de cette Convention puisqu'il a, entre décembre 2003 et juin 2005, activement participé à l'élaboration du texte de la Convention », souligne la même source. Le texte de la nouvelle Constitution de 2011 s’en fait également l’écho : on peut lire qu’elle « consacre la pluralité du Royaume qui, à travers une même identité, se fonde sur des composantes arabe, islamique, amazighe et sahraouie ». Une garantie fondée sur le respect des différences culturelles qui s’expriment dans un pays, et constituent le socle d’une identité qui doit être reconnue en tant que telle. Le Maroc n’y échappe donc pas, lui qui associe juifs, amazighs, arabes sous sa bannière dans le souci de faire coexister harmonieusement des identités culturelles différentes. Et qui se doit, dans une époque particulièrement menacée par les replis communautaires, les radicalismes de toutes sortes, de défendre ces acquis historiques légués par une histoire qui, au-delà de certains dévoiements et parfois des blessures infligées, renoue avec ce pacte fondateur de la culture marocaine. Il est impossible à ce titre d’oublier que juifs, arabes ou amazighs sont tous des Marocains à part entière, riches de leurs traditions respectives. Citoyens d’un même pays, et riches de leurs différences mutuelles. Cet écart repose sur la langue, des pratiques culturelles, des attachements viscéraux à l’héritage d’une tradition qui se perpétue et se transmet de génération en génération. Une communauté, vivace, mais réduite à une peau de chagrin… 1/6 La mémoire juive du Maroc. Ils étaient 300 000 en 1948 ; aujourd’hui, la communauté juive marocaine se réduit à 4000 personnes, mais en dépit des chiffres, c’est la vivacité d’une culture, la force de son ancrage et de son rayonnement qui demeurent gravés dans l’empreinte culturelle du Maroc. Arrivés vraisemblablement au Vème siècle après J.C, après la destruction du premier Temple de Jérusalem, donc bien avant la conquête arabe, ils vivent au Maroc depuis 16 siècles… A l’époque, les villes de Sala et d’Ifrane étaient des centres importants de négoce, où l’on pratiquait le commerce de l’or et du sel. Au début de l’ère chrétienne, lorsque les Romains envahirent la région, de nombreuses mesures restrictives envers les Juifs furent mises en place et le christianisme devint religion d’État. Puis sous les Vandales et les Byzantins la communauté juive marocaine connut, au Ve et au VIe siècle une alternance de périodes de répit et d’oppression, jusqu’à l’arrivée des arabes et de la première dynastie musulmane qui, lorsqu’elle s’installa au pouvoir en 788, les soumit à la dhimma. C’étaient des protégés du sultan. Ils pouvaient pratiquer leur religion mais reconnaissaient la suprématie de l'islam et payaient un impôt particulier. Si l’on doit fixer un premier âge d’or pour la communauté juive du Maroc, c’est entre le IX et le XIIième siècle, lorsque Fès, qui venait d’être fondée, s’imposa comme la capitale culturelle et spirituelle du judaïsme marocain. Une période brillante marquée par la poésie de Juda Halévy, la science hébraïque d’El-Fassi, et la pensée de Maïmonide. La situation des Juif s’améliore ainsi progressivement sous la dynastie berbère, jusqu’au XVème siècle, mais la création du mellah, quartier réservé aux Juifs, entrave cependant le dialogue judéo-musulman. Et lorsqu’en 1465, le sultan est assassiné, les Juifs du mellah de Fès seront massacrés. En 1492, arrivèrent tous ceux qui, provenant d’Espagne, fuyaient les persécutions d’Isabelle la Catholique, en 1492. D’où le fait que cette communauté compte deux sous-ensembles ethnico-culturels : les toshavim, qui se déclarent être les "autochtones" et les megorashim, qui sont les descendants des "expulsés (d'Andalousie)". Ces Juifs venus d’Espagne font renaître le judaïsme marocain et contribuent grandement à l’essor économique du pays. On crée un second mellah à Marrakech, capitale du Maroc. Puis Au XVIIe siècle, la communauté juive participe à la construction de Meknès, qui devient la nouvelle capitale. Ainsi, progressivement, dès le 18ème siècle, les Juifs de l’Atlas vont également descendre et 2/6 La mémoire juive du Maroc. gagner les grands centres urbains, vivant dans le quartier du mellah qui leur était réservé. Un tel exode finit par surpeupler ceux de Fès et de Meknès, qui devinrent rapidement insalubres. L’histoire est faite d’éternels recommencements. En fonction des sultans qui se succédèrent, la communauté fut tantôt réprimée, tantôt protégée. Le Sultan Abdallah, en fondant le port de Mogador en 1765, décida d’accorder à plusieurs familles juives des privilèges commerciaux, comme le monopole d’exportation du tabac et des parfums. Mais les trois sultans qui lui succédèrent, de 1790 à 1859, adoptèrent une attitude différente : le sultan Lyazid, notamment, se caractérisa par sa violence en pillant les communautés de Tétouan, Meknès, Rabat, et coupant une oreille aux Juifs afin de les distinguer. Ce n’est qu’à l’avènement de Moulay Slimane que les Juifs purent retrouver leurs privilèges. Au 19ème siècle, une étape fondatrice dans la reconnaissance de l’identité et de la culture juive fut la création de première école de l’Alliance israëlite en 1862. Durant cette période, l’aide financière apportée par les Rothschild et le baron de Hirsch assurèrent la survie de la communauté juive marocaine, et l’Alliance israélite poursuivit le processus de francisation des Juifs. La fin du 19ème siècle fut en revanche plus incertaine, et marquée par des actes de violence après l’accalmie que constitua le règle de Moulay Hassan : les émeutes de Sefrou firent plus de quarante victimes juives, le mellah de Mogador fut pillé, et les Juifs de Fès, Meknès et Marrakech persécutés. Lors du protectorat français, en 1912, lorsque l’insurrection éclata, des Juifs furent là encore massacrés par des musulmans. C’est pourquoi, durant la seconde guerre mondiale, et sous le régime de Vichy, qui appliquait les lois raciales, l’attitude exemplaire du sultan Mohammed V eut pour rôle d’incarner cette union de deux communautés aux liens indissociables. La déclaration qu’il fit durant ces heures sombres de l’histoire l’imposa à la fois en tant que symbole et que réalité : « Il faudra prévoir vingt Étoiles jaunes supplémentaires pour moi et ma famille.» 3/6 La mémoire juive du Maroc. A la fin de la guerre, la proclamation de l’État d’Israël en 1948 créa un climat de tension : Oujda devint la plaque tournante d’un mouvement d’alyah, de retour au pays, clandestin. En 1949, plus de huit mille personnes partirent ainsi s’installer en Israël, mais la majorité décida cependant de rester, par attachement viscéral à leur pays de naissance. La guerre des 6 jours en revanche, en 1967, eut des répercussions plus importantes. Les départs se multiplièrent en raison de la méfiance qui grandissait vis-à-vis des Juifs, que l’on soupçonnait de soutenir Israël et l’instabilité politique poussa nombre d’entre eux à quitter le Maroc pour la France, Israël, le Canada et les États- Unis, alors qu’au lendemain de l’indépendance, en 1956, ils occupaient des postes importants dans le gouvernement et l’administration marocains. Mémoire et Histoire. Dès lors, le nombre des ressortissants de la communauté n’a cessé de décroître : en 1977, il ne reste plus que vingt-cinq mille. Et près de 40 ans plus tard, seulement 4000 qui résident aujourd’hui à Rabat, Marrakech, Agadir, et Meknès. Voilà pourquoi il est du devoir des Marocains de préserver aujourd’hui plus que jamais cet héritage culturel de traditions et de valeurs intact, car il est partie intégrante de l’histoire du Maroc. Ce serait le couper d’une partie de lui-même, que de considérer l’histoire des Juifs marocains comme étrangère à la sienne. A travers l’histoire, le processus s’est révélé en effet doublement réciproque : il y eut judaïsation des berbères comme il y eut berbérisation des juifs… Le film Tineghir-Jérusalem, de Kamel Hachkar, a notamment contribué récemment à rappeler le vécu indissociablement liée des communautés berbères et juives dans un documentaire qui sert le devoir de mémoire. C’est la conquête arabe du Maroc, au VIIe siècle, et la conversion à l’Islam qui dispersa en fait la présence juive parmi les tribus Berbères. Voilà pourquoi les oasis du désert et les montagnes du pays sont habitées par de nombreuses tribus de Berbères juifs. Le travail de l’or, de la bijouterie avait ainsi été appris et transmis aux berbères du Sud par les orfèvres et dinandiers juifs. Mais que reste-t-il de ces bribes d’histoire et de mémoire, si ce n’est quelques synagogues enfouies dans les mémoires collectives, au fond de quelque douar berbère ? 4/6 La mémoire juive du Maroc. A Casablanca, un musée leur est dédié, fondé par Simon Levy en 1997 et aujourd’hui présidé par Jacques Toledano. L'institution, nichée dans un ancien orphelinat, mérite d’être visitée et connue de tous car il s’agit là d’ l’unique musée du judaïsme du monde arabe. C’est là qu’est racontée aux Marocains leur propre histoire, à travers une poignée de trésors, comme cette extraordinaire estrade de lecture de la Torah du XVIIIe siècle, couleur vert d'eau, en bois, dénichée dans les sous-sols de la grande synagogue Toledano de Meknès. Aujourd’hui la communauté juive marocaine est parfaitement structurée avec ses différentes institutions, comme l’explique Georges Asseraf, de l’association Néomaroc : «Le Conseil des communautés israélites a créé la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain afin d’entretenir les synagogues et les cimetières. Il y a également un réseau d’écoles et des commerces. » Mais il constate que, si la communauté vit en harmonie avec ses voisins musulmans, ils ne se connaissent plus. Les jeunes ignorent pour la plupart d’entre eux l’empreinte de l’histoire juive dans la nation. Plusieurs associations comme, celle des Juifs de Safi et de Casablanca, ont été créées afin de faciliter les «retrouvailles» avec le Maroc Chaque année, les expatriés venus du monde entier se retrouvent autour de tombeaux de saints situés à Ouezzane, Essaouira ou Taroudant pour fêter la hiloula, version juive du moussem, qui rappelle les fastes du passé et commémore l’attachement à la terre des ancêtres.». Fête célébrée 33 jours après Pessah, c’est l’une des traditions les plus suivies par les Marocains de confession juive, qui viennent de France, d’Espagne, des Etats-Unis, du Canada et de plus en plus d’Israël, pour la fêter au Maroc, comme les 5000 pèlerins venus en mai de l’année passée se recueillir au mausolée du Rabbin Amram Ben Diwan, à Asjen, petit village à 9 km de Ouezzane dans le Nord du Maroc. « La saga du judaïsme marocain est trop profondément ancrée dans l'histoire de ce pays pour disparaître. », avait affirmé un jour André Azoulay, conseiller du roi. Robert Assaraf, écrivain, historien, et président du conseil de surveillance de Radio Shalom en France, le confirme à sa manière. Lors de la série des attentats de Casablanca attribués à Al-Qaïda en 2003, il avait déclaré qu’ils avaient secoué la communauté juive marocaine car les kamikazes avaient notamment visé des symboles, comme le cimetière de Bab Jdid et l’Alliance juive de Casablanca. « Mais cela ne m’a pas empêché d’y retourner, 5/6 La mémoire juive du Maroc. avait-il ajouté. Le Maroc, c’est le pays de mes racines et de mes aïeux. » Et nombreux sont les sites internet, comme le célèbre site de Dafina, -du nom du plat de cuisine séfarade-, qui entretiennent cette nostalgie des racines perdues pour les milliers de juifs marocains exilés à l’étranger et leur permettent de garder ce lien intact, au-delà de la distance géographique… A Beth-El, l'une des trente synagogues de la ville de Casablanca, construite en 1949 dans un style arabo-andalou, on accueille les cérémonies officielles en ­présence des représentants de Mohammed VI, et tous les ven­dredis soir, on y bénit le roi et le Maroc, dont la nouvelle Constitution stipule que l'unité « forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamiques, amazigh et saharo-hassani s'est nourrie et enrichie de ses affluents africains, andalous, hébraïques et méditerranéens ». 6/6