Petite introduction à la dimension cachée
Les cultures commencent, petit à petit, à se mettre en mouvement. Toujours dans l’objet d’approfondir
la connaissance de soi, l’analyse du langage culturel est primordiale: découvrir les messages que
nous nous transmettons inconsciemment, prendre conscience de certaines réalités qui se cachent en
nous-même. Edward T. Hall fait aussi partie de ceux qui nous offrent la possibilité d‘avoir « cette
conscience de soi ». Cet anthropologue américain analyse la communication non verbale. Pour ce
faire, il consacre notamment ses travaux à la communication interculturelle car selon lui, se pencher
sur une culture étrangère est le meilleur moyen de comprendre notre culture c’est-à-dire nos
habitudes, nos acquis. Bref, c’est remettre en question tout ce qui peut nous sembler normal.
Dans la Dimension cachée (1966), Hall étudie d’abord les espacements chez les animaux. Ainsi,
l’expression « être libre comme un oiseau » exprime la conception que l’homme se fait de ses propres
rapports avec la nature: les animaux seraient libres de circuler à travers le monde alors que lui, est
prisonnier de la société. Mais les travaux, sur ce que l’on peut appeler la territorialité des animaux (ou
de l‘homme), montrent que l’inverse est plus près de la vérité à savoir que les animaux sont souvent
emprisonnés à l’intérieur de leur propre territoire. En deux mots et sans être trop lourd, la territorialité
est la conduite caractéristique adoptée par un organisme pour prendre possession d’un territoire et le
défendre contre les membres de sa propre espèce. Grâce à elle, les animaux d’un même groupe
conservent une distance qui leur permet de communiquer et de se signaler la présence de la
nourriture ou de l’ennemi. La territorialité assure donc la cohésion du groupe. Chez l’homme, la
territorialité est sa propriété, son sol et entrer dans le sol d’un autre est punis par la loi.
A l’intérieur de ce territoire bien délimité, chaque animal est entouré d’une série de « bulles » qui
correspondent aux différentes distances que l’animal tient avec les autres. Par exemple, on a déjà
tous remarqué qu’un animal sauvage ne laisse approcher aucun homme au-delà d’une distance
donnée: c’est la distance de fuite. Celle-ci est proportionnelle à la taille de l’animal: plus l’animal est
gros et plus la distance entre lui-même et son ennemi est grande. Une antilope s’enfuit lorsque l’intrus
se trouve à cinq cents mètres alors que la distance de fuite du lézard est de deux mètres. Pour
domestiquer les animaux ou pour les placer dans un zoo, il a fallu que l’homme réduise cette réaction
de fuite. La seconde distance est la distance critique: c’est la zone juste avant celle ou l’animal
s’enfuit, entre la distance de fuite et d’attaque. Prenons un exemple pour bien comprendre. Dans un
zoo, le lion fuira devant un homme qui se dirige vers lui jusqu’à ce qu’il rencontre un obstacle
insurmontable. Si l’homme avance et pénètre dans la zone critique du lion, alors l’animal change de
direction et commence à marcher vers l’homme. Dans le numéro de cirque classique, le lion est
déterminé à l’attaque et prêt à franchir l’obstacle, par exemple l’escalier qui le sépare de l’homme. Et
bien pour que le lion reste sur l’escalier, le dompteur sort rapidement de la zone critique et le lion
cesse alors sa poursuite. Le fouet, le pistolet,… ne servent en fait qu’à impressionner le public. Cette
distance critique est d’ailleurs si précise qu’on peut la mesurer au centimètre.
En se rapprochant de plus en plus, on aperçoit les distances sociales et personnelles qui existent
qu’entre des animaux de la même espèce. Les animaux qui vivent en société doivent rester en contact
les uns avec les autres. La perte de ce contact avec le groupe les expose notamment aux attaques
des prédateurs. Cette zone que l’animal quitte c’est-à-dire quand il ne peut plus voir, entendre ni sentir
les autres est la distance sociale. Elle forme un cercle invisible qui enserre le groupe. Celle-ci varie en
fonction des situations. Par exemple, lorsqu’il y a danger la distance sociale diminue. Le
comportement analogue chez l’homme serait la maman qui rassemble et tient la main de ses jeunes
enfants lorsqu’elle traverse un carrefour dangereux. Enfin, la distance personnelle est la distance
normale observée entre les membres d’une même espèce. C’est une bulle invisible autour de l’animal
et lorsque ces bulles se chevauchent, les animaux changent de comportement. Les animaux
dominants ont généralement une distance personnelle plus grande que ceux qui occupent une
position inférieur dans la hiérarchie du groupe.
Ces différentes zones observées chez les animaux existent aussi chez les hommes. Mais avant de les
décrire, intéressons nous d’abord à la perception que l’homme se fait de son espace. Nous percevons
l’espace grâce à nos récepteurs sensoriels. On distingue d’une part les récepteurs à distance (les
yeux, les oreilles, le nez), d’autre part les récepteurs immédiats (la peau et les muscles). L’appareil
sensoriel définit donc notre perception de la réalité, et les rapports que l’homme entretient avec son
environnement dépendent de la façon dont cette appareil est conditionné à réagir. Ainsi la thèse
centrale est que nous ne percevons jamais le monde dans sa réalité mais nous percevons le monde
tel que nous l’avons appris. Chacun construit donc sa propre réalité grâce « aux retentissements des
forces physiques sur nos récepteurs sensoriels » (F.P. Kilpatrick).
Prenons différents exemples. L’odorat chez les humains diffère d’une culture occidentale à une culture
Arabe. Les arabes reconnaissent une corrélation entre l’humeur d’une personne et son odeur. Les
personnes qui s’occupent d’arranger les mariages peuvent parfois demander à sentir la jeune fille. Si
elle « ne sent pas bon », ils la refuseront, non pas comme chez les occidentaux à cause d’arguments
esthétiques mais parce qu’ils auront détecté une odeur de colère ou de mécontentement. Plus
largement baigner quelque un de son haleine est très courant dans les pays arabes alors que les
occidentaux apprennent au contraire à ne pas projeter leur haleine. C’est pourquoi un français est
gêné lorsqu’un individu de culture arabe se trouve dans son champ olfactif; alors que celui-ci discute
sans gêne, le français est saisi par l’intensité de l’odeur qui l’empêche à la foi de prêter attention à ce
qui lui est dit, et de maîtriser ses propres sentiments.
La clef de la compréhension de l’homme est sans doute que l’homme apprend en voyant, et ce qu’il
apprend retentit à son tour sur ce qu’il voit. Ce qui explique la puissance d’adaptation de l’homme et le
parti qu’il tire de son expérience. Ainsi, si l’on entend le bruit d’un train avant de le voir, on n’entend
pas vraiment le train, mais plutôt des sons que l’esprit a pris l’habitude d’associer au train. Ainsi,
l’homme évalue les choses grâce à son niveau d’intégration dans l’expérience passé. C’est pourquoi
on pense croire ce que l’on voit alors qu’en fait on voit ce que l’on croit. On a tous dans l’esprit la
possibilité qu’on puisse apprendre à parler, apprendre des langues étrangères. Mais l’idée qu’il faut
apprendre à voir ne vient jamais à personne. Si l’on admet ça, on peut donc nier l’hypothèse selon
laquelle la réalité est stable et uniforme. L’idée que deux personnes ne peuvent jamais voir
exactement la même chose dans des conditions normales peut être choquante car elle implique que
les hommes n’entretiennent pas tous les même rapport avec le monde. Mais il faut reconnaître ce fait
pour comprendre les différentes perceptions d’un monde à l’autre, d‘un individu à l‘autre. Dans son
livre, Edward T. Hall raconte qu’un jour, à Beyrouth, ayant l’impression d’être parvenu à proximité de
l’immeuble qu’il cherchait, il demanda son chemin à un Arabe. Pour montrer ou se trouvait l’édifice,
celui-ci indiqua d’un large geste la direction générale dans laquelle il devait aller. Son comportement
montrait pourtant qu’il pensait bien indiquer exactement ou se trouvait l’immeuble mais pour rien au
monde Hall aurait pu dire ou celui-ci se trouvait vraiment, ni laquelle des trois rues d’en face il fallait
peut être emprunter.
Ou quand vous demandez votre route lorsque vous êtes en vacances, ce n’est pas toujours évident
de suivre les indications. Nos systèmes d’orientation, de déplacement et de perception ne sont donc
pas les mêmes d’une culture à l’autre. Par exemple, pour certains, l’intérieur du réfrigérateur est une
jungle alors que pour d’autres, découvrir le fromage ou le reste de rôti est un simple réflexe. On parle
ici des hommes et des femmes qui ont simplement appris à se servir de leurs yeux de façon très
différente.
Ainsi, et plus largement, la vie que chacun d’entre nous mène est construite par fragment grâce à
l’entourage, aux situations personnelles, à la société et à l’époque de l’individu: toute ces rencontres
et ces expériences forment l’individu et le conditionnent jusqu’à croire qu’il perçoit réellement et
objectivement la réalité. C’est à cause de cette fabrique de la réalité par chacun que naissent les
conflits, ou tout simplement la diversité des opinions qui se veulent chacune objectives. De quoi
prendre encore davantage de recul…
Posté par Benjamin Wolff
http://wbenjamin.canalblog.com/archives/2005/09/03/781554.html
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