Mémoire sur le désenclavement annuel de l’île d’Anticosti et de la Basse-Côte-Nord Présenté au ministère des Transports du Québec Préparé conjointement par les Associations touristiques régionales de Manicouagan et Duplessis Août 2015 Description de Tourisme Côte-Nord|Manicouagan et Tourisme Côte-Nord|Duplessis Tourisme Côte-Nord|Duplessis et Tourisme Côte-Nord|Manicouagan sont reconnus et mandatés par le gouvernement du Québec en matière de concertation régionale, d’accueil, d’information, de signalisation, de promotion et de développement touristique pour la région. Le ministère du Tourisme du Québec reconnaît ces partenaires pour établir les priorités, les grandes orientations et les actions stratégiques qui assurent le rayonnement de la Côte-Nord. Depuis 2012, les deux Associations touristiques régionales (ATR) de la Côte-Nord unissent leurs forces dans la mise en œuvre d’un plan commun, soit le Plan stratégique de développement touristique Côte-Nord (PSDTCN) 2013-2020. Portrait de la situation en Basse-Côte-Nord et à l’île d’Anticosti Les 15 communautés qui forment la Basse-Côte-Nord comptent 6 000 habitants sur 400 km de côte. Sur l’île d’Anticosti les quelques 200 résidants sont regroupés dans le seul village, soit Port-Menier. Le territoire d’une superficie de plus de 7 000 km2 en fait la plus grande île du Québec. Voici quelques éléments permettant de mieux comprendre la réalité de ces populations : Les seuls moyens pour se déplacer sur l’ensemble de la Basse-Côte-Nord sont l’avion, le bateau et la motoneige. L’île d’Anticosti n’est accessible que par bateau et par avion. Force est de constater que cet isolement entraîne des contraintes nuisant à la prospérité économique et sociale de ces territoires. Lorsque vient le temps d’aller au cégep ou à l’université (et même au secondaire) pour préparer leur avenir professionnel, les jeunes n’ont pas la possibilité de le faire sur place. Après leurs études, la faible diversité des emplois disponibles en décourage plusieurs à revenir. Il y a donc peu ou pas de relève, des fermetures de commerces, d’école, etc. Constatant l’intérêt grandissant dont fait preuve la clientèle touristique face à ces deux territoires du Québec que sont la Basse-Côte-Nord et l’île d’Anticosti, on y voit une avenue à exploiter pour créer de l’emploi, attirer de nouvelles familles et revitaliser les lieux. Il faut toutefois beaucoup de détermination et d’argent pour arriver à investir dans des infrastructures touristiques. Les promoteurs doivent dépenser des sommes immenses en transport de matériel par avion et par bateau. Leur marge de manœuvre financière leur permettant de rentabiliser leurs investissements se voit donc amputée significativement. Côté financement, les programmes gouvernementaux ne tiennent malheureusement pas souvent compte de ces réalités. Il est donc très difficile d’y avoir accès. Prenons l’exemple du programme d’Aide au développement au nord du 49e parallèle (ADN 49) du ministère du Tourisme. Alors qu’il est prévu spécifiquement pour le développement touristique nordique, ses règles ne s’appliquent pas aux régions en émergence comme la Basse-Côte-Nord; on exige des projets de trop grande envergure par rapport à leur maturité touristique. Pourtant, le développement du Nord du Québec passe par l’essor économique de ces communautés. L’île d’Anticosti, quant à elle, est exclue de ce programme pour des raisons qui ne nous ont jamais été expliquées. Le simple fait de tenter d’offrir une belle assiette composée de produits frais est un enjeu. Le trajet complet du bateau cargo qui dessert ces communautés, le Bella Desgagnés, se déroule sur une semaine complète pour faire l’aller-retour à partir de Rimouski et couvrir 11 communautés de la Minganie et de la Basse-Côte-Nord. Lorsque le bateau arrive à destination, les fruits et légumes ont déjà perdu de la fraîcheur. La situation devient pire si, en raison de forts vents par exemple, le bateau est retardé dans son trajet, sans compter les bris qui surviennent régulièrement. Toute la chaine de livraison est compromise (nourriture, matériel, etc.). Au moment d’écrire ces lignes, le Bella Desgagnés est justement en arrêt pour réparation. Non seulement les communautés tardent alors à recevoir leurs livraisons, mais tous les séjours touristiques prévus doivent être annulés ou reportés. On constate encore une fois la fragilité du système de transport en place. Et que dire des touristes enthousiastes à l’idée de découvrir ces territoires vierges. S’ils prennent l’avion, ils devront payer des frais astronomiques pour pouvoir aller dans chacun des villages. S’ils utilisent le Bella Desgagnés, les frais de cabine (puisque des nuitées sont nécessaires) sont assez imposants1. Le transport est excessivement long (ex. : 7 heures entre Sept-Îles et Port-Menier). L’horaire de ce bateau, dont la première mission est d’approvisionner les communautés, ne permet que de courtes excursions dans certains villages. Les arrêts se font parfois la nuit. Ce fonctionnement n’optimise pas la découverte réelle des lieux, et ne favorise aucunement les retombées économiques locales. Force est de constater que malgré la volonté du milieu, les ressources en place n’arrivent pas toujours à réaliser pleinement leurs projets. Par exemple, depuis quelques années une corporation locale tente d’opérer une navette maritime entre Rivière-au-Tonnerre, premier village à l’ouest de la Minganie, et Port-Menier. N’y arrivant pas pour différentes raisons (ex. : recherche d’un capitaine, méconnaissance au niveau des délais d’obtention de permis, etc.), on perd un moyen facile d’accéder à l’île d’Anticosti. Des voyageurs qui auraient voulu utiliser ce service plus abordable que l’avion et plus rapide que le Bella Desgagnés doivent mettre une croix sur leur excursion. La saison hivernale La Route Blanche, tracé hivernal permettant de relier l’ensemble des villages de la Basse-Côte-Nord au reste du Québec, est un produit touristique à fort potentiel. Ce sentier 1 Le prix est de plus de 900 $ par personne pour une cabine avec 4 lits simples, donc partagée, pour faire l’aller-retour de Natashquan à Blanc-Sablon. motoneige permet de vivre une expédition à travers un territoire quasi vierge, ce qui en fait une expérience distinctive et mémorable. Pour les résidents, cette route est un mode de vie. Grâce à elle, la Basse-Côte-Nord s’anime; de nombreux carnavals se déroulent dans les communautés et les habitants s’y rendent en motoneige. Les commerçants remarquent rapidement l’effet positif de l’ouverture de ce sentier sur leur chiffre d’affaires. Malgré le temps requis pour voyager à motoneige d’un village à l’autre, le simple fait d’avoir une « route » a des bienfaits pour la population et l’économie locale. Néanmoins, la Route Blanche comprend de nombreuses lacunes sur lesquelles il est nécessaire de se pencher (signalisation déficiente, problèmes d’entretien, durée d’ouverture non optimale, etc.), en plus d’un manque d’arrimage au sentier Trans-Québec #3. Diversification économique La diversification de l’économie de la Côte-Nord, que ce soit à court, à moyen ou à long terme, passe indéniablement par la croissance de l’industrie touristique. Il s’agit de l’un des secteurs d’exportation les moins coûteux à développer et des plus rentables en création d’emplois. À l’échelle provinciale, l’industrie touristique rapporte 12,8 milliards de dollars par année, ce qui représente 2,55 % du PIB. Avec ses 32 103 entreprises et ses 344 494 emplois directs et indirects, le tourisme est un secteur économique majeur et son potentiel de croissance est indéniable2. En outre, le Québec, compte 21 ATR qui regroupent 9 651 organisations et entreprises, contribuant ainsi au développement et à la mise en valeur de l'industrie touristique québécoise. Spécifiquement sur la Côte-Nord, entre 2006 et 2010, le nombre de visites touristiques a augmenté de 13 %, passant de 393 000 à 444 0003. Ces performances sont le résultat d’efforts titanesques de l’industrie touristique à développer l’économie régionale. Selon l’Institut de la statistique du Québec, le secteur de l’hébergement et de la restauration emploie à lui seul plus de 3 500 personnes dans la région4. L’industrie touristique a également des impacts sociaux très importants. Les services et infrastructures développés pour les touristes apportent du dynamisme dans les localités. Source : ministère du Tourisme (2014), Le tourisme en chiffres. http://www.tourisme.gouv.qc.ca/publications/media/document/etudes-statistiques/Tourismechiffre-2015.pdf 3 Tourisme Québec et Statistiques Canada, Plan stratégique de développement et marketing de la Côte-Nord 2013-2018, page 8, tableau 1. ATR Manicouagan, ATR Duplessis, CRÉ Côte-Nord, Tourisme Québec. 4 Institut de la statistique du Québec, Emploi par industrie, selon les secteurs du SCIAN¹, Côte-Nord et Nord-du-Québec et ensemble du Québec, 2008-2012, [en ligne], consulté le 7 mai 2013, http://www.stat.gouv.qc.ca/regions/profils/profil09/societe/marche_trav/indicat/tra_industrie09.htm 2 Ils procurent un sentiment de fierté et d’appartenance à une région. Ils favorisent ainsi la rétention et la venue de nouvelles populations. Cela devient vital, notamment pour de petites localités qui sont en perte constante de population. Le contexte actuel de l’industrie touristique au Québec vient renforcer notre devoir de nous surpasser. Il est devenu primordial d’introduire de nouveaux marchés et de nous démarquer à l’échelle internationale. La Basse-Côte-Nord et l’île d’Anticosti sont des joyaux naturels qui permettent à la Côte-Nord de se distinguer en tant que destination touristique exotique et attrayante. Il est donc primordial d’offrir à ces territoires les conditions gagnantes permettant le développement touristique et visant à maximiser les retombées économiques locales. Par exemple, le produit « nature » attire la clientèle voyageant en véhicules récréatifs; mais sans accessibilité, nous privons la Basse-Côte-Nord et l’île d’Anticosti d’importants revenus. Plusieurs efforts sont déployés par le milieu pour faire du tourisme une industrie viable, tels que : regroupement de sept organismes régionaux pour l’embauche d’un consultant en tourisme pour accompagner la Basse-Côte-Nord durant 13 mois; participation active du milieu à la démarche de renforcement des pôles touristiques d’Anticosti et de la Basse-Côte-Nord dans le cadre de la mise en œuvre du Plan stratégique de développement touristique Côte-Nord 2013-2020; dépôt de projets touristiques dans le cadre du programme ADN 49 du ministère du Tourisme et de l’Entente de partenariat régional en tourisme pour la région de Duplessis; participation à des formations sur l’industrie touristique, le service à la clientèle, le Web 2.0 et la gouvernance; création de la coopérative Voyages Coste5 venant faciliter l’organisation des séjours pour la clientèle touristique; étude sur la faisabilité d’un lien inter rives entre la Côte-Nord et la Gaspésie (Havre-Saint-Pierre, Anticosti et Rivière-au-Renard); mise en service de navettes maritimes vers l’île d’Anticosti. Au fil des années, la qualité des services, de l’hébergement et des infrastructures touristiques s'est vue bonifiée. L’amélioration demeure en perpétuelle progression, mais a atteint un niveau intéressant permettant d’offrir ces destinations aux clientèles internationales. Mais pourquoi est-il donc si difficile d’amener la clientèle sur place? « La Coste est le résultat d’une concertation entre gens du pays. Elle a pris naissance en 2006 à Natashquan, village du poète bien connu Gilles Vigneault, lors d’un forum au cours duquel il fut décidé que l’approche coopérative permettrait au milieu de mieux se coordonner et d’articuler une offre profitable et pour les visiteurs et pour le milieu lui-même. Largement encouragée par les institutions en place, les élus et par le ministère du Tourisme du Québec, la Coopérative a vu le jour en 2009, après trois années de démarchage, d’études et diverses tournées sur le territoire. » http://www.voyagescoste.ca/historique_p_21_6.php 5 Le désenclavement annuel, plus qu’un besoin, une nécessité et une vision d’avenir pour le Québec En région éloignée, un des principaux enjeux pour la rétention de la population et la venue de visiteurs est l’accessibilité. Cette problématique est encore plus présente pour des milieux non reliés par la route. La population de la Basse-Côte-Nord et de l’île d’Anticosti est bien consciente qu’elle doit composer avec ce défi de taille, et ce, autant pour ses propres déplacements que pour diversifier son économie par le développement touristique. Les coûts exorbitants du transport aérien, additionnés à la vocation du bateau cargo responsable du transport maritime, sont des freins à l’arrivée de nouveaux habitants et de touristes. Depuis quelques années, la boucle du Circuit Grand-Nord reliant Baie-Comeau à Blanc-Sablon, en passant par Fermont et le Labrador (routes 389, 500 et 510), est de plus en plus utilisée : transport de marchandises, déplacement de la population locale, intérêt grandissant de la clientèle touristique. Des investissements se font progressivement, au Québec et au Labrador, afin d’améliorer les conditions routières par le pavage de celle-ci. Tourisme Côte-Nord|Duplessis et Tourisme Côte-Nord|Manicouagan ont entamé les démarches visant à établir des liens avec le Labrador pour travailler à la structuration et la promotion de l’offre de ce circuit. L’objectif est de créer éventuellement une route touristique officielle en boucle entre les deux provinces. En attendant, ce tracé s’adresse à une clientèle de niche en quête d’aventures originales. En 2009, l’arrivée de Voyages Coste a permis de simplifier la planification de séjours. En effet, en milieu isolé comme à l’île d’Anticosti et en Basse-Côte-Nord, la connaissance du territoire et de ses particularités est essentielle pour profiter pleinement de ses vacances. On doit aussi pouvoir compter sur des personnes ressources pour bien renseigner la clientèle. Cette agence offre le soutien aux visiteurs même durant le voyage. Il n’est pas rare que la température ou encore l’horaire du bateau fassent en sorte que les activités et services doivent être réorganisés en temps réel. Malgré les nombreux défis, on confirme l’attractivité de cette partie de la Côte-Nord, entre autres par l’augmentation de l’achalandage dans les bureaux d’accueil touristique à l’été 2014; Port-Menier : + 6 %, Blanc-Sablon : + 34 %. Au fil des années, Voyages Coste a également remarqué l’évolution positive de l’achalandage touristique par le nombre de ses forfaits vendus, passant de 630 en 2010 à 1 300 en 2014. Cependant, la coopérative constate que le potentiel est beaucoup plus grand. Certes, les infrastructures touristiques doivent poursuivre leur développement pour être en mesure d’accueillir plus de visiteurs. Toutefois, pour attirer des touristes internationaux, il faut arriver à obtenir de meilleurs tarifs. Il est inconcevable qu’un visiteur paie plus cher pour voyager sur notre territoire que pour un vol international6. Ces tarifs ne permettent pas d’être compétitifs et d’élargir nos marchés afin de rentabiliser les investissements des entreprises touristiques. 6 Un vol aller-retour Sept-Iles / Blanc-Sablon coûte aux alentours de 2 000 $. On doit ajouter environ 1 500 $ pour un vol aller-retour en provenance de Montréal. Nos solutions pour le désenclavement annuel Il est primordial de mettre en place des services de transport abordables, fiables et constants pour les communautés de la Basse-Côte-Nord et de l’île d’Anticosti. L’avenir social et économique de ces populations en dépend. Malgré les efforts du milieu, l’intervention gouvernementale s’avère cruciale. Voici quelques solutions qui, selon nous, permettront d’augmenter la fréquence des voyages, d’offrir des forfaits à prix compétitifs à la clientèle touristique, d’augmenter le volume de visiteurs et de développer une industrie touristique lucrative. C’est ainsi qu’en plus du Bella Desgagnés qui opère déjà, nous demandons : la participation financière gouvernementale récurrente : o pour un lien aérien annuel et journalier reliant Anticosti à Sept-Îles et Havre-Saint-Pierre (au même titre que les autres îles du Québec dont le transport est subventionné) o pour la navette Port-Menier maritime opérant entre Rivière-au-Tonnerre o pour le transport aérien annuel en Basse-Côte-Nord et la participation active du ministère des Transports au comité ad hoc (en cours de formation) pour trouver des solutions permanentes aux lacunes de la Route Blanche la poursuite de la participation financière gouvernementale à la consolidation de Voyages Coste (par le biais du ministère du Tourisme) l’amélioration de la Route 389 (de Baie-Comeau à Fermont) pour créer une boucle avec Terre-Neuve-Labrador (conditions routières, téléphones satellites pour sécuriser les voyageurs, etc.) La professionnalisation des ressources humaines en région est également un enjeu majeur. Chaque action à entreprendre doit inévitablement prévoir un aspect « coaching » permettant de développer l’expertise directement dans les communautés, de façon à pérenniser chacune des initiatives. Réflexions futures Il faut se rappeler que lorsqu’une région est enclavée, son plein développement est freiné, voire impossible. C’est pourquoi, nous saluons l’initiative du gouvernement du Québec de lancer une consultation publique sur le désenclavement de l’île d’Anticosti et de la Basse-Côte-Nord. Nous croyons qu’il faut faire preuve de créativité dans la recherche de solutions. Des idées comme une navette maritime rapide ou une coopérative locale de gestion du transport aérien et maritime ont été soulevées dans les dernières années et mériteraient certainement d’être approfondies. Malgré ce qui précède, nous suggérons qu’une étude complète du sujet soit réalisée et travaillée en comité afin de s’assurer de bien choisir le système de transport annuel en fonction de son efficacité et de ses coûts de gestion. Rappelons qu’un système fiable, constant, abordable et adapté aux besoins du milieu est essentiel pour travailler à la mise en marché et obtenir des retombées significatives pour ces communautés. L’attractivité de ces territoires étant démontrée, il est primordial de poursuivre les efforts de développement économique et touristique. Tourisme Côte-Nord|Duplessis et Tourisme Côte-Nord|Manicouagan seraient ravis de participer activement aux réflexions futures. Notons que les initiatives gouvernementales en matière de tourisme, qui se retrouvent dans la Stratégie Saint-Laurent et le Plan Nord, comprennent les territoires de la Basse-Côte-Nord et de l’île d’Anticosti. Ces joyaux naturels sans pareil peuvent contribuer à l’essor économique du Québec, à condition qu’on leur en donne les moyens.