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histoire
CELA S’EST PASAU 23 BOULEVARD POISSONNIÈRE
Le siège de l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière abrita, il y a un siècle et
demi, un foyer intellectuel de premier ordre, le salon de Madame Adam. Retour en
arrière sur cet épisode intellectuel qui façonna le destin de la République.
par Pierre Vican1
L’IEIF est logé depuis plus de dix ans dans les murs d’un
immeuble parisien, l’hôtel de Montholon. Ce bâtiment
historique, partiellement classé, de l’avenue fut édifié en
1785 par François Soufflot pour Nicolas de Montholon,
noble issu d’une ancienne famille de magistrats. Son
père, Pierre de Montholon, fut chevalier, et enseigne
des vaisseaux du roi. Nicolas devint à Paris membre de
la commission administrative des hospices, lorsqu’il fut
appelé en 1808 par le Sénat conservateur (voir l’encadré
« Quelques repères historiques ») à siéger dans le Corps
législatif comme député de la Seine2.
Lorsque l’on se rend à l’IEIF, on ne peut manquer de
remarquer le retrait de la façade du bâtiment, destiné
à réserver au premier étage une terrasse permettant de
jouir à l’époque de la verdure du boulevard. Cet immeuble
est aujourd’hui le seul à avoir été conservé de tous ceux
qui furent construits sur les boulevards parisiens avant les
transformations haussmanniennes de la capitale sous le
second Empire.
Le renouveau des salons au lendemain de la
Révolution
Les femmes et hommes de lettres ont, de tout temps,
occu une place prépondérante dans l’évolution des
mœurs et des idées. Soit leurs conceptions réussissaient
à obtenir les bonnes grâces du souverain, soit leurs criti-
ques réunissaient autour d’eux un consensus contre lui,
que le pouvoir choisissait de tolérer ou de combattre selon
qu’il en prenait ombrage ou pas. Leur érudition, leurs
talents artistiques, la qualité de leur entregent, leur goût
pour la diffusion des idéaux qu’ils prônaient faisaient de
leurs salons des lieux de sociabilité et de renouvellement
culturel fort courus de l’intelligentsia.
Nous avons gardé en mémoire quelques-unes des plus
célèbres de ces manifestations de l’esprit qui enrichirent
le paysage littéraire, philosophique et culturel français.
Cependant, le cataclysme de la Révolution semblait avoir
condamné ces foyers mondains et spirituels qui s’inspi-
raient pour certains des soupers d’antan de la cour du roi.
Pourtant, dans les temps fort de la première République
et du Directoire, la prudence n’était plus de mise. On se
divertissait pour oublier les horreurs de la Terreur. Désor-
mais, l’on se rencontrait de nouveau pour débattre aussi
de sujets plus graves comme des choses publiques.
Directoire. Plus tard, alors que la France s’essayait à
des régimes politiques différents, les nostalgiques de
la monarchie chérissaient le souvenir des anciennes
soirées fastueuses qui divertissaient ici et l’élite nobi-
liaire. La célèbre Madame Récamier incarna à sa façon
un modèle qui restait dans les esprits. Figure célèbre
du Directoire, amie de Madame de Staël, elle attirait les
1. Journaliste, écrivain.
2. Selon la biographie extraite du Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889.
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1er TRIMESTRE 2011 - N° 55
IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES
plus grands mondains du tout-Paris. Égérie et passion
de Chateaubriand, Juliette Récamier, dont la spiritualité
et la beauté lui valaient une foule d’admirateurs, était
aussi devenue une figure clé de l’opposition au régime
de Napoléon. Son salon, qui diffusait la vogue de l’anti-
que, était l’archétype de la contestation politique et intel-
lectuelle feutrée de l’époque. La police impériale décida
d’éloigner de la capitale cette Merveilleuse dont le salon
finissait par faire de l’ombre au pouvoir.
Premier et second Empires. Malgle déclin que prédi-
saient les plus pessimistes, comme Pierre Larousse,
l’auteur du Grand Dictionnaire Universel du xixe siècle1, le
goût des salons reprit donc une nouvelle vigueur. En fait,
ils n’avaient pas entièrement disparu avant le règne de
Napoléon et sous l’Empire, et désormais, ils faisaient flo-
rès comme le regain après la tempête. Seulement, leur
fréquentation avait changé : les aristocrates avaient laissé
place à une bourgeoisie naissante qui se glissait dans les
habits de la classe sociale déchue. Parmi le monde aisé,
de nouveaux parvenus remirent en scène, en les accom-
modant au goût du jour, les habitudes sociales et intellec-
tuelles de l’Ancien régime.
Sous le second Empire, profitant des largesses libérales
du régime, les discussions politiques de certains salons
nouvellement inaugurés se piquaient de critiques à
peine voilées envers le pouvoir. La plupart étaient même
empreints d’une optique républicaine avérée. Il en était
ainsi des plus fréquentés. Celui de Marie d’Agoult2, entre
des dizaines d’autres, s’élevait au statut officieux de cen-
tre de débats ouvertement opposés à l’Empire.
Portrait d’une femme d’influence
Fille du docteur Jean-Louis Lambert, médecin de pro-
vince agnostique et socialiste, Juliette Adam avait épou
l’avocat Alexis La Messine. Devenue veuve en 1867, elle
se maria avec Edmond Adam, député de la gauche répu-
blicaine. Son nouveau mari devint secrétaire général du
Comptoir d’escompte avant d’être nommé préfet de police
en 1870 puis élu sénateur inamovible.
Femme d’une rare beauté, Juliette Adam avait de nom-
breux adulateurs. L’un d’eux, le journaliste Adolphe Badin,
dressa d’elle un portrait idéalisé dans son livre Madame
Edmond Adam : Juliette Lamber 3. « Voici un léger cro-
quis, écrit-il, assez prestement troussé par le chroniqueur
en titre d’un de nos grands journaux parisiens : ‘’Mince et
très élancée, la taille est tellement souple que la femme
semble plus grande qu’elle ne l’est en réalité. La voix est
douce et métallique. Quand elle parle, le mot sonne ferme
et bien timbré. Elle raconte avec un charme infini.’Quand
Mme Adam, ajoute Badin, entre dans un salon ou dans une
loge de théâtre avec cette allure rapide qui lui est familière,
et qu’elle répond aux saluts empressés qui l’accueillent
par un geste de la main et quelques paroles gracieuses et
imagées, tous ceux qui sont se retournent ; […] instinc-
tivement, tout le monde sent que c’est quelqu’un. »
Emancipation de la femme. Juliette Lamber a 21 ans lors-
qu’elle fait paraître en 1858 un livre qui la signale dans
toute la capitale : Idées anti-proudhoniennes sur l’amour,
la femme et le mariage. Elle le signe du nom de Juliette
La Messine. La controverse sur le statut de la femme dans
la société libérale et industrielle faisait rage comme dans
tout le xixe siècle. Son vigoureux pamphlet est une répar-
tie brillante contre un écrit de Proudhon4 paru la même
année : De la justice dans la révolution et dans l’Église,
que Juliette trouvait outrageant vis-à-vis de son sexe. On
peut y lire par exemple : « L’homme et la femme peuvent
être équivalents devant l’Absolu : ils ne sont point égaux,
ils ne peuvent pas l’être, ni dans la famille, ni dans la
cité… » ; ou encore : « La femme ne peut être que ména-
gère ou courtisane ».
Juliette répondit : « Et d’abord, il n’est pas vrai que l’amour
n’ait pour but que la reproduction. Le but de l’amour est
dans l’amour même, c’est-à-dire dans le bonheur qu’il
promet et qu’il donne […] La Révolution a effacé, en
principe, les différences de condition entre les hommes.
C’est aussi en principe qu’il s’agit de les effacer entre les
sexes. Faisons-nous d’abord une idée juste des droits de
chacun ; il appartiendra ensuite aux générations futures
d’entrer dans la voie de la réalisation, en augmentant par
l’éducation le nombre des intelligences majeures dans l’un
et l’autre sexe et dans toutes les classes sociales. » Juliette
contribue ainsi, avec d’autres militantes de la même
cause, à ranimer la vigueur des revendications féministes
qui avaient été éteintes sous l’Empire et la Restauration.
1. À la rubrique « Salon » dans son tome 14.
2. Marie Catherine Sophie de Flavigny, comtesse d’Agoult (1805, Francfort-sur-le-Main – 1876, Paris).
3. Juliette Adam se faisait parfois appeler de son nom de jeune fille en omettant le t de son patronyme.
4. Pierre-Joseph Proudhon (1809, Besançon - 1865, Passy). Journaliste, économiste, philosophe. Il se qualifiait d’anarchiste.
Juliette Adam (1836, Verberie, Oise - 1936, Callian, Var)
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Son pamphlet éveilla l’intérêt de Marie d’Agoult qui l’invita
dans son salon. Juliette se prit d’une grande admiration
pour son aînée. Femme de lettres elle aussi, amie de
George Sand, Marie d’Agoult avait fait sensation avec son
Histoire de la Révolution de 1848, sous le pseudonyme de
Daniel Stern. Elle avait vécu dans les années 1830 avec
le compositeur Franz Liszt dont elle avait eu trois enfants.
Après sa rupture avec Liszt, elle avait ouvert chez elle un
nouveau salon en 1839, rue de Presbourg, au pied de
l’Étoile, elle recevait des républicains. Marie prodigua
en 1866 à sa nouvelle amie ses conseils pour ouvrir son
propre salon.
Un dévouement absolu aux idées de progrès
Nouvellement marié, le couple Edmond-Juliette Adam
s’installe au 23 boulevard Poissonnière, dans l’hôtel de
Montholon qui avait essuyé des tirs de canon lors du
coup d’État du 2 décembre 1851. Mettant à profit les
relations de son mari proche de Thiers (voir « Quelques
repères historiques ») et ami de Gambetta, Juliette ras-
semble autour d’elle des opposants à l’Empire, jeunes
et vétérans. Son entourage réunit aussi des habitués du
salon de Marie d’Agoult. Une telle réussite déplut à son
amie qui lui en tint rigueur. George Sand, comme d’autres
proches de d’Agoult, s’étant séparée d’elle, se lia d’amitié
avec Juliette.
Anne Martin-Fugier révèle, dans ses Salons de la iiie
République - Art, littérature, politique, la nature des
fréquentations du salon de Juliette : « des républicains
comme Hippolyte Carnot, fils de Lazare qui, après avoir
été député républicain sous la monarchie de Juillet et
ministre de l’Instruction et des Cultes sous la iie Républi-
que, pouvait faire figure de chef du parti républicain dans
les premières années de l’Empire. Conseiller de d’Agoult,
Jules Grévy y côtoyait Sadi Carnot, futur président de la
République1, Émile Littré, Ernest Renan, et des hommes
de presse libéraux ou républicains : Émile de Girardin,
directeur de La Presse et ami de longue date de d’Agoult,
Auguste Nefftzer, directeur politique de La Presse puis
du Temps » N’oublions pas Léon Gambetta qui affec-
tionnait lui aussi les réunions de l’hôtel de Montholon. Le
salon était ouvert tous les jours sauf le mercredi dont la
soirée était réservée semble-t-il à des visiteurs choisis.
Salon du boulevard Poissonnière. Pour Adolphe Badin,
« c’est en 1871, au lendemain de la guerre, que Mme
Adam ouvrit son célèbre salon, dans ce somptueux
appartement du boulevard Poissonnière, tout rempli de
meubles anciens, de tableaux, de gravures et de bibe-
lots précieux, qu’elle habite encore aujourd’hui. Mme
Adam n’avait pas seulement les rares qualités personnel-
les indispensables pour jouer ce rôle difficile : un esprit
incomparable, une affabilité parfaite, un charme exquis et
1. Du 3 décembre 1887 au 25 juin 1894, date de son assassinat.
Les grandes dates
de la ire à la iiie République
En un peu moins dun siècle, de la chute de lAncien régime
à l’instauration de la iiie République, la France connut plus
d’une dizaine de systèmes politiques différents.
u10 août 1792. Chute de la monarchie.
u21 septembre 1792. Proclamation de la ire République.
u27 octobre 1795. Directoire.
u9 novembre 1799. Coup dÉtat du 18 Brumaire, Consulat.
u13 décembre 1799. Constitution de l’an viii, Bona-
parte Premier consul.
u2 décembre 1804. Napoléon empereur.
u4 avril 1814. Abdication de Napoléon, Louis XVIII
roi, première Restauration.
u1er mars 1815. Cent-Jours.
u22 juin 1815. Seconde abdication de Napoléon.
u8 juillet 1815. Seconde restauration, Louis XVIII
remonte sur le trône.
u16 septembre 1824. Charles X roi.
u27, 28, 29 juillet 1830. Révolte populaire dite des
« Trois Glorieuses ». La volution de Juillet confirme
la souveraineté nationale sur le droit monarchique
et la suprématie de la bourgeoisie libérale sur l’aris-
tocratie et le clergé.
u9 août 1830. Louis-Philippe Ier, roi des Français, dit
« le roi-citoyen ».
u25 février 1848. Proclamation de la iie République.
Suffrage universel, liberté de la presse et de réunion,
enseignement primaire gratuit et obligatoire, abolition
finitive de l’esclavage, droit au travail, etc.
u10 décembre 1848. Louis Napoléon Bonaparte pré-
sident de la République.
u2 cembre 1851. Coup d’État de Louis Napoléon
Bonaparte.
u2 décembre 1852. Louis Napoléon Bonaparte empereur.
u1863. Élections, montée de l’opposition publicaine.
u2 avril 1870. Senatus consulte instituant lempire libéral.
uJuillet à septembre 1870. Guerre avec la Prusse.
u4 septembre 1870. Gambetta proclame la République.
u3 décembre 1870. Désastre de Sedan.
u1875. Constitution de la iiie République.
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1er TRIMESTRE 2011 - N° 55
IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES
sa beauté ; elle possédait en outre au plus haut degré le
sens rapide des choses de la politique, et un dévouement
complet, absolu, aux idées de progrès. Aussi le salon du
boulevard Poissonnière devint-il rapidement l’un des cen-
tres d’action les plus vivants du parti républicain. Sous le
règne de l’Ordre moral, il prit même l’importance d’un
ardent foyer de résistance : c’est qu’aux heures les
plus critiques les esprits troublés accouraient reprendre
leur équilibre, que les irrités venaient chercher du calme
et les découragés du courage. » Et l’auteur poursuit en
évoquant l’« intimité des fameux mercredis, où l’on pou-
vait pénétrer dans le grand salon rouge sans risque d’être
étouffé dans l’antichambre incessamment encombrée
par la foule des allants et des venants, et l’on avait,
entre onze heures et minuit, l’inappréciable bonne for-
tune de voir le plus illustre de nos hommes d’État sous
l’aspect quelque peu inattendu du plus simple, du plus
spirituel et du plus naturellement gai des mortels. »
Ainsi, comme le rappelle un autre contemporain de
Juliette, dont le nom nous est inconnu mais dont nous
avons trouvé le témoignage anglais1, les questions sociales
de l’époque n’étaient pas les seules à intéresser Juliette.
Dès qu’elle fut reconnue comme une figure centrale des
salons parisiens, écrit l’auteur, et qu’elle accueillit les
hommes influents du moment, elle se passionna pour la
politique. « Gambetta, que certains considéraient comme
le produit de sa fabrique, confia n’avoir trouvé dans toute
la France aucun esprit aussi perspicace et lucide, capa-
ble de comprendre la profonde complexité de la politique
et de maîtriser la situation politique française. Mme Adam
est peut-être la seule femme aujourd’hui à jouir d’une
telle influence et dont l’opinion est citée et respectée par
les hommes. Son bureau est le foyer de politiciens et de
diplomates de toutes les nations et ses écrits sur de nou-
veaux sujets sont lus avidement dans tout le pays. »
Club de réflexion. La place nous manque pour dresser l’in-
ventaire des habitués de Juliette mais il suffit de parcourir
les témoignages de ses visiteurs ou les souvenirs qu’elle
a laissés dans Mes angoisses et nos luttes, 1871-1873
pour nous rendre compte qu’une telle liste dépasserait de
loin la centaine de décideurs politiques et de relais d’opi-
nion. Peintres, sculpteurs, écrivains, musiciens, savants,
journalistes, hommes politiques, chefs de parti, hommes
d’État, ambassadeurs, médecins, grands industriels ou
grands financiers, français et étrangers.
Une telle nomenclature incite à ptendre que ce qui comp-
tait ou allait compter dans l’élite culturelle et républicaine de
l’époque avait été, est ou serait accueilli chez elle. Le salon
de Juliette était devenu une sorte de club deflexion politi-
que et intellectuelle - un think tank dirait-on aujourd’hui. On
y discutait, confrontait et élaborait, à l’aune de ses idéaux, de
ses convictions et des problèmes politiques, lesflexions et
les lignes de pensée dont les orientations et les effets avaient
des incidences dans la nation. Il était fquent d’entendre les
ies ainsi battues reprises quelques semaines plus tard
dans les chambres des Assemblées, se rendait d’ailleurs
régulrement Juliette Adam, et dans la presse d’opinion.
L’incarnation d’une « Grande Française »
Anne Martin-Fugier nous en dit encore plus. « Son salon
du boulevard Poissonnière […], dont Léon Gambetta est
le grand homme, est un foyer actif d’opposition à Napo-
léon III et devient l’un des cercles républicains les plus
Le Premier consul Bonaparte recréa un Sénat chargé
de veiller à la conservation de la Constitution dont
il avait influencé la rédaction. Institué par la Consti-
tution de l’an viii (9 novembre 1799), le « Sénat
conservateur » était, avec le Tribunat et le Corps
législatif, une des trois assemblées législatives du
Consulat. Ce premier Sénat comptait des membres
inamovibles.
Adolphe Thiers (1797-1877). Avocat, journaliste,
il fut ministre et président du Conseil sous la
monarchie de Juillet, député sous la iie République
et le second Empire, puis le premier président de
la iiie République. Leader de la droite orléaniste, il
fut responsable de l’écrasement de la Commune de
Paris (1871), puis encouragea la fondation d’une
République conservatrice.
Léon Gambetta (1838-1882), disparu à 44 ans, fut à
ses débuts journaliste, avocat et tribun républicain.
Suite à la défaite de Sedan, il joue un rôle détermi-
nant dans la déchéance de l’Empire et la proclama-
tion de la iiie République. Membre du Gouvernement
de la Défense nationale, il dirige l’opposition les
années suivantes et devient l’une des personnalités
politiques les plus en vue des premières années de
la République. Il consolide la pérennidu régime
républicain après la chute du second Empire. Pré-
sident de la Chambre des députés (1879-1881),
il devient président du Conseil puis ministre des
Affaires étrangères (nov. 1881 - jan. 1882).
« L’Ordre moral » désigne le gouvernement d’Albert
de Broglie formé par le Maréchal de Mac-Mahon
à partir du 27 mai 1873. Sa politique cherchait à
imposer un mode de vie jugé plus conforme à la
morale, aux valeurs du christianisme, aux dépens
des libertés individuelles.
Quelques repères historiques
1. The Home Monthly, 6 (July 1897) : 8, The Great Woman Editor of Paris. Willa Cather Archive, Andrew Jewell, editor.
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en vue. S’y retrouvent Adolphe Thiers, Eugène Pelletan,
Gabriel Hanotaux, Edmond About, Louis Blanc, Alphonse
Daudet, Camille Flammarion, Georges Clemenceau, l’édi-
teur Jules Hetzel, le poète Sully Prudhomme, Émile de
Girardin, Gustave Flaubert, Louis de Ronchaud, Gaston
Paris, Victor Hugo, Guy de Maupassant, Ivan Tourgue-
niev, Aurélien Scholl ou le Grec Dimítrios Vikélas. […]
Lorsque l’Empire tombe, c’est parmi les familiers de ce
cercle que se recrutent les hommes de gouvernement.
Femme d’influence, Juliette Adam se veut l’incarnation de
la ‘Grande Française’’, déterminée à rendre à la France
abaissée son rang en Europe, jusqu’au bellicisme et à la
xénophobie. Elle sera notamment l’apôtre d’une alliance
avec la Russie. »
Historien spécialiste de l’histoire politique de la France
du xixe siècle, Jérôme Grévy rappelle que « Juliette Lam-
ber avait l’ambition de faire de son salon le centre de ‘‘la
République athénienne’’, c’est-à-dire un lieu où se mêle-
raient les hommes politiques, les diplomates, les artistes,
les écrivains. Léon Daudet, qui y fit son initiation mon-
daine et littéraire, estimait qu’il était ‘un foyer ardent de la
politique militante, en même temps qu’un lieu de causerie
éblouissante.’[…] Edmond Adam et sa femme avaient
également l’ambition d’initier Gambetta et ses amis à la
vie mondaine. » Percevant chez cet avocat mal dégrossi
de sa province de grandes aptitudes politiques, Juliette
l’avait pris sous son aile. Léon Gambetta devint chez elle
le centre d’une nébuleuse intellectuelle et républicaine
sans cesse renouvelée tandis qu’il fourbissait les armes
qui lui serviraient d’arguments pour promouvoir la pro-
chaine république.
Egérie de Gambetta. Juliette était devenue, selon l’expres-
sion d’Anne Martin-Fugier, son « guide en sociabilité ».
Avant de faire sa connaissance, Gambetta fréquentait le
Quartier latin. Lui et ses amis « s’étaient partiellement ini-
tiés à la vie politique dans ses cafés turbulents » ajoute
Jérôme Grévy qui, citant à son tour l’historien Georges
Weill, spécialiste de l’idée républicaine, précise : « Ils
allaient écouter les séances du Corps législatif puis,
allaient au café ‘recommencer la discussion, approuver
ou critiquer les paroles de chaque orateur’. Gambetta
était déjà connu pour son éloquence. Au café Procope,
‘on faisait cercle autour de lui pour l’entendre discuter
sur n’importe quel sujet’. » « Quand il fut élu dépuen
1869, reprend Anne Martin-Fugier, Juliette et son mari
insistaient ‘sur la nécessité pour les républicains d’avoir
une sociabilité, d’apparaître comme des hommes conve-
nables ayant, aussi bien que leurs adversaires, l’usage du
monde.’[…] ‘Il faudra en prendre votre parti pour l’avenir
lui écrivit Juliette. Vous pouvez être de l’opposition dans
les cafés, mais vous ne pourrez être du gouvernement
que dans le monde. Il faut dès maintenant, que vos fils
- hélas ! vous êtes trop de célibataires ! - deviennent des
gens bien élevés. [...] C’est à Belleville, c’est au grand U1
qu’on fait les révolutions et les oppositions ; c’est dans les
salons qu’on fait les gouvernements. »2
Les fondateurs de la troisième République avaient fini
par adopter vers les années 1870 une attitude « opportu-
niste » qui se caractérisait par l’abandon du messianisme
révolutionnaire. Même s’ils se considéraient comme les
héritiers de la Révolution, ils occultaient désormais le sou-
venir de ses excès et prônaient des principes d’ordre et
de modération non éloignés du libéralisme. La violence
est abandonnée au profit d’un programme républicain
mesuré, respectueux des libertés politiques (liberté d’ex-
pression, de réunion, d’association). Peut-on voir dans
cette orientation nouvelle qui donnait une image plus
acceptable aux ambitions des amis de Gambetta et qui
était directement voulue par lui le produit des débats de
l’hôtel de Montholon ? Sans doute. Plus tard, on attribua
à Juliette le qualificatif d’« Aurore de la iiie République »3.
Juliette avait une ambition élevée pour la France. Elle
œuvrait pour son redressement national au lendemain
1. Un café de Paris.
2. Juliette Adam, Nos amitiés politiques avant l’abandon de la Revanche, citée par A. Martin-Fugier.
3. Manon Cormier, Madame Juliette Adam ou l’Aurore de la IIIe République, Paris, Delmas, 1934.
Juliette Adam fut un auteur prolifique. Elle écrivit
une cinquantaine d’ouvrages en utilisant parfois un
ou deux noms de plume, des centaines d’articles
de contribution à sa revue et entretint une
abondante relation épistolaire. Ses livres englobent
des sujets contemporains (politique, évolution des
idées, reportages), des essais sur la défense de
la nation française, des récits biographiques ainsi
que des romans dans lesquels elle exprime ses
vues sur les mœurs de son temps, ses idéaux et
son admiration pour la nature.
Quelques titres :
Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et
le mariage, 1858
Garibaldi, sa vie d’après des documents inédits, 1859
Le Siège de Paris, journal d’une Parisienne, 1873
Mes premières armes littéraires et politiques, 1894
Mes sentiments et nos idées avant 1870, 1905
Mes illusions et nos souffrances pendant le Siège
de Paris, 1906
Mes angoisses et nos luttes, 1871-1873, 1907
Nos amitiés politiques avant l’abandon de la Revan-
che, 1908
L’heure vengeresse des crimes bismarckiens, 1915
L’Angleterre en Égypte, 1922
NB. Une partie de ses ouvrages est accessible sur
www.gallica.bnf.fr et sur Google books
Lœuvre de Juliette Adam...
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