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Mirko Beljanski dans son laboratoire à Châtenay-Malabry en 1982.
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Traitement du cancer : quatre études
récentes menées aux États-Unis ont
confirmé les résultats obtenus par Mirko
Beljanski. Il est resté vingt-huit ans à
l’Institut Pasteur, mais a été entravé,
persécuté, et l’on a tout fait pour détruire
ses années de recherches et les produits
qu’il avait mis au point. Focus sur ses
découvertes et un scandale à la française.
habiliter
BELJANSKI ?
Qui
osera
© The Beljanski Foundation, Inc.
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Le 9 octobre 1996, à 6 heures du matin, une vaste opération poli-
cière dont le nom de code est ISA 2 commence. Quatre-vingts
gendarmes et policiers, dont des membres du GIGN (Groupe d’intervention
de la gendarmerie nationale), sont mobilisés près du village de Saint-Prim
(Isère). En quelques minutes, le lieu cible, le laboratoire du docteur en
biochimie Mirko Beljanski, est investi. Dans les locaux, les dossiers, la cor-
respondance, les cahiers d’expérience ainsi que le matériel – matières pre-
mières, échantillons pour analyse, ordinateurs, etc. – sont emportés (aucun
procès-verbal des objets et des documents saisis ne sera jamais remis aux
intéressés). Comme une lettre anonyme dénonçait des caches secrètes, les
murs sont auscultés et les caves sondées. Des scellés sont posés partout,
seule une partie du laboratoire reste accessible. Au fur et à mesure de leur
arrivée, les membres du personnel sont arrêtés et interrogés. Certains sont
conduits au dépôt de Vienne pour être interrogés et quelques-uns mis en
garde à vue.
Mirko Beljanski, 73 ans, est arrêté, menotté et conduit à Paris pour être mis
au dépôt. Le même jour et à la même heure, Monique Beljanski, qui se trouve
dans la capitale, reçoit la visite de quatre policiers qui fouillent tout, sai-
sissent des papiers, des documents, du matériel informatique et des gélules.
Haro
sur le savant
hérétique !
Mirko Beljanski est né le 27 mars
1923 à Turija (Yougoslavie) d’un père
mécanicien et d’une mère couturière. Il
obtient une bourse de l’OMS pour poursuivre
ses études, et choisit pour ce faire la France
(il s’y installe en 1945 et obtiendra la
nationalité française en 1966).
En 1948, il entre à l’Institut Pasteur
dans le service de chimie biologique du
professeur Michel Macheboeuf. Il y prépare
sa thèse de doctorat d’État : Étude de
souches bactériennes résistantes à des
antibiotiques ; comparaison avec des
souches sensibles de même espèce.
En 1951, il devient docteur ès sciences et
est engagé comme biologiste et chercheur
au CNRS pour travailler à l’Institut Pasteur.
Au CNRS, il sera successivement : attaché,
maître, directeur de recherche, puis directeur
de recherche honoraire (à sa retraite en
1988).
Toujours en 1951, il épouse Monique, fille
du professeur René Lucas. Elle passe un
diplôme de technicienne de laboratoire pour
travailler avec son mari.
Août 1952, décès du professeur
Macheboeuf, qui est remplacé par Jacques
Monod, ce qui marquera le début des
difficultés pour les époux Beljanski.
De 1956 à 1958, Beljanski travaille à
l’université de New York comme chercheur
associé du professeur Severo Ochoa,
Prix Nobel de médecine (1959) pour ses
découvertes sur la synthèse des acides
ribonucléique et désoxyribonucléique.
En 1960, il reçoit avec Roger Monier le prix
Charles-Léopold-Mayer de l’Académie des
sciences de l’Institut de France pour leur
travail sur le rôle de l’ARN dans le processus
de synthèse des protéines.
1971, Jacques Monod devient directeur
de l’Institut Pasteur et le restera jusqu’à
Dates clés de la vie de Beljanski
Un matin d’octobre
1996, une opération
policière d’envergure
nationale est lancée
contre Mirko Beljanski…
Le point d’orgue d’une
carrière marquée par un
véritable harcèlement
institutionnel.
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Le soir, elle est conduite à Fontai-
nebleau dans une petite maison de
campagne, celle de ses parents. Une
lettre anonyme affirmait qu’il s’y
trouvait une unité de fabrication
cachée dans la cave, mais « il n’y
avait que des araignées », commente
Monique Beljanski1, qui fut interro-
gée toute la nuit, toute la journée
du lendemain et gardée au dépôt de
Créteil la nuit suivante.
Même les malades…
Toujours ce 9 octobre, une soixan-
taine de perquisitions et de saisies
sont effectuées simultanément dans
toute la France. La police fait irrup-
tion au domicile de malades pour
saisir livres, cassettes, documents,
gélules… Certains patients sont in-
terrogés au commissariat une bonne
partie de la nuit, tel ce malade âgé
de 75 ans, souffrant d’un cancer
(dix-huit ans de recul pour ce pre-
mier cas traité par Mirko Beljanski),
et à qui l’on confisque ses gélules
et qu’on relâche en pleine nuit. De
même pour le président de l’asso-
ciation CCS (Collectif cancer sida),
Marc Crouzier, qui, bien que grave-
ment malade du sida, sera détenu
dix heures. Ce type d’expérience est
déjà éprouvant pour des personnes
en bonne santé, que dire pour des
malades !
Quant à Mirko Beljanski, après
48 heures de garde à vue, il est placé
sous contrôle judiciaire, son pas-
seport est confisqué, et il lui est
interdit de parler de ses produits,
de publier des articles scientifiques,
de rencontrer des journalistes, d’as-
sister à des colloques scientifiques,
etc. On demande au couple Beljanski
une caution de 350 000 francs. Mirko
vend ses brevets à sa fille, avocate
aux États-Unis, via Natural Source,
pour payer sa caution. Il assura éga-
lement ainsi la survivance de ses
brevets.
Parcours d’un combattant
L’opération ISA 2, même si elle est un
épisode déterminant dans la vie de
Beljanski, parce qu’à sa suite le cher-
cheur a déclaré une leucémie myé-
loïde aiguë dont il décédera deux
ans plus tard, n’a pas été le seul de
ses obstacles. Elle a été précédée de
sa mort en 1976. François Gros lui
succédera jusqu’en 1981.
En 1972, Mirko Beljanski et Pierre
Manigault publient leur découverte sur
la transcriptase inverse de l’ADN.
En 1975-1976, Beljanski met au point
l’Oncotest, qu’il présente en 1979.
En mars 1978, Monique Beljanski (alors
aide-chimiste et bactériologiste au
CNRS), écœurée par la façon dont son
mari est traité (on lui interdit l’accès à
divers services), a une altercation avec
Michel Goldberg, conseiller scientifique
de l’Institut Pasteur. Le lendemain,
l’accès à l’Institut Pasteur lui est interdit
et Mirko Beljanski est sommé de quitter
son laboratoire à la fin du mois.
De 1978 à sa retraite professionnelle
en 1988, Mirko Beljanski travaille au
sein de la faculté de pharmacie de
Châtenay-Malabry, qu’il a rejointe avec
une équipe de quatre personnes, dont
son épouse. On met à leur disposition
deux grandes salles, mais aucun crédit,
si ce n’est les 3 000 francs annuels
alloués par le CNRS.
En 1980, Beljanski met au point un
anticancéreux, le PB-100, issu du pao
pereira.
À partir de la fin de 1986, Beljanski
poursuit ses travaux comme directeur
scientifique du Centre de recherche
biologique (CERBIOL), et il est président
du Centre d’innovations, de recherches
et d’informations scientifiques (CIRIS) à
Saint-Prim dans l’Isère, des laboratoires
privés créés pour son activité.
Mirko Beljanski décède le 27 octobre
1998. Il laisse une œuvre importante
recensée dans 133 publications
scientifiques, la plupart dans des revues
à comité de lecture.
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Mirko Beljanski à Châtenay-Malabry en 1982.
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décennies de freins et d’empêche-
ments qui ont commencé en 1953,
à l’Institut Pasteur, quand Jacques
Monod devint le supérieur direct de
Beljanski. Que ce soit avec Monod ou
avec François Gros, qui lui succédera
en 1976, et qui est tristement célèbre
pour son rôle actif dans l’affaire du
sang contaminé2, Beljanski a affronté
des restrictions de toutes sortes (en
collaborateurs, en espace, en équipe-
ment, en budget, etc.), mais aussi des
intimidations, du chantage, des cam-
pagnes de dénigrement, des mises en
accusation, et ainsi de suite. Freiner
sa recherche ne suffisait pas, il fal-
lait aussi étouffer ses résultats ; pire,
les faire disparaître. Le 7 août 1997,
dans la conclusion de son procès-ver-
bal de synthèse3, l’officier de police
judiciaire Kentzinger écrit : « Il serait
souhaitable que les dossiers médicaux
saisis ainsi que les documents relatifs
à ces essais, les courriers des malades,
les fichiers (adhérents-malades) soient
détruits pour éviter une réitération des
faits, mais surtout pour garantir le secret
médical et ainsi respecter la confidentia-
lité de ces renseignements. » Alors que,
comme le fait remarquer Monique
Beljanski4, la fonction de cet officier
de police est de veiller à la conserva-
tion des preuves, lesquelles étaient
constituées de documents fournis par
les malades eux-mêmes, qui ne sont
nullement tenus au secret médical.
Plus tard, en février 2001 au tribunal
de Créteil, en conclusion d’un procès
pour exercice illégal de la médecine,
la condamnation consistera en 18
mois de prison avec sursis pour Mo-
nique Beljanski, deux cent mille francs
d’amende et la destruction des carnets
scientifiques de Mirko Beljanski, ainsi
que des témoignages des malades et
des pièces du dossier d’autorisation de
mise sur le marché (AMM) !
Cependant, le 27 septembre 2002, le
jugement du tribunal d’appel de Paris
annule toutes les poursuites (fraude
sur les produits, fraude fiscale, etc.)
autres que l’exercice illégal de la méde-
cine et de la pharmacie, mais la France
sera condamnée. En effet, le 7 février
2002, la Cour européenne des droits de
l’homme, dans un arrêt rendu à l’una-
nimité et intitulé « Beljanski contre
France », a condamné cette dernière
pour ne pas avoir respecté un délai
raisonnable qui aurait dû permettre à
Mirko Beljanski de faire reconnaître la
valeur scientifique de ses travaux.
Comme le fait remarquer Monique
Beljanski : « Ce qui est frappant dans
l’œuvre de la justice française, c’est la
volonté concertée non pas de faire jus-
tice mais de faire disparaître l’œuvre de
Mirko5. »
« Ce qui est frappant
dans lœuvre de la justice
française, c’est la volonté
concertée non pas de
faire justice mais de faire
disparaître lœuvre de
Mirko. »
Monique Beljanski
Qu’a donc fait cet homme pour méri-
ter un tel traitement ? Il a, en premier
lieu, découvert la transcriptase in-
verse de l’ADN chez la bactérie, autre-
ment dit l’ARN6 peut transmettre de
l’information à l’ADN. Mirko Beljanski
et Pierre Manigault7 publient cette
découverte en 19728 alors que Jacques
Monod avait écrit deux ans aupara-
vant dans Le Hasard et la Nécessité : « Il
n’est ni observé, ni d’ailleurs concevable,
que de “l’information” soit jamais trans-
férée dans le sens inverse, c’est-à-dire de
protéine à ADN. Cette notion repose sur un
ensemble d’observations si complètes et si
sûres, aujourd’hui, et ses conséquences
en théorie de l’évolution notamment sont
si importantes, qu’on doit la considérer
comme l’un des principes fondamentaux
de la biologie moderne. » Ce principe
fondamental, Monod ne supportait
pas qu’on le remît en cause. Il fit tant
pour que la trouvaille de Beljanski soit
occultée que c’est à des chercheurs
américains, principalement Howard
Temin, que l’on attribue l’entière pa-
ternité de cette découverte. Ce der-
nier a, en effet, découvert quelques
mois avant Beljanski la transcriptase
inverse, mais chez les virus, un orga-
nisme plus simple et surtout plus loin
de l’homme que la bactérie. En 1975,
Temin reçoit le prix Nobel de phy-
siologie ou médecine pour sa décou-
verte. Cependant, le 7 décembre 1989,
il publie une note dans la revue Nature
(volume 342, p. 624) pour déclarer
que c’est Mirko Beljanski le véritable
découvreur de la transcriptase in-
verse. Il faut dire que, si la France ne
voulait rien entendre des travaux du
chercheur, ils recevaient à l’étranger
un bel accueil, notamment aux États-
Unis et au Japon…
Deuxième pavé dans la mare
Alors que les recherches sur le can-
cer étaient cloisonnées, chaque
chercheur restant dans sa spécialité,
et se portaient sur les variations de
séquençage de l’ADN, Beljanski prit
une voie différente. Avec son équipe,
il a d’abord rassemblé, pour les com-
parer, une vaste gamme d’ADN de
cellules saines et de cellules cancé-
reuses provenant de plantes, d’ani-
maux et d’humains. En analysant les
ADN sains et les ADN cancéreux de
cellules provenant de tissus de même
catégorie (poumon sain/poumon
cancéreux, etc.), il fit une consta-
tation d’importance : tous les ADN
cancéreux, quelle que soit leur pro-
venance (humaine, animale ou végé-
tale), sont, comme Beljanski l’a qua-
lifié, « déstabilisés », car beaucoup
des liaisons hydrogène qui main-
tiennent entre elles les hélices de
l’ADN sont rompues sur une certaine
longueur. De ce fait, des portions
de brins d’ADN simple se retrouvent
à nu, exposées à toutes sortes de
Une vie decouvertes
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