RECHERCHE/cancer
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décennies de freins et d’empêche-
ments qui ont commencé en 1953,
à l’Institut Pasteur, quand Jacques
Monod devint le supérieur direct de
Beljanski. Que ce soit avec Monod ou
avec François Gros, qui lui succédera
en 1976, et qui est tristement célèbre
pour son rôle actif dans l’affaire du
sang contaminé2, Beljanski a affronté
des restrictions de toutes sortes (en
collaborateurs, en espace, en équipe-
ment, en budget, etc.), mais aussi des
intimidations, du chantage, des cam-
pagnes de dénigrement, des mises en
accusation, et ainsi de suite. Freiner
sa recherche ne suffisait pas, il fal-
lait aussi étouffer ses résultats ; pire,
les faire disparaître. Le 7 août 1997,
dans la conclusion de son procès-ver-
bal de synthèse3, l’officier de police
judiciaire Kentzinger écrit : « Il serait
souhaitable que les dossiers médicaux
saisis ainsi que les documents relatifs
à ces essais, les courriers des malades,
les fichiers (adhérents-malades) soient
détruits pour éviter une réitération des
faits, mais surtout pour garantir le secret
médical et ainsi respecter la confidentia-
lité de ces renseignements. » Alors que,
comme le fait remarquer Monique
Beljanski4, la fonction de cet officier
de police est de veiller à la conserva-
tion des preuves, lesquelles étaient
constituées de documents fournis par
les malades eux-mêmes, qui ne sont
nullement tenus au secret médical.
Plus tard, en février 2001 au tribunal
de Créteil, en conclusion d’un procès
pour exercice illégal de la médecine,
la condamnation consistera en 18
mois de prison avec sursis pour Mo-
nique Beljanski, deux cent mille francs
d’amende et la destruction des carnets
scientifiques de Mirko Beljanski, ainsi
que des témoignages des malades et
des pièces du dossier d’autorisation de
mise sur le marché (AMM) !
Cependant, le 27 septembre 2002, le
jugement du tribunal d’appel de Paris
annule toutes les poursuites (fraude
sur les produits, fraude fiscale, etc.)
autres que l’exercice illégal de la méde-
cine et de la pharmacie, mais la France
sera condamnée. En effet, le 7 février
2002, la Cour européenne des droits de
l’homme, dans un arrêt rendu à l’una-
nimité et intitulé « Beljanski contre
France », a condamné cette dernière
pour ne pas avoir respecté un délai
raisonnable qui aurait dû permettre à
Mirko Beljanski de faire reconnaître la
valeur scientifique de ses travaux.
Comme le fait remarquer Monique
Beljanski : « Ce qui est frappant dans
l’œuvre de la justice française, c’est la
volonté concertée non pas de faire jus-
tice mais de faire disparaître l’œuvre de
Mirko5. »
« Ce qui est frappant
dans l’œuvre de la justice
française, c’est la volonté
concertée non pas de
faire justice mais de faire
disparaître l’œuvre de
Mirko. »
Monique Beljanski
Qu’a donc fait cet homme pour méri-
ter un tel traitement ? Il a, en premier
lieu, découvert la transcriptase in-
verse de l’ADN chez la bactérie, autre-
ment dit l’ARN6 peut transmettre de
l’information à l’ADN. Mirko Beljanski
et Pierre Manigault7 publient cette
découverte en 19728 alors que Jacques
Monod avait écrit deux ans aupara-
vant dans Le Hasard et la Nécessité : « Il
n’est ni observé, ni d’ailleurs concevable,
que de “l’information” soit jamais trans-
férée dans le sens inverse, c’est-à-dire de
protéine à ADN. Cette notion repose sur un
ensemble d’observations si complètes et si
sûres, aujourd’hui, et ses conséquences
en théorie de l’évolution notamment sont
si importantes, qu’on doit la considérer
comme l’un des principes fondamentaux
de la biologie moderne. » Ce principe
fondamental, Monod ne supportait
pas qu’on le remît en cause. Il fit tant
pour que la trouvaille de Beljanski soit
occultée que c’est à des chercheurs
américains, principalement Howard
Temin, que l’on attribue l’entière pa-
ternité de cette découverte. Ce der-
nier a, en effet, découvert quelques
mois avant Beljanski la transcriptase
inverse, mais chez les virus, un orga-
nisme plus simple et surtout plus loin
de l’homme que la bactérie. En 1975,
Temin reçoit le prix Nobel de phy-
siologie ou médecine pour sa décou-
verte. Cependant, le 7 décembre 1989,
il publie une note dans la revue Nature
(volume 342, p. 624) pour déclarer
que c’est Mirko Beljanski le véritable
découvreur de la transcriptase in-
verse. Il faut dire que, si la France ne
voulait rien entendre des travaux du
chercheur, ils recevaient à l’étranger
un bel accueil, notamment aux États-
Unis et au Japon…
Deuxième pavé dans la mare
Alors que les recherches sur le can-
cer étaient cloisonnées, chaque
chercheur restant dans sa spécialité,
et se portaient sur les variations de
séquençage de l’ADN, Beljanski prit
une voie différente. Avec son équipe,
il a d’abord rassemblé, pour les com-
parer, une vaste gamme d’ADN de
cellules saines et de cellules cancé-
reuses provenant de plantes, d’ani-
maux et d’humains. En analysant les
ADN sains et les ADN cancéreux de
cellules provenant de tissus de même
catégorie (poumon sain/poumon
cancéreux, etc.), il fit une consta-
tation d’importance : tous les ADN
cancéreux, quelle que soit leur pro-
venance (humaine, animale ou végé-
tale), sont, comme Beljanski l’a qua-
lifié, « déstabilisés », car beaucoup
des liaisons hydrogène qui main-
tiennent entre elles les hélices de
l’ADN sont rompues sur une certaine
longueur. De ce fait, des portions
de brins d’ADN simple se retrouvent
à nu, exposées à toutes sortes de
Une vie de découvertes
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