TRANSVERSAL Un diagnostic différentiel rhumatologique rare de souffrance du nerf SPE au col du péroné : les accidents d’instabilité de l’articulation péronéo-tibiale supérieure ■ E. Galimard* L’ * Service de rhumatologie, polyclinique d’Aubervilliers, et hôpital Cochin, Paris. existence d’une douleur siégeant au niveau de la face externe du genou amène à examiner tous les éléments anatomiques pouvant en être responsables, surtout quand l’interrogatoire est trop pauvre pour orienter l’examen clinique. La palpation cible alors des sièges lésionnels précis : – l’interligne articulaire fémoro-tibial externe, douloureux en cas d’arthrose en poussée ou de kystes méniscaux, voire de périméniscite ; – le ligament latéral externe du genou en cas d’antécédent d’entorse ; – une inflammation de la bandelette du fascia lata, parfois associée à une bursite par frottements répétés sur la tubérosité du condyle externe lors des mouvements de flexion/extension chez le coureur de fond ; – une tendinite du biceps ou du poplité (parfois associée à une bursite) ; – une souffrance du nerf sciatique poplité externe au col du péroné ; – une arthralgie de l’articulation péronéotibiale supérieure. Comme toute articulation, l’articulation péronéotibiale supérieure peut être le siège de douleurs en rapport avec une arthropathie mécanique dégénérative, une poussée inflammatoire microcristalline, voire une synovite s’intégrant dans un rhumatisme inflammatoire chronique. Des épanchements récidivants peuvent aussi être à l’origine de kystes synoviaux. Dans certains cas s’intriquent des signes pouvant faire évo- Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 quer une souffrance possible du nerf sciatique poplité externe et conduire à l’indication d’un électromyogramme. Devant un résultat normal et des arthralgies mécaniques de la péronéotibiale supérieure, un des trois diagnostics suivants peut être évoqué : syndrome d’hypermobilité de l’articulation péronéotibiale supérieure, luxation de l’articulation péronéotibiale supérieure et malposition de l’articulation péronéotibiale supérieure. Ils sont peu fréquents en médecine courante et rencontrés plus volontiers chez des patients sportifs. Il est important de les connaître car la thérapie manuelle apporte un soulagement rapide, aidée parfois par des infiltrations de corticoïdes, voire une immobilisation. L’articulation péronéotibiale supérieure est une arthrodie, articulation faite de deux surfaces presque planes permettant des petits mouvements de glissement selon deux degrés de liberté. Elle oppose la surface péronière, légèrement concave, voire plane, qui regarde vers le haut, le dedans et l’avant, à la surface tibiale, inversement orientée. Elle est soumise à des mouvements de faible amplitude au cours de la rotation du tibia sous le fémur ou de la mobilisation de la tibio-tarsienne. Lors de la flexion dorsale du pied, la tête du péroné ascensionne et tourne en rotation interne, entraînant un petit glissement postérieur avec bâillement postérieur et inférieur de l’interligne. Les déplacements sont inverses lors de la flexion plantaire. 17 TRANSVERSAL SYNDROME D’HYPERMOBILITÉ DE L’ARTICULATION PÉRONÉOTIBIALE SUPÉRIEURE : PENSER À RECHERCHER UN TIROIR PÉRONIER +++ Le patient (souvent un adolescent) consulte pour des douleurs de la région externe du genou, descendant parfois vers la face externe de la jambe. Elles sont d’horaire mécanique, survenant à la marche, à la course ou au cours d’un sport comportant des sauts. Certains patients signalent des impressions de ressaut, de claquement, voire des épisodes d’instabilité. L’examen de la région externe du genou retrouve une douleur de la région de la tête du péroné. Il révèle l’absence de signes d’entorse du ligament latéral externe du genou, de tendinite bicipitale ou tendinite poplitée, de lésion méniscale ou de lésion du point d’angle postéro-externe (nappe fibreuse située à la partie postéro-externe du genou associant le ligament poplité arqué, la coque condylienne externe, le tendon du muscle poplité, l’expansion méniscale du tendon poplité et la corne postérieure du ménisque externe). C’est la recherche du tiroir péronier qui donne le diagnostic. Le patient est installé en décubitus dorsal, genoux fléchis à 90°, pieds sur le plan du lit. La mobilisation en arrière et en dedans, puis en avant et en dehors, de la tête du péroné, saisie entre le pouce et l’index, retrouve une laxité anormale, c’est-à-dire supérieure à 1 cm, indolore et souvent bilatérale. La recherche d’un tiroir antérieur sera plus aisée si le patient s’agenouille, genoux à 90° de flexion, pieds en dehors de la table, en appuyant sur la face postérieure de la tête du péroné. Les radiographies bilatérales et comparatives des genoux de profil en extension, pieds en position neutre puis en flexion dorsale et plantaire maximale, mettent en évidence le déplacement anormal de la tête du péroné par rapport au côté opposé en cas d’unilatéralité ou un déplacement de plus de 1 cm en cas de laxité bilatérale. Le traitement associe des infiltrations intra-articulaires de corticoïdes à but anti-inflammatoire et antalgique et la stabilisation de la tête du péroné au cours du sport par strapping (non compressif pour le nerf sciatique poplité externe). Très exceptionnellement, chez des sportifs de haut niveau, une intervention chirurgicale est envisagée (résection de la tête du péroné, ou arthrodèse péronéotibiale supérieure isolée ou associée à une résection de la tête du péroné). 18 Sur plusieurs années de pratique sportive, l’hypermobilité de l’articulation péronéotibiale supérieure peut évoluer vers une arthropathie mécanique dégénérative. Les douleurs de siège identique sont plus intenses, plus fréquentes, et peuvent gêner la vie quotidienne. Elles sont reproduites à l’examen par la pression sur l’articulation péronéotibiale supérieure. Les signes radiographiques s’enrichissent des stigmates des arthropathies dégénératives : ostéocondensation des berges articulaires, érosions et géodes. LUXATION DE L’ARTICULATION PÉRONÉOTIBIALE SUPÉRIEURE C’est une luxation rare, souvent antéro-externe. Elle est favorisée par des sports à hautes contraintes pour le genou : football, football américain, parachutisme, judo, etc. La luxation de l’articulation péronéotibiale supérieure provoque une douleur intense de la région externe du genou, associée parfois à des paresthésies dans le territoire du nerf sciatique poplité externe (à l’examen, rechercher systématiquement des signes de souffrance du nerf sciatique poplité externe). L’examen révèle dès l’inspection une saillie anormale de la tête du péroné. La flexion passive du genou est normale. En revanche, l’extension peut être limitée. La douleur est déclenchée par la contraction isométrique résistée du biceps (extension résistée de la jambe sur le fémur en partant d’une flexion de 100° environ) et par les mouvements de flexion/extension du pied. Les radiographies de face montrent le déplacement en dehors de la tête du péroné, qui n’apparaît plus superposée en partie sur le tibia. Le traitement précoce consiste en une réduction suivie d’une immobilisation du genou en extension pendant 2 à 3 semaines. La chirurgie peut être indiquée pour les formes vues tardivement (résection de la tête du péroné). MALPOSITION DE L’ARTICULATION PÉRONÉOTIBIALE POSTÉRIEURE Il s’agit d’une position anormale de la tête du péroné en haut et en arrière, retrouvée à l’examen clinique comparatif motivé par des douleurs externes du genou, sans signe de luxation ni d’hypermobilité. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 Elle fait souvent suite à une entorse du ligament latéral interne de la cheville par hyperabduction et éversion du pied ayant entraîné une ascension de la tête du péroné. Elle peut également être liée à des réceptions itératives de sauts ou à un travail intensif des ischio-jambiers comportant des tractions bicipitales répétées de la tête du péroné. L’examen de la région externe du genou, comparativement au côté opposé, en décubitus dorsal et genoux demi-fléchis, retrouve un positionnement plus haut de la tête du péroné. La mobilisation de la tête du péroné vers l’avant et le dehors (sujet en décubitus dorsal ou à genoux) est limitée. L’abaissement de la tête du péroné par l’inversion de la cheville est très limité. Tous les mouvements imprimés à l’articulation péronéotibiale supérieure, ainsi que la flexion maximale du genou – le pied étant en rotation externe –, déclenchent des douleurs. Le traitement consiste en une mobilisation réductrice de l’articulation péronéotibiale supérieure, le patient étant installé en décubitus dorsal et genoux demi-fléchis. Le thérapeute a une main dans le creux poplité, l’éminence thénar étant placée en arrière et en haut de la tête du péroné. De l’autre main, après avoir empaumé le cou-depied, il induit des mouvements de rotation externe et de flexion du genou, alors que la main placée dans le creux poplité impose à la tête du péroné un glissement antérieur et inférieur. Ligament latéral externe Bursite poplitée Ligament poplité arqué Tendon du biceps fémoral Muscle poplité Figure 1. Face postérieure du genou : le muscle poplité et ses principaux rapports. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 DIAGNOSTICS D’ÉLIMINATION DE DOULEURS MÉCANIQUES EXTERNES DU GENOU ✔ Tendinite poplitée Le muscle poplité est un muscle mono-articulaire du genou, court, aplati et triangulaire. Son corps musculaire charnu s’insère à la face postérieure du tibia et se termine par un tendon qui s’engage sous la voûte du ligament poplité arqué, au niveau de l’interligne articulaire du genou, pénétrant ainsi dans la capsule après avoir envoyé des expansions sur le bord postérieur du ménisque externe (figure 1). Son trajet se poursuit entre le ligament latéral externe et le ménisque externe, dont il est séparé par une bourse séreuse pouvant communiquer avec la cavité fémoro-tibiale à travers un repli synovial et avec la cavité péronéotibiale supérieure. Le tendon se termine en s’insérant dans une fossette en dessous et en arrière de la tubérosité du condyle externe. Le muscle poplité est le muscle fléchisseur et rotateur interne du tibia. Il s’oppose à la poussée en avant du fémur sur le plateau tibial et surtout initie et maintient la rotation interne du tibia sous le fémur, contrairement à la bandelette ilio-tibiale et au biceps fémoral, qui sont des rotateurs externes. Par ce rappel en rotation interne, il protège des mouvements traumatisants en valgus/rotation externe lors des marches ou courses en descente, lorsque le genou est en flexion de 30 à 45°. Il complète donc l’action du ligament croisé postéro-interne. C’est pourquoi son travail est augmenté lors d’une course en descente ou d’une randonnée avec sac à dos chargé, l’appui du pied en flexion étant alors associé à une poussée accrue. La tendinite du poplité est rare. Elle survient chez le jogger et presque toujours en descente, lorsque le terrain sollicite une hyperpronation du pied. La douleur siège juste au-dessus de l’interligne externe, en avant du ligament latéral externe. Elle est reproduite à l’examen par : – Le test d’étirement : patient en décubitus dorsal, hanche en abduction-flexion-rotation externe et genou fléchi à 90°, la malléole externe reposant sur le genou opposé. – Les tests isométriques de rotation interne résistée du tibia (deux tests) : • patient debout, avec appui au sol du membre inférieur concerné, en fente avant à 60° de flexion du genou et rotation externe de jambe. L’examinateur induit un valgus de la jambe en 19 TRANSVERSAL appliquant une poussée vers le dedans sur la face externe du genou ; le patient doit résister à la force valgisante. Le muscle poplité se contracte alors pour s’opposer à la rotation externe reproduisant la douleur ; • patient en procubitus, genou fléchi à 30-45° et tibia en rotation externe maximale maintenue par l’examinateur. Celui-ci demande alors au patient d’effectuer une rotation interne contre la résistance qu’il oppose, reproduisant ainsi la douleur. – La pression du condyle externe réveille la douleur au-dessus de l’interligne articulaire fémorotibial, en arrière du fascia lata et en avant du biceps fémoral et du ligament latéral externe (figure 2). – La rotation externe résistée est indolore, éliminant une tendinite bicipitale ou une lésion de la bandelette ilio-tibiale. – Une entorse du ligament latéral externe ou une lésion méniscale externe doivent être éliminées. ✔ Tendinite du biceps fémoral Elle est rare et favorisée surtout par les courses de haies, le saut en longueur et le triple saut. Elle peut s’accompagner d’une bursite. Elle entraîne une douleur spontanée à la face externe du genou, surtout dans les mouvements de rotation. Le point douloureux est situé de 1 à 2 cm au-dessus de la tête du péroné, sur le tendon du biceps ; la rotation externe résistée déclenche la douleur, ainsi que l’étirement du tendon en rotation interne forcée. Bandelette ilio-tibiale ou fascia lata Point douloureux de la tendinite poplitée Tendon du biceps fémoral Figure 2. Face externe du membre inférieur : siège de la tendinite poplitée. 20 ✔ Syndrome de la bandelette ilio-tibiale (tenseur du fascia lata) ou syndrome de “l’essuie-glace” C’est une affection survenant plus particulièrement chez les coureurs de fond, et parfois chez les cyclistes. Elle correspond à une tendinite de la bandelette ilio-tibiale, pouvant s’accompagner dans 30 % des cas d’une bursite (figure 3). Elle est liée à la répétition des mouvements de flexion/extension du genou, qui provoquent des microlésions des fibres collagènes par frottement sur le tubercule de Gerdy du condyle externe. Elle se traduit par des douleurs du compartiment externe du genou irradiant parfois à la face externe de la cuisse. Elle est favorisée par un genu varum et des courses de longue distance sur terrain dur. Les douleurs sont liées à l’effort au début puis surviennent de plus en plus précocement au cours de l’effort. Enfin, elles gênent les activités quotidiennes (la montée ou la descente des escaliers ou des trottoirs, voire la marche elle-même, qui se fait genou tendu pour éviter la douleur). Le diagnostic repose sur la positivité de deux tests : – Le test de Renne : douleur spontanée en appui monopodal et flexion du genou à 30-40°. Ce test peut être sensibilisé par des petits mouvements d’oscillation verticale. – Le test de Noble : la pression directe sur la face externe du condyle, à 3 cm au-dessus de l’interligne articulaire, réveille la douleur lors de la mise en extension passive du genou et du passage à environ 30° de flexion. Ce test peut être sensibilisé en varus. ✔ Périméniscite du ménisque externe Elle provoque des douleurs du compartiment externe à la marche (de survenue parfois brutale chez des patients de plus de 50 ans). L’examen retrouve un point douloureux précis en regard de l’interligne fémorotibial externe. L’IRM établit le diagnostic en montrant un hypersignal de la périphérie du ménisque lié à une désinsertion périphérique très localisée. Elle s’associe parfois à un kyste méniscal externe. L’injection locale de corticoïdes, couplée à un test anesthésique, soulage le patient et apporte la confirmation diagnostique. ✔ Lésion méniscale externe Elle sera évoquée en présence de l’association : douleurs, parfois gonflement après un épisode de blocage, antécédent de pseudo-blocages. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 L’examen retrouve une positivité des manœuvres de Mac Murray et du grinding test ainsi qu’un point douloureux précis sur l’interligne articulaire. L’IRM permet de faire un premier bilan lésionnel. Bandelette ilio-tibiale et bursite Ligament latéral externe Tendon du muscle poplité ✔ Séquelles d’entorses du ligament latéral externe : point douloureux précis à son insertion condylienne ou tibiale ou le long du ligament. L’IRM est utile quand elle objective une inflammation locale. ■ Tendon du biceps fémoral POUR EN SAVOIR PLUS ... ■ Bard H. Les tendinites du genou. Rev Rhum 1998;65(7): 119 SP-130 SP. Figure 3. Face externe du genou : syndrome de la bandelette ilio-tibiale et ses rapports anatomiques. ■ Danovsky RG, Chanussot JC. Traumatologie du sport. Paris : Masson, 2001. ■ Chevallier JM. Anatomie de l’appareil locomoteur. Paris : Flammarion Médecine Sciences, 1998. Agenda 15es Journées francophones d’électroneuromyographie Grenoble, 15-17 mars 2006 ENMG 2006 Conférences : Techniques fondamentales d’électrophysiologie neuromusculaire. Neuropathies, myopathies, canalopathies. Pathologies du motoneurone. Stratégies d’exploration, recommandations de bonne pratique. Sport et pathologie neuromusculaire. Électrophysiologie périnéale. ENMG et intelligence artificielle en 2006. Président d’honneur : Pr Jean Perret Comité scientifique : Emmanuel Fournier (Paris), Michel Magistris (Genève), Jean Pouget (Marseille), Christophe Vial (Lyon). Organisation générale, renseignements et inscriptions : Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2006 Organisation scientifique : Annick Labarre-Vila UF ENMG et pathologie neuromusculaire Département de neurologie 38043 Grenoble Cedex 9 Tél. : 33 (0)4 76 76 56 20 – Fax : 33 (0)4 76 76 59 28 [email protected] Dominique Chaboud-Aubry (Dijon), Catherine Garbay (Grenoble), Guy Chauplannaz (Lyon), Françoise Reymond (Grenoble), Pierre Soichot (Dijon), Danielle Ziebelin (Grenoble). 21