Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements

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Typologie des emprunts lexicaux français en roumain.
Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique
TYPOLOGIE DES EMPRUNTS LEXICAUX
FRANÇAIS EN ROUMAIN.
FONDEMENTS THEORIQUES,
DYNAMIQUE ET CATÉGORISATION
SÉMANTIQUE
EDITURA UNIVERSITARIA
Craiova, 2011
UNIVERSITATEA DIN CRAIOVA
UNIVERSITE DE CRAIOVA
Editori :
Gabriela Scurtu
Daniela Dincă
Lucrarea a fost elaborată în cadrul Proiectului PN II Idei Tipologia
împrumuturilor lexicale din limba franceză în limba română. Fundamente
teoretice, dinamică şi categorizare semantică (FROMISEM) finanŃat de
CNCS- UEFISCSU (2009-2011)
AVANT-PROPOS
Le présent volume réunit les contributions* des membres du projet de
recherche intitulé Typologie des emprunts lexicaux français en roumain.
Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique, qui s’est déroulé
à la Faculté des Lettres de l’Université de Craiova (2009-2011), projet financé par
le CNCS-UEFISCU.
Les études sont groupées autour des trois axes majeurs de recherche qui
ont constitué les objectifs du projet:
1. la présentation et l’approfondissement de la terminologie de spécialité
du domaine analysé;
2. l’étude des emprunts lexicaux d’origine française en roumain du point
de vue étymologique;
3. l’esquisse d’une typologie sémantique de ces emprunts.
La première partie du livre, intitulée Fondements théoriques de la
recherche, fait la présentation critique de la terminologie de spécialité se rapportant
à la définition des principaux concepts opérationnels mobilisés dans la recherche
(emprunt, gallicisme, néologisme, néologie, neonyme, étymologie multiple).
L’identification des lacunes dans le domaine, la mise en évidence de nombreux
aspects controversés, comme par exemple la polysémie des termes utilisés, ont été
réalisées dans la lumière des recherches récentes en linguistique roumaine,
corroborées avec les études des linguistes étrangers, notamment français. Une
attention particulière a été accordée aux questions d’étymologie, à partir de la
typologie suivante: (i) mots à étymologie uniquement française; (ii) mots à
étymologie multiple; (iii) mots à étymologie controversée.
La section suivante, consacrée à la Dynamique des emprunts roumains au
français, met en évidence l’importance, qualitative et quantitative, de l’influence
française sur la constitution du lexique du roumain moderne. Sont illustrées les
étapes de pénétration des emprunts au français, leurs domaines de manifestation,
ainsi que les principales statistiques sur le montant des mots d’origine française. La
dernière, que nous avons effectuée sur le corpus du DEX 98, indique un
pourcentage de 38,42% mots d’origine française.
La section Catégorisation sémantique des emprunts roumains au français
est structurée en trois parties. La première propose une typologie sémantique des
emprunts lexicaux roumains au français, illustrant les cas suivants: (i) conservation
- totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon français, y compris avec le
maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français; (ii) innovations
sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de
l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes
sémantiques: extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations,
passage métonymiques, glissements connotatifs, etc.
Une autre direction de recherche dans l’aire du sémantisme des emprunts
s’attache à établir et à analyser quelques champs sémantiques en poursuivant des
objectifs comme: la description lexicographique des lexèmes qui appartiennent à
divers micro-champs, l’analyse sémantique comparative de ces lexèmes et de leurs
étymons ou
la corrélation entre la description linguistique et la réalité
extralinguistique (par l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).
Enfin, dans la troisième partie, nous avons réalisé une étude sémantique
comparative (français-roumain) de quelques lexèmes faisant partie du corpus
envisagé.
Les travaux réunis dans les pages de ce volume font preuve d’un travail
d’équipe méticuleux, permettant de mieux appréhender des questions telles que:
1. la variété des aspects linguistiques soulevés par les emprunts français en
roumain;
2. le rôle de la langue française dans la constitution du vocabulaire roumain
et l’importance du français pour la définition de la physionomie néolatine de la langue roumaine dans l’aire de la romanité sud-est
européenne;
3. l’ouverture de nouvelles pistes de recherche dans les domaines de la
lexicologie et de la lexicographie romanes.
En fin de compte, on pourrait dire que c’est justement un chemin frayé avec
les instruments de l’analyse sémantique et lexicographique et qui attend d’être
prolongé par de nouvelles études sur les multiples aspects du contact linguistique
réalisé par les emprunts lexicaux.
* Les articles réunis dans ce volume ont déjà fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique
ou d’une communication présentée lors d’un colloque ou d’une conférence internationale. L’idée de
les rassembler dans un recueil nous a semblé salutaire pour tous ceux qui s’intéressent à l’étude des
emprunts lexicaux.
SOMMAIRE
Avant-propos................................................................................................5
Chapitre I
Fondements théoriques de la recherche…………………..……………..9
Autour de la notion de «néologisme» (Gabriela Scurtu)…………….……11
La néologie et ses mécanismes de création lexicale (Daniela Dincă) ……21
Aspects théoriques de la néologie terminologique (Daniela Dincă)………32
Une notion-clé dans la lexicologie roumaine: «l’étymologie multiple» (Mihaela
Popescu)……………………………………………………...….40
Chapitre II
Dynamique des emprunts roumains au français……………………….51
Les emprunts au français dans le langage des jeunes au XIXe siècle (Daniela
Dincă)…………………………………………………………………….53
La place des néologismes d’origine française dans le lexique du roumain (Gabriela
Scurtu, Daniela Dincă)…………………………………………65
Deux langues romanes en contact : le roumain et le français (Daniela
Dincă)……………………………………………………………………77
Quelques remarques sur l'étymologie des emprunts roumains d’origine française
(Mihaela Popescu)………………………………………………87
Les reflets de l’influence française sur le lexique du roumain (Gabriela
Scurtu)……………………………………………………………..……103
Chapitre III
Catégorisation sémantique des emprunts roumains au français........113
3.1. Typologie…………………………………………………………..113
Typologie des emprunts lexicaux français en roumain (présentation d’un projet en
cours) (Maria Iliescu, Adriana Costăchescu, Daniela Dincă, Mihaela Popescu,
Gabriela Scurtu)………………………………………115
Quelques lexèmes en voyage (trajet français – anglais – roumain) (Adriana
Costăchescu)……………………………………………………………130
Typologie sémantique des mots roumains empruntés au français (Maria Iliescu,
Adriana Costăchescu, Ramona Dragoste)………………………145
3.2. Analyse des champs sémantiques………………157
Le vocabulaire français et roumain de l’espace : les mots lieu et loc (Adriana
Costăchescu)…………………………………………………159
Etude lexico-sémantique du micro-champ lexical des meubles de rangement en
français et en roumain (Gabriela Scurtu, Daniela Dincă)……………171
Les emprunts lexicaux roumains au français: approche lexicographique et
semantique du vocabulaire de la mode vestimentaire (Mihaela
Popescu)……………..183
3.3. Analyse de quelques lexèmes du corpus………………………199
Le destin de quelques mots d’origine française dans le roumain actuel (Ramona
Dragoste)............................................................................201
De calpac à joben : le changement des codes vestimentaires roumains sous
l’influence française (Ramona Dragoste)..................................................212
Quelques remarques sur le sémantisme des emprunts roumains au français
(Mihaela Popescu)………………………………………………………218
Étude lexicographique et sémantique du gallicisme marchiz,-ă en roumain actuel
(Daniela Dincă)...............................................................................231
Fr. guéridon / roum. gheridon - approche comparative (Gabriela Scurtu)…...238
Mots d’origine française dans le langage des jeunes (Gabriela
Scurtu)…….……………………………………………………………..246
FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA
RECHERCHE
AUTOUR DE LA NOTION DE «NÉOLOGISME»*
1. Introduction
1.1. La création lexicale est sans conteste un élément indicateur de la
vitalité des langues, un indice de leur avenir du point de vue de leur force créative.
Les langues nécessitent des ressources pour s’adapter aux changements sociaux,
économiques, politiques, technologiques ou scientifiques. Pour pouvoir disposer de
ces ressources indispensables, pour pouvoir agir en toute sécurité dans des
contextes donnés et dénommer avec précision les nouvelles réalités, il faut créer,
former ou emprunter de nouvelles unités lexicales.
Dans ce contexte, le problème des néologismes s’avère l’un des plus
délicats, à partir de la définition même de la notion de «néologisme» (et des
notions apparentées: «néologie», «emprunt lexical», «néonyme», etc.). Cette vaste
problématique a fait et continue de faire l’objet de nombreux travaux portant sur
des aspects théoriques ou pratiques soulevés par la néologie, en tant que processus
complexe de formation de nouvelles unités lexicales dans une langue. Dans ce sens,
la constitution, en 2003, d’un réseau d’observatoires de toutes les langues romanes
et de leurs variétés correspondantes (réseau NEOROM: espagnol, catalan, français,
galicien, italien, portugais et roumain) en est une preuve plus qu’éloquente. Ce
réseau représente une tentative de réunir les efforts des chercheurs dans la direction
d’un travail systématique de compilation et d’analyse des néologismes lexicaux qui
apparaissent dans les médias: presse quotidienne, revues périodiques et radio. Dans
la même direction, l’organisation à Barcelone, du 7 au 10 mai 2008, du Ier
Congrès International de Néologie des langues romanes a mis en évidence les
principales directions de recherche dans le domaine, telles que: aspects théoriques
de la néologie, méthodologie du travail, détection, classification et traitement
automatique des néologismes, aspects sociaux et sociolinguistiques, etc.
1.2. Dans cet article nous nous proposons de jeter un regard analytique sur
les positions des linguistes, roumains ou étrangers (notamment français),
concernant les problèmes que posent en principal:
- La définition des néologismes (et des notions voisines), en tant que
concepts opérationnels fondamentaux de la recherche en néologie;
- Les théories concernant le statut et le rôle des néologismes.
2. Définitions de la notion de «néologisme»
2.1. L’un des plus difficiles problèmes lexicographiques est celui du
néologisme, à partir de la définition de la notion, jusqu’à la solution des questions
visant l’étymologie, la forme, la fréquence, la circulation, le sémantisme des mots
considérés comme des néologismes (cf. Dănilă / Haja 2005: 71-78).
Les deux éléments utilisés dans le mot néologisme – neos et logos – nous
obligent à une démarche permettant d’en éclaircir les significations. Car une
définition commode du type «un néologisme est un mot nouveau, qui n’existait pas
dans la langue, ou un mot déjà existant qui acquiert un sens nouveau» laisse une
large place à des questions, des interprétations, des incertitudes …
Le TLF, le Larousse, le Robert, le Webster présentent le néologisme
comme une notion polysémique avec, d’habitude, les acceptions suivantes: 1. mot,
tour nouveau que l'on introduit dans une langue donnée (néologisme de forme); 2.
mot (expression) existant dans une langue donnée mais utilisé(e) dans une
acception nouvelle (néologisme de sens); 3. création de mots, de tours nouveaux et
introduction de ceux-ci dans une langue donnée (syn. néologie).
Les dictionnaires roumains définissent le néologisme comme un mot nouveau
emprunté ou formé récemment dans une langue (DLR) ou comme un mot nouveau,
emprunté à une langue étrangère ou créé par des moyens internes; emprunt lexical
récent, acception nouvelle d’un mot (DN4).
De façon générale, disons que les définitions roumaines ne mettent pas
assez en évidence la différence spécifique, ce qui est dû à l’aspect relatif des
qualificatifs nouveau ou récent, employés comme moyen de différenciation. Le
problème le plus délicat qui doit être solutionné concerne donc la durée du statut de
néologisme d’un mot. Précisons d’emblée qu’il existe des opinions totalement
divergentes concernant cet aspect. Par exemple, dans une acception plus large, on
considère que sont des emprunts lexicaux néologiques, c’est-à-dire des néologismes,
les mots entrés en roumain à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle et du
début du XIXe (Şerbănescu 1985: 8). Une partie des néologismes sont, en même
temps, des mots internationaux, des mots empruntés à une langue et présents dans
plusieurs langues de civilisation: stress, show, etc. Selon la même opinion, ceux-ci
devraient être considérés comme des néologismes, sans tenir compte de leur
ancienneté: filozof et filozofie, attestés en roumain dès le XVIIIe siècle, sont donc
considérés comme des néologismes. D’autre part, Florica Dimitrescu, qui remarque
elle aussi les limites temporelles vagues du terme néologisme, renvoyant à des
mots empruntés ou créés en roumain à partir de la fin du XVIIIe siècle, opine en
faveur de l’emploi du concept de «néologisme» dans un sens restreint, pour
désigner «la dernière couche d’éléments étrangers entrés en roumain – des mots
attestés pour la première fois entre 1960 et 1980» (1994: 246). C’est avec ce
concept que l’auteur a opéré dans la sélection des mots-titre enregistrés dans le
DCR.1
En se référant aux mêmes types de difficultés liées à la datation, Ileana
Busuioc (1996: 1) considère qu’il faut tenir compte d’un «sentiment de la
néologie»; or, celui-ci est extrêmement fluctuant: si au milieu du XXe siècle il
avait une valeur de 10-15 années, à présent les lexicographes ne devraient pas
qualifier comme des néologismes des unités lexicales plus «vieilles» de 5
ans! De toute évidence, les néologismes «vieillissent» rapidement: «Dans notre
univers marqué par l’instantanéité de la communication, ce qui signifie aussi
diffusion très rapide, sinon instantanée, des mots nouveaux, la durée du sentiment
néologique se restreint par conséquent de manière drastique».2
2.2. L’emprunt représente souvent la solution la plus viable pour enrichir
l’inventaire des éléments lexicaux d’une langue. Il consiste, en principe, à faire
apparaître dans un système linguistique un élément issu d’une autre langue ancienne (latin, grec) ou moderne. Mais les emprunts ne sont pas sans poser des
problèmes, dont, en particulier: a. les problèmes sociolinguistiques des différences
de statut axiologique entre les langues (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252) et b.
l’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique, sémantique) de
l’unité empruntée dans la structure de la langue réceptrice; on parle à cet égard,
d’une part, d’emprunts naturalisés, assimilés par la langue réceptrice, et, de l’autre,
de xénismes (emprunts tels quels, alloglottes) ou de pérégrinismes3. Il n’en reste
pas moins que les emprunts lexicaux forment un espace fertile qui suppose le
contact entre plusieurs systèmes linguistiques, entre plusieurs cultures, entre
plusieurs identités spirituelles.
2.3. A part les néologismes représentés par les emprunts à d’autres langues,
il existe des néologismes «de forme», c’est-à-dire des mots nouveaux formés par
un procédé morphologique (dérivation, composition, analogie): il consiste à
fabriquer de nouvelles unités. Cette problématique, qui a fait l’objet d’une grande
diversité d’études, ne fera pas l’objet du présent article.
2.4. En revanche, un aspect sur lequel nous voulons nous attarder plus
longuement dans ce qui suit et qui a été en quelque sorte négligé dans les études
portant sur cette problématique, est celui des néologismes «de sens», donc basés
sur des modifications sémantiques. A l’exception des dictionnaires spécialisés
(DŞL, DN), pour définir le néologisme, les ouvrages des linguistiques roumains ne
prennent souvent pas en compte l’acception de «sens nouveau d’un mot existant
dans la langue», sens néologique (par exemple fereastră «surface délimitée,
affichée sur l’écran du moniteur d’un ordinateur, où l’on présente un certain type
d’informations»). D’ailleurs, de par leur structure, les langues sont articulées de
manière à permettre la créativité, en l’occurrence lexicale, par des mécanismes qui
opèrent soit au niveau de la forme, soit au niveau du sens (cf. Busuioc 1996). Il
existe donc des créations néologiques au niveau sémantique, qui ont à la base
divers types de mutations (innovations opérées dans la langue réceptrice: analogies,
extensions, restrictions, métaphores, etc.). Nous allons illustrer quelques situations
de ce type, dans le cas du roumain, où l’on peut relever:
a. la spécialisation du sens par rapport à l’étymon (par exemple à partir du
fr. casserole «ustensile de cuisine», le roumain caserolă s’applique aujourd’hui
dans l’industrie alimentaire pour désigner l’emballage de certains produits (cf. fr.
barquette);
b. des sens développés à l’intérieur de la langue roumaine – n’oublions
pas que la tendance à développer de nouveaux sens est, entre autres, l’une des
conditions précisées par les linguistes pour qu’un néologisme soit considéré
comme entré dans la langue réceptrice – (par exemple dans le cas du mot poligon,
l’acception récente: «piste aménagée pour les chauffeurs qui apprennent à conduire
les véhicules» est née en roumain, car le fr. polygone n’est enregistré qu’avec les
sens «figure géométrique» et «terrain de manœuvre aménagé pour le tir»; v. des
exemples de différents types de mutations sémantiques opérées en roumain dans le
cas de mots empruntés au français dans Iliescu 2003-2004);
c. des passages du concret à l’abstrait, notamment dans le cas des termes
spécialisés entrés dans le langage courant (par exemple le roum. a demara
s’emploie dans des expressions comme a demara o procedură, un control,
investiŃii, etc., en élargissant ainsi son emploi à partir du sème initial «commencer»,
présent dans le sens global de l’étymon démarrer).
Florica Dimitrescu (1998) attire l’attention sur les conséquences logiques
– et pragmatiques – pour la manière de rédaction des étymologies dans le cas des
mots présentant des sens nouveaux, comme ceux déjà mentionnés, à savoir qu’il
faudrait introduire, à côté de la formule consacrée de la langue x, une nouvelle
formulation plus adéquate pour ce genre de situations: formellement de la langue x.
On attire de la sorte l’attention que l’acception récente du mot poligon ne provient
pas de celle du fr. polygone, qui n’en est que l’origine du support phonétique: le
sens nouveau est né en roumain. Quand sont attestées plusieurs significations
nouvelles des néologismes, d’origines différentes, on devrait indiquer, séparément,
leur étymologie. Par exemple, pour le mot zebră, à côté du sens «animal», dans un
dictionnaire général de la langue roumaine il faudrait indiquer l’étymologie
française, mais pour le sens «passage pour les piétons», on devrait indiquer qu’il
vient de l’it., l’angl. zebra et non du français, où la notion en question s’exprime
par passage clouté. Tout pareillement, pour le mot prefix au sens de «affixe», on
devrait indiquer: du fr. préfixe, mais pour le nouveau sens employé dans les
télécommunications, on devrait préciser: de l’it. prefisso (interurbano).
Il s’agit donc de jeter un regard plus attentif sur le phénomène de la
production de significations nouvelles (et de ses conséquences d’ordre pratique),
pour lequel les spécialistes ont déjà fabriqué un nouveau terme: la néosémie (cf.
Rastier / Valette 20064 Gérard, 2008: 20).
2.5. À côté des trois catégories de néologismes précisées supra (2.2., 2.3.
et 2.4.), les linguistes mentionnent également l’existence de néologismes qui
dépassent le cadre du mot, étant des associations de mots de nature et de
complexité diverses. Il s’agit des néologismes «syntagmatiques», comme genetic
engineering / ingénierie génétique / inginerie genetică. «Ces unités», selon
Guilbert (1975: 83), «doivent être considérées comme parties intégrantes du
lexique au même titre que les lexèmes simples», alors que Cilianu-Lascu (2005: 44)
illustre ce type pour le domaine économique: billet à ordre / bilet la ordin, chèque
au porteur / cec la purtător, paiement en nature, en numéraire / plata în natură, în
numerar. J. F. Sablayrolles (2008) les appelle néologismes «polylexicaux»
(lanceur d’alerte, etc.).
Ileana Busuioc (1996) attire l’attention sur le risque d’abus de ce type de
«syntagmes explicatifs», après consultation de la liste des inventions brevetées par
l’OSIM5: tous les termes qui y étaient proposés étaient en fait des «mini-définitions
pour lesquelles il est difficile d’imaginer un fonctionnement adéquat dans le
discours»6, par exemple: dispozitiv manual pentru bascularea braŃului la
autospeciale echipate cu cabină rabatabilă.
2.6. Enfin, peuvent être encadrés dans la catégorie des néologismes que J.
F. Sablayrolles (2008) considère comme «oubliés», c’est-à-dire négligés par les
recherches, les changements de construction (par exemple flasher s’emploie
comme verbe transitif direct: flasher un texte / une voiture en excès de vitesse ou
indirect: flasher sur qqn., qch. «avoir le coup de foudre pour»; mais l’emploi
intransitif: La vitrine de cette boutique flashe d’emblée «attire le regard» est récent,
donc néologique). Nous considérons que l’exemple tiré de Liiceanu7: Nu
calculasem cu ceilalŃi, où a calcula cu est à interpréter (selon le modèle du français)
au sens de «tenir compte de» est un néologisme de construction, car a calcula
cu … est une structure formée d’un verbe suivi soit d’un complément instrumental,
soit d’un qualifiant.
Ce qui donne une idée de la complexité du phénomène.
3. Néologisme et néologie
3.1. Compte tenu de cette complexité, car le néologisme rejette la simple
étiquette de «nouveau», le chercheur qui se propose de le définir / décrire ou de
l’inventorier se doit de surprendre également le processus, non moins complexe,
celui de formation des unités lexicales, qu’on appelle communément dynamique
lexicale ou créativité lexicale, inépuisable dans toutes les langues vivantes, preuve
de leur vitalité. L’évolution et la communication humaine même passent par la
nécessité de l’innovation lexicale.
Le processus d’innovation auquel est liée le concept de «néologisme» est
un phénomène naturel, nécessaire, avec des déterminations complexes de nos jours.
Comme la langue est un système vivant, tout peut être considéré comme
néologique (voir à cet égard le concept de «néologie», c’est-à-dire «création de
mots, de tours nouveaux et introduction de ceux-ci dans une langue donnée» ou
«processus de formation de nouvelles unités lexicales», in TLFi).
3.2. Les procédés de création néologique sont, comme le paragraphe
précédent l’a laissé déjà entrevoir, d’une grande diversité, notamment:
- morphologiques: siglaison, affixation, dérivés flexionnels, composition,
lexies complexes, etc.;
- sémantiques: signifié nouveau pour un même signifiant, par divers types
de mutations (extensions ou restrictions de sens, métaphores, métonymies, etc.);
- syntaxiques: modification du type de construction;
- emprunt: à une langue ancienne ou moderne, mais aussi à un dialecte, à
un sociolecte, à une langue de spécialité, etc.
4. Le rôle des néologismes
Le rôle des néologismes est d’enrichir et de moderniser le vocabulaire pour
les besoins de dénomination, d’expression et de communication (Lerat, 1993: 132).
Il est en principe double et consiste à:
4.1. Combler «un vide terminologique» (Busuioc 1996: 2), dans le cas
d’une première catégorie de termes appelés néologismes dénotatifs ou techniques,
dont surtout les néonymes (néologismes utilisés dans les langues de spécialité).8 Du
point de vue de l’intérêt des spécialistes terminologues on distingue deux types de
néologie (Bălan-Mihailovici 2005: 23-29):
(i) la néologie primaire, à valeur dénotative nette et répondant à une
nécessité immédiate;
(ii) la néologie traductive, auquel cas le terminologue est confronté à
l’existence de nouveaux termes dans la langue-source, pour lesquels il est mis dans
la nécessité de trouver des équivalents dans la langue-cible. Tel est le cas des
néologismes exigés par les nouvelles institutions européennes (le droit
communautaire) et qui a imposé la création de noms correspondant aux nouvelles
réalités: roum. ombudsman, acquis comunitar, guvernanŃă...
4.2. Nuancer le vocabulaire d’une langue. On parle dans ce cas de
néologismes connotatifs ou stylistiques. Cette catégorie est plus vaste et plus
hétérogène que la première. Elle inclut des termes d’origine étrangère qui doublent
en quelque sorte les mots du fonds traditionnel. Un mot néologique peut ainsi avoir
comme synonyme un autre, existant déjà dans la langue. Et comme, de façon
générale, il n’existe pas de synonymie parfaite, leur fonction est de nuancer le
vocabulaire: cf. en roumain les paires synonymiques (renvoyant au même référent),
dont le premier terme est traditionnel et le second néologique: amănunt – detaliu,
jertfă – sacrificiu, nădejde – speranŃă, împrejurare – circumstanŃă. L’emprunt
néologique représente donc une source de la synonymie; le choix du terme adéquat
d’une série synonymique se fait en fonction du style fonctionnel du texte et du
thème faisant l’objet de la communication (Ştefănescu 1985: 9). La synonymie
devient de la sorte, prioritairement, un problème de stylistique fonctionnelle (David
1979: 11).
De telles créations sont considérées par certains linguistes – parfois de
façon globale – comme des emprunts de luxe ou superflus. Ce qui n’est vrai que
partiellement (voir par exemple l’avalanche d’emprunts au français: a antama,
bulversat, a devoala, a se deroba, indenegabil, mefienŃă etc., plus récemment à
l’anglais: a clica, cool, trendy, thriller, shopping, a şerui, etc., dans la presse
roumaine actuelle, dans diverses terminologies, dans la conversation quotidienne).
La mode (le «snobisme linguistique »), la commodité, la recherche de l’originalité
peuvent expliquer ces créations, que le temps aura, comme toujours, soin de trier.
5. Quelques conclusions
L’enrichissement de l’expérience humaine ainsi que le progrès des
connaissances scientifiques et techniques se traduisent nécessairement par un
mouvement du lexique qui se manifeste par une adaptation des signes existants à
de nouveaux emplois et par la création de nouveaux signes.
La création néologique s’avère ainsi un processus vital pour l’avenir des
langues. Ce qui justifie l’existence des études, toujours plus nombreuses,
consacrées aux aspects théoriques ou pratiques que soulèvent la néologie, en tant
que: (i) discipline qui étudie les néologismes; (ii) mécanisme de création
néologique. Vue du côté de la lexicographie, la néologie représente
«l’enregistrement de mots nouveaux» (Cilianu-Lascu 2005: 43) «sous la pression
des besoins de dénomination, d’expression et de communication» (Lerat 1993:
132).
Le concept-clé des études est celui de «néologisme», un concept
opérationnel, pragmatique, mais qui reste entouré «d’un certain flou» (A. Rey, ap.
Sablayrolles 2000: 145), lié à la nature de l’unité ainsi qu’à la notion et la durée de
la nouveauté.
Il apparaît avec évidence de toutes les études qu’un néologisme est une
unité fonctionnelle qui ne correspond pas toujours au cadre de ce que l’on appelle
ordinairement un mot. La taille et le degré de complexité des unités néologiques
varient, à partir du mot ou même d’unités de niveau inférieur (comme les
préfixes: un ex, les psy), jusqu’aux séquences syntaxiques lexicalisées.
Des préoccupations systématiques, dans la linguistique roumaine, sont
encore nécessaires, à partir de la «standardisation du métalangage» (Biriş 2008: 21)
jusqu’à des études portant sur divers aspects tels que la détection et la classification
des néologismes ou leur traitement automatique.
Disons enfin que l’importance majeure du processus linguistique
néologique ressort notamment de son caractère international, accéléré par le
phénomène de la globalisation, quand l’observation, l’enregistrement et le
«contrôle» des néologismes s’impose, sous différentes formes: étude du
multilinguisme, élaboration des corpus néologiques, analyse des divers types de
néologismes, création d’outils homogènes, utilisables dans les recherches et les
ouvrages lexicographiques, activité cohérente des organismes avec des tâches
précises dans l’activité terminologique, etc. Car le processus d’innovation
néologique commence à être soumis à des règlementations, nécessaires d’ailleurs,
notre époque étant le témoin du développement, à côté d’autres politiques, de celle
linguistique (on parle à cet égard d’aménagement linguistique et, dans le cas pris en
compte, de veille néologique).
NOTES
*Gabriela Scurtu, Analele UniversităŃii din Craiova, ŞtiinŃe filologice, Lingvistica, 2009, 1-2, p. 186195.
1. «Utilizăm conceptul de „neologism” în sens restrâns, luând în considerare o perioadă bine
determinată: ultimul strat de elemente străine intrate în română, anume, cuvintele atestate pentru
prima dată între 1960 şi 1980, reunite în DicŃionar de cuvinte recente, primul dicŃionar cu datări ale
neologismelor româneşti.»
2. «(…) autorii menŃionaŃi mai sus [Pruvost, Jean / Sablayrolles, Jean-François] propun să se ia în
considerare un „sentiment al neologiei”; or, acesta este foarte fluctuant: dacă la mijlocul secolului
trecut acesta avea o valoare de 10-15 ani, în prezent nu ar fi foarte prudent din partea lexicografilor să
propună un dicŃionar de neologisme care să recenzeze unităŃi lexicale mai „vechi” de cinci ani. Mai
trebuie spus că neologismele „îmbătrânesc” repede şi dispar poate şi pentru că se difuzează foarte
rapid (…).»
3. Concernant le rapport entre le xénisme et le pérégrinisme, Jean-Marc Chadelat (2000) affirme que
«Les pérégrinismes ne sont après tout que des mots voyageurs ou migrateurs considérés du point de
vue linguistique, en fonction d’une place hypothétique au sein du système susceptible de les adopter,
tandis que les xénismes sont ces mots étrangers considérés du point de vue des locuteurs en fonction
de leur forme exotique».
4. «À partir de cette distinction, on étudiera la création de nouveaux signifiés pour des lexies
existantes, ou néosémies » (Rastier, François / Valette, Mathieu, 2006, De la polysémie à la
néosémie), site: www.hum.uit.no/arrangementer/clbp/05.Rastier-Valette.pdf
5. Oficiul de Stat pentru InvenŃii şi Mărci.
6. «(…) am constatat că toŃi termenii erau de fapt mini-definiŃii pentru care este greu de imaginat o
funcŃionare adecvată în discurs; cităm câteva astfel de neologisme (pentru unele am propus soluŃii mai
convenabile, folosind descrierea invenŃiei furnizată de site): dispozitiv cu afişare tactilă, Braille sau
grafică, pentru perceperea, de către nevăzători, a informaŃiei de pe un ecran de calculator
(propunere: mouse Braille), sistem de comunicaŃie duplex, cu apelare cu tonuri DTMF şi selectare
electronică a postului apelat (duplex DTMF cu selectare a apelatului), prin intermediul unor câmpuri
magnetice (propunere: transformator mişcare rectilinie alternativă în mişcare de rotaŃie), element de
construcŃie, tip Ńiglă pentru acoperişuri, din materiale termoplastice recuperate şi procedeu de
obŃinere a acestuia (propunere: termoŃiglă, Ńiglă termoplastică), dispozitiv manual pentru bascularea
braŃului la autospeciale echipate cu cabină rabatabilă.» (Busuioc 1996: 11-12).
7. Gabriel Liiceanu, Scrisori către fiul meu, Humanitas, Bucureşti, 2008, p. 63.
8. Les rapports existant entre néologie et langues de spécialité sont très étroits, car les nouvelles
créations lexicales surgissent avec les nouveaux produits et les nouveaux concepts scientifiques,
techniques et technologiques. Pour cette raison, le terme de néonyme désigne l’unité lexicale
spécialisée, pour le distinguer du néologisme, qui désigne l’unité lexicale de la langue générale. Si les
néonymes répondent à une nécessité d’ordre terminologique, étant imposés par les nouvelles réalités,
les néologismes sont un moyen d’enrichissement et de modernisation du vocabulaire. Par conséquent,
ces derniers ne répondent pas à une nécessité terminologique, mais plutôt au besoin de la langue de
nuancer le vocabulaire, par rapport aux premiers, qui répondant à des nécessités dénominatives et ont
une stabilité beaucoup plus grande. Par conséquent, la néologie de la langue générale fait l’objet
d’étude du lexicologue, qui puise souvent son corpus dans la presse générale (quotidiens,
hebdomadaires, magazines, etc.), alors que la néonymie est traitée par le terminologue à partir de
corpus spécialisés ou officiels, y compris la presse pour les spécialistes.
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LA NÉOLOGIE ET SES MÉCANISMES DE
CRÉATION LEXICALE*
1. Introduction
1.1. La néologie s’avère un domaine qui pose beaucoup de problèmes
concernant généralement les aspects suivants : la définition des principaux
concepts opérationnels, la forme, la fréquence, l’origine et le sémantisme des mots
considérés comme appartenant à la classe des néologismes. En plus, parmi les
autres domaines de la linguistique, elle s’individualise par sa particularité de
désigner, à la fois, ses opérations (les procédés de création) et ses résultats (les
néologismes).
Par conséquent, la dimension polysémique du terme de néologie est plus
qu’évidente car le concept qu’il désigne renvoie à trois démarches différentes: (i)
création de nouvelles unités lexicales par le recours, conscient ou inconscient, aux
mécanismes habituels de créativité linguistique d’une langue; (ii) étude théorique et
appliquée des procédés de formation des mots, des critères de reconnaissance,
d’acceptabilité et de diffusion des néologismes ; (iii) activité institutionnelle
organisée qui se propose de recenser, de créer, de diffuser et d’implanter les
néologismes dans le cadre d’une politique de la langue.
Notre contribution se propose de traiter de la néologie sous un double
aspect : les opérations de formation des néologismes (ou les procédés de formation)
et les résultats de la créativité lexicale, néologismes pour la langue commune et
néonymes pour les langues de spécialité.
Si les deux domaines envisagés (langue commune vs. langue de spécialité)
disposent de termes spécifiques pour désigner leurs mots/termes, néologismes et
néonymes, le processus de formation des nouveaux mots dans les deux domaines
recouvre lui aussi des termes différents: la néologie, pour la formation des
néologismes de la langue commune, et la « néonymie » (Rondeau 1984), pour les
néonymes des langues de spécialité.
1.2. La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mis en évidence par
le fait que le fonds néologique continue de s’enrichir (voir dans ce contexte les
nombreux dictionnaires de néologisme / mots récents parus au cours des dernières
années ou bien les nouvelles éditions mises à jour, révisées et corrigées des
dictionnaires existants déjà, mais qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec
l’avalanche des mots nouveaux qui entrent dans la langue). La langue roumaine,
extrêmement accueillante, manifeste de la sorte sa force créative illimitée.
Dans ce contexte, notre article se propose de revisiter quelques acquis
théoriques et méthodologiques en matière d’études néologiques afin d’atteindre ses
deux objectifs :
- esquisser une classification générale des différents procédés de la
créativité linguistique dans le domaine de la néologie vs. néonymie lexicale, en
insistant surtout sur l’emprunt en tant l’un des principaux mécanismes linguistiques
de la création néologique ;
- présenter, de manière implicite, la relation qui existe, d’une part, entre les
néologismes vs. néonymes et les procédés de formation, d’autre part.
En ce qui concerne le corpus, nous avons illustré les procédés de formation
par des exemples pris dans le lexique roumain, mais pour la néologie par emprunt,
nous avons pris comme langue source le français, dont l’importance et le rôle dans
la modernisation de la langue roumaine sont incontestables.
2. La néologie en tant que processus de formation lexicale
La créativité est une constante dans le domaine de la néologie lexicale et
témoigne de la dynamique de chaque langue : «Une théorie de la néologie doit
rendre compte du fait d’évidence que la création lexicale est un élément permanent
de l’activité langagière» (Guilbert 1975: 34-43).
Malgré la diversité des typologies existantes, il est plus ou moins admis
que néologismes et néonymes font appel aux mêmes procédés de formation que les
néologues répartissent généralement en trois grands groupes qui recouvrent, à leur
tour, d’autres sous-types:
- néologie formelle;
- néologie sémantique;
- néologie par emprunt.
Les trois procédés présentent des moyens propres pour la formation des
nouveaux mots: si les deux premiers reposent sur les moyens internes d’une langue
(dérivation, composition), le troisième utilise des moyens externes de transfert d’un
mot/terme d’une langue source dans une langue cible (emprunt et calque).
Il n’y pas de délimitation stricte entre ces trois procédés de sorte que les
lexicologues se confrontent parfois à la difficulté de classer certains néologismes,
dont la formation relève à la fois de différents procédés (dérivation, emprunt) ou
même d’un seul type. À titre d’exemple, on peut citer Sablayrolles (2000) qui
considère que le verbe français réaliser, au sens de «comprendre», relève à la fois
de la néologie sémantique et de l’emprunt, sous l’influence de l’anglais to realize.
Malgré les superpositions de procédés qui peuvent apparaître, le nouveau
mot doit relever principalement d’une seule classe. Dans ce sens, dans le cadre
d’une thèse de doctorat entièrement consacrée à la néologie, Sablayrolles affirme
que : «les procédés ne seront inclus que dans une seule classe», puisqu’il s’agit
«dans un premier temps d’un simple récapitulatif ordonné et non encore de
l’établissement raisonné d’une typologie» (2000: 211).
2.1. La néologie formelle
Un des procédés les plus productifs de la néologie lexicale, la néologie
formelle, appelée également néologie flexionnelle ou morphologique, insiste sur
l’adjonction d’un affixe (termes/mots dérivés) ou d’un autre lexème, en général
non autonome et d’origine gréco-latine (termes/mots confixés). Cela veut dire que
néologismes signifient également mots formés à l’intérieur d’une même langue à
partir de mots existants. L’innovation est donc inhérente à chaque langue et elle
représente un aspect sur lequel les linguistes ont mis moins l’accent.
2.1.1. La dérivation
Les termes/mots dérivés sont préfixés, suffixés ou parasynthétiques
(dérivation multiple). La dérivation est un processus très productif en roumain, qui
dispose de nombreux affixes (suffixes et préfixes), ce qui explique la raison pour
laquelle le roumain fait partie de la famille des «langues de type dérivatif» (Sala
2001: 153).
Pour illustrer cette richesse dérivationnelle du roumain, on peut citer le cas
de beaucoup de verbes formés par dérivation préfixale à partir d’un nom emprunté
à d’autres langues ou hérité du latin. Par exemple, le verbe a îndoctrina qui
combine un affixe, le préfixe în- + doctrină, même s’il y a un terme semblable en
français, endoctriner, que le roumain aurait pu emprunter. Le roumain avance sur
la même ligne de la dérivation flexionnellee et propose deux autres mots de la
même famille lexicale, formés, cette fois-ci, par dérivation multiple: în+doctrin+are et în-+doctrin+at. Un autre exemple qui développe tout un
paradigme flexionnel à partir d’une base nominale: a încurajá (în-+curaj), d’après
le fr. encourager, încurajare (în-+curaj+-are), încurajat (în-+curaj+-at),
încurajator (în-+curaja+-tor).
Mais il existe aussi des cas où la dérivation est remplacée par un autre
procédé, d’ailleurs très productif pour le roumain, l’emprunt à d’autres langues. Par
exemple, toute la famille lexicale (nom, verbe, adjectif) est entrée en roumain par
filière française : a inventa, invenŃie, inventiv (inventer, invention, inventif), a
ilustra, ilustraŃie (illustrer, illustration) (ilustrat et ilustrativ sont des mots dérivés
sur le verbe roumain a ilustra), a infecta, infecŃie (infecter, infection) ou toute la
serie a aplica, aplicaŃie, aplicabilitate, aplicativ (appliquer, application,
applicabilité, applicatif).
Un autre exemple qui vient illustrer ce mélange entre les procédés internes
et externes de formation des néologismes nous est fourni par le formant anti- , qui
exprime l’opposition. En roumain, le préfixe anti- est soit un élément de dérivation
néologique (antiaccident, antiartistic, antiatom, antibacterian, antobronşitic,
anticanonic, anticar), soit, dans beaucoup d’autres cas, un élément de formation
interne: antibiotic, anticameră, anticiclon, anticlerical, anticolonialist,
anticonstituŃional, etc.
Un trait qui distingue ces mots dans les deux langues (français et roumain)
est leur orthographe. Anti- a une double orthographe en français: il est soudé au
nom (antibasculement,
antidébordement,
antidérapant,
antiasphyxiant,
antidiffusant, antinucléaire, antigiratoire, antidétonant) ou il garde encore le signe
de la composition (anti-corrosif, anti-aérien, anti-atomique, anti-éblouissant, antigluant, anti-oxydant, anti-sous-marin). Par rapport au français, le roumain
présente une seule orthographe, la forme soudée du formant anti-.
Le roumain et le français sont des langues tellement rapprochées que les locuteurs
roumains prennent pour des mots français des unités qui sont des créations
autochtones comportant pourtant un formant français, que celui-ci soit la racine,
un suffixe ou un élément de composition. Ces
mots sont appelés
«pseudofranŃuzisme propriu-zise» Hristea (1979: 492) que nous illustrons par les
exemples du même auteur: «la racine (pic-aj), le suffixe (şantaj-eur) ou un
élément de composition (grandomanie)» (Hristea 1979: 492).
2.1.2. Les termes/mots confixés
Contrairement aux termes/mots préfixés, les termes/mots confixés ou les
termes-syntagmes correspondent au regroupement de deux ou plusieurs mots qui
représentent une seule unité conceptuelle. Il suffit de l’apparition d’un seul élément
nouveau dans une expression pour que l’on parle de néologisme : «Dès lors qu’un
élément nouveau surgit dans ces associations plus ou moins figées, elles deviennent
néologiques» (Sablayrolles 2000:155).
«Ces nouvelles alliances» (Idem: 156), caractérisées par une perte de leur
sens compositionnel au profit d’un sens unique, combinent le plus souvent la
structure déterminé + déterminant : fisurare la cald (fente de chauffage), fisură de
compresiune (fente de compression), fereastră de control (fente de contrôle), fantă
de citire (fente de lecture), canal de plantare (fente de plantation), fantă de
radiaŃie (fente de rayonnement), fantă de răcire (fente de refroidissement), fantă de
contracŃie (fente de retrait), fisură de ruptură (fente de rupture), fisură de ieşire
(fente de sortie), etc.
Un autre trait distinctif entre les deux procédés de formation lexicale
(dérivation vs. composition) concerne leur domaine de manifestation. Soulignant la
spécificité des néonymes par rapport aux néologismes, A. Goosse (1975) traduit
cette différence par les procédés de formation de ces deux classes : les néologismes
privilégient la création morphologique par préfixation et par suffixation tandis que
les néonymes favorisent la création syntagmatique.
Il est évident que ce procédé de formation des termes nouveaux se montre
comme l’un des procédés les plus fréquents pour former les néonymes car les
dénominations qu’il permet de former sont caractérisées par leur brièveté, leur
aspect international et leur précision sémantique.
Même dans le cas des termes formés à partir d’éléments de composition, nous
avons relevé un aspect récurrent qui pose des problèmes aux lexicologues. Il s’agit
de l’origine des termes confixés en roumain, qu’il emprunte au français ou qu’il
dérive avec ses propres moyens. Par exemple, le formant bio- développe deux
types de paradigmes:
(i) termes calqués, le plus souvent, sur le français: bioamplificator
(bioamplificateur),
bioastronautic
(bioastronautique),
biobibliografíe
(biobibliographie), biocenotic (biocénotique), biocenoză (biocénose), biochimie
(biochimie), biochimist (biochimiste), biocibernetic (biocybernétique), bioclimatic
(bioclimatique), bioclimatolog (bioclimatolog), bioclimatologie (bioclimatologie),
biocompatibil (biocompatible), etc.
(ii) termes formés en roumain si le français n’a pas de tels mots/termes:
bioacumulare, biobibliografic, biocomplex, bioconşiiínŃă, biocurent, biodetector,
biodeteriorare, etc.
3. La néologie sémantique
3.1. L’évolution sémantique des mots peut être ramenée à plusieurs causes
principales: historiques, sociales, linguistiques et psychologiques. Selon les
changements de nature sociale, politique et culturelle qui apparaissent dans la
société contemporaine, la néologie sémantique crée de nouveaux termes ou mots
par l’adjonction d’une nouvelle acception à une dénomination déjà existante dans
les deux classes envisagées: néologismes et néonymes.
La spécificité de la néologie sémantique en tant que procédé de formation interne
consiste dans la multiplication du sens pour une même unité lexicale : «Il s’agit de
néologie quand un mot déjà existant dans une langue ajoute un autre sens»
(Sablayrolles 2000: 150).
Pour illustrer la néologie sémantique, nous prenons le cas du mot cancer.
Du point de vue de son origine, il est calqué sur le français cancer avec deux sens :
(i) tumeur maligne due à une multiplication anarchique des cellules d'un tissu
organique et (ii) quatrième constellation du Zodiaque située dans la partie la plus
septentrionale de l'écliptique. Depuis trois ans, ce mot a développé un autre sens,
celui de «grand malheur d'origine naturelle ou humaine qui frappe et ravage une
collectivité», sens qui est devenu tellement dominant qu’il est presque considéré
comme un «développement sémantique parallèle» (Dimitrescu 1994: 224).
Mais l’adjonction d’un nouveau sens a parfois des répercussions sur
l’emploi d’un mot qui, par déformation de son sens initial, devient un barbarisme
(Mihailovici 2005:27). Pour illustrer la même déformation du sens d’un mot par
l’adjonction de signifiés qui sont en contradiction avec le sens initial, Hristea (2000:
338-339) cite deux exemples: le mot doleanŃă (< fr. doléance avec le sens de
«plainte») a aussi le sens de «désir» et colloque (< lat. colloquium) avec le sens de
«entretien, conversation» apparaît dans des syntagmes du type colocviu scris
(colloque écrit).
3.2. Sablayrolles considère pourtant que «les deux grandes voies reconnues
de la néologie sémantique sont la métaphore et la métonymie» (Sablayrolles 2000:
155), procédés qui reposent sur la similitude entre deux référents.
Par exemple, pour les néonymes, l’une des sources vivantes de création
néologique est la lexicalisation des métaphores. Par ce procédé, les parties du corps
peuvent acquérir de nouvelles acceptions dans des domaines technico-scientifiques
différents: (i) machines : braŃ articulat (bras articulé), bretelele elevatorului (bras
d’élévateur), talpa de fixare (bras de fixation), braŃ de ghidaj (bras de guidage) ;
voitures: braŃele ştergătorului de parbriz (bras d’essuie-glace), braŃ de frânâ (bras
de frein); (iii) navires: braŃ de ancoră (bras d’ancre), braŃul vergii mari (bras
grand), braŃ de ridicare (bras de levage).
3.3. Moyen linguistique pratique et économe, le procédé de siglaison fait
aussi partie des mécanismes linguistiques de la création néologique car la forme
réduite a un statut autonome par rapport à la forme de base. Il se montre très
fréquent en néonymie car chaque langue présente la tendance à abréger une partie
de son lexique, soit par voie de siglaison, soit par troncation.
Procédé très à la mode à l’époque de la vitesse et de la communication
rapide, les sigles sont les réductions de termes - syntagmes où seules les lettres
initiales des substantifs composent le syntagme: APAPS (Autoritatea pentru
Privatizarea şi Administrarea ParticipaŃiilor Statului), SIF (Societate de InvestiŃii
Financiare), SRL (Societate cu Răspundere Limitată), SA (Societate pe AcŃiuni),
TVA (Taxă pe Valoarea Adăugată).
4. La néologie par emprunt
4.1. L’un des principaux mécanismes linguistiques de la création
néologique est, de toute évidence, l’emprunt. Procédé externe d’enrichissement
lexical, l’emprunt consiste à importer dans une langue cible des mots appartenant à
une langue source. Considérée la solution la plus commode pour remplir les
lacunes lexicales d’une langue, il est favorisé par des facteurs extralinguistiques
tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et culturels de deux ou
plusieurs communautés.
4.1.1. Le problème de l’étymologie
Établir l’étymologie des emprunts constitue une tâche très importante pour
le lexicographe qui doit savoir présenter le mot sous tous ses aspects. Si l’on veut
envisager l’étymologie des emprunts roumains à d’autres langues, cet aspect met
en évidence, d’une part, la complexité de l’origine et, d’autre part, les problèmes
controversés qui en découlent. Au-delà de ces difficultés, «la diversité
étymologique du vocabulaire roumain est une source de sa richesse en général et de
sa richesse en synonymes, anciens ou nouveaux, plus particulièrement» (Sala 2001:
147-148).
Plus précisément, le vocabulaire de la langue roumaine a un caractère
profondément hétérogène, dû à sa constitution sous l’influence de plusieurs langues.
C’est la raison pour laquelle la littérature de spécialité (Dimitrescu 1994; Dănilă /
Haja 2005) propose une typologie de l’étymologie des mots que le roumain a
empruntes à ces langues:
- emprunts à étymologie multiple (concept introduit par Graur 1950);
- emprunts à étymologie unique;
- emprunts à étymologie controversée (néologismes qui peuvent
s’expliquer soit par des emprunts soit par des procédés internes, tels que la
dérivation ou la néologie sémantique).
Il est évident que, sur les trois classes d’emprunts, deux posent de vrais
problèmes. La première regroupe les emprunts à étymologie multiple, ceux qui ont
des étymons différents. Ce phénomène a été expliqué par le fait que «le fonds
néologique du roumain a été constitué sous l’influence de plusieurs langues: le latin
savant, le néogrec, le russe, l’allemand, l’italien et, surtout, le français» (Hristea
1968: 104).
Par conséquent, beaucoup de mots qui font partie du vocabulaire des
langues romanes sont entrés en roumain par la filière des langues voisines (le
néogrec, les langues slaves - surtout le russe et le polonais, le turc, le hongrois,
l’allemand et l’anglais); d’autre part, des mots appartenant à une certaine langue
romane (le portugais ou l’espagnol) sont entrés par l’intermédiaire d’une autre
langue, toujours romane (surtout le français) (Avram 1982, Iliescu 2007).
À titre d’exemple, on peut citer le cas où, dans une famille lexicale,
certains mots ont une étymologie unique et d’autres une étymologie multiple,
parfois uniquement pour certains sens. Il s’agit, d’une part, du verbe a intriga
(=intriguer) qui a une étymologie multiple (<fr. intriguer, it. intrigare), mais dont
le nom correspondant a une étymologie unique (<fr. intrigue). À l’inverse, le verbe
a inventa (=inventer) a une étymologie unique (<fr. inventer) tandis que les noms
inventar (=inventaire) et invenŃie (=invention) ont une étymologie multiple
(française et latine savante). Parfois, l’étymologie multiple apparaît à l’intérieur du
même paradigme, adjectival dans ce cas: academic (<fr. académique, lat.
academicus), mais neacademic vient de l’anglais non-academic.
D’autre part, l’étymologie multiple apparaît pour certains sens d’un mot.
Le verbe a îndura a une étymologie latine (<lat. INDURARE), empruntant aussi un
de ses trois sens au français: «supporter patiemment un chagrin, une douleur, une
maladie». Les deux autres sens que le français ne présente pas correspondent à sa
forme pronominale a se îndura et signifie «montrer de la pitié pour quelqu’un»
et «consentir, accepter, se décider».
4.2. Le calque
Dans la classe des procédés externes, l’emprunt et le calque sont souvent
confondus de sorte que l’existence de critères distinctifs s’avère fort utile pour les
linguistes et les lexicologues. Sablayrolles (2000: 134) nous donne un point de
repère pour la distinction de ces deux procédés, celui de la datation: «l’emprunt
n’est identifiable que si l’on connaît l’existence de la lexie étrangère d’origine et
que si l’on sait qu’elle est antérieure à la lexie français et, qui a été modelée sur
elle».
Procédé externe de la néologie lexicale, le calque regroupe deux autres
sous-classes: le calque sémantique et le calque de structure.
En ce qui concerne le calque sémantique, un mot existant dans une langue
acquiert, sous l’influence d’une autre langue, une nouvelle acception. Par rapport à
la néologie sémantique, qui est un procédé interne d’adjonction d’un signifié à un
signifiant existant dans une langue, le calque sémantique est un procédé externe qui
consiste à ajouter, sous l’influence d’une autre langue, une nouvelle acception.
Par exemple, le mot primar (= primaire) avec le sens de «initial,
primordial, originaire» a une étymologie latine (< lat. primarius), mais, sous
l’influence du français maire, il a acquis le sens de «premier magistrat de la
commune, élu par le conseil municipal parmi ses membres pour exécuter les
décisions du conseil, représenter la commune et exécuter sous l'autorité du préfet
des fonctions d'agent du pouvoir central».
Un autre calque sémantique a été créé sous l’influence de l’anglais qui a
transmis le sens de «comprendre» du verbe to realize au verbe homonyme du
roumain a realiza dont le sens était, tout comme celui du verbe français qui se
trouve a son origine, celui d’«accomplir».
Mais le calque sémantique le plus répandu apparaît dans les langues de
spécialité, où les termes sont souvent calqués sur ceux de la langue source, le
français dans notre cas. Nous prenons comme exemple le domaine de la biologie:
labilitate (labilité), lactază (lactase), lactogenetic (lactogénétique), lactogeneză
(lactogenèse), leucocitogeneză (leucocytogenèse), leucopoieză (leucopoïèse),
levuloză (lévulose), lignicol (lignicole), limfoblast (lymphoblaste), lipază (lipase),
lipemie (lipémie), lipocrom (lipochrome), lopoliza (lipolyse), lipotrop (lipotrope),
etc.
D’autre part, le calque de structure consiste dans l’adoption de la forme
interne d’un mot étranger et il apparaît aussi bien dans le cas des mots simples
(calque lexical): lamă (lame), lambriu (lambre), laminor (laminoire), langustă
(languste), lanolină (lanoline), lanternă (lanterne), lecitina (lecitine), leucemie
(leucemie), etc. que dans celui des phraséologismes (calque phraséologique): ceas
– brăŃară (montre bracelet), câine-lup (chien loup), hârtie monedă (papier monnaie), nou-născut (nouveau-né).
4.3. L’adaptation des emprunts
Un autre aspect que nous devons prendre en considération concerne le
degré d’adaptation du nouveau mot/terme car, selon Guilbert, «un néologisme
n’existe réellement que s’il entre dans un certain usage» (1975: 44). L’auteur cité
ajoute plus loin que c’est la répétition de l’acte de création qui installe le
néologisme «individuel» dans «la société du lexique». Le néologisme ainsi
lexicalisé perd, du coup, sa qualité de néologisme pour devenir un mot
«socialement établi».
Dans la tradition des études néologiques, on considère que les néologismes
qui s’installent dans les langues relèvent fréquemment au départ du discours
spécialisé, car ils sont créés pour des besoins de dénomination de nouveaux
concepts et de nouveaux produits. Lorsque les néonymes se divulguent, puis se
banalisent, entrant dans les discours du non spécialiste, ils intègrent la langue
générale, en perdant en partie leur statut spécialisé.
En ce qui concerne le degré d’adaptation des emprunts, celui-ci constitue
un critère de distinction entre les deux types d’unités lexicales analysées: si les
néonymes ont une identité formelle presque identique dans les deux langues, les
néologismes ont un degré plus ou moins grand d’adaptation phonétique et
graphique.
Par conséquent, les néonymes empruntés au français présentent une
identité formelle dans les deux langues. À titre d’exemple, on peut citer les 34
termes biologiques inventoriés par Florica Dimitrescu (1994: 225): acvacultură,
anabazis, antigenă, antropo, biodegradabil, bioluminiscent, biomasă,
biomatematică, bionică, biostimulator, biotelemetrie, biotop, criobiologie, ecologie,
ergotamină, fotoenergetică, fitosanitar, gamaglobulină, hipotermie, homeostazie,
izomerază, metabolit, micropaleontologie, ocelă, protidic, radiostimulare,
rodopsin, sapropelic, thanatologie, teleonomie, trisomie, umanoid, viral, virologie.
La classe des néologismes applique l’adaptation des emprunts à la langue
cible de sorte qu’on peut avoir une orthographe identique pour deux emprunts
différents. C’est le cas du mot diplomat qui a une double étymologie avec des sens
spécifiques: 1. emprunt au français diplômé avec le sens de «titulaire d'un
diplôme» et 2. emprunt au français diplomate avec deux sens: a. «personne
officiellement chargée de représenter son pays auprès d'un gouvernement étranger
ou dans les affaires internationales» et b. «entremets froid servi avec une sauce aux
fruits». Si le premier sens est presque absent dans la langue courante, les deux
derniers sont d’un usage fréquent, même si, pour la dernière acception, le terme
figure dans une collocation du type tort diplomat, prăjitură diplomat, dans le but
d’éliminer toute ambiguïté de sens.
4.4. La nécessité des emprunts
Un autre facteur qui fait la distinction néologismes vs. néonymes concerne
la nécessite des emprunts: si les néonymes répondent à une nécessité d’ordre
terminologique, imposés par les nouvelles réalités, les néologismes sont parfois des
emprunts à la mode.
Les néologismes qui ont une existence éphémère enregistrent des
occurrences isolées sans avoir le pouvoir de pénétrer dans la langue courante. Il
s’agit dans ce cas de xénismes ou pérégrinismes (Kocourek 1982: 133), des
emprunts perçus par l’usager comme un élément étranger et qui ne sont pas encore
intégrés par le système linguistique de la langue cible. À titre d’exemple, on peut
citer Iordan (1954) qui relève dans la presse d’entre les deux guerres un série de
mots empruntés au français qui ne correspondaient à aucune nécessité: aberant
(aberrant), abhorat (abhorré), alert (alerte), angoasă (angoisse), aviva (aviver),
bulversa (bouleverser), claca (claquer), compozit (composite), confesa (confesser),
cozerie (causerie), curonament (couronnement), devanseur (devanceur), diurn
(diurne), dompta (dompter), efasa (effacer), extravaga, flana (flâner), flaterie
(flatterie), etc. Beaucoup de ces mots sont déjà intégrés dans le roumain courant:
aberant, alert, angoasă, a claca, compozit, confesa, diurn, etc.
Si l’on fait référence à l’époque actuelle, beaucoup d’emprunts, surtout au
français, ont un caractère livresque et ne sont pas entrés dans le circuit général de la
langue. C’est, par exemple, le cas des mots : a lacera (lacérer), a lapida (lapider),
a libela (libeller), a umecta (humecter), a uzita (usité), a oblitera (oblitérer), a cola
(coller), a hanta (hanter), lancinant (lancinant), umanoid (humanoïde), obsecvios
(obséquieux), etc.
L’importation d’une nouvelle acception pour un mot existant dans une
langue est parfois ressentie comme étrangère. C’est le cas du terme aplicaŃie
(application) qui, sous l’influence de l’anglais, a acquis le sens de «demande,
sollicitation», sens qui se superpose à ceux qui existaient dans la langue courante:
«exercice militaire de lutte». Le DEX nous donne là-dessus une explication, en
précisant que cette nouvelle acception a été reprise dans le Dictionnaire d’argot
(2007), ce qui veut dire que la langue parlée peut être une source pour l’adjonction
de sèmes aux unités lexicales qui existent dans une langue.
Ces emprunts stylistiques sont aussi très utilisés dans le langage de la presse où les
mots roumains sont doublés d’emprunts étrangers: a antama (entamer), a envisaja
(envisager), a bulversa (bouleverser), a devoala (dévoiler), a se deroba (se
dérober), indenegabil (indenegabile), lejeritate (légèreté), mefienŃă (méfiance), a
stopa (stopper), ce qui s’explique soit par « un snobisme linguistique », soit par la
recherche d’un style personnel.
5. En guise de conclusion
La créativité lexicale reflète le développement scientifique, technique et
culturel d’une société, car chaque langue dispose d’un ensemble de procédés
morphologiques, morphosyntaxiques et morphosémantiques pour créer les
nouvelles dénominations
En ce qui concerne les mécanismes linguistiques de la création néologique,
nous avons retenu les aspects suivants :
(i) Chaque langue dispose de ses propres stratégies de formation dans le
domaine de la néologie lexicale, même si le point de départ reste l’emprunt à
d’autres langues.
(ii) Le contact incessant des langues rend parfois très difficile le processus
de distinction entre un mot dérivé ou un emprunt. Seule la documentation
lexicographique peut nous rassurer et nous fournir les meilleures informations.
(iii) Sur les trois procédés de création néologique pris en considération,
nous pouvons affirmer que les deux premiers, en tant que procédés internes,
utilisent des mots existant dans une langue et leur nouveauté consiste dans un
changement de forme (néologie flexionnelle) ou de sens (néologie sémantique)
tandis que l’emprunt, procédé externe d’enrichissement du vocabulaire, introduit
une nouvelle lexie dans une langue, ce qui suppose, à la fois, une nouvelle forme
avec un nouveau sens.
(iv) Pour ce qui est du rapport néologismes vs. néonymes et les procédés
de formation, nous avons retenu les idées suivantes:
- la forme, en tant que critère de distinction, classifie les mots courts dans
la classe des néologismes et les formes syntagmatiques dans celle des néonymes;
- les néologismes privilégient la création morphologique par préfixation et
par suffixation tandis que les néonymes favorisent la création syntagmatique;
- la néologie sémantique se manifeste surtout dans le domaine des
néonymes qui enregistrent un grand nombre de métaphores lexicalisées ou de
siglaisons;
- l’emprunt et le calque sont les moyens externes les plus fertiles pour la
création des néonymes qui, après avoir subi une «socialisation» à l’intérieur de la
langue cible, se divulguent et sont employés par un grand nombre de locuteurs.
*Daniela Dincă, Analele UniversităŃii din Craiova, ŞtiinŃe filologice, Lingvistica, 2009, 1-2, p. 79-90.
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TLFi = Trésor informatisé de la langue française, CNRS.
ASPECTS THÉORIQUES DE LA NÉOLOGIE
TERMINOLOGIQUE*
1. Introduction
Les progrès scientifique, technique et culturel ont pour effet la création
incessante d’un nombre important de termes nouveaux qui reflètent toutes les
composantes essentielles de la spécialité: les choses étudiées, les concepts
correspondants, les connaissances accumulées, les buts, les méthodes et les
spécialistes. Les recherches sur la néologie recouvrent, d’une part, le lexique de la
langue générale et, d’autre part, la problématique de la formation des
dénominations terminologiques de la langue spécialisée.
Les réflexions sur les différences et les liens entre la langue générale et la
langue spécialisée et entre les néologismes de la langue générale et les néonymes
des langues de spécialité sont aussi l’objet de nombreux travaux des linguistes,
lexicologues et terminologues. Dans ce contexte, notre contribution se bornera à
aborder certains aspects concernant la différence entre les néologismes et les
néonymes. Nous puisons nos exemples sur les néonymes dans le corpus du projet
Néologismes économiques dans les langues romanes à travers la presse, réalisé par
le réseau REALITER de l’Union latine.
Un autre aspect qui fera aussi l’objet de notre analyse concerne le
développement de la néologie en tant qu’activité institutionnelle de normalisation
et de réglementation de la créativité lexicale dans le domaine de la langue
commune et de la langue spécialisée.
2. Critères de distinction néologisme vs. néonyme
Dans une première étape des études néologiques et néonymiques, les
linguistes se penchent sur les caractéristiques communes et ensuite sur les
caractéristiques distinctives de ces deux types d’unités lexicales. Les facteurs qui
distinguent le néologisme du néonyme relèvent aussi bien de leur origine et de leur
forme que de leur qualité d’attribuer au message une certaine spontanéité et une
circulation internationale. Mihailovici (2005: 27) cite cinq facteurs qui
différencient les néologismes lexicaux de la langue commune des termes
néologiques ou les néonymes: (i) la spontanéité; (ii) la synonymie; (iii) la forme;
(iv) l’origine et (v) la propagation.
2.1. La spontanéité
Parmi les critères distinguant néologismes et néonymes, dans l’ensemble
de la littérature classique sur le sujet, les critères les plus saillants sont
essentiellement de nature pragmatique. Par conséquent, les néonymes surgissent
dans les textes scientifiques, techniques et officiels où ils sont employés par les
spécialistes d’un domaine au moment où apparaît un nouveau concept. Dans
d’autres mots, il s’agit du critère de nécessité auquel le néonyme doit satisfaire. Par
conséquent, un néonyme répond toujours à un besoin de communication clairement
exprimé qui peut être celui de dénommer une nouvelle notion ou réalité ou celui de
dénommer autrement, dans sa langue propre, une notion déjà existante.
Si les néonymes répondent à une nécessité d’ordre terminologique,
imposés par les nouvelles réalités, les néologismes sont un moyen d’enrichissement
et de modernisation du vocabulaire. Par conséquent, si la néologie de la langue
générale fait l’objet d’étude du lexicologue qui puise son corpus dans la presse
générale (quotidiens, hebdomadaires, magazines, etc.), la néonymie est traitée par
le terminologue à partir de corpus spécialisés ou officiels, y compris la presse pour
les spécialistes.
2.2. La synonymie
Le néonyme est une unité notionnelle. En d’autres mots, il doit satisfaire
au principe fondamental de la terminologie: à une notion il doit théoriquement
correspondre une seule dénomination. Cela exclut la synonymie, la polysémie et
l’homonymie, relations sémantiques considérées comme des facteurs de confusion
en terminologie. De l’autre côté, les néologismes ont une valeur stylistique qui leur
permet d’apparaître dans des niveaux de langue différents tandis que les néonymes,
dénotant des objets ou des phénomènes, ne présentent pas de séries synonymiques.
Cependant, la synonymie en néologie terminologique se montre très
fréquente, même si, en principe, elle devrait être très faible, voire inexistante. J.
Boissy (1992) indique pour certains termes nouveaux trois, quatre, même cinq
synonymes:
Visière stéréoscopique = casque de visualisation tridimensionnelle
= dispositif de vision stéréoscopique
= station de travail en environnement virtuel
= visiocasque
Dans ce cas, la synonymie en terminologie est un phénomène normal,
expliqué par Bessé dans les mêmes termes de la créativité lexicale:
«Il est normal qu’il y ait synonymie lorsqu’il y a création.» (Bessé 1992:77)
2.3. L’origine
Il est unanimement reconnu que l’origine des néologismes reste l’emprunt
à d’autres langues ou bien le processus de création lexicale sur la base des procédés
morphologiques ou syntagmatiques et, pour les néonymes, il y a la création
syntagmatique.
Soulignant la spécificité des néonymes par rapport aux néologismes, A.
Goosse (1975, Avant-Propos) traduit cette différence par les procédés de formation:
si les néologismes privilégient la création morphologique par préfixation et par
suffixation, les néonymes favorisent la création syntagmatique.
À son tour, G. Rondeau (1984) établit trois modes pour la formation des
néonymes:
- modes de formation morphologiques (dérivation, apocope);
- modes de formation morpho-syntaxiques (groupement syntagmatique,
siglaison, changement de catégorie grammaticale, réduction);
- modes de formation morpho-sémantiques (calque, emprunt).
2.3.1. La néologie flexionnelle
La dérivabilité est un trait caractéristique des néonymes, qui peuvent subir
les procédés de dérivation morphosyntaxique. Les termes/mots dérivés sont
préfixés, suffixés ou parasynthétiques (dérivation multiple).
Les suffixes nominaux se sont même spécialisés pour exprimer une
certaine valeur sémantique: -age (noms qui expriment l’action ou le fait: arrosage,
assemblage, balayage, chauffage), -ation (suffixe issu du lat. -ationem, entrant
dans la construction de nombreux substantifs féminins qui expriment une action ou
le résultat de cette action: décalcification, fixation, installation, lubrification,
massification), -ure, -ment, -aison, -erie (suffixes pour la nominalisation de l’action:
coupure, fermeture, peinture, combinaison, appliquement), -eur (l’agent de l’action
exprimé par le verbe: aérer – aérateur, adoucir – adoucisseur, avertir –
avertisseur). Les suffixes -able, -ique, -ant sont productifs dans la formation des
adjectifs à base de verbe: coulisser – coulissant, régler – réglable, etc.
Parmi les préfixes, nous avons pris le formant anti- exprimant l’opposition.
Il est soudé au nom: antibasculement, antidébordement, antidérapant
antiasphyxiant, antidiffusant, antinucléaire, antigiratoire, antidétonant ou il garde
encore le signe de la composition: anti-corrosif, anti-aérien, anti-atomique, antiéblouissant, anti-gluant, anti-oxydant, anti-sous-marin, etc.
Un
terme
prolifique dans le domaine informatique est celui composé avec cyber: cyberrecrutement, cyberachat, cyberacheteur, cyberapprentissage, cyberassistance,
cyberbanque, cyberbavardage, cyberboutique, cyberbranché, cybercafé,
cybercaméra, cybercarnet , etc.
Le formant radio est tiré du lat. radius «rayon (lumineux)», entrant au XXe
siècle dans la construction d'un grand nombre de mots savants notamment des
substantifs dans le domaine de la biologie et de la médecine et dans celui de la
physique nucléaire et corpusculaire dans lesquels il introduit la notion de
«radiations» ou de «radioactivité».
Radio- est apparu d'abord avec le sens de «radiation, énergie radiante»,
puis dans le mot radiomètre. Repris en 1896 par Röntgen avec le sens de «rayons
X», il a été étendu à celui de «rayonnements corpusculaires», sens retenu par Marie
et Pierre Curie en 1898 dans radioactif, radioactivité, radioélément et radium. Il a
connu enfin une spécialisation de sens avec celui de «isotope radioactif de (= du
corps chimique préfixé)» dans des mots du type radio-aluminium.
On le rencontre dans la plupart des domaines scientifiques et techniques.
Par exemple, dans le domaine de la biologie, il entre comme formant dans les
composés suivants: radiomutation, radiotoxicité, radioprotection, radioépidermite,
radioleucose,
radiomucite,
radiopathie,
radiopathologie,
radiosarcome,
radiocardiogramme, radiodosimétrie, etc.
2.3.2. La formation syntagmatique
La relation syntagmatique entre les éléments des termes/mots confixés est
presque toujours la relation déterminant+déterminé et, souvent, on a des
termes/mots confixés comptant plus de deux lexèmes: boroneutrothérapie,
magnétoencéphalogramme, fructo-oligosaccharide, etc. Du point de vue
sémantique, on traite le latin et le grec avec beaucoup de liberté et quelquefois on
donne à ces confixés savants des valeurs qu’ils n’avaient pas à l’origine, les
utilisant ainsi pour désigner des concepts qui n’étaient pas connus dans l’antiquité.
Contrairement aux termes/mots simples, les termes-syntagmes renvoient à «un
groupe de mots séparés par des blancs et qui sont syntaxiquement liés tout en
identifiant une notion unique dans un domaine déterminé du savoir» (Boulanger
1988: 2).
La structure formelle des termes-syntagmes correspond au regroupement
de deux ou plusieurs mots, selon des règles de la langue en question. Cette forme
complexe représente une seule unité conceptuelle malgré le nombre de
déterminants qui se rapportent à un seul déterminé. Par exemple, le mot adresse est
le centre des suites suivantes : adresse courriel, adresse de courrier électronique,
adresse de courrier électronique jetable, adresse IP de serveur mandataire, etc.
2.3.4. La néologie par calque et emprunt
Les emprunts directs ou calqués sont aussi très fréquents en néologie
terminologique du français contemporain.
La solution la plus rapide et la plus simple est évidemment l’emprunt: «[l’]
emprunt pour une langue n’est pas gênant en soi. […] Le véritable problème de
l’emprunt terminologique est son volume important et surtout, sa concentration
dans certains domaines du savoir» (Rousseau 2005: 36-37).
Dans le glossaire réalisé sous l’égide de Réaliter, Néologismes économiques dans
les langues romanes à travers la presse, le français a emprunté à l’anglais les
classes suivantes de termes:
- termes simples: growth, hub, value, holding;
- termes composés: workflow, benchmarker, benchmarking, dotcom, ebanking, outsourcing;
- termes syntagmatiques: job board, policy mix, pure player, senior
economist, affirmative action, black empowerment, big bang, black empowerment,
business angel, business plan, chief executive, corporate governance, crawling peg,
credit crunch, currency board, delivery maturity, ethnic business, experience
rating, fast track, first mover, golden parachute, golden share, shareholder value,
success fee.
Le pourcentage des termes syntagmatiques sur l’ensemble des emprunts est
évident, ce qui veut dire que les termes syntagmatiques, très fréquents dans les
langues de spécialité, circulent facilement d’une langue dans l’autre.
D’autres termes empruntés à l’anglais présentent des doublets en français:
- ils sont calqués sur l’anglais (hedge funds / fonds spéculatifs, intellectual
assets management / actifs intellectuels, le marché low coast / compagnies à bas
prix, les success fees / honoraires de succès, le brick and mortar / brique et béton);
- ils présentent une structure explicative (le knowledge management (KM) /
gestion des connaissances dans l’entreprise, mapping / activité qui consiste à
zoomer sur des cartes interactives, l'outsourcing / le développement de
l'externalisation, les road-shows / les tournées de déplacement à l'étrange, le talent
market / un système de vente aux enchères ou les internautes peuvent se vendre au
plus offrant).
2.4. La forme
Un autre critère de distinction néologismes vs. néonymes qui en découle
est la forme des deux sous-classes: les mots courts sont classifiés dans la classe des
néologismes et les formes syntagmatiques dans celle des néonymes. Par
conséquent, les mécanismes linguistiques de la créativité lexicale privilégient la
composition, le groupement syntagmatique, la siglaison ou la réduction dans la
classe de néonymes. À tout cela, on ajoute le caractère morpho-phonologique du
néonyme : il doit s’intégrer dans la langue sans être perçu comme un corps étranger
et, par conséquent, susceptible d’être rejeté.
D’autre part, puisque les néonymes sont des mots qui apparaissent surtout
dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC),
ils présentent une identité formelle presque identique dans les deux langues
(langue-source et langue-cible), ce qui les différencie se situant au niveau de la
prononciation. De ce point de vue, pour qu’il soit accepté, un néonyme ne doit pas
présenter de grandes difficultés de prononciation dans la langue cible.
2.5. La propagation
La fréquence et la circulation restent aussi un critère de distinction
néologisme vs. néonyme. Les néologismes sont des mots d’une circulation réduite
qui circulent uniquement dans l’espace où ils ont été créés. D’autre part, les
néonymes ont une circulation internationale et font partie des nomenclatures
internationales à valeur universelle.
Il y a sur le marché des analyseurs de néologismes pour leur détection
automatique et semi-automatique dans des textes électroniques. Le travail manuel
et laborieux des lexicographes, qui consistait dans l'examen d'un grand nombre de
textes pour actualiser la nomenclature des dictionnaires avec les mots ou
expressions nouveaux, a été remplacé par la détection automatique ou semiautomatique des néologismes. La différence entre les deux types consiste dans
leurs limites et dans l’intervention du facteur humain: les systèmes automatiques
extraient une liste de néologismes d’un texte sans l’intervention d’un utilisateur
humain tandis que les systèmes automatiques extraient les néologismes potentiels
qui sont ensuite catalogués par les intervenants humains.
3. La néologie en tant qu’activité institutionnelle
La néologie vise également une intense activité institutionnelle pour
recenser, inventorier, diffuser et implanter les néologismes dans le cadre d’une
politique linguistique.
Dans le domaine de la néologie, la créativité lexicale est soumise à des
réglementations qui visent les critères linguistiques et sociolinguistiques auxquels
les formes néologiques doivent répondre pour pouvoir faire partie du lexique.
Selon Mihailovici (2005: 27), les critères linguistiques d’un néologisme
visent l’univocité (il doit renvoyer à une notion stable, bien délimitée, avec une
forme explicite et claire, avec laquelle la notion se trouve en relation d’univocité),
la forme simple (il doit être court et concis, se constituant en base de dérivation
pour de nouveaux mots), l’adaptation (il doit s’adapter aux règles du système
linguistique de la langue cible, y inclus les systèmes phonétique et graphique) et sa
transparence (il doit être transparent afin de déduire sa motivation).
Quant aux critères sociolinguistiques, ceux-ci visent la nécessite (un
néonyme répond toujours à un besoin de communication clairement exprimé), la
transparence (il doit avoir des connotations positives et sans associations
incorrectes), l’appartenance à un registre de spécialité, tout en respectant les lignes
fondamentales de la politique linguistique.
L’apparition d’un néonyme répond donc à des critères bien identifiés par
les disciplines qui s’occupent de l’aménagement de la langue.
Par conséquent, chaque langue a ses propres organismes d’encouragement et de
promotion des politiques d’adaptation terminologiques dans le cadre d’un
processus de planification néologique. Pour le roumain, les linguistes et les
lexicologues manifestent eux aussi le souci de fonder des organismes (commissions
de terminologie, structures sous-jacentes aux différents ministères) ayant le pouvoir
de décision dans le domaine de l’emploi de la langue afin de la défendre contre la
tendance vers une utilisation anarchique et de veiller à son développement
harmonieux.
Sur le plan international, les langues romanes bénéficient des politiques
d’adaptation terminologiques dans le cadre d’un processus de planification
néologique. Dans ce sens, le roumain fait partie du projet lancé et coordonné par M.
Teresa Cabré, Les Observatoires néologie pour les langues romanes (NEOROM),
qui se propose de préserver la diversité des langues et de les rendre en permanence
aptes à traiter tous les sujets par l’étude des néologies. Plus précisément, son
objectif principal est la création d’une base de néologismes qui feront l’objet d’une
analyse comparative interlinguistique afin de présenter des applications
multilingues utiles pour la lexicographie, la terminologie et, surtout, pour
l’harmonisation des ressources ou l’aménagement linguistique des sept langues
romanes.
Sur le plan national, le seul organisme qui s’occupe de la réglementation
dans le domaine du vocabulaire est l’Académie roumaine qui, par les dictionnaires
qu’elle rédige, donne la norme de la langue roumaine. En ce qui concerne sa
politique linguistique, l’académicien Marius Sala, prenant comme point de repère
le français, affirme que: «les normes académiques roumaines sont légèrement
conservatrices, mais beaucoup plus permissives que celle d’autres langues, comme
le français par exemple» (Sala 2001: 164).
4. En guise de conclusion
L’enrichissement des langues est une preuve de leur transformation et de
leur évolution. Dans ce sens, la production néologique est une ressource productive
et innovatrice importante dans leur trajectoire incessante de renouvellement.
En ce qui concerne les facteurs qui différencient le néologisme du néonyme, nous
avons retenu les aspects suivants:
- le domaine de manifestation: le terme de néonyme restreint la sphère de
manifestation des néologismes à celle des langues de spécialité de sorte qu’il y a
l’opposition néologismes de la langue commune et néologismes terminologiques
ou néonymes, c’est-à-dire les néologismes des langues de spécialité;
- la nécessité: si les néonymes répondent à une nécessité d’ordre terminologique,
les néologismes sont un moyen d’enrichissement et de modernisation du
vocabulaire;
- la synonymie: ayant une valeur stylistique, les néologismes peuvent
apparaître dans des séries synonymiques tandis que les néonymes, dénotant des
objets ou des phénomènes, n’en présentent pas;
- l’origine: les néologismes privilégient la création morphologique par
préfixation et par suffixation tandis que les néonymes favorisent la création
syntagmatique;
- la forme: en tant que critère de distinction, elle classifie les mots courts
dans la classe des néologismes et les formes syntagmatiques dans celle des
néonymes;
- la propagation: si les néologismes sont des mots d’une circulation réduite,
les néonymes ont une circulation internationale et font partie des nomenclatures
internationales à valeur universelle.
*Daniela Dincă, Analele UniversităŃii din Craiova, ŞtiinŃe filologice, Langues et littératures romanes,
2010, 1-2, p. 101-109.
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Corpus analysé
Néologismes économiques dans les langues romanes à travers la presse,
http://www.realiter.net/IMG/pdf/neologismes_realiter_ca.pdf
UNE NOTION-CLÉ DANS LA LEXICOLOGIE
ROUMAINE: « L’ETYMOLOGIE MULTIPLE »*
1. Introduction
1.1. L’ancrage géolinguistique, historique et culturel du roumain
À partir de la fin du XVIIIe siècle, le roumain a subi un processus de
néologisation massive, renforcé surtout au XIXe siècle et continué pendant la
première moitié du XXe siècle, manifesté différemment d’une province à l’autre.
Tandis que, par l’intermédiaire de la culture grecque, la Valachie et la Moldavie
sont influencées indirectement surtout par la culture française et en moindre
mesure par celle italienne, en Transylvanie, des emprunts au latin et à l’italien
pénètrent d’un côté directement grâce au mouvement politique et culturel connu
sous le nom de ‹Şcoala Ardeleană›1, de l’autre côté, par voie de la culture austrohongroise.
En même temps, à partir de cette époque, un bon nombre de néologismes
d’origine grecque, allemande ou russe, dont certains avaient eux-mêmes une
origine romane occidentale, commence à circuler à côté d’autres emprunts latins ou
romans.
Ce mouvement culturel et linguistique est devenu tellement fort qu’il a
modifié la physionomie du roumain et surtout la structure de son vocabulaire (Şora
2006: 1728).
À cause de cet état des choses, l’application des critères étymologiques,
tels que celui de la première attestation, la comparaison avec les autres langues
comme sources potentielles d’emprunt ou la recherche de la filière, c'est-à-dire, de
la voie de pénétration, ne permettent pas toujours, ou mieux dit, rarement, d’établir
d’une manière univoque la source étymologique des néologismes roumains. C’est
dans ces cas, très nombreux, qu’on trouve dans les dictionnaires roumains
l’indication ‹l’étymologie multiple›, correcte tant que les critères linguistiques
(sémantiques et formels) et extralinguistiques (d’ordre socioculturel, historique,
etc.) sont respectés.
1.2. Objectifs
Une première partie de cette approche vise à esquisser le cadre théorique
de la notion d’‹étymologie multiple›, tenant compte aussi bien des critères et des
taxonomies véhiculées dans la littérature de spécialité, que de leur application dans
les ouvrages lexicographiques roumains.
D’autre part, le nombre impressionnant des gallicismes2 m’a déterminé de
m’occuper spécialement des mots qui sont hautement susceptibles de provenir du
français3, présentant toutefois d’autres possibilités en tant que sources
étymologiques.
Dans la partie finale de ma démarche, je me limite uniquement à des
exemples tirés de la lettre R de l’édition de 1998 du Dictionnaire explicatif de la
langue roumaine (DEX 1998), tout en tenant compte pour les étymologies aussi des
autres sources lexicographiques roumaines4 disponibles, surtout le DA / DLR, le
dictionnaire historique trésor de la langue roumaine, et le CDER5.
2. ‹L’étymologie multiple› – bref état de la question
2.1. Définition, taxonomies, critères de ‹l’étymologie multiple›
La notion d’‹étymologie multiple›, introduite pour la première fois dans la
linguistique roumaine par Alexandru Graur (1950: 22-34), est centrée sur le
principe selon lequel «un mot peut avoir en même temps plusieurs étymons
possibles» (Graur 1950: 23). En grandes lignes, ce concept, adopté aujourd’hui par
la majorité des linguistes roumains (cf. Sala 1999: 67), vise plusieurs catégories
d’unités lexicales.
Les cas les plus fréquents sont les néologismes qui pourraient provenir en
même temps de plusieurs langues à la fois et qui illustrent, d’après les taxonomies
élaborées par Király (1988: 34-37) et par Hristea (1973: 4), ‹l’étymologie multiple
externe›: lampă [avec la variante (populaire) lambă] pourrait venir du ngr. λαµπáς,
de l’all. LAMPE, du fr. LAMPE, du hongr. LAMPA, du rus. LAMPA;
Les filières différentes expliquent aussi l’une des causes de l’apparition des
variantes lexicales non littéraires, populaires, vieillies, mais avec le même sens que
la forme acceptée par la langue standard : les variantes populaires, vieillies:
şoholadă (de l’all. SCHOKOLADE) ou şoholată (du fr. CHOCOLAT) et cf. la forme
littéraire ciocolată (de l’it. CIOCCOLATA); renglotă [variantes: renclodă, ringlotă]
du fr. REINE-CLAUDE, all. RINGLOTTE, etc.; ou bien des variantes littéraires libres,
telles: cofeină (de l’all. KOFFEIN) et cafeină (du fr. CAFEINE).
Une autre catégorie est celle des ‹étymologies multiples internes›. Il s’agit
de créations internes, à la formation desquelles ont pu contribuer, en roumain
même, plusieurs mots base. C’est par exemple le cas des dérivés régressifs du type:
a recepta qui pourrait provenir de plusieurs étymons: RECEPTOR, RECEPTIV et
RECEPTIE; a candida qui pourrait provenir de CANDIDAT et de CANDIDATURA;
l’adjectif muntean qui pourrait être dérivé de MUNTE ‹montagne›, ou bien du
toponyme MUNTENIA.
Enfin, il ne faut pas ignorer les situations lexicales où il peut s’agir
d’emprunts et des créations internes à la fois. C’est le cas des mots à ‹étymologie
multiple mixte ou combinée› (Sala 1999: 67), tels que :
pastelist qui par ses sens: 1. ‹peintre de pastelles› et 2. ‹poète qui compose
un certain type de poésies, appelé en roumain pastel› ne doit pas être considéré
comme provenant uniquement du fr. PASTELLISTE (pour le sens 1), mais aussi du
PASTEL + –IST (pour le sens 2);
morav ‹mœurs› qui est probablement une contamination voulue entre le
mot latin MOS, MORIS et le mot roumain NARAV ‹vice›, emprunté au sl. NRAVU, cf.
le bg. NARAV (Graur 1950: 27; Sala 1999: 66, 67).
Il est vrai ce sont des cas plutôt rares (Ivănescu 1980: 671).
Les critères qui doivent être pris en considération lors de l’explication par
‹étymologie multiple› de la provenance des néologismes roumains sont les suivants
(cf. Pînzariu 2007: 167-178):
(a) une motivation d’ordre formel: il s’agit des mots dont la forme renvoie
en même temps à plusieurs sources. Pour cela, toute une série de facteurs
phonétiques, phonologiques et morphosyntaxiques doivent être corroborés pour
accorder finalement à tel ou tel mot l’étiquette d’étymologie multiple.
C’est par exemple, la position de l’accent qui peut être décisive pour le
choix entre plusieurs variantes: Hristea (1968: 104) cite le cas du mot roumain
caractér qui, avec cette structure phonologique, renvoie au fr. CARACTERE, tandis
que la variante carácter peut s’expliquer aussi bien par le lat. CHARACTER, que par
l’all. CHARAKTER. Si l’on prend en charge encore deux autres variantes: haractir et
haracter, alors le nombre des sources s’accroît avec le néogrec χαρακτήρ,
respectivement, le rus. HARACTER.
Les variantes graphiques pourraient être un autre facteur important: Hristea
(1968: 105) mentionne que le mot roumain rasă, pour lequel on a longtemps
invoqué uniquement l’étymologie française, circulait en Transylvanie, avant la
réforme orthographique de 1932, avec la graphie rassă, donc avec deux s, comme
en allemand.
En ce qui concerne l’adaptation formelle des néologismes en roumain, en
dehors des lois de transformation spécifiques pour chaque langue potentielle source
d’emprunt, il faut tenir compte du fait que, dans la plupart des cas, le signifiant du
néologisme a été fixé aussi sous l’influence de la forme latine correspondante, ceci
surtout pour les emprunts au français. Par exemple, dans le cas du mot culoare qui
provient du fr. COULEUR et du lat. COLOR, COLORIS, la métaphonie de la voyelle o,
inattendue ici, caractérise des mots plus anciens hérités du latin et terminés en –or,
tels: floare du lat. FLOS, FLORIS.
Les facteurs morphosyntaxiques peuvent aussi être édificateurs: dans le cas
du mot culoare (cf. Pînzariu 2007: 169), discuté supra, le critère formel qui
favorise la source latine doit être corroboré avec celui morphosyntaxique, car le
mot roumain est du genre féminin que son correspondent français (LA COULEUR),
par rapport aux autres langues romanes qui maintiennent le genre de l’étymon latin
(it. il colore, esp. el color, etc.).
(b) un autre critère est la motivation sémantique: il s’agit des mots qui
pourraient s’expliquer, du point de vue de la forme, comme appartenant à une
certaine langue, mais qui, du point de vue sémantique, pourraient provenir d’une
autre langue source. Dans une telle situation se trouvent certains lexèmes dont la
forme renvoie au latin savant et dont le sens correspond à celui des mots
représentant la filière de pénétration.
Par exemple, le mot roumain stat provient, selon le critère formel, du lat.
STATUS mais parce que son sens est celui du fr. ETAT ‹forme de gouvernement,
régime politique, etc.›, il est aussi un emprunt sémantique du français (cf. Hristea
1968: 107).
De même, dans la langue parlé contemporaine, un bon nombre de
néologismes d’origine française, tels que a aplica (du fr. APPLIQUER), ou
oportunitate (du fr. OPPORTUNITE) acquièrent de nouveaux sens – ‹demander,
solliciter› (pour le mot a aplica), respectivement, ‹chance, possibilité, occasion›
(pour le mot oportunitate) – qui représentent des calques sémantique d’après
l’anglais APPLAY / OPPORTUNITY (Groza 2004: 122). Mais c’est un autre type
d’étymologie multiple où il y a superposition de deux emprunts successifs.
(c) une motivation d’ordre extralinguistique qui tient à la vie culturelle et
économique. Les emprunts néologiques ont pu pénétrer en même temps que les
nouvelles notions désignées dans les langues avec lesquelles le roumain entretenait
des contacts plus soutenus.
Tel est le cas du mot lampă (discuté supra) où le sens de l’étymon primaire,
le néogrec λαµπάς, ne suffit pas pour expliquer les autres significations (lampă de
gaz ‹lampe à gaz›, lampă electrică ‹lampe électrique›, lampă de radio ‹lamperadio›, etc.) que le mot acquiert en roumain une fois avec le développement de la
technique. Il aurait pu provenir sous cette forme de l’allemand, du français, du
russe et même du hongrois.
2.2. Quelques critiques de ‹l’étymologie multiple› et de son application
dans les ouvrages lexicographiques roumains
Comme je crois l’avoir démontré, ‹l’étymologie multiple› s’avère d’une
très grande importance et utilité pour la lexicologie roumaine, si et seulement si
elle est appliquée de façon correcte6. (cf. Şora 2006: 1728).
Mais il y a toute une série d’obstacles qui se dressent devant le
lexicographe étymologiste.
Par exemple, abstraction faite du RDW, les dictionnaires roumains ne
mentionnent pas la première attestation. Ursu (1965: 55-57) cite le cas du mot clas
– une variante plus ancienne de clasă ‹classe› – dont l’étymon ne doit pas être
considéré (contrairement à l’opinion d’autres chercheurs) de provenance russe, car
ses premières attestations sont enregistrées dans les textes parus en Transylvanie,
en 1780, donc dans une période où l’influence russe ne s’était pas encore faite
sentir. La définition étymologique correcte serait: clasă [variante vieillie: clas] du
fr. CLASSE, all. KLASSE (Ursu 1965: 55-57).
Une autre déficience des dictionnaires est l’explication erronée ou même
inexistante des variantes qui pourraient être une aide précieuse pour trouver la
bonne étymologie, respectivement la filière de pénétration. Hristea (1968: 105) cite
entre autres le cas du roumain monedă dont l’étymologie est résolue ou bien de
manière unilatérale (uniquement de provenance latine d’après le CDDE), ou bien
elle est trop vague (le DN indique l’italien MONETA et renvoie en même temps au
latin MONETA). En réalité, du latin et surtout de l’italien provient seulement la
variante vieillie moneta, tandis que la forme roumaine littéraire monedă est
d’origine néogrecque (Hristea 1968: 104-105; Graur 1936: 103).
Un autre exemple illustratif est offert par le mot inginer que certains
dictionnaires (le DU, le DLRM et le CDDE) explicitent seulement par le français
INGENIEUR sans prendre en considération deux aspects très importants: (1) les
formes analogiques qui indiquent l’évolution -or de la finale française -IEUR dans
plusieurs autres mots comme le fr. TRIEUR > roum. trior; le fr. SKIEUR > roum.
schior. L’adaptation du fr. INGENIEUR en roumain aurait donc du être à *ingeni-or
ou bien à *injeni-or; (2) la variante plus ancienne (attestée en 1891 chez George
BariŃiu, apud Hristea 1968: 111), ingenier, dont la forme renvoie à l’italien
INGEGNERE. Dans ce cas, une définition étymologique correcte serait: inginer de
l’it. INGEGNERE, d’après le fr. INGENIEUR, l’all. INGENIEUR, cf. le rus. INGENER.
Le dernier exemple met en discussion un autre aspect des indications
étymologiques incomplètes ou erronées des dictionnaires roumains. Il s’agit d’un
nombre élevé de mots ‹internationaux› qui proviennent en roumain de plusieurs
langues européennes simultanément ou de manière successive et qui sont
fréquemment enregistrés dans les dictionnaires comme des emprunts au français.
En fait, cette situation spéciale renvoie à – on pourrait déjà dire – ‹un hyper topos›
de la littérature de spécialité: la tendance vers l’exagération du nombre des
gallicismes du vocabulaire néologique du roumain moderne et contemporain,
exagération explicable d’un côté par une certaine subjectivité, et de l’autre, par une
certaine commodité des chercheurs. À ce point, plusieurs cas peuvent être soumis à
l’analyse:
(a) les dictionnaires ne mentionnent pas que dans certains cas le roumain a
emprunté au français la forme et quelques significations du mot, mais pas toutes et
qu’en réalité, pour ce type d’emprunts, il s’agit d’une véritable ‹étymologie
multiple mixte ou combinée›. Tel est, par exemple, le cas du mot roumain pastelist
(discuté supra – v. §2. 1.) ou celui du mot a articula (du fr. ARTICULER, lat.
ARTICULARE), dont le second sens ‹ajouter un article à un nom ou à un autre
équivalent nominal› est une création de la langue roumaine;
(b) (ou bien) les dictionnaires arrivent parfois à inventer des étymons
français qui, en fait, sont inexistants dans la langue parlée en France ou en
Belgique ou en Suisse. Par exemple, on indique comme étymologie pour frizer
‹coiffeur› le mot français *FRISEUR qui n’existe pas. Une analyse un peu plus
poussée montre que frizer est un emprunt à l’all. FRISEUR.
D’autre part, les critères mentionnés supra (v. §2. 1.) sont encore plus
difficiles à être appliqués dans bien des cas à étymologie multiple. Par exemple, le
critère formel n’est pas toujours applicable dans plusieurs cas de figure, tels:
(1) L’existence de plusieurs variantes lexicales ne fait parfois
qu’augmenter le nombre des langues potentielles sources de l’emprunt et, par
conséquent, mettre le chercheur dans l’embarras du choix en ce qui concerne
l’étymon (les étymons) primaire(s). Şora (2006: 1726) cite le cas du roumain
arteră, attesté sous cette forme à partir du XIXe siècle, qui renvoie au fr. ARTERE et
qui présente les variantes: artirie (du XVIIIe siècle), explicable par le néogrec
ARTIRIA, respectivement, arterie (attestée vers 1850) qui pourrait être d’origine
italienne, allemande ou russe. Il s’agit, dans ce cas, (a) de plusieurs formes qui ont
coexisté, chacune venue par une autre filière, (b) on pourrait considérer que la
variante du roumain actuel (arteră du fr. ARTERE) s’est greffée sur toutes les autres
variantes ou bien (c) qu’il s’agit d’une forme empruntée une deuxième fois.
(2) Au contraire, la disparition de certaines variantes formelles et la prise
en charge d’un seul modèle, qui s’est imposé finalement dans la langue, pourraient
conduire à une fausse étymologie qui, fréquemment, envoie à une source unique.
C’est toujours Şora (2006: 1727) qui cite la situation où certaines variantes
signalées au XIXe siècle, dues aux hésitations d’accentuation, se sont perdues
jusqu’à l’état actuel de la langue où s’est imposé – dans la plupart des cas – le
modèle français (antípod, modéstie, etc.).
(3) La différence assez grande entre le phonétisme français et celui
roumain a conduit à une adaptation quasi générale des emprunts au français
(pénétrés surtout par voie culte, écrite) à la phonétique roumaine. De là, la
confusion fréquente entre ce type de néologismes et ceux pénétrés directement de
l’italien.
(4) D’autre part, les mots roumains pénétrés par filière française et surtout
ceux à étymon italien se confondent du point de vue formel avec les cultismes (les
latinismes mis en circulation vers la fin du XVIIIe siècle par ‹Şcoala Ardeleană›)
(cf. Ursu 1962: 115).
D’ailleurs, les critères linguistiques, aussi bien que les critères
extralinguistiques semblent impuissants à faire la distinction entre les emprunts
(qui représentent des dérivés dans la langue source) et les créations internes,
réalisées parfois avec des affixes latino-romans. Un exemple classique est celui des
mots roumains terminés en –bil (v. Iliescu 1959), qui peuvent être soit des dérivés,
tels acceptabil, adaptabil, calculabil, etc. qui proviennent des verbes roumains A
ACCEPTA, A ADAPTA, A CALCULA, soit des emprunts, tels accesibil du fr.
ACCESSIBLE, lat. ACCESSIBILIS; solubil du fr. SOLUBLE, lat. SOLUBILIS ou bien
inflamabil du fr. INFLAMABLE, etc.
Mais ce dernier aspect reste de nos jours encore très difficile à résoudre (cf.
Graur 1950: 32).
3. ‹L’étymologie multiple› et les gallicismes
Une analyse statistique sur la lettre R du DEX démontre que pour les unités
lexicales à ‹étymologie multiple›, la première alternative, abstraction faite du
français, est le latin, la deuxième l’allemand et la troisième l’italien.
Plus concrètement, la répartition des 288 unités lexicales à étymologie
multiple, y compris celle française, décelées sur l’ensemble des entrées de la lettre
R du DEX, est la suivante: 122 unités ont une étymologie multiple française et
latine, il y a 63 unités à étymologie française et allemande, 19 unités à étymologie
française et italienne, 26 unités à étymologie française et anglaise, 5 unités à
étymologie française et russe, 2 unités à étymologie française et néogrecque,
respectivement, 2 unités à étymologie française et espagnole.
Ces sept premières séries à étymologie double sont suivies, en fonction de
la fréquence des entrées, par d’autres sept séries à étymologie triple (française,
latine, allemande – 13 unités; française, latine, italienne – 13 unités; française,
allemande, italienne – 5 unités; française, anglaise, allemande – 4 unités; française,
russe, allemande – 2 unités; française, latine, néogrecque – 2 unités; française,
espagnole, allemande – 1 unité) et par trois séries à étymologie quadruple
(française, latine, allemande, italienne – 3 unités; française, allemande, russe,
anglaise – 1 unité; française, latine, italienne, néogrecque – 1 unité).
La confrontation de cette statistique avec le DLR met en évidence plusieurs
divergences.
Ainsi, 30 unités lexicales ne sont pas enregistrées par le DLR, plus d’une
moitié (16 mots) représentant des emprunts plus récents à étymologie multiple
française et anglaise, telles: relaŃional, rift, robotică, rubylith, rutherford, etc.
Les séries les mieux représentées dans les deux dictionnaires consultés sont
celles qui visent l’étymologie double française-latine (122 vs. 83 unités lexicales),
respectivement, française-allemande (63 vs. 46 unités lexicales). Pour une bonne
partie des mots appartenant à ces séries le DLR préfère l’étymologie à source
unique.
Les séries à étymologie multiple triple et quadruple sont faiblement
représentées dans le DLR qui accepte, en général, l’étymologie à double source et
qui présente séparément l’origine des variantes lexicales au cas où celles-ci existent.
Par exemple, pour le mot rit du ngr. RITON, lat. RITUS, fr. RITE, le DLR mentionne
aussi la variante rituş dont l’origine est hongroise.
Il est fort difficile d’établir une différence entre les gallicismes et les
italianismes: cela pourrait être l’explication pour le petit nombre de lexèmes (6
unités) à étymologie double française-italienne du DLR, qui explique des mots
comme a restitui, rezistent, rotondă uniquement par le français, ou bien par une
source triple: française, italienne et latine, dans le cas des mots tels que romanitate
‹romanité›, republică ‹république›.
L’adaptation formelle des gallicismes en tenant compte du modèle latin
pourrait être le critère qui détermine le DLR à considérer certains néologismes
comme provenant uniquement du latin (v. a rugi dont la source est, selon le DLR,
le latin RUGIRE et pour lequel le DEX mentionne : cf. le lat. RUGIRE, le fr. RUGIR).
Autrefois, le critère sémantique est, probablement, celui qui conduit le
DLR à considérer des mots tels que a ramifica, recepŃie, reducŃie de provenance
uniquement française (du fr. RAMIFIER; RECEPTION; REDUCTION), tandis que le
DEX prend en charge aussi un étymon latin (du lat. RAMIFICARE; RECEPTIO, -ONIS;
REDUCTIO, -ONIS).
Les plus nombreuses divergences entre les deux sources lexicographiques
consultées reposent sur le problème majeur de la distinction entre les mots dérivés
en roumain (parfois avec des affixes latino-romans) et les emprunts (eux-mêmes
des dérivés existants dans la langue source). On se résume à présenter brièvement
quelques situations qui, d’ailleurs, nécessiteraient une approche toute à fait spéciale.
Par exemple, le mot reticulat est considéré par le DLR comme une création interne
du RETICUL + -AT, d’après le modèle du fr. RETICULE, cf. le lat. RETICULATUS, -A, UM, tandis que dans le DEX il apparaît comme un emprunt à étymologie multiple
française-latine.
Un cas illustratif pour les divergences lexicographiques est celui du mot a
raŃiona ‹rationaliser› qui apparaît comme un emprunt à étymologie multiple
française-italienne dans le DEX (du fr. RATIONNER, l’it. RAZIONARE) et comme une
création interne dans le DLR (du nom RAłIUNE ‹raison› d’après le fr. RAISONNER)
qui considère, d’ailleurs, qu’il s’agit d’une seule entrée lexicographique avec les
sens (1) ‹penser, juger rationnellement› et (2) ‹rationaliser›. Ce mot apparaît dans le
CDER comme un emprunt au français, mais adapté à la base latine.
4. Conclusions
Etablir l’étymologie des néologismes roumains est donc une entreprise
extrêmement compliquée. Dans les cas où la source immédiate d’un emprunt reste
ambiguë ou lorsqu’il est possible, en principe, qu’un néologisme provienne au
moins par deux filières, s’impose ‹l’étymologie multiple› (cf. Hristea 1968: 114).
Il est incontestable que cette notion est une aide précieuse si elle est bien
appliquée, mais elle ne peut pas, à elle-même, résoudre toutes les difficultés.
Au moment où l’Institut de Linguistique de Bucarest publiera le corpus
auquel il travaille, en fournissant des données plus exactes sur l’attestation des
mots au moins dans la langue écrite, le principe de ‹l’étymologie multiple› sera une
aide encore plus concrète pour tous ceux qui se préoccupent des étymologies,
surtout des néologismes roumains.
*Mihaela Popescu, Communication CILPR, Valence, 2010.
NOTES
1. ‹Şcoala ardeleană› (‹L’École transylvaine›) est un mouvement de renaissance culturelle de la fin du
XVIIIe siècle et du début du XIXe marqué par une prise de conscience accrue de l’origine latine du
peuple roumain et de la langue roumaine.
2. Nous employons le terme de ‹gallicisme› au sens de «mot français emprunté par d’autres langues»
(cf. Thibault 2004; Thibault 2009).
3. À cet égard, il faut mentionner que malgré les opinions existantes sur l’exagération de l’importance
et de la contribution des emprunts du français sur le fond néologique du roumain et en dépit de la
pratique lexicographique inconséquente, incomplète ou parfois même erronée, il est aujourd’hui
reconnu d’une manière unanime que, de toutes les langues romanes, le roumain a souffert la plus
grande influence de la part du français. La période de la pénétration a été longue et les mots entrés en
roumain représentent une partie nombreuse et importante du vocabulaire de la langue moderne et ils
témoignent les relations étroites avec la culture et la civilisation françaises.
4. DA / DLR, DEX, CDER, RDW, DLRC, DN (v. aussi la note no. 6).
5. Cette confrontation lexicographique est nécessaire surtout pour mettre en évidence les problèmes
d’attestations et de définitions étymologiques douteuses, ainsi que la distinction, très difficile à opérer,
entre les mots dérivés en français et ceux créés ultérieurement en roumain (cf. Hristea 1968: 32 et
suiv.; Reinheimer-Rîpeanu 1989; Popovici 1992; Popovici 1996).
6. Dans ce qui suit nous faisons en principe abstraction des dictionnaires parus avant 1950, date de la
publication de l’article de Graur, c'est-à-dire le CDDE (1907-1914), le SDLR (1939), le DA (19131949) et le DU (1896) qui indiquent, bien que d’une manière inconséquente, ci et là, plusieurs sources
étymologiques. Dans une situation spéciale se trouve le RDW (1895-1925) qui dans sa première
édition a de bonnes étymologies bien que le nombre des mots de la deuxième moitié du XVIIIe siècle
et du XIXe siècle reste assez limité. La seconde édition (1985-1989) se révèle d’une très grande
importance, en indiquant la première attestation qui a été déduite en fonction de l’année de
l’apparition de la première attestation écrite, telle qu’elle est mentionnée dans le DA, respectivement,
dans le DLR.
En ce qui concerne Le dictionnaire de la langue roumaine, paru sous l’égide de l’Académie
Roumaine, il faut pourtant préciser son histoire. À partir de 1913 et jusqu’au 1949, on a fait publier
trois grands volumes (A-B, C et F-I) et encore quatre fascicules (une première partie de la lettre D-De
et la lettre L jusqu’au mot lojniŃă) (cf. Sala 1999: 104). Mircea Seche (1966 – 1969: II, 70) attire
l’attention qu’avec le DA, c’est pour la première fois qu’un dictionnaire roumain accepte deux
solutions étymologiques alternatives. Mais, étant donné la période de son élaboration, cet ouvrage ne
contient pas une bonne partie des néologismes du roumain moderne et contemporain.
Cet imposant ouvrage, connu sous le nom de DA, a été continué après 1965 avec une nouvelle
série (le DLR) qui contient jusqu’à présent les volumes des lettres M, N, O, P, R, S, Ş, T, ł et V. Le
DLR, le dictionnaire historique trésor de la langue roumaine, dont les parties publiées avant la
deuxième guerre mondiale n’ont pas encore étaient reprises, applique le principe de ‹l’étymologie
multiple› non seulement aux néologismes, mais aussi aux unités lexicales plus anciennes.
Parmi les autres dictionnaires roumains plus récents qui appliquent le principe de ‹l’étymologie
multiple› d’une manière scientifique quasi correcte on mentionne le DEX, dont les indications
étymologiques (améliorées à partir de la seconde édition, publiée en 1996, grâce à la collaboration de
Theodor Hristea) sont presque semblables à celles du DLR, à l’avantage d’avoir un nombre plus élevé
de néologismes du roumain contemporain.
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3. LA DYNAMIQUE DES EMPRUNTS ROUMAINS
AU FRANÇAIS
LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS
DANS LE LANGAGE DES JEUNES AU XIXe SIÈCLE*
0. Introduction
L’influence française sur la physionomie lexicale du roumain a eu un rôle
décisif pour l’achèvement de son caractère moderne au moins pour deux raisons.
La première se rapporte à la conscience de l’origine romane commune des deux
peuples et de leur parenté linguistique. La deuxième vise la valorisation du prestige
culturel de la France au début du XIXe siècle et des relations d’ordre politique,
économique et culturel existantes entre la France et la Roumanie. Par conséquent,
sous l’influence du français, le roumain a subi le processus de re-romanisation qui
a accentué et qui a accru ses traits romans à tous les niveaux (lexique, phraséologie,
phonétique, structure grammaticale) et, surtout, au niveau de l’enrichissement du
lexique et de la phraséologie par de nouveaux éléments romans.
S’inscrivant dans la problématique de la linguistique comparative, notre
contribution se propose de mettre en évidence l’influence du français sur la langue
roumaine à travers le parler des jeunes au début du XIXe siècle, période durant
laquelle le français avait connu un vrai rayonnement culturel. Pour y arriver, nous
avons fixé les objectifs suivants :
(a) présenter l’importance de l’étude des emprunts lexicaux comme reflet
de l’évolution d’une société, en d’autres mots, la relation entre la
langue et l’identité nationale d’un peuple ;
(b) définir les concepts opérationnels mobilisés dans l’analyse du corpus ;
(c) analyser des mots introduits dans le lexique par la jeune génération
d’intellectuels roumains au début du XIXe siècle ;
(d) mettre en évidence la gallomanie ou la francomanie qui prenait parfois
des proportions inquiétantes et qui provoquait la réaction de nombreux
intellectuels roumains.
Dans les œuvres littéraires qui ont marqué cette époque-là, il y a eu des
réactions de la part des gens de culture contre le jargon des jeunes qui déformaient
la langue française et qui introduisaient en roumain des mots inadaptés. Parmi ces
réactions, on peut citer M. Kogălniceanu (Soirée dansante et Illusions perdues),
Constantin Facca (FranŃuzitele / Les francisées), Vasile Alecsandri (Coana ChiriŃa
în provincie / Dama Chiritza en province, Coana ChiriŃa la Iaşi / Dama Chiritza à
Jassy), Constantin Negruzzi (Muza de la Burdugeni / La Muse de Burdugeni), I. L.
Caragiale dans la plupart de ses comédies et de ses nouvelles.
Le corpus analysé est constitué par la pièce de Constantin Faca,
FranŃuzitele / Les Francisées, publiée en 1860. Elle traduit la réalité sociale du
début du XIXe siècle et son titre vient du français populaire franŃuzit / francisé,-e,
celui qui imite la manière de vivre des Français tout en utilisant, sans nécessite, des
mots français, souvent adaptés au système de la langue roumaine. En d’autres mots,
ce sont des emprunts de luxe, des formes nécessaires uniquement pour imiter une
culture et une civilisation qui constituaient un modèle à suivre. C’est une pièce à
visée satirique, une réaction contre l’exagération et la déformation de la langue. Le
théâtre est d’ailleurs le genre littéraire le plus en mesure de mettre en évidence les
caractéristiques de la langue orale et, d’autre part, de nous fournir des indications
sur les habitudes langagières et sur la façon de parler une langue à une certaine
époque.
1. Les emprunts lexicaux – reflet de l’évolution d’une société
L’étude des mots empruntés à d’autres langues reflète l’évolution et la
transformation de la société, en général, et de son vocabulaire, en particulier.
L’influence française sur le lexique du roumain peut être révélatrice, d’une part, de
la relation qui s’est établie entre les deux langues et, d’autre part, de la nation ellemême :
« Il est intéressant d’étudier dans une langue les éléments étrangers (…)
qui peuvent révéler tant de choses à la fois sur la nation qui fournit et sur
celle qui emprunte. » (Nyrop, 1934 : 68)
Si la nation prêteuse se trouvait alors au sommet de son rayonnement
culturel, la nation emprunteuse nécessitait des ressources pour s’adapter aux
changements sociaux, économiques, politiques, technologiques ou scientifiques.
Les facteurs extralinguistiques tels que le voisinage, les rapports économiques,
politiques et culturels entre les deux pays étaient pleinement favorables de sorte
que l’emprunt lexical au français était de toute évidence la solution la plus
commode pour remplir ces lacunes lexicales.
La présence des néologismes français dans les traductions, dans les œuvres
originales et dans la langue courante a eu une contribution importante dans
l’enrichissement du vocabulaire roumain et, implicitement, dans le développement
de la langue roumaine littéraire.
Le pourcentage des emprunts roumains au français a été estimé, pour ce
moment-là, à 39% du vocabulaire, avec une fréquence de prés de 20%. Cela veut
dire que: « dans le langage courant, un mot sur cinq en moyenne est d’origine
française » (Manucă, 1978). Certains de ces néologismes ont pénétré dans le fonds
lexical principal, d’autres ont circulé par voie orale et sont considérés comme des
franŃuzisme, des mots qui n’ont pas été intégrés dans la langue, des éléments
marginaux qui sont parfois utilisés comme traces d’une époque de grande effusion
culturelle. À cette époque-là, le français est devenu la langue des salons, car il était
parlé par les officiers russes et par la bourgeoisie qui mimaient les bonnes
manières et qui voulaient s’approprier les mots dont ils ne connaissaient pas le
contenu.
1.1. Le contexte socio-culturel du début du XIXe siècle
À partir du XVIIIe siècle, la société roumaine commence à prendre contact
avec la culture française par les idées modernes et cosmopolites des Lumières. À
cette époque-là, le français était présent juste à la cour princière, devenant
ultérieurement la langue de prédilection des élites de la société (boyards, hommes
politiques, écrivains, etc.) qui maîtrisaient le français et qui l’employaient de
manière courante. Quant à la bourgeoisie et aux classes populaires, ces catégories
sociales employaient aussi des mots français pour copier les classes privilégiées.
Mais c’est le XIXe siècle qui marque le début de la modernisation de la
société roumaine et la langue française a eu son rôle de langue de prestige qui a
énormément aidé à la re-définition de la langue, de la culture et de la civilisation
roumaines. Le début du siècle enregistre les premiers éclats de culture française qui
pénètrent en Roumanie par les voies suivantes: (i) l’apparition des grandes
bibliothèques avec des livres en français (surtout Voltaire et Rousseau) ; (ii)
l’utilisation du français en tant que langue de la diplomatie à Constantinople
(XVIIIe siècle) ; (iii) l’introduction du français dans l’enseignement public et son
rôle de principal moyen pour découvrir un nouveau monde ; (iv) la prolifération
des traductions par lesquelles se répand une nouvelle mentalité, l’esprit critique, la
tendance vers la réforme, etc. ; (v) la pénétration massive des mots provenant
uniquement du français ou dans lesquels le français reste la première langue de
référence.
Vu les dimensions de l’influence française dans tous les domaines de la vie
socio-économique et intellectuelle, Goldis-Poalelungi (1973 : 43) parle d’un
bilinguisme franco-roumain:
« En étudiant la structure de ces deux langues en contact, leurs tendances
évolutives, et en comparant les processus d’évolution du roumain, on peut affirmer,
qu’au XIXe siècle, dans certains milieux des Pays roumains, on peut parler d’un
bilinguisme franco-roumain. »
1.2. Le rôle des jeunes dans la promotion du français au XIXe siècle
En ce qui concerne l’attitude des jeunes envers l’invasion des mots français,
on pourrait parler d’une nouvelle génération de jeunes progressistes qui utilisaient,
dans leurs dialogues, des mots français sans aucune adaptation aux systèmes
orthographique et morphologique du roumain. La plupart d’entre eux avaient
étudié en France et ils avaient subi un choc tout en s’apercevant de l’écart entre les
deux sociétés. Par conséquent, ils ont eu la volonté de s’élever au niveau de la
civilisation française par une exagération dans leur comportement et, surtout, dans
leur vocabulaire.
Pour désigner les jeunes progressistes roumains il y avait plusieurs mots,
qui suggéraient leur volonté d’imiter les autres et surtout de rompre avec le passé :
filfison / filfizon, bonjouriste ou franŃuzit. Le premier terme (filfison ou filfizon), qui
circulait après la Révolution française dans les milieux intellectuels roumains, était
une déformation du vers « Vive le son du canon » de la Carmagnole qu’on chantait
dans les cafés et les salons de Bucarest et de Iaşi, et signifiait ironiquement
l’émissaire du monde nouveau, plus tard jeune homme élégant et frivole. Les
bonjouriste ou les franŃuzit sont les jeunes qui avaient étudié en France et qui, une
fois rentrés en Roumanie, imitaient la manière de vivre des Français et utilisaient,
sans nécessité, des mots français, souvent déformés.
2. Définition des concepts opérationnels utilisés dans l’analyse lexicale
La recherche lexicale opère avec plusieurs concepts (néologisme, emprunt,
néonyme, calque, etc.) dont les plus importants, pour notre analyse, sont :
néologisme, emprunt et gallicisme.
Le TLF, le Larousse, le Robert, le Webster présentent le néologisme
comme une notion polysémique avec, d’habitude, les acceptions suivantes: 1. mot,
tour nouveau que l’on introduit dans une langue donnée (néologisme de forme); 2.
mot (expression) existant dans une langue donnée mais utilisé(e) dans une
acception nouvelle (néologisme de sens); 3.création de mots, de tours nouveaux et
introduction de ceux-ci dans une langue donnée (syn. néologie).
Pour la première acception, nous prenons comme exemple le verbe a
îndoctrina qui combine un affixe, le préfixe în + doctrină, même s’il y a un terme
semblable en français, endoctriner, que le roumain aurait pu emprunter. Le
roumain avance sur la même ligne de la dérivation flexionnelle et propose deux
autres mots de la même famille lexicale, formés, cette fois-ci, par dérivation
multiple : în + doctrin + are et în +doctrin +at.
Pour le néologisme de sens, nous citons le mot cancer qui, du point de vue
de son origine, est calqué sur le français cancer avec deux sens : (i) tumeur maligne
due à une multiplication anarchique des cellules d'un tissu organique et (ii)
quatrième constellation du Zodiaque située dans la partie la plus septentrionale de
l'écliptique. Depuis quelques années, ce mot a développé un autre sens, celui de «
grand malheur d'origine naturelle ou humaine qui frappe et ravage une collectivité»,
sens qui est devenu tellement dominant qu’il est presque considéré comme un
«développement sémantique parallèle » (Dimitrescu, 1994: 224).
Pour illustrer la troisième acception, celle de « mots nouveaux introduits
dans une langue », on peut citer les néologismes des domaines techniques et
scientifiques : acvacultură, anabazis, antigenă, antropo, biodegradabil,
bioluminiscent, biomasă, biomatematică, bionică, biostimulator, biotelemetrie,
biotop, criobiologie, etc.
Les dictionnaires roumains définissent le néologisme comme « un mot
nouveau emprunté ou formé récemment dans une langue » (DLR) ou comme « un
mot nouveau, emprunté à une langue étrangère ou créé par des moyens internes;
emprunt lexical récent, acception nouvelle d’un mot » (DN). À l’exception des
dictionnaires spéciaux (DŞL, DN), les dictionnaires roumains ne retiennent pas le
sens de «nouvelle acception d’un mot existant dans une langue», sens créé par
calque ou par des moyens internes. C’est pourquoi, le terme de néologisme se
superpose, dans bien des cas, sur celui d’emprunt, en tant qu’unité lexicale qui a
récemment pénétré dans une langue donnée (DŞL).
Un autre concept-clé, l’emprunt, est considéré comme l’un des principaux
mécanismes linguistiques de la création néologique. Il est défini comme : « un
élément issu d’une autre langue - ancienne (latin, grec) ou moderne » (Scurtu 2009).
Le terme d’emprunt comporte une certaine ambiguïté, ayant deux acceptions
fondamentales: 1. élément emprunté à une autre langue (par ex., F. Dimitrescu
1994 le définit comme un mot nouveau dû à une influence externe); 2. processus
d’intégration d’un élément dans une langue, conformément à la définition suivante :
« l’emprunt est une forme d’expression qu’une communauté linguistique reçoit
d’une autre communauté » (Deroy, 1956 : 18).
Les problèmes soulevés par l’emprunt sont liés principalement à son
intégration phonologique, orthographique, morphosyntaxique et sémantique dans la
langue réceptrice. De ce point de vue, il y a plusieurs catégories d’emprunts :
(i)
les emprunts naturalisés, assimilés par la langue réceptrice ;
(ii)
les xénismes – des mots étrangers considérés du point de vue des
locuteurs en fonction de leur forme exotique (Jean-Marc Chadelat,
2000) ;
(iii)
les pérégrinismes (Kocourek, 1982: 133) - des mots voyageurs ou
migrateurs considérés du point de vue linguistique en fonction
d’une place hypothétique au sein du système susceptible de les
adopter.
Florica Dimitrescu (1994) identifie cette dernière catégorie avec les
franŃuzisme et donne comme exemple: boutique (avec sa variante butică), milieu,
grand-guignol, cache-radiator, coupé, voyeur, voyeurisme, café-concert, policier,
café, frappé, clou.
Il est bien évident que, par rapport aux emprunts naturalisés ou emprunts
de nécessité, les deux dernières sous-classes sont des emprunts de luxe, des
éléments de jargon pris sans nécessité à la langue prêteuse, ce qui explique leur
caractère éphémère et transitoire dans la langue emprunteuse.
On outre, si l’on veut trouver des points communs et divergents, les
xénismes sont dus à des contacts culturels et ils sont le résultat d’une attitude
cosmopolite des locuteurs qui veulent utiliser des mots étrangers pour la couleur
locale par rapport aux pérégrinismes, qui sont définis comme des éléments ayant
une utilisation assez restreinte, des mots à la mode, ayant donc un caractère
arbitraire.
Sur la même ligne, Deroy ajoute que: « le pérégrinisme appartient souvent
à la langue cultivée, savante, écrite » pour annoncer un peu après que « le
pérégrinisme appartient souvent aux langues spéciales » (Deroy, 1967: 224).
Un autre terme qui a commencé à gagner du terrain les derniers temps est
celui de gallicisme. Défini par le TLFi comme « emploi, tournure propre à la
langue française » (Dict. XIXe et XXe s.) ou « emprunt d'une langue étrangère au
français », ce terme a eu, au début, le sens de «construction française abusivement
introduite dans une autre langue ». Etymologiquement, il s’agit du « dérivé savant
du lat. gallicus, v. gallican; suff. –isme » (TLFi), ce qui le situe dans la catégorie
des mots ressentis comme étrangers dans une langue, tout comme les grécismes, les
latinismes, les germanismes, les anglicismes, les italianismes et les hispanismes.
Un emprunt reste toujours un étrangérisme jusqu’à sa naturalisation complète et à
son intégration dans la langue réceptrice.
Dans cet article, c’est de la catégorie des xénismes que nous allons nous
occuper en suivant leur évolution phonétique et morphologique à partir de leur
utilisation dans la langue au XIXe siècle jusqu'à nos jours.
3. Analyse de corpus
Tout en suivant l’évolution des emprunts entrés sous l’effet d’une
admiration pour la langue et la culture françaises, l’objectif de notre analyse est de
voir dans quelle mesure ces emprunts de luxe, le reflet d’une mentalité cosmopolite
de l’époque, peuvent s’imposer en roumain par rapport aux emprunts de nécessité,
qui répondent à un besoin terminologique et qui suivent le parcours normal de leur
intégration dans le système linguistique du roumain.
Prenant comme point de départ les emprunts identifiés dans la pièce de
théâtre de Constantin Faca, FranŃuzitele, l’analyse de corpus repose uniquement
sur les emprunts qui appartiennent aux sous-classes suivantes: (i) emprunts
naturalisés ; (ii) emprunts de luxe (xénismes).
3.1. Emprunts naturalisés
Pour qu'un emprunt lexical soit complètement intégré au système de la
langue réceptrice, il doit parcourir, d’une manière graduelle, plusieurs types
d’intégrations : phonétique, graphique, morphologique et sémantique.
Dans le corpus analysé, nous avons identifié des mots d’origine française
qui sont entrés en roumain au XIXe siècle et qui, après des transformations
successives, sont restés dans le lexique du roumain :
Mot français
amoureux
Emprunt
(XIXe siècle)
amurez
appétit
apetit
compromettre
compromita
dépendre
disposé
fantaisie
depanda
dispozat
fantasia
fauteuil
grimaces
offense
pension
sentiment
surprende
toilette
charmant
fotel
grimase
ofansul
pansion
santiman
siurprandă
toaleturi
şarman
Mot roumain
(XXe siècle)
amorez (< fr. amoureuse>amoreză > amorez)
(surtout en terminologie théâtrale)
apetit (< fr. appétit, lat. appetites)
compromite (< fr. compromettre, lat.
compromittere)
depinde (< fr. dépendre, lat. dependere)
dispus (< fr. disposer, lat. disponere)
fantezie (< fr. fantaisie, cf. it. fantasia, gr.
phantasia)
fotoliu (< fr. fauteuil)
grimasă (< fr. grimace)
ofensă (< fr. offense)
pension (< fr. pension)
sentiment (< fr. sentiment)
surprinde (< fr. sentiment, it. sentimento)
toalete (< fr. toilette)
şarmant (< fr. charmant)
Comme, dans la plupart des cas, ce sont des emprunts parvenus en roumain
par voie orale, leur intégration a été faite à partir de leur forme acoustique d’origine.
Les mots d’origine française étaient prononcés tels qu’ils étaient entendus, mais ils
ont été orthographiés ultérieurement tout en respectant les normes d’écriture de la
langue roumaine. Ces mots ont subi donc des transformations successives même si,
au XIXe siècle, ils étaient employés sous une autre forme qui orthographiait la
prononciation française.
Ils sont tous d’un usage fréquent en roumain actuel, sauf apetit qui a acquis
de nos jours des connotations sexuelles et amorez, qui est encore utilisé dans le
registre familier, par rapport au féminin amoreză, considéré comme vieilli. À partir
de ce nom, le roumain a dérivé le verbe a se amoreza, qui est, au contraire, d’un
usage courant en roumain actuel. Les jeunes utilisent d’aujourd’hui d’autres mots
tels que: iubit (« bien-aimé »), amant (« amant »), le dernier, un autre emprunt au
français, ayant un usage plutôt littéraire.
3.2. Emprunts de luxe (xénismes)
Dans la pièce de théâtre analysée, les filles d’un vieux boyard parlaient
dans un jargon franco-roumain pour attirer l’attention et surtout pour se vanter de
leur culture occidentale. On pourrait parler, dans ce cas, de xénismes, mots
étrangers utilisés pour la couleur locale et non pas par nécessité dénominative. Ils
étaient utilisés dans la langue parlée dans le but de donner un air de distinction,
mais, au contraire, ils provoquaient la risée générale. Le vocabulaire était donc un
instrument pour montrer la supériorité et l’éducation des jeunes, qui utilisaient les
mots d’origine française sans les adapter au système linguistique du roumain.
Dans la classe des xénismes recueillis dans la pièce de théâtre analysée,
nous avons identifié trois sous-classes : (i) des appellatifs; (ii) des mots simples; (iii)
des expressions idiomatiques.
3.2.1. Les appellatifs
Les appellatifs ont été les premiers à être introduits dans le vocabulaire des
jeunes. Comme il s’agit de structures automatisées, celles-ci reproduisaient la
prononciation française, ressentie parfois comme étrangère : fr. Madame / roum.
Madam, fr. Monsieur / roum. Musiu, fr. Mademoiselle / roum. Madmoazel, fr. Mon
cher / roum. Monşer, fr. Ma chère / roum. Maşer, fr. Chérie / roum. Şeri. Le DEX
enregistre uniquement les trois premiers appellatifs dans la catégories des
franŃuzisme sous les formes : Madamă, Musiu et Madmoazelă.
Ce sont des structures qui ont été véhiculées parfois par les deux canaux de
pénétration : oral et écrit. Elles abondaient dans les conversations des jeunes et
apparaissaient dans les ouvrages des écrivains roumains du XIXe siècle : Musiu
Şarlă (V. Alecsandri), Căldură mare, monşer (I.L.Caragiale).
On les retrouve aujourd’hui comme marques pour différents produits:
Monşer (les vins), Madam (les vêtements), Madmoazel (forum pour les jeunes
femmes). Ils ont la fonction de recréer l’atmosphère d’il y a plus de cent ans,
caractérisée par l’élégance, le snobisme, le luxe et le raffinement.
Ces appellatifs apparaissent aussi dans la presse dans des contextes à
connotation dépréciative et ironique pour faire référence aux politiciens, aux
actrices et à tous ceux qui s’imposent parfois par un comportement abusif et
méprisant envers les autres. Nous avons aussi retrouvé dans les journaux des titres
comme: Căldură mare, monşer (« Grande chaleur, mon cher »), Foame mare,
monşer (« Grande famine, mon cher »), Criză mare, monşer (« Grande crise, mon
cher »), Răbdare, monşer (« Patience, mon cher »).
Dans le code oral, ces mots sont d’un usage assez restreint, surtout dans le
style familier, dans lequel ils sont utilisés pour renvoyer à l’atmosphère de la Belle
öpoque.
À cette liste, on pourrait ajouter d’autres automatismes : bonjour, bonsoir,
rendez-vous, mots qui ne figurent pas dans les dictionnaires, mais qui sont encore
utilisés dans le roumain parlé ou dans la langue de la presse. Ils peuvent également
faire référence à des restaurants, des cafés ou des lieux de rencontre.
3.2.2. Les mots simples
Les mots simples qui apparaissent dans la pièce de théâtre analysée sont
des mots d’une certaine résonance, des éléments non-assimilés à la langue
roumaine, qui changent leur forme d'origine par une orthographe qui respecte
uniquement les règles graphiques du roumain.
Mot français
bavarde
caresses
fiancés
pensif
chapeau
séance
chemise
tourments
soupçons
Xénisme
Bavardă
Caresuri
fidanŃaŃi
Pensif
Sapo
SeanŃă
Semizetă
Turmente
Supsonuri
Mot roumain actuel
vorbăreaŃă (sl. dvorîba)
mângâiere (lat. manganiare)
logodnici (sl. logoditi)
gânditor (hongrois gond)
pălărie (it. cappelleria)
şedinŃă (latin sedere + –iŃă)
cămaşă ( lat. camisia)
tulburare (lat. turbulare)
bănuială (hongrois bánni)
La mise en parallèle des xénismes et de leur étymon français est évidente
pour la non-intégration graphique et phonétique de ces mots dans le vocabulaire du
roumain actuel. Au-delà de leur déformation graphique, ces xénismes ne sont pas
adaptés du point de vue morphologique, ce qui conduit à des exagérations de genre
et de nombre, fait qui rend leur présence exotique et, en quelque sorte, étrangère.
Si l’on compare ensuite les xénismes analysés avec les mots qui sont
utilisés pour désigner ces réalités, on se rend compte qu’il s’agit d’emprunts à
d’autres langues, y compris le latin, auquel le français a emprunté les mêmes
lexèmes : fr. séance < dér. du part. prés. séant* de seoir*; suff. -ance*/ şedinŃă
(latin sedere + –iŃă), fr. chemise < lat. camisia / roum. cămaşă < lat. camisia. Les
autres sources sont les langues voisines : le slave, le hongrois ou l’italien.
3.2.3. Les expressions idiomatiques
La pièce de théâtre analysé abonde aussi en structures idiomatiques qui ont
une orthographe identique à la prononciation française et qui ne sont pas entrés
dans le lexique du roumain :
Français
Billet doux
Quelle grâce
Bon vivants
A merveille
D’abord une demoiselle
En visite
En velours
Bas de soie
Amour sans fin
A pied
Sans façons
Mille pardons
Enchanté de vous revoir
L’amour de dieu
Mon ange
Il est de bon ton.... à la mode
Roumain
Bie du
Chel gras
BonvivanŃi
A merveliu
Dabord o demoazelă
An vizit
An velur
Ba de soa
Amur san fen
A pie
San fason
Mil pardon
Anşante de vu revoar
Amur de die
Angelul meu
Este de bonton, la modă
Il est bien évident que l’imitation des mots et des expressions du français
traduisait l’ignorance et le désir d’imiter le comportement et le mode de vie d’un
peuple dont ils admiraient la culture et les progrès enregistrés sur plusieurs plans de
la vie économique et intellectuelle. Au-delà de cette imitation, les jeunes
manifestaient leur disponibilité pour le changement et pour la transformation de
leur propre avenir, pour l’intégration dans le circuit de la civilisation européenne.
Cependant, ces tournures n’ont pas circulé telles quelles dans la langue roumaine
du XIXe siècle et elles ont été vite éliminées du vocabulaire des générations
suivantes.
En conclusion, on pourrait expliquer la disparition progressive des
xénismes analysés par leur inadaptation graphique et morphologique, d’une part, et
par leur caractère accidentel et éphémère, d’autre part. Ils sont considérés comme
des emprunts de luxe, car ils répondent uniquement à un besoin affectif et non pas
à un besoin dénominatif : « On emprunte volontiers, par admiration, des mots et
des tournures à une langue que l'on tient pour plus fine, plus riche, représentative
d'une civilisation supérieure » (Deroy, 1956 :172).
4. Les jeunes du XXIe siècle et les franŃuzisme
Si au XIXe siècle, les jeunes parlaient un jargon élitiste, compris
uniquement par leur cercle, signe de leur horizon culturel élargi, ils utilisent
aujourd’hui un argot composé de mots et d’expressions familiers. Un mot adopté
par les jeunes, pris au français (chose très rare en ces temps où on en prend à
l'anglais), absent de tous les dictionnaires est le verbe a se tira < se tirer, avec le
sens de « s’enfuir » : S-a tirat toată lumea ? (« Tout le monde s’est tiré? »)
Suite à l’influence de la civilisation américaine, la jeune génération
d’aujourd’hui utilise fréquemment des américanismes ou des anglicismes qui sont
d’ailleurs présents dans tous les domaines de la vie personnelle et professionnelle
et, en plus, il n’y a aucun protectionnisme de la langue roumaine contre l’invasion
de ces emprunts.
Le DEX, le dictionnaire d’usage général de la langue roumaine, enregistre
ces mots ressentis comme étrangers et peu utilisés dans le langage courant comme
des franŃuzisme et il identifie deux cas de figure :
(a) Mots qui ont l’étiquette de franŃuzisme, mais qui sont encore utilisés :
ambient, ambiental, -ă, apetit, bricabrac, buchinist, bulversa, buscula,
butadă, butic, cancan, carnaj, confortant, debusola, decolmataj, detartraj,
dezirabil, vogă, etc.
(b) Mots qui ne sont plus utilisés:
alegru, ambuscat, ambuteia, amfiguric, -ă, banieră, bistrou, bonjur, bonton,
bria, butade, buvabil, cola, comeraj, companion, concherant, conchetă,
confienŃă, confinat, confraternitate, crepitant, -ă, criant, cronichetă,
deconcerta, decroşaj, degonfla, delabra, demoazelă, dezabie, etc.
Il y a ensuite le langage de la presse qui reste le promoteur des xénismes,
des calques linguistiques sur le français, pour assurer la couleur locale:
Français
antamer
envisager
toucher au sens
mépriser
confiance
Frantuzism
a antama
a anvizaja
A tuşa
a mepriza
ConfienŃă
Synonyme en roumain
a începe
a avea in vedere
a emoŃiona
a dispreŃui
încredere
Parfois ce n'est qu'un sens d'un mot français employé récemment en
roumain qui est considéré comme franŃuzism, le mot étant entré il y a plus
longtemps en roumain avec d’autres sens. C’est le cas du verbe roumain a
figura < fr. figurer, qui, sauf ses deux acceptions courantes (1. faire partie
de, participer à ; 2. donner une forme, une figure à quelque chose) a acquis
une troisième acception, celle de « s’imaginer » (DEX).
5. Conclusions
Pour conclure, on pourrait affirmer que, malgré le snobisme et les
exagérations linguistiques qui apparaissent dans le jargon des jeunes instruits du
XIXe siècle, le lexique du roumain moderne s’est considérablement enrichi dans
tous les domaines technico-scientifiques et littéraires. Pour ce qui est des mots
pénétrés par voie orale, ceux qui se sont cristallisés dans des formes précises sont
restés dans le vocabulaire du roumain.
Ce phénomène de francomanie, qui s’est manifestée pleinement au XIXe
siècle, s’identifie avec ce qu’on peut appeler « l’emprunt par snobisme »
phénomène signalé par Deroy (1967 : 183) pour l’hellénisme à Rome dans
l’antiquité. Ce qui lui est spécifique, c’est le fait qu’il a un usage momentané, car il
s’agit d’une phase de transition qui reflète une volonté d’affirmation et
d’assimilation d’une culture nouvelle.
L’analyse de notre corpus a mis en évidence le fait que les emprunts de
luxe traduisent la mentalité d’une société, constituent un témoignage culturel
incontestable pour une certaine époque. Il en existe pourtant deux sous-classes :
des emprunts naturalisés qui se sont maintenus jusqu’à présent et qui se sont bien
adaptés au système linguistique roumain et d’autres emprunts, superflus, qui n’ont
joui que d’un succès passager, étant éliminés de la langue à cause de leur caractère
exotique.
En fin de compte, après tout un siècle d’invasion de mots empruntés au
français, la langue roumaine est sortie plus consolidée en ce qui concerne sa
capacité d’enrichir son vocabulaire et de définir ses propres normes d’adaptation de
ces emprunts à d’autres langues, y compris le français.
* Daniela Dincă, Communication présentée au Séminaire International Universitaire de Recherche La
jeunesse francophone et ses contextes. Dialogues des langues et des cultures, Craiova, 21-22 mars
2011.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages de référence
CHADELAT, Jean-Marc (2000) Valeur et fonctions des mots français en anglais à
l’époque contemporaine, Paris, L’Harmattan.
DEROY, Louis (1956) L’emprunt linguistique. Paris, Les Belles Lettres.
DIMITRESCU, Florica (1994) Dinamica lexicului limbii române. Bucureşti, Logos.
GOLDIŞ-Poalelungi, Ana (1973) L’influence du français sur le roumain.
Vocabulaire et syntaxe, Paris, Les Belles Lettres.
HRISTEA, Th. (1979) « FranŃuzisme aparente şi pseudofranŃuzisme în limba
română » in LR, 28, n° 5, p. 491-503.
MANUCÃ, Constant (1978) Lexicologie statistic romanicã, Bucureşti, Editura
UniversităŃii din Bucureşti.
NYROP, Kristopher (1934) Linguistique et histoire des mœurs, Paris.
SCURTU, Gabriela (2009) « Autour de la notion de néologie » in AUC, nr. 1-2. p.
186-195.
Dictionnaires
DA = Academia Română, 1913-1949. DicŃionarul limbii române, Bucureşti,
Editura Academiei Române.
DEX = Academia Română / Institutul de Lingvistică „Iorgu Iordan”, 21998 [1975].
DicŃionarul explicativ al limbii române, Bucureşti, Univers Enciclopedic.
DLR = Academia Română, 1965-2009. DicŃionarul limbii române, Serie nouă,
Bucureşti, Editura Academiei Române.
DN = Marcu, Florin / Maneca, Constant, 1986. DicŃionar de neologisme, Bucureşti,
Editura Academiei.
TLFi = Trésor de la Langue Française Informatisé, Centre Nationale de la
Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la Langue
Française (ATILF) / Université Nancy 2, http : //atilf.atilf.fr/tlf.htm.
Corpus de l’analyse
Faca, Constantin, Frantuzitele, Bucureşti, Editura Librariei Leon Alcalay, 1906.
LA PLACE DES NÉOLOGISMES D’ORIGINE
FRANÇAISE DANS LE LEXIQUE DU ROUMAIN*
1. Introduction
Le caractère profondément hétérogène du vocabulaire néologique de la
langue roumaine moderne est dû à sa constitution sous l’influence de plusieurs
langues: le latin savant, le néogrec, le russe, l’allemand, le français et, les derniers
temps, l’anglais. La physionomie latine du roumain, les affinités spirituelles qui
nous relient à la romanité occidentale ont déterminé l’ouverture toute naturelle du
roumain vers la réception permanente des néologismes d’origine française.
L’importance du français pour la définition de la physionomie lexicale du
roumain, le renforcement de son caractère roman par l’internationalisation du
lexique, dans les conditions du développement du capitalisme au cours des XIX-e
et XX-e siècles et de la mondialisation de la société contemporaine, sont
incontestables. L’influence française a eu un rôle décisif pour l’achèvement du
caractère moderne du roumain littéraire au moins pour deux raisons. La première
se rapporte à la conscience de l’origine romane commune des deux peuples et de
leur parenté linguistique. La deuxième, telle qu’elle a été formulée par Ştefan
Munteanu (1978), provient de la valorisation du prestige culturel de la France au
début du XIX-e siècle et des relations d’ordre politique, économique et culturel
existantes entre la France et la Roumanie.
2. Objectifs visés
Les emprunts lexicaux se constituent en un espace fertile de recherche, qui
suppose le contact entre plusieurs systèmes linguistiques, entre plusieurs cultures,
plusieurs identités spirituelles. Dans ce contexte les objectifs visés dans notre
article sont:
1. Mettre en évidence l’importance de l’élément français dans le
vocabulaire de la langue roumaine.
2. Présenter les contributions des linguistes roumains sur le problème des
néologismes français sous les aspects suivants:
(i) les étapes de pénétration;
(ii) les principaux domaines de manifestation;
(iii) les statistiques portant sur le vocabulaire général et spécialisé;
(iv) la systématisation de la typologie des emprunts au français, du point de
vue sémantique.
3. Faire des considérations sur l’ensemble du fonds lexical roman de la
langue roumaine.
3. Concepts opérationnels utilisés: emprunt, néologisme, néonyme
Le terme d’emprunt comporte deux acceptions fondamentales: (i) élément
emprunté à une autre langue; (ii) processus d’intégration d’un élément dans une
langue.
Le néologisme est défini comme: (i) mot nouveau dans une langue, dû à
une influence externe; (ii) mot existant déjà dans une langue, ayant acquis un sens
nouveau (cf. DSL). Le terme de néologisme se superpose donc souvent sur celui
d’emprunt («unité lexicale qui a pénétré récemment dans une langue donnée»).
L’efficience opérationnelle relativement réduite de ce concept linguistique est
donnée par l’ambiguïté de la caractéristique récent (Dănilă / Haja, 2005: 72).
À son tour, le néonyme est un néologisme utilisé dans les langues de
spécialité. Les rapports existant entre néologie et langues de spécialité sont très
étroits, car les nouvelles créations lexicales surgissent avec les nouveaux produits
et les nouveaux concepts scientifiques, techniques et technologiques. Pour cette
raison, le terme de néonyme désigne l’unité lexicale spécialisée pour le distinguer
du néologisme, qui désigne l’unité lexicale de la langue générale.
Si les néonymes répondent à une nécessité d’ordre terminologique, étant
imposés par les nouvelles réalités, les néologismes sont un moyen d’enrichissement
et de modernisation du vocabulaire. Par conséquent, ces derniers ne répondent pas
à une nécessité terminologique, mais plutôt au besoin de la langue de nuancer le
vocabulaire: amănunt – detaliu, jertfă – sacrificiu, nădejde – speranŃă, par rapport
aux premiers, qui ont une stabilité beaucoup plus grande, répondant à des
nécessités dénominatives.
Par conséquent, si la néologie de la langue générale fait l’objet d’étude du
lexicologue qui puise son corpus dans la presse générale (quotidiens,
hebdomadaires, magazines, etc.), la néonymie est traitée par le terminologue à
partir de corpus spécialisés ou officiels, y compris la presse pour les spécialistes.
Malgré la solidité des théories et des méthodologies, de nombreux cas de
figure nouveaux se présentent chaque jour dans la pratique, notamment lorsqu’il
s’agit de réactualiser les dictionnaires monolingues de langue générale.
4. Les étapes de pénétration
Le fonds lexical néologique du roumain est, à la fois, extrêmement riche et
hétérogène. Le processus de réception et d’assimilation des éléments lexicaux
occidentaux s’est avéré un phénomène complexe et souvent controversé mais
impérieusement nécessaire. Les mots d’origine française sont entrés dans le lexique
du roumain déjà à partir de la fin du XVIII-e siècle, recouvrant donc une longue
période en diachronie et ce processus se poursuit jusqu’à nos jours.
Iorgu Iordan (1954) soulignait, ce que d’ailleurs tant de chercheurs de
l’histoire de la langue ou de l’histoire proprement dite l’ont fait, que la France a été,
à l’aube de notre modernité, le modèle pour l’organisation de l’État roumain. Dans
la lutte entre l’ancien et le nouveau, les éléments vieux (turcs et grecs) ont cédé la
place graduellement aux éléments nouveaux (français et latins savants).
C’est ainsi que les humanistes de la fin du XVII-e siècle et du début du
XVIII-e siècle, bons connaisseurs des langues classiques et romanes occidentales,
ont enrichi le vocabulaire de néologismes latino-romans dont certains indiquent
une filière polonaise, russe ou grecque: fantezie, paradă, neant, chez Ion Neculce
ou avocat, activitate, argument, chez Dimitrie Cantemir.
Dans l’opinion de Boris Cazacu et d’Alexandru Rosetti (1971), le contact
avec la langue et la littérature françaises commence avec l’avènement des princes
phanariotes dans la Valachie et la Moldavie. En 1775, Alexandru Ipsilante
réorganise l’enseignement en Valachie, d’après le modèle français, en introduisant
l’étude obligatoire de la langue française, à côté de celle du grec, du latin, du
slavone et du roumain. Pour approfondir les connaissances de français, on rédige
les premières grammaires de cette langue, comme par exemple celle de Nicolae
Caragea, écrite en grec (1785).
Au début du XIX-e siècle, deux événements historiques importants ont eu
un impact majeur sur la dynamique du vocabulaire de la langue roumaine. Après la
Paix d’Adrianopol (1829), beaucoup de fils de boyards roumains sont allés faire
leurs études en France et c’est par leur intermédiaire que beaucoup de mots et de
significations du français parlé à l’époque ont pénétré en roumain. À titre
d’exemple, Maria Iliescu (2003-2004: 278) cite les mots: decoltat (banc decoltat
«anecdote licencieuse») et şuetă («conversation familière»), acceptions disparues
en français contemporain, mais existantes à l’époque où les mots ont pénétré en
roumain.
D’autre part, surtout dans la période du Règlement organique (une loi
quasi-constitutionnelle promulguée entre 1831-1832 par les autorités impériales
russes en Moldavie et en Valachie), les mots français sont entrés en russe par la
filiation duquel ils ont pénétré ensuite en roumain, comme porteurs des idées de
l’Illuminisme et de la révolution bourgeoise: naŃie, administraŃie, comisie, comitet,
artilerie, cavalerie, infanterie.
Alexandru Graur (1963) a souligné qu’à partir de la fin du XIX-e siècle, les
mots latins et romans, surtout français, ont pénétré de façon constante en roumain,
cette influence devenant toujours plus forte par l’appropriation par les intellectuels
roumains de la culture et de la littérature françaises, des valeurs culturelles, morales,
sociales et politiques de l’époque. Des mots entrés tout au long du XX-e siècle,
tels: a demara, a teleporta, a partaja, achiziŃie, resortisant, tubular, bilanŃier,
concurenŃial, etc. illustrent la vitalité de ce phénomène, bien qu’on puisse parler
aujourd’hui d’une prévalence de l’influence anglaise dans le lexique du roumain.
5. Domaines
Un autre aspect mis en évidence dans l’étude des néologismes porte sur
leurs domaines de manifestation. En ce sens, on peut affirmer que l’insertion des
termes néologiques d’origine française a été faite au niveau des concepts, dans les
domaines de l’activité scientifique, politique et culturelle.
Par exemple, le langage philosophique roumain repose, en grande partie,
sur les termes d’origine française. Doina Butiurcă (2006) attire l’attention sur le
fait qu’en 1846, A. T. Laurian traduit le manuel de philosophie d’A. Delavigne. Vu
l’absence d’un langage philosophique, Laurian recourt à «un nouveau mot pour
chaque nouvelle idée», ayant comme but de «former une langue philosophique
pour la réflexion philosophique». Ces termes survivent même aujourd’hui:
analogie, eroare, filosofie, formă, idee, imagina, logică, sensibilitate.
Mais l’influence française sur la terminologie philosophique roumaine ne
constitue pas un fait isolé. Le domaine des sciences positives et de la technique
inclut lui aussi un riche inventaire de néologismes d’origine française. À cet effet,
Dimitrie Macrea (1982) remarquait le fait que 27% sur l’ensemble des termes
techniques et scientifiques (donc sur l’ensemble des néonymes) sont d’origine
française. Comme titre d’exemple, nous citons : aderenŃă, cenomanian,
combinator, desherenŃă, galactic, imparisilabic, impunitate, macrofotografie,
radiolarit,
postverbal,
a
ponta,
recriminatoriu,
toxicoză.
Th. Hristea (1972) apprécie que les termes très importants d’origine
française désignent des sciences et des disciplines scientifiques, beaucoup d’entre
eux faisant référence à des domaines interdisciplinaires: psihopedagogie,
docimologie, etc.
Sur la même ligne, Andra Şerbănescu (1985) affirme que, dans le domaine
des styles fonctionnels de la langue, les néologismes sont beaucoup plus répandus
dans le domaine scientifique, compte tenu de la rigueur des termes et des
constructions.
Un moyen très important d’imposer et de promouvoir les néologismes est
le style journalistique: la presse, la radio, la télévision, qui introduisent les
nouveautés dans les différents domaines, surprenant sur le vif les changements
linguistiques. Bénédicte Madinier (2005) relevait, pour le français, le fait que la
néologie s’est développée surtout pendant les 50 dernières années, grâce au langage
médiatique et à celui de la publicité. Par l’appropriation d’un vocabulaire
extrêmement réceptif, la presse permet une réflexion adéquate et complexe sur la
réalité linguistique actuelle, ayant l’avantage d’une liberté d’expression moins
rencontrée dans les autres styles. Florica Dimitrescu (1994) étayait cette
affirmation par l’argument que, dans la presse, on trouve comme échantillons, des
éléments proportionnellement équilibrés du style administratif, scientifique, de
l’électronique ou de la médecine, etc.
On trouve ensuite les néologismes dans le style administratif, où la
concision, la clarté, la stéréotypie impliquent la sélection des formules rigoureuses
et succinctes: contract sinalagmatic, drept incesibil, derogare de la obligaŃii, etc.
Un grand nombre de néologismes apparaît dans ce qu’on appelle le
langage usuel, comme l’expression des notions les plus nécessaires de notre vie
courante: creion, gri, matineu, obstacol, traversa, tren, coafor, detaliu, frontieră,
opinie, etc.
Florica Dimitrescu (1994), dans son étude sur les 3.749 mots enregistrés
dans le DicŃionarul de cuvinte recente (1982), observait que les 579 termes
d’origine française sont répartis dans les domaines suivants (les chiffres indiquent
le nombre d’occurrences dans un ordre décroissant): 96 médecine; 34 biologie; 30
technique; 24 physique; 22 circulation; 20 art, chimie şi cinématographie; 17
aviation; 16 alimentaire; 15 littérature; 13 vestimentaire; 10 électricité et marin; 8
informatique, musique et sport; 7 pharmacie şi géologie; 6 astronautique,
psychologie şi télévision; 5 filature, économie et photo; 4 astronomie şi
hydraulique; 3 constructions, électronique, enseignement, radio, sciences juridiques,
téléphonie, unités de mesure et zoologie; 2 agronomie, commerce şi météorologie;
1 botanique, diplomatie, mécanique, optique, sociologie, topographie şi tourisme.
Sauf ces domaines, le chapitre «divers» a enregistré 116 termes.
En bref, une recherche sémantique et lexicale des mots d’origine française
démontre que la plupart appartiennent aux branches les plus importantes de la
science et de la culture, les domaines où l’on avait enregistré les plus grands
progrès et innovations.
6. Les statistiques
En ce qui concerne l’étape des recherches dans ce domaine, on peut
affirmer que la structure étymologique du roumain a constitué l'objet des
préoccupations de nombreux linguistes qui ont effectué des statistiques basées sur
des dictionnaires (A. de Cihac, D. Macrea) ou sur des textes (B. P. Hasdeu, S.
Puşcariu, D. Macrea, C. Dimitriu, C. Maneca, etc.). À cela s'ajoutent les études sur
la fréquence des mots, réalisées entre autres par D. Macrea, V. Şuteu, Sanda
GolopenŃia, Gh. Bolocan, C. Maneca. Ces derniers temps la bibliographie de la
problématique des néologismes d’origine romane, et, implicitement ou
explicitement, de ceux des emprunts au français, s’est enrichie de beaucoup de
contributions qui approfondissent et nuancent les connaissances sur des aspects des
plus variés.
Nombre de ces ouvrages présentent un intérêt théorique et méthodologique
par les précisions qu’ils apportent ou par les directions de recherche qu’ils ouvrent.
Une mention spéciale doit être faite pour les études de statistique sur l’élément
lexical d’origine française (souvent dans un contexte général ou roman).
L’importance de l’influence française en roumain a été en général
surévaluée, mais Al. Graur, dans Incercare asupra fondului principal lexical al
limbii române (1954), la réduit à 3-4 %.
Sans doute Dimitrie Macrea, dans ses deux statistiques sur les dictionnaires,
respectivement de Candrea et le DLRM, exagère-t-il en quelque sorte le montant
des emprunts au français, situés à environ 30% et cela, entre autres, parce qu’alors
qu’il se rapporte aux néologismes, l’auteur ne prend pas en compte le problème de
l’étymologie multiple.
C’est ainsi qu’A. de Cihac, Dictionnare d’étymologie daco-romane (18701879), à peine mentionne-t-il les mots d’origine française, car, à l’époque où le
dictionnaire a été élaboré, ceux-ci, étant assez récents, étaient regardés avec réserve.
À son tour, DicŃionarul enciclopedic ilustrat “Cartea Românească” d’A. Candrea
(1931) comprend 43.269 mots, dont 29,69% français, alors que le DLRM (1958)
comprend 49.649 mots, dont 38,42% français, donc de 10% plus nombreux que
chez Candrea.
À son tour, se référant à l’ensemble du fonds lexical néologique, Th.
Hristea (1984) l’a évalué à approximativement 50.000 mots, en excluant les termes
techniques et scientifiques, de stricte spécialité.
Ceux-ci ont été pris en compte, entre autres, par Dimitrie Macrea (1982),
qui, en s’occupant de l’étude des néologismes à étymon français, remarquait le fait
que 27% sur l’ensemble des termes techniques et scientifiques sont issus du
français. Cependant, en cumulant le montant des termes que le roumain doit
uniquement au français avec les termes à étymologie multiple, le chercheur a
obtenu un total de 73,39%.
Il faut également mentionner dans ce contexte l’importance des études
faites par Florica Dimitrescu (1994) sur les 3.749 mots enregistrés dans le DCR
(1982). La place centrale y est occupée par le français, suivi, mais à une distance
respectable, d’autres langues (italien, espagnol, portugais et latin littéraire), alors
que la toile de fond est tissée des mots du fonds traditionnel de la langue roumaine.
Le tableau ci-dessous (sur la base du DCR) indique le fait que le français
occupe la première place (d’ailleurs la prééminence du français en tant que languesource est la même pour les autres langues romanes, notamment pour l’espagnol,
l’italien et le portugais):
français ...............................715 mots
italien ................................ 70
espagnol ........ .................. 18
latin ................................... 16
portugais ........................... 2
Ce qui, rapporté à l’ensemble des mots enregistrés dans le dictionnaire,
représente, pour le français, un pourcentage de 19,3%; si l’on y ajoute les autres
éléments romans, la proportion s’élève à 21,3%. Tous ces éléments latino-romans,
avec un pourcentage supérieur à 21% renforcent le caractère roman de la langue
roumaine, contribuant ainsi à la reromanisation de son lexique.
Une autre étude qu’il faut mentionner a été réalisée sous la coordination
de l’académicien Marius Sala, le Vocabularul reprezentativ al limbilor romanice
(VRLR) (1988), ouvrage avec une valeur fonctionnelle toute particulière, qui se
propose de dresser l’inventaire des unités lexicales représentatives pour l’ensemble
du vocabulaire, en appliquant les mêmes critères de sélection, à savoir: l’usage, la
richesse sémantique et la force dérivative.
Le vocabulaire représentatif de la langue roumaine (VRR) est formé de
2.581 mots. Leur analyse du point de vue étymologique fait ressortir une grande
variété des classes étymologiques, dont 5 seulement sont plus riches, totalisant
89,16% sur l’ensemble du VRR:
Tableau 1.
1. l’élément latin hérité: 782 = 30,29%;
2. les créations lexicales sur le terrain du roumain: 637 = 24,68%;
3. les mots à étymologie multiple: 457 = 17,70%;
4. les mots d’origine slave: 233 = 9,02%;
5. les emprunts au français: 193 = 7,47%.
Mais le montant des emprunts au français augmente considérablement,
atteignant 22,12% et occupant la 3-ème position, en y ajoutant les 378 mots à
étymologie multiple (dont aussi française).
En prenant en compte les éléments romans (les emprunts à différentes
langues romanes) dans l’ensemble du VRLR, on obtient le tableau suivant:
Tableau 2.
sarde : 25.078%
roumain : 8,05% [26,07%]
portugais : 5,76%
catalan : 5,08%
italien :
4,73%
espagnol : 4,30%
français : 2,36%
Ce tableau indique le sarde en première position et le roumain en deuxième.
Le montant de ces éléments en roumain augmente jusqu’à 26,07% si l’on y ajoute
les mots à étymologie multiple, ce qui représente un apport roman considérable.
Une mention à part se doit d’être faite pour l’élément latin savant:
Tableau 3.
roumain :
italien :
espagnol :
français :
portugais :
catalan :
1,47%
27,70%
26,57%
26,55%
25,12%
18,31%
Le tableau ci-dessus indique que l’élément latin savant du roumain totalise
1,47%, soit un pourcentage relativement réduit par rapport aux autres langues
romanes, ce qui confère au roumain un statut un peu à part. La situation de ces
emprunts reflète les conditions extralinguistiques dans lesquelles ont évolué
certaines langues romanes (on sait que les langues de culture se constituent en
langues donatrices plutôt qu’en langues réceptrices). Selon notre opinion c’est un
fait qui explique l’importance plus grande de l’élément roman (qui dans d’autres
langues est bien plus réduit: 5,08% en catalan, 4,73% en italien ou 2,36% en
français) produisant, de la sorte, une compensation ou une rééquilibration de
l’élément roman dans son ensemble. Une partie des emprunts romans modernes ont,
dans beaucoup de langues romanes un caractère populaire, mais une partie
significative jouent, notamment dans certaines langues, comme le sarde ou le
roumain, le rôle de termes de culture, avec une position proche de celle des
emprunts latins savants.
En envisageant enfin l’ensemble des emprunts latino-romans (les éléments
latins savants et les transferts inter-romans) dans les vocabulaires représentatifs des
langues romanes – comme expression du processus de relatinisation et de
reromanisation des langues néo-latines – on obtient le tableau ci-dessous:
Tableau 4.
roumain:
italien :
espagnol:
portugais:
français:
catalan:
sarde:
9,52% [27,54%]
32,34%
30,84%
30,81%
28,91%
23,35%
22,10%
Mais le montant de ces éléments en roumain augmente jusqu’à 27,54% si
l’on y ajoute les mots à étymologie multiple (cf. aussi le tableau 2).
7. Aspects sémantiques
Dans la multitude d’études sur les emprunts (néologiques ou non, selon la
conception sur l’idée de néologisme), nous avons pu observer que l’aspect
sémantique a été, dans une certaine mesure, négligé. De la perspective du sens,
interviennent deux catégories distinctes: 1. sens existants en roumain qui se
retrouvent aussi en français; 2. acceptions du roumain qui ne se retrouvent pas dans
le cas de l’étymon français. Ces deux catégories réclament quelques remarques.
Dans le premier cas, il s’agit de la conservation du sens du mot français,
situation fréquente surtout dans le cas des néonymes, mots appartenant à un
domaine scientifique, à une terminologie (judiciar, dol, prefix). On peut cependant
rencontrer des innovations sémantiques parallèles, comme par exemple dans le cas
du mot film au sens de «déroulement (des événements)», dues, dans les deux
langues, à une association de sens identique.
Dans le second cas, il s’ouvre plusieurs pistes de recherche, en fonction
des différentes situations possibles. On peut ainsi enregistrer:
(i) La spécialisation du sens en roumain par rapport au français: à partir de
casserole «ustensile de cuisine», le roumain caserolă s’applique aujourd’hui dans
l’industrie alimentaire pour l’emballage de certains produits (cf. fr. barquette).
(ii) Des sens développés à l’intérieur de la langue roumaine, comme dans
le cas des mots poligon, matineu, diplomat, etc., donc des innovations sémantiques
opérées en roumain (n’oublions pas que la tendance à développer de nouveaux
sens est, entre autres, l’une des conditions précisées par les linguistes pour qu’un
néologisme soit considéré comme entré dans la langues réceptrice). Par exemple
dans le cas du mot poligon, l’acception récente: «piste aménagée pour les
chauffeurs qui apprennent à conduire les véhicules» est née en roumain (fr.
polygone «figure géométrique» et «terrain de manœuvre aménagé pour le tir»).
(iii) Des extensions sémantiques (cf. roum. portbagaj) ou des passages du
concret à l’abstrait, notamment dans le cas des termes spécialisés entrés dans le
langage courant (cf. roum. a demara). Porte-bagages signifie en français, selon le
TLFi: «dispositif accessoire d’un véhicule destiné à recevoir des bagages» et
«galerie ou filet (…) d’un véhicule de transport collectif, dans lequel on peut
ranger les bagages». Le sens du mot portbagaj a connu en roumain une extension
pour les voitures (au lieu du fr. coffre). A son tour, a demara s’emploie en roumain
dans des expressions comme a demara o procedură, un control, investiŃii, etc., en
élargissant ainsi son emploi à partir du sème initial «commencer», existant dans le
sens global du mot démarrer.
Les significations récentes présentées dans les catégories (i), (ii) et (iii) ont
ceci de commun qu’elles sont autochtones, dans le sens qu’elles ont été créées à
l’intérieur de la langue roumaine. Florica Dimitrescu (1998) attire l’attention sur
les conséquences logiques et pragmatiques pour la manière de rédaction des
étymologies des mots présentant des sens nouveaux comme ceux déjà mentionnés,
à savoir qu’il faudrait introduire, à côté de la formule consacrée de la langue x, une
nouvelle formulation plus adéquate pour des situations telles que celles ci-dessus
présentées: formellement de la langue x; on attire de la sorte l’attention que
l’acception récente du mot poligon ne provient pas de celle du fr. polygone, qui
n’en est que l’origine du support phonétique: le sens nouveau est né en roumain.
Quand sont attestées plusieurs significations nouvelles des néologismes, d’origines
différentes, on devrait indiquer, séparément, leur étymologie. Par exemple, pour le
mot zebră, à côté du sens «animal», dans un dictionnaire général de la langue
roumaine il faudrait indiquer l’étymologie française, mais pour le sens «passage
pour les piétons» on devrait indiquer qu’il vient de l’it., l’angl. zebra et non du
français, où la notion en question s’exprime par passage clouté. Tout pareillement,
pour le mot prefix au sens de «affixe» on devrait indiquer: du fr. préfixe, mais pour
le nouveau sens employé dans les télécommunications, on devrait préciser: de l’it.
prefisso (interurbano).
Un autre aspect sémantique qu’on peut relever est celui des mots roumains
dont les sens se retrouvent parfois dans le cas de mots qui circulent en Belgique ou
en Suisse, comme l’illustre le cas du mot savonieră, de savonnière «porte-savon»,
connu en Belgique (cf. Avram 1982).
Ces remarques plaident entre autres pour la nécessité d’attirer dans la
recherche diverses variantes d’une langue - dans le cas du français on constate
souvent la limitation à la variante littéraire de France. Le sens d’un mot roumain
peut parfois être trouvé dans les dictionnaires français qui accordent un espace
suffisant à la langue parlée du XIX-e siècle, comme dans le cas du mot decoltat
dans une pharse comme: mi-a spus un banc decoltat («il m’a dit une anecdote (un
peu) licencieuse») (cf. Iliescu 1999) et dont l’acception, aujourd’hui disparue, est
attestée pour le français parlé de la seconde moitié du XIX-e siècle (syn. de
licencieux, par exemple propos décolletés, in TLFi).
On peut également prendre en compte le problème de l’acceptabilité des
innovations sémantiques du point de vue de la langue roumaine littéraire. Quand
peut-on parler d’impropretés sémantiques flagrantes? D.-L. Teleoloacă (2005)
remarquait à cet égard que la néologie dénominative (motivée par le besoin de
désigner un référent nouveau) est moins bien représentée que la néologie
stylistique (subordonnée à la fonction expressive). Cette réalité se constitue aussi
comme expression de la tendance à l’économie, réalisée par le développement de la
polysémie; plus exactement, de nombreux termes néologiques spécialisés entrent
par l’intermédiaire de la presse dans d’autres terminologies que celles auxquelles
ils appartiennent par définition et, ultérieurement, dans le langage littéraire
standard. On aboutit de la sorte à une extension, le plus souvent par l’utilisation des
termes dans un sens figuré. Le résultat este la soi-disante «déterminologisation» qui
rend rend possible la perméabilisation des frontières entre les variantes
fonctionnelles de la langue (Avram 1997), comme par exemple ajustarea sărăciei,
ancorarea vopselei, cruciada împotriva unui regim politic, forarea personalităŃii,
mit gonflabil, etc.
8. Conclusions
1. L’influence française représente un moyen d’enrichissement et de
modernisation, ainsi que de redéfinition de la physionomie néo-latine du roumain,
dans l’aire de la romanité sud-est européenne.
2. La recherche sémantique et lexicale des mots d’origine française
démontre que la plupart appartiennent aux branches les plus importantes de la
science et de la culture, les domaines où l’on avait enregistré les plus grands
progrès et innovations.
3. Une brève approche des emprunts au français du point de vue
sémantique a fait ressortir une diversité de situations: conservation du sens du
français, modification du sens par différents types de mutations ou innovations
sémantiques (extension, restriction, métaphores, etc.) opérées dans le cadre de la
langue roumaine. Comme c’est un aspect plutôt négligé dans les études sur cette
problématique, nous avançons l’idée qu’une recherche sur la typologie des
emprunts au français sous l’aspect sémantique pourrait s’avérer d’un réel intérêt.
4. Toutes les recherches sur la physionomie lexicale du roumain indiquent
la prépondérance des éléments latins et romans (surtout français), en opposition
nette avec les éléments non romans: 4/5 des mots-titre avec 9/10 des mots-texte (cf.
C. Dimitriu 1973: 38-40).
5. Le pourcentage des éléments d’origine latine savante en roumain est
plus réduit par rapport aux autres langues romanes, mais l’apport roman, dans son
ensemble, est considérable, surtout si l’on y ajoute les mots à étymologie multiple,
catégorie souvent invoquée dans le cas du roumain.
6. Une partie des emprunts romans modernes ont, dans beaucoup de
langues romanes, un caractère populaire, mais une partie significative jouent,
notamment dans des langues telles que le roumain (ou le sarde), le rôle de termes
de culture, avec une position proche de celle des emprunts latins savants.
7. La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mise en évidence par le
fait que le fonds néologique continue de s’enrichir (voir dans ce contexte les
nombreux dictionnaires de néologismes / mots récents parus au cours des dernières
années ou bien les nouvelles éditions mises à jour, révisées et corrigées des
dictionnaires existants déjà, mais qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec
l’avalanche des mots nouveaux qui entrent dans la langue). Le roumain, langue
extrêmement accueillante (le réputé romaniste Alf Lombard 1967: 17, la considère
« hospitalière »), manifeste de la sorte sa force créative illimitée.
*Gabriela Scurtu, Daniela Dincă, in: M. Teresa Cabré, Ona Domenech, Rosa Estopa, Merce Lorente
(eds.) Actes du Ier Congrès International de Néologie des langues romanes, IULA et Université
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DEUX LANGUES ROMANES EN CONTACT:
LES EMPRUNTS ROUMAINS AU FRANÇAIS*
1. Introduction
Les linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout
contact plus ou moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne
inévitablement des interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est
représenté par l’emprunt lexical. L’emprunt mais aussi le calque représentent un
moyen privilégié de diversification et d’enrichissement du fonds lexical de toutes
les langues naturelles.
Gaston Paris (1900: 294-295) affirme que l’emprunt témoigne à la fois des
lacunes qui existent dans une langue, mais également de sa capacité à accueillir de
nouvelles idées ou de nouveaux éléments de culture. De ce point de vue, le
roumain est défini comme une langue accueillante, «hospitalière», selon le réputé
romaniste Alf Lombard (1967: 17), preuve incontestable de sa force créative
illimitée.
La contribution de la langue française, à partir du XVIIIe siècle, à la
formation du roumain moderne, c’est-à-dire à la modernisation de son lexique, tant
au niveau de la langue générale qu’au niveau des lexiques spécialisés, est
incontestable. Ces deux langues en contact ont d’ailleurs une situation privilégiée
étant donné qu’il s’agit de deux langues apparentées généalogiquement qui se
partagent bon nombre de mots d’origine latine.
Au XIXe siècle on peut parler même d’un bilinguisme franco-roumain, qui
s’est fait sentir dans les cas suivants: un grand nombre d’écrivains roumains
admirent et imitent les Français; les œuvres littéraires françaises ont été traduites en
roumain; beaucoup de jeunes roumains ont fait leurs études en France; la langue
française est enseignée dans les écoles et elle représente ‹la langue de Voltaire›; les
emprunts au français sont un phénomène socio-linguistique qui atteste le prestige
de la langue prêteuse, le français dans notre cas.
Très important est aussi le canal de pénétration: écrit ou oral, les deux
voies de pénétration étant parfois possibles pour le même mot (cf. Iliescu 20032004). Les emprunts pénétrés par le canal oral s’expliquent par le fait que, dans la
première moitié du XIXe siècle, les jeunes Roumains ont été envoyés en France
pour y faire leurs études et, en rentrant, ils ont apporté avec eux beaucoup de mots
familiers français, qui ont été adaptés de différentes manières au roumain.
2. Préliminaires d’étude
À l’Université de Craiova se déroule un projet de recherche intitulé
Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques,
dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM), projet qui se propose
d’atteindre les objectifs suivants: (1) la constitution d’un corpus général des
emprunts lexicaux au français; (2) l’analyse des principaux aspects soulevés par
l’étymologie des emprunts au français, tels qu’ils apparaissent dans les
dictionnaires roumains; (3) la typologie sémantique des mots d’origine française.
Pour constituer le corpus-registre des emprunts lexicaux roumains au
français, l’équipe de recherche a pris comme point de départ le DEX (1998), le plus
grand dictionnaire d’usage général de la langue roumaine, publié par l’Institut de
Linguistique «Iorgu Iordan» de l’Académie Roumaine. Sa première édition date de
1975 et les autres éditions (1996, 1998) se sont beaucoup enrichies, de sorte que
son édition actuelle (1998) contient 65.000 mots.
Ce corpus-registre va se constituer ultérieurement dans un DicŃionar de
împrumuturi lexicale din limba franceză / Dictionnaire des emprunts lexicaux au
français (DILF), qui est à même d’offrir des indications précieuses sur les divers
aspects linguistiques que soulèvent les emprunts: nombre et importance, force
dérivative, problèmes d’étymologie, particularités sémantiques, etc.
L’objectif de notre intervention est triple: (1) la présentation des principes sur
lesquels repose la constitution du DILF: la structuration, l’aspect étymologique et
la sélection des mots-vedettes; (2) la mise en évidence de l’importance des mots à
étymon français dans le lexique du roumain; (3) l’ouverture de nouvelles pistes de
recherche dans les domaines de la lexicologie et de la lexicographie romanes.
3. Principes de la constitution du DILF
3.1. Structuration du DILF
Pour ce qui est de la structuration du DILF, celui-ci a deux sections
différentes, qui correspondent à deux catégories d’emprunts: (i) emprunts à
étymologie uniquement française; (ii) emprunts à étymologie multiple, y compris
française.
(i) Emprunts à étymologie uniquement française
La première section regroupe, à son tour, deux sous-classes. La première
concerne les mots considérés comme pénétrés du français en roumain, c’est-à-dire
des mots venus indubitablement par filière française et seulement française: a dopa
< DOPER, dopaj < DOPAGE, ecarisaj < ÉQUARRISSAGE, ecarlat <
ÉCARLATE, ecartament < ÉCARTEMENT.
La deuxième sous-classe vise les mots entrés en roumain par filière
française, indiquée par le sigle cf.: actinopterigian < Cf. fr. ACTINOPTERYGIEN,
adjudecatar < Cf. fr. ADJUDICATAIRE, ambutisa < Cf. fr. EMBOUTIR, ameriza
< Cf. fr. AMERRIR, anrobare < Cf. fr. ENROBER.
(ii) Emprunts à étymologie multiple, y compris française
Ce sont des mots dont la filière de pénétration peut être due non seulement
au français, mais aussi à d’autres langues où circule le même néologisme. Dans la
linguistique roumaine, ce type d’étymologie est nommé ‹étymologie multiple›,
d’après un célèbre article au même titre d’Alexandru Graur (1950), qui considère
qu’un mot peut avoir à la fois un, deux ou bien n étymons possibles, surtout dans
une langue comme le roumain, formée sous l’influence d’aussi nombreuses
cultures étrangères.
Selon le corpus-registre élaboré jusqu’à présent, la première source indiquée le
plus souvent dans le cas des étymologies multiples est le français en combinaison
avec le latin savant ou les langue romanes (l’italien, l’espagnol) et non romanes
(l’anglais, l’allemand, le néogrec, le russe, etc.), par exemple:
(i) Français+Latin: abstinent (<fr. ABSTINENT, <lat. ABSTINENS,-NTIS),
abstracŃie (<fr. ABSTRACTION, <lat. ABSTRACTIO, -ONIS);
(ii) Français+Italien: acont (<fr. ACOMPTE, <it. ACCONTO), arlechin (<fr.
ARLEQUIN, <it. ARLECCHINO), balet (<fr. BALLET, <it.
BALLETTO);
(iii) Français+Latin+Italien : arma (<fr. ARMER, <it. ARMARE, <lat.
ARMARE), cangrenă (<fr. GANGRÈNE, <lat. GANGRAENA, <it.
CANCRENA);
(iv) Français+Espagnol: fandango (<fr., esp. FANDANGO), gherilă (<fr.
GUÉRILLA, <esp. GUERRILLA), gitană (<esp. GITANA, <fr.
GITANE), pescador (< esp., fr. PESCADOR);
(v) Français+Néogrec: epibat (<fr. ÉPIBATE, <ngr. EPIBÁTIS), logos (<ngr.
LÓGOS, fr. LOGOS), manie ( <ngr. MANIA, <fr. MANIE);
(vi) Français+Anglais: scaner (<angl., fr. SCANNER), scheci (<fr., angl.
SKETCH), scheting (<angl., fr. SKATING), şut (<fr., angl. SHOOT);
(vii)
Français+Allemand: sconcs (<fr. SCONSE, <all. SKONS, <angl.
SKUNK), serpentin (<fr. SERPENTINE, <all. SERPENTINE), silvanit
(<all. SYLVANIT, <fr. SYLVANITE), social-democraŃie
(<all.
SOZIALDEMOKRATIE, <fr. SOCIAL-DÉMOCRATIE);
(viii)
Français+Russe: sociologism (<fr. SOCIOLOGISME, <rus.
SOTIOLOGHIZM), şerardizare (<fr. SHERARDISAGE, <rus.
SERARDIZATIIA), termofosfat (<fr. THERMOPHOSPHATE, <rus.
TERMOFOSFAT), toron (<fr., angl. THORON, <all. THORON, <rus.
TORON).
3.2. L’aspect étymologique
Les difficultés que le lexicographe rencontre pour établir l’étymologie des
mots concernent surtout les aspects suivants: (i) le manque de la première
attestation dans les dictionnaires; (ii) l’absence des exemples en contexte (sauf les
DA / DLR et DLRC); (iii) l’aspect phonétique hésitant qui renvoie à plusieurs
sources.
Comme le point de départ de notre corpus est un dictionnaire explicatif
(DEX), qui repose principalement sur la définition sémantique des mots, l’aspect
étymologique y est mentionné, sans pourtant avoir aucune certitude à cet égard.
C’est pourquoi les indications étymologiques obtenues à partir du DEX
seront corroborées, dans une deuxième étape de notre recherche, avec le DA (19131949) et le DLR (1965-2009), le dictionnaire historique trésor de la langue
roumaine. Cette recherche est nécessaire surtout pour résoudre des problèmes
d’étymologie et d’attestation, ainsi que pour faire la distinction, très difficile à
opérer, entre les mots dérivés en français et ceux créés ultérieurement en roumain
(cf. Hristea 1968: 32 et suiv.; Reinheimer-Rîpeanu 1989, Popovici 1992, Popovici
1996).
3.3. La sélection des mots-vedettes
Le choix des mots repose uniquement sur leur origine: exclusivement
française ou à étymologie multiple, y compris française. Les entrées lexicales y
sont ordonnées à partir des mots base auxquels on a attaché les dérivés formés sur
le terrain de la langue roumaine, ce qui met en évidence la richesse de la famille
lexicale de chaque mot d’origine française ou à étymologie multiple. Par exemple,
pour le verbe a relaxa le DEX nous indique les définitions lexicographiques
suivantes (traduites en français) :
RELAXA, relaxez, vb. I. 1. Trans. Mettre en état de relaxation un système
physique dont l’équilibre thermodynamique, électrique, etc. a été rompu, celui-ci
revenant à l’état d’équilibre initial. 2. Pron. (Tensions mécaniques d’un corps)
Diminuer, sans entraîner la variation de la déformation du corps. 3. Pron. et trans.
Fig. Se détendre, se reposer (après un effort soutenu); devenir ou faire devenir
moins tendu. - Du fr. relaxer.
RELAXANT, -Ă, relaxanŃi, -te, adj., s.n. (Substance, médicament,
facteur, etc.) Qui favorise la relaxation, la détente. - Relaxa + suf. -ant.
RELAXARE, relaxări, s.f. Le fait de (se) relaxer; diminution ou
suppression d’une tension. - V. relaxa.
RELAXAT, -Ă, relaxaŃi, -te, adj. 1. Détendu, reposé; relâché. 2. (Corps
plastiques) Dont la tension mécanique est diminuée. - V. relaxa.
AUTORELAXARE, autorelaxări, s.f. Relaxation normale, sans
administration de calmants. - Auto- + relaxare.
4. L’importance des mots à étymon français dans le lexique du
roumain
Ces derniers temps la bibliographie de la problématique des néologismes
d’origine romane, et, implicitement ou explicitement, des emprunts au français,
s’est enrichie de beaucoup de contributions qui approfondissent et nuancent les
connaissances sur des aspects des plus variés. Nombre de ces ouvrages présentent
un intérêt théorique et méthodologique par les précisions qu’ils apportent ou par les
directions de recherche qu’ils ouvrent.
Une mention spéciale doit être faite pour les études de statistique sur
l’élément lexical d’origine française (souvent dans un contexte général ou roman).
Les statistiques faites jusqu'à présent reposent sur des dictionnaires de dimensions
différentes et, surtout, sur des dictionnaires généraux (CADE, DLRM), sur des
dictionnaires de néologismes (DCR) ou sur des fonds principaux (Graur 1954, Sala
1988), ce qui explique les grandes fluctuations concernant les chiffres obtenus.
Au niveau du vocabulaire fondamental, il existe deux statistiques très
connues, faites à distance dans le temps (34 ans), celle de Graur (1954) et celle de
Sala (1988).
Graur fait une statistique sur les 1.419 mots du fonds principal de la langue
roumaine où il identifie à peine 1% mots français.
L’étude réalisée sous la coordination de l’académicien Marius Sala,
Vocabularul reprezentativ al limbilor romanice (VRLR) (1988), est un ouvrage
avec une valeur fonctionnelle toute particulière, qui se propose de dresser
l’inventaire des unités lexicales représentatives pour l’ensemble du vocabulaire des
langues romanes, en appliquant les mêmes critères de sélection, à savoir: l’usage,
la richesse sémantique et la force dérivative. Le vocabulaire représentatif de la
langue roumaine (VRLR) est formé de 2.581 mots. Le montant des emprunts au
français y atteint 22,12% et occupe la 3-ème position, si l’on ajoute les mots à
étymologie multiple (dont aussi française), après l’élément latin hérité et les
créations lexicales sur le terrain du roumain.
Au niveau du lexique général, Macrea (1961) a fait deux statistiques sur
deux dictionnaires, respectivement le CADE (1931) et le DLRM (1958). Prenant en
compte les mots à étymon français et à étymologie multiple, le CADE comprend
43.269 mots, dont 29,69% français, alors que le DLRM comprend 49.649 mots,
dont 38,42% français, donc de 10% plus nombreux que dans le CADE. Dans un
intervalle de plus de vingt-cinq ans, le lexique du roumain a ajouté une quantité
considérable de mots d’origine française, ce qui s’explique par les contacts intenses
entre les Roumains et les Français dans la première moitié du XXe siecle.
Il y a aussi une statistique faite sur un dictionnaire de néologismes, le DCR
(1982), par Florica Dimitrescu, linguiste qui s’est beaucoup intéressée à l’influence
française sur le lexique du roumain. Sur les 3.749 mots enregistrés dans le DCR, le
français a un pourcentage de 19,3% et, si l’on y ajoute les autres éléments romans,
la proportion s’élève à 21,3%, ce qui place le français en première position.
Suite à la constitution du DILF (2009), nous avons pu faire notre propre
statistique sur un corpus de grandes dimensions (65.000 mots), incluant: les motsbases et les mots dérivés:
A. Mots-bases
Total
B. Mots dérivés
Mots à étymologie uniquement française
30,60%
Mots à étymologie multiple, y compris
française
9,04%
À partir de bases à étymologie
uniquement française et à étymologie
multiple
Total général
Cette statistique permet de formuler les considérations suivantes:
39,64%
7,87%
47, 51 %
(i) le point de départ de notre statistique est le plus grand dictionnaire d’usage
général de la langue roumaine (DEX), qui comprend 65.000 mots, faisant
ainsi une large place aux néologismes;
(ii) la plupart des emprunts au français appartiennent à la catégorie des mots à
étymologie uniquement française (30%) et, si l’on ajoute les mots à
étymologie multiple, y compris française, le pourcentage atteint 39,64% sur
l’ensemble du dictionnaire, ce qui rapproche notre statistique de celle faite
par Macrea (1961) sur le DLRM (38,42%). Cela pourrait d’ailleurs
constituer un argument que les mots d’origine française ont pénétré
massivement jusqu'à la première moitié du XXe siècle car, dans les dernières
décennies, on parle d’une invasion d’anglicismes dans le lexique de la
langue roumaine;
(iii) le total général de 47,51% est assez relatif, tributaire aux indications
étymologiques du dictionnaire utilisé pour cette recherche (DEX), ce qui
impose une recherche étymologique minutieuse pour vérifier les
étymologies présentées dans le dictionnaire de départ avec le DA, le DLR et
le CDER;
(iv) la vitalité et l’adaptation de la plupart des mots d’origine française à la
langue roumaine est une preuve incontestable que son fonds néologique a
continué et continue de s’enrichir.
5. Nouvelles pistes de recherche
Le DILF constituera sans doute un point de départ pour de futures
recherches dans les domaines de la lexicologie et de la lexicographie romanes,
telles que:
- approfondir l’étude des emprunts lexicaux au français du point de vue
étymologique;
- établir les principaux domaines de manifestation des emprunts et réaliser
une statistique portant sur le vocabulaire général et les vocabulaires spécialisés;
- élaborer une typologie illustrant l’évolution sémantique des emprunts
lexicaux au français;
- étudier l’adaptation des emprunts aux systèmes graphique, phonétique et
morphologique de la langue roumaine;
- faire des considérations sur l’ensemble du fonds lexical roman de la
langue roumaine.
5.1. Aspects étymologiques
Ce corpus pourrait constituer une ressource indispensable pour l’étude des
emprunts lexicaux au français du point de vue des critères sur lesquels reposent les
indications étymologiques: d’une part, les situations étymologiques diverses et, de
l’autre, les différentes variations diachroniques, diastratiques, diaphasiques
caractérisant la langue source et la langue cible. Une attention spéciale devra être
accordée à l’analyse des mots à étymologie multiple et des mots dérivés, qui
auraient pu se former soit sous une influence française, soit sur le terrain de la
langue roumaine.
5.2. Domaines de manifestation des emprunts lexicaux
Un autre aspect important mis en évidence dans l’étude des emprunts porte
sur leurs domaines de manifestation, qui se situent surtout dans les sphères de
l’activité scientifique, politique et culturelle. Grâce à ce corpus-registre, on pourrait
(ainsi) envisager des statistiques concernant le pourcentage des emprunts au
français qui font partie, d’une part, du langage usuel et, de l’autre, des domaines
spécialisés.
À cet égard, Florica Dimitrescu (1994) a recensé du point de vue
étymologique les mots enregistrés dans le DCR (1982) et elle a constaté que, sur
les 579 termes d’origine française, la plupart appartiennent aux branches les plus
importantes de la science et de la technique, c’est-à-dire les domaines où l’on avait
enregistré les plus grands progrès et innovations: médecine, biologie, technique,
physique, circulation, art, chimie şi cinématographie, aviation, alimentaire, etc.
5.3. Typologie sémantique des emprunts lexicaux au français
De la perspective du sens, les recherches menées dans le cadre du projet
FROMISEM ont identifié deux catégories d’emprunts, qui, le plus souvent, se
superposent (cf. Iliescu et all. 2010):
- conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon français,
parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français;
- innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de
départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à
travers divers mécanismes sémantiques: extensions analogiques et restrictions de
sens, métaphorisations, passage métonymique, glissements connotatifs, etc.
Pour illustrer le premier cas, nous citons le mot bec qui désigne
principalement ‹la bouche des oiseaux› (TLFi); par transfert métaphorique, le mot
est arrivé à désigner ‹le brûleur à gaz› (TLFi) et, ultérieurement, par une restriction
sémantique, ‹la partie d’une lampe à gaz où a lieu la combustion› (le bec à gaz)
(TLFi). Au début du XXe siècle, le mot bec est attesté en roumain avec le sens,
aujourd’hui disparu, de ‹extrémité pointue (en forme de bec) d’un tuyau de gaz
aérien› (DA). Le sens actuel du roumain, celui de ‹ampoule électrique› (DA), vient
du syntagme français bec électrique (TLFi).
Dans le cas des innovations sémantiques opérées en roumain, très
intéressante est l’évolution de l’acception du mot marquise dans le domaine de
l’architecture en tant que ‹toile ou auvent vitré placé au-dessus de la porte d’entrée›
(TLFi). Le roumain emprunte cette acception par nécessité dénominative
(«néologie primaire») pour désigner ce nouveau style architectural qui prévoit pour
la protection de la maison contre le soleil et les intempéries un auvent (en vitre) sur
une grille en fer forgé. En plus, il opère deux extensions sémantiques par
glissement métonymique, pour désigner le tout par la partie: dans le premier
cas ‹la pièce à auvent et murs en vitres, qui se trouve devant une maison› (DA) et,
dans le deuxième cas, ‹la cabine pour le mécanicien dans les locomotives à
vapeurs› (DA).
5.4. Adaptation des emprunts lexicaux
Un autre aspect intéressant pour les lexicologues et les lexicographes
concerne l’adaptation et l’intégration de ces emprunts du point de vue graphique,
phonétique et morphologique, phénomène qui a été décrit de manière presque
exhaustive dans la littérature de spécialité roumaine.
De ce point de vue, les linguistes ont relevé le fait que les néologismes doivent
respecter les normes morphosyntaxiques et phonologiques de la langue dans
laquelle ils vont fonctionner, car une nouvelle unité lexicale se construit toujours
en partant d’une forme déjà existante et avec des éléments et des stratégies de
formation appartenant au système de la langue-cible.
Les difficultés d’adaptation phonétique sont dues à des différences
majeures d’ordre phonétique entre les deux langues analysées et ce corpus pourrait
constituer un point de départ pour tous ceux qui veulent proposer une typologie des
modifications graphiques et phonétiques subies par les emprunts français en
contact avec le roumain.
À cet effet, Simona Constantinescu (2005) souligne qu’au niveau de la
prononciation et de la graphie, les mots empruntés reflètent leur degré
d’assimilation. Dans l’histoire d’un mot, il arrive un moment où il cesse d’être
considéré comme étranger, ce qui veut dire que ces emprunts subissent une
assimilation phonétique parfaite, tel le mot angro (DOOM), avec une orthographe
roumaine (après des variantes comme en gros, angros, angross).
De grandes modifications apparaissent également dans l’intégration
morphologique de ces emprunts dans le système de la langue roumaine concernant
surtout les aspects suivants:
(i) la divergence de genre entre le français et le roumain
Si les animés conservent en pincipe le genre des mots de la langue
d’origine, pour les inanimés, la majorité des noms masculins (tableau, mémoire) et
une partie des féminins (incendie, tribu) passent, en roumain, au neutre: tablou,
memoriu, incendiu, trib.
(ii) le changement de la conjugaison des verbes
Les verbes de la Ière conjugaison en français ont été difficilement
catégorisés vu qu’en roumain la Ière conjugaison comporte deux classes: des verbes
sans suffixe flexionnel (a aduna - adun, a alerga - alerg, a chema - chem) et des
verbes à suffixe (a lucra - lucrez, a păstra - păstrez, a desena - desenez). D’autre
part, la Ière conjugaison est la plus nombreuse, vu que les verbes français en –e ou –
i ont été intégrés dans la première conjugaison: diriger > a dirija, protéger > a
proteja, assortir > a asorta, démolir > a demola.
Un autre cas est celui des verbes français terminés en –ir (du type
appartenir, réussir) ont été inclus soit dans la IIIème conjugaison: a aparŃine, soit
dans la IVème : a reuşi, avec le suffixe –esc, par analogie avec privesc, folosesc.
6. En guise de conclusion
Les emprunts au français ont été étudiés d’une manière constante par les
linguistes roumains, qui ont tous signalé l’importance de l’élément roman et son
rôle dans la modernisation du roumain littéraire.
La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mise en évidence par le
fait que le fonds néologique continue de s’enrichir, étant recensé dans les
nombreux dictionnaires de néologismes parus au cours des dernières années, mais
qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec l’avalanche des mots nouveaux
qui entrent dans la langue.
L’élaboration du DILF a impliqué un travail d’équipe méticuleux et
approfondi à la fois et il se constitue dans une base de données importante pour le
fonds lexical de la langue roumaine car il réussira à mettre en relief les aspects
suivants:
- la variété des aspects linguistiques soulevés par les emprunts au français;
- le rôle de la langue française dans la constitution du vocabulaire roumain
et l’importance du français pour la redéfinition de la physionomie néo-latine de la
langue roumaine dans l’aire de la romanité sud-est européenne;
- la nécessité d’une clarification étymologique des emprunts de même que
d’une typologie illustrant l’évolution sémantique de ces emprunts en roumain;
- l’ouverture de nouvelles pistes de recherche dans les domaines de la
lexicologie et de la lexicographie romanes.
* Daniela Dincă, Communication CILPR XXVI, Valence, 2010.
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TLFi = Trésor de la Langue Française Informatisé. Centre Nationale de la
Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la
Langue Française (ATILF) / Université Nancy 2, http: //atilf.atilf.fr/tlf.htm.
QUELQUES REMARQUES SUR L'ETYMOLOGIE DES
EMPRUNTS ROUMAINS D'ORIGINE FRANÇAISE*
0. Introduction
Toutes les langues constituent, par leur structure, des systèmes articulés qui
permettent la créativité langagière à l’aide de mécanismes qui opèrent soit au
niveau formel, soit au niveau sémantique. Les emprunts représentent un moyen
important d’enrichissement du lexique, une source inépuisable permettant de le
nuancer, de le moderniser et de lui attribuer parfois un caractère international.
Le fonds lexical néologique de la langue roumaine est, à la fois,
extrêmement riche et hétérogène. Le processus d’assimilation des éléments
lexicaux occidentaux est un phénomène complexe, commencé par le roumain
surtout vers la fin du XVIII-ème siècle et le début du XIX-ème siècle.
La littérature de spécialité reconnaît d’une manière unanime que, sur
l’ensemble des langues romanes, le français en occupe la première place, car les
emprunts français du roumain recouvrent non seulement une longue période en
diachronie, mais ils peuvent aussi illustrer tous les types de critères qui déterminent
le statut de néologisme d’un mot. On a ainsi des emprunts au français proprement
dits, qui appartiennent aux emprunts de «nécessité» et qui entrent dans la catégorie
de la néologie primaire; on a aussi des xénismes et des pérégrinismes, ou, selon
une autre terminologie, des «emprunts de luxe»; on a aussi des emprunts dénotatifs
(ou techniques) et des emprunts connotatifs ou stylistiques. D’autre part, on peut
faire souvent la distinction entre un emprunt direct et un autre indirect (pénétré en
roumain à l’aide du grec ou du russe, par exemple), entre un emprunt populaire et
un emprunt savant, littéraire et, enfin, entre un emprunt oral et un emprunt écrit.
En même temps, une recherche envisagée d’une perspective sémanticostatistique démontre l’existence de trois types de situations d’étymologie des
emprunts au français: des emprunts à étymologie multiple, des emprunts à
étymologie unique et des emprunts à étymologie controversée, ceux-ci posant un
problème majeur qui nécessite une solution du point de vue lexicographique.
Dans notre article, nous nous proposons de faire le point sur le traitement
des emprunts d’origine française sur ces différents types d’étymologie, tout en
illustrant notre exposé avec un bon nombre d’exemples du corpus F-FREON, tiré
du DEX.
1. L’étymologie. Bref aperçu théorique
Le caractère profondément hétérogène du vocabulaire néologique de la
langue roumaine moderne est déterminé, comme on l’a déjà mentionné (v. aussi
Hristea 1968: 104), par sa constitution sous l’influence de plusieurs langues: le
latin savant, le néogrec, le russe, l’allemand et, surtout, le français et, les dernières
décennies, l’anglais.
Voilà pourquoi, à ce niveau, la littérature de spécialité (Dimitrescu 1994;
Dănilă / Haja 2005) mentionne l’existence de trois types de situations d’étymologie:
a. les néologismes à étymologie unique;
b. les néologismes à étymologie multiple (principe introduit par Alexandru
Graur dans l’article avec le même titre, paru en 1950), c’est-à-dire les mots qui ont
pénétré dans la langue par plusieurs voies;
c. les néologismes à étymologie controversée (le cas des mots considérés
soit des emprunts néologiques, dans certains ouvrages lexicographiques, soit des
créations sur le terrain roumain, dans d’autres ouvrages de spécialité).
1.1. Critères qui indiquent l’étymologie
En général, pour établir correctement une étymologie, il y a deux critères
fondamentaux dont on doit tenir compte: le critère linguistique et le critère
extralinguistique.
1.1.1. Le critère linguistique
Il implique, à son tour, les sous-divisions : le critère formel et le critère
sémantique.
Le critère formel indique que la forme du mot emprunté et celle du mot
considéré comme se trouvant à son origine doivent être en concordance. Par,
exemple, le mot yoghin s’explique directement par l’anglais, yogin, le mot
correspondant en français, yogi, ayant une prononciation et une graphie tout à fait
différentes (Dimitrescu 1994: 274). Mais, si dans le cas des mots hérités, le critère
formel peut être facilement suivi grâce aux différents types de changements
phonétiques qui interviennent en diachronie, il est bien connu que de telles
modifications sont extrêmement rares pour les mots récemment empruntés ou, le
plus souvent, il n’y a aucun changement important entre la forme originaire et celle
du roumain. D’ailleurs, il faut souligner qu’un des traits spécifiques de la langue
roumaine consiste dans la possibilité d’adopter une multitude de solutions
linguistiques en ce qui concerne l’adaptation des mots récemment pénétrés dans le
vocabulaire. Le roumain est, de ce point de vue, une langue extrêmement
permissive (Dănilă / Haja 2005). Par exemple, rasă s’explique exclusivement par
le français race (in DLRM), mais il faut rappeler qu’avant la réforme
orthographique il y avait aussi la graphie rassă, probablement de l’allemand Rasse
(Hristea 1968: 108).
Le critère sémantique présuppose l’identité ou une relation justifiable entre
le sens des deux mots: celui d’origine et celui de la langue cible (Sala 1999: 26). Il
faut utiliser le critère sémantique surtout au cas où il n’y a pas d’indices formels
qui puissent déterminer l’origine sûre des mots. Par exemple, le nom drugstore n’a
pas le même référent en français et en anglais (l’anglais des États-Unis). En
roumain, drugstore semble avoir, en fonction de ses significations, une double
étymologie (Dimitrescu 1994: 247): dans le cas du premier sens (1) «magazin
general în care se vând produse alimentare, farmaceutice etc.», on indique l’origine
américaine. Dans le cas de l’acception (2) «ansamblu modern format din bar,
cafenea, sală de spectacole etc.» intervient, il s’agit d’un mot d’origine française,
parce que le terme analysé a acquis cette dernière signification spéciale
initialement en français.
1.1.2. Le critère extralinguistique
Celui-ci désigne l’histoire du mot cherché (Sala 1999: 29) : sa diffusion du
point de vue géographique, sa position dans la langue (on se demande s’il s’agit
d’un mot fréquent ou à quel champ sémantique il appartient, etc.), etc., des
informations dont on doit tenir compte tant pour la langue source que pour la
langue cible. Marius Sala (1999) mentionne les critères extralinguistiques suivants:
1. le critère géographique (ou l’analyse diatopique); 2. le critère fonctionnel; 3. le
critère historique et social; 4. le critère de l’ancienneté / le critère de l’antériorité de
la première attestation (Dimitrescu 1994: 250) – dans ce cas, les mots qui
présentent un décalage chronologique, dans le sens que la datation du roumain
précède celle de la langue source, posent un problème spécial (v. Dimitrescu 1994:
250); 5. le critère de la comparaison avec les langues apparentées. On illustre le
critère extralinguistique par l’analyse du terme microelectrică, un mot qui existe en
français aussi bien qu’en anglais. Dans ce cas, on pourrait se demander si en
roumain le mot a: 1. une origine unique (française ou anglaise) ou 2. une
étymologie multiple. Mais, pour bien comprendre les choses, il faut rappeler que
cette branche de la science s’est développée aux États-Unis, au début des
années ’60, et que le premier ouvrage de ce type traduit en roumain s’est réalisé en
1966. Il s’agit, en fait, d’arguments décisifs pour considérer l’origine anglaise du
mot microelectrică, d’autant plus que le français exprimait à ce moment-là le
même concept à l’aide de la périphrase électronique moléculaire, le terme
microélectronique étant attesté à peine en 1969 (v. Dimitrescu 1994: 249).
Par conséquent, il y a pour ce chapitre deux mises en question fondamentales et, en
même temps, deux points faibles qui nécessitent (d’un cas à l’autre) au moins
l’effort de leur trouver une solution du point de vue lexicographique. Il s’agit: 1. de
l’étymologie multiple et 2. des étymologies controversées.
Le concept d’étymologie multiple s’applique tant pour les mots qui peuvent
avoir plusieurs étymons possibles et qui pourraient s’expliquer par l’influence d’au
moins deux langues (les situations le plus souvent rencontrées en roumain visant le
français et l’anglais), que pour certains suffixes (par exemple, le suffixe –ez ou le
suffixe –bil). Dans la littérature de spécialité, on souligne que, d’un côté, beaucoup
d’éléments lexicaux romans ont pénétré en roumain par la filière de langues non
romanes (le néogrec, les langues slaves – surtout le russe et le polonais – le turc, le
hongrois, l’allemand et l’anglais) et, de l’autre côté, des mots appartenant à une
certaine langue romane ont eu comme intermédiaire toujours une autre langue
romane (voir le cas des mots d’origine portugaise ou espagnole qui ont pénétré en
roumain par la filière du français); dans ce cas, les langues romanes ont servi
comme intermédiaire ou comme filière d’assimilation par le roumain de certains
éléments appartenant à diverses langues (fréquemment le latin, le vieux grec et,
récemment, l’anglais). Dans cette situations, il y a plusieurs aspects
méthodologiques qui doivent recevoir une solution: établir le type d’étymologie
(emprunt direct versus emprunt indirect), essayer de déceler l’ordre exact pour ce
qui est de la chronologie de l’assimilation (et on pourrait arriver, dans certains cas,
à une seule entrée lexicographique). À l’aide de ce critère méthodologique, on a
démontré (Dimitrescu, 1994 : 250), par exemple, l’origine française des mots
roumains: biodegradabil, biononică, geostaŃionar, interfon, etc. C’est pour cela
que, dès 1982, Mioara Avram attirait l’attention qu’on a l’habitude de faire appel à
l’étymologie multiple non seulement à cause de la nécessité, mais aussi par
commodité, même au cas où soit des indices formels, soit les dates historiques
s’opposent à accepter certaines sources.
Malgré cela, on peut déceler trois catégories de mots à étymologie multiple:
1. l’étymologie multiple interne, c’est-à-dire le cas où un dérivé provient de
deux ou plusieurs primitifs qui appartiennent à la même famille lexicale (v. Hristea
1973: 143-155) et aussi les situations de déraillement ou de contamination lexicale
(v. Király 1973: 249-255);
2. l’étymologie multiple externe, c’est-à-dire le cas où le même mot est
emprunté à deux ou plusieurs langues (soit à la même époque, soit à distance dans
le temps et dans l’espace) (v. Hristea 1973: 143-155). Un exemple fréquemment
cité pour illustrer ce dernier type d’étymologie multiple est le mot lampă qui a
pénétré en roumain initialement du néogrec, avec la forme lamba et le sens « lampă
de ulei », sens qui a circulé une longue période dans la langue populaire. Plus tard,
avec l’évolution du système à illuminer (l’apparition de la lampe à pétrole, de la
lampe à gaz, de la lampe électrique, etc.), le mot a pénétré en roumain de diverses
langues où il avait des formes avec p et les sens nouveaux mentionnés auparavant :
alm. Lampe, fr. lampe, rus. lampa, hongr. lámpa (Sala, 1999: 65).
Enfin, le troisième type d’étymologie multiple est l’étymologie multiple
mixte (ou combinée), c’est-à-dire la situation où un seul mot a dans une certaine
langue une double provenance (externe et interne). Par exemple, pour arhaiza, il
faut proposer l’étymologie suivante: de arha[ic] + arha[ism] + sufix. –iza. Cf. fr.
archaïser (Sala 1999: 67). Aussi, faut-il considérer des mots tels: antitusiv,
modernitate ou cuvânt-cheie, comme des créations roumaines, mais on ne peut pas
affirmer la même chose pour antiteatru ou antiartă qui sont liés au milieu culturel
français (v. Dimitrescu 1994: 250).
Pour ce qui est des termes qui existent à la fois en français et en anglais (et
qui représentent d’ailleurs la majorité des mots du roumain contemporain à
étymologie multiple), Florica Dimitrescu (1994: 222) considère qu’ils peuvent être
classifiés en deux grandes catégories: 1. des mots qui proviennent d’une seule
langue (le français ou l’anglais), cas où il serait mieux d’indiquer pour
l’étymologie proposée le terme français ou le terme anglais d’origine (et aussi avec
cf. l’autre terme – anglais ou français); dans cette situation, il s’agit en effet d’une
fausse étymologie multiple; 2. des mots qui peuvent s’expliquer par l’influence du
français et de l’anglais, donc des mots qui possèdent réellement une étymologie
multiple.
Pour ce qui est de l’étymologie controversée, celle-ci se rencontre
fréquemment, tout comme l’étymologie multiple, dans le cas des néologismes ou
des dérivés où la difficulté de choisir une source commune est évidente. Parfois, ce
concept apparaît, dans certains ouvrages lexicographiques, comme synonyme de
l’étymologie multiple. Une explication possible pourrait être le fait que les sources
d’information et les critères selon lesquels les auteurs des dictionnaires établissent
l’étymologie sont parfois tout à fait différents. Il faut souligner pourtant que les
problèmes qui visent la détermination d’une étymologie ont une importance
fondamentale pour la réalisation de la structure sémantique de l’article de
dictionnaire (v. Dănilă / Haja: 2005).
2. Les emprunts roumains au français. Analyse du corpus
L’emprunt, comme processus externe privilégié par lequel une langue
s’enrichit, consiste dans l’assimilation (telle quelle ou, le plus souvent, avec des
modifications phonétiques, phonologiques, sémantiques et morphologiques) de
certains éléments lexicaux d’une langue d’origine dans une langue cible.
En ce qui concerne l’influence française, celle-ci a eu un caractère décisif
pour la formation de la langue roumaine moderne, au moins pour deux raisons :
premièrement, il s’agit de l’origine romane commune des Roumains et des Français
et, par conséquent, de leur filiation linguistique. En deuxième lieu, il s’agit de la
période connue dans l’histoire de la langue roumaine sous le nom de reromanisation, lorsqu’à la fin du XVIII-ème siècle et au début du XIX-ème siècle,
les Pays Roumains ont renforcé leurs relations d’ordre culturel, économique,
politique, etc. avec la France.
Par conséquent, les emprunts d’origine française représentent la source la
plus importante dans la modernisation du vocabulaire de la langue roumaine. Dans
la littérature de spécialité, on considère, par exemple, que le pourcentage des
emprunts roumains au français représente 21, 3 % sur l’ensemble de 3.749 mots
insérés dans le DCR (v. Dimitrescu 1994: 235), si l’on prend en compte aussi les
situations d’étymologie multiple.
Pour illustrer ces affirmations, on a analysé dans cette étude les différents
types d’étymologie rencontrés dans le corpus des mots de la lettre F du DEX
(jusqu’au mot FREON). On a choisi seulement les cas à étymologie claire, c’est-àdire les mots roumains dont l’origine française peut se justifier selon les critères
mentionnés supra. L’analyse du corpus a conduit aux observations suivantes:
2.1. La plupart des mots appartenant à ce corpus sont des emprunts
pénétrés en roumain directement du français. Il s’agit donc de mots à étymologie
unique et qui, du point de vue du critère formel, se laissent caractériser par peu de
changements phonétiques ou morphologiques dans le passage du français au
roumain. Dans cette catégorie entrent :
FABRICANT, -Ă, fr. fabricant ; FABULA, fr. fabuler ; FABULIST, -Ă, fr.
fabuliste ; FACEłIE, fr. facétie ; FACEłIOS, -OASĂ, fr. facétieux ; FACONDĂ,
fr. faconde ; FACTAJ, fr. factage ; FACTICE, fr. factice ; FACłIONAR, -Ă, fr.
factionnaire ; FACTITIV, fr. factitif ; FACTORIAL, fr. factoriel; FACTORIZA, fr.
factoriser ; FACHIR, fr. fakir ; FACHIRISM, fr. fakirisme ; FACIAL, -Ă, fr.
facial ; FACILITA, fr. faciliter ; FACTURĂ2, fr. facture ; FACTURA, fr. facturer ;
FACTURIER, fr. facturier ; FACULĂ, fr. facule ; FACULTATIV, -Ă, fr.
facultatif ; FAD, -Ă, fr. fade ; FAETON, fr. phaéton ; FAGACEE, fr. fagacées ;
FAGOCIT, fr. phagocyte ; FAGOCITOZĂ, fr. phagocytose ; FALANGĂ1, fr.
phalange ; FALANGIST, fr. phalangiste ; FALANSTER, fr. phalanstère ;
FALANSTERIAN, -Ă, fr. phalanstérien ; FALBALA, fr. falbala ;
FALCONIFORM, fr. falconiformes ; FALERN, fr. falerne ; FALEZĂ, fr. falaise ;
FALIE, fr. faille ; FALSIFICATOR, -OARE, fr. falsificateur ; FALUN, fr. falun ;
FAMAT, -Ă, fr. [mal] famé ; FAMILIAL, -Ă, fr. familial ; FAMILIARIZA, fr.
familiariser ; FANA, fr. faner ; FANAL, fr. fanal ; FANATISM, fr. fanatisme ;
FANDA, fr. fendre ; FANEROGAMĂ, fr. phanérogame ; FANFARĂ, fr. fanfare ;
FANFARON, -OANĂ, fr. fanfaron ; FANFARONADĂ, fr. fanfaronnade ;
FANION, fr. fanion ; FANON, fr. fanon ; FANTĂ, fr. fente ;
FANTASMAGORIC, fr. fantasmagorique ; FANTEZIE, fr. fantaisie ;
FANTEZIST, -Ă, fr. fantaisiste ; FANTOMĂ, fr. fantôme ; FARAD, fr. farad ;
FARADIZARE, fr. faradisation ; FARANDOLĂ, fr. farandole ; FARAON, fr.
pharaon ; FARAONIC, -Ă, fr. pharaonique ; FARD, fr. fard ; FARINGAL, -Ă, fr.
pharyngal ; FARINGIAN, -Ă, fr. pharyngien ; FARINGISM, fr. pharyngisme ;
FARINGITĂ, fr. pharyngite ; FARINGOLARINGITĂ, fr. pharyngo-laryngite ;
FARINGOSCOP, fr. pharyngoscope ; FARINGOSCOPIE, fr. pharyngoscopie ;
FARISEIC,
-Ă,
fr.
pharisaïque;
FARISEISM,
fr.
pharisaïsm;
FARMACODINAMIE, fr. pharmacodynamie ; FARMACOLOG, -OGĂ, fr.
pharmacologue ;
FARMACOLOGIC,
-Ă,
fr.
pharmacologique ;
FARMACOLOGIE fr. pharmacologie ; FARMACOPEE, fr. pharmacopée ;
FARMACOTERAPIE, fr. pharmacothérapie ; FARMACOVIGILENłĂ, fr.
pharmacovigilance ; FARSĂ, fr. farce ; FARSOR, -OARE, fr. farceur ;
FASCICULĂ, fr. fascicule ; FASCICULAT, -Ă, fr. fasciculé ; FASCINANT, -Ă,
fr. fascinant ; FASON, fr. façon ; FASONA, fr. façonnage ; FAST1, fr. faste ;
FAłADĂ, fr. façade; FATALISM, fr. fatalisme ; FATALIST fr. fataliste ;
FAłETA, fr. facetter ; FAłETĂ, fr. facette; FATIGABILITATE, fr. fatigabilité ;
FAUNĂ, fr. faune ; FAVOARE, fr. faveur ; FAVORITISM, fr. favoritisme ;
FAVORIZA, fr. favoriser ; FAVORIZANT, -Ă, fr. favorisant ; FAVUS, fr. favus ;
FAZĂ, fr. phase ; FAZITRON, fr. phasitron ; FAZMETRU, fr. phasemètre ;
FEBLEłE, fr. feblaisse ; FEBRICITATE, fr. fébricité ; FEBRILITATE, fr.
fébrilité ; FECALĂ, fr. fécal ; FECALOM, fr. fécalome ; FECULENT, -Ă, fr.
féculent ; FECULENłĂ, fr. féculence ; FECUNDAłIE, fr. fécondation;
FEDERAL, -Ă, fr. fédéral ; FEDERALISM, fr. fédéralisme ; FEDERALIST, -Ă,
fr. fédéraliste ; FEDERALIZA, fr. fédéraliser ; FEDERAłIE, fr. fédération ;
FEDERATIV, -Ă, fr. fédératif ; FEERIC, -Ă, fr. féerique ; FEERIE, fr. féerie ;
FELAH, fr. fellah ; FELDSPATIC, -Ă, fr. feldspathïque ; FELDSPATOID, fr.
feldspathoide ; FELIBRU, fr. félibre ; FELICITA, fr. féliciter ; FELIDĂ, fr.
félidés ; FELINITATE, fr. félinité ; FELONIE, fr. félonie ; FEMINIST, -Ă, fr.
féministe ; FEMINITATE, fr. féminité ; FEMINIZA, fr. féminiser ; FEMUR, fr.
fémur ; FEMURAL, -Ă, fr. fémoral; FENAZONĂ, fr. phénazone ; FENÉC, fr.
fennec ; FENIC, fr. phénique ; FENICIAN, -Ă, fr. phénicien ; FENIL, fr. phényle ;
FENILAMINĂ, fr. phénylamine ; FENILEN, fr. phénylène ; FENOBARBITAL,
fr. phénobarbital ; FENOL, fr.phénol ; FENOLAT, fr. phénolate ; FENOLIC, -Ă,
fr. phénolique ; FENOLOGIC, -Ă, fr. phénologique ; FENOLOGIE, fr.
phénologie ; FENOMEN, fr. phénomène ; FENOMENAL, Ă, fr. phénoménal ;
FENOMENALITATE,
fr.
phénoménalité ;
FENOMENOLOG,
fr.
phénoménologue ;
FENOMENOLOGIC,
-Ă,
fr.
phénoménologique ;
FENOMENOLOGIE, fr. phénoménologie ; FENOPLASTĂ, fr. phénoplaste ;
FENOTIP, fr. phénotype ; FENOTIPIC, Ă, fr. phénotypique ; FENTA, fr. feinter ;
FENTĂ1, fr. feinte ; FERALUMINIU, fr. ferro-aluminium ; FERATĂ, fr. [voie]
ferrée ; FERIC, -Ă, fr. ferrique ; FERICIANURĂ, fr. ferricyanure ; FERITĂ, fr.
ferrite ; FERM, -Ă, fr. ferme ; FERMĂ2, fr. ferme ; FERMENTABIL, fr.
fermentable ; FERMENTATIV, -Ă, fr. fermentatif ; FERMIER, -Ă, fr. fermier ;
FERMIU, fr. fermium ; FERMOAR, fr. fermoir ; FEROALIAJ, fr. ferro-alliage ;
FEROCIANURĂ, fr. ferrocyanure ; FEROMAGNÉTIC, -Ă, fr. ferromagnétique ;
FEROMAGNETISM, fr. ferromagnétisme ; FERONERIE, fr. ferronnerie ;
FEROS, -OASĂ, fr. ferreux ; FEROTIPIE, fr. ferrotypie ; FERPAR, fr. faire-part ;
FERTILIZABIL, -Ă, fr. fertilisable ; FERTILIZA, fr. fertiliser ; FERUGINOS, OASĂ, fr. ferrugineux. ; FESĂ, fr. fesse ; FESIER, -Ă, fr. fessier ; FESTIN, fr.
festin ; FESTIVAL, fr. festival ; FESTIVALIER, -Ă, fr. festivalier ; FESTON, fr.
feston ; FESTONA, fr. festonner ; FETAL, -Ă, fr. fœtal ; FETIDITATE, fr.
fétidité ; FETIŞ, fr. fétiche ; FETIŞISM fr. fétichisme ; FETIŞIST, -Ă, fr.
fétichiste ; FETRU, fr. feutre ; FEZABIL, -Ă, fr. faisable ; FEZABILITATE, fr.
faisabilité ; FEZANDA, fr. faisender ; FIABIL, -Ă, fr. fiable ; FIABILITATE, fr.
fiabiltité ; FIACRU, fr. fiacre ; FIBRILA, fr. fibriller ; FIBRILĂ, fr. fibrille ;
FIBRILAR, -Ă, fibrillaire ; FIBRILAłIE, fr. fibrillation ; FIBRINĂ, fr. fibrine ;
FIBRINOGEN, fr. fibrinogène ; FIBROCARTILAGINOS, -OASĂ, fr.
fibrocartilagineux ; FIBROCARTILAJ, fr. fibrocartilage ; FIBROCIT, fr.
fibrocyte ; FIBROM, fr. fibrome ; FIBROMATOZĂ, fr. fibromatose ; FIBROS, OASĂ, fr. fibreux ; FIBROSCOP, fr. fibroscope ; FICOMICETE, fr.
phycomycètes ; FICłIONALISM, fr. fictionalisme ; FICTIV, -Ă, fr. fictif ;
FIDEICOMIS, fr. fidéicomis ; FIDEISM, fr. fidéisme ; FIDEIST, -Ă, fr. fidéiste ;
FIEF, fr. fief ; FIGURA, fr. figurer ; FIGURANT, -Ă, fr. figurant ; FIGURATIV, Ă, fr. figuratif ; FIGURINĂ, fr. figurine ; FILACTERĂ, fr. phylactère ;
FILAMENTOS, -OASĂ, fr. filamenteux ; FILANTROP, -OAPĂ, fr. philanthrope ;
FILANTROPIC, -Ă, fr. philanthropique ; FILANTROPIE, fr. philanthropie ;
FILARIOZĂ, fr. filariose ; FILARMONIC, -Ă, fr. philharmonique ; FILATÉLIC,
-Ă, fr. philatélique ; FILATELIE, fr. philatélie ; FILATELIST, -Ă, fr. philatéliste ;
FILATOR, -OARE, fr. filateur ; FILATURĂ, fr. filature ; FILE, fr. filet ; FILET,
fr. filet ; FILETA, fr. fileter ; FILEU, fr. filet ; FILFIZON, probablement fr. vive
le son [du canon]; FILIAL, -Ă, fr. filial ; FILIALĂ, fr. filiale ; FILIAłIE, fr.
filiation ; FILIERĂ, fr. filière ; FILIFORM, -Ă, fr. filiforme ; FILIGRANA, fr.
filigraner ; FILIGRANOSCOP, fr. filigranoscope ; FILIPICĂ, fr. philippique ;
FILISTEAN, fr. Philistins ; FILISTIN, fr. philistinisme; FILM, fr. film; FILMA, fr.
filmer ; FILMOGRAFIE, fr. filmographie ; FILMOLOGIC, -Ă, fr. filmologique ;
FILMOLOGIE, fr. filmologie ; FILMOTECĂ, fr. filmothèque ; FILO- fr. philo- ;
FILODENDRON, fr. philodendron ; FILOGENÉTIC, -Ă, fr. phylogénétique ;
FILOGENEZĂ, fr. phylogenèse ; FILOGENIE, fr. phylogénie ; FILOGENIST, -Ă,
fr. phylogéniste ; FILOLOG, -Ă, fr. philologue ; FILOLOGIC, -Ă, fr.
philologique ; FILOLOGIE, fr. philologie ; FILOMELĂ, fr. philomèle : FILON, fr.
filon ; FILOXÉRĂ, fr. phylloxéra ; FILOZOFALĂ, fr. philosophale ; FILOZOFIC,
-Ă, fr. philosophique ; FILTRA, fr. filtrer ; FILTRAJ, fr. filtrage ; FILTRANT, -Ă,
fr. filtrant ; FILTRAłIE, fr. filtration ; FILTRU1, fr. filtre, Cf. it. filtro ; FILTRU2,
fr. philtre : FIN1, -Ă, fr. fin ; FINALISM, fr. finalisme; FINALIST, fr. finaliste ;
FINALITATE, fr. finalité ; FINANCIAR, -Ă, fr. financier. Cf. it.
f i n a n z i a r i o ; FINANłA, fr. financer ; FINET, fr. finette ; FINEłE, fr.
finesse ; FINISA, fr. finir ; FINISAJ, fr. finissage; FINISOR, -OARE, fr. finisseur ;
FINITISM, fr. finitisme ; FIOLĂ, fr. fiole ; FIORD, fr. fjord ; FIŞĂ, fr. fiche ;
FISCAL, -Ă, fr. fiscal ; FISCALITATE, fr. fiscalité ; FISIBILITATE, fr.
fissibilité ; FIŞIER, fr. fichier ; FISIONABIL, -Ă, fr. fissionable ; FISIUNE, fr.
fission ; FISTULĂ, fr. fistule ; FISTULOS, -OASĂ, fr. fistuleux ; FISURA, fr.
fissurer ; FITOBIOLOGIE, fr. phytobiologie ; FITOCENOZĂ, fr. phytocénose ;
FITOCHIMIE, fr ; phytochimie ; FITOCID, fr. phytocide ; FITOFAG, fr.
phytophage ;
FITOFARMACEUTIC,
-Ă,
fr.
phytopharmaceutique ;
FITOFARMACIE, fr. phytopharmacie ; FITOFIZIOLOGIE, fr. phyto-physiologie ;
FITOGEN, -Ă, fr. phytogène ; FITOGEOGRAFIC, -Ă, fr. phytogéographique ;
FITOGEOGRAFIE fr. phytogéographie ; FITOHORMON, fr. phytohormone ;
FITOPATOGEN, -Ă, fr. phytopathogène; FITOPATOLOGIC, -Ă, fr.
phytopathologique ; FITOPATOLOGIE fr. phytopathologie ; FITOPLANCTON,
fr. phytoplancton ; FITOSANITAR, -Ă, fr. phytosanitaire ; FITOTEHNIC, -Ă, fr.
phytotechnique ; FITOTERAPEUT, -Ă, fr. phytothérapeute ; FITOTERAPIC, -Ă,
fr. phytothérapique ; FITOTOXIC, -Ă, fr. phytotoxique ; FITOTRON ; fr.
phytotron ; FIXA, fr. fixer ; FIXABIL, -Ă, fr. fixable ; FIXAJ fr. fixage ;
FIXATIV, -Ă, fr ; fixatif ; FIXATOR, fr. fixateur ; FIXISM, fr. fixiste ;
FIXITATE, fr. fixité ; FIZIC, -Ă, fr . physique ; FIZICALISM, fr. physicalisme ;
FIZICALIST, -Ă, fr. physicaliste ; FIZICIAN, -Ă, fr. physicien ; FIZIOCRAT, fr.
physiocrate ; FIZIOCRATIC, -Ă, fr. physiocratique ; FIZIOCRAłIE fr.
physiocratie ; FIZIOCRATISM, fr. physiocratisme ; FIZIOGNOMONIC, -Ă, fr.
physiognomonique ; FIZIOGNOMONIE, fr. physiognomonie ; FIZIOLOG, -Ă, fr .
physiologue ; FIZIOLOGIC, -Ă, fr. physiologique ; FIZIOLOGIE fr. physiologie ;
FIZIOLOGIST, -Ă, fr. physiologiste ; FIZIONOMIC, -Ă, fr. physionomique ;
FIZIONOMIE, fr. physionomie ; FIZIONOMIST, -Ă, fr. physionomiste ;
FIZIOPATOLOGIC, -Ă, fr ; physiopathologique ; FIZIOPATOLOGIE, fr.
physiopathologie ; FIZIOTERAPIC, -Ă, fr ; physiothérapique ; FIZIOTERAPIE,
fr. physiothérapie ; FLACON, fr. flacon ; FLAGELAT, fr. flagellates ;
FLAGRANT, -Ă, fr. flagrant ; FLAGRANłĂ, fr. flagrance ; FLAJOLÉT, fr ;
flageolet ; FLAMAND, -Ă, fr. flamand ; FLAMBAJ, fr. flambage ; FLAMBA, fr.
flamber. ; FLAMBOAIANT, -Ă, fr. flamboyant ; FLAN, fr. flan ; FLANA, fr.
flâner ; FLANC, fr. flanc ; FLANCA, fr. flanque ; FLANCGARDĂ, fr. flancgarde ; FLANELĂ, fr. flanelle ; FLASC, -Ă, fr. flasque ; FLATA, fr. flatter ;
FLATERIE, fr. flatterie ; FLAVONĂ, fr. flavone ; FLEBITĂ, fr. phlébite ;
FLEBOLOGIE, fr. phlébologie ; FLEBOTOMIE, fr. phlébotomie ; FLEGMĂ, fr.
flegme ; FLEGMATIC, -Ă, fr. flegmatique ; FLEGMAZIE, fr. phlegmasie ;
FLEGMON, fr. phlegmon ; FLER, fr. flair ; FLEŞĂ, fr. flèche ; FLEXIBILITATE,
fr ; flexibilité ; FLEXIONAR, -Ă, fr. flexionnel ; FLEXURĂ, fr. flexure;
FLICTENĂ, fr. phlyctène ; FLIRT, fr. flirt ; FLIRTA, fr. flirter ; FLIŞ, fr. flysch ;
FLOCUL, fr. flocculi ; FLOGISTIC, -Ă, fr. phlogistique ; FLOGOPIT, fr.
phlogopite ; FLORĂ, fr. flore ; FLORAL, -Ă, fr. floral ; FLOREAL, fr. floréal ;
FLORENTIN, -Ă, fr. florentin ; FLORETĂ, fr. fleuret; FLORICOL, -Ă, fr.
floricole ; FLORICULTURĂ, fr. floriculture ; FLORIFER, -Ă, fr. florifère ;
FLORIST, -Ă, fr. fleuriste; FLOROGLUCINĂ, fr. phloroglucine ; FLOTA, fr.
flotter ; FLOTĂ, fr. flotte ; FLOTABIL, -Ă, fr. flottable ; FLOTABILITATE, fr ;
flottabilité ; FLOTANT, -Ă, fr. flottant ; FLOTAłIE, fr. flottation ; FLOTILĂ, fr.
flottile ; FLOTOR, fr. flotteur ; FLU, fr. flou ; FLUAJ, fr. fluage ; FLUENT, -Ă, fr.
fluent ; FLUENłĂ, fr. fluence ; FLUIDIC, -Ă, fr. fluidique ; FLUIDIFIANT, fr.
fluidifiant ; FLUIDIFICA, fr. fluidifier ; FLUIDIZA, fr. fluidiser ; FLUOMETRU,
fr ; fluomètre ; FLUOR, fr. fluor ; FLUORESCEINĂ, fr. fluorescéine ;
FLUORESCÉNT, -Ă, fr. fluorescent ; FLUORESCENłĂ, fr. fluorescence ;
FLUORFOSGÉN, fr. fluorphosgène ; FLUORHIDRIC, fr. fluorhydrique ;
FLUORIMETRU, fr. fluorimètre ; FLUORINĂ fr ; fluorine ; FLUORIZA, fr.
fluoriser ; FLUOROGRAFIE, fr. fluorographie ; FLUOROSCOP, fr. fluoroscope ;
FLUOROZĂ, fr. fluorose ; FLUORURĂ, fr. fluorure ; FLUVIOMÉTRIC, -Ă, fr.
fluviométrique ; FLUVIOMETRU, fr. fluviomètre ; FLUX, fr. flux ; FLUXIUNE,
fr ; fluxion ; FLUXMETRU, fr. fluxmètre ; FOAIER, fr. foyer ; FOBIE, fr. phobie ;
FOBIE, fr ; phobie ; FOBURG, fr. faubourg ; FOC2, fr. foc ; FOCAL, -Ă, fr. focal ;
FOCALIZA, fr ; focaliser ; FOCOMELIE, fr. phocomélie ; FOCOMETRIC, -Ă, fr.
focométrique ; FOCOMETRU, fr. focomètre ; FOFILA, fr. faufiler ; FOILETON,
fr. feuilleton ; FOILETONIST, -Ă, fr. feuilletoniste; FOITAJ, fr. feuilletage ;
FOLCLORIC, -Ă, fr. folklorique ; FOLCLORIST, Ă, fr. folkloriste ; FOLIAT, -Ă,
fr. folié ; FOLIAłIE, fr. foliation ; FOLICUL, fr. follicule. ; FOLICULĂ, fr.
follicule ; FOLICULINĂ, fr. folliculine ; FOLICULITĂ, fr. folliculite ; FOLIE2, fr.
folie ; FOLIU, fr. folium ; FON, fr. phone ; FONAłIUNE, fr. phonation ;
FONATOR, fr. phonateur ; FONCIERĂ, fr. foncière ; FOND, fr. fond ;
FONDANT, -Ă, fr. fondant ; FONDATOR, -OARE, fr. fondateur ; FONDU, fr.
fondu ; FONEM, fr. phonème ; FONEMATIC, -Ă, fr. phonématique ; FONÉMIC,
-Ă, fr. phonémique ; FONETIC, -Ă, fr. phonétique ; FONETICIAN, -Ă, fr.
phonéticien ; FONETISM, fr. phonétisme ; FONIATRIE, fr. phoniatrie ;
FONIATRU, -Ă, fr. phoniatre ; FONIC, fr. phonique ; FONIE, fr. phonie ;
FONOCARDIOGRAF, fr. phonocardiographe ; FONOCARDIOGRAMĂ, fr.
phonocardiogramme ; FONOGRAF, fr. phonographe ; FONOGRAFIC, -Ă, fr.
phonographique ; FONOGRAMĂ, fr. phonogramme ; FONOLOGIC, -Ă, fr.
phonologique ; FONOLOGIE fr. phonologie ; FONOMÉTRIC, -Ă, fr.
phonométrique ; FONOMETRIE, fr. phonométrie ; FONOMETRU, fr.
phonomètre ; FONOTECĂ, fr. phonothèque ; FONTĂ, fr. fonte ; FORABIL, -Ă,
fr. forable ; FORABILITATE fr. forabilité ; FORBAN, fr. forban ; FORCEPS, fr.
forceps ; FORESTIER, -Ă, fr. forestier ; FOREZĂ, fr. foreuse ; FOREZIE, fr.
phorésie ; FORFETAR, -Ă, fr. forfaitaire ; FORJA, fr. forger ; FORJĂ, fr. forge ;
FORJABIL, -Ă, fr. forgeable ; FORJOR, fr. forgeur ; FORMALDEHIDĂ, fr.
formaldéhyde ; FORMALINĂ, fr. formaline ; FORMALISM, fr. formalisme ;
FORMALIST, -Ă, fr. formaliste ; FORMALITATE, fr. formalité ; FORMALIZA,
fr. formaliser ; FORMANT, fr. formante ; FORMAT1, fr. format ; FORMATIV, Ă, fr. formatif ; FORMIAT, fr. formiate ; FORMIC, -Ă, fr. formique ; FORMOL,
fr. formol ; FORMULA, fr. formuler ; FORMULAR, fr. formulaire ; FORMULĂ,
fr. formule ; FORT, fr. fort ; FORłAMENTE fr. forcément. Cf. it.
f o r z a t a m e n t e ; FORTĂREAłĂ, fr. forteresse ; FORTIFIANT, -Ă, fr.
fortifiant; FOSETĂ, fr. fossette ; FOSFAT, fr. phosphate ; FOSFATAZĂ, fr.
phosphatase; FOSFATIC, -Ă, fr. phosphatique; FOSFATIDĂ, fr. phosphatide;
FOSFENĂ, fr. phosphène; FOSFIT, fr. phosphite; FOSFOR, fr. phosphore;
FOSFORAT, -Ă, fr. phosphoreé; FOSFORESCENT, -Ă, fr. phosphorescent;
FOSFORESCENłĂ, fr. phosphorescence; FOSFORIC, -Ă, fr. phosphorique;
FOSFORISM, fr. phosphorisme; FOSFORIT, fr. phosphorite; FOSFOROS, OASĂ, fr. phosphoreux; FOSFOROSCOP, fr. phosphoroscope; FOSFURĂ, fr.
phosphure; FOSGEN, fr. phosgène; FOSILIFER, -Ă, fr. fossilifère; FOSILIZA, fr.
fossiliser; FOSTERIT, fr. fostérite; FOT, fr. phot; FOTO- fr. photo;
FOTOBIOLOGIE, fr. photobiologie; FOTOCARTOGRAF, fr. photocartographe;
FOTOCATALIZĂ, fr. photocatalyse; FOTOCATOD, fr. photocatode;
FOTOCELULĂ, fr. photocellule; FOTOCERAMICĂ, fr. photocéramique;
FOTOCHIMIC, -Ă, fr. photochimique; FOTOCHIMIE, fr. photochimie;
FOTOCOLOGRAFIE, fr. photocollographie; FOTOCOLORIMETRU, fr.
photocolorimètre;
FOTOCONDUCTIBILITATE,
fr.
photoconductibilité;
FOTOCONDUCłIE,
fr.
photoconduction;
FOTOCONDUCTIV,
fr.
photoconductif; FOTOCONDUCTIVITATE, fr. photoconductivité; FOTOCOPIE,
fr. photocopie; FOTOCROMIE, fr. photochromie; FOTOCROMOGRAFIE, fr.
photochromographie; FOTOCROMOTIPOGRAFIE fr. photochromotypographie;
FOTOCROMOXILOGRAFIE,fr. photochromoxilographie; FOTOCRONOGRAF,
fr. photochronographe; FOTOCUPLOR, fr. photocoupleur; FOTODERMATOZĂ,
fr. photodermatose; FOTODIODĂ, fr. photodiode; FOTOELASTICIMETRIE, fr.
photoélasticimétrie;
FOTOELASTICIMETRU,
fr.
photoélasticimètre;
FOTOELASTICITATE, fr. photoélasticité; FOTOELECTRICITATE, fr.
photoélectricité; FOTOELECTRON, fr. photoélectron; FOTOELEMENT, fr.
photo-élément; FOTOENERGETICĂ, fr. photoénergétique; FOTOFOBIE, fr.
photophobie; FOTOFON, fr. photophone; FOTOFONIE, fr. photophonie;
FOTOFOR, -Ă, fr. photophore; FOTOFOREZĂ, fr. photophorèse; FOTOGEN, -Ă,
fr. photogène; FOTOGENIC, -Ă, fr. photogénique; FOTOGENIE, fr. photogénie;
FOTOGRAF, -Ă, fr. photographe; FOTOGRAFIA, fr. photographier;
FOTOGRAFIC, -Ă, fr. photographique; FOTOGRAFIE, fr. photographie;
FOTOGRAMĂ, fr. photogramme; FOTOGRAMMETRIE, fr. photogrammétrie;
FOTOLITOGRAFIC, -Ă, fr. photolitographique; FOTOLITOGRAFIE, fr.
photolitographie; FOTOLIU, fr. fauteuil. Cf. pol. F o t e l ; FOTOLIZĂ, fr.
photolyse ;
FOTOLUMINESCENT,
-Ă,
fr.
photoluminescent ;
FOTOLUMINESCENłĂ, fr. photoluminescence; FOTOMECANICĂ, fr.
photomécanique;
FOTOMETALOGRAFIE,
fr.
photométalographie
;
FOTOMETRIE
fr.
photométrie;
FOTOMETRU,
fr.
photomètre;
FOTOMICROGRAFIE, fr. photomicrographie; FOTOMICROSCOPIE, fr.
photomicroscopie; FOTOMONTAJ, fr. photomontage; FOTOMULTIPLICATOR,
fr. photomultiplicateur ; FOTON, fr. photon; FOTONASTIE, fr. photonastie;
FOTONIC, -Ă, fr. photonique; FOTOPERIODISM, fr. photopériodisme;
FOTOPILĂ, fr. photopile; FOTOREACłIE, fr. photoréaction; FOTORECEPTOR,
fr. photorécepteur; FOTOREZISTIV, -Ă, fr. photorésistif; FOTOSCULPTURĂ, fr.
photosculpture; FOTOSENSIBIL, -Ă, fr. photosensible; FOTOSENSIBILITATE,
fr.
photosensibilité;
FOTOSENSIBILIZARE,
fr.
photosensibilisation;
FOTOSFERĂ, fr. photosphère; FOTOSFERIC, -Ă, fr. photosférique;
FOTOSINTETIC, -Ă, fr. photosynthétique; FOTOSINTEZĂ, fr. photosynthèse;
FOTOTACTISM, fr. phototactisme; FOTOTAXIE, fr. phototaxie; FOTOTECĂ, fr.
phototèque; FOTOTELEGRAF, fr. phototélégraphe; FOTOTELEGRAFIC, -Ă, fr.
phototélégraphique;
FOTOTELEGRAFIE,
fr.
phototélégraphie;
FOTOTEODOLIT, fr. photothéodolite; FOTOTERAPIC, -Ă, fr. photothérapique;
FOTOTERAPIE, fr. photothérapie; FOTOTIPIE, fr. phototypie ; FOTOTROPIE,
fr. phototropie ; FOTOVOLTAIC, -Ă, fr. photovoltaïque; FOTOZINCOGRAFIE,
fr. photozincographie; FOULARD, mot fr; FOURIERISM, fr. fouriérisme ;
FOVISM, fr. fauvisme; FOXTERIER, fr. foxterrier ; FRAC, fr. frac;
FRACłIONA, fr. fractionner; FRACłIONAR, -Ă, fr. fractionnaire; FRACTURA,
fr. fracturer ; FRAGILITATE, fr. fragilité; FRAGMENTA, fr. fragmenter;
FRAGMENTAR, -Ă, fr. fragmentaire; FRAGMENTAłIE, fr. fragmentation;
FRAGRANłĂ, fr. fragrance; FRAMEE, fr. framée; FRÂNA, fr. freiner ; FRÂNĂ,
fr. frein ; FRANC3, -Ă, fr. franc; FRANC4, -Ă, fr. franc; FRANC2, fr. franc;
FRANC1, fr. franc; FRANCEINĂ, fr. francéine ; FRANCISCĂ, fr. francisque;
FRANCISCAN, -Ă, fr. franciscain; FRANCIU, fr. francium; FRANCMASON, fr.
franc-mason; FRANCMASONERIE fr. franc-maçonnerie; FRANCMASONIC, -Ă,
fr. franc-maçonnique; FRANCOFIL, -Ă, fr. francophile; FRANCOFON, -Ă, fr.
francophone; FRANCTIROR, fr. franc-tireur; FRANJ, fr. frange; FRANKLIN, fr.
franklin; FRAPA, fr. frapper; FRAPANT, -Ă, fr. frappant; FRATERNIZA, fr.
fraterniser; FRATRIE, fr. phratrie; FRAZA, fr. phraser; FRAZEOLOG, -Ă, fr.
phraséologue ; FRAZEOLOGIC, -Ă, fr. phraséologique ; FRAZEOLOGIE, fr.
phraséologie ; FREATIC, -Ă, fr. phréatique ; FRECVENłMÉTRU, fr.
fréquencemètre ; FREDONA, fr. fredonner ; FRENCH-CANCAN mot fr. ;
FRENÉTIC, -Ă, fr. frénétique ; FRENEZIE, fr. frénésie ; FRÉNIC, -Ă, fr.
phrénique ; FRENOLOGIC, -Ă, fr. phrénologique ; FRENOLOGIE fr.
phrénologie ; FREON, fr. fréon.
À l’intérieur de cette catégorie, on a trouvé des situations qui illustrent
l’étymologie unique indirecte, telles: filtru1, financiar ou forŃamente, dont l’origine
proposée est française, mais pour lesquels on indique toujours avec cf. un autre
modèle (italien, dans tous ces cas); le français pourrait représenter ici la filière de
pénétration.
En ce qui concerne les types sémantiques rencontrés, on remarque que la
plupart des termes analysés entrent dans la catégorie des emprunts dénotatifs ou
techniques, introduits certainement par la voie culte, écrite; mais on enregistre
aussi des emprunts connotatifs ou stylistiques, tels: famat, familial, fana, facultativ,
fantomă, farsă, febleŃe, feeric, ferm, filiaŃie, flagelat, fluent, etc. (il s’agit de mots
qui ont en roumain des correspondants hérités du latin ou provenant du superstrat
slave ou entrée par l’intermédiaire d’une toute autre langue que le français) ou tels :
fantasmagoric, fantezie, fanfaron, fariseic, fatalism, festival, fineŃe, flata,
formalitate, fotoliu, foulard – des mots qui désignent des réalités extralinguistiques
pour lesquelles le roumain ne disposait pas d’un lexème adéquat.
2.2.Une autre catégorie des mots français pénétrés en roumain décelée dans
notre corpus est celle des emprunts à étymologie multiple, c’est-à-dire des mots qui
proviennent en roumain de plusieurs langues (le français, le latin savant, le néogrec,
l’italien, l’espagnol, l’anglais, le russe et l’allemand) et dont le français occupe
toujours la première ou la seconde place. Entrent dans cette catégorie les termes
suivants:
FABIANISM, angl. fabianism, fr. fabianisme ; FABRICA, fr. fabriquer, lat.
fabricare; FABRICĂ, fr. fabrique, rus. fabrika, alm. Fabrik; FABRICAłIE, fr.
fabrication, lat. fabricatio ; FABULAłIE, fr. fabulation, lat. fabulatio ; FABULĂ,
fr. fabulation, lat. fabulatio ; FABULOS, -OASĂ, fr. fabuleux, lat. fabulosus;
FACSIMIL, fr. fac-similé, lat. fac simile ; FACłIOS, -OASĂ, fr. factieux, lat.
factiosus ; FACłIUNE, fr. faction, lat. factio, -onis; FACTOR, fr. facteur, lat.
factor; FACIES, lat. facies, fr. faciès ; FACIL, -Ă, fr. facile, lat. facilis ;
FACILITATE, fr. facilité, lat. facilitas, -atis ; FACTOTUM, fr. factotum, lat. fac
totum, FACTURĂ1 , fr. facture, lat. factura; FACULTATE, fr. faculté, lat. facultas,
-atis; FADING, angl., fr. fading; FAIANłĂ, fr. faïence, it. faenza; FAIMOS, OASĂ, fr. fameux, lat. famosus ; FALSIFICA, fr. falsifier, lat. falsificare;
FAMELIC, -Ă, fr. famélique, lat. famelicus ; FAMILIAR, -Ă, fr. familier, lat.
familiaris ; FAMILIARITATE, fr. familiarité, lat. familiaritas, -atis ; FAN, angl.,
fr. fan ; FANATIC, -Ă, fr. fanatique, lat. fanaticus; FANDANGO fr., esp.
fandango; FANTASTIC, -Ă, fr. fantastique, lat. phantasticus ; FAR, fr. phare, lat.
pharus, it. faro ; FARADIC fr. faradique, alm. Faradisch ; FARADMETRU, fr.
faradmètre, angl. faradmeter ; FARINACEU, -EE, fr. farinacé, lat. farinaceus;
FARMACEUTIC, -Ă, fr. pharmaceutique, lat. pharmaceuticus ; FARMACIE, fr.
pharmacie, lat. pharmacia ; FASCICUL, fr. fascicule, lat. fasciculus ; FASCINA,
fr. fasciner, lat. fascinare ; FASCINĂ, it. fascina, fr. fascine ; FASCINAłIE, fr.
fascination, lat. fascinatio ; FASCINATOR, -OARE, fr. fascinateur, lat. fascinator,
-oris ; FASCISM, it. fascismo, fr. fascisme ; FASCIST, -Ă, it. fascista, fr. fasciste ;
FAST2, -Ă, fr. faste, lat. fastus ; FASTIDIOS, -OASĂ, fr. fastidieux, lat.
fastidiosus ; FASTUOS, -OASĂ, fr. fastueux, lat. fastuosus ; FATAL, -Ă, fr. fatal,
lat. fatalis ; FATALITATE, fr. fatalité, lat. fatalitas, -atis ; FATALMENTE, it.
fatalmente, fr. fatalement ; FATIDIC, -Ă, fr. fatidique, lat. fatidicus ;
FATUITATE fr. fatuité, lat. fatuitas, -atis ; FAVORABIL, -Ă, fr. favorable, lat.
favorabilis ; FAVORIT, -Ă, fr. favori, -ite, it. favorito, (3) et rus. favorit ; FAZAN,
rus. fazan. Cf. fr. f a i s a n ; FEBRIFUG, -Ă, fr. fébrifuge, lat. febrifugia; FEBRIL,
-Ă, fr. fébrile, lat. febrilis ; FECULĂ, fr. fécule, lat. faecula ; FECUND, -Ă, fr.
fécond, lat. fecundus ; FECUNDA, fr. féconder, lat. fecundare ; FECUNDITATE,
fr. fécondité, lat. fecunditas, -atis ; FEDERAT, lat. foederatus, fr. fédéré ;
FELDMAREŞAL, alm. Feldmarschall, fr. feld-maréchal, rus. fel''dmaršal;
FELDSPAT, alm. Feldspat, fr. feldspath; FELIN, -Ă, fr. félin, lat. felinus ;
FELUCĂ, fr. félouque, it. felucca; FEMELĂ, fr. femelle, lat. femella ; FEMININ,
-Ă, fr. féminin, lat. femininus ; FEMINISM, fr. féminisme, rus. feminizm ; FENIX,
fr. phénix, lat. phoenix ; FENOMENALISM, rus. fenomenalizm, fr.
phénoménalisme ; FERIBOT, fr., angl. ferry-boat ; FERMENT, fr. ferment, lat.
fermentum ; FERMENTA, fr. fermenter, lat. fermentare ; FERMENTAłIE, fr.
fermentation, lat. fermentatio ; FEROCE fr. feroce, lat. ferox, -cis ; FEROCITATE,
fr. férocité, lat. ferocitas, -atis ; FERODO, fr., angl. ferrodo ; FEROMON, angl.
pheromone, fr. phéromone ; FEROVIAR, -Ă, fr. ferroviaire, it. ferroviario ;
FERTIL, -Ă, fr. fertile, lat. fertilis ; FERTILITATE, fr. fertilité, lat. fertilitas, -atis ;
FERVENT, -Ă, fr. fervent, lat. fervens, -ntis ; FERVOARE, fr. ferveur, lat. fervor,
-oris ; FESTIVITATE, fr. festivité, lat. festivitas, -atis ; FETID, -Ă, fr. fétide, lat.
foetidus ; FETUS, lat., fr. fœtus ; FEUDAL, -Ă, it. feudale, fr. féodal ;
FEUDALISM, it. feudalismo, fr. féodalisme ; FEUDALITATE, it. feudalità, fr.
féodalité ; FIBRĂ, fr. fibre, lat. fibra ; FICłIUNE, fr. fiction, lat. fictio, -onis ;
FIDEIUSIUNE, fr. fidéjussion, lat. fidejussio, -onis ; FIDEL, -Ă, fr. fidèle, lat.
fidelis ; FIDELITATE, fr. fidélité, lat. fidelitas, -atis ; FIDER, angl., fr. feeder ;
FIDUCIAR, -Ă, fr. fiduciaire, lat. fiduciarius ; FIGURĂ, fr. figure, lat. figura ;
FIGURAT, -Ă, fr. figuré, lat. figuratus ; FIGURAłIE, fr. figuration, lat. figuratio ;
FILA, fr. filer, lat. filare ; FILAMENT, fr. filament, lat. filamentum ; FILER2, fr,
angl., filer ; FILMIC, -Ă, fr. filmique, angl. filmic ; FILOZOF, -OAFĂ, néogr.
philOsophos, fr. philosophe ; FILOZOFA, fr. philosopher, lat. philosophari ;
FILOZOFIE, néogr. philosophia, fr. philosophie ; FINAL, -Ă, fr. final, lat. finalis;
FINALMENTE, fr. finalement, it. finalmente ; FINANłE, fr. finance, it. finanza ;
FINE, it. fine, fr. fin, enfin ; FINI, fr. finir, lat. finire ; FINIŞ, angl., fr. finish ;
FINLANDEZ, -Ă, fr. finlandais, it. finlandese ; FINO-UGRIC, -Ă, fr. finnoougrien, alm. finnisch-ugrisch ; FIRMAMENT, fr. firmament, lat. firmamentum ;
FISC, fr. fisc, it. fisco ; FISURĂ, fr. fissure, lat. fissura ; FITOTERAPIE, alm.
Phytotherapie, fr. phytothérapie; FIX, -Ă, fr. fixe, lat. fixus ; FLAGELA, fr.
flageller, lat. flagellare ; FLAGELAłIE, lat. flagellatio, fr. flagellation ; FLAMĂ,
fr. flamme, lat. flamma; FLAMIN, fr. flamine, lat. flamen, -inis; FLEXIBIL, fr.
flexible, lat. flexibilis; FLEXIUNE, fr. flexion, lat. flexio, -onis; FLORILEGIU, it.
florilegio, fr. florilège; FLORIN, alm. Florin, fr. florin; FLORISTIC, -Ă, alm.
floristisch, fr. floristique; FLUCTUA, fr. fluctuer, lat. fluctuare; FLUCTUANT, Ă, fr. fluctuant, lat. fluctuans, -ntis; FLUCTUAłIE, fr. fluctuation, lat. fluctuation;
FLUID, -Ă, fr. fluide, lat. fluidus; FLUVIAL, -Ă, fr. fluvial, lat. fluvialis;
FLUVIATIL, -Ă, fr. fluviatile, lat. fluviatilis; FOAIE, lat. folia, (4) selon le fr.
feuille; FOCĂ, fr. phoque, lat. phoca; FOEHN, fr. foehn, alm. Föhn; FOLCLOR,
fr., angl. folklore; FOLIACEU, -EE, fr. foliacé, lat. foliaceus ; FOLIO, lat.
[in]folio, fr. folio; FOLIOLĂ, fr. foliole, lat. foliolum; FONTANELĂ, fr.
fontanelle, lat. fontanella; FOR, (2) lat. forum, (3) fr. for; FORA, fr. forer, lat.
forare; FORAMEN, lat., fr. foramen; FORFET, fr., angl. forfeit; FORMA, fr.
former, lat. formare; FORMĂ, fr. forme, lat. forma; FORMAL, -Ă, fr. formel, lat.
formalis; FORMAłIE, fr. formation, lat. formatio, -onis; FORMIDABIL, -Ă, fr.
formidable, lat. formidabilis; FORMULĂ, fr. formule, lat. formula; FORłA, fr.
forcer, it. forzare; FORłĂ, fr. force, it. forza; FORTIFICA, lat. fortificare, fr.
fortifier; FORTIFICAłIE, fr. fortification, lat. fortificatio; FORTRAN angl., fr.
fortran; FORTUIT, -Ă, fr. fortuit, lat. fortuitus; FORUM, lat., fr. forum; FOSĂ, fr.
fosse, lat., it. fossa; FOSIL, -Ă, fr. fossile, lat. fissilis; FOTBAL, angl., fr. football;
FOTOCONDUCTOR, -OARE, fr. photoconducteur, angl. fhotoconductor;
FOTOEMISIE, fr. photo-émission, angl. photoemission ; FOTOFINIŞ, fr., angl.
photo-finish; FOTOGRAMMETRU, alm. Photogrammeter, fr. Photogrammètre ;
FOTOREPORTAJ, fr. photoreportage, rus. fotoreportaj ; FOTOTOPOGRAFIE,
alm. Phototopographie, fr. phototopographie; FOTOTROPISM, fr. phototropisme,
alm. Phototropismus ; FOX, fr., angl. fox ; FRACłIE, fr. fraction, lat. fractio ;
FRACłIUNE, fr. fraction, lat. fractio, -onis ; FRACTURĂ, fr. fracture, lat.
fractura ; FRAGIL, -Ă, fr. fragile, lat. fragilis ; FRAGMENT, fr. fragment, lat.
fragmentum ; FRAGRANT, -Ă, fr. fragrant, lat. fragrans, -ntis ; FRANCEZ, -Ă, it.
francese, fr. français; FRANCO, fr., it. franco ; FRATERNITATE, fr. fraternité,
lat. fraternitas, -atis ; FRATRICID, fr. fratricide, lat. fratricida ; FRAUDĂ, fr.
fraude, lat. fraus, fraudis ; FRAUDA, fr. frauder, lat. fraudare ; FRAUDULOS, OASĂ, fr. frauduleux, lat. fraudulosus ; FRAZĂ, fr. phrase, lat. phrasis;
FRECVENTA, lat. frequentare, fr. frequenter ; FRECVENłĂ, lat. frequentia, fr.
fréquence ; FRECVENTATIV, -Ă, lat. frequentativus, fr. frequentatif, -ve;
FREGATĂ, fr. frégate, it. fregata.
Pour ce qui est de cette catégorie on observe les situations suivantes:
- dans tous les cas analysés, le français représente - du point de vue de la
fréquence des entrées – la première source en combinaison primo avec le latin,
secondo avec l’italien et, en troisième lieu, avec l’anglais;
- il y a peu de situations où le français est associé à des langues non
romanes, dont on à déjà mentionné l’anglais, mais il faut nommer (toujours dans
l’ordre de la fréquence) aussi le russe, l’allemand ou le néogrec;
Il est très important de souligner que tant sous (a) que sous (b) il s’agit de
situations d’étymologie multiple externe, dans certains cas, le français représentant
non pas la langue source de l’étymon, mais une voie, une filière de pénétration de
certains emprunts en roumain. Il s’agit plus précisément dans ce cas de
l’étymologie multiple indirecte illustrée par des mots tels: film, fotbal, faianŃă,
fandango, etc.;
- il y a aussi une seule situation où la première source indiquée n’est pas le
français, mais une langue slave, le russe. Il s’agit du mot fazan pour lequel on
mentionne pourtant avec cf. le modèle français: faisan.
En ce qui concerne les types sémantiques rencontrés, on observe toujours
une proportion élevée d’emprunts dénotatifs ou techniques, sans que l’autre
catégorie, celle des emprunts connotatifs ou stylistiques, soit absente.
Il nous semble très important de souligner l’existence des situations où seulement
un certain sens a pour étymologie multiple le français et une autre langue. En ce
qui concerne le français, l’analyse du corpus relève :
- le cas où seulement l’une des significations d’un mot est d’origine
française (for, (2) lat. forum, (3) fr. for);
- le cas où seulement l’une des significations d’un mot peut représenter un
calque selon un modèle français (foaie, lat. folia, (4) selon le fr. feuille).
L’importance de l’étymologie pour la correction des articles
lexicographiques est illustrée par les mots homonymes, tels : filtru avec : (1)
l’étymologie unique française pour le mot filtre1, «dispozitiv, aparat sau instalaŃie
cu care se separă, cu ajutorul unui material filtrant, un fluid de particule solide
[…]» – mais avec cf. on indique aussi la forme italienne, filtro - et (2) l’étymologie
unique française pour le mot livresque filtre2 «băutură căreia i se atribuie puteri
miraculoase […]». Dans la même situation se trouvent soit des mots tels : falangă1,
fentă1, etc. pour lesquels on propose seulement l’étymologie unique française, soit
des mots tels: factură1, filer2 qui entrent dans la catégorie des emprunts d’origine
française à étymologie multiple.
3. En guise de conclusion
L’étude des emprunts d’origine française du roumain du point de vue des
critères qui indiquent l’étymologie s’avère une source inépuisable pour les
recherches linguistiques, étant donné, d’un côté, les situations étymologiques
diverses qu’on peut y rencontrer et, de l’autre côté, les différentes variations
diachroniques, diastratiques, diaphasiques qui caractérisent tant la langue source
que la langue cible. L’analyse de notre corpus relève clairement tant l’importance
fondamentale de l’influence française pour le caractère moderne du roumain, que la
grande disponibilité du roumain pour ce qui est de l’assimilation et de l’adaptation
des néologismes.
*Mihaela Popescu, Analele UniversităŃii din Craiova. Seria Langues et Littératures romanes, 2009, p.
205-221.
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TLFi = Trésor de la Langue Française Informatisé, Centre Nationale de la
Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la
Langue Française (ATILF) / Université Nancy 2, http : //atilf.atilf.fr/tlf.htm.
LES REFLETS DE L’INFLUENCE FRANÇAISE SUR LE
LEXIQUE DU ROUMAIN*
1. Introduction
Notre communication se propose d’illustrer ce que nous avons appelé les
‹reflets› de l’influence du français sur le lexique de la langue roumaine, c’est-à-dire
la diversité de formes sous lesquelles se manifeste cette influence, en essayant d’en
proposer une catégorisation et de relever les problèmes épineux que soulève
l’analyse linguistique dans ce domaine.
Nous considérons nécessaire de commencer par une brève présentation de
la situation, un peu particulière, de la langue roumaine dans le cadre de la Romania.
À l’écart de l’évolution de la romanité occidentale, l’évolution du roumain
est marquée, à ses débuts, par une forte influence slave, suivie de près de celle du
néogrec. En fait, l’histoire sociale et culturelle des Roumains s’est déroulée,
jusqu’à l’époque moderne, «le visage tourné vers l’Orient», comme le remarquait
Sextil Puşcariu (http://www.ziarullumina.ro/articole; 1357;1;18405;0;Miracolulsupravietuirii-noastre-a-fost-limba.html). Par exemple, les Roumains, le seul
peuple orthodoxe d’origine latine, n’a pas utilisé le latin, à l’instar de la romanité
occidentale, dans les écoles, l’administration et, surtout, comme langue du culte
religieux:
«Comparez les textes religieux et vous verrez que là où chez nous il y a un
élément slavon, dans d’autres langues romanes il y a un élément latin savant.»
(Marius Sala)1.
Mais, suite aux contacts avec les langues de culture de l’Europe
occidentale, le roumain a abouti à connaître, à partir de la fin du XVIIIe siècle, mais
surtout tout au long du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, un
ample processus de modernisation de sa structure, en général, et de son vocabulaire,
en particulier:
«La pénétration massive de mots français qui ont remplacé les mots plus
anciens d’origine non romane a eu pour conséquence le changement du
pourcentage étymologique du vocabulaire roumain en faveur des mots romans,
phénomène qui est connu sous le nom de ‹reromanisation›.» (Şora 2006: 1728)
L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique de
cette langue a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine,
contribuant ainsi à la redéfinition de la physionomie lexicale du roumain. En effet,
la terminologie scientifique et technique, sociale, politique, administrative,
juridique, économique, artistique, etc. n’est plus à concevoir aujourd’hui sans
l’apport quantitatif et qualitatif des mots d’origine française. L’appréciation du
grand linguiste suédois Alf Lombard (1969: 646) à cet égard est plus que relevante:
il considère ce phénomène de reromanisation comme «unique au monde, en ce qui
concerne ‹les emprunts à distance›».
Certes, l’emprunt a représenté souvent la solution la plus viable pour
l’enrichissement de l’inventaire des éléments lexicaux du roumain. Mais ce
phénomène s’avère d’une remarquable complexité, recouvrant une grande diversité
de situations, que nous nous proposons de mettre en évidence, avec des exemples
tirés des dictionnaires explicatifs et étymologiques de cette langue, ce qui constitue
d’ailleurs un premier objectif de notre communication.
2. L’influence française
Une appréciation de l’influence qu’une langue peut exercer sur une autre,
en nous limitant strictement au domaine du lexique, pourrait prendre en compte les
aspects suivants:
2.1. Les emprunts
Ils sont envisagés au sens d’«unité acquise à travers un processus
d’intégration d’une unité appartenant à une autre langue» (Buchi 2010: 5),
‹gallicismes›, pour le cas pris en compte, selon la terminologie proposée par André
Thibault (cf. Thibault 2009).
Ceux-ci, en remontant leur filière, peuvent venir du français ou de
plusieurs langues à la fois. On distingue à cet égard:
(i) Des mots à étymon français bien établi, par exemple unitar (du fr.
unitaire), jurnal (du fr. journal), pactiza (du fr. pactiser), etc.
(ii) Des mots à étymologie multiple y compris française, par exemple:
umanitate (du lat. humanitas, -atis, fr. humanité), pachet (du fr. paquet, all. Paket),
etc.
(iii) Des mots pour lesquels les dictionnaires proposent d’autres
étymologies, mais renvoient également au français, par exemple: uzufructuar (du
lat. usufructuarius, cf. fr. usufruitier), palat2 (du lat., it. palatum, cf. fr. palais), etc.
(iv) Des dérivatifs – suffixes et préfixes –, par exemple: neo- (du fr. néo-),
-aj (du fr. -age), etc.
2.2. Les calques
C’est un procédé par lequel s’enrichissent le lexique et la phraséologie
d’une langue. On en distingue, grosso modo, trois sous-classes, bien représentées
dans le cas du roumain (v. à ce sujet Stanciu-Istrate 2006):
(i) Les calques de structure, quand un mot roumain, dérivé ou composé,
imite ‹la forme interne› du mot français, par exemple: ultramodernist (formé de
ultra- + modernist, d’après le fr. ultramoderniste), ceas-brăŃară (d’après le fr.
montre-bracelet), câine-lup (d’après le fr. chien-loup), nou născut (d’après le fr.
nouveau-né).
(ii) Les calques phraséologiques par lesquels est calquée la structure d’une
expression ou locution, comme par exemple: prendre la parole, traduit en roumain
par a lua cuvântul, faire acte de présence, traduit par a face act de prezenŃă, etc.
(iii) Les calques sémantiques (appelés aussi emprunts sémantiques), quand
des mots plus vieux ont enrichi leur contenu sémantique sous l’influence des
termes français correspondants: undă (< lat. UNDA), avec le sens moderne de
‹propagation d’une oscillation […]› d’après le fr. onde, ou rădacină (< lat.
RADICINA), avec les sens spécialisés utilisés en linguistique, en mathématiques:
rădăcina unui cuvânt / a unei ecuaŃii, d’après le fr. racine d’un mot / d’une
équation, etc.
2.3. Les dérivés
Il s’agit des dérivés formés sur le terrain de la langue roumaine à
partir de bases empruntées (et la difficulté qu’il y a de dissocier entre les mots
dérivés en français et les créations internes – cf. infra 3.1.). Par exemple autour du
verbe a aborda (du fr. aborder), s’est formée une riche famille lexicale: abordare,
reabordare, abordat, neabordat, abordabil, neabordabil.
2.4. D’autres catégories
À cela s’ajoutent d’autres catégories, qui ne feront pas l’objet de cette
communication, telles que:
(i) L’emprunt phonétique et / ou graphique – lié étroitement à celui lexical,
par exemple: nescafé (écrit avec accent) ou bleu (l’unique occurrence du phonème
[ø] en roumain, dans un mot assimilé)2.
(ii) L’emprunt syntaxique (les phénomènes d’interférence syntaxique et
phraséologique), en notant toutefois que la syntaxe française «a contribué
substantiellement à la modernisation de la structure de la phrase roumaine qui
devient plus claire, plus souple et en même temps plus simple». (Şora 2006: 1734)
3. Analyse de corpus
En deuxième lieu, l’analyse que nous proposons sera focalisée sur un
échantillon plus restreint (une seule lettre), afin de cerner de plus près le
phénomène discuté, en mentionnant les divers cas rencontrés dans l’analyse
entreprise. Nous nous proposons également de faire un parallèle entre les
dictionnaires de base de la langue roumaine, explicatifs et / ou étymologiques, pour
mettre en évidence le traitement lexicographique, unitaire ou différencié, dans
l’interprétation d’un même aspect linguistique.
Nous avons utilisé comme point de départ de cette analyse le DEX 1998, le
dictionnaire explicatif le plus usuel de la langue roumaine, en l’illustrant par la
lettre U (comportant 660 mots-titre). L’élément lexical d’origine française y est
représenté de la manière suivante:
- 167 mots pour lesquels le DEX indique un étymon exclusivement
français;
- 56 mots à étymologie multiple, y compris française;
- 10 mots à étymologie hésitante et des calques, pour lesquels on fait des
renvois au français par les formules cf. fr., d’après le fr., par exemple: unigland (cf.
fr. uniglandé), uperizare (d’après le fr. upérisation), etc.
L’ensemble du fonds lexical d’origine française (pour la lettre U) remonte
donc à 233 unités (mots à étymologie française exclusive ou multiple, plus les
calques et les renvois au français par la formule cf.), soit 35% sur l’ensemble du
corpus analysé, ce qui donne une idée de l’ampleur de cette influence3.
Quant aux mots à étymologie hésitante dans le DEX, une comparaison
avec les solutions offertes par le DLR, le dictionnaire trésor de la langue roumaine,
et le CDER, le seul dictionnaire étymologique proprement dit, ne fait que mettre en
évidence les hésitations des lexicographes. Y sont ainsi enregistrées diverses
solutions et formules qui marquent l’existence d’un lien avec le mot français,
considéré comme source – directe ou indirecte – du mot roumain. Par exemple:
- d’après le fr.: umbeliferă (DEX), uniembrionar (DEX), unigland (DLR),
uniovulat (DEX), uperizare (DEX, DLR);
- cf. fr.: uniembrionar (DLR), unificator (DEX), unigland (DLR),
uniovulat (DEX), uzufruct (DEX, DLR);
- les mêmes mots peuvent être considérés comme venant directement du
français: umbeliferă (DLR), unificator (DLR), uniovulat (DLR), uzufructuar
(CDER) ou du latin savant: uzufruct (CDER).
Donc, des situations assez confuses, avec des contradictions entre les
sources, qui se trouvent dans l’impossibilité de trancher net en faveur d’une
solution unique et définitive.
Et tout cela parce qu’une analyse étymologique du fonds lexical d’origine
française se heurte à deux obstacles majeurs, points litigieux de toute analyse de ce
type, que nous appellerons ‹étymologies controversées›: les mots dérivés et les
mots à étymologie multiple.
3.1. Les mots dérivés
Un problème des plus délicats s’avère en effet celui de mots formés avec
des affixes productifs en roumain actuel.
Cette question a surtout préoccupé les linguistes dans le cas de la
distinction entre les mots d’origine latine dérivés: hérités tels quels ou formés dans
une langue romane (en l’occurrence le roumain). Elle se pose avec la même acuité
dans le cas des emprunts. Se rapportant aux emprunts au français, Sanda
Reinheimer Rîpeanu (1989: 374) donne des exemples de formations suffixées,
nombreuses en roumain: lexical, licitaŃie, manevrabil, maleabilitate, concretiza,
qui ont des chances égales d’être formées dans cette langue ou de représenter des
emprunts au français, alors que Maria Iliescu (1959) s’est occupée des adjectifs en
-bil (acceptabil, adaptabil, calculabil), qui peuvent être soit des dérivés à partir des
verbes accepta, adapta, calcula, soit des emprunts.
Nous exemplifions cette situation avec quelques dérivés puisés dans notre
corpus, formés avec ultra-, préfixe au sens de ‹au-delà de›, qui s’attache volontiers
soit à des substantifs (d’habitude appartenant au vocabulaire politique, idéologique)
soit à des adjectifs, pour marquer un degré d’intensité. De telles formations sont
nombreuses, le roumain étant capable de créer constamment des dérivés de ce type
à partir de bases nominales et adjectivales. Mais leur situation, du point de vue des
indications étymologiques, est différente dans les principaux ouvrages
lexicographiques du roumain.
3.1.1. Sont considérés comme formés en roumain
(i) Dans le DEX et le DLR:
ultracentral, ultracondensor, ultraconfortabil, ultraconservator, ultrademagog,
ultrademocrat, ultraeficient, ultraelaborat, altraaccidental, ultraprogresist,
ultrarafinat, ultramodernist, ultrarapid, ultrareacŃionar, ultrascurt, ultrasecret,
ultraspecial
(ii) Seulement dans le DLR (car ces formations manquent du DEX):
ultraabundent, ultraconfidenŃial, ultrademocratic, ultraindiferent, ultraeterat,
ultrafin, ultragrotesc, ultraleal, ultraluxos, ultranaŃional, ultranaŃionalist,
ultraomagial, ultrapesimist, ultraretrograd
C’est de toute évidence une liste ouverte, un grand nombre d’adjectifs
comportant des degrés d’intensité étant aptes à se combiner avec le formatif en
question. C’est un critère ‹fonctionnel› (c’est-à-dire la position de l’affixe à
l’intérieur du système dérivatif de la langue et surtout le rapport entre l’affixe et la
base) permettant de juger du statut du mot dérivé: l’affixe ultra- a une position
‹forte› et présente des latitudes combinatoires privilégiées avec les bases en
question, possibles arguments en faveur de l’hypothèse que le mot a été formé en
roumain.
3.1.2 Sont considérés comme des emprunts au français
(i) Dans le DEX et le DLR:
ultrabazic, ultrafiltru, ultramicrochimie, ultramiscroscopic, ultramiscroscopie,
ultramodern, ultramontanism, ultrasonic, ultrasonografie, ultrastructură, ultraviolet,
ultravirus
(ii) Seulement dans le DLR:
ultramontan, ultrapresiune, ultrarevoluŃionar
On remarque que la plupart sont des termes techniques, spécialisés dans un
domaine précis, souvent de pointe, ce qui peut expliquer leur emprunt en tant que
dérivés, entrés en même temps que leurs référents.
3.1.3. Le cas des étymologies incertaines
Les cas de désaccords entre les dictionnaires ne sont pas négligeables: les
mots sont considérés comme dérivés en roumain ou empruntés au français; souvent
sont prises en compte les deux hypothèses; parfois l’hésitation des lexicographes se
cache derrière des formules neutres, comme cf. fr., ou bien on invoque le modèle
français par le recours à la formulation d’après le fr.
Tels sont les cas de:
ULTRAACUSTIC: ultra- + acustică, cf. fr. ultraacoustique (DEX); du fr.
ultraacoustique, all. ultraakustik (DLR); cf. all. ultraakustik (DN)6
ULTRAFILTRARE: ultra- + filtrare, cf. fr. ultrafiltration (DLR); d’après le fr.
ultrafiltration (DN)
ULTRASENSIBIL: ultra- + sensibil, cf. fr. ultrasensible (DEX, DLR); cf. fr.
ultrasensible (DN)
ULTRALIBERAL: ultra- + liberal (DEX); ultra- + liberal, cf. fr. ultralibéral
(DLR); cf. fr. ultralibéral (DN)
ULTRALIBERALISM: ultraliberal + -ism (DEX, DN); ultra- + liberalism, cf. fr.
ultralibéralisme (DLR)
ULTRAMARIN: de l’all. Ultramarin, fr. ultramarine (DEX); ultra- + marin, cf. fr.
outremer (DLR); du fr. ultramarine (DN)
ULTRAMICRON: ultra- + micron (DEX); du fr. ultramicron (DLR, DN)
ULTRAREGALIST: ultra- + regalist, cf. fr. ultraroyaliste (DLR); d’après le fr.
ultraroyaliste (DN)
ULTRASONOR: ultra- + sonor (DEX); du fr. ultrasonore (DLR); cf. fr.
ultrasonore (DN)
ULTRASONOTERAPIE: ultrasonic + terapie (DEX); du fr. ultrasonothérapie
(DLR); cf. fr. ultrasonothérapie (DN)
Il n’est pas difficile d’admettre les raisons objectives pour lesquelles on
enregistre tant d’étymologies contradictoires: dans la plupart des cas il est
impossible de dire si le dérivé est roumain, d’après un modèle courant, ou
emprunté tel quel au français.
3.2. Les mots à étymologie multiple
Dans le cas de la langue roumaine il est souvent bien difficile de
déterminer la voie de pénétration de nombreux néologismes: leur forme permet de
leur attribuer plusieurs sources, alors que la date de leur première attestation n’est
souvent pas mentionnée dans les dictionnaires. Les emprunts à étymologie multiple
(concept introduit par Al. Graur en 1950) regroupent des mots qui ont pénétré par
plusieurs voies. C’est d’ailleurs un principe qui a été adopté par la majorité des
chercheurs pour l’explication du vocabulaire néologique du roumain.
Dans le corpus choisi pour la lettre U nous avons enregistré 62 emprunts
pour lesquels le DEX propose la solution d’une étymologie multiple, y compris
française. Sur cet ensemble:
1. sont considérés comme venant du français et du latin savant: 38 mots
(soit 61%)
2. en deuxième position viennent les formations qui associent le français
et l’allemand: 10
3. français et anglais: 8
4. français et italien: 3
5. français, italien et latin savant: 2
6. français et russe: 1
Mais dans les trois dictionnaires confrontés (le DEX, le DLR et le CDER)
nous avons relevé 93 mots à étymologie multiple y compris française. Tout
comme dans le cas précédemment discuté, celui des mots dérivés, de nombreuses
contradictions apparaissent entre les trois sources. Rares sont les cas de
concordances: 27 formes sur les 93 enregistrées dans deux ou trois des
dictionnaires utilisés:
ULCER (du fr. ulcère, lat. ulcus, -eris), ULSTER (de l’angl., fr. ulster),
ULTERIOR (du fr. ultérieur, lat. ulterior), ULTRAMICROSCOP (du fr.
ultramiscroscope, all. Ultramikroscop), UMANISM (du fr. humanisme, all.
Humanismus), UMANITATE (du lat. humanitas, -atis, fr. humanité), UMBELĂ
(du lat. umbella, fr. ombelle), UMECTA (du fr. humecter, lat. humectare),
UMIDITATE (du fr. humidité, lat. humiditas, -atis), UNANIMITATE (du fr.
unanimité, lat. unanimitas, -atis), UNCIAL (du lat. uncialis, fr. oncial),
UNGULAT (du lat. ungulata, fr. ongulés), UNICUSPID (du fr. unicuspidé, angl.
unicuspid),
UNIFORMITATE (du fr. uniformité, lat. uniformitas, -atis),
UNIVERSAL (du fr. universel, lat. universalis), UNIVERSALITATE (du fr.
universalité, lat. universalitas, -atis), UNIVERSITATE (du fr. université, lat.
universitas, -atis), UNIVOC (du fr. univoque, lat. univocus), UPERCUT (de
l’angl., fr. uppercut), URALIT (de l’all. Uralit, fr. uralite), URINĂ (du fr. urine, lat
urina), URNĂ (du fr. urne, lat. urna), UT (de l’all. Ut, fr. ut), UTER (du lat. uterus,
fr. utérus), UTILITATE (du fr. utilité, lat. utilitas, -atis), UVULĂ (du fr. uvule, lat.
uvula), UZURPAłIUNE (du fr. usurpation, lat. usurpatio, -onis)
Dans tous les autres cas, les indications des dictionnaires sont
contradictoires, par exemple:
ULTIMATIV: du fr. ultimatif (DEX); du fr. ultimatif, it. ultimativo (DLR)
ULTIMATUM: du fr. ultimatum, all. Ultimatum (DEX); du fr. ultimatum, all.
Ultimatum, lat. méd. ultimatus (DLR)
UMBRELĂ: du fr. ombrelle (DEX, DLR); de l’it. ombrella, fr. ombrelle (CDER)
UNGUENT: du lat. onguentum (DEX); du lat. onguentum, fr. onguent (DLR)
UNIC: du lat. unicus, fr. unique (DEX, DLR); du fr. unique (CDER)
UNICORN: du fr. unicorne (DEX); du lat. unicornus, fr. unicorne, it. unicorno
(DLR)
URGENT: du fr. urgent, lat. urgens, -ntis (DEX, DLR); de l’it. urgente, fr. urgent
(CDER)
Une remarque: le CDER entre le plus souvent en contradiction avec les
deux autres dictionnaires, par la parcimonie avec laquelle il recourt à la solution de
l’étymologie multiple (ce qui est logique d’ailleurs, la première édition a été
publiée en 1958-59, fruit de nombreuses années de travail, alors que Graur lance le
terme et le concept d’étymologie multiple en 1950). C’est pourquoi dans bien des
cas, ce dictionnaire indique un étymon français là où les deux autres ouvrages font
appel à deux ou plusieurs sources pour indiquer l’origine d’un mot roumain, par
exemple:
URBAN: du fr. urbain, lat. urbanus (DEX, DLR); fr. urbain (CDER)
UNIFICA: du fr. unifier, it., lat. unificare (DEX, DLR); fr. unifier (CDER) et ainsi
de suite.
4. Conclusions
Les conclusions de notre analyse portent principalement sur deux aspects:
1. Aspects d’ordre général
- La réaffirmation de l’importance, quantitative et qualitative, de l’élément
lexical français pour l’enrichissement et la modernisation du vocabulaire de la
langue roumaine ainsi que la redéfinition de sa physionomie lexicale néo-latine.
- Les formes multiples sous lesquelles se manifeste l’influence du français:
mots d’origine française exclusive, mots à étymologie multiple, mots calqués sur le
français; mots pour lesquels les dictionnaires proposent d’autres étymologies, mais
renvoient également au français.
- Le rôle du français en tant que filière de pénétration pour les mots
d’autres origines, notamment les mots latins savants. Dans le cas de l’échantillon
envisagé ils sont quasi tous (un peu plus de 90%) entrés en roumain par le biais du
français, contribuant ainsi au renforcement du caractère roman de la langue
roumaine.
2. La corrélation entre les aspects de la théorie linguistique et ceux de
l’activité lexicographique, par l’analyse effectuée sur les mots du corpus choisi et
la comparaison entre les solutions offertes par les dictionnaires pris en compte. Il
en a résulté que les points faibles qui attendent encore une tentative de solution de
la part des linguistes sont représentés par les mots à étymologie controversée: (i)
les mots où il n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt et
création interne et (ii) les mots pour lesquels sont proposées diverses étymologies
multiples.
Une nouvelle approche des catégories discutées s’avère ainsi plus que
nécessaire, les solutions offertes par les dictionnaires étymologiques ou explicatifs
étant à prendre avec une certaine réticence, surtout que, souvent, elles paraissent
être le résultat d’une option personnelle de l’auteur du dictionnaire ou sont tout
simplement dues au hasard.
Nous exprimons notre conviction que de nouvelles pistes de recherche
peuvent (et doivent) s’ouvrir dans l’étude des gallicismes du français, visant des
aspects multiples, variés et prometteurs, dans l’aire de l’étymologie, de la
sémantique, de la phraséologie, etc.
* Gabriela Scurtu, Communication CILPR XXVI, Valence, 2010.
NOTES
1.
Marius
Sala,
Interview
publiée
dans
Observatorul,
Toronto
(http://www.
observatorul.com/articles_main.asp?Action=articleviewdetail&ID=7934).
2. À noter cependant la présence de ce phonème dans de nombreux emprunts non adaptés: berceuse,
chartreuse, cozeur, deux-pièces, dizeur, dizeuză, en cœur, friteuză, frondeur, gafeur, maseur, maseuză,
porte-bonheur, pozeur, raisonneur, tapeur, trompe-l’œil, trotteur, voyeurism, etc., tout comme celle
de [y]: airbus, alură, bruxellez, caracul, carură, cupură, ecru, etui, fondue, impromptu, malentendu,
montagne russe, parură, tul, tutu, etc. (cf. DIN).
3. Ce chiffre ne rend pas compte des dérivés formés en roumain à partir de bases d’origine française,
ce qui en augmenterait considérablement le nombre, en le ramenant à plus de 40%.
4. Cette fois-ci la comparaison a été faite entre le DEX, le DLR et le DN (un dictionnaire de
néologismes du roumain), vu que dans le CDER de nombreux mots dérivés ne sont pas enregistrés.
5. Cependant Mioara Avram (1982) reprochait aux linguistes de faire parfois appel à l’étymologie
multiple non pas par nécessité mais par commodité, même dans les cas où les indices formels ou les
dates historiques s’opposaient à faire admettre certaines sources.
BIBLIOGRAPHIE
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Bucureşti: Editura Academiei.
CATÉGORISATION SÉMANTIQUE DES
EMPRUNTS ROUMAINS AU FRANÇAIS
Typologie
TYPOLOGIE DES EMPRUNTS LEXICAUX
FRANÇAIS EN ROUMAIN
(PRÉSENTATION D’UN PROJET EN COURS)*
1. Introduction
À partir de la fin du XVIIIe siècle, mais surtout au long du XIXe siècle époque de la modernisation - et de la première moitié du XXe siècle, le roumain a
subi une très forte influence française, « unique au monde, en ce qui concerne ‘les
emprunts à distance’ », d’après Alf Lombard (1969, 646). Après 1829 (Paix
d’Adrianople), grâce au revirement d’ordre politique, économique et surtout
culturel des principautés roumaines, cette influence, qui fait partie de la ‘reromanisation’ du roumain, est devenue tellement forte qu’elle a modifié la
physionomie de la langue et surtout la structure de son vocabulaire (Şora 2006,
1728). C’est de cet aspect que s’occupe le projet de recherche Typologie des
emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et
catégorisation sémantique (FROMISEM) présenté dans cet article.
2. Objectifs
Notre projet poursuit trois objectifs majeurs :
1) la constitution d’un corpus-registre des gallicismes2 lexicaux du
roumain ;
2) l’analyse des problèmes étymologiques posés par les gallicismes (à
partir des indications données par les dictionnaires roumains3) ;
3) l’analyse sémantique comparative des gallicismes lexicaux du roumain
et de leur base française ;
4) l’esquisse d’une typologie sémantique des gallicismes lexicaux du
roumain.
3. Constitution du corpus-registre
Prenant comme point de départ, pour les entrées et pour l’interprétation
étymologique, l’édition 1998 du DEX, l’équipe de recherche est en train d’établir
un corpus-registre des gallicismes du roumain, qui, ultérieurement, pourra prendre
la forme d’un dictionnaire (DGR), à même d’offrir des indications sur les divers
aspects des emprunts : nombre, importance conceptuelle4, force dérivative, aspects
étymologiques, particularités sémantiques, registres, etc.
Les entrées lexicales seront ordonnées à partir des mots base auxquels on
rattachera tous les dérivés formés sur le terrain de la langue roumaine, pour mettre
en évidence la richesse de la famille lexicale de chaque gallicisme. Ainsi, par
exemple, sous l’entrée du verbe a aborda (du fr. aborder) sont enregistrés les
dérivés: abordare, reaborda, reabordare, reabordat, abordabil, neabordabil.
Du point de vue étymologique, le DGR sera structuré en trois sections: (i)
gallicismes à étymologie indiquée comme uniquement française; (ii) gallicismes à
‘étymologie multiple’ (cf. infra 4), y compris française: (iii) gallicismes à
étymologie incertaine.
Certes, les résultats étymologiques obtenus à partir du DEX seront
corroborés avec les autres sources lexicographiques roumaines (cf. note 4), surtout
avec le DA (1913-1949) et le DLR (1965-2009), le dictionnaire historique trésor de
la langue roumaine, qui fournit aussi beaucoup d’exemples. Ces dictionnaires sont
nécessaires surtout pour résoudre des problèmes d’attestations et de développement
sémantique, ainsi que la distinction, très difficile à opérer, entre les mots dérivés en
français et ceux créés ultérieurement en roumain (cf. Hristea 1968, 32 et suiv.,
Reinheimer-Rîpeanu 1989, Popovici 1992, Popovici 1996).
Le DGR pourra servir comme point de départ pour beaucoup de recherches
théoriques sur le problème des emprunts en général et spécialement pour les
nombreux problèmes soulevés par les gallicismes du roumain.
4. Aspects étymologiques
En ce qui concerne les étymologies, il faut faire dès le début la différence
entre :
a) Les gallicismes à étymologie uniquement française: il s’agit des mots
considérés comme pénétrés du français en roumain, c’est-à-dire des mots venus
indubitablement par filière française et seulement française.
À juger d’après le corpus élaboré jusqu’à présent, la plupart des
gallicismes appartiennent à la catégorie des mots à étymologie unique.
Une sous-catégorie des mots à étymologie unique est constituée par ce
qu’on pourrait nommer mots à ‘étymologie unique indirecte’, c’est-à-dire les mots
dont la filière est française, mais qui, en français, proviennent à leur tour d’une
autre langue.
b) Les gallicismes à étymologie multiple: il s’agit des mots dont la filière
de pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à d’autres
langues où circule le même néologisme. Dans la linguistique roumaine, ce type
d’étymologie est nommé ’étymologie multiple’, d’après un célèbre article au même
titre d’Alexandru Graur (1950), qui considère qu’un mot peut avoir à la fois un,
deux ou bien n étymons possibles, surtout dans une langue comme le roumain,
formée sous l’influence d’aussi nombreuses cultures étrangères5.
c) Les gallicismes à étymologie incertaine: il s’agit surtout des mots où il
n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt et création interne.
4.1. Les critères linguistiques et extralinguistiques pris en considération
pour l’étymologie des gallicismes sont : l’aspect phonétique, inclusivement
l’accent, la forme morphologique, le contenu sémantique, la date de pénétration et /
ou l’auteur dont provient la première attestation. Très important est aussi le canal
de pénétration : écrit (par exemple automat, certificat) ou oral (par exemple
manşetă, coşmar)6, les deux voies de pénétration étant parfois possibles pour le
même mot (cf. Iliescu 2003-2004).
Des difficultés pour appliquer ces critères ne manquent pas (cf. Şora 2006,
1726) : l’aspect phonétique de ces mots permet de leur attribuer plusieurs sources,
les dictionnaires n’indiquent souvent pas la première attestation7, des exemples en
contextes ne sont fournis que par le DA / DLR et par le DLRC8.
Pour les mots adoptés sous forme écrite, la difficulté est d’autant plus
grande que, souvent, cette forme ne se distingue point des latinismes mis en
circulation à la fin du XVIIIe siècle par l’École transylvaine9 (cf. Rosetti / Cazacu /
Onu 1971, Ruffini 1941) et des italianismes entrés en même temps en roumain.
4.2. Dans le cas des gallicismes à étymologie unique, on peut en distinguer
plusieurs types :
- lexèmes parfaitement intégrés dans le vocabulaire roumain: fabricant (du
fr. fabricant), a fabula (du fr. fabuler), fantezie (du fr. fantaisie), frenetic (du fr.
frénétique);
- calques: rău famat (du fr. mal famé), bine crescut (du fr. bien élevé);
- emprunts plus récents (qui circulent surtout dans le langage de la presse,
mais ne figurent pas encore dans les dictionnaires), tels que: a antama (du fr.
entamer), a anvizaja (du fr. envisager), inubliabil (du fr. inoubliable) (cf. Şora
2006, 1728).
Un exemple de mot à étymologie unique indirecte que le roumain doit à la
filière française est interviu «interview». Il est entré en roumain par l’intermédiaire
du français, où, à son tour, il vient de l’anglais10. Le même mot était déjà entré une
fois en roumain, comme calque du français, sous la forme transparente întrevedere
(cf. Iliescu 2007, 133).
Des cas similaires sont ceux des mots représentant des réalités culturelles
spécifiques, tels fandango, d’origine espagnole, ou canoë, d’origine angloaméricaine, entrés d’abord en français et ensuite en roumain.
4.3. Dans le cas des gallicismes à étymologie multiple, on peut distinguer
diverses situations.
Les dictionnaires indiquent le français comme source principale, mais font
suivre celui-ci d’un renvoi à une autre source possible, par exemple: filtru (du fr.
filtre, cf. it. filtro), excavator (du fr. excavateur, cf. rus. ekskavator), rugos (du fr.
rugueux, cf. lat. rugosus).
Dans d’autres cas, les dictionnaires indiquent plusieurs langues comme
sources possibles, dont le français, le latin savant, le néogrec, l’italien, l’allemand,
l’anglais sont les plus fréquentes, par exemple fabrică (du fr. fabrique, rus. fabrika,
all. Fabrik), a imagina (du fr. imaginer, lat. imaginare), roză (du fr. rose, it. rosa,
lat. rosa, all. Rose). De tels emprunts peuvent en effet provenir de plusieurs
langues de culture simultanément ou après une certaine distance dans le temps :
renglotă, avec les variantes renclodă, ringlotă (du fr. reine-claude, all. Ringlotte),
ou bien ciocolată, avec les variantes şocolată, ciocoladă (de l’it. cioccolata, cf. le
fr. chocolat, all. Schokolade)11. Les variantes formelles diastratiques ou diatopiques
attestées sont dans ces cas précieuses pour pouvoir trouver la vraie étymologie des
mots et de leurs variantes.
Les mots roumains d’autres origines que le français peuvent avoir un ou
plusieurs sens provenant du correspondant français. Tel est le cas du mot undă
« onde », hérité du latin (< UNDA), dont l’acception technique «propagation d’une
oscillation […]» est un emprunt au français.
4.4. Les gallicismes à étymologie incertaine ont une double origine
possible : externe française ou bien interne, comme revoltat, participe passé de a
revolta, ou directement adapté d’après le fr. révolté.
4.5. La source de certains gallicismes ne se trouve pas dans le français de
France, mais dans celui d’autres pays francophones. Tel est le cas du mot
savonieră, dont, d’après Mioara Avram (1982), l’étymologie est le mot savonière,
employé en français de Belgique.
Selon le registre DGR élaboré jusqu’à présent, la première source indiquée
le plus souvent dans le cas des étymologies multiples est le français. Le latin savant
et l’italien suivent le français, selon la fréquence des renvois. Il y a peu de
situations où l’étymologie française soit en alternative avec des langues non
romanes. Il s’agit dans ce cas du néogrec, de l’allemand, du russe et, enfin, surtout
ces derniers temps, de l’anglais qui est, du point de vue lexical, assez ‘romanisé’.
Les cas dans lesquels on peut établir sans aucun doute le rôle et
l’importance des langues indiquées dans une étymologie multiple sont en général
rares (cf. Ivănescu 1980, 671).
5. Analyse sémantique12
La sémantique des gallicismes du roumain a été jusqu’à présent peu
étudiée. C’est pourquoi un objectif majeur du projet FROMISEM consiste
justement dans l’élaboration d’une typologie illustrant leur évolution sémantique
dans la langue cible.
De la perspective du sens nous avons identifié deux catégories, qui, le plus
souvent, se superposent:
(i) conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon
français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en
français;
(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de
départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à
travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de
sens, métaphorisations, passage métonymiques, glissements connotatifs, etc.
5.1. Conservation totale des sens
La conservation totale des sens de l’étymon français est une situation
fréquente, surtout dans le cas des mots appartenant à un domaine scientifique et
technique, à une terminologie:
cenomanian (du fr. cénomanien), desherenŃă (du fr. déshérence), dol (du fr.
dol), galactic (du fr. galactique), imparisilabic (du fr. imparisyllabique),
impunitate (du fr. impunité), juxtapoziŃie (du fr. juxtaposition), macrofotografie (du
fr. macrophotographie), necrobioză (du fr. nécrobiose), paleografie (du fr.
paléographie), postverbal (du fr. postverbal), radiolarit (du fr. radiolarite),
recriminatoriu (du fr. récriminatoire), spectrograf (du fr. spectographe), toxicoză
(du fr. toxicose), etc.
Quant aux signifiants, il est facile de constater leur ressemblance ou même
leur identité dans les deux langues, sauf les quelques adaptations orthographiques
et phonétiques imposées par la langue réceptrice.
5.2. Conservation partielle des sens français et création de nouveaux sens
en roumain
Un grand nombre de signifiés des gallicismes ont subi des modifications
plus ou moins importantes dans leur passage du français au roumain. Le plus
souvent, les significations fondamentales du mot français se retrouvent aussi en
roumain, mais cette langue, sur la base des processus sémantiques complexes
mentionnés ci-dessus, a développé des sens nouveaux. Parfois une modification
sémantique est le résultat de plusieurs mécanismes, qui se manifestent
simultanément ou dans le temps:
- fr. MATINÉE / roum. MATINEU
Dans le passage du français au roumain, les différences sémantiques sont
parfois très petites, comme dans le cas du mot matineu où le roumain a fait une
simple extension du sème qui désigne, dans une des acceptions du mot français, un
intervalle temporel, pour nommer des réalités sociales différentes.
Voilà en abrégé les définitions que les dictionnaires offrent pour ce mot :
matinée, s.f. 1. (vieilli) déshabillé féminin qui se portait le matin ; 2. partie de la
journée qui va du lever du soleil à midi ; 3. spectacle qui a lieu l’après-midi.
matineu, s.n. 1. (vieilli) déshabillé féminin qui se portait le matin ; 2. spectacle qui
a lieu le matin ou en début d’après-midi.
Comme il résulte de la mise en parallèle des sens des deux lexèmes, le
roumain a emprunté le mot avec la première acception: «déshabillé féminin … ».
Ce sens est aujourd’hui vieilli, comme en français d’ailleurs.
La deuxième acception du mot français, désignant une partie de la journée,
n’existe pas en roumain. Mais à partir du sens de «spectacle qui a lieu l’aprèsmidi», emprunté au français, le roumain a fait une extension temporelle, car le mot
s’applique aussi à des représentations qui ont lieu le matin. Cette extension est due
au fait qu’en Roumanie les spectacles pour les enfants (par exemple ceux des
théâtres de marionnettes), ainsi qu’une partie des séances de cinéma, de certains
concerts et spectacles théâtraux (surtout le dimanche) se déroulaient dans la
matinée.
- fr. POLYGONE / roum. POLIGON
En examinant les significations du mot français polygone et celles du mot
roumain poligon, qui en provient, on constate les mêmes phénomènes de reprise
partielle et de développement rencontrés supra :
polygone, s.m. 1. (GÉOM.) figure plane limitée par des segments de droite
consécutifs ; 2. (MILIT.) terrain de manœuvre aménagé pour le tir ou pour les essais
de projectiles et d’explosifs ; 3. polygone formant le tracé d’une place de guerre,
d’une fortification, et joignant les points des bastions.
poligon, s.n. 1. (GÉOM.) figure plane limitée par des segments de droite
consécutifs ; 2. (MILIT., souvent dans l’expression poligon de tragere « polygone
de tir ») terrain de manœuvre aménagé pour le tir ou pour les essais de projectiles
et d’explosifs ; (SPORT) terrain aménagé pour les exercices de tir ; 3. piste
aménagée pour les personnes qui apprennent à conduire des voitures.
Le mot roumain poligon a emprunté les deux premiers sens de l’étymon
français (le sens scientifique et celui militaire) et, par analogie, partant du sens de
«terrain de manœuvre aménagé pour les exercices de tir», a forgé encore un sens
moderne: «piste aménagée pour les personnes qui apprennent à conduire des
voitures». Il est évident que les sèmes «terrain» et «pour le tir» ont permis le
passage du mot, du domaine militaire à celui sportif, tandis que le sème «pour des
exercices» explique l’extension de l’emploi du mot au domaine de
l’automobilisme.
- fr. PORTE-BAGAGES / roum. PORTBAGAJ
Pour les mots ayant une structure méréologique complexe, l’identité
d’utilisation ou de destination de certaines parties permet l’extension de l’emploi
du mot à divers autres objets. Les sèmes «partie d’un véhicule» et «pour les
bagages» se trouvent à la base des similitudes et des divergences d’emplois entre le
mot français porte-bagages et le mot roumain qui le reprend – portbagaj:
porte-bagages, s.m. 1. cadre adapté sur un véhicule (surtout sur une bicyclette),
permettant de transporter des bagages ; 2. galerie ou filet d’un véhicule de
transport collectif, dans lequel on peut ranger les bagages.
portbagaj, s.n. 1. cadre adapté sur ou dans un véhicule, permettant de transporter
des bagages ; 2. coffre (de voiture).
Les dictionnaires précisent qu’en français le mot porte-bagages est
employé pour désigner la partie destinée aux bagages dans divers véhicules:
bicyclettes, motocyclettes, autobus, trains, etc. En roumain le mot est appliqué aux
deux-roues (bicyclettes, motocyclettes, etc.), mais il est employé en même temps,
par analogie partielle, pour les voitures, c’est-à-dire dans le sens du mot français
coffre. Le sens de «galerie ou filet pour les bagages» manque en roumain, où l’on
emploie le mot plasă (de bagaje) «filet (pour les bagages)».
- fr. BATTERIE / roum. BATERIE
Le mot français batterie présente, à part son sens étymologique, de
nombreux sens techniques que le roumain a empruntés et intégrés dans son système
lexical, parfois avec des extensions sémantiques des plus intéressantes:
batterie, s.f. 1. action de battre ; bruit qui en résulte ; 2. résultat de cette action ; ce
qui est battu ; 3. (ARTIL.) ensemble des armes à feu disposées en un lieu pour sa
défense militaire, ou dans un but tactique ; 4. (ARTS MÉN.) ensemble des ustensiles
utilisés en cuisine et qui étaient à l’origine en cuivre battu ; 5. (MUS.) ensemble des
instruments à percussion d’un orchestre ; 6. (ÉLECTR.) groupement d’un certain
nombre de piles ou d’accumulateurs disposés en série ou en parallèle ; 7. (dans
l’expression élevage en batterie) élevage intensif des animaux dans des box ou des
cages.
baterie, s.f. 1. (ARTIL.) unité tactique formée d’un ensemble de canons et de
soldats ; 2. (ARTS MÉN., dans l’expression baterie de baie / de bucătărie trad. litt.
«batterie de bain / de cuisine ») 13 ensemble formé par le tuyau et les robinets ; 3.
(MUS.) ensemble des instruments à percussion d’un orchestre ; 4. (ÉLECTR.)
réunion de plusieurs bouteille de Leyda, d’éléments voltaïques, destinés à produire
des décharges électriques ou du courant électrique ; 5. (fig.) un litre de vin et un
litre d’eau gazeuse mis ensemble dans une glacière ; 6. seau à glace (où l’on met
les bouteilles d’eau gazeuse et de vin, surtout aux restaurants) ; 7. ensemble de
cages superposées pour l’élevage14.
Comme on peut le voir, le mot roumain baterie, attesté déjà en 1782
(RDW)15continue la majorité des acceptions du mot français, mais il n’en a pas
emprunté le sens étymologique, en tant que dérivé du verbe battre, respectivement
«action de battre» et «résultat de cette action».
Dans tous les sens communs aux deux langues, la signification
fondamentale est celle de «ensemble d’éléments (identiques ou similaires) utilisés
dans un certain but». Grâce à cette signification très générale, le mot désigne, dans
les deux langues, des ensembles d’objets assez disparates, des domaines de
l’artillerie, de la cuisine, de la musique, de l’électricité, de l’élevage, etc. Ce sens se
retrouve aussi dans des expressions comme: fr. batterie de tests «ensemble de tests
utilisés conjointement en mettant en œuvre plusieurs aspects de la personnalité des
sujets» (GRLF, s.v. 3, d) / roum. baterie de teste «ensemble de tests utilisés
conjointement dans un certain but» (in DN, s.v. ).
Le sens du roum. baterie présente quelques innovations. L’acception
technique expliquée par le DA comme «réunion de plusieurs bouteille de Leyda
[…]» est à la base du sens métaphorique (initialement ironique et figuré16 «un litre
de vin et un litre d’eau gazeuse mis ensemble dans une glacière». D’ici découle un
sens métonymique: «seau à glace» (c’est-à-dire, récipient où l’on met de la glace
pour refroidir les bouteilles).
- fr. MANCHON / roum. MANŞON
Dans le cas des mots français sémantiquement très riches, le roumain
reprend souvent la plus grande partie de ces significations (surtout s’il s’agit de
sens techniques et / ou métaphoriques), tout en créant d’autres:
manchon, s.m. 1. fourreau d’étoffe ouvert aux deux extrémités, généralement
couvert de fourrure et ouaté à l'intérieur, dans lequel on glisse les mains (et les
avant-bras) pour se protéger du froid ; 2. (MÉCAN., INDUSTR., TECHNOL.) pièce de
raccordement métallique de forme tubulaire, souvent filetée, servant à assurer la
jonction ou à maintenir solidaires des tubes ou des pièces à profil rond ; 3.
(ÉCLAIRAGE, dans l’expression manchon à incandescence) gaine de tissu
incombustible imprégnée de nitrates, dont on entoure la flamme d’un bec de gaz
afin d’en augmenter l’éclat ; 4. (BOT., ZOOL.) gaine formée de matières diverses
entourant une partie filiforme d’un organisme ; 5. (MILIT.) Enveloppe de toile
entourant la coiffure des militaires destinée soit à la rendre moins voyante, soit à
permettre de se distinguer de l’adversaire au cours des manœuvres ; 6. (INDUSTR.
DU VERRE) moule dans lequel on souffle le verre ; 7. (CHAPELLERIE) enveloppe de
feutre recouvrant un cylindre de bois, sur lequel on travaille les chapeaux ; 8.
(CHIM.) gaine cylindrique en matériau isolant entourant les appareils, utilisés lors
de manipulations en chimie ; 9. (ANAT.) enveloppe de protection entourant une
articulation ; 10. (vieilli, dans l’expression chien de manchon) chien de très petite
taille que les dames de l’aristocratie portaient dans leur manchon (au XVIIIe s.).
manşon, s. n. 1. accessoire d’habillement pour les femmes généralement recouvert
de fourrure et ouaté à l'intérieur, dans lequel on glisse les mains (et les avant-bras)
pour se protéger du froid ; 2. (MÉCAN., INDUSTR., TECHNOL.) pièce de
raccordement métallique de forme tubulaire, souvent filetée, servant à assurer la
jonction ou à maintenir solidaires des tubes ou des pièces à profil rond ; 3.
(ÉCLAIRAGE) gaine de tissu incombustible imprégnée de nitrates, dont on entoure
la flamme d’un bec de gaz afin d’en augmenter l’éclat ; 4. (BOT.) gaine protectrice
des graines, de la tige, etc. ; 5. (MÉC.) enveloppe de caoutchouc qui se met sur la
jante des roues d’automobile, de motocyclette, etc. pour protéger la chambre à air ;
6. enveloppe de protection qui couvre la manche de certains objets.
Il est évident que le mot roumain manşon représente un autre cas de
conservation partielle des significations de l’étymon français, accompagné
d’innovations sémantiques. Des dix sens indiqués par le TLFi, le roumain a pris le
sens de base: «accessoire d’habillement (fourreau d’étoffe […] )». Des sens
techniques, tous métaphoriques, le roumain en a conservé seulement trois, mais en
a créé aussi d’autres, toujours métaphoriques (DLR, s.v.)17, par exemple celui de
«enveloppe de protection qui couvre la manche de certains objets».
Le dernier sens français, qui apparaît dans la locution chien de manchon
(vieilli), ne se retrouve pas en roumain. Cela s’explique par le fait que cette
expression était employée au XVIIIe siècle, probablement avant les contacts
intenses des Roumains avec la France, au cours du XIXe siècle, quand les salons de
Paris imposaient déjà la mode des chiens de grande taille.
- fr. MANSARDE / roum. MANSARDĂ
Le cas du mot roumain mansardă est très intéressant puisqu’il a repris les
sens fondamentaux de son étymon français, mais, en plus, par métaphore et
glissements connotatifs, il est aujourd’hui employé dans toute une série
d’expressions de la langue parlée:
mansarde, s.f. 1. (ARCHIT.) comble brisé à quatre pans appelé aussi comble à la
Mansart, ou à la mansarde, ou en mansarde ; 2. pièce aménagée sous un comble
brisé ; p. anal., toute pièce à plafond bas et dont un mur au moins est en pente
selon l’inclinaison du toit ; 3. fenêtre pratiquée dans la partie verticale d'un comble
brisé.
mansardă, s.f. 1. (ARCHIT.) étage situé sous le toit d’une maison ; 2. chambre ou
ensemble de chambres habitables situées sous le toit (ayant le plafond ou les murs
obliques) ; (fig., dans l’expression a fi deranjat la mansardă) être déséquilibré.
La mise en parallèle des significations données par les dictionnaires
français et roumains montre que, à partir du sens fondamental («pièce ou ensemble
de pièces sous le toit d’un bâtiment»), emprunté au français, le mot roumain
mansardă est employé comme métaphore pour désigner la tête des personnes, dans
un sens positif ou négatif. Le sens mélioratif se retrouve dans des expressions
comme: o mansardă bine echipată (trad. litt. «une mansarde bien équipée»), qui
veut dire «une personne compétente et intelligente» ou a-şi mobila mansarda (trad.
litt. «meubler sa mansarde»), qui signifie «s’informer, se documenter, se former».
Le sens péjoratif, par lequel le locuteur met en doute la santé mentale de quelqu’un,
est présent dans des expressions comme: a avea păsărele / lilieci la mansardă,
(trad. litt. «avoir des oiseaux / des chauves-souris à la mansarde»), a fi deranjat la
mansardă (trad. litt. «être dérangé à la mansarde»), signifiant toutes «être
déséquilibré»18.
5.3. Sens disparus ou vieillis en français mais actifs en roumain
contemporain
Certains mots du français parlé, surtout de la deuxième moitié du XIXe
siècle, ont été repris en roumain grâce aux jeunes Roumains qui ont fait leurs
études en France, ainsi qu’à des Français arrivés en Roumanie, souvent comme
enseignants. Une partie de ces significations sont disparues en français, mais se
conservent en roumain:
- fr. DÉCOLLETÉ / roum. DECOLTAT
Tel est le cas de l’adjectif roumain decoltat, avec le sens «frivole,
licencieux», dans une phrase comme: mi-a spus un banc decoltat («il m’a raconté
une anecdote (un peu) licencieuse») (cf. Iliescu 2003-2004) et dont l’acception,
aujourd’hui disparue du français, est attestée pour la langue parlée de la seconde
moitié du XIXe siècle (syn. de licencieux, par exemple propos décolletés, in TLFi).
La locution est pourtant enregistrée dans le GRLF, mais considérée comme figurée
et vieillie:
décolleté, adj. 1. qui découvre le cou ; 2. frivoles, licencieux (fig. vieux, dans
l’expression propos décolletés).
decoltat, adj. 1. qui découvre le cou ; 2. licencieux (dans l’expression banc
decoltat « anecdote licencieuse »)19.
- fr. BEC / roum. BEC
Certaines acceptions des mots français sont disparues parce que leur
référent n’existe plus, suite au développement technique. Pourtant, dans le cas du
mot bec, le roumain a conservé le signifiant de l’étymon français pour désigner un
nouveau référent, à partir d’une acception aujourd’hui disparue du français :
bec, s.m. 1. extrémité cornée et plus ou moins saillante de la tête des oiseaux,
composée de deux mandibules articulées l’une sur l'autre, servant de bouche, de
système dentaire, ainsi que d’arme pour l’attaque et la défense ; 2. brûleur à gaz ;
partie d’une lampe, surtout de gaz, où a lieu la combustion ; p.ext. lampe : lampe à
trois becs.
bec, s.n. 1. (vieilli) extrémité pointue (en forme de bec) d’un tuyau de gaz aérien ;
2. ampoule électrique.
Comme le schéma le fait voir, en français le mot bec désigne
principalement la bouche des oiseaux; par transfert métaphorique, le mot est arrivé
à désigner le brûleur à gaz et, ultérieurement, par une restriction sémantique, la
partie d’une lampe à gaz où a lieu la combustion (le bec à gaz). Au début du XXe
siècle, le gallicisme bec est attesté en roumain avec le sens, aujourd’hui disparu, de
«extrémité pointue (en forme de bec) d’un tuyau de gaz aérien» (in DA, s.v.). Le
sens actuel du roumain, celui de «ampoule électrique», vient du syntagme bec
électrique (in TLFi, s.v.).
Encore plus intéressante est l’expression roumaine a cădea pe bec, calquée
sur le français familier tomber sur un bec (de gaz) «tomber sur un obstacle
imprévu» (TLFi), preuve de la transmission orale du français en roumain (fin du
XIXe siècle ou bien début du XXe siècle).
- fr. CHOUETTE / roum. ŞUETĂ
chouette, s.f. 1. (ORNITH.) rapace nocturne de la famille des Strigidés ; 2. (JEUX) a)
faire la chouette : jouer seul contre plusieurs, notamment au trictrac, au billard ; b)
jeu de la chouette : jeu analogue à celui de l’oie.
şuetă, s.f. conversation légère, spirituelle et amusante entre amis.
Malgré le fait que le signifiant du mot roumain prouve son origine
française, le sens de «bavardage, conversation familière» ne se retrouve pas dans
les dictionnaires français. L’explication du sens se base entièrement sur la
reconstruction sémantique.
C’est Littré (1971) qui vient à l’aide de l’étymologiste. Sous le deuxième
sens de chouette (comme terme de jeu) on trouve l’exemple figuré je fais la
chouette à trois personnes, signifiant «j’entretiens correspondance avec trois
personnes».
Tandis qu’en français ni le sens de « jeu » ni le sens de «correspondance»
n’ont survécu, en roumain il existe encore aujourd’hui un sens dérivé de
l’expression faire la chouette, avec un petit transfert de ‘correspondance (écrite)’ à
‘conversation (orale)’. Ce sens est encore bien vivant, surtout dans la langue
littéraire soignée. L’extension sémantique est claire, mais si le sens actuel du mot
roumain a existé aussi en français au XIXe siècle, les dictionnaires ne l’attestent pas.
6. Conclusions
L’influence française représente sans conteste le principal moyen
d’enrichissement et de modernisation du roumain, ainsi que de redéfinition de sa
physionomie néo-latine, dans l’aire de la romanité sud-est européenne. C’est un
exemple unique d’influence d’un adstrat de prestige, à distance, qui s’explique
aussi par le penchant que les couches intellectuelles roumaines ont toujours eu et
ont encore pour la France, considérée comme une sœur aînée.
Les nombreuses modifications sémantiques subies par les gallicismes du
roumain montrent la vivacité et l’originalité de cette représentante de la romanité
orientale, qui a su intégrer les éléments étrangers dans son propre système lexical et
sémantique, leur accordant une valeur particulière (dans l’acception saussurienne
du mot).
Nous espérons que les résultats de notre recherche contribueront à ouvrir
de nouvelles perspectives dans le domaine des emprunts et des contacts
linguistiques.
* Maria Iliescu, Adriana Costăchescu, Daniela Dincă, Mihaela Popescu, Gabriela Scurtu, Revue de
linguistique romane, Tome 74, 2010, p. 589-604.
NOTES
1. D’après différentes statistiques (Şora 2006, 1728), le pourcentage des emprunts au français dépasse
32% du vocabulaire roumain.
2. Nous employons le terme de ‘gallicisme’ au sens de ”mot français emprunté par d’autres
langues“ (cf. Thibault 2004, Thibault 2009).
3. DA / DLR, DEX, CDER, RDW.
4. L’influence française s’est manifestée dans tous les secteurs du vocabulaire : les gallicismes se
retrouvent tant au niveau du vocabulaire fondamental que dans les lexiques spécialisés.
5. Pour la critique de l’application concrète de ce critère par les différents dictionnaires, cf. Şora
(2006, 1728).
6. Les emprunts pénétrés par le canal oral s’expliquent par les conditions socio-pragmatiques et
historiques qui ont marqué l’évolution de la langue roumaine, comme par exemple le fait très
important que dans la première moitié du XIXe siècle, les jeunes Roumains ont été envoyés en France
pour y faire leurs études. En rentrant, ils ont apporté avec eux beaucoup de mots familiers français,
qui ont été adaptés de différentes manières au roumain.
7. De ce point de vue, le RDW fait exception, en indiquant les premières attestations, mais le nombre
des mots de la deuxième moitié du XVIIIe siècle et du XIXe siècle est assez limité.
8. Mais comme le DLRC (1955-1957), le dictionnaire le plus riche en exemples, n’illustre que la
situation du lexique roumain jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, pour les néologismes pénétrés
après cette époque, la seule source qui fournit des exemples reste le DLR.
9. L’École transylvaine (Şcoala ardeleană) est un mouvement de renaissance culturelle de la fin du
XVIIIe siècle et du début du XIXe marqué par une prise de conscience accrue de l’origine latine du
peuple roumain et de la langue roumaine.
10. Le mot anglais est à son tour calqué sur l’ancien français entrevue (cf. TLFi, s.v.).
11. L’étymologie reproduite pour les mots ciocolată et sa variante şocoladă est discutable : le mot
français étant masculin, il est très peu probable qu’il soit la source directe du mot roumain, qui est
féminin. L’italien suffit pour expliquer l’entrée.
12. Dans l’analyse sémantique que nous proposons, les sens français sont en général donnés d’après
le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, PRob et GLLF; les sens roumains, d’après le DA /
DLR, le DEX et le DN.
13. Bien que cette expression ne soit pas enregistrée dans les dictionnaires du roumain, elle désigne
fréquemment divers types de robinets (pour la baignoire, pour le lavabo, pour la douche, etc.).
14. Dans le langage du commerce, on retrouve l’expression pui de baterie « poulets (élevés) en
batterie », que les dictionnaires roumains, même ceux de néologismes, n’enregistrent pas.
15. L’indication étymologique des dictionnaires roumains qui renvoient au français et aussi à
l’allemand ne semble pas correcte en ce qui concerne l’allemand (cf. RDW, s.v.).
16. Selon le CDER, le transfert métaphorique et ironique consiste dans le passage des décharges
électriques aux ‘décharges’ produites par l’alcool.
17. Il est possible qu’une partie de ces sens existent aussi en français, ce qui prouve la nécessité des
dictionnaires techniques pour les deux langues analysées.
18. De toute façon, la mansardă (« à la mansarde ») semble remplacer, à l’époque actuelle, la formule
la etaj (« à l’étage ») que Iorgu Iordan (1944) relevait dans les expressions: a atinge la etaj (pe cineva)
(trad. litt. « atteindre quelqu’un à l’étage »)
19. Le roumain emploie l’emprunt au français avec le sens de « frivole, licencieux » dans bien des
contextes où le français utilise le terme nu à même de suggérer d’une manière dénotative son contenu
indécent : un poster decoltat « une affiche à nu ».
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QUELQUES LEXÈMES EN VOYAGE
(TRAJET FRANÇAIS – ANGLAIS - ROUMAIN)*
Les emprunts lexicaux sont présents en toute langue et se manifestent en
toute époque, étant un élément important de la constitution historique du
vocabulaire. Le processus général de mondialisation, le nombre toujours accru de
personnes qui voyagent, qui s’informent (souvent pour des raisons professionnelles)
en consultant des matériaux écrits dans des langues étrangères, la création des
nomenclatures (nécessaires au développement des sciences et du commerce),
l’apparition et le développement explosif des moyens de communication de masse
si importants comme l’internet - voici autant de phénomènes qui expliquent
l’accentuation actuelle de ce phénomène.
Les mots empruntés subissent souvent dans la langue d’accueil des
modifications importantes au niveau phonétique, morphologique et sémantique,
André Thibaut considérant, de ce point de vue, que le syntagme ‘imitations
approximatives’ (Thibault 2009: 11) est plus approprié à la description du
phénomène que le terme ‘emprunt’. Les modifications subies par ces lexèmes
dérivent du processus de leur intégration dans le système de la langue cible.
Souvent le ‘voyage’ est plus complexe, les mots de la langue A arrivant
dans la langue C après un petit passage dans la langue B. Parfois le mot ‘part’ de la
langue A dans la langue B, retourne enrichi dans l’idiome A et continue son périple
dans la langue C. Ce genre de passage(s) est intéressant surtout du point de vue
sémantique, le mot s’enrichissant de sens nouveaux.
Nous nous somme proposé de commenter quelques phénomènes
sémantiques qui se manifestent dans le signifié des mots qui ont effectué un
parcours français - anglais, français - roumain, parfois revenant en français et des
fois s’enrichissant en roumain de significations reprises à l’anglais.
Comme on le sait, les mots français sont arrivés massivement en anglais au cours
du Moyen Âge, grâce à la coexistence sur le même territoire des deux langues
comme conséquence de la conquête normande, mais le phénomène s’est manifesté
tout au long de l’histoire des deux langues (Trotter 2009). L’observation est grosso
modo valable pour le roumain également car il existe ici aussi une période
privilégiée, à savoir le XIXe siècle, quand, après le traité d’Adrianople (1829) et la
naissance du capitalisme, le roumain a intégré un nombre considérable de mots pris
au français.
1. Mots français repris partiellement en anglais et en roumain
Dans le processus d’accueil des mots français, l’anglais et le roumain ont
pris parfois seulement une partie des significations du mot, souvent pour des
raisons historiques. Nous illustrons ce phénomène à l’aide de deux mots. Dans le
cas du mot toupet, le lexème est entré en anglais avec le sens propre «mèche
postiche de cheveux», puis il a connu en français un développement connotatif
«assurance effrontée», que l’anglais n’a pas repris. Le mot est arrivé en roumain,
dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec le sens connotatif. Le second mot est
mansarde qui existe tant en anglais qu’en roumain, mais privilégiant des zones
différentes de la sphère sémantique du mot français.
1.1. fr. toupet - angl. toupee - roum. tupeu
Ce mot est très ancien en français, étant attesté déjà en 1140, mais il a été
emprunté par l’anglais à la fin du XVIIIe siècle, grâce à une extension sémantique,
présentée ci-dessous sous (2):
toupet nom masculin I. 1. petite touffe de poils; touffe de cheveux sur le sommet
du crâne: toupet de cheveux; 2. (expr.) (faux) toupet postiche qui recouvre le
sommet du front: des toupets de chez le coiffeur; 3. vieillot, ridicule: il ressemble
de plus en plus à un vieux toupet; 4. touffe de crins; II. (fig.) assurance, aplomb
mêlé d’effronterie: il a un sacré toupet!1
Le mot est un dérivé avec le suff. -et de l’ancien français top «touffe de
cheveux sur le sommet du front». Ce dernier provient du francique top «sommet»
de l'ancien français top «touffe de cheveux sur le sommet du front », mot issu d'un
ancien francique *topp- signifiant «pointe, sommet». Le TLFi cite aussi le mot du
moyen néerlandais top «sommet; sommet de la tête; cheveux; pointe» et le mot
allemand Zopf «tresse». L’OED mentionne aussi l’ancien anglais top. Il s’agit d’un
transfert métonymique, marquant le passage du «sommet» au «sommet du crâne»
et enfin à «touffe de cheveux qui y pousse». Le sens de «touffe de cheveux
postiche» apparaît seulement en 1791. Un nouveau transfert métonymique fait le
passage de la mèche de cheveux à la personne qui la porte. Un peu plus tard (en
1808) est attesté aussi le sens figuré de «audace, culot» (cf. TLFi).
Comme nous l’avons montré, en anglais le mot est emprunté au français,
avec le sens du langage des coiffeurs au XVIIIe siècle et, dans un emploi
aujourd’hui vieilli et dû à un passage métonymique, la signification «personne à la
mode»:
toupee nom boucle de cheveux artificiels portée sur le sommet de la tête, portée
tant par les hommes que par les femmes au 18-e siècle; (usuel) touffe de cheveux
artificiels : he is wearing a toupee; (vieilli) personne qui porte le toupet; personne
à la mode.
Observons que le sens, vieilli en anglais de «personne à la mode», a existé
probablement en français aussi (bien qu’il ne soit pas mentionné par les
dictionnaires consultés), se trouvant à l’origine de la signification négative de
l’expression vieux toupet, apparue, vraisemblablement, quand ce type de coiffure
n’était plus à la mode.2 Nous remarquons aussi que l’acception figurée du mot
français, celle de «assurance, aplomb, culot», n’est pas mentionnée en anglais.
C’est la signification qui a été reprise par le roumain, où le sens de «touffe de
cheveux postiches» est mentionné par un seul dictionnaire, le DN, et seulement
pour le langage du théâtre:
tupeu, nom neutre 1. audace qui dépasse les limites convenables; effronterie,
impertinence; impudence; 2. (au théâtre) touffe de cheveux de diverses couleurs,
collé à la limite des cheveux, sur le front et qu’on peigne avec ses propres cheveux.
Il est facile de voir que le sens du substantif roumain est plus péjoratif que
la signification du mot français. Dans les dernières années ce sens péjoratif
commence à s’affaiblir et, dans le langage des jeunes, il est employé surtout avec
l’acception de «courage, audace, manque de complexes». On retrouve cet emploi
par exemple dans la publicité sur Google învaŃă engleza cu tupeu litt. «apprends
l’anglais avec toupet», donc avec courage et sans complexe. (www. simonatache.
ro/ 2010/ 06/07/ invata-engleza-cu-tupeu).
1.2. fr. mansarde - angl. mansard - roum. mansardă
Avec d’autres mots, certaines significations de l’étymon, bien que
présentes, sont tout à fait marginales dans la langue d’accueil. Certains processus
cognitifs peuvent conduire à des similitudes, même en absence d’une influence
directe. Tel est le cas du mot mansarde.
Le mot mansarde est un mot moderne, apparu en français au XVIIe siècle,
dérivant du nom de l’architecte François Mansard (1598-1666). Le mot est attesté
en 1676 (cf. TLFi), et emprunté par l’anglais quelques décennies plus tard
(première attestation en 1734 cf. OED). En roumain ce mot apparaît sous la forme
manzarda dans un texte de Mihai Cuciuran (1819-1844), puis avec la forme
mansarda dans un poème d’Alexandru Macedonski de 1927 (DLR), avec le
sens «chambre très modeste, sous le toit».
En français, le mot a trois significations principales:
mansarde nom masculin 1. comble brisé, dont les pans sont eux-mêmes brisés
(appelé aussi comble en mansarde, à la mansarde ou à la Mansart); 2. (par
extension) toit en mansarde toit couvrant un tel comble; fenêtre en mansarde
fenêtre pratiquée dans la partie quasi verticale d'un comble brisé; 3. pièce
aménagée sous un comble brisé, et dont un des murs suit l'inclinaison du toit:
habiter une mansarde.
Il est évident que le sens de «toit» dérive de celui de «comble», par
métonymie. Le GR précise que la signification de «comble» est celle courante,
tandis que la signification de «fenêtre pratiquée dans le comble» est considérée
abusive.
En anglais, le mot est attesté à partir du XVIIIe siècle:
mansard nom 1. (forme complète mansard roof) toit qui a les pans brisés; 2.
étage ou appartement qui se trouve sous un tel toit.
Bien que l’anglais ait repris les deux sens du mot français, dans cette
langue la signification fondamentale est celle de «toit», puisque le mot mansard est
surtout une abréviation du syntagme mansard roof, syntagme qui existe en français
aussi. L’emploi du mot dans le sens de «étage / appartement / chambre sous le toit»
existe aussi, étant mentionnée dans l’OED. Pourtant, bien que le syntagme
mansard room existe (surtout dans le langage de l’industrie hôtelière), on préfère
désigner ce genre de chambre avec les mots ou des syntagmes comme garret, attic
room, room with sloping ceilings ou bien room with a pitched ceiling. Le sens de
«fenêtre pratiquée dans le toit d’une mansarde», bien qu’absent de l’OED, se
retrouve dans Google, où nous avons trouvé le syntagme mansard window avec le
sens «vertical window in the rooms with a mansard roof» (http:// forum.
wordreference.com/ showthread. php).
Le roumain a opéré une restriction de sens, les significations de «comble,
toit » et de «fenêtre pratiquée dans le toit » y étant absentes. Le mot mansardă
désigne fondamentalement «l’étage situé immédiatement sous le toit», et, avec une
restriction sémantique, «une ou plusieurs chambres (le plus souvent servant
d’habitation) se trouvant sous le toit» (DLR, DN, MDN):
mansardă nom féminin 1. dernier étage d’une maison, situé immédiatement sous
le toit; 2. chambre ou ensemble de chambres situées sous le toit, ayant le plafond
ou un des murs oblique(s) et aménagée comme habitation; 3. (fam. dans
l’expression) a fi deranjat la mansardă être déséquilibré.
Grâce à la position de son référent (en haut d’une verticale), le mot
mansardă est employé métaphoriquement pour faire référence à la tête d’une
personne, ensuite (par un autre passage métonymique, cette fois-ci contenant contenu) à sa capacité intellectuelle ainsi qu’à son équilibre psychique. Maria
Iliescu et alii (2010) citent des expressions comme are mansarda bine echipată (litt.
«il a sa mansarde bien équipée »), qui désigne une personne compétente et
intelligente, a-şi mobila mansarda (litt. « meubler sa mansarde ») signifiant
«s’instruire» ainsi que diverses expressions signifiant «être déséquilibré»: a avea
păsărele / lilieci la mansardă (litt. « avoir des oiseaux / des chauves-souris à la
mansarde »), a fi deranjat la mansardă (litt. « être dérangé à la mansarde »), etc.
Intéressant du point de vue cognitif est le fait que le mot anglais nommant
une chambre sous le toit, garret, est employé familièrement pour désigner
l’ignorance ou un déséquilibre mental: to be wrong in one's garret, to have one's
garret unfurnished (cf. OED). Il s’agit, évidemment, d’une innovation parallèle car,
en anglais et en roumain, les locuteurs ont fait le même type de passage par le
moyen d’une métaphore simple (de mansarde à tête, en vertu de la similitude de
leurs positions) ou d’une métaphore filée (la mise en parallèle de tête - pensées /
équilibre psychique avec chambre (en haut) - meubles, en vertu non seulement de
la position verticale, mais aussi du rapport contenant - contenu).
2. Mots anglais d’origine française revenus en français et repris en
roumain
Beaucoup de mots d’origine français ont acquis en anglais des
significations spéciales et sont entrés tant en français qu’en roumain avec ce
nouveau sens. Pour cette catégorie de mots arrivés en roumain, les dictionnaires de
cette langue mentionnent souvent une double étymologie, française et anglaise, car
il est impossible de savoir de laquelle de ces deux langues le roumain a pris le
mot.3
Nous illustrerons cette situation avec deux mots du langage de sports,
domaine dans lequel l’anglais a fourni un grand nombre de mots à toutes les
langues européennes.
2.1. angl. corner - fr. corner - roum. corner
En anglais le mot corner, attesté à la fin du XIIIe siècle (OnlineED) est
une adoption du mot anglo-normand corner(e), provenant de l’ancien adjectif
français cornier < corne «qui forme coin» (lat. *corna (< cornua) + -ier (cf. lat.
méd. cornarium); cf. TLFi (s.v. cornier, AND s.v. corner(e), OED s.v. corner1,
OnlineED); cf. GR). Le mot du lat. vulg. *corna, (latin classique cornua, plur. de
cornu) a donné en français le mot corn et en roumain le mot corn. Puisque pour le
sens concret, de «excroissance dure qui pousse sur la tête de certains mammifères
ruminants» l’anglais a conservé le mot germanique horn, le lexème corner a
conservé les sens métaphoriques du mot en ancien français dus à la forme, comme
celui de «angle» qui a conduit au sens plus répandu aujourd’hui, de «coin» (de la
rue, de la maison, de l’œil, etc.), enfin à celui de «zone, région (lointaine, retirée ou
secrète)».
corner nom 1. point de convergence de deux lignes, de deux surfaces; angle : the
corners of a rectangle; lieu d’intersection de deux rues, de deux chemins: at the
corner of the street; 2. partie angulaire entre deux lignes ou surfaces convergentes
ou la limite d’un objet ou d’un territoire : the southwest corner of the state, the
corners of the tablecloth ; la zone d’un terrain de sport, près de l’intersection de la
ligne latérale avec la ligne du but ; 3. (FOOBALL) le tir d’un angle du terrain obtenu
par l’équipe à l’attaque pour punir l’équipe dont un membre a envoyé le ballon audelà de la ligne du propre but; un des quatre angles d’un ring de boxe ; 4. zone
privée, secrète ou isolée: a quiet corner of New England ; situation difficile ou
embarrassante, de laquelle il est difficile ou impossible de sortir: he was backed
into a corner; 5. possession d’un stock suffisamment grand d’un produit pour
permettre la manipulation des prix ; accaparation : a corner of the silver market; 6.
point à partir duquel apparaissent des changements significatifs.
On voit que le sens de «coin» a eu des développements sémantiques
intéressants dans le langage du sport, puisqu’il désigne le coin de repos d’un ring
de boxe ainsi que le coin d’un terrain de football ou de hockey. Par extension, le
règlement de ces deux jeux sportifs désigne par le mot corner la faute commise par
un joueur qui a envoyé le ballon derrière la ligne de but de son équipe ainsi que le
coup accordé à l'équipe adverse à la suite de cette faute et qui est exécuté de l’angle
du terrain (double développement métonymique: faute qualifiée par le lieu et lieu
désignant l’action qui y est réalisée).
Dans toute une série s’expressions (in a tight corner «dans l’impasse», in a
corner «dos au mur», drive into a corner «mettre en difficulté, coincer, acculer
(quelqu’un)», le mot anglais a pris des connotations négatives, de difficulté,
d’entrave, de situation d’où on ne peut pas échapper. Cette nuance explique le sens
économique et financier que le mot a acquis dans la deuxième moitié du XIXe
siècle aux Etats-Unis, «opération spéculative par laquelle un groupe s’assure le
monopole d’une certaine marchandise permettant la spéculation / mettant en
difficulté les spéculateurs» : drive speculative sellers into a corner. Le sens s’est
généralisé et le mot peut désigner un (quasi) monopole, une mainmise (to corner
the oil marquet «accaparer le marché du pétrole», a corner on gold «un (quasi)
monopole sur l’or», etc.).
En français le mot est revenu à la fin du XIXe siècle avec une partie
seulement de ces significations nouvelles (restriction sémantique): avec le sens
économique de «monopole, accaparement» et, pour le football, avec le même
passage métonymique de «lieu» à «action exécutée dans/ de ce lieu»:
corner nom masculin 1. arrangement entre spéculateurs en vue d'obtenir la
maîtrise du marché d'un produit dont on provoque artificiellement la hausse en
acquérant les stocks disponibles: corner sur le blé, le coton»; 2. (SPORT) fait qu'un
joueur envoie le ballon derrière sa propre ligne de but, cette faute entraînant à titre
de sanction un coup de pied de remise en jeu accordé à l'équipe adverse et tiré à
partir d'un coin du terrain: la balle sort en corner; (par méton.) coup de pied de
remise en jeu accordé à l'équipe adverse: marquage sur corner. (TLFi)
En roumain la situation du mot est tout à fait similaire à celle du français,
puisqu’on y retrouve les significations décrites ci-dessus. La seule différence se
manifeste au niveau lexicographique: les dictionnaires considèrent qu’il s’agit de
deux mots homonymes, à cause de leur étymologie: le mot avec la signification
boursière provient directement de l’anglais américain, tandis que le mot
appartenant au vocabulaire sportif est indiqué avec une étymologie multiple, les
dictionnaires mentionnant l’anglais mais aussi le français, fait qui suggère comme
filière possible du mot le trajet anglais - français - roumain. En plus, à la différence
du mot ayant un sens financier, le mot à signification sportive a été parfaitement
intégré dans le système grammatical du roumain, présentant une forme de pluriel
(cornere «corners») et de génitif-datif (forŃa cornerului «la force du corner»):
corner1 nom neutre sanction accordée en faveur de l’équipe à l’attaque sous la
forme d’un coup de pied de remise en jeu, tiré à partir d’un coin du terrain, si un
défenseur a envoyé le ballon derrière sa propre ligne de but; de angl., fr. corner.
corner2 nom neutre forme simple d’organisation monopoliste qui consiste dans un
arrangement entre spéculateurs pour acheter des marchandises et les vendre à des
prix élevés; mot anglais.
En conclusion, le mot corner, appartenant au vocabulaire anglo-normand, a
subi en anglais des spécialisations sémantiques importantes, partant de la
signification de «angle, coin », dans le sport et dans le langages boursier. Il s’agit
d’une longue série de passages métaphoriques et / ou métonymiques. Ces nouveaux
sens spécialisés se retrouvent en français et ils ont été empruntés par le
roumain aussi (au français ou / et à l’anglais).
2.2. angl. penalty - fr. pénalty - roum. penalti
En anglais, les dictionnaires indiquent des étymologies différentes pour le
mot penalty : il dériverait du moyen français pénalité, qui provient, à son tour du
latin poenalitatem (cf. OnlineED); selon l’OED, le mot représenterait une variante
de penality ou bien il proviendrait d’une forme non attestée de l’anglo-normand ou
du moyen français, présentant une élision similaire de la troisième syllabe. Le TLFi
considère que les formes, dérivées de l’anglais penal, devraient être penality ou
penalty pouvant être des emprunts à pénalité, supposition appuyée par le sens de
«souffrance, peine, malheur» que le mot possède en anglais.
Le mot est employé en anglais avec le sens de «punition», «sanction» ou
«châtiment»:
penalty nom 1. infraction qui est sanctionnée, surtout si elle est commise par
rapport à une loi, ordre; 2. sanction imposée par le non respect d’une loi, d’un
contrat; 3. perte ou désavantage conséquence d’une action ou d’une situation; 4.
(SPORTS) sanction contre un sportif ou une équipe conformément aux règles des
jeux.
Le mot revient en français avec ce dernier sens, du langage sportif (sens
attesté en anglais en 1897) et appliqué surtout au football, mais aussi au handball,
au polo, etc. :
pénalty nom masculin (SPORT) pénalisation pour une faute commise dans la
surface de réparation; 2. tir effectué du point de réparation par un joueur placé face
au but défendu par le seul gardien.
Nous remarquons le passage métonymique de la pénalisation prévue par le
règlement au contenu de la sanction - à savoir de tir au but, appelé aussi coup franc
ou coup de réparation.
Le même sens se retrouve en roumain, qui privilégie le sens de «tir de
punition», bien que le sens de «sanction» existe aussi dans des phrases comme
arbitrul a acordat un penalti «l’arbitre a accordé un pénalty».
penalti nom neutre coup tire pour sanctionner une faute grave de l’équipe
adversaire accordé en football, handball, etc. d’un lieu situé dans la surface de
réparation directement au but, en face du seul gardien; du fr., angl. penalty.
Remarquons que tant en français qu’en roumain il existe d’autres dérivés
du mot pénal (qui provient, comme penalty, du latin poenalis «qui concerne la
punition», de poena «punition»), à savoir en fr. pénalité, pénalisation,
respectivement en roum. penalitate, penalizare. Ces mots présentent une grande
partie des significations des mots anglais penality ou penalty pour le domaine des
sanctions légales (peine établie par une loi, amendes, dédommagements).
3. Mots français du roumain enrichis sémantiquement par l’anglais
Dans les deux dernières décennies, nous assistons en roumain à un second
grand changement du vocabulaire (dans une certaine mesure semblable, par la
profondeur et les dimensions, à la modernisation de la deuxième moitié du XIXe
siècle), comme conséquence de l’abandon du totalitarisme communiste et de
l’instauration d’une démocratie capitaliste. Cette fois-ci le modèle culturel
(politique, économique, scientifique, administratif, etc.) arrive par l’intermédiaire
de l’anglais, dans une première étape des États-Unis et, ensuite, de l’Union
Européenne. Comme dans beaucoup d’autres pays européens, l’anglais devient la
première langue étrangère étudiée dans les écoles et les universités (en Roumanie,
au détriment du français).
Le phénomène particulièrement significatif qui nous intéresse ici est celui
de la ré-sémantisation de beaucoup de mots qui existaient déjà en roumain, en tant
qu’emprunts au français. Une bonne partie de ces mots sont en anglais aussi
d’origine française. Les locuteurs roumains ont senti, instinctivement, qu’il
s’agissait ‘du même mot’ (en dépit des petites différences phonétiques ou
morphologiques) et ils y ont ajouté des significations nouvelles.
3.1. fr. casserole - angl. casserole - roum. caserolă
Le mot français casserole (dérivé de casse «récipient»), avec le sens de
«ustensile de cuisine» (première attestation en 1583), a été emprunté tant par
l’anglais que par le roumain. Voici les principales significations du mot en français:
casserole nom féminin 1. récipient cylindrique pourvu d'un manche et qui sert à la
cuisson des aliments: une casserole d'aluminium; 2. (par métonymie) contenu de
ce récipient. une casserole d'eau bouillante; 3. (expr. fig. et fam.) chanter comme
une casserole chanter mal, chanter faux ; (pop.) traîner des casseroles, avoir une
mauvaise réputation due à une affaire douteuse dont le bruit vous poursuit
longtemps; passer à la casserole, être mis dans une mauvaise situation, subir un
traitement désagréable, sans pouvoir s'y soustraire. (DAF9)
Comme on le voit, les deux sens fondamentaux du mot français sont
«ustensile de cuisine » et, par un passage métonymique, «son contenu» (une
casserole d’eau, veau / riz à la casserole). Le mot a développé aussi toute une série
de significations métaphoriques et populaires. Une partie de ces significations sont
liées au son désagréable provoqué par le heurt d’une casserole (chanter comme une
casserole, ce piano est une vraie casserole, traîner des casseroles). Une autre
partie des sens figurés dérivent, selon le GR et le TLFi, de l’association avec les
volailles tuées avant d’être cuites: passer qqn. à la casserole «tuer qqn.» ou, dans
une acception moins grave, «faire passer qqn. par une mauvaise situation». Enfin,
le mot peut désigner métaphoriquement, en vertu de la forme de l’ustensile, une
grosse horloge, un casque de guerre ou un projecteur. Tous ces sens figurés ne se
retrouvent ni en anglais, ni en roumain.
En anglais, le mot a été pris avec les deux significations du mot
d’origine (ustensile de cuisine et le contenu d’un tel récipient), mais il a
développé aussi des sens nouveaux:
casserole nom 1. récipient de cuisine en céramique ou de verre, d’habitude avec
un couvercle, qui sert à la cuisson et à la présentation des aliments; 2. plat cuit et
servi dans un tel récipient, d’habitude du riz, des pommes de terres ou macaroni
avec de la viande ou du poisson et des légumes; 3. (CHIMIE) plat profond en
porcelaine, pourvu d’un manche, qui sert à chauffer ou a faire évaporer une
substance (your dictonary. com).
Donc, en partant du sens «ustensile à manche qu’on peut mettre sur le feu
pour préparer des plats», l’anglais a opéré un développement sémantique, désignant
avec le même mot un vase de chimie en porcelaine. Un autre sens qui apparaît en
anglais est celui de «petit récipient, en papier ou en plastique, dans lequel on vend
des fruits ou des aliments» (récipient qu’on appelle en français une barquette). Ce
dernier sens ne figure pas encore dans les dictionnaires, mais on le retrouve
fréquemment dans Google, par exemple sur le site http://www.labdepotinc.com/c304-casserole-dish.php.
Le roumain a emprunté lui aussi le mot, mais le premier sens présenté par
les dictionnaires est celui de «récipient de chimie», tandis que le sens de «ustensile
de cuisine» apparaît seulement en seconde position:
caserolă nom féminin 1. récipient en porcelaine, à manche, employé dans les
laboratoires pour fondre des substances visqueuses et peu volatiles; 2. récipient de
cuisine, profond, à manche et au fond plat, utilisé en cuisine; du fr. casserole.
Le MDN donne aussi le sens de «barquette» et un sens technique, que
nous n’avons retrouvé ni dans les dictionnaires français ni dans les dictionnaires
anglais, celui de «couverture d’une hélice». Le mot roumain caserolă est, donc, le
résultat d’un double calque sémantique: le mot est emprunté au français, mais
deux de ses significations (celle d’ustensile de laboratoire et celle du commerce
alimentaire) proviennent de l’anglais. En revanche, en roumain on n’a pas fait le
passage métonymique contenant - contenu, de «plat (préparé dans une casserole)»
sens présents tant en français qu’en anglais.
3.2. fr. appliquer - angl. apply - roum. aplica
Le verbe appliquer, attesté au XIIIe siècle (< lat. APPLICARE) présente en
français plusieurs sens, qui peuvent être synthétisés de la manière suivante:
appliquer verbe transitif 1. poser, mettre en contact: appliquer une couche de
peinture sur un mur, appliquer un cachet sur de la cire) ; 2. utiliser qch. pour
obtenir un certain résultat: appliquer une thérapie, appliquer une règle, appliquer
son intelligence à faire qch; 3. employer pour un usage déterminé, faire servir
dans une situation donnée: applique son esprit à l’étude; 4. (pronom.) apporter
beaucoup d’attention, faire des efforts: cet écolier s’applique beaucoup.
En anglais, le mot apply est présent depuis longtemps, existant déjà en
anglo-normand sous les formes applier, apllier ou plier (AND) (de l’anc. fr.
aplier); l’OED donne comme première attestation la Bible de Wycliffe (1384). Le
premier sens en anglais est le sens étymologique - «mettre en contact» («to bring
things in contact with one another» cf. OnlineED). Le mot présente les sens
suivants:
apply verbe 1. poser, mettre en contact: to apply the suntan, the paint); 2. utiliser,
employer: to apply the brakes, to apply the pressure on a cut, to apply one's
knowledge to a problem; 3. faire une requête, d’habitude officielle et écrite; he
applied to join the police; 4. ~ oneself travailler durement: you can solve any
problem if you apply yourself.
En roumain, les dictionnaires enregistrent pour le verbe aplica (ayant une
double étymologie possible, du français ou du latin) l’essentiel des sens du verbe
français:
aplica verbe transitif I. 1. mettre une chose sur une autre, la fixer, l’unir; 2. mettre
quelque chose en pratique, employer a aplica un procedeu / un tratament
«appliquer une procédure, un traitement»; (dans l’expression) a aplica (cuiva) o
palmă trad. litt. «appliquer à qqn une gifle», gifler qqn.; (vieilli) se dédier, étudier
qch. a se aplica la algebră «s’appliquer à l’étude de l’algèbre».
Récemment, le verbe a aplica accompagné souvent par la préposition la a
acquis un sens supplémentaire, celui de «requête officielle» dans des syntagmes
comme a aplica la universităŃi din străinătate / la un job «faire une requête pour
être inscrit à des universités étrangères / pour un travail», sens présents sur Google.
Évidemment, cette dernière acception est un calque sémantique de l’anglais, le
locuteur roumain ayant eu, inconsciemment, l’intuition du lien qui existe entre le
mot anglais to apply et le verbe roumain a aplica - à savoir le même étymon.
3.3. fr. qualifier - angl. qualify - roum. califica
En français, le mot est un emprunt moderne au latin scolastique
(qualificare, de qualis «de quel type » + facere «faire» cf. GR, OED). Le mot est
passé du français en anglais au XVIe siècle, et en roumain à la fin du XIXe siècle.
En français le mot a les significations suivantes:
qualifier verbe transitif 1. appeler, caractériser : la valse à trois temps est qualifiée
de valse française ; 2. traiter de : qualifier qqn. de tous les noms; 3. (pron. vieilli)
accorder un titre nobiliaire, s’arroger un titre ou une fonction: il se qualifia colonel;
4. (pron.) se rendre capable, acquérir la compétence: se qualifier dans un métier;
5. donner la capacité, la compétence: rien ne le qualifie pour exercer le pouvoir
personnel; 6. (SPORTS, souvent au passif) obtenir le droit de disputer une épreuve
ultérieure: se qualifier pour la finale; 7. (GRAMM.) déterminer: l’adverbe de
manière qualifie les actions exprimées par le verbe.
En anglais, on retrouve la majorité des significations du mot français, avec
des élargissements et des spécialisations. On part de la signification «accorder un
titre nobiliaire», sens qui a existé en français aussi (le TLFi mentionne sa présence
dans le Dictionnaire de L’Académie Française de 1694). L’OED enregistre les sens
suivants:
qualify verbe I. 1. attribuer une ou plusieurs qualité(s), caractériser: to qualify a
person as a teacher; (GRAMMAIRE) déterminer (un mot): the noun ‘son’ is usually
qualified by ‘my’ / ‘his’ / ‘her’; 2. finir sa formation professionnelle: to qualify as
a lawyer; 3. avoir ou acquérir le droit, la qualité ou la compétence de faire qch.
(grâce à une formation professionnelle, en prêtant un serment, etc.): he qualifies
for the competition, he is over 18; (extens.) remplir les conditions requises, devenir
éligible pour un une certaine position; 4. réussir à entrer dans une compétition
sportive: the team qualified for the Word Cup; II. modifier (une affirmation, une
opinion) en ajoutant des limitation ou des réserves : I'd like to qualify my
criticisms of the school's failings, by adding that it's a very happy place.
En roumain, le verbe a califica est d’origine française. Le DA donne toute
la famille du mot, le participe passé, calificat «qualifié», étant employé souvent
comme adjectif, par exemple dans des syntagmes calqués sur le français du type
omor calificat «meurtre qualifié» ou muncitor calificat «ouvrier qualifié»; un autre
mot de la famille est le substantif calificativ «qualificatif» (un calificativ aspru «un
qualificatif sévère »):
califica verbe transitif 1. acquérir le niveau nécessaire de préparation, arriver à
avoir les connaissances nécessaires pour exercer un certain métier (avec la
reconnaissance officielle de cette préparation). 2. (réfléchi) obtenir (grâce à des
résultats favorables) le droit de participer à une phase supérieure dans une
compétition sportive, culturelle, etc. 3. attribuer à une personne ou à un objet une
certaine qualité ; la qualifier, la nommer.
Dans les dernières années, le verbe roumain a (se) califica a acquis un
sens supplémentaire, à savoir le sens administratif du mot anglais: «remplir les
conditions légales requises». Cette acception n’est pas encore mentionnée par les
dictionnaires, mais on la retrouve dans la langue parlée, dans les journaux, sur
Internet : tot băncile stabilesc cine se califică pentru programul Prima Casă
(http://money.ro) «ce sont toujours les banques qui décident qui remplit les
conditions pour le programme (gouvernemental) Ma Première Maison», ca brutar,
macelar, zidar, strungar te califici la emigrare in Canada (Quebec), ca inginer
electronist NU! (http://forum.romanian-portal.com/archive/index.php/t-5344.html)
«comme boulanger, maçon, tourneur, tu remplis les conditions pour l’émigration
au Canada (Québec), comme ingénieur informaticien, NON» (http://video-stiri.
blogspot. com/2009/05/te.html).
4. Conclusions
Un examen de la situation des mots français empruntés par l’anglais et par
le roumain montre les mécanismes grâce auxquels le vocabulaire s’enrichit par
l’intégration des éléments nouveaux. Les mots techniques sont pris, en général,
dans leur totalité. Pour les mots du langage commun, l’emprunt est d’habitude
partiel, souvent avec des développements connotatifs originaux. Nous avons trouvé
plusieurs situations :
- chaque langue cible a repris partiellement le sens étymologique: le mot
toupet a, en anglais, seulement le sens propre du français, en roumain seulement le
sens figuré;
- un ancien mot français peut subir des transformations sémantiques
importantes en anglais et, ensuite, revenir en français avec ces significations
nouvelles, de façon que, lorsqu’il entre en roumain, souvent on ne sait pas si le mot
a été repris du français ou de l’anglais. Nous avons présenté le cas de deux mots du
langage des sports (corner et penalty), mais ce genre d’emprunts se retrouve assez
fréquemment (nous pouvons citer les mots comme acquis (communautaire)
interview, parlement, reporter, respectabilité, saloon, suprématie, etc.);
- certains mots d’origine française tant en anglais qu’en roumain se sont
enrichis dans cette deuxième langue avec des sens développés en anglais. Il s’agit
surtout de significations de type juridique ou administratif, qui se retrouvent dans
la législation internationale et surtout dans celle de la Communauté Européenne.
Ce type de recherche met en valeur surtout le lien entre le vocabulaire
d’une langue et l’histoire de la communauté linguistique qui la parle. Par exemple,
le mot toupet a été repris en anglais (sous la forme toupee) avec son sens concret
(«mèche (postiche) de cheveux») parce que l’emprunt est survenu à une époque où
les coiffeurs les employaient, tandis qu’en roumain le mot a seulement le sens
figuré («assurance exagérée, aplomb») parce que le mot a été repris beaucoup plus
tard, à la fin du XIXe siècle, quand les personnes n’utilisaient plus le toupet pour
leurs coiffures.
* Adriana Costăchescu, Analele UniversităŃii din Craiova, Lingvistică”, nr. 1-2, 2010, p. 73-88.
NOTES
1
Dans cet article, les sens français sont en général donnés d’après le TLFi, complété avec les
dictionnaires GRLF, GR et GLLF; les sens anglais d’après l’OED, mais nous avons profité aussi des
présentations synthétiques et des exemples des nombreux dictionnaires anglais en ligne; les sens
roumains, d’après le DA / DLR, le DEX et le DN. Pour des raisons de clarté, nous avons fait une
présentation synthétique des significations proposées par ces dictionnaires.
2
Le mot perruque a subi un changement sémantique tout à fait similaire après la Révolution française
qui l’a fait passer de mode. Chez les écrivains romantiques on retrouve l’expression vieille perruque
ou tête à perruque pour désigner une personne âgée ou une personne qui est ridiculement surannée
(TLFi)
3
Dans la linguistique roumaine une telle situation est désignée par le terme de ‘étymologie multiple’,
introduit par Alexandru Graur (1950), et appliqué aux mots roumains qui auraient pu provenir de
plusieurs langues. Par exemple il est très difficile, sinon impossible, d’établir si le mot roumain
monofonic provient du français monophonique ou de l’anglais monophonic, si l’étymon du
substantif gorilă est le mot français gorille, le mot italien gorilla ou le mot allemand Gorilla ou bien
si l’interjection haide «vas-y / allons-y» a pour origine le mot turc haydi, le mot bulgare haide ou le
mot grec àide.
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TYPOLOGIE SÉMANTIQUE DES MOTS ROUMAINS
EMPRUNTÉS AU FRANÇAIS*
1. Introduction
Notre contribution fait partie d’un projet de recherche sur la Typologie des
emprunts lexicaux français en roumain en déroulement à l’Université de Craiova
(Roumanie), dont le but principal est, l’analyse sémantique comparative des
gallicismes lexicaux du roumain et de leur base française.
Notre but est de vous présenter quatre types d’emprunts:
2.1. mots d’origine française1 qui ont développé en roumain des sens
métaphoriques familiers ou argotique, avec ou sans correspondants en français
(salon, beton, mansardă); 2.2. mots où il s’agit d’une contribution de l’anglais à la
sémantique de mots roumains d’origine française (caserolă, a aplica); 2.3. mots
empruntés du français sous deux formes (întrevedere et interview); 2.4. mots de la
même origine, empruntés deux fois, dont une par filière française (hazard) et
l’autre par filière turque (zar).2
À partir de la fin du XVIIIe siècle, mais surtout au long du XIXe siècle époque de la modernisation - et de la première moitié du XXe siècle, le roumain a
subi une très forte influence française, « unique au monde, en ce qui concerne ‘les
emprunts à distance’ », d’après Alf Lombard (1969: 646).
Après 1829 (Paix d’Adrianople), grâce au revirement d’ordre politique,
économique et surtout culturel des principautés roumaines, cette influence, qui fait
partie de la ‘re-romanisation’ du roumain, est devenue tellement forte qu’elle a
modifié la physionomie de la langue et surtout la structure de son vocabulaire.
D’après plusieurs statistiques, presque la moitié des mots roumains figurant dans le
DEX proviennent du français (ou bien comptent le français parmi les langues de
leur origine possible). Dans le deuxième cas il s’agit de mots à ‘étymologie
multiple’.
2. Mots avec sens métaphoriques familiers ou / et argotiques
2.1. Mots avec sens métaphoriques familiers ou / et argotiques en roumain
2.1.2. fr. salon > roum. salon
Le mot français est attesté depuis 1650. Son origine est ‘mouvementée’
puisqu’il vient de l’it. salone, qui à son tour est un dérivé en -one, d’un emprunt au
français salle (avec maintien de l’a accentué d’après halle). Le sens principal de
salon est: «pièce aménagée avec soin particulier où l’on reçoit les visiteurs et l’on
se réunit en famille et entre amis» (cf. TLFi).
FR: salon subst. masc. I. 1. pièce aménagée avec un soin particulier où l’on reçoit
les visiteurs ; (p. méton.) mobilier de cette pièce; 2. demeure privée où la maîtresse
de maison reçoit; (p. ext.) lieu de réunions mondaines ; II. 1. pièce d’un édifice
public réservée aux réceptions ; 2. grande salle où on organise des expositions ; (p.
méton.) exposition périodique d’œuvres d’artistes vivants; (p. anal.) grande
exposition, généralement annuelle où sont présentés les produits d’une branche
particulière de l’industrie ou du commerce; lieu de cette exposition; 3. (argotique)
dans des locutions: salon calin, salon contact, etc. (cf. ARG FAM).
REY mentionne aussi le syntagme poète de salon (1835), signifiant «poète
mondain», mais il spécifie que cette formule est devenue vite péjorative.
Le mot roumain homonyme a été emprunté du français dans la première
moitié du XIXe siècle.
ROUM: salon, subst. neutre 1. chambre d’une habitation, destinée à recevoir les
invités; 2. salle pour festivités, bals, fêtes publiques ; salle pour les expositions
périodiques de peinture, sculpture, etc.; (par ext.) les expositions présentées dans
cette salle ; réunion à caractère culturel, artistique, mondain, etc. 3. chambre à
plusieurs lits, dans un hôpital. 4. (familier, dans l’expression) a fi salon (trad. litt.)
«être salon» avoir un comportement irréprochable.
Les locutions familières, presque argotique méritent une attention spéciale:
a fi salon «être de bonne qualité / se comporter d’une manière distinguée» et à
l’impératif: fii salon, «comporte-toi comme il faut, d’une façon convenable». On
peut employer le mot même comme adjectif épithète: Paul e un băiat salon (« Paul
est un type bien élevé»).
2.2. Mots avec un sens métaphoriques familiers ou argotique semblables en
roumain et en français
fr. mansarde - roum. mansardă
Le mot français mansarde, dont le signifiant provient du nom de
l’architecte François Mansard (1598-1666) est attesté en 1676 (TLFi).4 Selon ce
dictionnaire mansarde a deux sens principaux dans le domaine de l’architecture:
FR: mansarde: subst. fém. 1. comble brisé à quatre pans appelé aussi comble à la
Mansart, ou à la mansarde, ou en mansarde ; 2. fenêtre pratiquée dans la partie
verticale d'un comble brisé; (par. anal.) toute pièce à plafond bas dont un mur au
moins est en pente selon l’inclinaison du toit: habiter une mansarde. 3. (argot)
crâne.
En roumain le mot fait son apparition lexicographique dans la première
moitié du XIXe siècle sous la forme manzardă, puis sous la forme mansardă dans
un poème d’Alexandru Macedonschi, au commencement du XXe s. (DLR).5
ROUM: mansardă subst. fém. 1. dernier étage d’une maison, situé
immédiatement sous le toit; 2. chambre ou ensemble de chambres situées sous le
toit, aménagée comme habitation, ayant le plafond ou le(s) mur(s) oblique(s); 3.
(métaphorique, fam.) esprit, intelligence a avea păsărele la mansardă (trad. litt.)
«avoir des petits oiseaux à la mansarde», a fi deranjat la mansardă (trad. litt.)
«être dérangé à la mansarde», être déséquilibré.
Le sens emprunté a un caractère très général : «étage situé immédiatement
sous le toit d’un bâtiment; p. extension, pièce ou logement, souvent de forme
irrégulière (et) à toit incliné» (DLR). Grâce au sème ‘qui se trouve à la partie
supérieure’ du lexème toit, inclus dans la définition de mansarde, le mot est
employé en roumain comme métaphore fréquente pour faire référence à la capacité
intellectuelle ainsi qu’à l’équilibre psychique d’une personne. Quelques exemples :
are mansarda bine echipată (trad. litt. «il a la mansarde bien équipée»), qui
désigne une personne compétente et intelligente, a-şi mobila mansarda (trad. litt.
«meubler sa mansarde») avec le sens «s’instruire», ainsi que diverses expressions
signifiant «être déséquilibré»: a avea păsărele / lilieci la mansardă (trad. litt.
«avoir des oiseaux / des chauves-souris à la mansarde»), a fi deranjat la mansardă
(trad. litt. «être dérangé à la mansarde»), etc.6
Le dictionnaire ARG FAM signale trois exemples - malheureusement sans
les reproduire - où le mot français mansarde a le sens très semblable de la
métaphore roumaine, le référent étant ‘le récipient’ de l’intelligence: le crâne.
2.2.2. fr. béton > roum. beton
Voici la présentation des dictionnaires français et roumains pour ce mot:
FR: béton subst. masc. 1. matériau de construction à grande résistance; (p.
métaph.) symbole de la solidité, de la résistance, de la contrainte; au fig. (sport)
faire, jouer le béton; (arg. des casernes) un béton un fort; hommes de béton
soldats qui servaient dans les ouvrages fortifiés de la ligne Maginot; 2. (p. anal.)
matériaux qui contiennent beaucoup d'hydrogène, utilisés comme absorbeurs de
neutrons; 3. (p. métaph.) en béton solide, inattaquable un alibi en béton; (adj. fam.)
une excuse béton.
ROUM: beton: I subst. neutre 1. matériau très résistant utilisé dans les
constructions, résulté d’mélange de gravier, ciment, etc.; 2. (SPORT) système de
défense employé dans certains jeux sportifs (surtout au football) apărare beton
défense béton; II. (adj. fam.) solide, indestructible; (arg.) formidable o tipă beton
(trad. litt.) «une typesse béton» une typesse très bien, o petrecere beton (trad. litt.)
«une fête béton», une fête très réussie.
Il résulte que le mot roum. beton présente un développement analogue à
celui de salon: avec le sens «très bon (sans défaut)», le substantif a pris les
fonctions d’un adjectif ou d’un adverbe: o pledoarie beton «un plaidoyer excellent
(auquel on ne peut rien opposer)», o petrecere beton «une fête très réussie».
En argot le mot est employé aussi comme attribut qualificatif d’une
personne : o tipă beton «une typesse O.K., très bien».
Probablement que le point de départ de ce changement de catégorie
grammaticale a été la locution de beton.
En français, d’après les dictionnaires consultés, béton avec le sens «solide,
sérieux, fiable» est employé plutôt comme substantif, précédé de en ou de l’article:
établir un système sur solide béton (TLFi). Pourtant on le trouve aussi avec
fonction attributive: arguments bétons, «solides, irréfutables» (GR).
Il semble donc que la ré-grammaticalisation en adjectifs de certains
substantifs ayant un sens métaphorique qualificatif est une tendance commune, au
moins aux deux langues dont nous nous occupons ici.
3. Gallicismes roumains enrichis par des calques sémantiques de
l’anglais
Comme conséquence de l’abandon du totalitarisme communiste et de
l’instauration d’une démocratie capitaliste, dans les dernières deux décennies nous
assistons en roumain à un second grand changement de vocabulaire, dans une
certaine mesure semblable à la modernisation de la deuxième moitié du XIXe siècle,
par profondeur et dimensions). Cette fois-ci le modèle culturel (politique,
économique, scientifique, administratif, etc.) vient par l’intermédiaire de l’anglais,
dans une première étape des États-Unis et, ensuite, de l’Union Européenne aussi.
En Roumanie, l’anglais devient la première langue étrangère étudiée dans les
écoles et les universités, au détriment du français.
Un phénomène particulièrement intéressant est celui des calques
sémantiques d’après l’anglais, qui font leur apparition dans des mots roumains
empruntés jadis au français. Une bonne partie de mots dont il est question sont en
anglais aussi d’origine française.
3.1. roum. caserolă < fr. casserole > angl. casserole
Le mot français casserole (dérivé de l’aprov. casse «récipient» avec le suff.
-erol(l)e, (-ole) (cf. TLFi qui renvoie à BW,) ayant le sens de «ustensile de cuisine»,
(1583) a les significations suivantes (cf. DAF):
FR: casserole subst. fém.1. récipient cylindrique pourvu d'un manche et qui sert à
la cuisson des aliments: une casserole d'aluminium; 2. (p. métonymie) contenu de
ce récipient: une casserole d'eau bouillante. 3. (expr. fig. et fam.) chanter comme
une casserole chanter mal, chanter faux ; (pop.) traîner des casseroles, avoir une
mauvaise réputation due à une affaire douteuse dont le bruit vous poursuit
longtemps; passer à la casserole, être mis dans une mauvaise situation, subir un
traitement désagréable, sans pouvoir s'y soustraire.
Les deux sens fondamentaux du mot français sont «ustensile de cuisine» et,
par transfert métonymique, son contenu (une casserole d’eau, veau / riz à la
casserole). Le lexème a développé en français toute une série d’extensions
métaphoriques et populaires, fondées sur une analogie de forme ou de résonnance,
puisque le mot a été employé avec les sens «casque de combat» (en 1916),
«projecteur», ou bien «piano de mauvaise qualité» (cf. REY) La plupart de ces
connotations sont péjoratives (chanter comme une casserole, ce piano est une vraie
casserole, trainer des casseroles; passer qqn. à la casserole «tuer qqn. (par
allusion aux volailles que l’on tue pour les faire cuires; cf. REY)», etc.).
Le roumain
a emprunté le mot, probablement, seulement au
commencement du XXe siècle, car il est absent du TIKT / MIR, du DA et du
DLRC. Dans les dictionnaires contemporains (DEX, MDENC) caserolă est défini
comme suit:
ROUM 1: caserolă subst. fém. 1. récipient en porcelaine, prévu de manche,
employé dans les laboratoires pour fondre des substances visqueuses et peu
volatiles; 2. récipient de cuisine, profond, à manche et au fond plat, utilisé en
cuisine.
À la différence du mot français, la première acception du mot roumain est
celle de ‘ustensile pour laboratoire’. C’est l’anglais qui nous fournit l’explication,
par l’homonyme casserole, mot emprunt au français7 du XVIIIe s. Quant au sens,
l’OED nous offre une citation de 1960 de l’Observer:
«1960 Observer 17 Jan. 14/4 A casserole, once upon a time, was a pan with a
handle, made in tinned copper, earthenware, enamelled iron or some other heatresistant material... In Britain to-day the casserole has become a portmanteau word
for any receptacle in a fire-resistant material, with or without a lid, that goes both
into the oven and on to the dinner-table.» (OED)
Le WEBST est plus explicite en ce qui concerne le sens qui se retrouve en
roumain:
ANGL: casserole subst. 1. récipient de cuisine; 2. récipient en céramique ou en
verre qui sert à la cuisson et à la présentation des aliments; les plats préparé ainsi
sont dits en casserole; 3. plat profond pourvu d’un manche, utilisé par les
chimistes.
En anglais on trouve aussi le sens «petit récipient, en papier ou en plastique,
dans lequel on vend des fruits ou des aliments», récipient qu’on appelle en français
barquette. Cette acception ne figure pas encore dans les dictionnaires anglais et ne
semble pas encore être connue par tous les locuteurs, mais on le retrouve dans
Google. Sur le site
www. tradevv. com/vs-casserole/ on lit: «tokyo plast
international ltd. is a professional thermo food container, thermal kitchenware,
plastic casseroles, hot food container, hot insulated food, han billion metals and
chemicals co.»
Le dictionnaire roumain de néologismes (DN) enregistre le sens
«barquette», ainsi qu’un sens technique «couverture d’une hélice», que nous
n’avons retrouvé ni dans les dictionnaires français ni dans les dictionnaires anglais.
Le mot roumain caserolă est donc le résultat d’une double influence. Le
mot est un emprunt du français; dans l’acception «récipient de cuisine» il est peu
utilisé aujourd’hui. Les deux sens nouveaux («récipient de laboratoire» et
barquette) proviennent de l’anglais par calque sémantique.
L’anglais a généralisé le sens du genre proche «récipient» et le roumain a
élargi le sens du mot caserolă, par un calque sémantique de l’anglais, la principale
langue source du roumain actuel.
3.2. roum. a aplica > fr. appliquer < angl. to apply
Le verbe français appliquer, attesté en 1280 (cf. REY) sous la forme
apliquier, est un emprunt du latin (> APPLICARE), riche en sens et en constructions,
présentés infra en résumant le TLFi :
FR: appliquer verbe tr. 1. poser, mettre en contact appliquer une couche de
peinture sur un mur, appliquer un cachet sur de la cire; 2. utiliser qch. pour
obtenir un certain résultat appliquer une thérapie, appliquer une règle, appliquer
son intelligence à faire qch; 3. employer pour un usage déterminé, faire servir
dans une situation donnée appliquer son esprit à l’étude; 4. (pronom.) apporter
beaucoup d’attention, faire des efforts cet écolier s’applique beaucoup.
Les dictionnaires roumains enregistrent pour le verbe a aplica la plupart
des sens du verbe français:
ROUM1: aplica I. verbe tr. 1. mettre une chose sur une autre, la fixer, l’unir à; 2.
mettre quelque chose en pratique, employer a aplica un procedeu / un tratament
appliquer une procédure/ un traitement; (dans l’expression) a aplica (cuiva) o
palmă (trad. litt.) «appliquer (à qqn.) une gifle», gifler qqn.; (pronom. vieilli) se
dédier, étudier qch. a se aplica la algebră «s’appliquer à (l’étude de) l’algèbre».
Récemment, le verbe a aplica accompagné souvent des prépositions la et
pentru a pris un sens supplémentaire, qu’on trouve dans les exemples offerts par
Google : «faire une requête officielle»: a aplica la universităŃi din străinătate /
pentru un job «faire une requête pour être inscrit à des universités étrangères / pour
un travail». On retrouve ce nouveau sens parmi les acceptions du verbe anglais to
apply.
Le mot anglais apply, a été emprunté, à son tour, de l’afr. sous sa forme
anglo-normande applier, apllier ou plier (cf. AND s.v. applier) attestée dans la
deuxième moitié du XIVe s. Le mot présente les sens suivants (cf. OED et
résumés d’après WEBST):
ANGL: apply I. verbe tr. 1. poser, mettre en contact, appliquer to apply the
suntan, the paint; 2. utiliser, employer to apply the brakes, to apply the pressure
on a cut, to apply one's knowledge to a problem; 3. mettre en contact avec une
personne ou une chose. 4. (oneself) se consacrer à un but, travailler durement pour
you can solve any problem if you apply yourself. II. verbe intr. 1. faire une requête,
d’habitude officielle et écrite he applied to join the police; to apply for a position.
2. être valable, être en vigueur your order doesn’t apply in an emergency.
D’après l’OED, le sens de II, «faire une requête» est attesté depuis le XVIe s.
Vu la haute fréquence de cette nouvelle acception dans la langue actuelle,
l’article de dictionnaire du verbe roumain a aplica devrait être complété avec ce
sens nouveau:
ROUM 2: aplica verbe intr. II. 1. faire une requête, d’habitude officielle et écrite
a aplicat la universitati din strainatate/ pentru un job faire une requête aux
universités étrangères / pour un emploi.
Il est frappant que le locuteur roumain ait reconnu le lien qui existe entre
le mot anglais to apply et le verbe roumain a aplica, assez différents du point de
vue du signifiant. On doit, peut être, partir comme intermédiaire phonétique du
substantif aplicaŃie < fr. application et de l’anglais application, bien que le roum.
aplicaŃie n’ait pas (encore) les sens du verbe anglais.
Il s’agit donc encore une fois d’un calque sémantique d’après un mot
anglais ‘appliqué’ au verbe a aplica, entré en roumain par filière française.8
Nous croyons que dans ce contexte il est difficile de parler d’emprunt. Il
s’agit plutôt d’un mélange de langues possible dans certaines situations
pragmatiques. Voir, par exemple, la situation de l’anglo-saxon et de l’anglonormand (cf. Trotter 2009).
4. Emprunt répété d’un même mot d’origine française, avec
contribution sémantique anglaise
4.1. roum. întrevedere < fr. entrevue; roum. interview < fr. interview
Le mot roumain întrevedere, attesté en 1862, est un calque du français
entrevue (1498), part.àicipe passé du verbe entrevoir (en roumain a întrevedea):
FR: entrevue subst. fém. rencontre concertée entre deux ou plusieurs personnes.
ROUM: întrevedere subst. fém. rencontre entre deux ou plusieurs personnes pour
discuter des questions d’intérêt commun; de între + vedere (calque du fr. entrevue).
Le français entrevue a été emprunté aussi par l’anglais, toujours sous forme
de calque (interview). Le mot apparaît en anglais pour la première fois en 1514.
Après plus de trois siècles interview a commencé, à New York, une grande carrière
internationale: «1869, 28 Jan. 67: The ‘interview, as at present managed, is
generally the joint product of some humbug of a hack politician and another
humbug of a newspaper reporter.»
Avec ce nouveau sens, le mot est revenu sous sa forme anglaise interview
8
en 1890 dans la langue de son pays d’origine.
FR: interview subst. fém. 1. entretien d’un journaliste avec une personne qui
accepte de répondre, pour les besoins d’un article ou d’une émission
radiophonique ou télévisée, à des questions d’ordre professionnel ou personnel; 2.
(p. méton.) publication de cet entretien dans un journal (de l’anglais, attesté dans la
deuxième moitié du XIXe s. cf. TLFi)
Vêtu de sa nouvelle robe extérieure et intérieure le roumain a emprunté
interview une seconde fois du francais dans le premier quart du XXe s.
ROUM: interviu subst. neutre entretien d’une personnalité politique, culturelle,
etc. et un journaliste, au cours duquel celui-ci s’informe sur les opinion de cette
personnalité pour leur publication dans les journaux ou leur diffusion à la radio ou
à la télévision; (p. ext.) le texte de cet entretien publié dans la presse ou diffusé à la
radio ou à la télévision; (du français, attesté au commencement du XXe s.; (cf. DA)
Le français entrevue a donc été emprunté deux fois en roumain: une fois
avant et une fois après son aventure anglaise.
5. Doublets étymologiques en roumain, dont un provenant du français
5.1. roum. zar < turc az-zard; roum. hazard < fr. hasard
Le mot roumain hazard est un emprunt du français au XIXe s.
Le mot français doit son existence à l’espagnol azar, d’où il est venu déjà
au XIIe s. avec le sens «jeu de dés».
FR: hasard subst. masc. 1. cause jugée non nécessaire et imprévisible (dans les
domaines philosophique, artistique, religieux, scientifique); 2. (p. méton.)
concours de circonstances, événement inattendu ou inexplicable (produit par le
hasard); (p. anal.) entreprise, phénomène soumis à des aléas; empr. à l'ar. pop. azzahr «le dé à jouer » (az est la forme assimilée de l'art. al devant z) par
l'intermédiaire de l'esp. azar «coup défavorable au jeu de dés; sorte de jeu de
dés ». cf. TLFi)
Au cours du temps le mot a acquis tour à tour les sens «certains coups de
dés au jeu de hazard» (XIIIe s.), «mauvais coup en général», «risque, danger»
(XVe s.) et enfin au XVIe s. «cas, événement fortuit».
À l’origine du mot espagnol se trouve le mot arabe azzahr «le dé» (ou azest une forme assimilée de l’article al). Il se trouve aussi dans la majorité des
langues balcaniques par filière turque. (Mais cf. FEW t. 19, p. 2056).
En roumain le mot zar «dé» a été introduit, selon TIKT / MIR au
commencement du XIXe s. ayant le sens «jeu avec le dé», tout comme le mot
espagnol.
ROUM: hazard subst. neutre circonstance ou concours de circonstances
(favorable ou défavorable) dont la cause reste inexplicable; (p. ext.) cas fortuit,
inattendu; sort, destinée; joc de hazard «jeu de hasard».
ROUM: zar subst. neutre petit cube en os, en bois, en plastique, etc. dont chaque
face a d’un à six points, employé dans certains jeux de hasard; (p. ext.) jeu de
hasard qui implique l’emploi de tels cubes; du turc zar.
Les deux mots roumains, zar et hazard, l’un entré par filière turque, l’autre
par filière française, complètent ainsi l’histoire de ce mot dans les langues
romanes.
6. Conclusions
La richesse typologique des emprunts roumains du français se manifeste
donc par la diversité des étymons français et des filières de pénétration dans la
langue cible, par les différences sémantiques et l’évolution des sens figurés, ainsi
que par l’importance de l’anglais pour le roumain contemporain.
Ce dernier type peut-il être considéré comme un réel emprunt ou est-ce
plutôt un modèle de ‘mélange’ linguistique, possible dans certaines situations
pragmatiques?
Notre dernier exemple (les mots roumains hazard et zar) est une preuve
qu’une bonne étymologie n’est possible qu’avec un horizon large, qui dépasse
quelquefois même les familles des langues, en tenant compte des contacts
interlinguistiques dus à l’histoire politique, culturelle et économique.
* Maria Iliescu, Adriana Costăchescu, Ramona Dragoste, Communication CILPR XXVI, Valence,
2010.
NOTES
1. Mot attesté en français n’importe leur origine première (latin, hérité ou savant), francique,
néerlandais, etc.)
2. Pour le français, les données (sémantiques et étymologiques) sont en général présentées d’après le
TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF, GR et GLLF. Les données roumaines proviennent du
DA / DLR, du DLRC, du DEX et du DN. Les dates des premières attestations ont été prises de TIKT
/ MIR pour les mots enregistrés par ce dictionnaire. Pour l’anglais nous nous sommes servis de
l’OED et du WEBST., mais nous avons profité aussi des présentations synthétiques et des exemples
des nombreux dictionnaires anglais en ligne. Nous avons traduit en français les textes roumains et
anglais des dictionnaires.
3. Terme introduit dans la linguistique roumaine par Alexandru Graur (1950), et appliqué aux mots
roumains qui auraient pu provenir de plusieurs langues. Par exemple il est très difficile, sinon
impossible, d’établir si le mot roumain monofonic provient du français monophonique ou de l’anglais
monophonic, si l’étymon du substantif gorilă est le mot français gorille, le mot italien gorilla ou le
mot allemand Gorilla, de même si l’interjection haide «vas-y / allons-y» a pour origine le mot turc
haydi, le mot bulgare haide ou le mot grec àide.
4. REY précise que ce système de construction a été a mis en vogue vers 1650, mais que François
Mansard est considéré à tort comme l’inventeur, puisque Pierre Lescaut (1515 - 1578) le connaissait
et l’utilisait déjà.
5. Le dictionnaire Tiktin (voir TIKT / MIR), élaboré dans sa première forme à la fin du XIXe s.,
n’enregistre pas encore ce gallicisme.
6. Une évolution cognitive tout à fait semblable est propre au mot anglais garret «mansarde» qui,
comme son équivalent roumain, est employé dans le même type d’expressions figurées : to be wrong
in one's garret, to have one's garret unfurnished (OED).
7. L’étymologie indiquée par l’OED, l’italien casseruola, n’est pas acceptable, cf. CORTEL. / ZOLLI
s.v.
8. DEX renvoie non seulement au fr. appliquer, mais aussi au lat. applicare; pour le DA le mot latin
sert d’explication du mot français.
9. REY croit que l’emprunt est antérieur, puisque son dérivé, le verbe interviewer (d’après l’anglais to
interview) est attesté déjà en 1883.
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2. Analyse des champs sémantiques
LE VOCABULAIRE FRANÇAIS ET ROUMAIN DE
L’ESPACE : LES MOTS LIEU ET LOC*
Comme la majorité du vocabulaire roumain, le champ sémantique de
l’espace présente pour les deux langues toute une série de similitudes. Notre
démarche, de type sémasiologique, allant du français vers le roumain, se propose
de mettre en relief le grand nombre de convergences qui existent entre l’emploi de
ces mots dans le vocabulaire et, au niveau surtout les collocations, les divergences.
1. Les mots dérivés ou composés
Les mots fr. lieu et roum. loc sont des mots hérités, tous les deux provenant
du latin locus. Malgré ce fait, toute une série de mots dérivés ou composés en
roumain sont présentés par DEX comme des emprunts du français, bien qu’une
formation lexicale dans le vocabulaire roumain soit concevable au moins pour une
partie de ces mots. Il s’agit:
- de quelques adjectifs: local, -ă (du fr. local), locativ, -ă (du fr. locatif ),
locomobil, -lă (du fr. locomobile), locular, -ă (du fr. loculaire);
- du verbe localiza (du fr. localiser);
- de plusieurs substantifs: localitate (du fr. localité), locatar, -ă (du fr.
locataire), locaŃie (mot pour lequel DEX propose une double étymologie: le
français location et le latin location, -onis), locomoŃie (du fr. locomotion),
locomotivă (du fr. locomotive), locotractor (du fr. locotracteur), locùl (du fr.
locule), locuŃiune (mot à étymologie multiple, du français locution et du latin
locutio, -onis).
Dans le cas d’un mot relativement fréquent comme le mot roumain
locŃiitor, le dictionnaire cité invoque un type de composition provenant du français:
loc «lieu»+ Ńiitor «tenant» selon du modèle du mot français lieutenant (de lieu +
tenant). Nous mentionnons aussi l’élément de composition loco, provenant du
français loco- qui sert à former des substantifs. Au début du siècle passé, à en juger
des textes de Ion Luca Caragiale, le mot loco était employé en roumain aussi
comme adverbial, indiquant, quand il figurait sur l’enveloppe d’une lettre, que
celle-ci devait être envoyée à une adresse de la même ville.
Pour des raisons d’espace, nous nous contentons ici seulement de signaler
l’existence des mots dérivés du mot lieu ou loc dans les deux langues, ainsi que
leurs significations similaires sinon identiques (situation qui a déterminé,
probablement, l’idée que les mots cités sont en roumain des emprunts du français).
Les mots fr. lieu et roum. loc ont un sens très général, qui conduit à un éventail
assez large d’emplois sémantiques et pragmatiques. Au niveau sémantique, le mot
est lié à la présentation de la prédication spatiale, c’est-à-dire ils expriment la
position d’une certaine entité (appelée ‘cible’) par rapport à un espace, désigné le
plus souvent par le mot ‘site’.
Au niveau pragmatique, nous avons retrouvé des emplois déictiques,
opposés aux emplois anaphoriques. Nous avons retrouvé deux types de deixis: une
deixis spatiale mais aussi une deixis textuelle.
2. Les relations spatiales
Vu son sémantisme très général, la première signification des items que
nous étudions a comme dénotation la désignant d’un site ou d’une de ses sousparties:
(1)
(2)
(3)
FR. Voici le lieu du monde où tout devient facile... (Ch. Péguy, La Tapisserie
de Notre-Dame, 1913, p. 689)
ROUM. Iată locul din lume unde totul devine uşor….
FR. Oh! le lieu enchanteur resté dans ma pensée et que, crainte de
désenchantement, je n’ai jamais voulu revoir depuis (Goncourt, Journal,
1892, p. 303)
ROUM. O! locul fermecător ce mi-a rămas în suflet şi care, de frica unei
dezamăgiri, n-am mai vrut să îl revăd de atunci.
FR. Le lieu était absolument désert. Il n’y avait pas une âme dans le bois ni
dans la vallée. (Hugo, les Misérables, t. 1, 1862, p. 510).
ROUM. Locul era absolut pustiu. Nu era absolut nimeni, nici în pădure, nici în
vale.
Dans les autres emplois, les mots réfèrent la localisation dans l’espace
d’une certaine entité. Comme nous avons déjà mentionné, l’expression linguistique
de la relation spatiale consiste dans la localisation d’un objet, nommé ‘cible’, par
rapport à une autre entité, plus connue, plus grande ou ayant plus de notoriété, un
espace, nommé ‘site’. Les sémanticiens ont établi que les langues naturelles
codifient deux types de relations spatiales:
- des relations topologiques, qui peuvent exprimer (a) le fait que la cible est
soutenue par le site; nous parlons dans ce cas d’une relation topologique de support
(le livre est sur la table) ou (b) que la cible est contenue dans le site, se trouvant,
donc, dans une relation d’inclusion (la fillette joue dans le jardin);
- des relations projectives (a) de direction (l’arbre est à la droite de la
maison) ou (b) de distance (ma maison se trouve à deux pas de l’Université).
Le mot lieu et son quasi équivalent roumain loc expriment particulièrement
des relations topologiques d’inclusion:
(4)
(5)
FR. Le corps avait été trouvé, couché sur un banc de marbre rose, dans un
lieu écarté, au sommet des jardins. (Pierre Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 195).
ROUM. Corpul a fost găsit, culcat pe o bancă de marmură albă, într-un loc
izolat, în partea de sus a grădinilor.
FR. Chactas erra longtemps dans ce lieu: il visita la grotte du solitaire qu’il
rouva remplie de ronces et de framboisiers, et dans laquelle une biche allaitait
son faon. (François-René de Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 2,
1803, p. 275)
ROUM. Chactas rătăci îndelung în acest loc; vizită peştera singuratică pe
care o găsi plină de mărăcini şi de fragi şi în care o căprioară îşi alăpta iedul.
Dans ces exemples, la cible (le corps pour (4) et Chactas en (5)) est
totalement incluse dans l’espace désigné par l’adverbial dans ce / un lieu, qui
constitue le site.
Vu son sens très général, les mots lieu - loc fonctionne comme
hypéronyme pour un grand nombre de mots désignant des espaces spécifiques.
Pour cette raison, le mot se retrouve dans un grand nombre de définitions ou de
descriptions:
(6)
(7)
FR. Le mot église veut dire assemblement, le lieu en qui tous les chrétiens
réunis se trouvent assimilés dans l’unité d’un même corps mystique. (Paul
Claudel, La Jeune fille Violaine, 1901, p. 646)
ROUM. Cuvântul francez «église» înseamnă întrunire, locul în care toŃi
creştinii adunaŃi se găsesc asimilaŃi în unitatea aceluiaşi corp mistic.
FR. L’école est un lieu admirable. J’aime que les bruits extérieurs n’y entrent
point (Alain, Propos, 1929, p. 877)
ROUM. Şcoala este un loc admirabil. Îmi place mult că zgomotele din afară
nu intră aici deloc.
3. Les collocations
À part ces emplois locatifs, les mots lieu et loc se retrouvent dans un
grand nombre de collocations.1 C’est un type d’emploi où se retrouvent des
concordances et des divergences entre les deux langues.
3.1. Collocations convergentes
Notre corpus contient une seule conjonction composée au lieu de + INF et
în loc + Phsubj qui, à part la banale différence entre la construction de + Infinitif
en français et la subordonnée au conjonctif en roumain, sont tout à fait équivalentes:
(8)
(9)
FR. Au lieu d’améliorer, l’altitude aggravait l’état de Lionello. (R. Rolland,
Jean-Christophe, La Nouvelle journée, 1912, p. 1516)
ROUM. În loc să o îmbunătăŃească, altitudinea agrava starea de sănătate a lui
Lionello.
FR. Il y a une dose d’opium au-delà de laquelle l’effet s’émousse au lieu de
s’accentuer... (R. Vaillant, Drôle de jeu, 1945, p. 37)
ROUM. Există o doză de opiu dincolo de care efectul se estompează în loc să se
accentueze.
La même construction, avec la même signification adversative (entre la
situation supposée par le locuteur et la situation réelle) se retrouve, dans les deux
langues, avec un substantif à la place de d’une subordonnée, situation dans laquelle
les constructions en français et en roumain sont identiques:
(10)
(11)
FR. […] au lieu de bénéfices, la vente au détail donna des pertes. (L. Reybaud,
Jérôme Paturot, 1842, p. 391)
ROUM. […] în loc de beneficii, vânzarea cu amănuntul conduse la pierderi.
FR. Au lieu d’ammoniaque, on pourrait essayer d’autres genres de réactifs. (C.
Bernard, Cahier de notes, 1860, p. 157)
ROUM. In loc de amoniac, se pot încerca alte tipuri de substanŃe reactive.
Notre corpus contient aussi deux locutions verbales:
- avoir lieu → a avea loc, expression verbale très fréquente, exprimant une
prédication affirmant l’instauration d’une certaine situation:
(12)
(13)
FR. La cérémonie / la visite / le repas / l’exécution aura lieu demain.
ROUM. Ceremonia / vizita / masa / execuŃia va avea loc mâine.
FR. Le vote final / le crime a eu lieu le 25 janvier.
ROUM. Votul final / crima a avut loc pe 25 ianuarie.
- tenir lieu → a Ńine loc:
(14)
(15)
FR. Seul le cri fait vivre; l’exaltation tient lieu de vérité. (A. Camus, L’Homme
révolté, 1951, p. 70)
ROUM. Numai strigătul te face să trăieşti exaltarea Ńine locul adevărului.
FR. La raison est abeille, et l’on n’exige d’elle que son produit; son utilité lui
tient lieu de beauté. (J. Joubert, Pensées, 1824, p. 165)
ROUM. RaŃiunea e albină şi nu i se cere decât să producă; utilitatea îi Ńine loc
de frumuseŃe.
Les mots lieu - loc apparaissent surtout dans des expressions nominales.
Une des collocations nominales les plus fréquentes a la structure lieu + de, locution
qui a plusieurs traductions possibles en roumain, selon le contexte.
- lieu de → loc de; cette équivalence se retrouve dans des contextes du
type lieu de réunion → loc de întrunire, lieu(x) de travail → loc de muncă, lieu de
retraite → loc de refugiu, lieu de divertissement → loc de distracŃie, lieu d’asile →
loc de refugiu / azil, lieu de passage → loc de trecere:
(16)
FR. Et la cathédrale? Elle est lieu d’asile. (Jean Cocoteau, Bacchus, 1952, III, 1, p.
170)
ROUM. Şi catedrala? E loc de azil.
(17)
FR. Bourg écarté, ignoré, qui n’est pas même lieu de passage, où l’on n’arrive
que par des chemins impraticables. (Paul-Louis Courier, Pamphlets politiques,
Pétition aux deux Chambres, 1816, p. 7)
ROUM. Târg izolat, ignorat, nu nici măcar un loc de trecere, nu poŃi ajunge
acolo decât pe drumuri impracticabile.
(18) FR. ... pour tuer le temps, il résolut de pousser jusque chez Vidal, un libraire du
Faubourg Saint-Antoine, dont l’arrière-boutique servait de lieu de réunion à ce
groupe d’intellectuels
anarchisants qui éditaient l’Élan Rouge. (R. Martin du
Gard, Les Thibault, L’Été 1914, 1936, p. 504)
ROUM. … ca să-şi treacă timpul, hotărî să se ducă până la Vidal, un librar din
cartierul Saint-Antoine care avea în spatele prăvăliei o cameră ce servea drept
loc de întrunire pentru acest grup de intelectuali ce aveau înclinaŃii spre
anarhism şi care editau Elanul Roşu.
- lieu de → loc + ADJ:
(19)
(20)
FR. Je l’ai mis en lieu d’assurance. (Académie 1798-1932)
ROUM. L-am pus la loc sigur.
FR. Cet étourdi s’est fait mettre en lieu de sûreté (Académie 1835, 1878)
ROUM. Zăpăcitul nu s-a lăsat până nu a fost pus la loc sigur / la păstrare.
Le mot lieu peut apparaître aussi comme deuxième élément du syntagme N
+ de lieu, apparaissant comme expension d’une ‘tête’ nominale. Pour cette
structure il se manifeste le fait que la préposition de est, en français aussi
morphème du génitif. Dans d’autre cas, le syntagme prépositionnel de lieu se
traduit en roumain avec l’adjectif local en variation libre avec le génitif locului.
- N + de lieu → Nom + locgénitif ; il s’agit de contextes du type maître du
lieu → stăpânul locului, la dame du lieu → doamna / stăpâna locului, la beauté du
lieu → frumuseŃea locului, la solitude du lieu → singurătatea locului, etc.:
(21)
(22)
FR. Quant au maître du lieu (...) il va au buffet et en rapporte un verre et un
couvert qu’il pose sur la table (V. Hugo, Ruy Blas, 1838, IV, 2, p. 417)
ROUM. Cât despre stăpânul locului (…) merge la bufet şi aduce de acolo un
pahar şi un tacâm pe care-l pune pe masă.
FR. Les vallons verts succédaient aux vallons verts en cet endroit avec régularité,
et le mystère du lieu était aggravé par l’impression que donnait la tombée du
soir. (P.-J. Jouve, La Scène capitale, 1935, p. 194)
ROUM. Văi verzi urmează unor văi verzi, în acest loc, cu regularitate iar
misterul locului era mărit de impresia pe care o dădea căderea serii.
- N + du lieu → N + local / locului; nous avons trouvé dans le corpus un
grand nombre d’expressions de ce type : dandysme du lieu → dandysmul local /
loculul, langue du lieu → limba locală / locului, académie du lieu → academia
locală / locului, tribunal du lieu → tribunalul local / locului, habitués du lieu →
obişnuiŃii locului:
(23)
(24)
FR. Des gilets jaunes et des gants noirs. Le dandysme du lieu consiste, je
crois, dans cette affectation à mépriser le costume civique (Gustave Flaubert,
Champs et grèves, 1848, p. 174)
ROUM. Jiletci galbene şi mănuşi negre. Dandysmul local constă, cred, din
acest dispreŃ ostentativ faŃă de costumul obişnuit.
FR. Le tribunal du lieu où la succession est ouverte a compétence (...) pour les
demandes entre héritiers jusqu’au partage inclusivement (Nouv. rép. de dr., Paris,
Dalloz, 1965, s.v. succession, no 14).
(25)
ROUM. Tribunalul local, unde succesiunea a fost deschisă, are competenŃe
pentru cererile urmaşilor inclusiv până la partaj.
FR. ... j’ai lu dans les journaux la biographie d’un Américain. Il a légué son
immense fortune à des fondations scientifiques, son squelette aux étudiants de
l’académie du lieu, et sa peau pour en faire un tambour... (A. Camus,
Possédés, 1959, 2e part., 8e tabl., p. 1015).
ROUM. … am citit în ziare biografia unui american. A lăsat moştenire imensa sa
avere unor fundaŃii ştiinŃifice, scheletul studenŃilor de la academia locală şi
propria piele pentru ca sa se facă din a o tobă.
- lieu + ADJ → loc + ADJ ; nous pouvons citer comme exemples saints
lieux → locuri sfinte, lieu(x) commun(s) → loc(uri) comun(e), lieu géométrique →
loc geometric, etc.
(26)
(27)
FR. Voilà ceux qui ont renversé ces saints lieux, ces saintes maisons, qui en
ont fait des écuries!... Quand l’Église ne réforme pas de tels abus, (...) Dieu
châtie ainsi des crimes par d’autres crimes. (Félix Dupanloup, Journal, 1851,
p.
141)
ROUM. Iată-i pe cei care au distrus aceste locuri sfinte, aceste sfinte case, care au
făcut din ele grajduri!... Când biserica nu corectează asemenea abuzuri, Dumnezeu
pedepseşte în felul acesta crimele, prin alte crime.
FR. Zaza utilisait les lieux communs un peu plus élégamment que moi;
mais ni l’une ni l’autre nous n’exprimions rien de ce qui nous touchait vraiment.
(Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, p. 119)
ROUM. Zaza folosea locurile comune ceva mai elegant decât mine; dar
nici una nici alta nu exprimam nimic din ceea ce ne afectează profund.
Signalons, enfin, deux expressions de nature administrative contenant le
mot lieu, qui se retrouvent aussi en roumain. La première regarde la date et le lieu
de naissance, qui apparaissent dans les documents officiels servant à prouver
l’identité, comme la carte d’identité, le passeport, les cartes professionnelles, etc.
(28)
FR. - Levez-vous. Vos nom, prénoms? - Lédard François. - Lieu et date
de
naissance?
-Amiens, 26 août 1895. (Roger Vercel, Capitaine Conan, 1934, p. 81)
ROUM. - RidicaŃi-vă. Nume şi prenume? - Lédard François. - Locul şi
data naşterii?
-Amiens, 26 august 1895.
La deuxième expression, souvent employé dans les documents officiels, a
la forme lieu dit + Nom propre et concerne le nom des lieux:
(29)
FR. L’an 1906, le dimanche 22 juillet, à une heure de relevée, à la requête
de M. Lureux Étienne, fermier au lieu dit l’Épine, sis commune de
Fonteneilles. (R. Bazin, Blé, 1907, p.
255)
(30)
ROUM. În anul 1906, duminică 22 iulie, la ora unu după amiaza, la cererea
domnului Lureux Etienne, fermier din locul numit Spinul, situat în comuna
Fonteneilles.
FR. Toutes les localités ou propriétés appelées «la Commanderie» ont été
bâties ou possédées par les chevaliers de l’Ordre de Malte (...) comme les lieux
dits le «Temple». (Marcel Proust, Sodome, 1922, p. 1104).
ROUM. Toate localităŃile sau proprietăŃile numite «Comandament» au fost
construite sau au fost proprietatea cavalerilor Ordinului de Malta, ca şi locurile
numite «Templul».
Enfin, le mot lieu entre dans la composition de plusieurs adverbiaux à sens
spatial : en lieu - în / la locul, de lieu en lieu - din loc in loc, de ce lieu - din acest
loc, en tout lieu → în orice loc, etc.:
(31)
(32)
(33)
FR. Je vous montrerai mon visage, duc, en lieu et en temps opportun. (T.
Gautier, Capitaine Fracasse, 1863, p. 209)
ROUM. Vă voi lăsa să-mi vedeŃi faŃa, domnule duce, în locul şi în momentul
potrivit.
FR. Et tu errais de lieu en lieu, comme tous les gens maudits (P. Claudel,
Échange, 1954, II, p. 767).
ROUM. Şi rătăceai din loc în loc, ca toŃi cei blestemaŃi.
FR. Quel démon nous chasse de ces lieux? Eh quoi! Ne trouverons-nous
jamais l’abri où reposer nos vieux os de vagabonds?» (O.-V. Milosz,
L’Amoureuse initiation, 1910, p. 203)
ROUM. Ce diavol vă alungă din aceste locuri? Şi ce anume? Oare nu vom
găsi niciodată un adăpost unde să ne odihnim oasele bătrâne de vânturălume?
Comme on le voit, le français et le roumain présentent toute une série de
similitudes non seulement quant aux significations des lexèmes lieu et loc mais
aussi dans leurs collocations. Au niveau des emplois et des collocations les deux
langues contiennent aussi toute une série de différences, présentées dans la section
suivante.
3.2. Collocations divergentes
Les expressions divergentes se situent aussi dans la catégorie nominale,
adjectivale, verbale et adverbiale. Pour la catégorie nominale, les divergences
concernent surtout des syntagmes Nom + Adjectif. Nous avons trouvé aussi des
substantifs composés traduits par des syntagmes.
Nous présentons la liste des plus fréquentes collocations à traduction
divergente:
- lieu natal → loc de baştină, de naştere, de origine:
(34)
FR. Oh! quel cœur si mal fait n’a tressailli au bruit des cloches de son lieu
natal! (Chateaubrilland, Génie du Christianisme, t. 1, 1803, p. 420)
ROUM. Oh, ce inimă, orucât de rău făcută, nu a tresărit auzind clopotele din
locul său de baştină!
- lieux publics (où l’on se distrait) → localuri (publice)
(35)
FR. Tous les lieux publics se dégorgeaient à la fois dans la rue. La chaussée
moutonnait; des gens tumultuaient chez un marchand de tabac pour allumer
leurs cigarettes et leurs pipes (Joris - Karl Huzsmans, Sœurs Vatard, 1879, p.
143)
ROUM. Toate localurile se goleau toate odată în stradă. Strada era plină;
oamenii se înghesuiau într-o tutungerie ca să-şi aprindă Ńigările şi pipele.
- mauvais lieu - loc / local rău famat
(36)
FR. La nuit s’avançait; les mauvais lieux seuls restaient ouverts. (Pierre
Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 26)
ROUM. Noaptea era târzie, numai localurile rău famate mai erau deschise.
- chef-lieu (de canton, de département, etc.) → capitală (de canton, de
departament, etc.):
(37)
FR. ... il la menait, les jours de fête, au chef-lieu du département, et, affublée
de tous ses atours, la petite femme dansait là de tout son cœur avec la garnison,
dans les salons de la préfecture. (A. de Musset, La Confession d’un enfant du
siècle, 1836, p. 245)
ROUM. … o conducea, în zilele de sărbătoare, în capitala departamentului şi,
împodobită cu toate aceste atuuri, femeiuşca dansa acolo din toată inima cu
membrii garnizoanei, în saloanele prefecturii.
- non-lieu → NUP (= neînceperea urmăririi penale)
(38)
FR. Le juge d’instruction Denizet avait rendu une ordonnance de non-lieu, à
l’égard de Cabuche, motivée sur ce qu’il n’existait pas contre lui de charges
suffisantes (Emile Zola, la Bête humaine, 1890, p.120).
ROUM. Judecătorul de instrucŃie Denizet dăduse o sentinŃă de NUP în
privinŃa lui Cabuche, motivată de faptul că nu existau contra lui dovezi suficiente.
Nous avons trouvé dans notre corpus une seule collocation de type
adjectival, l’expression sans feu di lieu → fără carte nici parte:
(39)
FR. Pourquoi parles-tu de renverser le gouvernement (...) tu as une femme, tu as
une fille (...). Il n’y a que les gens sans feu ni lieu, n’ayant rien à perdre, qui
veulent des coups de fusil. (Émile Zola, Ventre Paris, 1873, p. 759)
ROUM. De ce vorbeşti de răsturnarea guvernului (…) ai nevastă, ai o fiică (…).
Numai oamenii fără carte nici parte, neavând nimic de pierdut, vor să se
tragă cu puşca.
Il existe plusieurs collocations de type verbal, qui se traduisent
différemment en roumain:
- avoir lieu de → a avea motive să
(40)
Cas
FR. Avez-vous lieu de présumer que vous soyez le père de l’enfant que
Mme
Luneau porte dans son flanc? (Guy de Maupassant, Contes et nouv., t.1,
Mme Luneau, 1883, p. 109)
ROUM. AveŃi motive să presupuneŃi că sunteŃi tatăl copilului pe care doamna
Luneau îl poartă la sân?
- dégarnir les lieux → a scoate / a lua mobilele
(41)
FR. L’année étant payée, il peut dégarnir les lieux. (H. de Balzac, C. Birotteau,
1837, p. 373).
ROUM. Chiria pe un an fiind plătită, poate să-şi scoată mobilele.
- il y a lieu de → e cazul să
(42)
FR. Ce délai pourra être prolongé, s’il y a lieu. (Code civil, 1804, p. 193)
ROUM. Acest termen va putea fi prelungit, dacă e cazul.
- donner lieu → a produce, a conduce la
(43)
FR. À Limburg, et dans la plupart des stalags, le magasin d’habillement
donna lieu à de honteux profits (Francis Ambrière Grandes vacances, 1946, p.
162)
ROUM. La Limberg şi în majoritatea lagărelor de prizonieri, magazia de
îmbrăcăminte a produs profituri ruşinoase.
- avoir lieu de … → a avea motive să
(44)
FR. Malheureusement, si j’ai lieu d’être satisfait des offres pécuniaires, je ne le
suis pas du tout des jeunes gens qu’on me présente pour me succéder.
(F.
Fabre, Mlle de Malavieille, 1865, p. 43)
ROUM. Din păcate, dacă am motive să fiu satisfăcut de ofertele pecuniare, nu
sunt deloc mulŃumit de tineri ce îmi sunt prezentaŃi ca să îmi preia postul.
- il y a lieu de → sunt motive să
(45)
FR. […] l’attention de la Bourse est retenue en ce moment par les valeurs de
pétrole. Mais il n’y a pas lieu de se presser étant donné les excellentes
dispositions du marché. (Marcel Proust, La Fugitive, 1922, p. 631)
ROUM. […] atenŃia Bursei est reŃinută în acest moment de valorile petrolului.
Dar nu sunt motive să ne grăbim, dat fiind excelentele tendinŃe ale
pieŃii.
Le mot lieu entre dans la structure de plusieurs expressions adverbiales
ayant une traduction différente en roumain :
- en premier lieu, en deuxième lieu … → în primul rând, în al doilea
rând…
(46)
FR. Je vous prie d’abord de m’écouter, et en second lieu de me faire une
grâce. (A. de Musset, Comédies et proverbes, La quenouille de Barberine,
1840, I, 1, p. 277)
ROUM. Vă rog mai întâi să mă ascultaŃi şi, în al doilea rând, să-mi faceŃi o
favoare.
- sur les lieux - la faŃa locului
(47)
FR. À l’annonce d’un événement sensationnel, le grand reporter boucle sa
valise, saute dans le train ou prend l’avion, et arrive sur les lieux. (G. et H.
Coston, L’A.B.C. du journalisme, 1952, p. 110)
ROUM. La vestea unui eveniment senzaŃional, un mare reporter îşi face
valiza, sare în tren sau ia avionul şi ajunge la faŃa locului.
- en haut lieu → acolo sus / în sferele înalte
(48)
FR. En haut lieu, on a cru pouvoir supprimer la sûreté; les exécutants du
premier rang la rétabliront; ils n’avanceront pas en aveugles au milieu du
danger, c’est humain; ... (Ferdinand Foch, Des Principes de la guerre, 1911, p.
232)
ROUM. În sferele înalte, s-a crezut că se poate suprima siguranŃa; executanŃii
din primele rânduri o vor restabili; nu vor înainta orbeşte în mijlocul pericolului;
e un lucru omenesc.
4. Emplois pragmatiques
L’item lieu se retrouve employé pragmatiquement, en tant que déictique.
Dans des emplois spatiaux, il désigne le lieu où se trouvent les locuteurs. Ce type
d’usage est commun aux deux langues:
(49)
(50)
FR. Une inscription très effacée où je déchiffre qu’il est mort en ce lieu à
cinquante-huit ans. (Albert T’Serstevens, Itinéraire espagnol, 1963, p. 241).
ROUM. O inscripŃie foarte ştearsă unde descifrez că a murit în acest loc la
cincizeci şi opt de ani.
FR. - Sortez! fit-il. - Mais... - Plus un mot! Sortez, vous dis-je; allons, oust!
hors d’ici! quittez ce lieu que vous déshonorez de votre ignoble présence!
(Georges Courteline, Ronds-de-cuir, 1893, 5e tabl., 1, p. 172)
ROUM. - IeşiŃi afară. făcu el. - Dar… - Nici un cuvânt. Afară, vă zic; valea!
hai, repede! afară de aici! părăsiŃi acest loc, pe care îl dezonoraŃi cu nedemna
dumneavoastră prezenŃă!
Le mot lieu apparaît aussi dans la deixis textuelle, situation dans laquelle il
marque un certain endroit du texte, à savoir pour l’auteur, la partie qu’il est en train
d’écrire et pour le lecteur - la section qu’il est en train de lire.
(51)
(52)
FR. C’est sans doute le lieu de dire ici le service que j’eus l’occasion de
rendre au maréchal French (Joseph Joffre, Mémoires, t. 1, 1931, p. 479).
ROUM. Aici e fără îndoială locul să spun despre serviciul pe care am avut
ocazia să i-l fac mareşalului French.
FR. C’est ici le vrai lieu de parler des propriétés du chocolat à l’ambre,
propriétés que j’ai vérifiées par un grand nombre d’expériences, et dont je suis fier
d’offrir le résultat à mes lecteurs. (J.-A. Brillat - Savarin, Physiologie du goût,
1825, p. 118)
ROUM. Aici e locul potrivit să vorbesc despre proprietăŃile ciocolatei cu
ambră, proprietăŃi pe care le-am verificat printr-un mare număr de experienŃe
ale căror rezultate sunt mândru să le ofer cititorilor mei.
Comme il arrive souvent, les emplois déictiques s’opposent à des emplois
anaphoriques, ayant un caractère syntaxique et sémantique. La reprise anaphorique
par le substantif lieu de divers syntagmes désignant des zones de l’espace (y
compris des noms propres) est due au sens spatial très général de ce substantif:
(53)
(54)
FR. La troupe infortunée arriva enfin à Turin; lieu si désiré et qui nous semblait
devoir être le terme de nos malheurs. (G. Sénac de Meilhan, L’Émigré, 1797, p.
1609)
ROUM. Nefericita trupă ajunse, în sfârşit la Torino; loc atât de dorit şi
care ni se
părea sfârşitul nenorocirilor noastre.
FR. Les amphithéâtres [à Rome] étaient devenus les lieux d’exécution; les
tribunaux fournissaient l’arène. (Ernest Renan, Antéchrist, 1873, p. 164).
ROUM. Amfiteatrele [la Roma] deveniseră locuri de execuŃie; tribunalele erau
furnizorii arenei.
Le caractère de reprise anaphorique dérive de la co-référentialité du
substantif lieu, respectivement loc avec le nom de la ville de Turin ou avec le SN
les amphithéâtres.
4. Conclusion
Notre examen d’un corpus constitué par plus de 4.700 d’occurrences du
mot lieu en français (occurrences présentes dans le Trésor de la Langue Française
informatisé) et de leurs équivalences en roumain montre le grand nombre de
convergences entre les deux langues. Du point de vue sémantique, l’emploi spatial
des deux mots correspond à l’expression d’une relation topologique d’inclusion de
la cible dans le site. Les emplois déictiques (spatiaux et textuels) se retrouvent
aussi dans les deux langues, tout comme les emplois anaphoriques.
Même pour les collocations, nous avons identifié un nombre important de
syntagmes, pratiquement, identiques, appartenant à divers classes morphologiques
(substantifs, adjectifs, verbes, adverbiaux). Il existe, bien sûr, un certain nombre de
divergences, qui se manifestent toujours au niveau des collocations. Ce fait illustre
le concept saussurien de ‘valeur’, selon lequel la position de chaque unité
linguistique dans le système constitué par une certaine langue est spécifique et
différente, dans une certaine mesure, de la position d’une autre unité (même
rapprochée) appartenant à un autre système linguistique.
*Adriana Costăchescu, Analele UniversităŃii din Craiova, Langues et Littératures romanes, 2009, p.
160-173.
NOTES
1. Vu le grand nombre d’acceptions du terme ‘collocation’ en linguistique, nous l’employons avec
son sens étymologique, de cooccurrence privilégiée, de combinaison de mots dont la fréquence est
plus haute que celle conforme aux lois de la probabilité.
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TLFi = (2003), Trésor de la langue française informatisé. Paris, CNRS.
ÉTUDE LEXICO-SÉMANTIQUE DU MICRO-CHAMP
LEXICAL DES MEUBLES DE RANGEMENT EN
FRANÇAIS ET EN ROUMAIN*
1. Introduction
1.1. L’influence française sur le lexique du roumain
Les linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout
contact plus ou moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne
inévitablement des interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est
représenté par l’emprunt lexical. L’emprunt mais aussi le calque représentent un
moyen privilégié de diversification et d’enrichissement du fonds lexical de toutes
les langues naturelles.
Dans le cadre de cette problématique, on peut souligner, une fois de plus,
le rôle qu’a joué l’influence française pour l’achèvement du caractère moderne du
roumain littéraire. Car, suite aux contacts avec les langues de culture de l’Europe
Occidentale, le français en tout premier lieu, puis l’italien, mais aussi le latin
savant1 (Popescu 2010), le roumain aboutit à connaître, à partir de la fin du XVIIIe
siècle, mais surtout tout au long du XIXe siècle et de la première moitié du XXe
siècle, un ample processus de modernisation consistant dans la relatinisation, ou
plutôt la re-romanisation de sa structure, en général, et du vocabulaire, en
particulier.
L’influence française représente sans conteste le principal moyen
d’enrichissement et de modernisation, ainsi que de redéfinition de la physionomie
néo-latine du roumain, dans l’aire de la romanité sud-est européenne. L’insertion
des termes néologiques d’origine française dans le lexique de cette langue a été
faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine, contribuant ainsi à la
redéfinition de la physionomie lexicale du roumain, en tant que langue néo latine.
Pour illustrer l’importance de l’influence française, nous avons fait une
statistique sur le plus important dictionnaire d’usage général de la langue roumaine
(le DEX), ayant obtenu un pourcentage de 39% mots empruntés au français (Dincă
2010)2. En effet, la terminologie scientifique et technique, sociale, politique,
administrative, juridique, économique, artistique n’est plus à concevoir aujourd’hui
sans l’apport quantitatif, mais aussi qualitatif, des mots d’origine française : ajustaj,
alfanumeric, amilogramă, anclaşa, a azura, barbotaj, butanonă, carbamat,
cenogeneză, cenotip, cetogeneză, clorurie, coligativ, compresibilitate, fon, foton,
etc. Un grand nombre de néologismes apparaît aussi dans ce qu’on appelle ‘le
langage usuel’, comme expression des notions les plus nécessaires de la vie
courante : abonament, creion, coafor, dans, detaliu, frontieră, gri, magazin,
matineu, obstacol, naiv, a neglija, opinie, penibil, permanent, a traversa, tren, etc.
1.2. Objectifs visés dans l’article
Vu leur présence massive en roumain, les emprunts au français ont fait
l’objet de nombreuses études portant sur des aspects variés tels que dynamique,
domaines de manifestation, adaptation et, dans une moindre mesure, aspects
sémantiques3.
En nous référant au champ sémantique du mobilier, on constate d’emblée
que dulap (= armoire), pat (= lit), masă (= table), scaun (= chaise) mis à part, les
mots qui désignent les objets formant le mobilier sont d’origine
française : balansoar (du fr. balançoire), bibliotecă (du fr. bibliothèque), birou (du
fr. bureau), bufet (du fr. buffet), canapea (du fr. canapé), comodă (du fr. commode),
dormeză (du fr. dormeuse), etajeră (du fr. étagère), fotoliu (du fr. fauteuil),
garderob (du fr. garde-robe), servantă (du fr. servante), şezlong (du fr. chaiselongue), şifonier (du fr. chiffonnier), taburet (du fr. tabouret), etc.
Dans cet article, l’analyse que nous proposons porte sur trois points
principaux :
(i) la description lexicographique de quelques mots appartenant au microchamp des meubles de rangement ayant comme archisémème le trait « petite
armoire »: fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum.
servantă ;
(ii) l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur étymon
français ;
(iii) la corrélation entre la description linguistique et la réalité
extralinguistique (l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).
1.3. Démarche méthodologique
Notre démarche est fondée, en principal, sur l’analyse des traits sémiques
que nous avons considérés comme pertinents pour la définition du sens global de
chaque lexème, ce qui permet la différenciation entre les référents et, par voie de
conséquence, entre leurs dénominations (voir infra les confusions relevées à cet
égard). Les traits communs et distinctifs que nous avons pris en considération pour
l’analyse sémantique des lexèmes dans les deux langues considérées sont:
(i) traits physiques: forme, hauteur, nombre de corps;
(ii) présence de certains éléments constitutifs: tiroirs, battants, etc.;
(iii) destination: pour le linge, pour les habits, pour la vaisselle, etc.;
(iv) location: salle à manger, salle de séjour, chambre à coucher, cuisine,
salle de bains.
Pour la description lexicographique que nous proposons, les sens français
sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires GRLF,
GLLF et le Littré ; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX, le DLRC et le
DN4.
2. Analyse lexico-sémantique
2.1. Typologie sémantique
Une analyse sémantique des emprunts roumains au français effectuée dans
le cadre d’un projet de recherche5 a fait ressortir la typologie suivante:
(i) conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de l’étymon
français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en
français (situation rencontrée dans le cas des mots appartenant à un domaine
spécialisé, technique et scientifique);
(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de
départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à
travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de
sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc. (v.
Iliescu et al. 2010: 593).
2.2. Analyse du micro-champ lexical des meubles de rangement
L’analyse que nous proposons dans cet article est une brève illustration de
ces deux cas: d’une part, sens conservés et, de l’autre, sens développés à l’intérieur
de la langue roumaine. Nous tenons à préciser qu’à part les sens des lexèmes
relevant du micro-champ des meubles de rangement, nous présenterons également
les sens initiaux ou ceux qui en dérivent, afin d’avoir une vue d’ensemble sur leurs
évolutions sémantiques.
2.2.1. - fr. buffet / roum. bufet
buffet, s.m. 1. (vieux) table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin
servi au repas. Par métonymie : a. la vaisselle elle-même ; b. personnel chargé du
service au buffet ; c. pièce où le personnel prend ses repas (office) ; (usuel) dans
un bal, une réunion de société, table où sont disposés les mets, la pâtisserie, les
boissons. Par métonymie : a. pièce où sont dressées les tables lors d’une réunion. b.
les consommations servies sur les tables ; 2. meuble, le plus souvent à deux corps,
destiné à recevoir la vaisselle, le linge, le service de table ; 3. (en milieu pop.)
meuble identique, servant en outre de garde-manger. Par analogie : (pop.) estomac.
Par extension populaire : la poitrine, le tronc, le ventre ; 4. (emplois techniques) : a.
(mus.) corps de menuiserie contenant le mécanisme d’un orgue. Par métonymie :
(petit) orgue de salon, de boulevard, etc. ; b. (constr.) tablements de pierre adossés
à un mur ou placés au fond d’une niche, disposés en gradins, supportant des
vasques, bassins ou coupes de manière à faire rejaillir l’eau en nappes ou cascades.
bufet, s.n. 1. petite unité de restauration où l’on sert des repas (froids), des
boissons, etc. Par extension : (au théâtre ou au bal) chambre ou table où l’on sert
des repas froids, des pâtisseries, des boissons et du café. Par extension : la
nourriture qu’on y sert ; 2. meuble, dans la salle à manger et dans la cuisine,
destiné à recevoir la vaisselle, les couverts, les verres, l’argenterie, etc. ; 3. (argot)
estomac.
En ce qui concerne l’étymologie du mot français buffet, on a émis, d’une
part, l’hypothèse d’une dérivation de la racine onomatopéique buff- (exprimant le
bruit d’un souffle, d’un déplacement d’air) et, de l’autre, l’hypothèse moins
satisfaisante d’une formation à partir de buff- interprété comme exprimant une idée
de gonflement, parce que ce meuble serait ventru ou objet d’apparat, avec
rapprochement de l’ancien français bufoi «orgueil, présomption» (TLFi).
Ce mot est attesté dès 1150 avec le sens de «escabeau», puis il a évolué
vers le sens de «table, dressoir, comptoir» (1268), pour acquérir en 1547
l’acception de «meuble de rangement». Les premiers sens sont donc liés à l’idée de
mobilier de différents types. Parmi les sens qui sont indiqués dans le TLFi, le
premier est vieilli : « table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin
servi au repas » et, par métonymie, «la vaisselle elle-même», «le personnel chargé
du service au buffet» et «la pièce où le personnel prend ses repas (office)». Le sens
moderne, attesté en 1832, est celui de «table où sont servis des plats froids, des
pâtisseries, des rafraîchissements à l’occasion d’une réception privée ou publique»
(in GRLF).
On retrouve aussi ce sens pour l’emprunt roumain bufet: «au théâtre ou au
bal, chambre ou table où l’on sert des repas froids, des pâtisseries, des boissons et
du café» (in DA). C’est d’ailleurs ce sens qui est illustré dans l’exemple fourni par
le dictionnaire: Am venit să-Ńi spun, … că asară în bufetul teatrului, N. mi-a dat o
palmă. (Negruzzi, in DLR) (= Je suis venu te dire qu’hier soir, au buffet du théâtre,
N. m’a giflé).
Il s’agit donc d’un sens emprunté au français, que le roumain emploie
depuis la première moitié du XIXe siècle, le mot bufet étant attesté en 1835 (cf.
RDW).
Par métonymie, à partir du sens de «table où sont disposés les mets», le
mot français a développé des sens supplémentaires: «pièce où sont dressées les
tables lors d’une réunion» et «les consommations servies sur les tables». Le mot
buffet s’est enrichi aussi du sens de «unité de restauration», qui, bien que non
précisé explicitement dans les dictionnaires, résulte des emplois tels que le buffet
campagnard, où l’on sert des charcuteries et du vin (le buffet traditionnel étant
plutôt constitué de petits fours accompagnés de champagne, whisky, etc.), ou le
buffet de gare, un café-restaurant installé dans les gares importantes (cf. GRLF,
GLLF).
Le mot roumain bufet a emprunté au français ce dernier sens, pour désigner
couramment «une unité de restauration où l’on sert des repas froids, des boissons,
etc.» (DA, DEX), alors que, dans le milieu rural, le mot bufet renvoie à une sorte
de bistrot où l’on ne consomme que des boissons. Un autre emploi apparaît dans le
syntagme bufetul Parlamentului (= le buffet du Parlement), local où l’on ne trouve
pas de repas froids mais des mets chauds à la ligne ou à la carte (cf. fr. la buvette
de l’Assemblée Nationale, la buvette des parlementaires).
Une deuxième extension est celle de buffet suédois / bufet suedez,
syntagme qui est très peu utilisé en français, où l’on emploie soit buffet, soit des
expressions pour suggérer la richesse des repas : petits déjeuners gourmands en
buffet
(www.hotelrcadien.com/usersimage/File/Offres_%20speciales_Arcadien_ete), par rapport au
roumain, où l’expression bufet suedez est d’un usage très répandu aussi bien pour
les repas qu’on organise pour les anniversaires à la maison que pour les repas
qu’on sert dans les restaurants, surtout le matin quand il y a un grand choix à faire
entre les divers mets6.
Dans le domaine du mobilier, le buffet est une sorte d’armoire, le plus
souvent à deux corps, destinée à recevoir la vaisselle, le linge, le service de table
(TLFi), «assez basse et de forme parallélépipédique, fermée par des battants»
(ajoute le GRLF). On le retrouve surtout dans les salles à manger, mais également
dans les cuisines, sous forme de deux corps, mais aussi un seul corps à deux ou à
trois portes, avec éventuellement des tiroirs, ce qui mène à une confusion de
signifiants (buffet et commode) pour le même signifié (voir infra).
En outre, le mot buffet ajoute, en milieu populaire, une autre
acception: «meuble servant de garde-manger» (TLFi). Par analogie de destination
et, évidemment avec une intention humoristique, il s’ajoute aussi le sens
métaphorique de « estomac, ventre », attesté en 1803 et utilisé dans les expressions
populaires: avoir le buffet garni, le buffet vide, de même que dans les expressions
danser
devant
le
buffet
et
n’avoir
rien
dans
le
buffet
(www.mediadico.com/dictionnaire/expression/Buffet/1).
Le sens de « estomac » est enregistré pour le roumain aussi. (ARGOU).
Le mot buffet connaît aussi des emplois techniques, signifiant, dans le
domaine musical, «un corps de menuiserie contenant le mécanisme d’un orgue» et,
par métonymie, «un (petit) orgue de salon, de boulevard», etc. En architecture, le
mot buffet a l’acception de «tablements de pierre adossés à un mur ou placés au
fond d’une niche, disposés en gradins, supportant des vasques, bassins ou coupes
de manière à faire rejaillir l’eau en nappes ou cascades», étant utilisé dans le
syntagme buffet d’eau, car les sèmes du lexème initial qui y sont valorisés sont
ceux de [+position verticale] et [+caractère fonctionnel].
Le mot roumain bufet n’a pas ces acceptions techniques.
Donc le fr. buffet au sens de «espèce d’armoire» est attesté en 1547,
dérivant de celui de «table, dressoir» (1268), qui dérive à son tour de «escabeau»
(1150). Le mot s’emploie aussi pour désigner une pièce où sont dressées les tables
lors d’une réunion, d’où les extensions actuelles au sens de «unité de restauration»
(cf. le buffet de la gare).
En tant que meuble de rangement, le fr. buffet se caractérise par les traits
sémiques suivants:
(i) traits physiques : meuble bas et large, à deux corps;
(ii) présence de certains éléments constitutifs: avec des battants, avec ou
sans tiroirs;
(iii) destination : pour le linge et la vaisselle;
(iv) location : cuisine et salle à manger.
Les extensions apparaissent en milieu populaire et visent la
destination: «meuble servant de garde-manger». Le mot connaît aussi des emplois
techniques, par analogie de forme et / ou de fonction, dans les domaines musical et
architectural.
Le mot roumain bufet est attesté en 1835 avec le sens de «petite unité de
restauration» (cf. bufetul teatrului = le buffet du théâtre), sens qui s’est maintenu et
développé dans des syntagmes comme bufetul parlamentului (= le buffet du
Parlement), bufetul gării (= le buffet de la gare), bufetul din sat (= le buffet du
village).
À la même époque, le roumain a emprunté aussi le sens de «espèce
d’armoire », avec tous les traits de son étymon. Le mot est encore utilisé avec cette
acception, surtout en milieu rural, pour les cuisines modernes les termes les plus
utilisés étant actuellement dulap de bucătărie (= armoire de cuisine), comodă cu
corp suspendat (= commode à corps suspendu / à étagère).
Contrairement au français, dans le cas du mot roumain ne sont pas
enregistrés d’emplois techniques.
2.2.2. - fr. commode / roum. comodă
commode, s.f. 1. (vx.) sorte de coiffure ; 2. meuble bas et large, souvent richement
travaillé, muni de tiroirs pour y renfermer du linge et des habits.
comodă, s.f. 1. meuble à hauteur d’appui avec de larges tiroirs superposés où l’on
range du linge et des habits.
Le nom commode représente, du point de vue étymologique, la
substantivation de l’adjectif commode, en raison du caractère éminemment pratique
de ce meuble (cf. TLFi).
Le sens ancien «sorte de coiffure», comme dans l’exemple de SaintSimon: On portait dans ce temps-là des coiffures qu’on appelait des commodes,
qui ne s’attachaient point. (in Littré) ne se retrouve pas en roumain.
En tant que meuble, la commode est en fait une espèce de petite armoire à
tiroirs (initialement en forme de bureau), ayant des utilisations multiples (sa
destination initiale était d’y ranger du linge et des habits). On la retrouve dans
toutes les pièces d’une maison, principalement salle à manger, salle de séjour et
chambre à coucher, mais actuellement aussi salle de bains et cuisine.
Les éléments définitoires pour l’objet désigné par le mot commode sont: la
forme (meuble bas et large, «à hauteur d’appui», in GRLF), la présence des tiroirs,
le dessus de bois, de marbre ou d’autres matériaux précieux (commode de bois
d’acajou, in GRLF), mais aussi la facture élégante (« souvent richement travaillé »,
in TLFi), de styles divers (commode Louis XVI, Empire, in GRLF).
Le roumain a emprunté au français le mot comodă avec ce même sens de
« meuble bas et large à tiroirs où l’on range le linge et les vêtements » (cf. DA,
DEX, DLRC). Le sens de « armoire en forme de bureau», tombé en désuétude en
français, n’a pas été emprunté par le roumain, probablement parce que, au moment
où le mot est entré dans cette langue (XIXe siècle), la commode se présentait déjà
sous la forme de petite armoire ou d’armoire basse.
Les dictionnaires consultés pour le français aussi bien que pour le roumain
sont unanimes à indiquer le sens de « meuble à tiroirs pour divers objets », sans en
donner les développements récents. Car ce meuble connaît, à l’époque actuelle,
toutes sortes d’extensions, ayant changé tant de forme que de destination.
Pour meubler la salle de bains, la toilette-commode ou commode-toilette
désigne un «meuble à tiroirs dont le dessus a été aménagé en lavabo», sens attesté
en
1864
(TLFi,
s.v.
commode),
alors
qu’un
site
Internet
(www.leboncoin.fr/ameublement/158177375.htm) indique pour la commode
toilette (ancienne) un meuble de style, en noyer massif, à tiroirs et dessus de
marbre blanc, surmonté d’une glace. Il s’agit, de toute évidence, de deux objets
distincts, avec des fonctionnalités différentes. On y trouve, en outre, beaucoup
d’annonces publicitaires pour les commodes de salle de bains ou commodes de
rangement pour salle de bains, qui sont en fait des meubles de formes diverses (bas,
mais
aussi
hauts),
avec
des
tiroirs
ou
des
battants
(www.leguide.com/s/w/Commode+salle+de+bain).
Pour le roumain, le même référent a, sur un site spécialisé dans le
commerce des meubles de salles de bains, les dénominations suivantes: set comodă
şi chiuvetă (= commode et lavabo), chiuvetă baie şi comodă (= lavabo et
commode), comodă şi raft suspendat (= commode à étagère), comodă de baie
(pentru toaletă) (= commode toilette) (http : //shop.4interior.ro/mobilierbaie/mobilier-baie-set-comoda-chiuveta-si-oglinda-1-p2258.html).
On retrouve aujourd’hui la commode dans la cuisine aussi, par exemple
commode rangement 3 tiroirs bouleau massif teinte bois clair, tiroirs aluminium,
pieds
réglables,
tiroirs
avec
arrêts
(www.priceminister.com/offer/buy/81996830/commode-cuisine-rangement-3tiroirs-mobilier.html) ou commode-cuisine (www.potiron.com/decoration-interieurDecoration-2_c_27.html?so=sf); pour le roumain comodă bucătărie (= commodecuisine) (www.kronemarket.com/comoda-si-raft-suspendat-bucatarie-lemn-masivp-1210.html).
La commode a diversifié ses fonctions, comme par exemple la commode
bébé, servant à langer (www.berceaumagique.com/commode-bebe.php) ou, en
roumain, comodă de înfăşat (= commode pour langer) (www.bebelusultau.
ro/detalii.php?cod=KD26).
Donc, en français, le mot commode, attesté en 1708, désigne à l’origine
une espèce d’armoire ayant les traits suivants :
(i) traits physiques: (meuble) petit, bas, (souvent) orné;
(ii) présence de certains éléments constitutifs: avec des tiroirs, sans battants,
avec un dessus de bois ou de marbre;
(iii) fonctionnalité: à hauteur d’appui;
(iv) destination: pour le linge et les habits;
(v) location: salle à manger, salle de séjour, chambre à coucher, (plus
récemment) salle de bains et cuisine.
C’est avec ce sens que le mot est emprunté en roumain, un siècle plus tard,
sous la forme comodă.
L’objet connaît le long du temps des spécialisations multiples, devenant
une espèce de petite armoire polyfonctionnelle, ce qui va de pair avec la
modification de la forme, en sorte que des confusions se créent constamment entre
les objets nommés commode / comodă et servante / servantă, des mots appartenant
au même microsystème lexical et désignant divers types de petites armoires avec
des tiroirs, mais aussi avec des portes, à destinations multiples.
2.2.3. - fr. servante / roum. servantă
servante, s.f. 1. (vieux ou rég.) femme employée comme domestique ; 2. (vieux)
petit meuble de salle à manger (table, étagère) servant de desserte ou placé à côté
d’un convive ; 3. (théâtre) petite lampe qui servait au cours des répétitions ; 4.
(techn.) support de hauteur réglable offrant un point d’appui pour les pièces de
bois ou de fer très longues que l’on travaille à l'établi.
servantă, s.f. 1. (vieux) femme employée comme domestique ; 2. meuble
d’appoint servant de desserte ; 3. armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts
pour le service de la table ; 4. petite lampe au théâtre ; 5. (techn.) support réglable
pour le menuisier et pour le forgeron.
Le mot français servante vient du participe présent du verbe servir,
substantivé au féminin, ayant, dès la première moitié du XIVe siècle, le sens de
«femme employée comme domestique» et, quatre siècles plus tard, en 1746, celui
de «petit meuble de salle à manger».
Le premier sens est considéré comme vieilli ou régional en français (cf.
GRLF), tout comme en roumain d’ailleurs, qui l’a emprunté. Aujourd’hui, cette
occupation est restée, mais avec une autre nomenclature. En français, les mots les
plus usuels pour la désigner, en fonction aussi du lieu de travail et des attributions
remplies, sont femme de chambre, domestique, bonne, camérière, etc., tandis qu’en
roumain on emploie couramment menajeră, cameristă, femeie de menaj, bonă.
Une autre acception, que nous avons identifiée pour les deux langues, celle
de « petite lampe qui servait au cours des répétitions au théâtre», est tombée en
désuétude.
Dans l’acception de «mobilier», servante signifie en français «un petit
meuble de salle à manger (table, étagère) servant de desserte ou placé à côté d’un
convive» (GRLF), sens considéré également comme vieilli. C’est un support qui
complète le mobilier de la table à côte du buffet, défini comme «table sur laquelle
sont disposés la vaisselle, le pain et le vin servi au repas» (TLFi).
En roumain, le mot servantă signifie «meuble d’appoint servant de
desserte», sens emprunté au français (qui l’a abandonné d’ailleurs), et a développé
le sens de «armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts pour le service de la
table» (cf. fr. buffet). Pour cette dernière acception nous n’avons pas trouvé
d’attestation en français. Si, en roumain, on continue à utiliser servantă assez
fréquemment, le français utilise d’autres mots, qui sont apparus par métonymie
pour désigner le contenant par le contenu, tels que vaisselier, lingère, etc.
Le mot servante enregistre des sens techniques plus récents: «support de
hauteur réglable offrant un point d’appui pour les pièces de bois ou de fer très
longues que l’on travaille à l’établi», dans les syntagmes servante de menuisier,
servante de forge, servante d’atelier (pour ranger et garder à portée de mains les
outils d’usage (www.dedale-latelier.com/servante-d-atelier-en-metal-patine-etbois-mobilier-brocante-industriel-loft-meuble-de-metier,fr,4,MEU-247.cfm).
Nous avons trouvé des emplois similaires pour le mot roumain
servantă : servantă mobilă pentru scule cu 3 etajere (= servante mobile pour des
outils à 3 étagères)
(www.bizoo.ro/firma/GEDAKO/vanzare/350361/Servanta-mobila-pentru-scule-cu3-etajere).
Pour le mot français servante n’est pas attesté le sens de «meuble de
rangement (petite armoire)». C’est un sens qui a été créé en roumain.
Les traits sémiques du mot roumain servantă sont:
(i) traits physiques: meuble large, orné ou non;
(ii) présence de certains éléments constitutifs: avec des tiroirs, avec des
battants, avec un dessus de bois ou de marbre;
(iii) fonctionnalité: à hauteur d’appui;
(iv) destination: pour le linge de table et pour le service de table ;
(v) location: salle à manger.
Tout comme dans le cas des mots précédemment discutés, le fr. servante et
le roum. servantă connaissent des développements récents, visibles sur les sites de
publicité, désignant des pièces de meubles de différentes formes et dimensions
(pour le roumain, la servante de la salle à manger se confondant fréquemment avec
la commode).
3. Conclusions
Dans tous les cas discutés, il s’agit d’une conservation partielle des sens
des étymons français, mais on enregistre aussi des innovations sémantiques opérées
en roumain.
C’est ainsi que le roumain a emprunté la majorité des sens des lexèmes
relevant du micro-champ des meubles de rangement («petite armoire»), maintenant,
dans le cas des mots bufet et comodă, tous les traits des étymons.
Le mot roumain servantă représente un cas particulier, car il a développé
un sens nouveau, à partir de «meuble d’appoint» (de l’étymon français servante) à
«meuble de rangement», qui n’est pas attesté en français. En outre, il a conservé le
sens «meuble d’appoint servant de desserte», qui n’est plus actuel en français.
À partir du sens de base de «meuble», en français se sont développés
d’autres sens, particulièrement dans les domaines techniques, et qui ne sont pas
toujours entrés en roumain, par exemple «orgue» et «cascade» pour le mot buffet,
alors que quelques-unes des extensions sémantiques actuelles, par exemple
«support pour ranger les outils» (servante d’atelier) se retrouvent aussi en roumain.
Dans l’analyse sémantique des lexèmes en question, nous avons opéré avec
les traits communs, qui aident à les lier par le sens et les traits distinctifs aidant à
les différencier.
Dans les cas envisagés, les traits communs visent la forme: meuble bas et
large. Les traits distinctifs se rapportent à la structure (avec ou sans tiroirs /
battants), la destination (pour le linge, les vêtements, la vaisselle) et la location.
Par exemple buffet est défini comme un meuble à deux corps, avec des
tiroirs et des battants, alors que commode se caractérise principalement par les
traits : un seul corps, avec des tiroirs, sans battants. Quant au mot roumain servantă,
il se caractérise par les traits: meuble à un seul corps, avec des tiroirs et des battants,
ce qui crée une confusion de référents avec le buffet à un seul corps, mais se
distingue de la commode par la présence des battants. Le seul trait distinctif entre
commode et servante est donc [±battants].
La destination ne constitue pas toujours un trait pertinent pour la
distinction à opérer entre les référents des mots en question : si le buffet et la
servante se sont spécialisés pour ranger le linge de table et la vaisselle, la commode
a une fonctionnalité multiple. En français il existe aussi des termes désignant les
meubles par leur destination: vaisselier (meuble servant au rangement du linge de
table et de la vaisselle), secrétaire (meuble où l’on range des papiers), lingère
(armoire où est rangé le linge) (cf. TLFi).
En ce qui concerne la location, le buffet est un meuble spécifique pour la
cuisine et la salle à manger, alors que la commode est d’un usage presque général,
se retrouvant dans toutes les pièces de la maison. Les confusions se créent surtout
dans le langage commercial, qui utilise par exemple le terme de buffet pour
désigner une commode de cuisine (www.lespac.com/ameublement/mobiliermaison/terrebonne/d-commode-de-chambre-ou-buffet-pour-cuisine).
Tous les trois mots discutés et désignant des meubles de rangement
connaissent aujourd’hui des extensions de sens, désignant des pièces de meubles de
différentes formes et dimensions. Ils sont très utilisés dans le langage commercial
et publicitaire, mais renvoient parfois aux mêmes référents, comme l’illustrent les
catalogues du mobilier. Les termes sont donc employés d’une manière impropre, ce
qui mène à des confusions entre les termes et les objets. Souvent les locuteurs
préfèrent utiliser, dans les deux langues, les mots génériques : armoire / dulap
(armoire de cuisine / dulap de bucătărie, armoire de salles de bains / dulap de
baie, etc.).
* Gabriela Scurtu, Daniela Dincă, Revue roumaine de linguistique, 2011 (sous presse).
NOTES
1. «Une analyse statistique sur la lettre R du DEX indique que pour les unités lexicales à ‘étymologie
multiple’, la première alternative, abstraction faite du français, est le latin [...].» (statistique présentée
dans la communication Une notion-clé dans la lexicologie roumaine: ’l’étymologie multiple’, CILPR
XXVI, Valence, 2010).
2. Statistique présentée dans la communication intitulée Deux langues romanes en contact: les
emprunts roumains au français (CILPR XXVI, Valence, 2010).
3. Les difficultés soulevées par une telle entreprise sont liées principalement à l’absence d’un
dictionnaire étymologique complet pour le roumain, le manque de la première attestation et des
sources informatisées.
4. Pour diverses précisions sur les emplois actuels, nous avons utilisé aussi d’autres sources, comme
les dictionnaires de l’argot et les sites Internet.
5. Le projet CNCSIS intitulé La typologie des emprunts lexicaux roumains au français. Fondements
théoriques, dynamique et catégorisation sémantique, qui se déroule à l’Université de Craiova, a
comme objectifs : l. la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche (emprunt,
néologisme, néonyme, néosème, etc.) ; 2. la constitution d’un corpus général des emprunts lexicaux
français en roumain ; 3. la présentation systématique, analytique et critique, des contributions des
linguistes (notamment roumains) à la description du domaine, tout en relevant les principales
directions de recherche : l’importance de ces emprunts, les statistiques qui mettent en évidence
l’importance de l’influence française sur le lexique général de la langue roumaine et sur le
vocabulaire spécialisé, les principaux domaines de pénétration des mots d’origine française, les types
d’étymologie rencontrés, l’adaptation et l’intégration phonétique et morphosyntaxique de ces
emprunts ; 4. l’élaboration d’une typologie sémantique des mots roumains à étymon français.
6. Quant à cette association entre le buffet et la cuisine suédoise, il est bien évident que les repas
suédois sont riches en plaisirs gourmands et que les méthodes de conservation séculaires (fumer,
fermenter, saler, sécher, mariner, stériliser) font le délice de ces repas. Cette habitude d’organiser des
buffets suédois pour les fêtes permet d’ailleurs aux hôtes de rester tout le temps parmi les invités,
alors que, dans les restaurants, les clients venus de tous les coins du monde peuvent manger selon
leurs habitudes alimentaires.
BIBLIOGRAPHIE
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Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la
Langue Française (ATILF) / Université Nancy 2, http : //atilf.atilf.fr/tlf.htm.
LES EMPRUNTS LEXICAUX ROUMAINS AU
FRANÇAIS: APPROCHE LEXICOGRAPHIQUE ET
SÉMANTIQUE DU VOCABULAIRE DE LA MODE
VESTIMENTAIRE (I)*
1. Introduction
1.1. Ancrage historique
À la fin du XVIIIe siècle et surtout à partir des années 1820-1830, la société
roumaine commence un ample et nécessaire processus de modernisation, qui se
prolonge ensuite tout au long du XIXe siècle. À la recherche de leur propre identité,
les Roumains deviennent d’autant plus conscients de leur origine latine et, pressés
longtemps par le monde slave et balkanique, ils se dirigent finalement vers
l’adoption des modèles (spirituels, sociaux, culturels) occidentaux, français, en tout
premier lieu.
Au niveau linguistique, le contact (à distance) entre le roumain et le français
a eu pour conséquence l’enrichissement et la modernisation, ainsi que la
redéfinition de la physionomie néo-latine du roumain, dans l’aire de la romanité
sud-est européenne. L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le
lexique roumain a été faite dans les zones les plus variées de l’activité humaine.
1.2. Les emprunts lexicaux roumains au français dans le vocabulaire de la
mode vestimentaire
L’un des domaines de la vie socio-culturelle qui s’est enrichi et renouvelé à
partir de la fin du XVIIIe siècle par un grand nombre de néologismes d’origine
française est celui de la mode1 vestimentaire, longtemps influencée par les modèles
byzantins et turcs. Ainsi, des mots tels que: alagea « espèce d’étoffe de toile
rayée », biniş « habit long doublé de fourrure », cacom « habit en fourrure de
hermine, porté par les voïvodes et par le boyards de premier rang », caftan
« manteau blanc, orné, porté par les voïvodes et par le boyards », cauc « bonnet de
fourrure haute et sphérique », ceacşiri « pantalons à la Turque », feregea « manteau
léger porté l’été », fermenea « veste courte doublée de fourrure », gevrea
« mouchoir en toile », giugiuman « bonnet de fourrure de zibeline », işlic « bonnet
à la Turque », pambriu « espèce d’étoffe de laine », şamalagea « espèce d’étoffe
de Démasque », zuf « espèce d’étoffe fine de laine », etc. (Groza 2004: 44),
aujourd’hui des archaïsmes, complètement inusités à cause de la disparition des
référents, démontrent-ils cet état de choses.
En revanche, une statistique faite sur le vocabulaire actuel de la mode
vestimentaire (v. Iovănescu / Rădulescu 2000: 41) démontre que le nombre des
lexèmes à étymologie française représente plus d’une centaine de termes, dont la
plus grande majorité enregistre leur première attestation entre la fin du XVIIIe
siècle et le début du XIXe siècle2. La langue prouve ainsi le dynamisme
extraordinaire du phénomène socio-culturel de la mode vestimentaire, présent dans
les Principautés Roumains à cette époque-là.
Du point de vue typologique, dans la catégorie des termes dénommant des
pièces de vêtements proprement dites, Iovănescu / Rădulescu (2000: 42) font
distinguer:
(i) des sous-vêtements: chiloŃi, combinezon, furou, jupă, maiou, portjartier,
sutien;
(ii) des pièces de vêtement qui revêtent la partie supérieure du corps: bluză,
bustieră, corsaj, corset, etolă, jachetă, troacar, tunică, vestă;
(iii) des pièces de vêtement qui revêtent la partie inférieure du corps:
pantaloni, colanŃi;
(iv) des pièces de vêtement qui revêtent les deux parties du corps: capot,
deux pièces, dezabié, taior;
(v) des pièces de vêtement qu’on porte par-dessus d’autres: canadiană,
impermeabil, mantou, palton, pardesiu, pelerină.
Pour compléter le panorama sur l’importance de l’influence française dans le
domaine analysé, on cite encore quelques exemples, classifiés par Iovănescu /
Rădulescu (2000: 42-43) de la manière suivante:
- termes désignant des accessoires ou des chaussures: colerată, colier,
cravată, eşarfă, fular, medalion (culisant, grossé, placat), şal; manşon; basc, fişiu,
melon, tocă; botină, escarpeni, mocasini, sandale, şosete, trotteuri; fermoar,
franjuri, paiete, pasmanterie, paspoal;
- termes désignant des techniques de couture: bretele, broderie, calotă,
cambrat, decolteu, drapaj, dublură, matlasat, (guler) montant, pense, pliseuri,
revere, (rochie) midi, mini, maxi, tăiat în biais, trenă; a deşira, a mula, a surfila ;
- termes désignant des tissus et des fourrures: brocart, catifea ecosez, crepsatin, crep Georgette, (eşarfă din) dévoré de mătase, fetru, (rochie) gofrată, lamé,
jersé / jerseu, ottoman / otoman, muselină, organza, pluş, satin, satin duchesse,
şifon, tafta, tafta brocată, triplu voal, tul, Ńesătură satinată; rat vizonat, vizon.
1.3. Démarche méthodologique
Nous nous proposons de faire une analyse sémantique contrastive des
descriptions lexicographiques de trois unités lexicales appartenant au micro champ
notionnel des pièces de vêtement: fr. blouse / roum. bluză, fr. veste / roum. vestă, fr.
jupe / roum. jupă. Bien que tous ces lexèmes illustrent en roumain le même
phénomène de conservation partielle3 des sens de l’étymon français, ils se
distinguent pourtant sous plusieurs aspects que nous voulons mettre en évidence:
(a) conservation partielle des sens de l’étymon avec une ou plusieurs
innovations sémantiques réalisées à l’intérieur de la langue roumaine, comme dans
le cas du mot bluză;
(b) conservation du sens le plus souvent véhiculé dans la langue source au
moment de l’emprunt, comme dans le cas du mot vestă;
(c) conservation de tous les sens de l’étymon français avec le maintien en
roumain actuel uniquement d’une signification moins usuelle dans la langue source,
comme dans le cas du mot jupă.
La démarche sémantique adoptée s’appuie premièrement sur l’analyse des
traits sémiques considérés comme prototypiques dans la configuration du
sémantème de chaque mot analysé, ce qui nous conduit à la distinction et à la
désambiguïsation au niveau référentiel et, par voie de conséquence, au niveau de
leurs dénominations d’un système linguistique à l’autre. En deuxième lieu,
l’analyse sémantique sera étayée souvent par le recours à la pragmatique ou bien à
la sociolinguistique, pour mieux corréler la description linguistique avec
l’évolution des référents au fil du temps, étant donné que la mode est par elle même
« un objet culturel autonome » (Barthes 1967: 227) avec une profonde visée
sociologique:
« [...] un énoncé de Mode implique au moins deux systèmes d’information: un
système proprement linguistique, qui est la langue (...), et un système
« vestimentaire », selon lequel le vêtement (les imprimés, l’accessoire, la jupe
plissée, une veste-brassière, etc.) signifie soit le monde (les Courses, le printemps,
l’âge mur), soit la Mode. Ces deux systèmes ne sont pas séparés: le système
vestimentaire semble pris en charge par le système linguistique » (Barthes 1967: 38).
Par suite, pour ce qui est des traits communs et distinctifs pris en
considération pour l’analyse sémantique des unités lexicales dans les deux langues
considérées, nous avons pris comme point de départ les taxinomies suivantes:
1. LA CONFIGURATION: Forme: [+large] ou [+étroite] ou bien [+légère]
ou [+grosse], etc.; Dimension: [+longue] ou [+courte] ou [+moyenne];
Substance / Matière: [+lin] et / ou [+toile] et / ou [+tissu], etc. ou bien
[+opaque] ou [+transparente], etc.; Modèle: [±ornements (boutons et / ou
manches (longues / courtes) et / ou col (large / petit)];
2. LA LOCALISATION: [+partie supérieure du corps] et / ou [+partie
inférieure du corps]; [+dessus] ou [+dessous];
3. LE GENRE DE L’USAGER: [+masculin] et / ou [+féminin];
4. LA DESTINATION: [+objet de mode] et / ou [+costume] et / ou
[+vêtement].
Enfin, pour la description lexicographique que nous proposons, les sens
français sont donnés, en général, d’après le TLFi, complété avec les dictionnaires
GRLF, GLLF et le Littré; les sens roumains, d’après le DA / DLR, le DEX, le
DLRC et le DN4 (v. la bibliographie).
2. Analyse lexico-sémantique du corpus
2.1. - fr. blouse / roum. bluză
L’examen contrastif, à partir de la description lexicographique présentée
infra, des significations du mot français blouse et de celles du mot roumain bluză,
qui en provient5, met en évidence le phénomène de conservation partielle des sens
de l’étymon avec deux autres développements connotatifs réalisés à l’intérieur de
la langue roumaine:
blouse, s.f. 1. vêtement de grosse toile en forme de chemise porté autrefois dans leur
travail quotidien par les gens de la campagne, les ouvriers, les marchands, etc.; 2.
vêtement de toile ou de tissu plus léger, taillé comme une blouse, et qui sert, dans
certains métiers, à protéger les autres vêtements. Par métonymie: personne revêtue
d'une blouse; paysan, ouvrier. Par extension: sorte de corsage féminin à manches,
flou et boutonné6.
bluză, s.f. 1. pièce de vêtement pour la partie supérieure du corps, longue jusqu’à la
taille, souvent à manches, taillée comme une chemise et portée par les femmes; 2.
vêtement de tissu plus léger qui sert, dans certains métiers, à protéger les autres
vêtements; 3. vêtement de tissu porté l’été par les soldats au lieu du veston7.
Selon le TLFi, le mot français blouse a une étymologie obscure: d’une part,
l’hypothèse proposée par le FEW (tome 21 : 518) à partir de l’étymon *blaude
(mot d’origine germanique au sens de « vêtement de grosse toile porté surtout par
les charretiers »)8 serait satisfaisante uniquement du point de vue sémantique et
moins opérante du point de vue formel, car le changement du -d- en -z- reste
difficile à expliquer (v. TLFi) ; d’autre part, le rapprochement formel du toponyme
Péluse (lat. PELUSIUM, apud TLFi) ne pourrait lui non plus justifier les mécanismes
cognitifs de l’antonomase, car « cette ville avait changé du nom avant le Moyen
Âge et l’industrie textile ne paraît pas avoir été une de ses activités » (TLFi). Enfin,
ni l’hypothèse qui prend en charge l’héritage du latin BULLOSA « bouffant » n’a pas
fait fortune dans les ouvrages lexicographiques, car seul le GLLF avance un tel
point de vue.
Le mot est attesté en français dès 1788 avec le sens originaire de « vêtement
ample des paysans ». Jusqu’en 1822, il a ajouté le sens secondaire de « vêtement
taillé comme une blouse paysanne qui sert à protéger les autres vêtements », puis il
a évolué vers l’acception plus spécialisée de « sorte de corsage de mode tout
actuelle » et plus tard, entre 1858-1866, il a reçu, par métonymie, la signification
de « personne revêtue d’une blouse; paysan, ouvrier ».
Les premiers sens (v. supra 1 et 2) de blouse, tous les deux reliés par le sème
[+étiquette d’une « situation mentale »] attestent donc le passage de l’idée de
VÊTEMENT à celle de COSTUME, dans le sens proposé par Gogibu (2008):
« Le costume traduit et / ou correspond à une situation mentale (croyances,
coutumes, situation sociale, sens de l’esthétique). [...], on pourrait dire que le
vêtement est organique et le costume fonctionnel, l’altération du vêtement (abîmé ou
incomplet) ayant une incidence sur sa praticité, celle du costume (inadapté à une
situation donnée) sur sa fonction » (Gogibu, 2008).
Plus précisément, la blouse, qui particularise initialement le costume des
charretiers et ensuite celui des paysans, a, dès le début, une fonction symbolique
identitaire. En plus, tout en servant à protéger les différents « corps de métier »
dans leur travail quotidien, ce type de vêtement léger acquiert à travers le temps
une destination précise et devient un indice distinctif au niveau socio-professionnel.
Comme la première acception semble être vieillie en français moderne (la séquence
« portée autrefois » indique la disparition du référent, vers la fin du XIXe siècle),
dans son acception secondaire, la blouse devient un synonyme partiel de bourgeron,
sarrau, souquenille, tablier, cotte, bleu (v. PRob). Mais, cette fois-ci il n’y a
aucune connotation négative et aucune spécification sur la nature du travail
effectué par ceux qui la portaient. Ce rapport d’équivalence devient visible dans
des expressions très usuelles, telles que: blouse d’écolier, blouse de peintre, blouse
de mécanicien, blouse de laboratoire, blouse d’artiste, blouse de chirurgien
(blouse de médecin ou blouse stérile), blouse de ménagère ou, tout simplement,
blouse de travail. Il y a pourtant deux locutions blouse-robe « une robe courte de
maison », respectivement, blouse-tablier « une sorte de robe de maison longue »,
où le mot blouse semble garder son sens originaire lié au monde rural.
À partir de cette acception secondaire et par le renforcement de l’idée
d’ « indice », d’ « étiquette », la métonymie se produit: les blouses représentent
« les ouvriers » ou bien « le peuple », tandis que les blouses blanches indiquent une
catégorie socio-professionnelle précise, « les médecins ».
Il est important pour notre démarche contrastive d’observer qu’aucun
élément métalinguistique (des définitions présentées supra) n’indique la longueur
du vêtement, plus précisément s’il recouvre tout le corps ou seulement la partie
supérieure. Le GLLF mentionne pourtant que, dans l’acception secondaire du mot,
il s’agit d’un type de « vêtement long ». Pourtant, le référent est défini de manière
implicite ou explicite par les traits suivants :
- la configuration: Forme: large en taille / au bas; Substance: toile, tissu ou
cotonnade, c’est-à-dire des matériaux légers qui trahissent le confort pour un travail
plus ou moins difficile;
- le genre de l’usager: plutôt masculin;
- la destination: différents corps de travail.
C’est justement sa fonctionnalité et, par la suite, « sa popularité » qui
détermineront au fil du temps le raffinement esthétique de la blouse, comme objet
de mode féminine. Une nouvelle extension métonymique conduit à l’acception
« sorte de corsage féminin à manches, flou et boutonné » qui se superpose
partiellement sur la signification des mots chemisier, chemisette, corsage, guimpe.
Le nouveau référent maintient la caractéristique ‘léger’ (y compris la finesse des
matériaux) et la fermeture à boutons, mais il change le genre de l’usager et la
dimension.
En conclusion, l’histoire du sens du lexème blouse résume trois paradigmes
dans l’évolution même de la civilisation française: la dimension identitaire (dans la
première acception, aujourd’hui vieillie), la dimension fonctionnelle, pragmatique
(dans la signification secondaire, la plus courante dans la langue actuelle) et
finalement la dimension artistique, propre à la mode féminine (dans le sens dérivé
par extension métonymique, aujourd’hui plus ou moins technique et moins
fréquent que l’acception secondaire).
En roumain, le mot bluză est attesté par les ouvrages lexicographiques (v. le
RDW) dès 1823, premièrement avec la troisième acception du correspondant
français, celle de « pièce de vêtement pour la partie supérieure du corps, longue
jusqu’à la taille, souvent à manches, taillée comme une chemise et portée par les
femmes » qui est, d’ailleurs, la signification la plus courante de nos jours.
En plus, en roumain moderne, ce mot ne désigne pas seulement un certain
type de « corsage féminin, flou et boutonné », mais aussi toute une série de pièces
de vêtement qui couvrent la partie supérieure du corps des femmes ou des hommes.
Un tel objet peut être boutonné ou non, avec ou sans manches (longues ou courtes)
et fabriqué des matériaux extrêmement variés: lin, laine, tissu, toile, coton, etc. Par
conséquent, à côté de la signification principale de « corsage féminin, flou et
boutonné », le mot bluză devient en roumain actuel un hyperonyme de cămaşă
« chemise », helancă, pulover, flanel(ă) (subŃire), bluzon ou tricou, désignant
« toute espèce de pièce de vêtement légère pour la partie supérieure du corps »,
comme dans les exemples suivants: Bluza de polar nu trebuie să lipsească din nici
un rucsac. E mult mai bună decât un pulover. (www.viajoa.ro/sfaturi-siidei/ghidul-calatorului-lista-de-echipamente-de-munte-si-magazine-de-profil/) « Le
polo ne doit pas manquer du sac à dos. Il est meilleur qu’un pull. » ou bien Pe mine
port aşa:tricou sau bluză de corp sintetică, ca strat de bază....
(http://www.viajoa.ro/sfaturi-si-idei/ghidul-calatorului-lista-de-echipamente-demunte-si-magazine-de-profil/) « Je mets d’habitude: un T-shirt ou maillot de corps
synthétique…».
Dans ce cas, à la différence de son étymon français qui désigne un vêtement
de mode féminine, le mot roumain semble traduire, dans la langue contemporaine,
plutôt l’idée de VÊTEMENT. Si au niveau conceptuel, on pourrait donc parler
d’une régression, au niveau linguistique la relation métonymique engendre un
nouveau sens pas encore attesté par les ouvrages lexicographiques consultés.
Mais, à l’époque où l’emprunt s’est produit, le mot roumain bluză avait
uniquement le sens spécialisé, appartenant exclusivement au domaine de la mode
vestimentaire féminine qui, longtemps influencée par les modèles orientaux et
byzantins, se trouvait au début du XIXe siècle dans une étape d’imitation accrue
des créations vestimentaires occidentales. C’est pour cela que le mot bluză
s’imposera en roumain justement avec l’acception que son correspondent français
véhiculait à ce moment-là et qui désignait un référent nouveau pour l’espace socioculturel d’adoption.
La définition lexicographique donnée en 1913 par le DLR – un ouvrage
quasi contemporain avec l’époque de l’attestation de l’emprunt, n’est pas manquée
d’intérêt: « petit vêtement de tissu, de laine, etc. en forme de iie, porté par les
femmes » (tome I, 1ère partie). Premièrement, cette définition démontre la manière
d’assimilation du concept dans l’espace socio-culturel roumain par la comparaison
et la catégorisation du nouvel référent par rapport aux éléments propres, identitaires,
dans notre cas, l’ie (du lat. [VESTIS] LINEA, selon le DEX) « une sorte de blouse
féminine spécifique pour le costume populaire national [... ] »9. En même temps,
cette définition indique implicitement la raison pour laquelle la première acception
du mot français, celle de « vêtement ample des paysans », n’a pas été reprise par le
roumain bluză: l’ie représente l’étiquette identitaire roumaine, un symbole
fortement fixé dans le mental collectif qui caractérisait surtout le monde rural,
beaucoup plus conservateur. Or, bluză était un objet tout à fait nouveau, spécifique
du monde urbain.
La passage graduel du lexème bluză au sens de VÊTEMENT prend en
charge en tout premier lieu certaines modifications opérées au niveau du trait
[+protection], une caractéristique qui se retrouve aussi dans les deux autres
acceptions du mot roumain (v. supra 2 et 3), plus récentes et moins fréquentes dans
la langue actuelle.
Ainsi, le second sens (v. supra (2) dans la description lexicographique),
celui de « vêtement de tissu plus léger qui sert, dans certains métiers, à protéger les
autres vêtements », attesté dès 1907 (v. Goicu-Cealmof, 2008: 18), est aujourd’hui
assez rarement employé, étant remplacé par le mot halat (du bulg., russ. halat,
apud DEX), un terme qui décrit mieux l’objet de la réalité extralinguistique: la
blouse s’était fixée dans le mental collectif comme un vêtement caractérisé par le
trait [+court] ou [+jusqu’à la taille]; or, dans l’espace socio-culturel roumain, ces
pièces de vêtement de protection sont le plus souvent de dimension moyenne ou
plutôt longue. Aussi, dans des syntagmes du type: bluză de casă, bluză de şcoală,
bluză de serviciu ou bien bluză de pijama, bluză de salopetă, bluză de trening, le
mot roumain traduit plutôt l’idée de « vêtement pour la partie supérieure du corps,
destiné à accomplir une action en cours » et en second lieu le concept de
« protection proprement dite » qui, lui seul, aurait pu accorder à l’objet désigné le
statut d’indice socio-professionnel.
Toutefois, il faut préciser qu’une telle valeur fonctionnelle du lexème bluză
aurait existé au début du XXe siècle, car le DLR atteste l’existence du mot bluzar
(une création autochtone éphémère avec le suffixe nominal agentif -ar à partir de la
base bluză) qui a le sens métonymique d’ « ouvrier » (enregistré supra pour le
français blouse), comme dans l’énoncé suivant appartenant à Alexandru Odobescu:
[Lulea] de pământ, din care fumează bluzarul şi studentul francez (apud DLR I,
1ère partie). « [Une pipe] de terre, par laquelle fument la blouse et l’étudiant
français ».
Enfin, la troisième signification, (v. supra (3) dans la description
lexicographique) celle de « vêtement de tissu porté l’été par les soldats au lieu du
veston », une acception technique appartenant au domaine militaire et attesté dès
1913 (v. Goicu-Cealmof, 2008: 18), démontre la même atténuation du trait
[+protection] au profit de la caractéristique [+légèreté]: tout en remplaçant pendant
l’été d’autres vêtements plus chauds, tels que: le veston (du fr. veston, selon le
DEX) ou la tunică (du fr. tunique, lat. TUNICA, apud DEX), bluză acquiert en fait le
sens d’ « espèce de vêtement léger pour la partie supérieure du corps », comme
dans l’exemple suivant: Sanitarilor, în loc de tunică, li s-au dat bluze de postav.
(apud DLR I, 1ère partie). « Au lieu de la tunique, les soldats sanitaires ont reçu des
blouses de drap ».
En conclusion, le roumain bluză connaît une évolution sémantique inverse
(v. infra le schéma) à celui de son étymon français:
Fr. BLOUSE
VÊTEMENT (IDENTITARE) ― VÊTEMENT DE PROTECTION
[costume] ― OBJET DE MODE
Roum. BLUZĂ
OBJET DE MODE ― VÊTEMENT DE PROTECTION [costume] ―
VÊTEMENT
À partir du sens qui encode initialement la valeur esthétique de son étymon
français, le mot bluză a développé en roumain moderne la signification (pas encore
lexicalisée) de « tout espèce de vêtement léger pour la partie supérieure du corps »
à laquelle on est arrivé par la modification du trait sémique [+protection],
spécifique aussi bien pour la deuxième acception empruntée au français blouse, que
pour le troisième sens, créé, par extension métonymique, à l’intérieur de la langue
roumaine.
2.2. - fr. veste / roum. vestă
L’analyse lexico-sémantique du couple (fr.) veste / (roum.) vestă exemplifie
sur la base des données lexicographiques présentées en abrégé infra, une situation
de conservation dans la langue cible du sens le plus souvent véhiculé au moment de
l’emprunt dans la langue source:
veste, s. f., 1. vêtement à quatre pans, muni d'une poche de chaque côté, qui couvre
le corps jusqu'à mi-cuisse, avec ou sans manches, boutonné sur le devant et qui se
porte sous l'habit; 2. veste courte portée par les sans-culottes pendant la Révolution.
Loc. fig.: Retenir qqn par le(s) pan(s) de la/sa veste. empêcher, in extremis,
quelqu'un de s'en aller. 3. vêtement long que les Orientaux portent sous la robe; 4.
vêtement court s'arrêtant à la taille ou couvrant les hanches, à manches longues,
boutonné sur le devant: Veste chemise: veste d'été en tissu léger destinée à être
portée à même la peau; Veste d'intérieur, d'appartement, de chambre: vêtement
croisé ou boutonné sur le devant utilisé comme une robe de chambre; Veste de
pyjama: partie supérieure d'un pyjama, à manches longues ou courtes. 5. Familier:
échec10.
vestă, s. f., 1. pièce de vêtement, courte, jusqu’à la taille, d’habitude sans manches et
sans col, portée par les hommes sous l’habit et par les femmes au-dessus de la
blouse (apud DEX).
Le mot français veste, un emprunt à l’italien veste (du lat. VESTIS, apud TLFi)
au sens de « vêtement, élément de habillement », a une histoire à rebours de celle
rencontrée auparavant dans le cas du mot blouse. Si pour ce dernier cas de figure (v.
supra les commentaires) on a observé un trajet du type VÊTEMENT – COSTUME,
ou, en d’autres termes, l’évolution d’un référent à valeur fonctionnelle vers un
objet à valeur purement vestimentaire, dans le cas du mot veste on va constater un
parcours inverse, semblable en quelque sorte, à celui enregistré par le roumain
bluză. Plus exactement, le sémantème du lexème veste se constitue à partir de la
signification d’un objet de mode [+costume] vers le sens d’un référent à valeur
fonctionnelle [+vêtement].
Ainsi, la première acception, celle de « vêtement à quatre pans descendant
jusqu’aux genoux et se portant sous l’habit », attestée dès 1578, traduit la valeur
purement vestimentaire du référent: une pièce de vêtement, initialement longue, à
manches facultatives, d’inspiration orientale (v. vestes à la persane (1671) ou veste
à la Turque – au XIXe siècle).
En tant que « manière d’habillement », la veste a reflété à travers le temps
les diverses modes d’esprit, se superposant au dolman, à l’hoqueton ou à la
soubreveste: « D’abord [...] longue et droite, à peine plus courte que le justaucorps;
puis, sous Louis XV se raccourcissant petit à petit » (Leloir 1961, apud TLFi). Et la
conséquence définitive de toutes ces modifications va apparaître en 1835 lorsque le
gilet « remplacera » la veste: « les pans de la veste se raccourcissent, les manches
facultatives disparaissent complètement et la forme de la veste se rapproche à celle
de gilet » (TLFi).
Pendant la Révolution, ce type de vêtement de courte dimension acquiert
pour la première fois le statut d’indice social car il est devenu ces jours-là le
costume d’une certaine catégorie de révolutionnaires issue de la partie modeste et
laborieuse du peuple, les sans-culottes. Cette valeur fonctionnelle du référent se
développera au fil du temps et elle sera explicitée plus tard, en 1820, lorsque
l’Observateur des modes (15 juin, VI, p. 120 apud TLFi) note que: « La veste
nouvelle [...] est proprement dite de manège; cependant elle n’est pas moins portée
dans la chambre, à la chasse, à cheval, à la promenade jusqu’à deux heures ».
À partir de cette époque-là, la veste devient l’indice d’une certaine activité et,
par conséquent, d’une certaine catégorie socio-professionnelle. Du point de vue
sémantique, la veste se charge des sèmes supplémentaires suivants: [+action],
[+protection]. Ainsi, l’expression ramasser / remporter une veste, attestée dès 1866,
justifie-t-elle son sens d’ « échouer dans une entreprise; se faire siffler [au
théâtre] » (TLFi) à partir de l’idée intrinsèque d’ « action » colportée par le mot
veste. De même, dans sa deuxième acception fondamentale, la plus usuelle dans la
langue actuelle, veste désigne une espèce de vêtement court, à manches longues,
boutonné sur le devant, donc un VÊTEMENT, c’est-à-dire un objet à valeur plutôt
fonctionnelle qui correspond à la signification actuelle du mot roumain bluză: veste
de cuisinier, veste de garçon de café, veste de groom, veste de militaire, veste de
travail, veste de chasse, veste de sport, veste de voyage, veste d’intérieur
(d’appartement ou de chambre) ou bien veste de pyjama.
En conclusion, le sémantème du lexème veste traduit:
- un objet de vêtement initialement autonome (de forme longue, avec ou
sans manches, boutonné sur le devant), plus tard semblable au gilet (de forme
courte, sans manches et toujours boutonné sur le devant) et
- un objet de vêtement fonctionnel, pratique, semblable à la blouse (de forme
courte, généralement à manches longues, boutonné sur le devant, habillée dans
certains métiers, activités).
De tous les sens de l’étymon français11, le roumain en a emprunté, sous la
forme vestă, uniquement le premier, celui de pièce de vêtement proprement dit. Et
comme le correspondant roumain est attesté assez tard, à peine en 1910 (v. GoicuCealmof, 2008: 23), la forme du référent vestă est, en fait, celle du français gilet:
toujours « courte, jusqu’à la taille, sans manches et sans col, portée par les hommes
sous l’habit et par les femmes au-dessus de la blouse » (DEX).
Il faut pourtant rappeler que dans le fonds néologique du roumain il y avait
déjà deux autres mots, jiletcă (du russ., bulg. žiletka, apud CDER) et lăibăr (de
l’allm. transilv. leibel apud CDER), pour désigner le même référent. Dans cette
situation, le roumain vestă, un néologisme occidental, s’imposera dans la langue
moderne comme terme littéraire, tandis que les deux autres lexèmes occuperont la
position des variantes dialectales. Cela est dû tout d’abord au phonétisme, plus
simple dans le cas du mot vestă, et deuxièmement au raffinement esthétique de
l’objet désigné initialement dans la langue source.
Cependant, il faut signaler qu’au-delà de la fonction purement vestimentaire,
le mot roumain vestă a acquis les dernières décennies la signification d’ « objet
d’habillement à valeur fonctionnelle » (traduisant d’habitude une activité de
protection, de sécurité), comme le démontrent les syntagmes suivants: vestă
antiglonŃ, vestă reflectorizantă, vestă tactică, vestă militară, vestă de jandarmi,
vestă de asalt, vestă de salvare, vestă outdoor, vestă airsoft, vestă multicam.
En conclusion, le mot français veste exprime – comme on l’a déjà précisé –
le passage de l’idée de COSTUME à celle de VÊTEMENT. La première acception,
celle de COSTUME, sera initialement reprise par le correspondant roumain vestă,
mais uniquement au sens du français gilet. Ultérieurement, par des calques totaux,
en roumain apparaît aussi la signification de « vêtement de protection », pas encore
attestée dans les ouvrages lexicographiques consultés.
2.3. - fr. jupe / roum. jupă
Certains emprunts roumains au français se caractérisent par la conservation
initiale de tous les sens de l’étymon, avec le maintien dans la langue actuelle d’une
signification moins usuelle, vieillie ou même disparue dans la langue source. Un tel
exemple est illustré par l’analyse lexico-sémantique du mot français jupe et de son
correspondant roumain jupă, à partir des définitions lexicographiques suivantes:
jupe, s. f. 1. robe de dessous à l'usage des femmes, formée de deux pièces, le corps
de jupe ou corsage, et le bas de jupe, allant de la taille aux pieds et généralement
visible; 2. a. vêtement féminin de dessus, qui descend de la taille vers les pieds, plus
ou moins bas selon la mode. b. (Vieilli, au pluriel): ensemble formé par la jupe de
dessus et un ou plusieurs jupons. c. (Couture): partie inférieure de la robe, à partir de
la ceinture. 3. (Vieilli) vêtement analogue porté par les hommes dans certains pays;
4. (Par métonymie, familier, vieilli): une / la femme, une / la fille; 5. (Technologie):
partie latérale d'un piston qui s'adapte à la paroi interne du cylindre; 6. (Technologie):
carénage de tôle, aérodynamique, de la partie inférieure d'une locomotive ou d'un
wagon; 7. (Technologie): cylindre flottant de matière souple qui enferme le coussin
d'air permettant le fonctionnement d'un aéroglisseur12.
jupă, s. f. 1. jupe; 2. une espèce de jupe mise d’habitude au-dessous d’une robe ou
d’une autre jupe; 3. (Technologie): partie cylindrique d’un réservoir
d’emmagasinage; 4. (Aéronautique): élément de la structure d’un engin spatial qui
sert à raccorder deux étages successifs; 5. (Mécanique): partie latérale d'un piston
qui assure le guidage à l’intérieur d’un cylindre13.
Le mot français jupe, tout comme veste, est lui aussi un emprunt à l’italien
méridional giubba (v. TLFi) dont le sens de « veste d’homme ou de femme
d’origine orientale » (TLFi) renvoie à un tiers espace socio-culturel de provenance,
plus précisément au monde arabe où par ğubba [djoubba] on désignait une espèce
de « veste de dessous » (TLFi).
En tant que pièce de vêtement, la jupe a deux significations fondamentales,
différenciées par le trait [±visibilité]. Ainsi, l’acception la plus usuelle dans la
langue actuelle, attestée dès 1603, de « vêtement féminin de dessus, qui descend de
la taille vers les pieds, plus ou moins bas selon la mode » renvoie, par le placement
dessus, à un référent appartenant au domaine de mode proprement dite qui a subi à
travers le temps beaucoup de modifications: jupe droite, jupe froncée; jupe à
godets, jupe à lés, jupe à plis (jupe plissée), jupe à volants; jupe écossaise; jupe
portefeuille; mini-jupe; jupe de tennis, etc.
Au contraire, l’autre acception, celle de « robe de dessous à l'usage des
femmes, formée de deux pièces, le corps de jupe ou corsage, et le bas de jupe,
allant de la taille aux pieds et généralement visible » traduit, par le positionnement
dessous, un référent à valeur fonctionnelle, dérivée de l’idée de [+protection], un
sème fondamental, comme on l’a vu supra, pour l’étymon arabe: cette fois-ci il ne
s’agit plus d’un objet proprement dit de la mode vestimentaire, mais plutôt d’un
accessoire dont la fonction primaire est celle de faire protéger et de couvrir le corps
humain contre les caprices météorologiques de toutes sortes ou bien contre les
regards licencieux. Par cette dernière acception, attestée dès 1690, la jupe remplace
le cotillon « une jupe de dessous particulièrement chez les femmes du peuple et les
paysannes » (TLFi) et s’impose dans la langue comme un terme technique
appartenant au vocabulaire spécialisé de la mode vestimentaire.
Mais, pour désambiguïser au niveau de l’expression cette dichotomie
conceptuelle: [OBJET DE VÊTEMENT] vs. [ACCESSOIRE] – deux notions
fondamentales pour le domaine analysé, le français a créé par dérivation avec le
suffixe -on, le diminutif jupon (attesté aussi dès 1690) pour désigner une sorte de
« jupe de dessous, le plus souvent aujourd'hui en tissu de lingerie, portée par les
femmes » (TLFi). Il y a pourtant une nuance subtile qui différencie l’accessoire
jupe de l’accessoire jupon: la jupe garde encore une petite partie de sa fonction
d’objet de vêtement, car elle est « généralement visible » dans la partie inférieure,
tout en dépassant en longueur la pièce de vêtement de dessus, tandis que le jupon a
une fonction purement pratique, tout en servant à soutenir ou à déterminer le
contour d’une jupe ou d’une robe. D’ailleurs, cette valeur pure d’accessoire du
jupon est aussi mise en évidence par la nature des matériaux dont on fabrique un tel
objet, « généralement un tissu de lingerie » (v. TLFi).
Le roumain atteste l’emprunt au français sous la forme jupă dès 1771 (DLR,
tome II, 2ème partie), initialement avec la première acception du correspondant
français, celle de « pièce de vêtement de dessus, qui descend de la taille vers les
pieds ». Ce sens s’enregistre encore au début du XIXe siècle dans les différentes
publications « de spécialité » ou chez certains auteurs francophiles, comme dans
l’exemple suivant de Mateiu Caragiale: O doamnă înaltă, cu o bluză şi cu jupă.
(apud DLRC, 1956: vol. 2) « Une dame à grande taille, avec une blouse et une
jupe ».
Mais avec cette première acception, la plus usuelle d’ailleurs pour l’étymon
français, le mot jupă ne réussira pas à se fixer dans la langue roumaine
contemporaine, probablement parce que les éléments de nouveauté du référent
n’étaient pas du tout frappants par rapport à l’objet généralement désigné en
roumain par le mot fustă (du néogr. fústa, attesté dès 1829 apud RDW) ou, au
milieu rural, par foaie (pl. foi) (du lat. FOLIA, v. le DEX). Voilà pourquoi en 1937
le DLR définit le mot jupă comme « un franŃuzism vechiu pătrus şi la Ńară » (trad.:
mot français vieilli adopté aussi à la campagne), pour qu’en 1956, le DLRC le
considère déjà « un franŃuzism, ieşit din uz » (trad.: mot français vieilli).
Il y a pourtant en roumain des syntagmes assez usuels, tels que: modă minijupe « mode mini-jupe », stil mini-jupe « style mini-jupe » ou bien (dans la langue
moins soignée) même fustă mini-jupe « jupe mini-jupe », où le mot français garde
la signification de « pièce de vêtement de dessus, extrêmement courte » (v. aussi
Iovănescu / Rădulescu 2000: 44). De tels syntagmes se sont imposés en roumain (le
plus souvent avec la graphie de la langue source) justement à cause de la
modification radicale d’un trait fondamental du référent: la réduction considérable
de la longueur de cette nouvelle pièce de vêtement est vraiment un élément qui a
fait attirer l’attention et bouleverser le mental collectif.
En revanche, si la première acception du mot français est sentie comme
vieillie en roumain actuel, la signification de « jupe habillée d’habitude au-dessous
d’une robe ou d’une autre jupe » est aujourd’hui le sens le plus fréquent dans
l’espace socio-culturel d’adoption. On a toute raison de croire qu’il s’agit d’un sens
assez récent14, car ni le DLR (1937), ni le DLRC (1957) ne le mentionnent. En
revanche, le premier ouvrage lexicographique ajoute comme diminutif (avec la
remarque: vieilli) le mot jupon (du fr. jupon), attesté dès 1937 (v. Goicu-Cealmof,
2008: 23) et dont le sens coïncide avec la deuxième acception du mot jupă. Bien
qu’au début du XIXe siècle, au niveau référentiel, jupă et jupon se soient
distingués par le trait [±visibilité], tout comme le couple correspondant du français,
dans la langue roumaine moderne et contemporaine, les deux mots désignent la
même réalité extralinguistique, devenant ainsi des synonymes parfaits. Dans la
langue actuelle, le mot roumain jupon a perdu donc sa signification diminutive
originaire et a contribué à faire enraciner la deuxième acception du mot jupă en
tant que signification principale, justement par l’approfondissement des traits
prototypiques [+protection], [+doublure].
D’ailleurs, on retrouve les mêmes traits sémiques [+protection] et
[±doublure] pour le mot roumain giubea (un emprunt au turc cüppe selon le CDER)
au sens de « habit long et large de drap (fin), le plus souvent doublé de fourrure,
porté autrefois par les boyards roumains » qui représente le doublet étymologique
tant du mot jupon, que du mot şubă (un emprunt au serbe, russe šuba, polonais
szuba, hongrois suba et à l’allm. médiéval Schübe « tablier », selon le CDER) au
sens de « habit long et large, à col large, doublé de fourrure et porté surtout par les
hommes ».
Les autres significations du mot français jupe dérivées de ses acceptions du
domaine vestimentaire (v. supra les sens 2 b, c et 3), senties comme vieillies ellesmêmes dans la langue actuelle, ne se retrouvent pas dans le cas du correspondant
roumain.
En revanche, tout comme l’étymon français, le mot roumain jupă semble
enregistrer (selon le MDN) des sens techniques plus récents, mais rarement
rencontrés, dans des syntagmes tels que: jupe de piston « jupes de piston »
(http://www.tagracing.net/pdf/2008Homologation/C.Gazelle2.pdf). Dans ce cas de
figure il s’agit plutôt d’un calque total, issu par la traduction fidèle des énoncés
français du même type, car le roumain dispose, pour dénommer la même réalité
extralinguistique, du mot valvă (un mot à étymologie multiple: du fr. valve, lat.
VALVA, selon le DEX).
En conclusion, bien que le roumain jupă ait initialement conservé toutes les
significations de l’étymon français, il s’est fixé dans la langue actuelle comme
synonyme parfait du mot jupon, au sens de « pièce de vêtement mise d’habitude
au-dessous d’une robe ou d’une autre jupe ». Par cette acception, moins usuelle
pour le correspondant français, le mot roumain désigne uniquement un
accessoire et non pas un objet de la mode vestimentaire proprement dit, étant défini
par les traits sémiques fondamentaux suivants: [+protection] et [+doublure].
3. Considérations finales
L’analyse lexico-sémantique contrastive de quelques unités composant le
micro-champ notionnel des « vêtements » en français et en roumain nous à permis
de constater qu’il y a une différenciation assez grande dans la reconfiguration
sémique des unités qui composent le même ensemble notionnel. Cette constatation
devient encore plus évidente lorsque le champ notionnel analysé se constitue lui
même dans un système sémiotique indépendant, intimement lié à l’univers
mentalitaire de chaque communauté. De ce point de vue et par notre
positionnement dans la zone de la néologie sémantique, cette approche démontre
premièrement la fonction de marqueur socio-culturel de l’emprunt lexical aussi
bien que la faculté dont chaque langue dispose pour accorder à chaque unité
signifiante une valeur (dans l’acception saussurienne du mot) à l’intérieur du
système.
D’autre part, une telle démarche attire l’attention une fois de plus sur la
sémantique assez différente des mots dits « internationaux », un aspect qui empiète
directement sur l’activité de traduction aussi bien que sur l’élaboration des
ouvrages lexicographiques (surtout bilingues ou étymologiques).
*Mihaela Popescu, Les emprunts lexicaux roumains au français: approche lexicographique
et sémantique du vocabulaire de la mode vestimentaire, in RRL (sous presse) 2011.
NOTES
1. Le mot français mode (du latin MODUS, avec le changement du genre), au sens d’ « ensemble
d’habitudes passagères, conformes au modèle esthétique reçu par la société à laquelle on appartient »,
dérivé, par extension métonymique, de la signification originaire « manière de se comporter propre à
un groupe social, une région, un pays » (TLFi) est d’ailleurs un emprunt panroman : roum. modă, it.,
esp., port. moda.
2. Il faut préciser que dans ce pourcentage ne sont pas intégrés les mots avec une existence éphémère
dans le vocabulaire analysé, tels que: bertă, balaieuză, bavolet, ghimpă, tabliet, etc. (v. aussi Popescu,
L. 2010).
3. Une analyse sémantique des emprunts roumains au français effectuée dans le cadre du projet de
recherche FROMISEM a fait ressortir la typologie suivante : (i) conservation – totale ou partielle – du
sens / des sens de l’étymon français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui
disparu en français (situation rencontrée dans le cas des mots appartenant à un domaine spécialisé,
technique et scientifique); (ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de
départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers
mécanismes sémantiques: extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages
métonymiques, glissements connotatifs, etc. (v. Iliescu et al. 2010: 593).
4. Pour diverses précisions sur les emplois actuels, nous avons utilisé aussi les sites Internet.
5. Les ouvrages lexicographiques roumains sont unanimes à indiquer pour étymon du roumain bluză,
le mot français blouse. Seul le NDU indique une étymologie multiple: « le roum. bluză provient du. fr.
blouse, allm. Bluse ».
6. Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le TLFi.
7. Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le DEX, le
DN et le MDN.
8. L’étymon *blaude se trouverait à l’origine de plusieurs variantes dialectales du fr. blouse (Littré).
9. Voir le célèbre tableau d’Henri Matisse intitulé « La blouse roumaine » où la blouse traduit en fait
le roumain ie.
10. Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le TLFi.
11. Les définitions étymologiques présentées par les ouvrages lexicographiques roumains dans le cas
du mot vestă ne sont pas convergentes. Tandis que le DEX et le MDN considèrent pour étymon
uniquement le mot français veste, le NODEX et le DLR indiquent une étymologie multiple: « le roum.
vestă provient de l’allm. Weste, fr. veste ». Le DN définit l’origine du mot roumain vestă toujours par
l’appel à l’étymologie multiple, mais choisit pour étymons le fr. veste et l’it. vesta.
12. Les sens indiqués représentent un résumé des descriptions lexicographiques données par le TLFi.
13. Les deux premiers sens sont indiqués par le DEX, tandis que les sens techniques sont enregistrés
dans le MDN.
14. Malheureusement, le RDW ne mentionne pas le mot jupă.
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3. Analyse sémantique de quelques lexèmes
du corpus
LE DESTIN DE QUELQUES MOTS D’ORIGINE
FRANÇAISE DANS LE ROUMAIN ACTUEL*
Le terme «néologisme» est loin de bénéficier de définitions uniformes, qui
puissent établir une fois pour toutes, des critères précis pour l’importation,
l’adaptation et l'intégration de ces mots. La caractéristique des néologismes est le
fait que, pour une certaine période de temps, ils sont ressentis par les parleurs
comme neufs. Le vocabulaire d'une langue est enrichi quotidiennement par des
néologismes (qui diffèrent des soi-disant occasionnalismes), qui, pour être validés
comme tels, doivent entrer dans une langue. Les néologismes se rapportent
toujours à un moment précis (par exemple, des néologismes sont entrés en roumain
pendant la Révolution de 1848, entre les deux guerres mondiales, après 1989, etc.).
Par conséquent le lien entre le vocabulaire et le renouvellement social devient
évident.
Dans la catégorie des néologismes, on peut faire des délimitations et on
peut discuter de certains mots nouveaux, de nouvelles significations, de nouvelles
combinaisons de mots (comme CyberCafé»), etc. Lorsqu’un mot entre dans la
langue, on doit tenir compte des problèmes suivants: l'orthographe, la
prononciation, le genre, la flexion et les significations.
En ce qui concerne la valeur pragmatique, les néologismes sont utilisés
comme des marqueurs socio-culturels. Dans cet article, nous présentons quelques
néologismes d’origine française et leur destin comme des structures formelles et
sémantiques en roumain.
(1) fr. aquit / roum. achiu
En français, acquit signifie soit «reçu», soit l’action d'acquitter quelqu'un
(du vb. acquitter) (TLFi, LITTRÉ). En roumain, il désigne soit « le premier coup
au billard pour déterminer qui commence le jeu » (du sens du fr. acquitter « donner
le premier coup ») ou « queue de billard » (DEX, MDN). Ce dernier sens est limité
à la région de Moldavie moldave et DA atteste aussi l'expression «a da achiu» pour
«donner le premier coup de billard» : « […] iar cilibiul dumitale, în loc de bani, iau frânt de cap un achiu, de care întâmplare femeia tractirgiului, supărându-se, şiau adunat oştile sale ». (Constantin Stamati, Cum era educaŃia nobililor români, în
secolul trecut, când domneau fanarioŃii).
En roumain, il y a aussi achiu qui signifie «céleri», mais celui-ci provient
du lat. apium.
En roumain actuel, achiu est utilisé avec le sens d'«acquisition», comme
une forme populaire (mais répandue) de l'acquis : « Ca să faci o licitaŃie trebuie să
respecŃi legislaŃia română în materie şi achiul comunitar » (http:// www.psd.ro/
newsroom.php? newi_id = 2548) ; « Eu n-am văzut român să intre în facultate şi să
n-o termine: decât daca era, Doamne fereşte, lovit de vreo molimă, sau dacă
butonul cu nebunie se declanşa mai devreme decât recomandarea achiu-ului
european »(http://training-vanzari.ro/2009/06/primii-patru-ani-sunt-grei-pana-trecide-anul-trei/); « Şi, în speranŃa că odată şi odată o să ne primească şi pe noi la masa
lor, încercam să ne facem temele, să ne implementam achiul comunitar »
(http://mcgogoo.blogspot.com/ 2008_06_01_archive.html).
Le dictionnaire d’argot de la langue roumaine confirme pour achiu le sens
«ivre» : « Cât ai zice peşte, a şi luat achiu. Muscadetul a fost dintotdeauna
slăbiciunea cea mare a lui Moş TăgârŃă. » ; « Luase niŃel achiu şi începea să
vorbească gura fără el. »(http://www.scribd.com/doc/11558463/SanAntonio-DacaTanti-Le-Avea1).
(2) fr. attache / roum. ataş
Bien qu'il n’existe pas de nombreux véhicules de ce type, presque tous les
gens de la Roumanie connaissent un side-car moto. En français, le mot attaché
(dérivé du verbe attacher) a un domaine très vaste d'utilisation: commercial,
maritime, anatomique, historique, des bijoutiers, botanique, archéologique,
céramique, de la musique, sport, technologie (TLFi). Mais aucun ne fait référence à
la motocyclette. Ataş, comme mot qui désigne le side-car, est le sens le plus utilisé
en roumain. « Anexă de metal prinsă lateral de o motocicletă, cu care se transportă
obiecte sau persoane » (DEX, DN, MDN). Bien sûr, l'idée de base est de lier, d'unir
deux pièces : « Cumpăr ataş pentru motocicletă, marca MZ ES 250, an fabricaŃie
1961! Poate să fie în orice stare, nu mă interesează. » (http://anunturigratuite.prahova-online.com/detail.php?id=20726); « Etapa a V-a Campionatului
Mondial de Motocros cu ataş se va desfăşura în zilele de 24 - 25 mai la Ciolpani,
pe DN1 – 30 km de Bucureşti » (http://2003.informatia.ro/ index.php?name=News
&file=article&sid=19660&theme=Printer); « Vreau pentru nunta mea să închiriez
un motor frumos cu ataş, de preferat oldtimer. » (http://www.motociclism.ro/forum
/index.php?showtopic=292218&st=0).
Ataş peut être utilisé pour d'autres moyens de transport non motorisés, par
exemple le vélo : « Vreau o bicicletă cu ataş. Aş avea mai mult echilibru şi nu aş
mai merge către casă singur. Promit că aş lua şi autostopişti în ea. »
(http://9paul.wordpress.com/2009/03/12/am-nevoie-de-o-bicicleta-cu-atas/);
« Bicicletă cu remorcă sau cu ataş dorsal» (http://www.funnypedia.ro/
imagini/vezi/cristi/692/bicicleta+cu+remorca+sau+cu+atas+dorsal). Nous avons
choisi la dernière citation, car elle marque une nette différence en roumain ; tandis
qu’en français l’attache peut être placée n'importe où, en roumain elle a une
position stricte latérale. La remorque est celle qui est placée en arrière.
En langage familier, l’attache représente le copain ou la copine d’une
personne, c’est à dire quelqu'un qui l’accompagne partout. Cette connotation est
négative, parce que l’attache humaine restreint la liberté et « étouffe » le partenaire.
Le Dictionnaire d'argot atteste un autre sens pour ce terme: « les fesses d'une
femme ». Dans le langage informatique, l’attache est un fichier joint à un mail
envoyé, mais en ce cas, il ne vient plus du français, mais de l'anglais
«attachement» ; ainsi, le roumain a adapté ce mot d’après le modèle existant déjà
dans la langue, parce qu'il exprime la même idée de «liaison» ou de «fusion» :
« Trimite mail cu ataş la adresa » (http://www.fabbydesign.rovezi_surse/4_18/php
_resources/trimite_mail_cu_atas).
(3) fr. bison / roum. bizon
En roumain et en français, le mot bison désigne un mammifère ruminant de
grande taille, répandu en particulier en Amérique. En roumain, à la différence des
bisons en français, bizon désigne aussi le cuir de cet animal, ou une imitation de
peau de veau (DEX, DN, MDN).
En plus, le français bison est aussi un symbole de la corvée acribique
(« travailler comme un bison » - TLFi). En roumain, il y a l’expression « a munci
ca un bou» (trad litt. « travailler comme un bœuf ») et on utilise le mot bizon avec
le sens « l'homme qui ne comprend pas bien, sot, mais qui fait de son mieux pour
s’imposer socialement ». Le bison est aussi un homme avec l'intelligence inférieure,
mais qui se fait remarquer par son comportement goujat, malotru. On remarque
qu’en Roumanie, pendant les dernières années, les campagnes d'éducation sociale
utilisaient le mot bizon, comme « bizon în trafic »: « Dorinel Munteanu întregeşte
colecŃia de bizoni a Stelei, uşor descompletată de ultimele două exemplare
manelizate public! » (Pro Sport, 4 noiembrie 2008); « Se pare că «Bizon în trafic»
nu e doar o expresie la figurat, binecunoscută din campania de responsabilizare în
trafic «Huo cu tata», ci o realitate undeva în America, probabil... »
(http://buburuza.net/2009/03/11823/); « S-a descoperit o nouă specie de animal
dăunător, şi anume «Bizonul de apartament», specie înrudită cu «Bizonul din
trafic», pe care îl recunoaştem deja. » (http://fbronnie.blogspot.com/2009/01/
pericolul-animalelor-bizon-de-apartament.html).
(4) fr. bistro / roum. bistrou
Le mot roumain bistrou provient du français bistro (on rencontre aussi la
forme bistrot). En français, le mot bistro désigne « un petit café, un petit restaurant
sympathique et modeste » et aussi « le patron de cet établissement », où l’on sert
principalement des boissons et des nourritures (TLFi). En roumain, le sens de
« patron d’un petit café » n’existe pas. DEX et DN considèrent le mot bistrou
comme un gallicisme. En français, il n'y a pas d’unanimité sur l'étymologie du mot
bistro / bistrot, donc plusieurs hypothèses sont discutées. L’une des variantes
considère le mot bistrot comme un régionalisme qui, au XIXème siècle, s’été
imposé partout: le poitevin bistraud ou le mot du sud de la France bistroquet. Une
autre hypothèse est plus proche du mot bistrouille qui, dans le nord de la France,
désignait un mélange de café et d'alcool. On constate aussi le rapprochement de
l’argotique bistingo, qui signifie «cabaret» (TLFi). Une autre opinion est celle
d’une étymologie populaire, qui rapproche le mot français bistrot du rus. bîstro
(vite). La légende dit que pendant l'occupation russe de Paris (1814-1818), les
soldats russes entraient dans les restaurants pour boire de l’alcool. Comme ils
n’avaient pas le droit d’entrer dans les restaurants et qu’ils avaient peur des gradés,
ils pressaient sur des serveurs français, en criant « bîstro ».
En roumain, le mot bistro connaît de nos jours une revitalisation parce que
de nombreux restaurants portent ce titre, ce qui confère un certain prestige et un air
de bohème. Si, en France, le bistrot signifie un petit restaurant, sans grandes
prétentions, où l'atmosphère est la plus importante, la tendance actuelle en
Roumanie transforme le bistro dans un restaurant avec des touches de luxe, ayant
comme public cible la nouvelle grande vie. Au-delà de l'usage familier, on trouve
une acception officielle du mot bistrot, dans le document intitulé Normele
metodologice privind clasificarea unităŃilor de alimentaŃie publică. Ici, le bistrot
est considéré comme une unité de «restauration rapide» et il est défini comme :
« Bufetul tip expres – bistrou este o unitate cu desfacere rapidă, în care fluxul
consumatorilor nu este dirijat, servirea se face de către vânzător, iar plata se face
anticipat. Unitatea este dotată cu mese tip expres» (http: //
rotur.ro/index.jsp%3Fpage%3 Dleg_tur%26tip%3Dalimentatie).
(5) fr. câble/ roum. cablu
Cablu vient du français câble et dans les deux langues le sens le plus utilisé
est celui de «gros cordage fait d'un ensemble de diverses fibres végétales ou de fils
métalliques » (TLFi, DEX, DN, MDN). Le deuxième sens, dans les deux langues,
est plus proche de nos jours et il est très répandu : « câble électrique », « ensemble
de conducteurs distincts, mécaniquement solidaires» (TLFi, DEX, DN, MDN). Le
troisième sens en roumain et en français est « anacablură » (du fr. encablure),
« mesure de distance égale à la longueur des anciens câbles soit 180 mètres »
(TLFi, LITTRÉ, DEX, DN, MDN).
En roumain actuel, câble désigne le type de télévision digitale, opposée à
la télévision analogique, où la transmission du signal se fait via un câble coaxial.
C’est une réduction de l'expression «televiziune prin cablu » qui existe aussi en
français « télévision par câble» : « Scumpirea RCS-RDS la cablu şi internet va fi
de aproximativ 10 la sută. » (http://comanescu.hotnews.ro/rcs-rds-scumpestecablul-si-internetul.html). Ici on peut voir très bien que le mot cablu désigne
strictement la télévision par câble, parce que la connexion internet se fait aussi via
un câble. Mais la différence est évidente. Stop abuzurilor RCS & RDS şi ale altor
firme de cablu! ANPC să-şi facă datoria! » (http://www.petitieonline.ro/petitie/
stop_abuzurilor_rcs_rds_si_ale_altor_firme_de_cablu_anpc_sa_si_faca_datoria_p46853053.html).
A partir de ce dernier sens, on a formé en roumain le substantif cablagiu,
avec une nuance péjorative, en plus du sens de « celui qui s’occupe de l'installation
/ la réparation des câbles ». Le mot n'est pas attesté dans les dictionnaires roumains.
« Cobor jos şi dau o tură în jurul blocului că poate găsesc picior de cablagiu»
(http://oradeanul.com/index.php?s=cablagiu); « Când eram mic mic vroiam să fiu
mecanic auto, apoi doctor, irigator, şofer, instalator electrice ca până la urmă să
ajung cablagiu. » (http://www.cdmitroi.ro/2009/10/chestionar/); « Se vede treaba
că eşti un simplu cablagiu dacă îmi dai răspunsurile astea. »
(http://www.xtremepc.ro/forum/viewtopic.php?f=42&t=18905).
Il y a une autre variante provenant du câble, qui est formé avec le suffixe ist, cablist, qui désigne aussi bien celui qui travaille avec les câbles (cablagiul) que
la Compagnie de télévision par câble. Ce mot non plus, il n'est attesté dans les
dictionnaires roumains : « Cablist pentru firmă internet » (http://www.ejobs.ro/user
/locuri-de-munca/s-c-softexpert-s-r-l-cablist-pt-firma-internet/77167/arch);
« Românii descoperă plăcerea de a migra de la un cablist la altul » (România
Liberă, 15 august 2007).
(6) fr. étape / roum. etapă
Le roumain a pris du français les significations qui renvoient à un
intervalle de temps (du mars de l'armée, d’un processus ou des compétitions
sportives) ou à l'espace (LITTRÉ, TLFi). En roumain contemporain, etapă est plus
souvent utilisé pour designer « la journée footballistique » (ou dans d'autres sports
de ballon), c'est-à-dire plusieurs parties qui se jouent à une certaine date. En
cherchant sur Google, on peut constater que cette affirmation est valide pour la
langue roumaine. Après la «journée footballistique », une autre utilisation
importante de ce mot est dans le sport de roues (course automobile, moto, vélo). En
roumain, il s’agit aussi de etapă. Le français fait la distinction entre l’étape de vélo
ou de la course automobile (étape) et celle de football (journée). « Adversara Stelei
din Grupa H a Ligii Europa, FC Şerif Tiraspol, a învins, miercuri, în deplasare,
liderul Dacia Chişinău, scor 2-1, într-un meci jucat în etapa a 19-a » (Cotidianul,
18 noiembrie 2009); « Adversara lui CFR Cluj din Grupa K a Ligii Europa, PSV
Eindhoven, a învins, vineri seară, în deplasare, pe Sparta Rotterdam, scor 3-2, întrun meci din etapa a 15-a a campionatului Olandei » (Cotidianul, 28 noiembrie
2009); « Spectacol în Ştefan cel Mare. Dinamo şi Rapid au remizat în derbyul
etapei cu numărul 13 » (Evenimentul zilei, 9 noiembrie 2009).
(7) fr. jalousie / roum. jaluzea
Le mot jaluzea (utilisé le plus souvent au pluriel) est formé, en roumain, du
fr. jalousie avec un suffixe autochtone. En roumain le sens primaire et le plus
utilisé est celui de store qui couvre les fenêtres (DEX, DN, MDN) ; en français,
c’est le deuxième sens (TLFi, LITTRÉ).
D’autre part, le sens principal de jalousie est « jaloux » (TLFi, LITTRÉ),
terme que le roumain a pris de l’it. gelosia. Le français a pris de l’it. gelosia
justement le sens qui, en roumain, a donné jaluzea. Dans le DEX on trouve aussi le
mot jaluzie, utilisé pour jaloux, qu'il considère comme un gallicisme vieux, tandis
que dans le DAR il y a pour jaluzie le sens de «store». En français, il y a aussi un
autre sens de jalousie (mais qui n’existe pas en roumain) : « ancienne espèce de
contredanse » (LITTRÉ). Dans le MDN on trouve un autre sens de jaluzea :
«dispositif monté devant une lentille de projection ». Ce sens existe aussi en
français même si les dictionnaires ne le montrent pas: « une jalousie c'est aussi un
accessoire complémentaire à un projecteur de théâtre ou de cinéma composé
effectivement de lames orientables qui permet de graduer le flux lumineux d'un
projecteur équipé de lampes à décharge qui ne sont pas elles-mêmes graduables. »
(http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20070316164519AAnpVVC).
Jalousie désigne en français aussi un gâteau, sens introuvable dans les dictionnaires.
En Roumanie on peut manger aussi ce type de dessert : «Jaluzele cu prune »
(http://www.eculinar.ro/reteta/?6019).
(8) fr. lavable / roum. lavabil, -ă
En roumain et en français, les sens principaux de cet adjectif (dérivé en
français avec le suffixe -able du verbe laver) sont identiques : « qu'on peut laver »
(TLFi, DEX, DN, MDN). Dans les dictionnaires roumains, on trouve aussi
l’indication «de tissu » (DEX, DN, MDN), tandis que dans le TLFi, on dit qu’il
s’agit de « tissu, cuir, papier peint lavable ». Dans le LITTRÉ, on découvre un sens
argotique de « lavable » du vb. laver, signifiant « vendre » (sens qui n’existe pas en
roumain). En roumain actuel, cet adjectif est devenu un nom avec deux formes:
lavabil et lavabilă. Les deux formes proviennent des expressions : vopsea lavabilă
ou var lavabil : « Noi ne finisăm casa, aşa că ne trebuie lavabil şi pentru interior, şi
pentru faŃadă. »(http://forum.desprecopii.com/forum/topic.asp?TOPIC_ID=104157
); « Cum zugrăvesc peste lavabilă? Şi pe unde perete s-a crăpat un pic lavabila ce
trebuie să fac ? » (http://www.condo.ro/ comunitate/forum/view_topic/1773/Cumzugravesc-peste-lavabila.html).
En roumain, lavabil / lavabilă comme des noms sont ressentis seulement
quand ils se rapportent à la peinture. Lavabil apparaît aussi comme un déterminant
d'un substantif, mais il ne renvoie plus aux tissus, comme les dictionnaires
déclarent. « Tapetul lavabil este acoperit cu un film subŃire de plastic. »
(http://www.decostyle.ro/index.php?a=282).
(9) fr. magnétiser / roum. a magnetiza
Les sens fondamentaux de magnétiser (dérivé avec le suffixe -iser de
magnétique), en français et en roumain, portent sur les processus physiques de
« communiquer les propriétés du magnétisme à un corps, une substance » et aussi
« exercer une attirance très forte, inexpliquée sur quelqu'un ou quelque chose»
(TLFi, LITTRÉ, DEX, DN, MDN). La deuxième signification a un sens propre,
non figuré. Il s'agit des expérimentations de Franz Anton Mesmer en relation avec
le « magnétisme animal » (appelé «fluide magnétique»), qui se sont propagées
rapidement dans les salons de l'Occident, et qui sont devenues très populaires. Le
roumain a développé un sens différent de ce mot : « étourdir ». Ce sens est devenu
célèbre surtout grâce à la pièce de théâtre D’ale carnavalului, écrite par
I.L.Caragiale en 1885 ; on trouve ce sens trois fois dans cette pièce :
« CATINDATUL: Atunci aici; sunt magnetizat, am poftă de cadril, să-mi fac vânt.
» ; «CATINDATUL: Uf! şi m-am magnetizat!... Lucrează magnetismul... Nu mai
poci de cald! »; « CATINDATUL: De ce? De măsea? Aş! Am magnetizat-o! »
(http://ro.wikisource.org/wiki/D'ale_carnavalului). Ce sens est aussi fréquent en
roumain actuel : « La ore nu a venit niciodată beat sau magnetizat, însă figura lui
era tipică, a cetăŃeanului turmentat. » (http://www.gociman.com/nichita/revista_
bacaonia.html).
A cet effet, Rodica Zafiu souligne que: «Certains euphémismes tourmentée, magnétisé, affecté, fatigue – ont le sens «ivre» seulement sous la
pression du contexte. » (Rodica Zafiu, «Cuvintele beŃiei». În: România literară,
nr.51-52/2007)
(10) fr. matinée / roum. matineu
En roumain, le mot matineu est du genre neutre, tandis qu’en français le
mot matinée est féminin. Une explication de ce changement de genre peut être
fournie par le fait que le singulier français a été pris en roumain comme un pluriel.
De ce (faux) pluriel s’est formé puis le singulier, en roumain. En français, matinée
est dérivée du mot matin, (du lat. matutinum) (TLFi, LITTRÉ). En France,
«matinée», le spectacle avait lieu au cours de l’après-midi, pour se distinguer de
soirée (TLFi), et, en roumain, c’est une représentation en matinée (théâtre, cinéma,
musique, littérature) qui se tient jusqu'à midi (DLR, DEX, DN, MDN) (ce sens est
plus proche du sens originel français, ce qui implique le «matin»). En roumain, le
mot matineu désigne les représentations cinématographiques qui ont lieu le matin,
où le prix est accessible. L’expression «preŃ de matineu » est apparue à partir de
cette idée d'accessibilité et elle se réfère à l'investissement mineur par rapport à la
qualité achetée : « Tăriceanu cel fără de teamă – criza internaŃională, luată la preŃ
de matineu de Guvernul României » (www. george-w-bush.infonews.
ro/article105523.html) ;
«Câini»
luaŃi
la
preŃ
de
matineu »
(http://www.9am.ro/stiri-revista-presei/2008-01-16/caini-luati-la-pret-de-matineu.
html).
Le roumain a étendu l’un des sens quand il s'agit de la langue du sport (le
football en particulier). De spectacle ou de réunion mondaine, le sens a été
extrapolé pour le jeu de football joué jusqu'à l'heure du midi par les équipes d’une
division inférieure. Alors on peut expliquer le sens ironique, péjoratif, qui est
donné dans cette acception : « EmoŃii, nervi şi şmecherii de matineu » (ProSport, le
9 juin 2007), «StudenŃii, trimişi la matineu » (Adevărul, le 24 juillet 2006). Le mot
matineu, en ce sens, peut être expliqué par le fait que dans les divisions inférieures
du football en Roumanie, les parties commencent à 11h. D'où résulte le deuxième
sens, aussi péjoratif : division inférieure et des moyens matériels limités.
(11) fr. niche / roum. nişă
Le mot nişă a une remarquable richesse sémantique en roumain et en
français (où le mot a été emprunté comme terme architectural à l’it. nicchia). Dans
les deux langues, le sens de base est celui du domaine de l'architecture. Le sens
français de « petit meuble portatif dans lequel se retire et se couche un chien, un
chat » (TLFi, LITTRÉ) n’existe pas en roumain. En outre, le roumain a emprunté
au français les sens de la médicine et ceux qui concernent l'écosystème (TLFi,
LITTRÉ, DEX, DN, MDN). Les dictionnaires français et roumains n’attestent pas
le sens de « niche fiscale », syntagme qui existe dans les deux langues ; «niche
fiscale» est une exemption d'impôt : « Economia subterană estimată la 20% din
PIB […] numeroase nişe fiscale » (Obiectiv de Suceava, 14 decembrie 2009).
Ces dernières années, il est apparu en roumain un autre sens de nişă, qui se
réfère à la télévision: «télévision de niche ». Une «télévision de niche » n'a pas un
profil général, elle se concentre sur des domaines spécifiques: journaux télévisés,
sport, mode, voyage, etc. : « Întrebat de către Elena Vlădăreanu şi Bogdan Iancu
despre avantajele tv-urilor de nişă, am răspuns cum m-am priceput în România
Liberă de
azi. »
(http://textier.blogspot.com/2007/02/despre-tv-urile-de-ninromnialiber.html); « Realitatea TV este o televiziune de nişă » (Wall-Street, 23
iunie 2005); « TVR lansează la jumătatea lunii octombrie TVR Info – o televiziune
de nişă » (http://www.tvrinfo.ro/index.php/articol/televiziunea-romana-lanseazatvr-info-si-tvr3.aspx).
De ce sens de niche, on a dérivé le verbe a nişa qui n'a rien de commun
avec le verbe du français nicher et le substantif nişare (accent mis sur un certain
domaine) « Nişarea este o reŃetă de succes, oricum am vedea-o »
(http://textier.blogspot.com/2007/02/despre-tv-urile-de-ni-n-romnia-liber.html);
« Am observat o tendinŃă spre nişare demografică, geografică etc. Nişarea pe
feature
este
destul
de
rară,
cel
puŃin
în
România. »
(http://basicmarketing.ro/marketing-online/feature-vs-product-vs-company/);
« Puternica nişare a materialelor video postate pe internet reduce timpul pe care
utilizatorul îl petrece căutând ceea ce doreşte săurmărească. »http://www.iqads.ro/
Internet_read_8472/reclame_video_dupa_chipul_si_asemanarea_consumatorilor.ht
ml).
(12) fr. parloir / roum. parloar
En français, parloir est dérivé du verbe parler avec le suffixe -oir (cf. lat.
méd. parlatorium - TLFi). Selon DEX, parloar est considéré comme livresque;
selon DLR il s’agit d’un gallicisme. En roumain actuel, parloar est évidemment
très peu utilisé et au lieu de ce terme apparaît vorbitor, qui est la traduction en
roumain de parloir (DLR). En roumain actuel, parloar a le rôle d’évoquer
l'atmosphère d’une certaine époque passée; il ne désigne pas seulement l’endroit où
on peut avoir une conversation, mais aussi l'acte de parler : « Miercuri şi sâmbătă
este parloar, de la 3 la 3 jumate. Duminică te aştept la Turnul Chindiei. » ; « Neam mai întâlnit în câteva duminici, a venit la parloar unde ne-am sărutat la plecare
în faŃa celorlalŃi ». (Marius Dobrin, «Jadwiga», în Poveşti din….ICQ, 2005). Dans
les anciens textes, à la du fin XIXe siècle, on trouve la forme parloir, tout comme
en français : « În fine, ne-am sculat de la masă şi am intrat în parloir » (Memoriile
lui Teohari Antonescu, 1893 XII, 26, luni).
(13) fr. charlotte / roum. şarlotă
Charlotte est actuellement l'un des desserts les plus populaires en
Roumanie et elle a dépassé le sens primaire de «entremets fait de marmelade de
pommes ou de crème fouettée entourée de tranches de pain beurrées ou de
biscuits » (TLFi). Dans les deux langues, ce plat a évolué: ainsi trouvons-nous en
roumain et en français «charlotte de légumes », « charlotte de veau », « charlotte
aux champignons », etc. Ce dessert a été nommé ainsi en l'honneur de la ReineCharlotte (duchesse Sophie Charlotte von Mecklenburg-Strelitz), épouse de George
III (roi du Royaume-Uni et d’Irlande entre 1760 à 1801, puis roi du Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d’Irlande, entre 1801 et 1820). TLFi ne considère pas qu'il
existe des preuves suffisantes à cet égard. Si le dessert est nommé d’après le nom
de la reine, son moment d’apparition peut être établi avec suffisamment de
précision, parce que la Reine-Charlotte a vécu entre 1744 et 1818. En roumain,
seulement MDN atteste la contribution des biscuits à la préparation de ce dessert;
les autres définitions (DEX) portent sur les différentes variétés de crème. La recette
originale de la charlotte a été inspirée par la crème bavaroise, qui a été produite par
les Suisses.
Ce que le roumain n’a pas importé est le sens suivant : « large chapeau
souple dont le bord est froncé de volants » (TLFi). C’était un chapeau de dame,
populaire au XVIIIème siècle (et au début du XIXème siècle) parmi les classes
moyennes et inférieures. On considère que le nom vient du nom Charlotte. Il faut
préciser que le nom vient du nom de la célèbre Charlotte Corday, qui, le 13 Juillet
1793, a tué Jean-Paul Marat. En 1838, nous trouvons : « [...] une duchesse porte
des bonnets à la Charlotte Corday, une méthodiste porte des turbans à la Juive
[...] » D. de Girardin, Let. parisiennes, 258 (Charpentier).
C’était un bonnet comme celui porté par Charlotte Corday. Le chapeau de
type charlotte était encore connu en France au XIXème siècle comme le bonnet des
laitières (on remarque le sens péjoratif). Aujourd’hui, en France, c'est aussi le nom
du bonnet qui recouvre les cheveux dans certaines industries (en particulier les
industries agro-alimentaires, pharmaceutiques et parfois chimiques) et en chirurgie,
pour des raisons d'hygiène.
(14) fr. chiffonnier / roum. şifonier
En français, chiffonnier est dérivé du chiffon avec le suffixe-ier, ière.
Chiffon est dérivé de chiffe avec le suffixe -on. Chiffe, selon TLFi provient de
l'anglais, du chip. En français, la forme féminine est rarement utilisée et désuète,
main le roumain a pris cette forme et l'a utilisé. En roumain, le premier sens est
celui de petit meuble dans lequel on garde les vêtements et la lingerie (DLR),
tandis qu’en français, le premier sens est : « personne qui fait le commerce de
vieux chiffons, de vieux objets, achetés ou ramassés dans les rues» (TLFi). TLFi
enregistre aussi le sens de «homme de lettres de bas étage, qui collectionne et
diffuse des faits, des nouvelles hétéroclites, sans intérêt et souvent sans
fondement. » et dans LITTRÉ on peut trouver : « C’est un chiffonnier, ce n'est
qu'un chiffonnier, se dit d'un homme qui, ramassant partout des nouvelles de
mauvais aloi, les débite au hasard ; se dit aussi d'un homme tracassier. » Une sorte
de cancanier, de médisant. Ce sens existe encore en roumain, mais il est rarement
utilisé : « Un alt şifonier ambulant o să ne înjure, apoi o să ne drăgălească, o sajungă şef pe spinarea noastră şi-o să facă bancuri cu români sau o să ne dea
laxative » (România liberă, 27.12.2004). Dans la citation ci-dessus on remarque le
fait que l’auteur ne se réfère pas au marchand ambulant, mais à quelqu’un de bas
étage, au cancanier. Ce sens est peu utilisé en roumain actuel. (il ne se retrouve pas
dans DEX, DN, MDN)
Conclusions
Les exemples présentés mettent en évidence le fait que le destin des mots
empruntés au français n'est pas uniforme: certains mots du français ont reçu en
roumain des extensions sémantiques, les autres ont connu des limitations de sens.
Certaines significations des mots du français n’ont pas été «importées» par le
roumain, à cause du manque de leur actualité, quand le contact culturel massif
entre les deux pays a commencé.
*Ramona Dragoste, article publié sous le titre de Destinul unor cuvinte de origine franceză în limba
română, Analele UniversităŃii din Craiova, ŞtiinŃe filologice, Lingvistica, 2009, 1-2, p. 295-301
BIBLIOGRAPHIE
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TLFi = Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.
DE CALPAC A JOBEN : LE CHANGEMENT DES CODES
VESTIMENTAIRES ROUMAINS SOUS L’INFLUENCE
FRANÇAISE*
L'influence française sur la société roumaine, exercée d’une manière
cohérente et continue depuis la fin du XVIIIe siècle, a touché différents secteurs de
la vie publique. L'un des domaines dans lequel cette influence s'est manifestée de
façon spectaculaire a été la mode, qui a connu des changements radicaux sous
l'effet de la mode parisienne. La noblesse roumaine passe par l’intermédiaire des
«filfisons» et des «bonjouristes» à la mode vestimentaire occidentale, plus souple,
plus légère et plus élégante. C'était à ce niveau, une séparation de l'Orient
hétéroclite et une approche déterminée de l'Occident. Ainsi, les Principautés
Roumains (plus tard la Roumanie) s’alignaient-ils à la tendance européenne dans le
domaine vestimentaire, qui était fortement orientée par la France.
En ce qui suit, nous donnerons quelques exemples de mots d'origine
française entrés en roumain dans le domaine vestimentaire. Certains de ces mots
(alendelon, gambetă, joben) viennent des noms des personnalités françaises. En
roumain, ils sont devenus des noms communs tandis qu’en français ils n’existent
pas sous cette forme.
(1) fr. - / roum. alendelon
L'apparition d’alendelon en roumain est directement liée à la période qui
commence au cours des années 60 du XXème siècle en Roumanie, une période
d’une grande ouverture vers l'Occident. On cultive surtout les relations avec la
France, il y a des traductions d'ouvrages d'auteurs français, à la télévision sont
diffusés des films français, qui sont devenus très populaires à l'époque. Alain
Delon ne pouvait pas rester inaperçu, même dans un pays communiste comme la
Roumanie. Il n'était pas nécessairement un très bon acteur, mais un étalon de la
beauté, de l'élégance et du raffinement. Ainsi, un manteau de fourrure porté par
l’acteur dans un de ses films des années 60 a-t-il conduit en Roumanie à la
dénomination de ce type de vêtement d’après le nom de l’acteur. C'était un
vêtement très populaire, surtout jusqu'en 1989, considéré comme un symbole d'une
certaine position sociale, un objet vestimentaire désiré : « Şi eu am purtat alendelon,
şi tu, şi Florin Piersic, şi Iurie Darie, şi Aurelian Andreescu, şi Dan Spataru, şi
fotbalistul Oblemenco; nu mai vorbesc de mesdames: avea Angela Similea un
alendelon până-n pământ […] Până la apariŃia în masă a blugilor, alendeloanele au
fost la noi principala conexiune vestimentara cu Vestul» (Adrian Cioroianu,
« Aventurile româneşti ale lui Alain Delon», în Dilema Veche, 28 septembrie 2006);
« PoŃi să cauŃi o bucată de cojoc de ăla îmblănit, alendelon şi să îmbraci motorul. »
(http://www.daciaclub.ro/Mai-e-nevoie-sa-acoperim-partial-radiatorult201614.html); « Aşteptăm varianta de iarnă – blăniŃă, un alendelon »
(http://www.simonatache.ro/2010/10/12/nou-in-moda-husa-tricotata-pentrubicicleta/).
On a longtemps soutenu qu’en France on n'a pas entendu d’alendelon et
l’acteur lui-même ne sait pas que son nom signifie aussi un vêtement porté en
Roumanie. Mais dans le livre L’étonnant voyage des mots français: Dans les
langues étrangères, écrit par Frank Resplandy et publié en 2006, l’alendelon y est
mentionné.
(2) fr. fourreau / roum. furou
Le sens le plus utilisé de furou en roumain est celui qui concerne les sousvêtements des femmes « vêtement étroit qui moule le corps, que l'on porte
généralement sous un autre vêtement (souvent une robe transparente) » (DEX,
MDN). En français, c’est seulement le deuxième sens, qui apparaît en français
environ 700 ans après le premier sens (celui de « gaine allongée, étui de protection
et de rangement (d'un objet généralement de même forme), en métal, en cuir ou en
matière souple » (TLFi). En roumain, le sens de «fourreau d'épée» ou celui
botanique n’existe pas. On trouve uniquement dans le MDN le sens anatomique
vétérinaire, qui apparaît aussi en français : « gaine cutanée contenant la verge (chez
certains animaux dont le cheval) » (TLFi).
La langue roumaine a pris ce mot avec le sens vestimentaire. En France, le
fourreau a été une robe à la mode à partir du règne de Louis XVI. Apparemment,
son épouse, l'autrichienne Marie-Antoinette, a imposé la mode de cette robe
moulée, qui fut rapidement imitée par les dames de l'époque. La mode de la robe fourreau a duré jusqu'à l’instauration du Premier Empire. Ainsi, la mode de la robe
- fourreau en France peut-elle être délimitée avec une précision suffisante, tenant
compte du fait que Louis XVI a régné entre 1774 et 1792 et le Premier Empire est
instauré en 1804, avec le sacré de Napoléon I. La vogue de la robe - fourreau a
duré en France presque un quart de siècle et probablement en cette période la mode
de la robe - fourreau est entrée dans les Pays Roumains, soit par l’intermédiaire des
modistes, soit par les membres de la haute société qui avaient des relations étroites
avec la France.
Si la définition française de fourreau a plutôt le sens de « robe de soirée »,
en roumain, il s’agit d’un article des sous-vêtements porté pendant la journée. En
roumain, il n’existe pas le sens de fourreau comme vêtement pour enfants (TLFi
considère ce sens comme vieux) et il y a aussi l’expression « rochie furou » pour
distinguer cette robe de l'objet de sous-vêtements. Mais on doit faire la différence
pour le « fourreau » original: la robe fourreau est nommée d’après la forme et les
caractéristiques du fourreau comme objet de sous-vêtements : « Pentru petrecerile
anului 2008, designerul Livia Opritza le propune tinerelor rochia-furou, un model
care a făcut ravagii în anii ′70. » (http://stiri.zoot.ro/Cucereste-cu-rochiafurou,279703.html); « De asemenea, o rochie furou cu un decolteu generos te va
face să arăŃi magnific. » (http://www.mytex.ro/femina/rochia-de-mireasa-se-alegein-functie-de-morfologia-siluetei_234123.php).
(3) fr. - / roum. gambetă
Léon Gambetta a été l'un des plus importants politiciens français. Figure de
proue des Républicains, il a été le président du Conseil des Ministres entre le 14
Novembre 1881 et le 31 Décembre 1882. C'est un moment où les échanges
interculturels, politiques, commerciaux et mondains entre la France et la Roumanie
sont très étroits. Gambetta devient un modèle pour de nombreux politiciens
roumains, son nom s’imposant en Roumanie, plutôt pendant la guerre francoprussienne, quand il a réussi à sauver le Paris assiégé à l’aide d’un ballon et puis il
a organisé la défense française. Son nom est une présence constante dans la presse
roumaine de l’époque, d’après Ioana Pârvulescu (« Din vremea lui Caragiale»,
România literară, nr.43/2005). Gambetta est déjà un nom de référence à Bucarest.
Dans O scrisoare pierdută (1884), on fait la célèbre confusion entre Machiavel et
Gambetta : « Scopul scuză mijloacele, cum a zis nemuritorul Gambetta ». Le type
de chapeau porté par Gambetta, le melon, devient un nom commun en roumain,
tandis qu’en français ce terme est absent. Comme objet de vêtements, gambeta sert
à la catégorisation sociale, d’après Radu Rizea : « Gambeta şi Ńilindrul încercau, la
începutul anilor 1900, să pună o distanŃă între cei cu venituri rezonabile şi
sărăcime. » («Acoperirea bonjuristă», în Săptămâna Financiară, 19 mai 2006).
Comme chapeau, gambeta a survécu, étant un objet vestimentaire obligatoire
même aujourd’hui aux festivités : « De atâtea gambete, canotiere, jobene, nu se mai
vedea trotuarul. » (Jurnalul NaŃional, 26.02.2009); « Un fost boxer care adoră să
apară în public purtând gambetă » (Gazeta de Sud, 7 mai 2006).
En français, s'il n'y a pas le chapeau qui porte le nom du grand homme
politique, il existe une boisson d'origine provençale nommée «sirop Gambetta», qui
est consommée principalement dans le sud de la France. Ce sirop est obtenu par
macération de plantes, de fruits et d'écorces de plantes et caramel. Lorsque le sirop
est consommé dilué avec de la limonade, on parle d’une «Gambetta limonade» et
lorsqu'il est mélangé avec de la bière, il s’agit de « Demi-Gambetta».
(4) fr. - / roum. joben
Ce substantif commun dérivé d'un nom propre, inexistant en français
(comme gambetă) est, en roumain, d'une vitalité remarquable, étant utilisé depuis
la moitié du XIXe siècle jusqu’aujourd'hui dans différents contextes, par bien des
gens.
Vers la moitié du XIXe siècle, le marchand français Jobin arrive à Bucarest,
où il ouvre un magasin de chapeaux dans l’auberge Cretulescu (plus tard, il se
déplacera dans la maison Ghica / Brofft). Jobin n’ pas inventé ce type de chapeau
(qui en Transylvanie a été appelé Ńilindru, de l'allemagne Zylinder / Zylinderhut),
mais l’anglais Heterington (1797). D’autres marchands de chapeaux sont arrivés à
Bucarest après Jobin (par exemple, Paul Martin, qui avait le magasin au rez-de-
chaussée du Grand Hôtel Brofft et qui vendait seulement des chapeaux coûteux),
mais le nom joben pour ce chapeau a été naturalisé en roumain.
Le mot est utilisé aussi aujourd’hui et il n’est pas considéré vieux : « În
cazul în care port un joben, sau o umbrelă, ori o eşarfă mai hoaŃă, oamenii nu vor
mai spune «tipul ăla în costum», ci «tipul ăla cu joben »
(http://www.astrolight.ro/2010/04/30/ascendentul- costumul- jobenul-si-soldatelulla-lupta/); « Jobenul este realizat din tafta. La cerere putem confecŃiona acest
articol în orice culoare şi pentru orice mărime » (http://www.pif-paf-puf.ro/?p=84).
En roumain, il y a aussi l’expression « a scoate din joben » avec le sens
« apparaître à l'improviste » en faisant référence aux performances de magie et
d'illusions, où les protagonistes utilisaient un joben pour leurs tours : « Guvernul
scoate din joben şase prefecŃi noi » (Evenimentul Zilei, 29 ianuarie
2009); « Magicianul Cristiano Ronaldo a scos încă un gol din joben »(sport.ro, 22
iunie 2010); « CE scoate prognoze din joben » (Bloom biz, 20 ianuarie 2009).
(5) fr. marchande (de modes) / roum. marşandă
Le mot roumain marşandă provient du fr. marchande (de modes). En
français, le mot marchande est le féminin du substantif marchand (lat. mercantans
–tis) (TLFi). En roumain, c’est un mot archaïque (selon DER, DEX, DN) et son
premier sens est : «patron d'un magasin des modes» (DLR) tandis qu'en français,
le sens est essentiellement « commerçant ». Progressivement, le roumain renonce à
la détermination «des modes» et reste seulement avec marchande. En 1850,
Kogalniceanu a utilisé le mot dans son roman Tainele inimii : « pentru că dl Felix,
ca mulŃi bărbaŃi de stat ai noştri, nu se mulŃumeşte cu o singură profesie, iubeşte a
cumula, şi pe lângă cofetar este încă şi... marşandă de mode. »
Après trente-cinq ans, Caragiale dans D’ale carnavalului utilise seulement
marşandă: « Îl cheamă Iancu Pampon; îi mai zice şi «ConŃină cu 5 FanŃi»; a fost
tist de vardişti de noapte la Ploieşti: acuma face pe jucătorul de cărŃi; e neînsurat,
dar precontează pe una Didina Mazu, ex-marşandă».
Le même auteur dans Caut casă, note:« La mirarea mea că văz un salon în
trei colŃuri, stăpâna casei, care e marşandă, robes et confections, îmi desluşeşte că
toate casele de pe strada aceasta sunt aşa ».
(6) fr. melon / roum. melon
Le chapeau melon a fait sensation dans le monde entier et il est devenu
rapidement une mode qui s'est répandue dans la première moitié du XXe siècle. Ce
type de chapeau apparaît fréquemment dans les œuvres d’art : peinture (Magritte –
L’homme au chapeau melon), cinématographie (Charlot, le commissaire Maigret,
Laurel et Hardy) Même les femmes des tribus indigènes du Pérou portent,
aujourd'hui, de tels chapeaux, amenés apparemment par les ingénieurs britannique
lors de la construction du chemin de fer (cf. wikipedia.fr).
La langue roumaine distingue trois variantes de cet objet: pălărie - melon
(sur le modèle français), melon (sans déterminant) et pălărie de tip melon (qui
semble une tendance de hypercorrection). Pălărie melon et pălărie de tip melon
sont de plus en plus utilisées pour éviter la confusion avec le terme melon, le plus
utilisé dans les cosmétiques (des différentes crèmes avec melon), gastronomie (des
yaourts ou des gâteaux avec du melon) etc.
(7) fr. modiste / roum. modistă
En français, le mot modiste est dérivé de mode (avec le suffixe-iste). Mode
vient du lat. modus (TLFi). Le mot modistă a connu en roumain un renouvellement
inattendu les dernières années. LITTRÉ et Larousse attestent pour ce terme la
signification «faiseuse de chapeaux, marchande de modes ». Dans le TLFi on
trouve le sens suivant : « celui, celle qui confectionne des vêtements féminins».
Une simple recherche sur google.fr indique pour modiste, en français actuel, le
sens de «créatrice de chapeaux et les accessoires utilisés ». En français, le champ
sémantique du mot modiste regroupe les objets qui concernent les chapeaux. On
trouve rarement le sens de « créatrice des vêtements».
En roumain, modiste est entré avec le sens de « faiseuse de chapeaux » :
« Aneta Engels, inspirata modistă, îsi făcea o asiduă reclamă în presă. Pentru a
atrage clientela dornică de noutăŃi, dedicase modelul (căciula de dorobanŃi, n.n.)
doamnei Ńării, principesa Elisabeta. Este posibil să fi apărut şi unele imitaŃii din
moment ce modista atrăgea atenŃia, printr-o suită de anunŃuri, că numai ea poseda
modelul original ». (Dr. Adrian-Silvan Ionescu, Doamna Engels cucereşte Europa,
revista Historia, 2002, cu referire la a doua jumătate a secolului al XIX-lea).
De nos jours, le mot modistă est utilisé pour faire référence à la créatrice
de mode. Le terme connaît une nouvelle ère de gloire, parce que la Roumanie
traverse une véritable « explosion » dans le domaine vestimentaire. Par conséquent,
les nouvelles mondaines ont de nombreux sujets dans ce domaine, et le mot
modistă est réapparu pour éviter les répétitions fastidieuses et pour remplacer le
syntagme « créatrice de mode ». En outre, le terme actuel modistă a un sens un peu
péjoratif et il désigne une femme superficielle du monde de la mode d’une moralité
douteuse: « Se pare că scandalul în care modista (RomaniŃa Iovan, n.n.) a fost
implicată, în luna septembrie, alături de Radu Popa, nu a afectat-o foarte tare, nici
pe ea şi nici căsnicia ». (Atac, 25 noiembrie, 2006); « Probabil o să avem ocazia,
asta pentru că a dat Zina Dumitrescu startul şi daca o doamnă modistă spune că
asta e tendinŃa, mâine-poimâine o să vedem turma de mioare autohtone urmându-i
exemplul. Noi, unii, preferăm să ne Ńinem departe de acest curent, cu riscul de-a fi
consideraŃi conservatori ». (Atac, 27 noiembrie 2006); « Este un adevărat chin
pentru un reporter să-i ia un interviu acestei creaturi de modă. Modista (Ingrid
Vlasov, n.n.) cu greu pricepe ce e întrebată şi mai greu reuşeşte să răspundă, în 2-3
silabe şi alea fără mare legătură cu întrebarea ». («Cercel-brăŃară»,
http://www.geocities.com/sssorein/somoiogul15.html).
Conclusions
On constate de l'analyse des mots ci-dessous que les termes pris du français
ont évolué différemment selon plusieurs facteurs, dont l'action a été souvent
combinée. En partant des mots d’origine française, le roumain a prouvé des
valences créatives, par dérivation des sens et des formes ; les mots empruntés au
français ont reçu, à l’aide des éléments roumains de composition, une nouvelle
vitalité.
* Ramona Dragoste, EvoluŃii semantice ale unor cuvinte împrumutate din limba franceză în limba
român, Analele UniversităŃii din Craiova, ŞtiinŃe filologice, Lingvistica, 2009, 1-2, p. 281-289.
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DER = Ciorănescu, Alexandru 22007 [1958-1966]: DicŃionarul etimologic al
limbii române. Bucureşti: Editura Saeculum I.O.
DEX = Academia Română / Institutul de Lingvistică „Iorgu Iordan” (19982):
DicŃionarul explicativ al limbii române. Bucureşti: Univers Enciclopedic.
DGE = Gal, A. M. (2003) : Dicționar gastronomic explicativ. Editura Gemma
Print.
DIC ARG = Dictionnaire d’argot, http://www.lexilogos.com/argot.htm.
DLR = Academia Română (1958-2010): DicŃionarul limbii române. Serie nouă.
Bucureşti: Editura Academiei Române.
DLRC = Academia Română (1955-1957): DicŃionarul limbii române literare
contemporane. Bucureşti: Editura Academiei Române.
DNAR = Adrian Ioan Trifan, Elena Trifan (2003): DicŃionar de neologisme şi
abrevieri recente, Ceraşu: Editura Scrisul Prahovean.
LITTRÉ = Émile, Littré 1971 [1872]: Le nouveau Littré - Dictionnaire de la
langue française. Monte-Carlo: Ed. du Cap. (4 voll.) (CD-ROM 1998).
MDN = Florin Marcu (2000): Marele dicŃionar de neologisme. Bucureşti: Editura
Saeculum.
OED = Online Etymology Dictionary, http://www.etymonline.com/.
PR = Robert, Paul (1992) : Le Petit Robert: dictionnaire alphabétique et
analogique de la langue française. Paris: Le Robert.
TLFi = Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.
QUELQUES REMARQUES
SUR LE SÉMANTISME DES EMPRUNTS ROUMAINS
AU FRANÇAIS *
1. Introduction
1.1. Défini comme processus complexe, centré sur la relation univoque de
deux ou plusieurs systèmes linguistiques, sur l’interférence de plusieurs cultures et
identités spirituelles, l’emprunt linguistique dépasse ainsi son statut de mécanisme
de création néologique, car chaque mot a sa propre histoire, une histoire identique
et égale à celle de l’humanité même ; chaque mot parle de ce que nous sommes et
il parle, surtout, de notre passé:
« Les mots ont une histoire, celle de l’Homme. Ils nomment le présent, mais pour
qui veut les étudier et remonter jusqu’à leur origine, ils racontent tout notre passé.
Retracer l’évolution sémantique des mots relève de la recherche archéologique: en
mettant au jour les sens successifs, le sémanticien relève l’évolution de l’Homme
et du Monde (transformations de la réalité physique et de la société, variations
dans la perception du réel et dans le rapport à autrui, renouvellement des
idée…) » (Capdeville 2009: 34).
Dans une perspective linguistique stricto sensu, l’emprunt lexical
représente le moyen le plus rapide, mais aussi le plus commode, adopté
fréquemment par chaque système linguistique dans son effort de désigner,
d’exprimer et de communiquer (v. Lerat 1993 : 132, apud Scurtu 2009 : 190) la
réalité extralinguistique, son rôle primordial visant le renouvellement,
l’enrichissement et l’internationalisation du vocabulaire d’une langue. La littérature
de spécialité consacre à ce phénomène une ample bibliographie, centrée surtout sur
la mise en évidence de certains aspects concernant le processus d’intégration et
d’adaptation phonétique, phonologique, orthographique, morphosyntaxique et
sémantique des néologismes obtenus par l’emprunt lexical. Les différentes
taxinomies opérées d’un tel point de vue font distinction d’un côté, entre les
emprunts de nécessité, des emprunts naturalisés, assimilés par le système de la
langue réceptrice et, de l’autre côté, entre les xenismes (des emprunts alloglottes) et
les pérégrinismes (des mots migrateurs, imposés par une certaine « mode
linguistique » – Chadelat: 2000, apud Scurtu 2009: 193) ou bien entre les emprunts
connotatifs / stylistiques, d’un part, et les emprunts dénotatifs / techniques, d’autre
part1.
En revanche, regardé du point de vue sémantique et pragmatique,
l’emprunt lexical se relève en tant que marqueur socio-culturel qui reflète les
changements de nature sociale, politique et culturelle, existantes dans la vie d’une
communauté à un certain moment donné; il est un indicateur d’univers mentalitaire
ou bien un élément distinctif entre les langues au niveau axiologique (cf. Arrivé /
Gadet / Galmiche 1986: 244-252).
1.2. La valeur sémantique et pragmatique de l’emprunt lexical est le mieux
mise en évidence par les « néologismes de sens », une catégorie moins étudiée dans
la linguistique roumaine, mais pour laquelle, dans les approches occidentales
(Rastier / Valette 2006 ou Gérard 2008: 20), on véhicule déjà une terminologie
afférente : la néosémie. La néosémie, en tant que mécanisme de la création
néologique, comme phénomène créateur des sens nouveaux, est une néologie
sémantique dont la préoccupation principale est représentée par les différents
développements de sens d’une unité lexicale: « Il s’agit de la néologie quand un
mot déjà existant dans une langue ajoute un autre sens » (Sablayrolles 2000: 150).
En général, les développements sémantiques sont fondés sur différents
types de changements opérés au niveau de la langue réceptrice: extensions,
régressions, analogies, transfert métonymique, etc., des innovations réalisées soit
par certaines similitudes entre deux référents, soit par l’accentuation ou le
développement d’un sème appartenant initialement à la signification de l’étymon.
En même temps, l’évolution sémantique des mots d’une langue se trouve dans une
étroite relation avec le contexte historique, social et culturel:
« Selon les changements de nature sociale, politique et culturelle qui apparaissent
dans la société contemporaine, la néologie sémantique crée de nouveaux termes ou
mots par l’adjonction d’une nouvelle acceptation à une dénomination déjà
existante dans les deux classes envisagées: néologismes et néonymes » (Dincă
2009 : 83).
Bien que la problématique des « néologismes de sens » (et surtout celle des
unités lexicales à étymon français)2 soit moins étudiée dans la linguistique
roumaine, dans l’entreprise d’établir une catégorisation sémantique pour les
emprunts d’origine française du roumain, les auteurs de l’étude Typologie des
emprunts lexicaux français dans la langue roumaine (Fondements théoriques,
dynamique et catégorisation sémantique – FROMISEM)3 font distinguer les types
sémantiques résultés par:
(i) conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de l’étymon
français, parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en
français (situation rencontrée surtout dans le cas des mots appartenant à un
domaine spécialisé, technique et scientifique);
(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, du type : (a)
spécialisation du sens par rapport au français ; (b) extensions sémantiques ; (c)
développement des sens par métaphore et glissement connotatif.
1.3. Dans cet article nous nous proposons d’illustrer le phénomène de la
création néologique au niveau sémantique dans la zone des emprunts d’origine
française du roumain contemporain, par la grille d’interprétation proposée supra (v.
1.2.). Notre corpus est constitué par quelques mots, considérés4 par les plus
importantes sources lexicographiques roumaines (v. la bibliographie), comme des
emprunts au français (aussi) : duş (fr. douche), diriginte (fr. dirigeant), garsonieră
(fr. garçonnière), milieu (fr. milieu) et trombon (fr. trombone).
2. L’analyse sémantique des emprunts d’origine française dans la
langue roumaine contemporaine
2.1. La première catégorie, celle des emprunts roumains d’origine française
caractérisés par la conservation – totale ou partielle – du sens / des sens de
l’étymon français peut être illustrée, en tout premier lieu, par la plupart des
emprunts dénotatifs / techniques qui présentent, en général, peu de modifications
phonétiques, orthographiques, morphosyntaxiques et, surtout, sémantiques en ce
qui concerne leur adaptation au système de la langue roumaine. Dans cette
catégorie entrent des mots tels que : abazie (du fr. abasie), abces (du fr. abcès),
brahiopod (du fr. brachyopode), caolinit (du fr. kaolinite), carcinotron (du fr.
carcinotrone), decapaj (du fr. décapage), eredobilogie (du fr. hérédobiologie),
foliculită (du fr. folliculite), linotipie (du fr. linotypie), radionevrită (du fr.
radionévrite), salpingectomie (du fr. salpingectomie), sufix (du fr. suffixe),
timpanită (du fr. tympanite), etc.
La plupart des emprunts d’origine française connotatifs ou stylistiques se
caractérisent aussi par la reprise – totale ou partielle – du sens / des sens du mot
d’origine. Dans une telle situation se trouve, par exemple, le mot duş, qui – tout
comme on peut voir dans le tableau présenté infra – conserve environ 90 % du
sémantisme de son correspondant français, la douche.
Le roumain duş – et sa variante duşă –, attesté pour la première fois en
1839 (apud RDW 1989), a repris les sens primaires : « 1. Installation sanitaire ou
technique qui assure la projection réglable et concomitante de plusieurs jets d’eau »,
respectivement « 2. Ensemble de jets d’eau réalisés à l’aide de la douche » (DEX
1998), et, partiellement, les extensions métaphoriques opérées en français pour
désigner « des propos » ou « une nouvelle » (DEX 1998) ou bien « un événement
inattendu et désagréable », tout comme dans les expressions suivantes : Un duş
rece: statul român are nevoie în 2010 de aproape 50 miliarde de lei pentru
salariile bugetarilor […] (www.ziare.com/). « Une douche froide : en 2010, l’État
roumain a besoin de presque 50 milliards lei pour les salaires de ses employés » ou
bien Duş rece pentru alb-violeŃi. Poli Timişoara - InternaŃional Curtea de Argeş 00 (Renaşterea bănăŃeană / 07. 04 2010). « Douche froide pour les blancs violets.
Timişoara - InternaŃional Curtea de Argeş 0-0 ». La seule acception développée
par le mot français douche qui n’est pas enregistrée5 par son équivalent roumain,
est celle de douche écossaise « duş scoŃian » pour laquelle le roumain recourt à
l’expression au même sens : « una caldă, una rece ».
DOUCHE (fr.)6
1. Projection d'eau sur le corps, sous forme de jet.
(a) P. ext. Projection d'un liquide quelconque (sur
quelqu'un); ce liquide projeté.
(b) Averse à laquelle on est exposé.
DUŞ (roum.)
Sens repris
2. (a) Appareil à douches.
(b) Lieu où se prennent les douches.
3. (a) Réprimande, attitude ou événement qui met fin à
un état d'exaltation.
(b) (Rare) Qui produit un effet tonique, un
bouleversement.
(c) Alternance d'impressions, d'actions opposées et
vives : Douche écossaise.
(a) Sens repris
(b) Sens repris
Sens repris
(b) Sens repris
(c) Sens absent (pas encore
enregistré par les sources
lexicographiques roumaines).
Il y a pourtant certains cas où le mot roumain ne continue pas tous les sens
du correspondant français, le plus souvent dans la langue pénétrant uniquement les
acceptions imposées par des raisons de nature pragmatique ou déterminées par le
contexte socio-historique. Ainsi, toute une série d’emprunts roumains au français a
gardé les sens vieillis de l’étymon, des sens disparus dans la langue actuelle. Ici on
peut citer des mots tels que : şuetă (du fr. chouette), decoltat (du fr. décolleté) ou
bien bec (du fr. bec [à gaz]), des cas de figure qui ont fait déjà l’objet de certaines
études dans la littérature roumaine de spécialité (v. Brâncuş 1971: 184-185; Iliescu
1991: 127-128; 2003-2004: 277-280).
2.2. Le deuxième type d’emprunts d’origine française connotatifs /
stylistiques est celui obtenu par des innovations sémantiques opérées en roumain,
le mot de la langue cible s’enrichissant avec de différents sens, qui ne se retrouvent
pas dans le sémantisme du correspondant français.
Premièrement, il y a des cas où le roumain opère une certaine
spécialisation du sens / des sens du mot emprunté au français, spécialisation
obtenue soit par l’accentuation et le développement d’un trait sémique, spécifique
pour le sens étymologique du mot de la langue source, soit par la reprise de
certaines acceptions néologiques existantes dans le sémantisme du mot d’origine.
Par exemple, en dehors de quelques modifications de nature
morphologique et phonétique7, le mot roumain diriginte (et sa variante dirigent –
RDW 1989) – provenu, selon les sources lexicographiques consultées (RDW 1989 ;
DN 1978 ; MDN 2008)8, du français dirigeant, un participe présent du verbe
diriger (TLFi) – enregistre en roumain des spécialisations sémantiques greffées sur
le sème primaire du correspondant français [+ qui conduit / + qui exerce le droit de
conduire], mais qui ne figure pas comme signification proprement dite parmi les
acceptions du mot roumain, cette langue employant pour une telle acception les
mots : responsabil, conducător, director.
Attesté dès la deuxième moitié du XIXe siècle (en 1892, selon RDW 1989),
une période d’ample modernisation de la société roumaine dans tous les secteurs de
la vie socio-culturelle et économique, le mot diriginte pénètre dans la langue
comme terme technique, ayant une spécialisation très stricte, tout en désignant les
personnes responsables pour certains domaines (restreints) d’activité
(l’enseignement, la poste, la pharmacie, les constructions). Ce terme devient
productif pour tous les sens : « 1. Professeur responsable avec la conduite d’une
classe d’élèves » ; « 2. Chef d’un office de poste ou de douane » ; « 3. Surveillant
des travaux sur un chantier de constructions » ; « 4. Responsable d’une
pharmacie », s’enregistrant aussi la variante féminine: dirigintă.
Il faut préciser que dans le même champ sémantique entre aussi le terme
dirigenŃie, un dérivé avec le suffixe -ie du mot diriginte (avec l’acception no. 1),
pour lequel le DEX (1998) présente les sens suivants : « 1. Le conseil et la
surveillance d’une classe d’élèves par un diriginte », respectivement « 2. L’heure
de classe où ce conseil se réalise de manière spéciale ».
DIRIGEANT (fr.)
1. Qui dirige; qui exerce un pouvoir (part. prés. de
diriger et adjectif).
2. Rare. Selon quoi on se dirige ; qui sert de règle à.
3. Celui, celle qui a pour fonction de diriger (un État,
un organisme, etc.). P. ext., rare. Responsable : Les
dirigeants du syndicat.
-
-
-
-
DIRIGINTE (roum.)
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Spécialisation:
Professeur
responsable avec la conduite
d’une classe d’élèves (DEX
1998).
(Vieilli) Directeur d’une école
primaire dans le milieu rural
(DEX 1998).
Spécialisation: Chef d’un
office de poste ou de
douane (DEX 1998).
Spécialisation: Surveillant des
travaux sur un chantier de
constructions : diriginte de
şantier (DEX 1998).
Spécialisation: Responsable
d’une pharmacie (DEX 1998).
Autrefois, l’innovation sémantique se produit par la reprise de certaines
acceptions néologiques existantes dans le sémantisme du mot d’origine, tout
comme dans le cas du roumain garsonieră, dont l’étymon est, selon les sources
lexicographiques consultées (DEX 1998; CDER 2002; MDN 2008 et DN 1978),
sans aucun doute, le mot français garçonnière – un dérivé de garçon avec le
suffixe -ière (TLFi). L’analyse sémantique du mot garsonieră illustre la catégorie
des emprunts d’origine française pour laquelle on opère en roumain une extension
sémantique de plus à partir du nouveau sens enregistré au XXe siècle par le
correspondant français « petit appartement pour une personne seule » (GR 1985;
GLLF 1978). Ainsi, par l’accentuation du trait sémique [+ petit espace pour
habiter], indifféremment du genre et du nombre des sujets, on arrive à une
innovation sémantique qui illustre, en fait, la réalité socio-économique de l’espace
roumain.
GARÇONNIÈRE (fr.)
1. (Vieilli) (Petit) logement d'homme célibataire; petit
logement loué par un homme qui le destine à des
rendez-vous galants.
2. (Par ext.) Petit appartement pour une personne
seule. (XXe s.) (GR 1985; GLLF 1978).
GARSONIERĂ (roum.)
Sens absent
Extension: Petit appartement
dans un immeuble plus grand,
composé d’habitude d’une
seule chambre et de la salle de
bain, parfois doué aussi d’une
cuisine. (DEX 1998).
Bien que certains dictionnaires rappellent (de manière explicite ou
implicite) la filiation possible des mots roumains garson et garsonieră9, pour le
locuteur contemporain il n’y a plus aucune relation étymologique entre ces deux
termes. Cette situation peut être justifiée aussi par le fait qu’en roumain actuel,
garson est, selon le DEX (1998), un terme vieilli ou même un barbarisme, et, selon
le CDER (2002), un terme « technique », spécialisé, ayant le sens d’« homme ou
jeune homme qui travaillait dans un restaurant ».
Un développement sémantique de type métonymique s’enregistre aussi
dans le sémantisme du mot milieu qui désigne en roumain « un objet en toile
(brodée) ou en dentelle, qui est mis (comme ornement) sur une pièce de meuble »
(DEX 1998).
Tous les dictionnaires consultés considèrent que le roumain milieu est un
emprunt au français milieu. Mais, l’unique acception du mot roumain ne se
retrouve pas parmi les sens de son correspondant français. La seule indication
lexicographique justifiante apparaît dans le DN (1978) où l’on mentionne que, dans
le cas du mot roumain milieu. On a affaire à une condensation lexico-sémantique
réalisée par la troncation de l’expression française milieu [de table], que TLFi
définit de la manière suivante : « pièce de vaisselle décorative, généralement en
argenterie ou en porcelaine, que l'on place au milieu d'une table », tout en
spécifiant qu’il s’agit d’un sens récent, enregistré dans les dictionnaires de la
langue française du XIXe et du XXe siècle.
Le roumain n’a donc repris aucun sens courant ou technique de l’étymon
français, pour lesquels il utilise, en grade partie, le mot mijloc, hérité du lat.
MEDIUS LOCUS, mais il a emprunté l’acception néologique (mentionnée supra) du
correspondant français, tout en modifiant faiblement la nature de « l’objet
d’ornement » (dans la civilisation française, sous ces objets – des vases décoratives,
des bibelots, etc. – on posait d’habitude une petite serviette brodée ou en dentelle).
Le roumain milieu fonctionne (v. 1.1.) comme un indicateur d’univers mentalitaire
ou comme un élément distinctif au niveau axiologique entre les langues (cf. Arrivé
/ Gadet / Galmiche 1986 : 244-252).
MILIEU (fr.)
1. Partie (point, ligne, plan, etc.) (d'une chose) qui est à
égale distance des extrémités, des bords (de cette
chose).
2. Partie, moment également éloigné des deux termes
d'une période déterminée.
3. THÉÂTRE. Partie centrale (de la scène).
4. CHORÉGR. Ensemble des exercices exécutés au
milieu de la salle de classe, sans l'appui de la barre.
5. De milieu. [En parlant d'un meuble] Qui est (destiné
à être) éloigné des murs d'une pièce.
Lit de milieu. Lit éloigné des murs latéraux d'une
chambre.
6. Emploi adj., rare. Situé au milieu.
7. Locutions
Loc. adv. Au milieu. Au centre; p. ext., à l'intérieur, à
un endroit relativement éloigné des bords, de la
périphérie.
Loc. prép. Au milieu de. Au centre de, dans la partie
centrale de.
P. ext. À l'intérieur de, à un endroit relativement
éloigné des bords, de la périphérie de.
8. Milieu de table. Pièce de vaisselle décorative,
généralement en argenterie ou en porcelaine, que l'on
place au milieu d'une table. (Dict. XIXe et XXes apud
TLFi).
-
MILIEU (roum.)
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Sens absent
Transfert métonymique: « Objet
d’ornement en toile (brodée) ou
en dentelle, qui est posé (comme
ornement) sur une pièce de
meuble » (DEX 1998).
Un processus semblable de condensation lexico-sémantique (v. Suciu :
2009) s’enregistre aussi dans le cas d’autres emprunts roumains au français, tels
que : bască – « béret aux marges fléchies à l’intérieur » (du fr. [beret] basque,
DEX 1998), breton – « cheveux qui tombent sur le front, coiffés en ligne droite »
(du fr. [à la] bretonne, DEX 1998), bec – « sphère ou poire en verre où se trouve le
filament d’une lampe électrique; lampe électrique » (du fr. bec [à gaz], DEX 1998),
canotieră – « chapeau de paille, le fond et les bords droits » (du fr. [chapeau]
canotier, DEX 1998), colonie – « liquide parfumé, fabriqué de l’alcool et de
différents huiles végétales, employé dans la cosmétologie » (du fr. [eau de]
Cologne, DEX 1998), goblen – « tapisserie, broderie ou tissu artistique faite des
fils colorés et représentant une image artistique » (du fr. [manufacture des]
Gobelins, DEX 1998), ruj – « produit cosmétique en nuances différentes de rouge,
utilisé pour faire colorer les lèvres; rouge à lèvres » (du fr. rouge [à lèvres], DEX
1998), sutien – « pièce de lingerie féminine qui sert à soutenir la gorge » (du fr.
soutien [- gorge], DEX 1998), etc.
Dans le cadre du second type d’emprunts d’origine française connotatifs /
stylistiques obtenus par des innovations sémantiques opérées en roumain, il y a des
situations où le développement des sens du mot roumain se produit par un transfert
métaphorique ou connotatif.
Un cas illustratif peut être celui du mot trombon, considéré, en général, un
emprunt à étymologie uniquement française, selon le DEX (1998), le MDN (2008)
et le DLR (1983, tome XI, 3-ème partie)10, le DN étant la seule source
lexicographique qui considère que, dans ce cas, il s’agit d’un mot à étymologie
multiple, c’est-à-dire « du fr., angl. trombone ». En dehors de la conservation du
sens originaire de l’étymon français, celui technique, spécialisé, d’« instrument
musical à souffler en cuivre jaune, plus grand qu’une trompette, remarquable
surtout par son timbre plus âpre et plus fort » (DEX 1998), l’analyse sémantique du
mot trombon retient l’attention, premièrement, par les trois sens développés en
roumain : « 1. la bouche - l’organe de la parole », sens familier et péjoratif ; « 2.
des mensonges, des farces, des exagérations », sens fréquent, employé dans le style
colloquial, familier ; « 3. le nom d’un jeu de cartes » dont la règle principale est
celle de faire tromper l’adversaire jusqu’au moment où celui-ci perd.
TROMBONE (fr.)
1. Instrument à vent et à embouchure de
la famille des cuivres qui est actionné par
une coulisse ou par des pistons.
2. Musicien qui joue du trombone.
3. Petite attache faite de deux boucles de
fil de fer (ou de matière plastique) qui sert
à retenir plusieurs feuilles, plusieurs
documents ensemble.
4. ELECTRON. Fil métallique formant
une boucle allongée de forme analogue à
celle de l'instrument de musique, qui
constitue un adaptateur d'impédances
dont le rapport de transformation est
quatre.
-
-
-
TROMBON (roum.)
Sens repris
Sens repris (rare) – v. DLR 1983, tome XI, 3ème partie.
Sens absent
Sens absent
Innovation par transfert métaphorique :
« (Familier et péjoratif) Bouche (comme
organe de la parole) » (DEX 1998).
Extension sémantique du sens antérieur:
« (Fam.; au pluriel) Mensonges; farces,
exagérations » (DEX 1998).
Dérivé : (Fam.) A tromboni « mentir,
tromper, exagérer » (DEX 1998; DLR 1983,
tome XI, 3-ème partie).
Innovation par transfert métonymique : « Le
nom d’un jeu de cartes » (DLR 1983, tome
XI, 3-ème partie).
Toutes les trois acceptions – obtenues par transfert métaphorique, par
extension sémantique, respectivement par transfert métonymique – représentent
des innovations opérées en roumain, étant donné que toutes les sources
lexicographiques consultées n’en mentionnent aucune signification pour le
correspondant français.
Par conséquent, par l’extension du trait sémique [+ manière d’employer
l’instrument, par le soufflement et d’une façon très bruyante] on arrive à une
première utilisation métaphorique – familière et péjorative – pour désigner « la
bouche (comme organe de la parole) ». Par la corroboration du sème antérieur avec
la forme de l’instrument et avec le son produit par celui-ci, le roumain crée une
extension de la signification précédente, le mot trombon étant souvent employé
dans le langage familier, avec le sens de « mensonges, farces, exagérations » :
Chestiile pe care le spun public sunt 100% tromboane (www.hotnews.ro) « Les
choses qu’on affirme en publique sont 100 % des mensonges » ou bien Cum se
nasc tromboane în presă (www.newstoday.ro) « Comment naquissent les
mensonges dans la presse ». À partir de cette dernière acception, et dans le même
registre, on arrive au dérivé verbal, a tromboni, au sens de « mentir, tromper,
exagérer » (DEX 1998; DLR 1983, tome XI, 3-ème partie). Et de là, le pas suivant :
la troisième acception enregistrée uniquement dans le DLR (1983 : tome XI, 3-ème
partie), « le nom d’un jeu de cartes » dont la règle principale est celle de faire
tromper l’adversaire jusqu’au moment où celui-ci perd, cette dernière signification
étant le résultat d’un transfert métonymique de l’action au jeu.
À l’intérieur du même champ sémantique, il nous semble aussi très
intéressant le sémantisme du mot trombonist pour lequel le DLR (1983 : tome XI,
3-ème partie) propose les définitions lexicographiques suivantes : « 1. Musicien qui
joue du trombone » ; « 2. (Rare) Instrument à vent et à embouchure de la famille
des cuivres qui est actionné par une coulisse ou par des pistons » ; « 3. (Familier)
Épithète pour une personne qui aime exagérer, mentir ».
Les deux premières acceptions du mot trombonist se superposent – en
ordre inverse (imposé probablement par la fréquence des emplois) – sur les sens du
mot trombon. La troisième signification, souvent utilisée dans le langage familier
du roumain contemporain, est un sens dérivé de l’acception du verbe a tromboni.
Tout en corroborant l’analyse sémantique du mot roumain trombonist avec
le fait que parmi les sources lexicographiques consultées pour le correspondant
français seuls le LITTRÉ (1998) et le GLLF (1978) indiquent le sens de « Musicien
qui joue du trombone » (sous la mention « rare »), tandis que le TLFi et le PR
(1992) ne l’enregistre pas, on pourrait considérer que dans le cas du mot trombonist
il s’agit plutôt d’un dérivé à l’intérieur de la langue roumaine, du nom trombon
avec le suffixe agentif -ist et non pas d’un emprunt au français tromboniste
(comme l’indiquent tous les dictionnaires roumains consultés – le DEX (1998), le
MDN (2008) et le DLR (1983, tome XI, 3-ème partie).
4. Conclusions
Au-delà des nombreuses études consacrées à ce sujet, l’influence française
du roumain continue à susciter un grand intérêt et à représenter un terrain fertile
pour les recherches scientifiques.
Par conséquent, l’investigation attentive des « néologismes de sens » à
étymon français met en évidence, premièrement, les mécanismes complexes mis en
oeuvre par le roumain dans le processus de spécialisation, d’extension ou
d’abstractisation de son lexique.
En même temps, rapportée sans cesse à l’univers mentalitaire, la néologie
sémantique peut acquérir des valences testimoniales, car elle atteste les
changements intervenus en diachronie dans l’espace socio-culturel, politique et
économique d’une communauté.
Enfin, une telle étude peut ouvrir de nouvelles perspectives de recherche
dans le domaine, avec des implications directes sur les approches lexicographiques
et, surtout, étymologiques.
* Mihaela Popescu, Câteva observaŃii cu privire la semantismul unor împrumuturi lexicale de origine
franceză din limba română, in Analele UniversităŃii din Craiova. Seria ŞtiinŃe Filologice. Lingvistică,
XXXII, 1-2, 2010, p. 345-357.
NOTES
1. Nous considérons que cette problématique a bénéficié d’une description presque exhaustive dans la
littérature de spécialité occidentale ou roumaine, raison pour laquelle nous n’y insisterons.
2. En ce qui concerne les études existantes dans la linguistique roumaine pour la problématique des
« néologismes de sens » à étymon français, v. Brâncuş 1971 : 184-185; Dimitrescu 1994; GoldişPoalelungi 1973; Iliescu 1991 : 127-128; 2003-2004 : 277-280; Reinheimer-Rîpeanu : 1988.
3. L’étude « Typologie des emprunts lexicaux français dans la langue roumaine (Fondements
théoriques, dynamique et catégorisation sémantique – FROMISEM » (auteurs : Iliescu, M. /
Costăchescu, A. / Dincă, D. / Popescu, M. / Scurtu, G.) a été présentée au Colloque International
Identifier et décrire l’emprunt lexical / Identifying and describing lexical borrowing, organisé par
l’Université de Liège et le FNRS, au cadre du projet RAMSES à Liège, en Belgique, le 18-20 mars
2010.
4. L’absence d’un dictionnaire étymologique complet de la langue roumaine détermine le « recueil »
des informations de ce type de divers dictionnaires explicatifs qui, à cause de l’espace si réduit pour la
section dédiée à l’étymologie, ne peuvent pas offrir de données sur l’histoire des mots ou bien sur les
voies de pénétration d’un terme dans la langue, etc. (v. aussi Reinheimer-Rîpeanu 1987 : 110).
5. Ce sens n’apparaît dans aucun des dictionnaires roumains consultés, bien que de telles occurrences
du mot roumain duş se rencontrent, par exemple, dans le langage journalistique contemporain:
Duşuri scoŃiene zilnice cu birocraŃia, cu absurdul stradal-convenŃional, educaŃional-cultural, cu
ipocrizia de tip manea şi sentimentalisme cântate la flaşnetă… (sorinadavid.wordpress.com).
6. Les sens de l’étymon français, pour tous les mots soumis à cette analyse et présentés dans les
tableaux adjoints au texte, sont extraits du TLFi (dans peu de situations où la démarche étymologique
a eu besoin des informations appartenant à d’autres sources lexicographiques, celles-ci ont été mises
en évidences).
7. De telles modifications pourraient mettre en doute l’origine française du mot diriginte, malgré les
données mentionnées par les sources lexicographiques consultées. D’ailleurs, le DEX (1998) affirme
pour le mot diriginte, dans la section dédiée à l’étymologie : « selon le fr. dirigeant ». On considère
qu’en roumain la reprise sémantique se produit uniquement au niveau hypéronymique, probablement,
sous l’influence d’une autre langue romane, telle que l’italien où s’enregistre l’acception spécialisée
suivante : « dirigente del movimento, nelle ferrovie, chi regola il transito dei treni nelle stazioni » (DI
Online).
8. Le mot diriginte n’est pas enregistré dans le CDER (2002).
9. Par exemple, dans le CDER (2002), garsonieră apparaît après la définition du mot garson, comme
un dérivé de celui-ci, tandis que le DN (1978) renvoie directement à ce dernier terme : « Logement
composé d’habitude d’une chambre et d’une petite cuisine », du fr. garçonnière, cf. le fr. garçon –
băiat »
10. Le mot trombon n’est pas enregistré dans le CDER (2002).
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ÉTUDE LEXICOGRAPHIQUE ET SÉMANTIQUE DU
GALLICISME MARCHIZ,-Ă EN ROUMAIN ACTUEL*
1. Introduction
L’influence française sur le lexique du roumain s’est manifestée d’une
manière créative et puissante à partir de la fin du XVIIIe siècle et, surtout, tout au
long du XIXe siècle. Les deux voies de pénétration ont été, d’une part, la traduction
des œuvres littéraires françaises en roumain et, d’autre part, les stages effectués en
France par les jeunes ou par les intellectuels roumains. En effet, les premiers
Roumains à avoir étudié en France ont été, au début du XIXe siècle, les fils des
princes régnants et des boyards de Valachie et de Moldavie, qui avaient eu, pour la
plupart, des précepteurs français à la maison ou qui avaient fréquenté des
pensionnats dirigés par des professeurs français. Plus tard, les futurs hommes
politiques roumains de même que de nombreux écrivains, artistes, scientifiques et
universitaires ont étudié ou complété leurs études en France.
Cette influence a fait l’objet des préoccupations de nombreux linguistes qui
ont effectué des statistiques basées sur des dictionnaires ou sur des textes. Pourtant,
il est à signaler une hétérogénéité de ces travaux, qui s’intéressent principalement à
l’adaptation, aux domaines où ils prédominent, aux critères d’établissement correct
de leur étymologie et, dans une mesure beaucoup plus réduite, à leur typologie
sémantique.
2. Objectifs
Le problème des emprunts, en l’occurrence des gallicismes, est l’un des
plus délicats, à partir de la définition même de cette notion jusqu’à la solution des
questions visant l’étymologie, la forme, la fréquence ou le sémantisme des mots
considérés comme appartenant à cette catégorie.
Notre article se propose de faire une étude comparative des mots marquis,e (fr.) et marchiz,-ă (roum.), mots chargés culturellement, pour analyser leurs
acceptions à travers le temps et l’espace. Dans l’analyse sémantique que nous
proposons, les sens français sont, en général, donnés d’après les dictionnaires:
TLFi, GRLF et GLLF et les sens roumains d’après les dictionnaires: DA / DLR,
DEX, DN, RDW et CDEL.
3. Du masculin au féminin
3.0. Dans ce sous-chapitre, nous nous proposons de mettre en parallèle,
dans un premier temps, les acceptions des mots marquis et marquise afin de
vérifier si les sens du masculin se retrouvent également pour le féminin, sans
présenter les acceptions développées uniquement par le féminin marquise :
marquis, s.m. 1. (HIST.) gouverneur militaire de l'époque franque préposé à la
garde des provinces ou des villes frontières appelées marches ou marquisats ; 2.
titre seigneurial accompagnant la possession d'un marquisat; personne portant ce
titre ; titre de noblesse situé dans la hiérarchie après le titre de duc et avant celui de
comte; personne qui porte ce titre ; 3. (HABILL.) petit chapeau à trois pointes et à
bords roulés ; 4. (ironique) personnage aux manières affectées, désinvoltes, d'une
élégance étudiée.
marquise, s.f. 1. (HIST.) femme noble titulaire d'un marquisat; épouse d'un
marquis ; 2. (HABILL.) chapeau de femme ; 3. (ironique) femme qui se donne des
allures de grande dame.
D’autre part, nous allons suivre l’évolution de ce mot en roumain, où le
gallicisme marchiz (du fr. marquis) est attesté pour la première fois a la fin du
XVIIIe siècle, en 1788, quand il a été introduit dans le lexique de cette langue pour
répondre à la nécessité de traduire ce titre de noblesse, qui figurait dans les œuvres
littéraires françaises. Il s’agit, dans ce cas, «d’une néologie traductive »
(Mihailovici, 2005: 25), qui oblige le traducteur à trouver un équivalent dans la
langue cible où ce concept n’existe pas.
3.1. Entre le gouverneur militaire et le titre de noblesse
3.1.1. Le masculin marquis est un emprunt à l'italien marchese (titre de
noblesse héréditaire attribué à un seigneur qui gouvernait une région comprenant
plusieurs comtés, d'abord « seigneur chargé de gouverner une région frontalière
dite marche » TLFi) avec adaptation du suffixe d'après l'ancien fr. marchis
«gouverneur d'une marche » (TLFi). Grâce à ses pouvoirs militaires lui permettant
de lever le contingent de l’armée sans en avoir reçu l’ordre du souverain, le
marquis, en tant que titre de noblesse, a un rang hiérarchique supérieur à celui de
comte, mais inférieur à celui de duc.
3.1.2. Sous l’Ancien Régime, le titre de marquise (sans les fonctions
militaires du marquis) a été attribué à des femmes, pour marquer la possession
d’un marquisat ou la position sociale grâce au mariage, «la femme d’un marquis».
Louis XIV et Louis XV notamment avaient l’habitude d'anoblir leurs maîtresses en
leur décernant le titre de marquise. Très nombreuses à Versailles, les marquises
étaient les dames de cour par excellence. On peut citer les plus célèbres d'entre
elles, la marquise de Maintenon, la marquise de Montespan ou la marquise de
Pompadour.
3.1.3. En roumain, le masculin marchiz a gardé ses acceptions de
«possesseur d’un marquisat» et «titre de noblesse», et, dans le cas du féminin
marchiză, les définitions lexicographiques mentionnent l’acception: «la femme ou
la fille d’un marquis».
3.2. Le terme de marquis s’applique, par analogie, au domaine de
l’habillement, pour désigner la coiffure portée par les marquis aux XVIIe et XVIIIe
siècles, plus précisément «le petit chapeau à trois pointes et à bords roulés».
On retrouve aussi ce terme dans la mode des femmes de noblesse qui
avaient l’habitude de porter des chapeaux, ce qui s’explique par la mentalité de ne
jamais se montrer dans la rue sans porter cet accessoire essentiel. La Belle Époque
a donné lieu aux constructions chapelières les plus extraordinaires, chargées de
plumes, de faux fruits et de fleurs, qui rappelaient les constructions capillaires des
femmes de la cour au milieu du XVIIIe siècle. Au début du XIXe siècle, les
chapeaux des femmes, couverts de plumes et de rubans, avaient des proportions
gigantesques.
Quant aux acceptions reprises par le roumain, celle de « chapeau » ne
figure pas dans les définitions lexicographiques du gallicisme marchiz,-ă. Cela
s’explique par l’absence du gallicisme avec cette acception dans les traductions
effectuées du français vers le roumain, vu que les Roumains sont entrés en contact
avec les milieux français début du XIXe siècle, quand la mode des chapeaux était
déjà passée.
3.3. La troisième acception du masculin que nous voulons vérifier pour le
féminin marquise, mais aussi pour le gallicisme du roumain, est celle de
« personnage aux manières affectées, désinvoltes, d'une élégance étudiée ».
Appliquée aux femmes, cette acception garde son utilisation ironique pour
renvoyer à une personne qui se donne des allures de grande dame.
On retrouve cette acception pour le roumain aussi, surtout dans la littérature du
XXe siècle. Par exemple, dans un poème de George Topârceanu (Octobre), le poète
compare métaphoriquement l’automne à une marquise: «Şi cum abia pluteşte-n
mers / Ca o marchiză, / De parcă-ntregul univers / Priveşte-n urmă-i cu surpriză».
4. Fr. marquise / roum. marchiză
Comme nous l’avons déjà constaté, toutes les acceptions du masculin
s’appliquent au féminin, mais on verra que le féminin présente, en français, des
développements propres qui s’appliquent uniquement aux femmes et qui
s’emploient pour désigner les objets dont les femmes se servent dans des domaines
très variés comme la mode, l’ameublement, l’architecture, la gastronomie et la
joaillerie.
Vu la multitude des acceptions pour le féminin, nous allons structurer la
mise en parallèle français - roumain dans trois sous-sections :
(i) sens conservés en roumain sans extension sémantique
(ii) sens conservés en roumain avec extension sémantique
(iii) sens qui ne se retrouvent pas en roumain
4.1. Sens conservés en roumain sans extension sémantique
De la multitude des sens développés par le mot français marquise, le
roumain en a emprunté trois qu’il emploie couramment dans des domaines variés
tels que: l’ameublement, la joaillerie et la gastronomie.
4.1.1. Dans le domaine de l’ameublement, la marquise désigne «un fauteuil
à dossier très bas, à siège large et profond» qui date de l’époque de Louis XVI
(1770) et qui correspond au nouveau mobilier de secrétariat de cette époque-là.
Le gallicisme apparaît en roumain sous la forme d’une collocation
nominale - fotoliu marchiză «fauteuil marquise», ce qui veut dire qu’il n’a pas été
complètement lexicalisé, vu ses occurrences limitées dans le langage courant. Le
DN définit la marquise comme «un fauteuil style Louis XIV, à dossier large et de
hauteur réduite». Il peut aussi apparaître, dans les catalogues de produits, sous la
forme de marchiză Louis XVI «marquise Louis XVI», afin de préciser le style
architectural de l’époque.
4.1.2. Dans le domaine de la joaillerie, la marquise a deux acceptions: 1.
«bague d'époque Louis XVI, à chaton allongé» et 2. «forme ovale d'un diamant,
taillé à cinquante huit facettes». La première acception renvoie à un style, la
deuxième à une forme reliée à une certaine mode, caractéristique pour l’époque de
Louis XVI.
Quant au roumain, celui-ci a emprunté les deux acceptions avec leurs
référents: 1. «bague à chaton allongé » et 2. «forme ovale d’un diamant, taillée à
cinquante huit facettes».
4.1.3. La marquise au chocolat est «un entremet ou dessert glacé» que le
roumain a emprunté sous la forme de marchiză cu ciocolată «marquise au
chocolat». L’association entre la marquise et le chocolat s’explique par le fait que
Madame de Sévigné de même que la marquise de Pompadour étaient de ferventes
admiratrices du chocolat. Ce dessert était très à la mode et sa recette a été
empruntée avec la même dénomination en roumain.
4.1.4. Il existe aussi des acceptions qui ont été empruntées en roumain en
l’absence de leur référent. Il s’agit d’une « variété de poire fondante et sucrée, de
taille un peu plus petite que la duchesse » datant de l’époque de Louis XIV. La
poire Marquise est déjà présente dans la sélection des meilleures poires effectuée
par Jean-Baptiste de La Quintiniei pour le jardin de Louis XIV.
Le roumain emprunte cette acception comme « variété de poire fondante»
sans pourtant l’intégrer dans son vocabulaire usuel.
4.2. Sens conservés en roumain avec extension sémantique
Très intéressante est l’évolution de l’acception du mot marquise dans le
domaine de l’architecture en tant que «toile ou auvent vitré placé au-dessus de la
porte d'entrée». Le roumain emprunte, dans ce cas, cette acception par nécessite
dénominative («néologie primaire»), pour désigner ce nouveau style architectural
qui prévoit, pour la protection de la maison contre le soleil et les intempéries, un
auvent (en vitre) sur une grille en fer forgé. En plus, il opère deux extensions
sémantiques par glissement métonymique, pour désigner le tout par la partie.
Début du XIXe siècle, la marquise développe le sens de «toile tendue audessus de l'entrée d'une tente ou d'un édifice, destinée à garantir de la pluie ou du
soleil». Selon le DAF (1835), la marquise est en toile et elle est prévue pour les
tentes, les vaisseaux et pour les jardins: «tente de toile dressée au-dessous d’une
tente d’officier, de manière à l’entourer et à la rendre moins accessible aux injures
de l’air. Il se dit également de toiles tendues sur le pont d’arrière d’un vaisseau ou
dans un jardin». Ce sens a été gardé de nos jours dans l’expression tentes à
marquise, tentes qui se composent d’une paroi avant et de deux parois latérales
assemblées par une fermeture éclair.
Par glissement sémantique, la marquise devient un terme d’architecture –
«un auvent vitré placé au-dessus de la porte d'entrée, du perron d'un bâtiment, ou
au-dessus d'un quai de gare, théâtres, les hôtels, les cafés, etc.» avec la même
finalité, celle de protéger contre les intempéries. Le plus souvent rectangulaire à
une, deux ou trois pentes, ou en demi-cercle, la structure d'une marquise est
généralement en métal (plus rarement en bois) et elle est souvent soutenue par des
consoles, qui peuvent être constituées d'un décor de volutes.
Cette deuxième acception a été empruntée en roumain pour désigner: «un
auvent (en vitre) sur une grille en fer au-dessus de l’entrée d’une maison pour la
protéger contre la pluie ». La marquise était en vitre et elle avait comme support un
filigrane en fer forgé souple, ce qui donnait une note d’élégance et représentait un
mélange entre les temps d’antan, le confort et les nouvelles techniques de l’art dans
les constructions du XXe siècle.
Même si son utilité est la même, protéger contre le soleil ou les intempéries,
le matériel et l’architecture ont beaucoup changé les derniers temps. Une marquise
est aujourd’hui en plastique ou en PVC et sa forme est très variable, le seul
dénominateur commun restant sa finalité.
Dans le domaine des innovations sémantiques, le roumain fait preuve
d’une grande liberté et, par métonymie, utilise la partie pour le tout pour désigner,
dans le premier cas, la pièce à auvent et murs en vitres, qui se trouve devant une
maison» et, dans le deuxième cas, «la cabine pour le mécanicien dans les
locomotives à vapeurs».
Dans le premier cas, l’extension opérée par le roumain transforme l’auvent
dans une pièce en vitres pour la protection de la maison contre les intempéries.
C’est un style architectural qui rapproche la mansarde de la véranda, qu’on
retrouve assez souvent dans les villages roumains.
L’autre acception développée par le roumain, dans le cadre du même
procédé métonymique, est celle de «cabine dans les locomotives à vapeurs». Tout
comme pour la maison, la protection contre les intempéries par la vitre transforme
l’auvent dans une cabine en vitre fermée latéralement.
En français, la cabine de conduite d'une locomotive à vapeur est appelée
abri, une simple plate-forme sur laquelle se tenaient le mécanicien et son chauffeur,
qui n'étaient pas abrités des intempéries car on estimait, à l'époque, qu'il ne fallait
pas donner trop de confort à l'équipe de conduite parce que celle-ci aurait pu
s'assoupir et provoquer un accident. Vers 1860 une espèce de pare-brise en tôle
pourvu d'ouvertures fut installée sur les locomotives. Par la suite, l'abri fut couvert
puis fermé latéralement. Les ouvertures de l'abri étaient le plus souvent vitrées à
l'avant et libres sur le côté.
4.3. Sens qui ne se retrouvent pas en roumain
Il y a des acceptions de marquise qui ne se retrouvent pas en roumain, ce
qui s’explique probablement par une absence de ce terme dans les traductions
effectuées, corroborée avec l’absence du référent dans la langue cible.
4.3.1. Au XIXe siècle, le terme de marquise désignait «une ombrelle à
manche articulé de manière à être soit plié, soit fermé et fixé à un angle quelconque,
ce qui permet de varier l'inclinaison de l'ombrelle, sans changer la position du
manche» (Littré). Créé sous le Second Empire (1830) pour rendre hommage à la
marquise de Pompadour, qui avait la réputation d’être une esthète, élégante et
coquette, cet accessoire indispensable, de petite taille, était utilisé lors de toute
sortie afin d'accentuer encore le contraste avec la jupe très large.
4.3.2. La marquise connaît aussi une acception, attestée au XIXe siècle,
désignant un cocktail rafraîchissant, idéal pour les vins d’honneur, les cocktails et
les apéritifs. Sa composition est définie dans le TLFi comme «une boisson
composée de vin blanc ou de champagne frappé, auquel on ajoute de l'eau de Seltz
et des tranches de citron». Le terme de marquise se trouve aussi à la base d’une
variété de Bordelais moelleux, la Marquise de Sirac.
4.3.3. Le troisième domaine qui a développé une acception de ce mot est
celui de la marine où la marquise est «un voile d'étai supplémentaire à l'avant du
mât d'artimon». Ni les dictionnaires roumains, ni la terminologie de la marine
n’incluent ce terme, preuve que l’influence française sur la constitution de la
terminologie dans ce domaine a eu lieu beaucoup plus tard que le XIXe siècle.
5. En guise de conclusion
Le problème des gallicismes du roumain est très important aussi bien en
linguistique que pour le développement de la culture du peuple roumain. Le
roumain a eu besoin de mots nouveaux, surtout dans les domaines de l’activité
scientifique, politique et culturelle, de sorte que l’enrichissement lexical s’est avéré
un processus complexe, difficile mais très nécessaire qui se poursuit aussi de nos
jours.
Dans le cas du roumain, le français joue le rôle de langue de prestige qui
s’est répandu dans l’usage général à partir de traductions, surtout au XIXe siècle, et
ensuite par nécessite terminologique pour désigner les nouveaux concepts
introduits dans le lexique de la langue roumaine.
L’étude comparative des mots marquis,-e (fr.) et marchiz,-ă (roum.) met en
évidence le fait que le roumain a emprunté la plupart des acceptions du mot
français mais qu’il présente également une typologie sémantique qu’on pourrait
illustrer par le schéma suivant : (i) sens conservés en roumain sans extension
sémantique ; (ii) sens conservés en roumain avec extension sémantique ; (iii) sens
qui ne se retrouvent pas en roumain.
*Daniela Dincă, Analele UniversităŃii din Craiova. Seria Lingvistică, 2010, p. 89-96.
NOTES
1 Nous employons le terme de ‘gallicisme’ au sens de ”mot français emprunté par d’autres
langues“ (cf. Thibault, 2009).
2 « Et comme il [l’automne] flotte doucement dans l’air / Comme une marquise, / Comme si l’univers
tout entier / Regarde derrière avec surprise ».
3 Jean-Baptiste de la Quintinie (1626-1688) fut le créateur du potager de Louis XIV, qui le nomma,
en 1667, directeur de tous les jardins fruitiers et potagers royaux. Il a fourni à la Cour divers produits
qu’il obtenait à contre-saison pour satisfaire les désirs du roi.
BIBLIOGRAPHIE
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TLFi = Trésor de la Langue Française Informatisé, Centre Nationale de la
Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la
Langue Française (ATILF) / Université Nancy 2, http : //atilf.atilf.fr/tlf.htm.
FR. GUÉRIDON / ROUM. GHERIDON
APPROCHE COMPARATIVE*
0. Introduction
Les emprunts lexicaux se constituent en un espace fertile de recherche qui
suppose le contact entre plusieurs systèmes linguistiques, entre plusieurs cultures,
plusieurs identités spirituelles. Dans le cadre de cette problématique, on peut
souligner, une fois de plus, le rôle qu’a joué l’influence française pour
l’achèvement du caractère moderne du romain littéraire. L’insertion des termes
néologiques d’origine française dans le lexique de cette langue a été faite dans les
domaines les plus variés de l’activité humaine, contribuant ainsi à la redéfinition de
la physionomie lexicale du roumain, en tant que langue néo latine.
En effet, la terminologie scientifique et technique, sociale, politique,
administrative, juridique, économique, artistique n’est plus à concevoir aujourd’hui
sans l’apport quantitatif, mais aussi qualitatif, des mots d’origine française1.
Un grand nombre de néologismes apparaît aussi dans ce qu’on appelle ‘le
langage usuel’, comme expression des notions les plus nécessaires de la vie
courante: abonament, creion, coafor, dans, detaliu, frontieră, gri, magazin,
matineu, obstacol, naiv, a neglija, opinie, penibil, permanent, a traversa, tren, etc.
En nous référant expressément au champ sémantique du mobilier, on
constate d’emblée que dulap, pat, masă, scaun mis à part, les mots désignant les
objets formant le mobilier sont d’origine française: balansoar, bibliotecă, birou,
bufet, canapea, comodă, dormeză, etajeră, fotoliu, garderob, servantă, şezlong,
şifonier, taburet, etc.
L’objet de cet article est la mise en parallèle des descriptions
lexicographiques de deux mots appartenant à ce champ: fr. guéridon et roum.
gheridon, la description linguistique étant réalisée en suivant les modifications du
référant au cours du temps.
1. Fr. guéridon
Le guéridon est, aux termes du TLFi, une «petite table, généralement ronde
et à pied central unique, de facture élégante, supportant le plus souvent des objets
légers, décoratifs on non». Le Petit Robert ajoute une précision concernant le
matériel: «[…] (généralement) d’un dessus de marbre», information confirmée
dans l’exemple littéraire suivant:
(1)
Je trace des figures de géométrie sur le marbre du guéridon. (Valéry)
L’étymologie de ce mot remonte au nom d’un personnage de farce,
Gueridon (1615, Conférence d’Antitus, in TLFi), paysan des confins du Poitou
s’exprimant par sentences, qui devint héros de chanson et dont le nom fut mis au
refrain. La désignation par ce nom de ce petit meuble, dont le pied, unique à
l’origine, avait souvent une forme humaine, notamment celle d’un Maure, est peutêtre due à l’image du personnage isolé, qui dans la danse du branle de la torche, au
cours de laquelle on chantait ce refrain, tenait un flambeau alors que les autres
s’embrassaient. (ibid.)
Des variantes voient plusieurs pieds, tel le trépied, soutenir la table. On
remarque que les plateaux sont souvent soutenus par des figures mythologiques,
africaines, grecques ou égyptiennes.
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Gu%C3%A9ridon)
Ce type de meuble est apparu en France vers le milieu du XVIIe siècle.
À retenir déjà, comme éléments définitoires pour l’objet désigné par le mot
guéridon: la forme (ronde), le pied unique (au moins à l’origine), mais aussi la
‘facture élégante’, qui en fera, comme on le verra, un objet d’art.
Par exemple, l’Internet nous fournit beaucoup d’informations sur les
meubles de ce genre, tels Guéridon Murano (http://www.delamaison.fr/gueridonmurano-p-34970.html) ou bien Guéridons Louis XIII, Louis XV, Empire,
Restauration, Louis Philippe, présents dans les réclames des antiquaires qui
vendent des meubles de style.
(http://www.espace-antiquites.com/meubles/gueridons.htm)
Les reflets de cette connotation artistique du guéridon, en tant que meuble
décoratif, à vocation plutôt esthétique qu’utilitaire, se retrouvent aussi dans les arts
(littérature et arts visuels).
Voilà des exemples tirés de la littérature française:
(2)
(3)
(4)
Le milieu de la pièce était occupé par un guéridon Louis XV sur lequel étaient
posés des prospectus et des brochures. (Duhamel)
Ils déjeunaient au coin du feu, sur un petit guéridon incrusté de palissandre.
(Flaubert)
Sur un petit guéridon de bois de citronnier / Brillait, comme une étoile, une
lampe d’albâtre / Qui jetait par la chambre un jour doux et bleuâtre. (Gautier),
où l’on peut remarquer: la mention du style («Louis XV»), le matériel précieux
dont est confectionné cet objet («bois de citronnier»), ou la décoration («incrusté
de palissandre»).
Pour l’illustration dans les arts visuels, nous mentionnons le tableau du
grand peintre Pablo Picasso, intitulé Guitare sur un guéridon (1915, Huile sur toile,
133 x 104 cm).
À l’époque moderne (ou plutôt contemporaine), cet objet de mobilier
connait une évolution spectaculaire qui le fait changer de forme, de couleur, de
matériel et surtout de finalité.
Nous nous servirons des annonces publicitaires trouvées sur Internet pour
suivre les diverses destinations des guéridons modernes et leur descriptif sommaire.
- Le guéridon, à l’origine meuble d’intérieur, devient aussi meuble
d’extérieur, meuble de jardin (on trouve sur Internet une grande diversité d’offres
portant sur: la couleur, la forme, les matériaux …), comme par exemple:
(5)
Guéridon double plateau
Guéridon à roulettes
Guéridon carré Rivage, etc.
(http://www.oeildujour.com/mobilier-de-jardin/gueridons/famille/GUJ/)
- On le trouve aussi en tant que mobilier médical, dans un grand nombre
d’offres, par exemple:
(6)
Guéridons médicaux (2 ou 3 hauteurs)
Structure tube rond en Acier Inoxydable.
2 plateaux en Inox 18/10. Galeries amovibles. 4 roues caoutchouc silencieuses,
diamètre: 80 mm (dont 2 avec frein).
(http://www.girodmedical.com/fr/fr/mobilier-de-massage/gueridons.html)
Ou bien:
(7)
Guéridons aluminium et résine
Nos guéridons ont été conçus pour satisfaire aux exigences du milieu hospitalier.
Ils sont adaptés à toutes les fonctions des services de soins, mais aussi au bloc
opératoire (http://www.adhesia.com/fr/gueridons/gueridons-.html)
(8)
Guéridon de soins
Bâti tube ovale plat.
Galeries 4 côtés. 2 plateaux stratifiés. 2 tiroirs. 4 roues Ø 50 mm.
(http://www.azurmedical.fr/professionnels/produits,gueridons,gueridon-desoins-beaumond,532)
- Le guéridon devient également une pièce de mobilier dans les unités de
restauration:
(9)
Guéridons mange-debout avec plateaux en mélaminé et chant PVC, piétement
en tube Ø 80 mm, socle en fonte.
2 versions: 1 ou 2 plateaux, et 2 coloris au choix: noir avec pied noir ou gris
moucheté avec pied gris.
(http://www.manutan.fr/gueridons-mange-debout_M1779-33.html)
Sur la base de ce dernier emploi du guéridon, le mot qui le désigne entre
dans une nouvelle expression – service au guéridon –, connu surtout sous le nom
de service à la russe2.
- Les guéridons musicaux font eux aussi leur apparition dans le paysage de
la musique moderne. Nous citons à cet égard:
(10)
Chaque guéridon musical propose un univers sonore interactif que le ou les
joueurs peuvent découvrir et modifier à leur guise. Il suffit de placer les mains
sur la table ou de déplacer les objets qui s’y trouvent pour faire naître aussitôt les
réactions sonores:
Un paysage bruitiste inspiré de la mer va se révéler sur le guéridon bleu en
déplaçant galets et coquillages.
(http://www.digitalarti.com/fr/video/gueridons_musicaux)
Toutes ces ‘spécialisations’ rendent nécessaire la spécification guéridons
standard, comme dans l’annonce ci-dessous:
(11)
Tables guéridons hautes à deux plateaux. Plateaux en mélaminé ép. 19 mm.
Chant PVC ép. 3 mm. Piétement tube avec embase 4 branches équipées de
vérins de réglage, peinture époxy noir.
2 coloris de plateau: gris clair ou hêtre.
(http://www.manutan.fr/gueridonsstandard_MDL1023-160.html)
2. Roum. gheridon
Le mot roumain gheridon, pl. gheridoane, s.n., vient incontestablement du
fr. guéridon. Tous les dictionnaires s’accordent sur ce point, à partir du DA, au
DER, au DEX et aux dictionnaires récents de néologismes (DN, MDN, NODEX).
Sa forme ne permet pas d’indiquer si le mot est entré par voie orale ou écrite, mais
on peut supposer plutôt une filière écrite dans la réception de cet emprunt.
Quant au sens du roum. gheridon, on retient d’abord qu’il s’agit d’une
pièce de mobilier, une espèce de petite table ronde à un ou à trois pieds (DEX) et,
par la suite, les dictionnaires de néologismes ci-dessus indiqués), ou tout
simplement d’une petite table ronde, sans autre précision (DER)3.
On retiendra donc, comme éléments d’identification: la forme (ronde) et le
nombre de pieds (un ou trois). Aucune précision dans ces définitions
lexicographiques sur le matériel dont est confectionné cet objet.
Quant à la première attestation du mot en question, on trouve dans le DA la
mention: 1766, alors que le DLRC fournit deux exemples littéraires,
respectivement de V. Alecsandri et de I. L. Caragiale. On y trouve également une
mention d’ordre stylistique: mot vieilli.
En effet, ce type de meuble, en vogue tout au long du XIXe siècle et au
début du XXe, a presque disparu dans les dernières décennies (peut-être à cause
d’un certain halo aristocratique dont il est entouré, vu son rôle plutôt ornemental
qu’utilitaire immédiat), pour refaire son entrée ces dernières années quand les
meubles de style, les objets d’art attirent de nouveau l’intérêt des amateurs, comme
l’annonce suivante le fait voir:
(12)
Gheridon, lucrat manual, din lemn de fag si cu intarsii de furnir4
(http://www.bizoo.ro/firma/casasfinxului/vanzare/26829/Gheridon)
Tout comme nous l’avons montré dans le cas du français, le guéridon étant
de moins en moins employé comme objet de mobilier, le mot qui le désigne a reçu
d’autres acceptions, spécialisées, pour se rapporter à des référents qui n’ont que
peu de choses en commun avec l’objet de départ.
- Dans le domaine de la restauration, le guéridon arrive à désigner une
petite table mobile (à roulettes, éventuellement avec des anses), par exemple:
(13)
Gheridon servire restaurant
Material: lemn cireş roşcat închis
4 roŃi cu sistem blocare, bare din inox5
(http://newacustica.bizoo.ro/vanzare/99317/Gheridon-servire-restaurant)
ou bien un chariot-guéridon:
(14)
Cărucior Gheridon cu 2 blaturi laminate, picioare din oŃel inoxidabil cromat,
roŃi pivotante6.
(http://www.concepthotels.ro/catalog/product_info.php?cPath=5_55&products
_id=1313&osCsid=079ba6d2db5117b53a6f5a873be30f92)
D’ailleurs le mot entre dans les expressions servire la gheridon ou serviciu la
gheridon, tout comme en français d’ailleurs, en suivant sans doute le même
modèle7.
- Comme instrument musical, nous avons trouvé plusieurs références sur
Internet, mais renvoyant au même type de spectacle organisé par le Centre Culturel
Français, dans des localités différentes:
(15)
Instalatie ludic art moara vorbitoare şi gheridon muzical - instalaŃiile vor
rămâne la Centrul Cultural Francez până sâmbătă, 17 mai, ora 12.008
(http://www.ziaruldeiasi.ro/timp-liber/evenimente-culturale-campaniiconcursuri/festival-international-happening-performance~ni4out)
et:
(16)
Muzică la gheridon, versuri din râşniŃă
„Ludicart”, cum se numeşte evenimentul organizat de Centrul Cultural Francez,
prezintă clujenilor diverse „utilaje” de divertisment: gheridoane muzicale, mori de cuvinte,
tubulofoane şi tablouri muzicale. Acestea au fost
create prin anii 1970-1980 de doi
pionieri ai artei interactive, Jean-Robert Sedano şi Solveig de Ory.
Instrumentele sunt
absolut spectaculoase, deşi la
prima vedere n-au nimic ieşit din comun9.
(http://clujeanul.gandul.info/cultura-timp-liber/muzica-la-gheridon-versuri-dinrasnita-2647817)
3. En guise de conclusions
En français, le mot guéridon désigne à l’origine une pièce de mobilier (une
table ronde à un ou à trois pieds), d’habitude de marbre (ou d’un autre matériel
précieux), souvent ornée, de styles divers.
L’objet connait le long du temps des spécialisations multiples (dans les
domaines de la restauration, médical, musical), qui vont de pair avec la
modification de la forme (rectangulaire, ovale, à deux / trois plateaux ou hauteurs,
avec des roulettes, des tiroirs, etc.).
Le mot roum. gheridon est emprunté au français et désigne, à l’origine,
tout comme son étymon, un meuble de salon. Son référent connait de multiples
mutations de nos jours, évoluant vers un objet de meuble spécialisé, surtout dans la
restauration, plus rarement dans le domaine musical. Contrairement au français, en
roumain le mot gheridon ne s’est pas répandu dans le domaine médical pour
désigner une table de soins.
On peut remarquer, d’une part, pour le français, la connotation culturelle
très marquée du mot guéridon, donnée sans doute par la valeur artistique de la
pièce de mobilier en cause, bien illustrée par des variantes stylistiques, exposées
dans des galeries d’art ou chez les antiquaires, avec des reflets dans les arts
(comme la littérature ou la peinture).
D’autre part, en roumain le mot gheridon n’est attesté que bien plus tard
par rapport à la langue d’origine (1615 en français, 1766 en roumain), car le
référent lui-même apparait plus tard (jouissant de faveur en tant que meuble de
style surtout au cours du XIXe siècle). Par voie de conséquence, le mot s’est moins
bien implanté dans la langue usuelle. Ce qui, à notre avis, a permis au sens de ce
mot de subir des mutations encore plus amples qu’en français: gheridon désigne
aujourd’hui des meubles ou objets qui ont très peu à voir avec la pièce initiale, se
présentant sous des formes diverses, telles que tables roulantes, chariots, coffres à
anses, etc.
* Gabriela Scurtu, Analele Universitatii din Craiova, Langues et littératures romanes, 2010, p. 244258.
NOTES
1 Voir à ce sujet Sora 2006.
2. Une brève incursion historique, pour expliquer l’expression en question, ne nous semble pas
dépourvue d’intéret: «Depuis le Moyen Âge, les dîners de l’aristocratie étaient servis à la française
avec un summum du luxe au XVIIe siècle. Ce type de service sera remplacé à partir du XIXe siècle
par le service dit service à la russe introduit par le prince Alexandre Kourakine, ambassadeur de
Russie en France entre 1808 et 1812: Les hôtes assis autour d’une table sont servis à la portion et
peuvent manger chaud (ce que le service précédent ne permettait pas d’atteindre réellement). […]
Cette succession des plats et la place prédominante du rôti (ou rôt), et surtout le service à la place,
imposeront les normes suivantes du service dit à la russe: Les majordomes doivent maîtriser au moins
3 techniques de service, enseignées dans les écoles hôtelières: le service à l’assiette qui débarrasse
l’assiette vide, prépare et replace le plat suivant, le service à la pince et le re-service de l’assiette du
convive depuis le plat à l’aide d’une pince, le service au guéridon, le plat étant d’abord présenté aux
yeux du convive, puis placé sur un guéridon pour la préparation et la découpe. Par synecdoque, le
terme entier de service à la russe désigne ce dernier service au guéridon, et, dans l’esprit populaire, le
seul acte de la présentation sur table roulante et la découpe du rôti.»
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Service_%C3%A0_la_russe)
3. MăsuŃă rotundă pe un singur picior (‘petite table ronde à un seul pied’). (DA)
MăsuŃă rotundă cu un singur picior (‘petite table ronde à un seul pied’). (DLRC)
MăsuŃă rotundă (‘petite table ronde’). (DER)
MăsuŃă rotundă cu unul sau trei picioare (‘petite table ronde à un ou à trois pieds’). (DEX)
Masă mică şi rotundă, pe unul sau pe trei picioare înalte (‘petite table ronde à un ou à trois pieds
hauts). (NODEX)
4. ‘Guéridon travaillé à la main, en bois de hêtre plaqué‘.
5. ‘Guéridon service restaurant. Matériel: bois de cerisier rouge foncé. 4 roues avec système de
blocage, barres en inox‘.
6. ‘Chariot guéridon à double plateau laminé, pieds en acier inoxidable chromé, roues pivotantes‘.
7. «Având în vedere creşterea mare a localurilor de tip restaurant în sec. XXI şi creşterea calităŃii
serviciilor tehnica servirii preparatelor din carne de vânat presupune: aranjarea meselor, prepararea
meniului, servirea la gheridon şi debarasarea meselor. Toate acestea sunt strict necesare pentru a
satisface cerinŃele clienŃilor şi nu numai şi anume: respectând normele sanitare.» (’Le nombre
toujours plus grand des locaux type restaurant au cours du XXIe siècle et la qualité des services, pour
les venaisons, supposent: l’arrangement des tables, la préparation des menus, le service au guéridon et
le débarrassement des tables. Cela est strictement nécessaire pour satisfaire aux exigences des clients,
tout en respectant les normes sanitaires’).
(http://www.referat.ro/referate/Preparatele_si_servirea_in_restaurante_2a84e.html)
8. Installation Ludic Art le Moulin parlant et Guéridon musical – les installations resteront au Centre
Culturel Français jusqu’à samedi, le 17 mai, à midi‘.
9. ‘Musique au guéridon, vers au moulin. ‘Ludicart’, l’événement organisé par le Centre Culturel
Français, présente aux habitants de la ville de Cluj divers ‘outillages’ de divertissement: guéridons
musicaux, moulins à paroles, tubulophones et tableaux musicaux.
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MOTS D’ORIGINE FRANÇAISE
DANS LE LANGAGE DES JEUNES*
1. Le langage des jeunes
L’existence d’un langage des jeunes est un fait indéniable, étant, sans
aucun doute, un phénomène intéressant, d’actualité, un phénomène quasi universel,
les jeunes d’un peu partout cherchant une identité à eux, souvent contre la norme
courante : danse, musique, tenues vestimentaires, façon de penser, et, bien sûr,
façon de s’exprimer ! D’aucuns accusent ce langage de lèse majesté contre les
bonnes traditions, alors que d’autres ne vont pas jusqu’à le considérer comme un
réel danger, mais plutôt comme une mode, passagère, résultat d’un désir
d’affranchissement et d’affirmation …
En France par exemple, selon certaines sources, « Les jeunes bousculent la
langue française » (titre d’un article paru dans La Croix,16/11/2005) : « Mots
mutilés, écriture phonétique, vocabulaire appauvri ... Le ‘français’ des adolescents
inquiète les adultes » et encore : « Aujourd’hui, le langage des jeunes s’inspire
souvent de la langue des cités, mélange de verlan, de termes empruntés à de vieux
argots français, ou aux diverses cultures qui cohabitent dans nos cités […]. »
Pour le roumain, qui n’est pas une langue à stratification diaphasique et
diastratique tellement marquée que le français, l’existence d’un langage des jeunes
ou des adolescents n’est pas quand même contesté ; il devrait « nous inquiéter sans
pourtant exagérer » (łanu Pohrib 2010 : 5). Les éléments définitoires en seraient,
grosso modo : présence de termes de l’argot et du jargon, les clichés verbaux
abondamment utilisés et, non en dernier lieu, l’utilisation du « romglais » (il n’y a
presque pas de phrase sans un mot ou deux pris à l’anglais)
(cf.www.adevarul.ro/societate/viata/vorbesc-tinerii-combinatie-limbajromgleza_0_74993045.html).
Une tentative d’analyse dans une perspective purement descriptive (sans
aucune intention normative) ne saurait dissocier les divers aspects sus mentionnés,
car argot, jargon, néologismes (de forme et de sens, comme on le verra par la suite),
surtout anglicismes (mais notre objet d’investigation se doit d’être le français !)
devrait tenir compte de tous ces paramètres, dont les éléments s’entremêlent pour
constituer le tissu de ce qu’on va appeler, d’une façon quelque peu restrictive, « le
langage des jeunes » (d’ailleurs les adultes eux aussi n’en sont pas exempts, les
média, etc. en usent et même en abusent …).
Certes, l’internet a facilité ce nouveau mode d’expression : abréviations,
tendance à simplifier l’écriture, non emploi des diacritiques, abus d’anglicismes,
etc., mais la presse écrite et audio-visuelle est à son tour un facteur culturel et
éducatif responsable de déviations linguistiques et d’abus : « La grande quantité
d’argots et de jargons utilisés même lorsque ce n’est pas le cas rencontrée dans le
programme des principaux canaux de télévision, mais surtout dans les revues pour
les jeunes et sur Internet » mène souvent « à des erreurs de langue et à des abus »
(Ibid).
2. Eléments spécifiques
La variante stylistique qui fait l’objet de cette communication – à savoir le
langage des jeunes – se caractérise, au niveau lexical, par quelques particularités
saillantes, dont nous mentionnons : l’emploi des termes de la langue familière,
l’argot, le jargon, entre lesquels il est souvent bien difficile de tracer des frontières
précises.
1. L’emploi des termes de la langue familière : drag, chestie, pa, ciao,
merci, OK, etc. Une mention spéciale pour chestie (var. abrégée de chestiune) du fr.
question, lat. quaestio, -onis. Voici ci-dessous les définitions lexicographiques
pour ce mot, tirées des principaux dictionnaires du roumain (en particulier le DEX
et les dictionnaires de néologismes et d’argot) :
Chestiune, s.f. 1. Problème, thème dont qqn. se préoccupe. 2. Affaire qui nécessite
une solution urgente. 3. Question posée à un élève, un candidat. 4. (Fam.)
Événement, fait divers.
Mais aujourd’hui chestie est d’un usage très répandu, étant devenu une
sorte de mot passe partout, employé comme substitut de n’importe quel autre mot,
groupe de mots, idée, etc., apparaissant dans des contextes tels que:
- o chestie interesantă (= une chose intéressante), une des plus nombreuses
occurrences sur Internet (qu’il s’agisse d’un film, d’une formation de musique,
d’une information…);
- ce chestie, employé pour exprimer la surprise, l’étonnement, le doute (par
ex. www.kudika.ro/comentarii/articol/3346/ce-chestie-de-unde-ai-stiut.html) ou Ce
chestie şi cu incălzirea asta globală! (= quelle drôle d’affaire que ce
réchauffement climatique) (cf. http://poze.netflash.ro/animale/ce-chestie-si-cuincalzirea-asta-globala-3987.html);
- O chestie murdară (= une sale affaire) (Dilema veche, 3-9/02/2011), avec
référence à un bâtiment de valeur historique tombé en ruine (le mot joue ici sur
deux valeurs : concrète (le bâtiment même) et abstraite (la négligence des autorités),
etc.
Chestie est donc devenu une sorte de tic verbal, employé à tout propos.
2. L’emploi des mots argotiques par des groupes sociaux (élèves, étudiants,
soldats, artistes, etc.) soucieux d’avoir à leur portée un stock de mots d’un accès
plus difficile pour les autres, tout en rendant les messages plus nuancés, plus
pittoresques. Quantité de mots argotiques font partie du langage commun, mais, par
métaphorisation, ils ont acquis un sens spécial. Tel est le cas du mot bombă
employé argotiquement avec deux sens qui dérivent de ceux qui ont été empruntés
au français :
Bombă, s.f. 1. Projectile offensif rempli d’explosif. 2. Fig. (Sport) Coup très fort
tiré dans la direction de la porte. 3. Fig. (arg.) Événement imprévu qui fait
sensation (DEX, DN, ARGOU) ; a cădea ca o ~ éclater, tomber comme une
bombe (NODEX). 6. Fig. (arg.) Taverne, bistrot (DEX, DER, qui explique ce sens
à partir du fr. faire la bombe, faire bombance).
Le fonds lexical argotique se caractérise, entre autres, par les emprunts à
d’autres langues, dans le cas de la langue roumaine sont à relever les emprunts au
gitan (mişto, nasol, ciordi, hali), mais aussi au français, par ex. abajur (pour mini
jupe, cf. ARGOU). L’analogie est évidente est vise la forme: l’abat-jour ne couvre
que la partie supérieure d’une lampe (cf. aussi abajurul unei fuste nervoase (=
l’abat-jour d’une jupe nerveuse), www.poezie.ro).
L’Internet a permis l’apparition et la large diffusion des dictionnaires
d’argot en ligne (dictionnaires de langage urbain), qui se sont développés surtout
ces dernières années, tel que le DU (www.123urban.ro). Voilà à titre d’exemple
une définition de ce dictionnaire :
Paraşutist = profitor, lipici, atârnător (personaj care aterizează inopinat la chefuri,
mese - care contribuie cu muştarul la grătarele colective (specie din cămine
studenŃeşti, dar nu numai). Exemplu : Paraşutist exersat Nelu ăsta, cum am întins
faŃa de masă s-a şi ivit. (= Parachutiste : profiteur, personnage qui atterrit
inopinément à des fêtes, festins […] (espèce commune dans les foyeres des
étudiants, mais pas seulement). Exemple : Parchutiste expérimenté ce Nelu, il a
fait son apparition dès qu’on a mis la table).
3. Un autre élément caractérisant le langage des jeunes est l’emploi des
mots de jargon, dans le sens de langage inintelligible, précieux, qui abonde en
mots étrangers pris tels quels, donc non adaptés au système graphique ou
phonétique du roumain1.
De telles créations sont considérées par certains linguistes – parfois de
façon globale – comme des emprunts de luxe, parfois comme des barbarismes,
employés avec insistance par certains groupes, souvent par snobisme, par
commodité, par recherche de l’originalité2.
Le jargon actuel est formé avec prépondérance de mots d’origine anglaise
(on parle à ce propos d’une avalanche d’anglicismes, surtout après 1989) : hallo,
business, cool, darling, bye-bye, O.K., all right, week-end, job, look, speach,
supermarket, living, trendy, trendy, thriller, shopping, puzzle, show, feed-back,
hobby, job, top, etc., sans pour autant exclure les mots d’autres origines, dont aussi
française: a antama, a (se) ambeta, a amorsa, a anvizaja, a bria, a confia, a
eflora, a edulcora, bebé, bonsoar, madam, mersi, bonjur, loisir (écrit aussi loazir).
4. Les néologismes. Qu’il s’agisse d’argot ou de jargon, il résulte que
l’emploi des néologismes (adaptés ou non au système de la langue réceptrice) est
une caractéristique du langage actuel (y compris des jeunes). Employés de manière
préférentielle dans les divers milieux linguistiques quelque peu avant-gardistes,
avec une large ouverture internationale : science et technique, sport, musique,
mode, art, etc., leur rôle est d’enrichir et de moderniser le vocabulaire pour les
besoins de dénomination, d’expression et de communication (Lerat 1993: 132).
Plus précisément ils servent soit à combler «un vide terminologique» (Busuioc
1996: 2), dans le cas d’une première catégorie de termes appelés néologismes
dénotatifs ou techniques, soit à nuancer le vocabulaire d’une langue dans le cas des
néologismes connotatifs ou stylistiques (catégorie plus vaste et plus hétérogène que
la première et incluant des termes d’origine étrangère qui doublent en quelque
sorte les mots du fonds traditionnel). Ils sont considérés par certains linguistes,
comme on vient de le voir, comme des emprunts de luxe, ce qui n’est vrai que
partiellement (voir par exemple le cas des emprunts récents au français et plus
particulièrement à l’anglais, dans la presse roumaine actuelle, dans diverses
terminologies, dans la conversation quotidienne)3.
Les néologismes ne sont donc pas l’apanage des jeunes, mais ils trouvent
dans les parlers des jeunes un milieu favorable d’épanouissement.
Rappelons que ce phénomène comporte deux aspects majeurs : la néologie
de forme (création de mots nouveaux ou emprunts) et la néologie de sens (mot,
expression existant dans une langue donnée mais utilisé(e) dans une acception
nouvelle.
3. Analyse sémantique
Dans la dernière partie de cette communication, nous voudrions justement
illustrer la manière dont des mots roumains empruntés au français ont enrichi leur
contenu sémantique sur le terrain de la langue roumaine, notamment dans un
contexte ‘argotisant’. Il s’agit plus précisément de deux mots qui expriment un
degré d’intensité fort: beton et bestial. Ceux-ci ont connu des glissements de sens
particulièrement intéressants, comme expression d’une attitude subjective,
témoignant d’une participation dynamique des locuteurs.
3.1. Beton
Voici la définition lexicographique de beton, s.n. (du fr. béton), fournie par
les dictionnaires explicatifs du roumain :
Beton, s.n. 1. Matériau de construction à grande résistance, obtenu par liaison
d’agrégats divers (pierres, sable, etc.) au moyen de pâtes faites de ciment, chaux,
etc., et d’eau ◊ beton armat = béton armé. 2. (Sport) Système de défense utilisé
dans certains jeux sportifs (surtout football).
Dans le dictionnaire de l’ARGOT figure l’adjectif beton, avec trois
acceptions: 1. Solide, indestructible. 2. (Sport. football) Impénétrable. 3.
Formidable, excellent.
Donc, en roumain, tout comme pour l’étymon français, le sens de base est
de «matériau de construction à grande résistance […]». Le mot s’emploie
également dans le langage sportif, pour désigner une défensive super agglomérée :
(1)
(2)
Real are apărare beton (= Real a une défense béton) (Prosport, 16/01/2010).
Ne trebuie o apărare ‘beton’ (= Il nous faut une défense ‘béton’)
(www.presaonline.com/stiri/stiri-locale/ne-trebuie-o-aparare-beton-739328.html).
À partir de l’analogie avec le sport, o apărare beton (= une défense ‘béton’)
désigne une plaidoirie extraordinaire des avocats, comme dans l’exemple suivant:
(3)
Asistenta cu un avocat bunicel are o apărare beton (= L’assistante avec un bon
avocat bénéficie d’une défense ‘béton’) (www.evz.ro/detalii/stiri/o-prizaincinsa-cauza-tragediei-de-la-giulesti-908022.html).
Un sens qui a circulé et circule encore parmi les jeunes est celui de
«extraordinaire, formidable», sens attestés par le MDN et ARGOU, et provenant,
indubitablement, de l’analogie avec le béton en tant que matériau de construction :
résistance, dureté, fiabilité. De même, on peut lire dans le DU: Ceva de calitate,
superlativ în general, poate fi folosit şi cu forma maximă: beton de beton. (=
Quelque chose de qualité, superlatif en général, peut s’employer aussi avec la
forme maximale béton de béton). Exemple: Eşti beton! (= tu es béton).
Le mot entre en rapport de synonymie, selon la même source, avec : marfă
(= marchandise), s.f. et les adjectifs mişto, fain, frumos, super, foarte tare, bestial,
fantastic¸ mais beton conserve ses traits sémantiques particuliers, renvoyant, en
tout premier lieu, à l’idée de dureté, de force.
Dans cette acception, beton peut s’appliquer à n’importe quoi : une
personne, une pièce vestimentaire, une production artistique, un plat, un événement,
comme les exemples ci-dessous l’attestent:
(4)
(5)
(6)
(7)
(8)
(9)
Unde să ai un CV beton pe care să-l vadă mii de angajatori? (= Où mettre un
CV
‘béton’
que
des
milliers
d’employeurs
puissent
voir ?)
(www.campusnews.ro/stiri-oferte_joburi-7252809-unde-beton-care-vada-miiangajatori.htm).
Radu, contract beton la Lazio. Vezi cât va cîştiga fundaşul în următorii cinci ani! (=
Radu, contrat ‘béton’ avec Lazio. Voir combien gagne l’arrière dans les cinq années à
venir) (Gazeta sporturilor, 3/01/2011).
Zodiac beton (www.scribd.com/doc/932814/Zodiac-beton).
O analiză politică beton (= une analyse politique ‘béton’) (Ioan T. Morar,
Academia CaŃavencu, 22/06/2010).
Robin and the Backstabbers, o trupă ‘beton’ din noul val (Arte. Jurnalul,
18/09/2010,
cf.www.jurnalul.ro/timp-liber/arte/robin-and-the-backstabbers-otrupa-beton-din-noul-val-554834.html) (= Robin and the Backstabbers, une
troupe ‘beton’ de la nouvelle vague).
Beton spectacolul (= ‘béton’, le spectacle)
(www.muzica.metropotam.ro/Cronici-de-concerte/2010/01/art5023015168Concert-Bobby-McFerrin-la-Sala-Palatului/?showadd=).
Nous avons aussi relevé sur Internet de très nombreuses occurrences du
syntagme o tipă beton (= une gonzesse béton), c’est-à-dire «bien faite, sexy» (cf.
www.academiaderas.ro/o-tipa-super-beton), etc.
Et les exemples pourraient continuer, preuve de la grande vitalité et de
l’expressivité de ce mot qui, de substantif concret, est devenu un qualifiant intensif.
Le mécanisme de l’analogie a joué, selon nous, dans deux directions: d’une part,
des sèmes «solide, résistant» vers «sans faille, inattaquable» (cf. CV beton, apărare
beton, analiză beton, etc.) et, de l’autre, du sème sous-jacent «de bonne qualité,
fiable» vers «excellent, formidable» (tipă beton, serată beton, spectacol beton, etc.).
Il résulte que dans le cas du mot roumain beton, le substantif a pris les fonctions
d’un adjectif qualificatif. Il faut cependant remarquer que ce glissement
métaphorique en roumain d’un mot emprunté au français s’est réalisé également
dans la langue source, quoique sans la même envergure. On le trouve avec fonction
attributive: arguments bétons «solides, irréfutables» (GRLF). On lit de même, dans
le NDLV, sous béton: adj. Indiscutable, inébranlable, plus que fiable. «Il semble
donc que la ré-grammaticalisation en adjectifs de certains substantifs ayant un sens
métaphorique qualificatif est une tendance commune, au moins aux deux langues
dont nous nous occupons ici.» (Iliescu et al., 2010).
3.2. Bestial
Bestial est en roumain un adjectif à étymologie multiple (du fr. bestial, lat.
bestialis).
Le fr. bestial, attesté selon le TLFi en 1190 avec le sens de «qui tient de la
bête», est un emprunt au lat. chrét. bestialis (IVe s.), de même sens. Toutes les
acceptions de l’adjectif français se rattachent au sens étymologique:
Bestial, -e, adj. 1. (En parlant d’un animal ou de l’homme primitif) Qui tient de la
bête, qui appartient à la bête : Instinct bestial. 2. Péj. (En parlant de l’homme) Qui
fait ressembler l’homme à l’animal (par son physique ou son comportement ; par
ses penchants moraux, son manque de spiritualité ; par son manque d’intelligence,
sa stupidité) : fureur bestiale ; amours bestiales ; joie bestiale.
Le GRLF fait encore la remarque que bestial implique en général la
violence, la cruauté ou la stupidité et l’aveuglement, surtout moral. Les synonymes
indiqués pour le fr. bestial: animal, barbare, brut, brutal, grossier, inhumain,
sauvage (DLF).
Tous ces sens et emplois se retrouvent aussi dans le mot roumain bestial,
défini par les dictionnaires de la façon suivante:
Bestial, -ă, adj. 1. Qui tient de la bête, qui appartient à la bête ; d’une cruauté
féroce ; sauvage. 2. (En parlant des personnes) Avec des manifestations de bête. 3.
(En parlant des manifestations des personnes) Propre aux bêtes ; de bête ; brutal,
grossier, inhumain, sauvage ; furie ~ă (= fureur bestiale). Cu purtări ~e (= avec un
comportement bestial).
Dans les deux langues considérées, tout a donc trait à la bête sauvage, à
son comportement, à son manque de spiritualité, à sa cruauté et s’applique aussi
bien à l’animal qu’à l’humain.
D’autant plus intéressante nous semble l’emploi récent de ce mot, dans
l’argot des jeunes: ok, bun, mişto, de calitate, care întrece aşteptările, fenomenal
(DU) (= ok, bon, super, de qualité, qui dépasse les attentes, phénoménal).
Bestial a donc acquis un sens nettement positif. Mais comment est-il
arrivé à avoir une connotation positive vu son sens usuel qui est, au contraire,
comme on l’a vu, plutôt négatif ?
Ni en français, ni en anglais, par exemple, l’adjectif en question n’a connu
une telle appréciation sémantique4.
Rodica Zafiu relève la tendance des mots argotiques à exprimer le
superlatif par l’idée de négativité, employée comme moyen de renforcement :
mortal, criminal, bestial, de comă (2010: 67).
En ce qui nous concerne, nous avançons l’hypothèse que ce glissement,
dans le cas de bestial, pourrait provenir du langage des groupes de hard rock,
surtout sous sa forme extrême, le heavy metal, musique « aux sonorités lourdes et
épaisses, centré sur les impulsions de la batterie et de la guitare à la distorsion très
amplifiée » (www.fr.wikipedia.org/wiki/Heavy_metal_(musique). La glorification
des instincts sauvages, la proclamation, sous-jacente, de la bête
comme modèle de force peut expliquer la prédilection pour des titres d’albums tels
que
Bestial
Devastation
(metal
band
Sepultura)
(http://en.wikipedia.org/wiki/Bestial_Devastation).
Le Urb.Dic., dictionnaire analogue à celui du roumain (le DU), nous a
fourni un contexte où bestial s’applique au physique d’une personne : An
irresistable man's man who seduces women with his witticisms and more notably
with his extraordinarily handsome yet bestial looks, ce qui indique, mais dans une
mesure beaucoup plus réduite qu’en roumain, une tendance évolutive vers
l’expression d’un degré d’intensité, connoté positivement.
Mais en roumain bestial est d’un très large emploi5, on peut le rencontrer
dans des contextes nombreux et variés. En voilà des exemples fournis par le DU,
avec le contexte qui permet de décoder le sens de l’adjectif et ses connotations
positives:
(10)
(11)
(12)
Îmbrăcămintea ‘inteligentă’ se asortează la celularul ‘bestial’ - Haine care se
luminează şi îşi schimbă culoarea in funcŃie de emoŃiile pe care le simŃim (=
les habits ‘intelligents’ s’assortissent bien avec le portable ‘bestial’ – des habits
qui s’éclairent et changent de couleur en fonction de nos émotions).
Iron Maiden, show 'bestial' la Bucureşti - Luni seara greii rockului mondial au
oferit fanilor români un spectacol perfect : sunet, lumini şi decoruri pregătite în
cel mai mic detaliu. (= Iron Maiden, show ‘bestial’ à Bucarest – lundi soir
les durs du rock mondial ont offert à leurs fans un spectacle parfait : sonorité,
lumière et décors préparés dans le moindre détail).
Loredana : E bestial să fii măritată! Eşti protejată, eşti în siguranŃă, eşti în
echilibru! (= c’est ‘bestial’ d’être mariée ! on est protégée, on est en sûreté, on
est en équilibre).
ou par l’Internet. Nous croyons intéressant, à cet égard, de reproduire les phrases
d’un jeune blogeur roumain qui parle de sa ville, Iassy, qu’il admire et aime bien
d’ailleurs, en la caractérisant à plusieurs reprises de bestiale6.
L’adjectif en question y apparait seulement comme caractérisant de la ville: de ce
oraşul meu ar fi unul bestial (= pourquoi ma ville serait ‘bestiale’), Iaşul e bestial
(Iassy est ‘bestial’), de ce oraşul vostru e bestial (= pourquoi votre ville est
‘bestiale’). Si l’on examine les occurrences de l’adjectif en question, on voit qu’il
se trouve toujours en compagnie de mots appréciatifs et dans des contextes d’où se
dégagent des impressions favorables, qui décrivent une situation agréable, etc.: cele
mai frumoase momente din viaŃa mea (= les plus beaux moments de ma vie), cele
mai frumoase construcŃii din România (= les plus beaux édifices de Roumanie),
zeci de zâmbete (= des dizaines de sourires), e absolut fantastic (= c’est tout-à-fait
fantastique), aici sunt majoritatea prietenilor (= là c’est la majoritè des amis), etc.
D’autres adjectifs exprimant un degré fort d’intesité relevés dans le même texte
sont : tare (Iaşul e cel mai tare oraş) et mişto (cel mai mişto parc, Copou). C’est un
échantillon représentatif pour la façon d’écrire d’un ado roumain, assez cultivé et
très décent. L’amour pour sa ville est sincère, nettement exprimé, et l’adjectif
bestial n’y fait pas figue d’intrus7.
4. Quelques conclusions
Nous précisons pour finir que les distinctions entre les différentes catégories
avec lesquelles nous avons opérées: langage familier, jargon, argot est difficile,
sinon impossible à réaliser. De nombreuses confusions sont à relever aussi dans les
dictionnaires, fussent-ils explicatifs, de néologismes ou d’argots, qui indiquent,
pêle-mêle, «des termes populaires, régionaux, familiers, des créations
journalistiques de dernière heure» (Zafiu 2010: 23). Quoi qu’il en soit, le langage
des jeunes adopte des mots et expressions appartenant à ces variantes linguistiques,
est marqué par de nombreux emprunts à des langues étrangères, fait preuve de
beaucoup d’originalité (évolutions sémantiques intéressantes et souvent inédites),
se renouvelle avec rapidité, exprimant «la solidarité de génération, le besoin d’être
à l’intérieur du groupe et, surtout, le désir d’être à la mode» (idem: 17).
* Gabriela Scurtu, Communication présentée au Séminaire International Universitaire de Recherche
La jeunesse francophone et ses contextes. Dialogues des langues et des cultures, Craiova, 21-22 mars
2011.
NOTES
1. Le terme de jargon désigne aussi les langages spécialisés des professions, « code linguistique
particulier à un groupe socio-culturel ou professionnel, à une activité » (in TLFi).
2. Dans l’évolution de lexique du roumain se sont contourés plusieurs jargons, dénommés d’après les
mots étrangers utilisés : turc, grec, latinisant, français.
3. À titre d’exemple, on peut citer le grand linguiste roumain Iorgu Iordan (1954), qui relevait dans la
presse roumaine d’entre les deux guerres une série de mots empruntés au français « qui ne
correspondaient à aucune nécessité » : aberant (du fr. aberrant), abhorat (du fr. abhorré), alert (du
fr.alerte), angoasă (du fr. angoisse), aviva (du fr. aviver), bulversa (du fr. bouleverser), claca (du fr.
claquer), compozit (du fr. composite), confesa (du fr. confesser), cozerie (du fr. causerie), curonament
(du fr. couronnement), devanseur (du fr. devanceur), diurn (du fr. diurne), dompta (du fr. dompter),
efasa (du fr. effacer), flana (du fr. flâner), flaterie (du fr. flatterie), etc. Mais si l’on examine
aujourd’hui, donc plus d’un demi-siècle plus tard ces formations, l’on doit remarquer que beaucoup
sont aujourd’hui parfaitement intégrées dans le roumain courant, étant consignés par les dictionnaires
explicatifs ou de néologismes : aberant, alert, angoasă, a aviva, a claca, compozit, a confesa, diurn,
etc., alors que d’autres (a dompta, a efasa) sont ressentis comme des mots étrangers (‘franŃuzisme’)
ou bien ont été éliminés de l’usage (devanseur).
4. En ang. bestial est un adjectif défini comme « brutal, barbarous, beasty, brutish », donc les sens
qu’il a aussi en français (cf. OED).
5. Il faut noter qu’on enregistre dans le cas de l’italien bestiale la même évolution sémantique :
« bestiale... anche, con connotazione positiva, straordinario, eccezionale: divertimento, successo
bestiale » (VLI).
6. Iaşul – un oraş bestial
Sorin Grumăzescu mă atenŃionează în mod involuntar să mai scriu pe blog, întrebându-mă de ce
oraşul meu ar fi unul bestial. Ideea e că este un oraş bestial, doar că nu ştiu dacă ale mele cuvinte l-ar
putea caracteriza în totalitate. Pentru mine, Iaşul e cel mai tare oraş pentru că aici trăiesc de vreo 1516 ani. Aici am trăit şi încă mai trăiesc cele mai frumoase momente din viaŃa mea. Aici pot admira
una dintre cele mai frumoase construcŃii din România – Palatul Culturii. Pot vedea oricând zeci de
zâmbete în PiaŃa Unirii, unde copii se joacă şi aleargă după porumbeii ce stau mai tot timpul în
această zonă. Mă pot plimba şi alerga prin cel mai mişto parc, Copou. Din zone precum Galata sau
Bucium / Păun / Releu pot să privesc de la distanŃă întreg oraşul – pe seară e absolut fantastic. Pot să
urc cu bicicleta până la aeroport, iar pe drum să mă opresc amintindu-mi cât e de frumos Ciricul. Iaşul
e bestial pentru că aici sunt majoritatea prietenilor. Tot aici este cea mai activă comunitate de bloggeri
din regiune – nişte oameni cu care mă văd aproape săptămânal şi cu care mă distrez oricând îi
întâlnesc. Iaşul înseamnă copilăria mea. Iar copilăria e cea mai frumoasă perioadă din viaŃă, nu?
Nimic nu s-ar putea compara cu săptămânile de la Ńară în care nu aveam nicio grijă şi făceam mai de
toate : călăream calul, mă plimbam cu (,) căruŃă (care o dată a şi căzut peste mine, fiind plină cu fân),
pescuiam, jucam fotbal non-stop, mă duceam cu bunicul la stână, stăteam şi făceam locuri de scăldat
prin râuri, etc. Iaşul reprezintă totul şi va reprezinta cel puŃin încă vreo trei ani de acum încolo. Aş
putea să mai adaug în acest articol că există pârtie, patinoar, ştrand şi alte locuri de distracŃie de genul,
dar eu nu prea am profitat de ele :-) Aştept să îmi spuneŃi şi voi pe blogurile voastre sau prin
comentarii la acest articol de ce oraşul vostru e bestial. (www.danyblog.com/2010/05/iasul-orasbestial.html)
7. Voir aussi l’évolution sémantique du fr. génial, qui connait, au contraire, un affaiblissement du
sens, de « qui a du génie » à « fameux » (cf. ARGOT – FAMILIER : « cette zone, la bouffe pas
géniale (dans les gargotes) », avec des synonymes comme : chouette, extraordinaire, fabuleux,
formidable, ingénieux, intelligent, prodigieux, sensationnel, super (DLF).
BIBLIOGRAPHIE
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învăŃământ superior. Bucureşti. Cap. Imprumuturile latino-romanice, p.
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Bucureşti : Editura ŞtiinŃifică şi Enciclopedică.
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Scurtu, Gabriela / Dincă, Daniela (2010), La place des néologismes français dans le
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Merce Lorente (eds.) : Actes du Ier Congrès International de Néologie des
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