Gilbert Achcar - 2011 Page 2
implique automatiquement un risque de guerre froide ? Dans la perspective
qu’on appelle structuraliste en relations internationales, la montée d’une
nouvelle puissance crée inévitablement une tension avec la puissance qui existe
dans le cadre de rapports de puissance conçus comme « jeu à somme nulle ». Je
pense toutefois qu’il ne s’agit pas d’une fatalité structurelle, mais d’une décision
politique. En dernière analyse, ce qui est déterminant, c’est l’attitude adoptée par
la puissance du moment, à savoir les Etats-Unis. L’attitude de Washington est
déterminante : elle l’a été jusqu’ici, et elle l’est de manière accrue. Les Etats-
Unis, aujourd’hui comme hier, tentent de contrecarrer cette montée de la Chine.
Ils ont mis en place ce qui est perçu, vu de Pékin, comme un encerclement
stratégique. S’ils maintiennent ce comportement, la dynamique de guerre froide,
qui existe déjà, va certainement s’envenimer. J’avais intitulé « La nouvelle
guerre froide » mon livre de 1999, paru juste après la guerre du Kosovo. Cette
formule de « nouvelle guerre froide » désignait les tensions croissantes entre
Moscou et Pékin d’une part, et Washington de l’autre. L’évolution de la
situation internationale me semble avoir confirmé ce pronostic sur la tendance
de relations politico-militaires entre ces puissances. Avec ce qu’on a appelé le
« moment unipolaire », le triomphalisme des Etats-Unis a inspiré une politique
hégémonique non plus seulement envers les vassaux traditionnels de
Washington, mais également envers Moscou et Pékin, et cela non seulement
sous l’administration de George W. Bush, mais depuis les années 1990-91. La
gestion de cette politique impériale par George W. Bush s’est soldée par le bilan
désastreux que l’on sait, mettant en cause la crédibilité même des Etats-Unis en
tant qu’« hyperpuissance ». La crise économique a encore renforcé cette baisse
de prestige. Aujourd’hui Washington procède à un réexamen de sa politique,
avec une administration Obama encline à adopter à l’égard de Moscou et de
Pékin une attitude plus conciliante. A terme, soit Washington parvient dans
l’intérêt du monde entier, comme dans celui de la population des Etats-Unis, à
s’accommoder d’un modus vivendi international sur la base des institutions
collectives, de l’ONU et du droit international, et la dynamique de guerre froide
pourrait être enrayée ; soit Washington, notamment après un changement
d’équipe au sommet (qui est possible à court terme), continue de mener une
politique agressive sur les pourtours de la Chine et de la Russie, auquel cas il est
évident que la dynamique de guerre froide va s’intensifier. Pour l’instant, la
Chine est loin de la parité avec les Etats-Unis sur le plan militaire. Ces derniers
demeurent la première puissance militaire mondiale, et de loin, dépensant à eux
seuls dans ce domaine l’équivalent de ce que dépense le reste du monde. Les
dépenses militaires chinoises sont très modestes en comparaison des dépenses
militaires américaines. Elles progressent rapidement néanmoins, en parallèle
avec la position économique de la Chine. A cet égard, c’est le volume global du
PIB qui est déterminant, et non le PIB par habitant sur le plan duquel la Chine
restera encore longtemps loin des Etats-Unis. Les dépenses militaires états-
uniennes sont à hauteur de près de 5% du PIB, ce qui est énorme. Avec un PIB