Physical review 15/05/1935 vol. 47
Peut-on considérer que la description quantique de la réalité physique est complète ?
A. Einstein, B. Podolsky et N. Rosen, Institute for Advanced Study, Princeton, New Jersey
Abstract :
Dans une théorie complète, il y a un élément correspondant à chaque élément de la réalité.
Une condition suffisante pour la réalité d’une quantité physique est la possibilité de la prédire
avec certitude, sans perturber le système. Dans la mécanique quantique, dans le cas de deux
quantités physiques décrites par des opérateurs non commutatifs, la connaissance de l’un
exclut la connaissance de l’autre. Donc, ou bien (1) la description de la réalité donnée par la
fonction d’onde dans la mécanique quantique n’est pas complète, ou bien (2) ces deux
quantités ne peuvent avoir une réalité simultanée. La considération du problème des
prédictions concernant un système sur la base de mesures faites sur un autre système qui a
déjà interagi avec lui auparavant conduit au résultat que si (1) et faux, alors (2) est également
faux. On est donc conduit à conclure que la description de la réalité telle que donnée par la
fonction d’onde n’est pas complète.
1
Toute considération sérieuse d’une théorie physique doit tenir compte de la distinction entre la
réalité objective, qui est indépendante de toute théorie, et les concepts physiques avec lesquels
la théorie opère. Ces concepts sont présumé correspondre à la réalité objective, et par le moyen
de ces concepts, nous nous décrivons la réalité à nous même.
Pour tenter de juger du succès d’une théorie physique, nous pouvons nous poser deux
questions : (1) « la théorie est elle correcte ? » et (2) « la description proposée par la théorie est-
elle complète ? ». C’est seulement lorsque qu’on peut donner une réponse positive aux deux
que les concepts de la théorie peuvent être considérés comme satisfaisants. La rectitude de la
théorie est jugée par le degré de cohérence entre les conclusions de la théorie et l’expérience
humaine. Cette expérience, qui seule nous rend capable de faire des inférences vers la réalité,
prend en physique la forme d’expérimentation et de mesure. C’est la seconde question que
nous voudrions considérer ici, dans son application à la mécanique quantique.
Quel que soit le sens donné au terme complet, l’exigence suivante pour une théorie complète
semble être indispensable : tout élément de la réalité physique doit avoir une contrepartie dans
la théorie physique. Nous nommerons cela la condition de complétude. La seconde question
reçoit alors une réponse aisée, dès lors que nous sommes aptes à décider des éléments de la
réalité physique.
Les éléments de la réalité physique ne peuvent être déterminés par des considérations
philosophique a priori mais doivent être fondés sur des résultats d’expérimentation et de
mesures. De toutes manières, une définition compréhensive de la réalité n’est pas nécessaire
pour notre propos. Nous nous satisferons du critère suivant, qui nous semble raisonnable : si,
sans aucune perturbation du système nous pouvons prédire avec certitude (c’est à dire avec
une probabilité égale à un) la valeur d’une quantité physique, alors, il existe un élément de la
réalité physique qui correspond à cette quantité physique. Il nous semble que ce critère, bien
qu’il soit loin d’englober toutes les voies possibles de reconnaissance d’une réalité physique,
nous en offre au moins une possible, chaque fois que les conditions définies par lui
apparaissent. Considéré comme une condition non pas nécessaire, mais seulement suffisante de
la réalité, ce critère est homogène avec l’idée tant classique que quantique du réel.
Pour illustrer les idées en question, considérons la description quantique du comportement
d’une particule ayant un degré 1 de liberté. Le concept fondamental de la théorie est celui
d’état, qui est supposé être complètement caractérisé par la fonction d’onde
R
, qui est une
fonction des variables choisies pour décrire le comportement des particules. Correspondant à
chaque quantité physiquement observable A, il y a un opérateur, qui peut être désigné par la
même lettre.
Si
ψ
est une fonction eingen de l’opérateur A, c’est à dire si :
a est un nombre, alors, la quantité physique A possède en toute certitude la valeur a, à
chaque fois que la particule est dans l’état donné par
R
. En accord avec notre critère de réalité,
pour une particule dans l’état donné par
R
, pour laquelle l’équation (1) est valide, il y a un
élément de la réalité physique correspondant à la quantité physique A. Posons par exemple,
h est la constante de Planck, p0 est une constante numérique , et x la variable indépendante.
Dès lors que l’opérateur correspondant au moment de la particule est :
on obtient :
Alors, dans l’état donné par l’équation (2), le moment possède en toute certitude la valeur p0.
Cela signifie par conséquent que le moment de la particule dans l’état donné par l’équation (2)
est réel.
D’un autre côté, si l’équation (1) n’est pas valide, nous ne pouvons plus parler de quantité
physique A ayant une valeur quelconque. C’est le cas, par exemple, avec le coordonné de la
particule. L’opérateur qui lui correspond, disons q, est l’opérateur de multiplication par la
variable indépendante.
Alors,
En accord avec la mécanique quantique, on est limité à dire que la probabilité relative qu’une
mesure du coordonné donne un résultat compris entre a et b est :
Dès lors que cette probabilité est indépendante de a, mais dépend uniquement de la différence
b a, nous voyons que toutes les valeurs du coordonné sont équiprobables.
Une valeur définie du coordonné, pour une particule dans un état donné par l’équation (2),
n’est plus prédictible, elle ne peut être obtenue que par mesure directe. Mais une telle mesure
perturbe de toutes façons la particule, et altère son état. Une fois le coordonné déterminé, la
particule ne sera plus dans l’état donné par l’équation (2). La conclusion habituelle de la
mécanique quantique à ce sujet, c’est que lorsque le moment d’une particule est connu, son
coordonné n’a pas de réalité physique.
Plus généralement, on montre en mécanique quantique, que si les opérateurs correspondant à
deux quantités physiques, disons A et B ne sont pas commutatifs, c’est à dire si AB BA, alors,
la connaissance précise de l’un d’eux exclut une connaissance équivalente de l’autre. Bien plus,
toute tentative de déterminer expérimentalement le dernier altèrera l’état du système de façon à
annihiler la connaissance du premier.
De là suit que ou bien (1) la description quantique de la réalité donnée par la fonction d’onde
n’est pas complète ou (2) lorsque les opérateurs correspondant à deux quantités physiques ne
sont pas commutatifs, les deux quantités ne peuvent avoir de réalité simultanée. Car si les deux
ont réalité simultanée – et donc une valeur définie – ces valeurs entreraient dans la description
complète, en accord avec la condition de complétude. Si donc la fonction d’onde offre une telle
description complète de la réalité, elle contiendrait ces valeurs. Celles-ci seraient donc
prévisibles. Mais comme ce n’est pas le cas, nous sommes réduits à l’alternative énoncée.
La mécanique quantique pose habituellement que la fonction d’onde contient effectivement une
description de la réalité physique d’un système, dans l’état auquel il correspond. A première
vue, cette position est parfaitement raisonnable car l’information accessible par la fonction
d’onde semble correspondre exactement à ce qui peut être mesuré sans altérer l’état du
système. Nous verrons cependant que cette position, associée au critère de réalité donné ci-
dessus, conduit à une contradiction.
2
Dans cette intention, supposons que nous ayons deux systèmes, I et II, auxquels nous
permettons d’interagir entre l’instant t = 0 et l’instant t = T. temps après lequel nous supposons
qu’il n’y a plus aucune interaction entre les deux parties. Nous supposons ensuite que les états
des deux systèmes avant t = 0 étaient connus. Nous pouvons alors calculer, à l’aide de
l’équation de Schrödinger, l’état du système combiné I + II à n’importe quel moment
consécutif. En particulier pour n’importe quel t > T . Désignons la fonction d’onde
correspondante par
Q
. Nous ne pouvons cependant pas calculer l’état dans lequel l’un des deux
système est laissé après l’interaction. Cela ne peut se faire, conformément à la mécanique
quantique, qu’à l’aide de mesures ultérieures, selon un procédé connu sous le nom de
réduction du paquet d’onde. Voyons l’essentiel de ce procédé.
Soient a1, a2, a3, … des valeurs eingen d’une quantité physique A appartenant au système I et
u1(x1), u2(x1), u3(x1), …, les fonctions eingein correspondantes où x1 remplace les variables
utilisées pour décrire le premier système. Alors
Q
, considéré comme une fonction de x1, peut se
formuler ainsi :
x2 remplace les variables utilisées pour décrire le second système. Ici, les
R
n(x2) ne sont à
regarder que comme les coefficients de l’expansion de
Q
en une série de fonction orthogonales
un(x1). Supposons maintenant que la quantité A est mesurée et qu’on trouve la valeur ak. On
conclut alors qu’après la mesure, le premier système est laissé dans l’état donné par la fonction
d’onde uk(x1) et que le second système est laissé dans l’état donné par la fonction d’onde
R
k(x2). Tel est le procédé de réduction du paquet d’onde ; le paquet d’onde donné par la série
infinie (7) est réduit à un simple terme :
R
k(x2)uk(x1).
Le jeu de fonctions un(x1) est déterminé par le choix de la quantité physique A. Si, à sa place,
on avait choisi une autre quantité, disons B, ayant les valeurs eingen b1, b2, b3, … et les
fonctions eingen v1(x1), v2(x1), v3(x1), …, nous aurions obtenu à la place de l’équation (7),
l’expansion :
où les nz sont les nouveaux coefficients. Si maintenant la quantité B est mesurée et qu’on lui
trouve la valeur br, nous concluons qu’après mesure, le premier système est laissé dans l’état
donné par vr(x1) et le second système est laissé dans l’état donné par nr(x2).
Nous voyons alors que comme une conséquence de la réalisation des deux mesures différentes
sur le premier système, le second système peut être laissé dans des états avec deux fonctions
d’ondes différentes. D’un autre côté, dès lors qu’au moment de la mesure, les deux systèmes
n’interagissaient plus, aucun changement réel ne peut avoir lieu dans le second système, en
conséquence d’éventuels événements du premier système. C’est bien évidemment, une quasi
définition de ce qu’on entend par absence d’interaction entre les deux systèmes. Dès lors, il est
possible d’assigner deux fonctions d’onde différentes (dans notre exemple,
R
k et
n
r) à la même
réalité (le second système après interaction avec le premier).
Or il peut arriver que deux fonctions d’onde,
R
k et
n
r, soient les fonctions eingen de deux
opérateurs non commutatifs correspondant à des quantités physiques, respectivement P et Q.
Un exemple montrera au mieux que cela puisse être effectivement le cas. Supposons que les
deux systèmes sont deux particules et que :
où x0 est une constante. Posons A le moment de la première particule ; alors, comme nous
l’avons vu dans l’équation (4), ses fonctions eingen seront :
correspondant à la valeur eingen p. dès lors que nous avons ici le cas d’un spectre continu,
l’équation (7) devra est désormais écrite :
où :
Or
R
p est la fonction eingen de l’opérateur :
correspondant à la valeur eingen – p du moment de la seconde particule. D’un autre côté, si B
est le coordonné de la première particule, il a pour fonction eingen :
correspondant à la valeur eingen x
δ
(x1 – x) est la fameuse delta-fonction de Dirac.
L’équation (8) devient dans ce cas :
où :
Or
n
z est la fonction eingen de l’opérateur :
correspondant à la valeur eingen x + x0 du coordonné de la seconde particule. Dès lors que :
nous avons montré qu’il est généralement possible pour
R
k et
n
r d’être les fonctions eingen de
deux opérateurs non commutatifs, correspondant à des quantités physiques.
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