investir, pour quoi faire ? au-delà du plan juncker

publicité
POLICY PAPER
INVESTIR, POUR
QUOI FAIRE ?
AU-DELÀ DU
PLAN JUNCKER
Mai 2015
Eugenia Bardaro | Conseillère Cepess
POLICY PAPER
INVESTIR, POUR
QUOI FAIRE ?
AU-DELÀ DU PLAN
JUNCKER
Mai 2015
Eugenia Bardaro | Conseillère Cepess
RÉSUMÉ EXÉCUTIF
L’Europe souffre d’un déficit d’investissement. Depuis la crise financière de 2008, l’Europe est
confrontée à une crise de sous-investissement qui pénalise lourdement le potentiel de croissance
sur le moyen et le long terme. Alors qu’au cours des dernières années, la priorité a été accordée
à la réduction des déficits publics et une diminution de l’endettement, la nouvelle équipe de la
Commission européenne (CE) a mis haut dans l’agenda européen le renforcement de l’investissement au travers d’un plan d’investissement à hauteur de 315 milliards d’euros. D’un trait,
elle a ainsi dépassé le discours Européen dominant basé sur la rigueur budgétaire et a allié le
plan d’investissement à la possibilité d’appliquer avec plus de flexibilité les règles budgétaires
européennes.
Ce plan d’investissement est une bonne idée pour pallier au manque d’investissement en Europe.
Toutefois, se concentrer sur la seule relance des investissements ne suffit pas. Il nous faut une
plus grande ambition, un élan pour l’Europe. Nous proposons de mettre en place une Stratégie
d’envergure qui a pour objectif de situer l’économie européenne à la pointe d’un nouveau type
de développement porteur d’une meilleure qualité de vie pour tous.
Cette Stratégie s’appuie sur trois piliers : les investissements, l’innovation - à travers en particulier l’éducation et la recherche - et la régulation du marché intérieur. Ces trois piliers doivent
en effet jouer de concert : la relance des investissements dans des secteurs-clés doit s’appuyer
sur une politique forte d’innovation, sur une plus grande harmonisation et régulation au niveau
européen. Nous avons identifié trois secteurs stratégiques : l’économie numérique, le transport
et l’énergie. Faire émerger l’Europe comme leader dans ces secteurs-clés est donc un enjeu
essentiel tant pour l’avenir de l’économie que pour la qualité de vie des citoyens européens.
Enfin, il convient que l’ensemble des instruments européens naviguent dans le même sens, en
ce qui concerne la politique monétaire et commerciale mais surtout au niveau de la coordination
budgétaire européenne.
INTRODUCTION
Depuis 2008, l’Union européenne (UE) est confrontée à une sévère crise économique entraînant une faible croissance, un chômage élevé, une augmentation du risque de déflation ;
mais également des niveaux de compétitivité inégaux et une crise de l’investissement qui
pourraient avoir des conséquences graves pour son avenir économique. Aujourd’hui, deux
questions cruciales auxquelles il faut répondre prioritairement se posent : comment pouvons-nous sortir de la crise et comment pouvons-nous augmenter le potentiel global de
production en Europe ?
La nouvelle Commission européenne mise en place en 2014 a trouvé sa réponse : doper les
investissements. C’est un réel changement de cap qu’a amorcé là la nouvelle équipe, tant
l’équipe de Barroso insistait surtout sur la rigueur budgétaire et les réformes structurelles
à mener dans les Etats membres. L’investissement semble donc être la solution optimale. Il
est vrai que la relance des investissements présente de nombreux avantages, car elle stimule
la demande sur le court terme et contribue également à augmenter le potentiel de croissance de l’économie à moyen terme. Les investissements d’aujourd’hui déterminent donc
l’emploi et la croissance de demain. Aujourd’hui, la compétitivité et le potentiel de croissance
durable à long terme de l’Europe sont pénalisés par un sous-investissement chronique dans
des domaines-clés. La crise a affaibli la confiance, réduit l’investissement global et creusé
encore le déficit structurel d’investissement.
La clé de la relance de l’activité économique en Europe serait donc de doper les investissements. La nouvelle Commission a dès lors proposé de lancer un plan massif de relance des
investissements, baptisé « plan JUNCKER » dans ce but. La présente étude analysera si cette
réponse est adéquate par rapport à ses objectifs affichés, tant en niveau qu’en qualité. Car
si le niveau d’investissements est important, il est encore plus important de s’interroger sur
le type d’investissements dont nous avons besoin pour favoriser une croissance de qualité
et durable en Europe. Certains secteurs ont une importance particulière à cet égard : nous
les identifierons et expliquerons pourquoi.
Enfin, la présente étude insiste également sur la nécessaire cohérence de l’action européenne en la matière. Si effectivement la relance des investissements est cruciale, il convient
de mettre les différents instruments dont elle dispose en ordre de marche par rapport à cet
objectif. Les politiques budgétaires, monétaires, de commerce, de régulation intérieure,
d’investissements, d’innovation, de recherche et développement, d’éducation doivent être
cohérentes entre elles et se fixer des objectifs convergents si l’on souhaite que l’on dispose
d’un réel levier pour l’activité et l’emploi en Europe.
7
1.LES PRIORITÉS
POUR RENFORCER LA
CROISSANCE EN EUROPE
1.1 CONTEXTE GÉNÉRAL :
UN DÉFICIT D’INVESTISSEMENT ?
La croissance économique dans les 28 États
membres de l’Union européenne, 1,3 % en 2014,
reste bien en dessous de son niveau pré-crise
à savoir un taux de croissance de 2,3 % (en
moyenne entre 2000 et 2007).
Dans la zone euro, en 2014, le taux de chômage se situait à 11,6 % en moyenne, soit
quatre points de pourcentage de plus qu’avant
la crise mondiale de 2008, tandis que près
de la moitié des demandeurs d’emploi sont
au chômage depuis plus d’un an et que les
femmes et les jeunes sont affectés de manière
disproportionnée.
Entre les pays de l’UE, d’énormes disparités
sont par ailleurs relevées avec des taux de
chômage particulièrement élevés frappant
notamment l’Europe du Sud. En 2014, le taux
de chômage dépassait 24 % en Espagne et 26
% en Grèce.
Selon les dernières prévisions de la
Commission européenne (CE), European
Economic Forecast1, au cours de 2015, l’activité économique devrait connaître une reprise
modérée dans l’Union européenne et dans la
zone euro, avant de s’accélérer de façon plus
marquée en 20162. La situation de l’économie
européenne reste néanmoins fragile.
L’Europe souffre d’une croissance faible, mais
aussi, plus inquiétant encore, son potentiel de
croissance à long terme est en déclin. Depuis
deux décennies, l’investissement a été trop
faible, et ne s’est probablement pas orienté
de la manière la plus judicieuse, sapant la
productivité, le potentiel de croissance de
l’Europe et a mis sa compétitivité en risque.
Les États membres ont aujourd’hui cruellement besoin de doper leurs perspectives de
croissance s’ils veulent créer de nouveaux
emplois. Pour cela, il faut renforcer l’investissement en Europe, sachant que ce dernier
est aujourd’hui trop faible.
GRAPHIQUE 1 Taux de chômage en 2008 et 2014
5
L’Europe souffre
d’une croissance
faible, mais aussi,
plus inquiétant
encore, son
potentiel de
croissance à long
terme est en
déclin
2008
2014
30,0
26,5
24,5
25,0
20,0
15,0
11,6
10,2
10,0
7,6
7,0
12,7
11,3
7,0
8,5
7,8
7,4
5,0
6,7
4,1
5,0
5,6
5,8 6,2
4,0 3,6
0,0
e
ro
ne
qu
eu
ag
lgi
e
m
e
n
e
B
Zo
All
EU
1
2
e
èce
gn
Gr
pa
s
E
e
is
lie
ich
un
r
Ita
t
s
Au
Éta
European Commission, European Economic Forecast, Winter 2015.
European Investment Bank, Investment and Investment Finance in Europe, 2013.
an
Jap
Source : Eurostat
9
GRAPHIQUE 2 Taux de chômage et taux de chômage des jeunes en 2014 (%)
Taux de chômage
60,0
Taux de chômage des jeunes
53,2
52,4
50,0
42,7
40,0
30,0
20,0
26,5
23,7
22,2
23,2
11,3
10,2
10,2
24,5
8,5
11,6
10,0
13,4
12,7
8,5
5,0
10,3
7,7
5,6
6,2
3,5
3,6
0,0
EU
e
ne
Zo
Source : Eurostat
uro
e
ne
qu
ag
m
e
All
B
i
elg
ne
èce
ag
Gr
p
Es
Les dernières données3 de la Banque européenne d’investissement montrent que la
crise économique a causé une diminution sans
précédent de l’investissement en capital fixe
dans l’UE4. Cette chute est telle qu’en 2013 le
niveau d’investissement était de 16,9 % plus
bas qu’en 20075. En Europe, au cours des 20
dernières années, les investissements et le
PIB ont évolué simultanément tout au long
du cycle économique. Entre 2008 et 2012, la
chute de l’investissement a été plus forte que
la diminution du PIB.
Ita
lie
e
ch
tri
Au
is
un
s
Éta
an
Jap
En Europe, au cours des 20 dernières années,
les investissements et le PIB ont évolué simultanément tout au long du cycle économique.
Entre 2008 et 2012, la chute de l’investissement a été plus forte que la diminution du PIB.
Des différences notables peuvent toutefois
être notées entre les Etats membres de l’UE.
Dans les pays les plus touchés par la crise,
la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Portugal et l’Espagne, la baisse des investissements a été
encore plus forte.
3
European Investment Bank, Investment and Investment Finance in Europe, 2013.
4
Voir l’analyse faite par P. Maystadt, « Investissement et financement de l’économie européenne », in
Chopin et M. Foucyher (eds.), Rapport Schuman sur l’Europe, l’état de l’Union, Lignes de Repères, 2014
5
European Investment Bank, op.cit. Aujourd’hui, la baisse est de 14% par rapport au niveau pré-crise.
10
GRAPHIQUE 3 Formation brute de capital fixe par région
110
GFCF - by region
OMS : EU15 sans GIIPS
GIIPS : Grèce, Irlande, Italie, Portugal, Espagne
NMS : Nouveaux Etats membres
OMS
GIIPS
NMS
EU28
GFCF (012008-100)
100
90
80
70
60
3
Q4-201
3
Q1-201
4
Q3-201
2
Q4-201
2
Q1-201
3
Q2-201
3
Q3-201
Q1-200
Q1-200
7
Q2-200
7
Q3-200
7
Q4-200
7
Q1-200
8
Q2-200
8
Q3-200
8
Q4-200
8
Q1-200
9
Q2-200
9
Q3-200
9
Q4-200
9
Q1-201
0
Q2-201
0
Q3-201
0
Q4-201
0
Q1-201
1
Q2-201
1
Q3-201
1
Q4-201
1
Q1-201
2
Q2-201
2
Source : ECON, sur base des données Eurostat
6
Q2-200
6
Q3-200
6
Q4-200
6
50
Le capital fixe est l’ensemble des outils, équipements (y compris les infrastructures collectives comme les écoles ou les routes) et bâtiments (y compris bâtiments d'habitation)
utilisés dans une économie donnée. La formation brute de capital fixe (FBCF) désigne les
ajouts annuels à ce capital fixe effectués dans l'ensemble de l'économie ou dans chacun des
secteurs institutionnels. Une partie de cet ajout est destinée à remplacer le capital fixe usé ou
déclassé au cours de la même année : on appelle cette partie consommation de capital fixe.
11
de l’investissement privé que public. La faible
croissance de l’investissement continue à
miner la reprise économique dans ces pays
Entre 2007 et 2011 l’investissement a baissé
de 57% en Irlande, de 47% en Grèce et de 29%
en Espagne. Comme le graphique ci-dessous
le montre clairement, ces pays ont décroché
de la tendance moyenne en 2008 et affichaient
en 2013, un niveau d’investissement 42% plus
bas que celui de 2007. Ces tendances sont
particulièrement inquiétantes tant au niveau
La Commission a calculé un déficit annuel
d’investissement en Europe de 230 à 370 milliards d’euros par rapport au taux d’investissement à long terme (soutenable).
EU-27
EL, ES, IE, PT
GRAPHIQUE 4 Baisse de l’investissement total dans l'UE et dans les Etats les plus touchés par la crise
10
0
-10
-20
-30
-40
3
Q1-201
2
2
Q1-201
2
Q1-201
2
Q1-201
Q1-201
1
1
Q1-201
Q1-201
1
Q1-201
1
Q1-201
0
Q1-201
0
0
Q1-201
0
Q1-201
Q1-201
Q1-200
9
Q1-200
9
9
Q1-200
9
Q1-200
8
Q1-200
8
Q1-200
Q1-200
8
Q1-200
8
-50
Source: Eurostat
GRAPHIQUE 5: Le retard d’investissement en Europe
(Formation brute de capital fixe, EU-28, en prix 2013, en milliards d’EUR)
3,039
Écart par rapport
au niveau viable
3,021
2,869
2,714
2,567
2,527
230
2,717
2,657
2,543
2,659
2,647
2,606
2,567
2,528
2,416
Source CE
12
2013
2012
2011
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
Source: CE
370
De même, Bruegel a calculé un déficit
annuel d’investissement de 260 milliards
d’euros par rapport à une tendance linéaire
depuis 1970. Le déficit d’investissement
dans le secteur de la construction à lui
seul représenterait 100 milliards d’euros.
GRAPHIQUE 6: L’investissement sans le secteur
de la construction dans l’EU15
L’investissement total dans l’EU15
UE15
Tendance UE15
1.500
UE15
Tendance UE15
3.000
2.800
2014
2010
2006
2002
1998
1994
1990
1.000
1986
500
1982
1.200
1970
600
2014
1.400
2010
700
2006
1.600
2002
800
1998
1.800
1994
900
1990
2.000
1986
1.000
1982
2.200
1978
1.100
1974
2.400
1970
1.200
La baisse de l’investissement, suite à la crise
financière mondiale, n’a pas concerné que
l’Europe. Toutefois, cette chute fut deux fois
260
bn
2.600
1978
160
bn
1.300
1974
1.400
plus prononcée en Europe qu’aux Etats-Unis
ou au Japon.
GRAPHIQUE 7 : Variations de l'investissement et du PIB entre 2008 et 2012 dans l'UE, aux États-Unis et au Japon
Source : Eurostat
13
Il est utile de préciser qu’au début de la crise,
entre 2007 et 2009, la chute de l’investissement
privé aux Etats-Unis a été plus prononcée qu’en
Europe. Mais à partir de 2009 on a assisté aux
Etats-Unis à la reprise de celui-ci tandis qu’il
a continué à diminuer en Europe6. Il est aussi
important de noter qu’aux Etats-Unis, les
courbes des investissements privés et publics
suivent des tendances différentes. Après 2009,
l’investissement public est en baisse constante
mais reste néanmoins supérieur à ce qu’il est
en Europe à l’exception des nouveaux Etats
membres. Au niveau international, c’est le
Japon qui, tant au niveau des investissements
publics que privés, semble le mieux résister
aux conséquences de la crise.
GRAPHIQUE 8: Investissements public et privé en Europe, aux Etats-Unis et au Japon
Source: Eurostat
1.2 FAIRE FACE AU DÉFICIT
D’INVESTISSEMENT EN EUROPE
L’investissement
est souvent le
premier secteur
sacrifié lorsqu’il
faut diminuer les
dépenses
Comment peut-on relancer les investissements
en Europe ? Afin de répondre à cette question,
il est essentiel avant tout de comprendre les
causes de ce déficit d’investissement. Il dépend
de nombreux facteurs qui diffèrent selon que
l’investissement soit public ou privé7. Pour
l'investissement public, nous pouvons citer les
contraintes budgétaires. L’investissement est
souvent le premier secteur sacrifié lorsqu’il
faut diminuer les dépenses. Pour l'investissement privé, une multitude de raisons sont
recensées, parmi lesquelles :
-
le ralentissement de la demande8 ;
-
la baisse du taux de rentabilité ;
-
la présence de barrières
réglementaires et de
réglementations inadaptées ;
-
la pénurie d’offres de
financement ;
-
l’incertitude quant aux orientations
politiques futures ;
-
la fiscalité ;
-
les prix de l'énergie ;
-
…
6 N. Valla, T. Brand et S. Doisy, “A new architecture for public investment in Europe”, in CEPII Policy Brief n.4, Juillet
2014, p.2
7 Voir Maystadt, op. cit.
8 Sous-tendu aussi par 1. le surinvestissement dans les secteurs de l’immobilier en particulier dans certains états
membres et 2.le surendettement de certains ménages et Etats.
14
La Task force9 de l’UE sur les investissements
souligne dans son rapport10 l’existence en
Europe d’un « large large éventail de barrières
et goulots d'étranglement »11 et avance une
série de recommandations pour y répondre,
y compris la réduction de la réglementation,
l’achèvement du marché unique et la mise en
place de réformes structurelles. Ce dernier
terme a souvent été utilisé pour désigner des
politiques visant à réduire la protection du
travail, la portée de la négociation collective
et les salaires. Relevons néanmoins que la
Task Force n’avance pas d’arguments probants démontrant que ces mesures peuvent
effectivement contribuer à une augmentation
de l’investissement.
Selon la Task force, le déficit d’investissement
privé est principalement dû à une « basse
croissance de la demande »12, conduisant
à des attentes de faible demande à l’avenir.
Cette hypothèse semble confirmée par les
enquêtes13 Business Surveys de la Commission
européenne. En 2014, plus de la moitié des
entreprises manufacturières ont dû faire face
à des contraintes de production et 40% de
celles-ci ont indiqué « l’insuffisance de la
demande » comme un facteur limitant. Loin
derrière étaient mentionnées les contraintes
financières et une pénurie de main-d’œuvre
(respectivement 9% et 7%)14. Si en moyenne
40% des entreprises ont limité leur production à cause de la demande, ce pourcentage
dépasse 65% pour l’Espagne et 55% pour la
France. A l’opposé, en Allemagne seulement
17% des entreprises déclarent avoir limité
leur production à cause de l’insuffisance de
la demande.
GRAPHIQUE 9 : Pourcentage des entreprises obligées de limiter leur production à cause du manque de
demande, pénurie de main-d’œuvre ou contraintes financières
Source : EC Business Surveys, Q2 2014
9 La task force spéciale de l’UE sur les investissements était menée conjointement par la Commission européenne
et la BEI et comptait des représentants de tous les États membres de l’UE. La task force a été mise à la demande des
ministres de l’économie et des finances de l’UE, et elle a été chargée d’identifier des actions concrètes pour stimuler
l’investissement, y compris une réserve de projets de portée européenne qui pourraient être viables et seraient réalisés
à court et à moyen terme. Elle a été créée lors du Conseil Ecofin du 14 octobre 2014 et a présenté son rapport lors du
Conseil européen du 18 et 19 décembre.
10 Special Task force on Investment in the EU, Final Task Force Report, 2014.
11 Ibid. p. 5
12 Ibid. p.8
13 Http://ec.europa.eu/economy_finance/db_indicators
14 Commission européenne, 2013, pp. 8-9 15
5
GRAPHIQUE 10: Pourcentage des entreprises obligées de limiter leur production à cause du manque de
demande, pénurie de main-d’œuvre ou contraintes financières dans certains pays
70
DEMANDE
TRAVAIL
FINANCE
65,4
60
40
55,5
39
50
40
36
30
26,6
17
17
20
8,6
6,4 7
8
10
4
C’est donc par
la stimulation de
l’investissement
productif que
l’économie peut
être relancée
e
Ces éléments confirment que nous traversons dans une large mesure une crise de
la demande, et ce déficit de demande est le
facteur prépondérant dans certains Etats
membres. Le problème conjoncturel n’est
pas tant l’accès au capital que la relance et
les opportunités d’investissements. C’est
donc par la stimulation de l’investissement
productif que l’économie peut être relancée.
Pour restaurer le climat de confiance, un plan
d’investissement public pourrait apporter
5
7,6
2,2
0,5
e
èce
Gr
e
li
Ita
nc
Fra
10
5,9
1
0,7
0
e
agn
m
e
All
10
9,5
9
gn
pa
Es
al
g
rtu
Po
une contribution significative.
En ce qui concerne le taux de rentabilité des
investissements, bien qu’il ait considérablement baissé dans l'UE, de grandes différences sont observées entre les différents
Etats membres. Les rendements ont été plus
faibles en Grèce, Slovénie, Italie et Portugal et
plus élevés dans les nouveaux États membres
d’Europe orientale. Les secteurs les plus touchés par le surinvestissement, tels que la
construction, ont connu la plus forte baisse
de rentabilité.
2005-2007
GRAPHIQUE 11: Rendements nominaux annuels sur l’investissement dans les pays de l’UE (en%)
2008-2011
25
20
39
15
10
17
5
0
EL
Source : BEI
16
PT
IT
SL
FR
UK
DE
ES
FI
IE
PL
HU
BG
La crise de l'investissement est aussi liée à
des déséquilibres structurels antérieurs. Dans
la période qui a précédé la crise, certains pays
ont connu une augmentation insoutenable de
leur endettement auprès de sources à la fois
nationales et étrangères. Cela a conduit à une
consommation excessive et au surinvestissement dans des secteurs tels que l'immobilier.
Le surinvestissement dans la construction
résidentielle a été une des causes principales
des difficultés rencontrées par certains Etats
membres notamment l'Espagne et l'Irlande.
La surcapacité a contribué à de faibles rendements, décourageant ainsi l'investissement. Toutefois, comme Philippe Maystadt15
le constate, cela n’explique pas la chute de
l’investissement dans d’autres secteurs.
GRAPHIQUE 12: Investissement dans le logement dans
l’UE (% PIB)
Source : AMECO
Quel est le rôle de l’investissement public ?
Une autre question importante est de savoir
si l’investissement public a joué un rôle dans
l’atténuation de la baisse de l’investissement
total.
Comme l’indique Natacha Valla16, le volume
d’investissement public dans la zone euro
était, en 2013, deux fois inférieur à celui des
Etats-Unis : 2% contre 4% du PIB. Mais la
baisse de l’investissement public n’est pas
nouvelle. L’investissement public dans les
principaux pays avancés a été caractérisé
par une tendance à la baisse.
Depuis les années 1970, le ratio de l’investissement public par rapport au PIB a diminué
15
16
17
2014/2.
en trois étapes successives - dans les années
1980, au milieu des années 1990 et à la suite
de la crise de 2008 -, coïncidant avec des
périodes de forte consolidation budgétaire.
Toutefois, dans 4 pays de la zone euro – la
Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal - et
dans les 12 Etats membres qui ont adhéré à
l’UE entre 2004 et 2007, on relève une aug-
mentation progressive de l’investissement
public entre 1995 et 200917.
Le graphique 12 montre l’évolution de
l’investissement public de 1970 à 2014
et la déviation de la tendance.
P. Maystadt, op.cit. p.68.
N. Valla, T. Brand et S. Doisy, op.cit. p.3.
F. Barbiero, In sickness and in health: protecting and supporting public investment in Europe, Bruegel,
17
L’investissement
public dans les
principaux pays
avancés a été
caractérisé par
une tendance à la
baisse
GRAPHIQUE 13
EA12: Euro Area
Croissance potentielle La croissance potentielle est le niveau maximal de croissance compatible avec une absence
de tension sur le marché des biens et services et sur celui du travail. Il correspond à l’utilisation optimale des facteurs de production, sans entraîner d’inflation.
L’écart entre la croissance potentielle et la croissance réelle s’appelle l’output gap. Une
croissance réelle supérieure à la croissance potentielle est signe de tensions inflationnistes
sur les prix et les salaires.
Nous constatons que dans la zone euro, l’investissement public a augmenté sensiblement
en 2009 au-dessus de la tendance 1970 - 2005
mais a ensuite fortement baissé, donnant lieu
au sous-investissement actuel de 25 milliards
d’euros. Nous pouvons donc en déduire que
l’investissement public ne contrecarre pas
le problème de l’investissement en Europe18.
Il est important de considérer la complémentarité des investissements publics et privés.
Pour Olivier Marty19, la baisse de l’investissement privé peut conduire à une diminution
18
19
20
18
des stocks de capital. La chaîne de production
en est perturbée et la production baisse. La
croissance potentielle peut en être affectée,
l’emploi aussi.
La baisse de l’investissement public a également des conséquences négatives sur la
croissance potentielle. Selon Natacha Valla,
une augmentation de l’investissement public
dans la zone euro comporte une hausse continue de la production et du stock de capital
d’autant plus forte qu’il est initialement élevé20.
G. Claeys, P. Hutti, A. Sapir and G. B. Wolff, Measuring Europe’s investment problem, Bruegel, novembre 2014.
O. Marty, « Pour une relance de l’investissement en Europe», Question d’Europe n. 325, Fondation Robert Schumann, septembre 2014.
N. Vali, op. cit, p. 4.
L’investissement
public agit en
effet à court
terme sur la
demande, mais
contribue aussi
à augmenter
L’investissement public est nécessaire à la le potentiel de
fois pour fournir un stimulus immédiat de croissance de
Pour L. Summers, la relance par l’investisse- la demande et parce que, sur le long terme, l’économie
L’investissement public agit en effet à court
terme sur la demande, mais contribue aussi
à augmenter le potentiel de croissance de
l’économie. Ce qui est crucial, c’est l’effet de
stimulation sur l’investissement privé grâce
à la hausse de la productivité engendrée par
les investissements en infrastructure, en R&D
et en capital humain.
L’économiste américain J. K. Galbraith a proposé un « New Deal européen » fondé sur
le financement par la Banque européenne
d’investissement (BEI) de grands travaux d’infrastructures et le soutien aux PME innovantes
à hauteur de 8% du PIB de la zone euro25.
ment public est un levier puissant pour sortir
les économies de la stagnation séculaire21.
L’Etat doit intervenir pour générer l’investissement dont manque l’économie mondiale et
l’épargne excessive peut alors être directement
utilisée pour financer l’investissement public22.
Quelles solutions ?
Il existe désormais un quasi-consensus
sur le besoin au niveau de l’UE d’un grand
programme d’investissement public et privé
capable de tirer la croissance européenne.
Dans le rapport Fiscal Monitor d’avril 2014, le
FMI souligne que les pays avancés devraient
augmenter leur niveau d’investissement public
de 2 points de PIB d’ici 2030 afin de stabiliser
leur niveau de stock de capital23. D’autre part,
la Confédération européenne des Syndicats a
proposé un plan de relance de l’investissement
de 2% du PIB pour une durée de 10 ans24.
tous les pays ont besoin d’investissements
notamment dans les infrastructures, l’éducation, la formation et la recherche, l’innovation et les nouvelles technologies. Pour le
Fonds Monétaire International, « il y a des
arguments solides qui plaident en faveur d’un
accroissement de l’investissement dans les
infrastructures publiques »26. L’infrastructure
est le fondement de l’activité économique.
Le renforcement des réseaux de transport,
d’énergie, de télécommunication accroît la
compétitivité de l’économie, stimule l’investissement privé et augmente le potentiel de
croissance de nos économies.
Par contre, les déficits d’infrastructures
entraînent des besoins à venir encore plus
importants, ils pèsent sur la qualité de vie des
populations et posent des difficultés considérables au fonctionnement des entreprises.
21
L. Summers, “U.S. Economic Prospects: Secular Stagnation, Hysteresis, and the Zero Lower Bound”, Business Economics, Vol. 49, No. 2, National Association for Business Economics, 2014.
22
L. Summers, « Why public investment really is a free lunch », in Financial Times, 6 octobre 2014.
23
FMI, Fiscal Monitor, avril 2014, p.36.
24
European Trade Union Confederation, A new path for Europe: ETUC plan for investment, sustainable
growth and quality jobs, 2013.
25
J. K. Galbraith, S. Holland, Y. Varoufakis, Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro, les petits matins, 2014.
26 FMI, Worlds Economic Outlook, Octobre 2014.
19
Pourquoi stimuler l’investissement maintenant ?
Dans les pays qui ont besoin d’infrastructures, le moment est propice à une relance
des investissements dans ce domaine27. Les
taux d’intérêt souverains sont historiquement
faibles dans de nombreux pays de la zone
euro, de nombreux investissements publics
peuvent avoir un rendement économique
supérieur au coût de leur financement.
Le constat
du déficit
d’investissement
ne doit pas nous
faire retenir
l’hypothèse selon
laquelle « plus
d’investissement
est toujours
mieux
L’étude28 du FMI constate que la hausse des
investissements publics d’infrastructures
donne un surcroît de croissance et de recettes
fiscales par à un effet multiplicateur.
Cette impulsion compense l’augmentation
de la dette publique et n’entraîne pas, dans ces
circonstances, un rapport dette/PIB croissant.
Un accroissement de 1% du PIB des dépenses
d’investissement a un effet positif de 0,4% sur
le niveau de production la première année et
de 1,5% quatre ans après.
Selon le FMI, l’impact d’une relance de l’investissement public est maximum29 lorsque :
-L’économie est en bas de cycle et la politique monétaire accommodante, cette dernière limitant la hausse des taux d’intérêt
face à l’accroissement de l’investissement.
-L’investissement public est très efficient et le surcroît de dépenses publiques
d’investissement est alloué à des projets
ayant un taux de rendement élevé.
-L’investissement public est financé par
endettement et non par une augmentation
d’impôts ou la réduction d’autres dépenses,
les deux options entraînant des baisses
similaires du ratio dette publique/PIB.
La zone euro réunit toutes les conditions
macroéconomiques pour qu’une relance de
l’investissement public ait un impact maximum sur le PIB pour autant que le niveau
d’endettement soit préalablement stable ou
en baisse.
Il est donc crucial pour l’Europe de répondre
maintenant à son déficit d’investissement
via un vaste programme d’investissements
publics et privés. Une impulsion publique
est nécessaire et, pour les raisons que nous
venons d’évoquer, il convient de commencer
par relancer ce dernier.
Toutefois, le constat du déficit d’investissement ne doit pas nous faire retenir l’hypothèse selon laquelle « plus d’investissement
est toujours mieux ». Cela suggèrerait qu’il
suffit de remplir l’écart afin de résoudre tous
les problèmes. Bien souvent, la question de
la qualité de l’investissement n’entre pas en
compte dans les analyses du déficit d’investissement. Pourtant, il s’agit là d’une question
déterminante. Il ne faut pas nécessairement
investir plus mais investir mieux et dans des
secteurs stratégiques.
L’étude du FMI précise que si l’investissement
est inefficient, la hausse de l’investissement
public peut donner lieu à des gains de production limités et que le ratio dette publique/
PIB risque d’augmenter. Il est donc crucial de
choisir des projets performants et investir
de manière efficiente notamment en améliorant les processus d’évaluation, de sélection
et d’exécution des projets et par des analyses
coûts–bénéfices rigoureuses.
Multiplicateur keynésien
Dans l'analyse keynésienne, l’effet multiplicateur désigne le fait que la réalisation d'un
investissement engendre un flux de dépenses qui, en se répandant dans l'économie, donnent
naissance à des revenus qui, en étant eux-mêmes dépensés, engendreront un flux successif
de demandes additionnelles.
27 Ibid. pp. 75-77.
28 FMI, op. cit.
29 Selon le FMI, en bas de cycle, un choc des dépenses publiques d’investissement augmente le niveau de production
d’environ 1,5 % la même année, et de 3 % à moyen terme. En cas d’efficacité haute de l’investissement, un accroissement d’un point du PIB des dépenses d’investissement accroît la production d’environ 0,8% la même année, et de 2,6%
après quatre ans. En cas d’investissements publics financés par l’emprunt, une augmentation de 1 point de PIB relève
le niveau de production d’environ 2,9 % quatre ans après.
20
2. LE PLAN
JUNCKER POUR
L’INVESTISSEMENT
2. LE PLAN JUNCKER POUR
L’INVESTISSEMENT
2.1 LA MÉCANIQUE
La stratégie européenne pour sortir de la
crise, impulsée par la nouvelle équipe de
la Commission, se base sur un triptyque :
1) assainir les comptes publics ; 2) mettre
en œuvre des réformes structurelles pour
relancer l’économie ; 3) combler le manque
d’investissements.
Les deux premiers éléments – consolidation
budgétaire et réformes structurelles – ne sont
pas nouveaux et représentent les éléments-clés
de la politique européenne développée dans
les dernières années. L’élément de changement est la volonté de relancer la croissance
au travers des investissements. Liée à ce plan
d’investissement est la flexibilité créée, pour
les investissements stratégiques, au premier objectif. La remise en ordre des comptes
permettra désormais de se faire moins fort
moins vite pour permettre un soutien fiscal
‘keynésien’ à la demande.
Fin novembre 2014, le président de la
Commission européenne, Jean-Claude
Juncker, a annoncé devant le Parlement réuni
à Strasbourg les grandes lignes du « plan
d’investissement pour l’Europe »30. Ce plan
repose sur trois piliers : (i) la mobilisation de
fonds européens via le Fonds européen pour
les investissements stratégiques (FEIS) ; (ii)
la mise en place d'un pipeline de projets au
niveau de l'UE et le renforcement de l'assistance technique ; (iii) l'amélioration des
conditions pour les investissements31. Selon
le Président de la Commission, il devrait permettre, grâce aux fonds publics mobilisés et à
l’effet de levier que celui susciterait, de lever
315 milliards d’euros (2,5% du PIB de l’UE,
0,8% par an) sur trois ans (2015-2017) pour
des investissements nouveaux.
Juncker a le mérite d’avoir pris la bonne
direction en prenant à bras le corps l’enjeu de
l’investissement et de la croissance en Europe.
Ce plan représente une volonté d’agir au niveau
européen pour relancer l’économie de l’UE.
En plus, le timing est bon car les conditions
sont réunies pour permettre de relancer la
demande à court terme et d’améliorer notre
potentiel de croissance à long terme.
Ce plan a aussi le mérite de se focaliser sur
des secteurs stratégiques européens vecteurs
de croissance potentielle : énergie, transport,
numérique, éducation, recherche et innovation.
Environ un quart des financements seront
circonscrits dans un fond d’investissement
pour les PME et les entreprises de capitalisation moyenne de moins de 3.000 salariés.
Le plan Juncker ouvre une possibilité d’assouplir les règles du Pacte de Stabilité et de
Croissance car il prévoit la neutralisation des
contributions des Etats membres au FEIS.
En ce qui concerne le FEIS, il sera doté d’une
garantie de 21 milliards d’euros de fonds
publics : 16 milliards d’euros en provenance
du budget de l’UE et 5 milliards d’euros de la
Banque européenne d’investissement (BEI),
qui apportera également son expertise dans
la sélection des projets. Afin d’arriver au total
promis de 315 milliards d’euros, le plan repose
fondamentalement sur la mobilisation d’un
montant supplémentaire de 294 milliards
d’euros d’investissement privé. Cela implique
de lever 15 euros en argent privé pour chaque
euro d’argent public engagé.
30
J-C. Juncker, « Investir en Europe » discours du Président Juncker devant le Parlement européen, réuni en
plénière, sur le plan d’investissement de 315 milliards d’euros, Strasbourg, 26 novembre 2014.
31
Commission européenne, Un plan d’investissement pour l’Europe, COM/2014/0903 final.
23
2.2 EVALUATION
Si l’on veut que
ce plan ait un
réel impact sur
l’économie, il doit
engendrer des
investissements
supplémentaires
et ne pas se
substituer à des
investissements
prévus
L’efficacité de
ce plan repose
sur la qualité des
projets qui seront
financés
Le plan Juncker représente un pas dans la
bonne direction pour pallier au manque d’investissement dont pâtit aujourd’hui l’Europe
et au recul marqué de l’investissement public.
Toutefois, avec un apport public très limité, ce
plan semble insuffisant pour sortir l’économie
européenne de la stagnation, stimuler durablement la croissance et répondre aux enjeux
économiques d’aujourd’hui et de demain. Par
rapport à ce défi majeur qu’est le manque
d’investissements, il aurait probablement
fallu un engagement plus fort et une volonté
politique plus ambitieuse. Le budget de l’Europe, alimenté par les Etats membres, n’a pas
plus de moyens. La Commission a fait donc au
mieux et invite les Etats membres à emboiter
le pas et utiliser leurs moyens budgétaires
considérables pour relancer l’investissement.
du comité de sélection des projets seront
importantes afin de sélectionner les projets
« supplémentaires ». Il s’agit là d’une question déterminante.
L’efficacité de ce plan repose donc sur la
qualité des projets qui seront financés.
Par ailleurs, nous relevons que, en réalité,
les fonds publics de l’UE alloués au FESI, soit
8 milliards d’euros prévus au budget (sur une
garantie appelable totale de 16 milliards),
ne sont pas de l’argent nouveau. Ils sont
issus d’autres parties du budget européen.
La Commission indique que ces 8 milliards
d’euros proviendront du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (3,3 milliards d’euros),
du programme « Horizon 2020 » (2,7 milliards
d’euros) et de lignes budgétaires réallouées
(2 milliards d’euros).
Par ailleurs, la Commission table sur un effet
multiplicateur très important. Ce multiplicateur
semble surestimé et par conséquent la cible
de 315 milliards est trop optimiste. Selon une
étude de NATIXIS32, tabler sur 130 à 190 milliards sur trois ans semble plus raisonnable
(un levier moyen de 2-3).
Plus encore que le fait qu’il ne s’agisse pas
de fonds nouveaux, l’origine de la substitution
surprend également. Les fonds proviennent
en effet des deux programmes qui ont probablement le plus grand potentiel d’impact
économique sur la croissance : le premier
vise le renforcement des interconnexions
dans le domaine des transports, des télécommunications et de l’énergie; le second vise la
recherche et l’innovation. Cette substitution
sous-entend que la Commission considère
que le coût d’opportunité de ces budgets
sera plus faible que le rendement attendu
de leur nouvelle affectation34. En fait, selon la
Commission, les sommes prises à ces programmes et versées au FEIS permettront de
bénéficier de son multiplicateur (x15) et donc
de financer bien plus de projets de recherche
et d’infrastructure énergétique.
Cette substitution budgétaire a également
d’autres conséquences. En effet, elle implique
également un changement de priorités dans
le type d’investissements réalisés. En somme,
on peut financer bien plus mais uniquement
des projets qui présentent un retour rapide
(rentabilité) permettant de rembourser le
Si l’on veut que ce plan ait un réel impact
sur l’économie, il doit engendrer des investissements supplémentaires et ne pas se
substituer à des investissements prévus.
Pourtant, des doutes existent sur la capacité
de ce plan à déclencher en trois ans autant
d’investissements additionnels si les ressources publiques engagées ne sont pas plus
importantes. Pouvons-nous être sûrs que les
projets qui seront sélectionnés n’auraient pas
été financés sans ce plan d’investissement
européen? Si les critères d’éligibilité se font
avant tout sur des critères de rentabilité, le
plan Juncker est peu susceptible de générer
des investissements nouveaux. Claeys, Sapir et
Wolff ont mis en évidence ce problème d’investissements supplémentaires33. Ils soulignent
à quel point l’expertise et l’indépendance
32
T. Cézanne, A. Lemangnen, Natixis, Plan Juncker pour l’investissement : un nouvel acronyme ! Special
report, N. 147. Novembre 2014.
33
G. Claeys, P. Hutti, A. Sapir and G. B. Wolff, op.cit., 2014
34
Reinhilde Veugelers, The Achilles’ heel of Juncker’s investment plan, Bruegel, 2014.
24
financement. Donc le financement de projets
sans ‘retour’ est diminué pour permettre 15x
plus de financements de projets avec ‘retour’.
La rentabilité des projets prend désormais une
place prépondérante. Ceci explique que les
efforts entrepris pour développer des transports d’avenir dans le cadre du Mécanisme
pour l’interconnexion en Europe et des projets
innovants au travers d’Horizon 2020 soient mis
de côté, au profit de projets autoroutiers et de
projets de recherche plus proche des applications commerciales. Le critère de rentabilité
risque de privilégier des investissements
routiers à détriment du rail ou du fluvial qui
sont pourtant, des secteurs-clés d’une relance
européenne durable.
Dans le plan Juncker, il faudrait avoir une
vision plus large de la rentabilité qui puisse
tenir compte des externalités positives des
investissements qui présentent des coûts
importants mais dont les bénéfices sont bien
souvent partagés entre Etats membres.
La recherche de la rentabilité élevée risque
aussi de concentrer ces investissements dans
des pays qui ont une situation économique
meilleure alors que ce sont les pays du Sud de
l’Europe qui ont le plus besoin d’une relance.
Le Plan Juncker ne prévoit pas de répartition
géographique. Le Comité de sélection devrait
veiller à ne pas concentrer les investissements
dans quelques pays jugés « sûrs ».
Enfin, le troisième volet du plan d’investissement est de nature réglementaire. Il s’agit
de lever les obstacles à l’investissement et
de renforcer encore le marché unique de
manière à multiplier les effets du plan et à
rendre l’Union européenne plus attractive. Le
troisième volet est donc un élément déterminant pour recréer la confiance et pousser le
secteur privé à investir. Renforcer le marché
unique en veillant à une plus grande harmonisation des réglementations (pensons à
l’exemple classique de l’élargissement des
rails de chemin de fer) et par ce biais lever
les obstacles à l’investissement est un objectif
essentiel pour l’UE. Toutefois, l’amélioration
35
de la règlementation ne peut en aucun cas
induire un affaiblissement de la santé et de
la sécurité des travailleurs, ce à quoi risque
de mener les propositions de la Commission
dans le cadre du programme REFIT.
Ce troisième volet réglementaire, présenté
comme particulièrement important pour
atteindre les objectifs du plan, est paradoxalement le moins détaillé. Pour l’instant il n’y a
pas eu d’action concrète concernant ce pilier.
Ceci est à nouveau un élément qui risque de
limiter l’effet multiplicateur attendu du plan
Juncker. La communication de la Commission
du 26 novembre 2014 évoque trois pistes en
termes très généraux :
-l’amélioration des réglementations européennes et nationales, la réduction des
charges administratives ou encore une
amélioration de l’efficacité de la dépense
publique ;
-de nouvelles sources de financement à
long terme, y compris des mesures visant à
créer une union des marchés de capitaux ;
-la suppression des obstacles à l’investissement dans le marché unique. Dans
ses conclusions, le Conseil européen du
18 décembre 2014 évoque plus spécifiquement l’Union de l’énergie et le marché
unique numérique.
Les éléments concernant la recherche et l’innovation sont remarquablement faibles dans
le plan. Le plan mentionne que pour stimuler
la recherche et l’innovation, la compétitivité
de l’UE bénéficierait « d’une diminution des
obstacles au transfert des connaissances, d’un
libre accès à la recherche scientifique et une
plus grande mobilité des chercheurs »35. En
revanche, il n’offre pas de nouvelles idées
concrètes sur la façon d’améliorer cela. Or,
l’attractivité de l’Europe repose sur sa capacité
d’innovation, et la recherche scientifique est
à cet égard cruciale.
Ce troisième volet est certes ambitieux, mais
s’apparente surtout, tout au moins pour l’instant, à une déclaration d’intention. Il est donc
urgent de prendre des initiatives à ce niveau
Commission européenne, op.cit., 2014, p.17
25
La rentabilité
des projets
prend désormais
une place
prépondérante
et de faire preuve d’un engagement crédible
Le plan pour améliorer le climat d’investissement.
Juncker doit
s’accompagner Enfin, se pose la question : et après ? Le
d’une stratégie plan Juncker a une durée de vie de trois ans
d’envergure seulement. La Commission a d’ores et déjà
proposé de le rendre pérenne. Le Conseil et
le Parlement négocient sa pérennité moyennant une revue après trois ou quatre ans. Des
interrogations subsistent quant à l’articulation
de ce plan d’investissement aux instruments
que l’Union européenne a établis. De tels
instruments existent déjà pour soutenir l’investissement dans les réseaux énergétiques,
les infrastructures de transports durables ou
encore la rénovation des bâtiments. Le plan
Juncker doit s’accompagner d’une stratégie
d’envergure.
26
3. TROIS PILIERS :
UNE NOUVELLE
STRATÉGIE DE
DÉVELOPPEMENT
POUR L’EUROPE
27
3. TROIS PILIERS POUR UNE
NOUVELLE STRATÉGIE DE
DÉVELOPPEMENT
Nous avons analysé dans la section qui précède pourquoi la relance des investissements
était cruciale pour l’avenir de l’activité économique européenne, en quoi le plan Juncker
s’inscrivait dans cet objectif mais également
quelles en étaient les limites.
Plus fondamentalement, nous défendons ici
l’idée que se concentrer sur la seule relance
des investissements ne suffit pas. Il faut se
doter d’une stratégie d’envergure, qui a pour
objectif de situer l’économie européenne à la
pointe d’un nouveau type de développement,
capable de se donner du souffle et d’être porteur d’une meilleure qualité de vie pour tous.
La Stratégie EU2020, actuellement en cours
de révision, était conçue à l’origine tant pour
coordonner les politiques socio-économiques
des États membres que pour promouvoir la
convergence socio-économique dans l’UE
comme peuvent en témoigner ses cinq objectifs. Elle est mise en œuvre et contrôlée dans
le contexte du Semestre européen. Comptetenu de la crise économique, la dimension
sociale de cette stratégie a été marginalisée.
L’UE a besoin d’une nouvelle stratégie de
développement à moyen terme, cohérente et
holistique capable d’orienter son action vers
des objectifs partagés, en surmontant les
résistances nationales et le climat de doute et
de défiance, et de créer les meilleures conditions pour l’emploi, la croissance et le bienêtre dans chaque Etat membre.
Cette nouvelle stratégie doit viser avant tout à
mettre fin à la politique de l’austérité aveugle,
agir en faveur de l’innovation, de la recherche
et du développement, et placer l’investissement au cœur de l’agenda politique européen.
Elle doit également encourager la stimulation
d’une économie plus humaine par une réorientation de la production et de la consommation
encourageant la transition vers un modèle
éco-efficient, source de création d’emplois
décents et de croissance.
Cette nouvelle stratégie devrait reposer sur
trois piliers :
-le pilier de l’investissement ;
-le pilier de l’innovation, au travers de l’éducation et de la recherche ;
-le pilier du marché intérieur.
Nous pensons en effet que l’articulation entre
ces trois piliers est indispensable pour développer une Stratégie cohérente et équilibrée.
Doper les investissements doit se situer à tous
les niveaux, tant privés que publics, tant au
niveau européen qu’à celui des Etats membres,
comme nous l’avons développé à la section
précédente. Assurer une meilleure régulation
intérieure, certainement pas pour abaisser
les normes d’application mais plutôt pour
veiller à leur harmonisation et leur meilleure
cohérence, et donner ainsi la capacité aux
entreprises de se déployer plus largement
sur l’espace européen, multiplie les incitants
à l’investissement mais aussi à l’innovation.
L’intégration de la dimension « innovation »
en tant que pilier en tant que tel de la Stratégie
est essentielle, non seulement pour être aux
avant-postes des avancées technologiques
et, par voie de conséquence, des gains de
productivité possibles dans les différentes
activités, mais aussi et surtout pour orienter
ces sources d’innovation vers des domaines
porteurs du développement économique et
social que nous portons de nos vœux : un
développement humain, attaché au développement d’activités nouvelles porteuses de
qualité de vie pour les citoyens européens.
L’innovation ne concerne pas uniquement
les produits, mais également les modes
29
L’UE a besoin
d’une nouvelle
stratégie de
développement
à moyen terme,
cohérente et
holistique capable
d’orienter son
action vers des
objectifs partagés
Une vision
stratégique
permettrait aussi
de hiérarchiser
les projets et
d’orienter les
investissements
européens en
fonction des ces
priorités
d’organisation des activités économiques.
La nouvelle dynamique économique européenne, en particulier en ce qui concerne les
activités industrielles, ne peut reposer que
sur des entreprises innovantes et économes
en ressources. Si l’Europe veut atteindre un
modèle de croissance « inclusive et durable »,
elle doit inciter ses entreprises à une utilisation efficaces des ressources. Cet objectif est bénéfique tant pour l’environnement
que pour notre économie. L’Europe est plus
dépendante des ressources importées que
toute autre région du monde. Au total, 40%
des matériaux utilisés dans l’UE sont importés. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé
pour certaines ressources stratégiques. A titre
d’exemple, 92% du phosphore, essentiel pour
notre agriculture, est importé notamment
de la Russie, la Syrie, le Maroc et la Tunisie.
De nouveaux modèles économiques tels
que l’économie circulaire36, l’économie de la
fonctionnalité37 ou la symbiose industrielle38
doivent être encouragés. L’amélioration de
l’efficacité dans l’utilisation des ressources
passe par un détachement de l’économie
linéaire actuelle, basée sur un modèle de
production et consommation, consistant à
extraire, fabriquer, utiliser et jeter. Dans une
économie circulaire, tous les matériaux utilisés dans la fabrication d’un produit sont
récupérés, traités, recyclés et réintégrés au
maximum dans le cycle de production sous
forme de matières premières secondaires
et/ou d’énergie. L’Europe se doit de jouer un
rôle de leader dans ces évolutions.
Le WWF39 défend ainsi que l’efficacité des
ressources à elle seule pourrait générer
chaque année l’équivalent du plan d’investissement Juncker de plus de 300 milliards
d’euros et jusqu’à 20 millions d’emplois d’ici
2020. Sans se prononcer sur la validité de ces
chiffres, cela indique qu’il y a clairement un
potentiel majeur dans ces évolutions.
Enfin, relevons que l’articulation entre ces
différents piliers et structurée autour de
secteurs-clés est de nature à définir cette
« véritable stratégie industrielle européenne »
souvent invoquée dans de nombreux débats
mais rarement identifiée et, surtout, mise
en œuvre.
3.1 PREMIER PILIER : PROMOUVOIR
UN AGENDA PANEUROPÉEN POUR
L’INVESTISSEMENT PUBLIC
Pour mettre en œuvre le premier pilier de
cette Stratégie nouvelle que nous appelons de
nos vœux, il est urgent de définir une stratégie
européenne d’investissement public. Si les
efforts de consolidation budgétaire doivent
être poursuivis, l’attention réservée à la seule
réduction de l’investissement public force à
une vision à court terme qui crée une spirale
négative et empêche une réelle opération
de relance de l’économie. Pour cette raison,
nous proposons des outils pour stimuler l’investissement public.
Les outils développés dans le cadre de la
gouvernance économique et du Semestre
européen, tels que les recommandations spécifiques par pays (RSP), peuvent être mobilisés. Nous proposons notamment d’inclure
une recommandation demandant l’instauration d’un niveau minimum d’investissements
publics à maintenir sur le moyen terme. Le
niveau devrait varier en fonction de chaque
Etat membre. Nous proposons également un
programme d’investissement stratégique
d’intérêt européen. Pourquoi au niveau européen ? Tout simplement parce que seule une
initiative européenne accompagnée d’une
vision à long terme pourra garantir la reprise
durable de l’investissement. Cela suppose que
nous ayons une vision partagée de l’avenir de
l’Europe, s’agissant notamment de la création
de valeur et de la restauration de la compétitivité. Une vision stratégique permettrait aussi
de hiérarchiser les projets et d’orienter les
investissements européens en fonction des
ces priorités.
Pour entrer dans cette catégorie, Philippe
Maystadt40 avance l’idée d’un investissement
public qui devrait satisfaire simultanément
trois critères :
36
Commission européenne, Vers une économie circulaire : programme zéro déchet pour l’Europe,
COM(2014)0398.
37
L’économie de la fonctionnalité vise à remplacer l’achat d’un produit par sa location. L’exemple typique est
celui d’un constructeur de pneus qui ne vend pas des pneus mais des kilomètres parcourus.
38
Dans le cas d’une symbiose industrielle, les producteurs collaborent en vue d’une utilisation mutuelle de
leurs sous-produits. Le parc industriel de Kalundborg, au Danemark, est une référence mondiale dans la matière. Le
concept repose sur la gestion raisonnée des matières premières et des déchets entre
39
WWF, From crisis to opportunity. Five steps to sustainable European economies, 2015.
30
1) un critère d’intérêt européen : l’investissement contribue à la réalisation d’un ou
plusieurs objectifs de l’Union européenne
et présente un caractère transnational ;
2)un critère de rentabilité économique :
l’investissement doit atteindre un niveau
minimum d’ERR (economic rate of return),
calculé selon la méthodologie développée
par la Banque européenne d’investissement (BEI) ;
3)un critère de soutenabilité : l’investissement doit faire appel aux technologies les
plus avancées pour limiter la consommation
de ressources naturelles et l’émission de
gaz à effet de serre.
Nous proposons que la définition et la coordination du programme européen d’investissement soient confiées à la BEI qui dispose de
l’expertise technique nécessaire. Les autorités nationales et la Commission européenne
peuvent veiller au respect de ces critères. Ces
investissements publics prioritaires n’entreraient pas en compte pour l’application de la
règle de réduction de la dette (cfr. infra).
Dans quels secteurs faut-il investir ?
Les axes stratégiques prioritaires doivent être
identifiés à partir de domaines transversaux
communs aux Etats membres :
-la transition énergétique ;
-la révolution numérique ;
-la politique européenne de transport.
L’Europe a besoin d’investissements dans
les réseaux de l’énergie, de la recherche, de
l’innovation et du développement et dans le
secteur des télécommunications afin de créer
un marché unifié et faire face aux grands enjeux
numériques. Investir dans ces secteurs stratégiques doit être une priorité pour l’Europe.
Sans investissements, l’Europe risque de rester à la traîne dans plusieurs secteurs-clés.
Certains Etats membres ne pourront par ailleurs pas combler leur retard sans un plan
40
2014.
d’investissement global et intégré. Les investissements européens devraient également
être utilisés pour lutter contre la crise dans
les pays où l’investissement s’est effondré.
Ce serait non seulement un signe de solidarité, mais également un garant de la croissance à long terme de l’activité. Poursuivre
le développement économique des pays les
mieux portant en oubliant les pays qui ont le
plus souffert de la crise s’apparente en effet
à vouloir courir un marathon à cloche-pied.
Comment financer ces investissements ?
Pour financer ces investissements, différents
outils complémentaires peuvent être mis en
place, tant au niveau des Etats-membres
qu’au niveau européen :
Recourir aux project bonds. Ces obligations
sont émises par des entreprises privées ou
publics pour réaliser de grands projets d’investissements et bénéficient d’une forme de
garantie de la BEI susceptible d’attirer les
capitaux. (compagnies d’assurance, fonds de
pensions, fonds souverains,…).
Cette formule basée sur le partage du risque
offre également des solutions de financement
dont peuvent se saisir les Etats membres.
Renforcer le budget de la zone euro, alimenté
par des ressources propres. Ce budget pourrait être financé par une lutte beaucoup plus
efficiente menée au niveau européen contre
les paradis fiscaux et via une harmonisation
fiscale. En Europe, chaque année, la fraude et
l’évasion fiscales feraient perdre 1.000 milliards
d’euros aux autorités publiques. En Belgique,
cela représente 20 milliards d’euros (entre 60
et 80 milliards en France). Une lutte beaucoup
plus efficace contre la fraude et l’optimalisation
fiscale menée au niveau européen permettrait
de renforcer les ressources fiscales des Etats
membres dont une partie serait reversée au
Budget européen. Ce renforcement du budget
européen permettrait à l’Europe de se doter
d’une capacité d’emprunt et de pouvoir donc
mener une politique d’investissement cohérente et globale.
P. Maystadt, « Relancer l’investissement », Question d’Europe, Fondation Robert Schuman, n.337, décembre
31
Les
investissements
européens
devraient
également être
utilisés pour lutter
contre la crise
dans les pays où
l’investissement
s’est effondré
L’évasion fiscale consiste à éviter ou réduire l’impôt en déplaçant un patrimoine ou des
capitaux d’un pays à l’autre. Elle se distingue de la fraude fiscale par le fait qu’elle n’est pas
illégale. La fraude fiscale existe dès lors qu’un contribuable omet de signaler des avoirs.
La compétitivité
de l’Europe doit
s’appuyer sur Quelle est la différence avec le Plan Juncker ? 3.2 DEUXIÈME PILIER : PROMOUVOIR
l’innovation, Notre proposition se différencie donc du L’ÉDUCATION ET LA RECHERCHE
l’éducation et Plan Juncker sur au moins trois raisons
la recherche et fondamentales :
développement
L’investissement dans l’éducation constitue un
1 L’objectif : une stratégie européenne
à moyen et long terme. Une relance des
investissements n’a de sens que si elle
intègre une vision stratégique plus large.
Nous proposons une nouvelle Stratégie
qui s’appuie sur trois piliers : les investissements, l’innovation (en particulier au
travers de l’éducation et de la recherche)
et la régulation du marché intérieur.
2 Les moyens : l’investissement public.
Nous proposons de relancer tout d’abord
l’investissement public. Pour quelle raison ? Les investisseurs privés n’ont pas
intérêt à investir dans les biens publics
(écoles, infrastructures de transport des
biens et personnes, réseau de transport
d’énergie…) tandis que les gains pour la
société dans son ensemble sont majeurs.
L’investissement public joue donc un rôle
d’entraînement vis-à-vis des investisseurs
privés41.
3 La méthode : s’appuyer sur tous les
instruments européens. Nus proposons
d’intégrer la problématique de l’investissement dans l’agenda européen – au
travers une recommandation sur le niveau
minimum d’investissement - et de mettre
tous les instruments – politique monétaire,
budgétaire et commerciale - au service
enjeu essentiel pour soutenir la croissance à
long terme. En effet, la capacité d’évolution de
la structure économique des États membres
dépend largement de la présence d’une population mieux formée et capable de s’adapter
aux innovations.
La compétitivité de l’Europe doit s’appuyer
sur l’innovation, l’éducation et la recherche et
développement. Ce rôle fondamental de l’éducation dans la croissance a été reconnu par la
fixation de deux objectifs quantitatifs dans le
cadre de la stratégie EU2020 : l’abaissement
du taux de décrochage scolaire à moins de 10%
et l’augmentation du taux de niveau d’études
supérieures à au moins 40% de la population
âgée de 30 à 34 ans.
Au niveau du taux d’abandon scolaire, on
a pu constater une amélioration puisque la
moyenne européenne est passée de près
de 15% à moins de 12% entre 2008 et 2013.
Cette moyenne cache une large disparité
des situations nationales entre 4% pour les
« meilleurs » et 24% pour les moins bons.
Comme l’illustre le tableau ci-dessous, en
2014, presque un jeune sur quatre a quitté
prématurément l’éducation et la formation
en Espagne, contre un sur quatorze environ
en Suède. En Suède, presque un jeune sur
deux a un niveau d’études supérieurs, contre
moins d’un sur quatre en Italie.
de cette relance afin de créer un environnement propice à l’investissement.
41 Des formules mixtes, mais où l’investissement public joue un rôle premier, sont également possibles.
32
TABLEAU 1 Indicateurs relatifs à l’emploi et à l’éducation d’une sélection de pays de l’UE, 2014
Taux d’emploi pour la tranche
d’âge 20-64 ans
UE-28
68,4
Jeunes ayant quitté
prématurémenent
l’éducation et la formation
en % de la population
entre 18-24 ans
11,9
Niveau d’études
supérieur par sexe,
pour la tranche
d’âge 30-34 ans
Finlande
73,3
9,3
45,1
Allemagne
77,3
9,8
32,9
Pays-Bas
76,5
9,2
43,1
Belgique
67,3
11,0
42,7
Suède
79,8
7,1
48,3
Danemark
75,6
8,0
43,4
France
69,6
9,7
44,1
Espagne
58,6
23,6
42,3
Portugal
65,4
18,9
30,0
Italie
59,7
16,8
22,5
Grèce
52,9
10,1
34,6
37,1
Source : Eurostat
Pour la part des diplômés du tertiaire, l’objectif est en voie d’être atteint (36,8% en 2013
contre un peu plus de 30% en 2008). Mais à
nouveau avec un large éventail de situations
nationales allant d’Etats membres avec des
taux à presque 50%, à d’autres présentant à
peine plus de 20%.
Ces éléments ont inévitablement un impact
sur la productivité de la main-d’œuvre et sur
les perspectives d’emploi. Comme le souligne Franck Vandenbroucke42 : « Il n’y a pas
de relation de cause à effet simple qui explique
l’emploi en termes de niveau d’éducation mais
nous remarquons que la Grèce, l’Italie et l’Espagne cumulent tous les trois des taux d’emploi
faibles avec de faibles résultats PISA concernant le niveau d’éducation de leurs étudiants
âgés de 15 ans ». Néanmoins, l’éducation ne
reçoit toujours pas l’attention qu’elle mérite
au plus haut niveau du processus décisionnel européen ainsi que dans la définition des
priorités budgétaires.
Selon un rapport43 de l’OIT, le succès du Plan
Juncker dépendra de la façon dont le financement sera distribué à la fois dans et entre les
Etats membres, et de l’introduction de mesures
complémentaires telles que la formation.
L’amélioration des compétences doit être au
cœur de toute stratégie d’investissement.
En particulier, plusieurs études44 suggèrent
que l’aide dans la recherche de l’emploi et la
formation sont parmi les politiques actives du
marché du travail les plus efficaces. L’aide à
la recherche de l’emploi s’avère une mesure
efficace sur le court terme, tandis que les
effets positifs de la formation augmentent sur
le long terme. L’OIT propose de compléter la
stratégie d’investissement par des outils de
soutien, en particulier en ce qui concerne la
formation. Cette attention sur la formation ne
doit pas concerner uniquement les jeunes sans
emploi ou sans formation, mais également
42 Franck Vandenbroucke, A European Social Union: ten tough nuts to crack, Friends of Europe, Printemps 2014.
43 International Labour Organization, An employment-oriented investment strategy for Europe, 2015.
44 D.Card, J. Kluve, Weber, “Active labor market policy evaluations: a meta-analysis”, Economic Journal, Vol. 1203,
November, 2010.
33
L’éducation ne
reçoit toujours
pas l’attention
qu’elle mérite au
plus haut niveau
du processus
décisionnel
européen
ainsi que dans
la définition
des priorités
budgétaires
les travailleurs actifs afin de soutenir les processus de transitions économiques et d’évolutions des secteurs d’activité. L’exemple du
« Knowlegde lift » suédois peut, à cet égard,
être une source d’inspiration.
Le knowledge lift est un programme massif
d’éducation développé en Suède entre 1997
et 2002 visant à relever le niveau de formation
des travailleurs à basse qualification vers un
niveau moyen. Plus de 10% de la population
active y a participé.
Un enjeu crucial
est aussi le
renforcement des
politiques pour
la recherche et
développement,
source de progrès
technologique
et économique
développement
Une étude d’Eurofond estime qu’en 2011, le
coût des jeunes sans emploi, éducation ou
formation représentait l’équivalent de 1,21%
du PIB de l’UE, soit une perte annuelle de 153
milliards d’euros45. Un montant de 45 milliards d’euros a été alloué à la lutte contre le
chômage des jeunes pour la période 2013-2015.
Les États membres ont également adopté la
« Garantie pour la jeunesse » qui vise à faciliter la transition du monde de l’éducation à
l’emploi en garantissant que les jeunes ne
resteront pas plus de quatre mois en dehors
de l’éducation, la formation ou l’emploi. Ces
efforts sont à saluer et à intensifier.
Nous proposons de mettre en place des stratégies convergentes sur la façon de former
les jeunes générations, d’intégrer la révolution numérique dans les écoles et d’assurer
que chacun puisse avoir la meilleure formation. A cet égard, une grande majorité d’Etats
membres devraient renforcer leurs politiques
de formation professionnelle, facteur majeur
de l’employabilité.
Les programmes de formation qui répondent
à des compétences recherchées sont essentiels. En particulier, des mesures visant à
répondre aux besoins spécifiques des travailleurs non-qualifiés et aux chômeurs de
longue durée46.
Un enjeu crucial est aussi le renforcement
des politiques pour la recherche et développement, source de progrès technologique
et économique. Certes, il n’a pas un effet
immédiat sur le marché mais a toutefois un
impact de grande ampleur à moyen et long
terme sur celui-ci.
GRAPHIQUE 14: Environnement innovant dans les économies les plus développées
45 Eurofound, NEET’s: Young people not in employment, education or training: Characteristics, costs and policy responses in Europe, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg, 2012
46 Eugenia Bardaro, Guide des bonnes
34
L’amélioration de l’environnement pour l’innovation est un défi majeur pour l’Europe. Les
indicateurs d’évaluation établis par le Forum
économique mondial montrent que l’UE présente de mauvais résultats par rapport aux
États-Unis, le Japon ou la Corée du Sud dans
plusieurs dimensions de l’innovation. Les
écarts les plus importants avec les ÉtatsUnis concernent les dépenses de recherche
et développement dans les entreprises et la
collaboration entre les universités et l’industrie.
En Europe, des différences importantes
peuvent être notées. La Suède, la Finlande
et l’Allemagne ont les meilleurs résultats,
dépassant même ceux des Etats-Unis. Par
contre, l’environnement est peu propice à l’innovation dans beaucoup de pays de l’Europe
orientale et méridionale.
Les faibles résultats de l’Europe en termes
d’innovation sont surtout la conséquence de
la faiblesse des liens entre l’industrie et la
recherche scientifique et de la mauvaise commercialisation des résultats de recherche. Par
ailleurs, au cours des dernières années, la performance européenne en termes d'innovation
a été diminuée par trois facteurs : la crise
économique, la concurrence croissante des
économies des pays émergents et la force
de la politique américaine visant à retrouver
une position de leadership dans le domaine
de la R&D.
Les dépenses européennes dans la R&D en
pourcentage de PIB sont inférieures à celles
du Japon, des Etats-Unis et de la Corée du Sud.
Selon les données de la BEI, pour atteindre l'objectif de 3% du PIB de dépenses dans la R&D,
il faudra 130 milliards d’euros de dépenses
annuelles supplémentaires au regard des
niveaux actuels.
GRAPHIQUE 15: Dépenses en R&D (PIB %)
Source : Eurostat
35
Les demandes de brevets représentent un
bon indicateur de l’effet des investissements
R&D sur l’innovation. En termes de demandes
de brevets par habitant, l’UE est à la traîne
non seulement par rapport au Japon et aux
États-Unis, mais aussi à la Corée du Sud.
GRAPHIQUE 16: Brevets
L’UE affiche
des atouts Selon le rapport47 de la BEI, l’UE affiche des atouts concurrentiels dans les domaines
concurrentiels du transport, de l’énergie verte, de l’eau et des technologies de traitement des déchets.
dans les domaines Cependant, sa position est de plus en plus précaire. Des investissements supplémentaires
du transport, de sont nécessaires pour que l’Europe puisse rester compétitive.
l’énergie verte,
de l’eau et des
technologies
de traitement
des déchets.
Cependant, sa
position est de plus
en plus précaire
47 European Investment Bank, Restoring EU competitiveness,2015.
36
TABLEAU 2 : Besoin en investissements pour la R&D
Besoins en investissements/Objectifs
Investissements annuels (milliards d’euros)
Requis2
Actuel3
Écart
370
240
130
Secteur privé:
200
130
70
Secteur Publique:
170
110
60
Matériel de transport
55
30
25
Machines et matériel, y compris les TIC et l’électronique
75
40
35
Sciences de la vie / produits pharmaceutiques
40
15
25
Atteindre l’objectif de 3% du PIB pour les
investissements annuels en R&D
Investissements publics et privés par secteur- clé
Les énergies renouvelable et de l’éco-innovation
20
Autres secteurs
25
Total
EUR 130bn
Source : BEI
1. Split based on comparing actual public and private R&D intensities with OECD average compostion
2. EIB calculations based on Eurostat data
3. Estimate for EU 28, 2013
La mise en place d’un espace de recherche
intégré à l’échelle européenne s’avère fondamental. Les européens en pointe dans la
recherche fondamentale ont des difficultés
à transformer leurs découvertes en produits
commercialisables, ce qui permettrait de créer
de la croissance et de l’emploi. Une piste que
nous proposons est la mise en place de
structures pilotes qui mettent en relation
les ressources de plusieurs universités et
centres de recherche à travers l’Europe
et les entreprises.
Bien que l’UE finance déjà des projets similaires via des programmes tel qu’Horizon 2020,
force est de constater que ce type d’actions
devrait être inclus dans une stratégie globale
et mis en relation avec les autres priorités
politiques européennes (notamment quant
aux secteurs prioritaires), afin à la fois d’en
multiplier le nombre, de renforcer leur financement et de les orienter dans les secteurs-clés
identifiés. La Commission devrait quant à elle
veiller à assurer une meilleure coordination
entre les Etats membres
3.3 TROISIÈME PILIER : L’ACHÈVEMENT DU
MARCHÉ INTÉRIEUR
Au-delà de l’investissement, la croissance
au sein de l’UE peut être renforcée grâce
à l’accomplissement du marché unique
dont le potentiel, vingt ans après sa mise
en place, n’est toujours pas pleinement
exploité. A son lancement, la suppression
des obstacles non tarifaires au commerce
était supposée créer un marché unifié.
Aujourd’hui, les obstacles juridiques, réglementaires et fiscaux empêchent le développement du marché européen dans de
nombreux domaines. Il est indispensable
de faire de l’Union un vrai marché intérieur
européen qui soit le « camp de base »
37
Le marché
unique est la
meilleure source
endogène de
croissance et
de création
d’emplois des
pays européens
des entreprises européennes. Le marché
unique est la meilleure source endogène de
croissance et de création d’emplois des pays
européens et il doit être renforcé dans deux
domaines prioritaires comme l’énergie et
l’économie numérique. Selon la Commission,
l’Europe pourrait ajouter 4% à son PIB d’ici
2020 en stimulant le développement rapide
d’un marché unique du numérique48, ce qui
justifie que ce projet soit l’une des priorités du nouveau président de la Commission
européenne.
Concrètement, nous proposons d’articuler
la nouvelle stratégie européenne autour de
nouveaux objectifs découlant de ces trois
piliers : investissement, éducation et recherche,
marché intérieur.
En marge de cette Stratégie, il convient également de veiller à renforcer la politique de
cohésion économique et sociale. L’Europe doit
poursuivre ses efforts non seulement vers la
relance de la croissance mais permettre aussi
une meilleure convergence intra-européenne
afin que cette croissance soit partagée. Nous
y reviendrons.
48 Commission européenne, Grand Coalition for Digital Jobs, mars 2013.
38
4.UNE DECLINAISON DE
LA STRATEGIE DANS
TROIS SECTEURS :
LE NUMÉRIQUE,
LES TRANSPORTS
ET L’ÉNERGIE
39
4. UNE DECLINAISON
DE LA STRATEGIE DANS TROIS
SECTEURS : LE NUMÉRIQUE,
LESTRANSPORTSETL’ÉNERGIE
Cette Stratégie nouvelle que nous appelons de
nos vœux, nous pensons qu’elle doit se décliner en particulier dans trois secteurs-clés :
l’énergie, les transports et le numérique.
Pour ces trois secteurs, l’articulation entre
les investissements à réaliser, la recherche
constante d’innovations nouvelles et la régulation unifiée seront les déclencheurs de cette
nouvelle dynamique. Il s’agit de secteurs « sans
frontières » et où les gains d’une approche
réglementaire commune sont potentiellement élevés.
Nous devons concevoir ces secteurs comme
connectés entre eux. Il importe de concevoir
d’emblée un système européen global d’infrastructures, un système qui soit à la fois
intermodal et interconnecté.
Dans ces secteurs, nous proposons d’aller
au-delà du marché unique en suivant le modèle
de l’union bancaire. L’achèvement de l’union
de l’énergie, du numérique, des transports est
porteur de richesse, d’emplois et de bien-être
pour tous les Européens. Il s’agit donc de ne
pas se limiter à une simple coordination ou
des initiatives conjointes mais d’aller jusqu’à
une législation commune, une réglementation
commune et même une autorité de contrôle.
FIGURE 1: Quelle est la taille du déficit d’investissement
dans l’énergie, les transports et le numérique?
40
4.1 L’UNION NUMÉRIQUE ET DES
TÉLÉCOMMUNICATIONS
4.1.1 Les constats
L’Union européenne s’occupe depuis les
années 1990 des questions relatives à une
société fondée sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), et
publie des plans d’action. Parmi les initiatives
les plus récentes, on retrouve la « Stratégie
numérique pour l’Europe » publiée en 2010 et
qui constituait l’une des sept initiatives phares
de la stratégie EU2020.
La mise en place d’un marché unique du digital
est une priorité de la nouvelle Commission.
Cela suppose de mettre fin à la fragmentation
des régulations. D’une manière générale, le
marché numérique européen est caractérisé
par 28 marchés distincts et 28 régimes de
régulation des communications électroniques,
des règles différentes en termes de protection
du consommateur et de régimes de TVA. Selon
l’Unité Valeur ajoutée européenne49, un marché unique numérique renforcerait l’efficacité
des entreprises traditionnelles, réduirait les
coûts des transactions des entreprises et les
frais d’itinérance, permettant ainsi des tarifs
plus compétitifs pour les consommateurs. Il
faciliterait la transmission des informations
dont dépendent les secteurs fondés sur la
connaissance et les services. Il permettrait
aussi à l’Europe de se renforcer dans le secteur des services fondés sur la connaissance.
Le bénéfice économique obtenu grâce à la
réalisation du marché unique numérique
pourrait relever d’au moins 4% le niveau
du PIB de l’UE, soit environ 520 milliards
d’euros aux prix courants50. L’Unité Valeur
ajoutée européenne51 considère qu’en
mettant en œuvre les politiques adéquates,
l’économie européenne pourrait réaliser la
moitié de ce gain dans les prochaines
années.
Dans le numérique, au niveau international,
l’Europe n’est pas aussi visible qu’elle devrait
être. Les Etats-Unis ont une position prédominante. Sur les dix plus grosses entreprises
mondiales en termes de chiffres d’affaires,
six sont américaines. De nombreux efforts
restent à faire. Des opportunités doivent être
saisies, par exemple en ce qui concerne les
équipements (la réussite puis la chute de Nokia
montre que des réussites sont possibles mais
doivent faire l’objet d’innovations et d’adaptations constantes) ou encore au niveau de la
robotique (comme le montre le dynamisme
des entreprises allemandes à cet égard).
L’histoire récente nous démontre également
que l’Europe a réussi à être leader dans ce
domaine avec la technologie 2G, notamment
parce qu’elle a réussi à harmoniser les standards d’utilisation de cette technologie et ainsi
d’ouvrir le marché de manière large. Avec la
5G annoncée pour les années à venir, l’Europe dispose également d’une opportunité
majeure de réinventer le paysage industriel
des télécoms.
Le bénéfice
économique
obtenu grâce à
la réalisation du
marché unique
numérique
pourrait relever
d’au moins 4% le
niveau du PIB de
l’UE
4.1.2. Quelles solutions ?
Une approche réglementaire commune est
essentielle pour harmoniser les règles du droit
d’auteur, de la protection de la vie privée, de
la protection des consommateurs dans les
transactions numériques. Le vrai enjeu est
de créer un vrai marché unique du numérique
avec des règles communes.
Ainsi, les différentes réglementations en
matière de données sur la vie privée rendent
très difficile l’établissement de nouveaux services entre les États membres sur Internet.
Cet espace, par essence, ne se préoccupe pas
des frontières. La réforme du droit d’auteur
doit aussi être un point central de la future
stratégie numérique européenane. Aujourd’hui,
il est organisé sur des bases nationales. Cela
peut restreindre la diffusion des œuvres des
artistes et morceler leurs publics et empêcher
d’avoir des « champions européens » sur la
49 Unité Valeur ajoutée européenne, Service de recherche parlementaire européen, Evaluer le coût de la non-Europe
2014-2019, mars 2014.
50
Copenhagen Economics, Economic Assessment of the Barriers to the Internal Market for Services, rapport
final, janvier 2005.
51
Unité Valeur ajoutée européenne, op.cit., p. 8.
41
Le véritable
enjeu est de créer
un marché unique
du numérique
avec des règles
communes
Les villes
intelligentes et
leurs projets
peuvent devenir
un puissant
canalisateur pour
le développement
économique
et social
contribuant ainsi
à la réorientation
du modèle
européen vers
une croissance
inclusive et
durable
scène mondiale dans le numérique.
Po u r e n co u ra g e r l’ e - co m m e rce , l a
Commission, dans sa stratégie numérique
annoncée le 6 mai 2015, promet de faciliter
l’accès au marché européen au travers d’une
harmonisation des droits et obligations partout dans l’UE, pour les vendeurs comme pour
les consommateurs. La Commission voudrait
aussi rendre plus accessibles les contenus
en ligne entre pays européens. Cela permettrait de supprimer le « geoblocking » qui rend
certains sites d’e-commerce inaccessibles
depuis certains pays ou présentent des prix
différents selon le lieu de connexion.
Il est également essentiel d’avancer sur la
réglementation de ceux que l’on appelle les
« GAFA » (Google, Amazon, Facebook et Apple)
en matière de concurrence. La Commission a
déjà lancée une offensive contre les pratiques
jugées abusives de Google. Des solutions
doivent être trouvées tant du point de vue
fiscal que de la libre concurrence. Enfin, il faut faciliter la création de start-up
innovantes et diffuser la culture numérique
dans les pays membres. Pour cela, il faut
encourager un écosystème favorable à
l’émergence de clusters ou de consortiums.
L’innovation doit être articulée autour de partenariats entre d’une part des petites structures agiles et innovantes et d’autre part des
grands groupes qui généreront des volumes
importants. Un partenariat incluant les États,
les start-up, les grands groupes mais également des Universités pourrait être le moteur
de cette dynamique.
Cette logique de convergence va générer
un effet de levier dont la valeur totale sera
bien supérieure à la somme des initiatives de
chacun. En particulier, l’échange de données
entre entreprises (tant que cela ne porte pas
atteinte à la vie privée) contribuera à la création
de nouvelles solutions et de nouveaux services
tout en diminuant les dépenses.
Pour créer un environnement favorable à la
croissance et à l’investissement et libérer le
potentiel d’attractivité de l’Europe, le numérique est un facteur déterminant. Il représente
non seulement un levier de croissance mais
il génère des synergies dans des domaines
cruciaux pour le marché unique. On peut
penser notamment aux réseaux intelligents
pour la gestion de l’électricité (compteurs
intelligents) et de la mobilité mais aussi au
domaine de la santé.
A titre d’exemple, Osakidetza, le service basque
de santé, a lancé avec succès une plateforme
technologique pour la gestion des maladies
chroniques qui permet des interactions multicanaux entre les citoyens et le système de
santé. Ce système facilite les procédures,
améliore le système de santé et simplifie la
vie des citoyens. Il a permis entre autres la
réduction des séjours d’hospitalisation aigus
et généré ainsi des économies à hauteur de
42,5 millions d’euros entre 2009 et 201152.
Le développement du numérique peuvent aussi
être utilisés pour connecter intelligemment
différents systèmes infrastructurels (énergie, transports, communications) à différents
niveaux (bâtiments, quartiers, villes). Ces
éléments doivent pouvoir se concrétiser dans
l’idée d’une Smart City, une ville intelligente,
capable de conjuguer des projets durables en
matière d’énergie, de mobilité, de climat et
d’intégrer les nouvelles technologies53. Dans
la mesure où l’urbanisation se généralise tant
en Europe que dans le monde, le développement des Smart Cities constitue un potentiel
significatif d’avenir.
Les Smart Cities à travers la mise en place
de solutions intelligentes et durables pour
diminuer leur impact environnemental, créer
de nouveaux réseaux citoyens et repenser les
modèles d’accès aux ressources, permettent
de mieux répondre aux besoins essentiels de
leurs citoyens et d’améliorer leur qualité de vie.
Les villes intelligentes et leurs projets peuvent
devenir un puissant canalisateur pour le développement économique et social contribuant
ainsi à la réorientation du modèle européen
vers une croissance inclusive et durable. Pour
cela, l’Europe aura besoin d’un nouveau type
d’infrastructures. Des solutions intégrées sont
nécessaires dans l’énergie, les transports et
52 http://www.osakidetza.euskadi.eus/r85-ghhome00/es/
53 Nunez-Ferrer J., C. Egenhofer, Cities: The Juncker Commission should not miss this key to growth, jobs and the
environnement, CEPS Commentary, October 2014.
42
les TIC. Les infrastructures traditionnellement isolées doivent évoluer vers un système
hautement intégré à différentes échelles :
résidentiel et commercial ; ville et la communauté ; régional et national.
Pour contribuer au développement d’une
stratégie numérique commune, il faudrait :
-définir une stratégie numérique fondée
sur une approche réglementaire commune ;
-encourager les partenariats entre grands
acteurs du numérique, start-up innovantes et instituts de recherche au sein
de l’Europe ;
-renforcer l’imprégnation des technologies numériques dans le reste de l’économie, via des mécanismes de soutien aux
investissements des entreprises et par le
développement de réseaux d’entreprises ;
-favoriser des programmes de R&D dans
le numérique pour des priorités comme
la santé et l’énergie ;
Une mise en œuvre rapide et concomitante
de ces quatre actions est aujourd’hui un élément-clé de la compétitivité de l’Europe sur
la scène internationale.
4.2 L’UNION DES TRANSPORTS
4.2.1 Les constats
La liberté de circulation, tant des personnes
que des marchandises, est un des piliers
de la construction européenne. Pour qu’elle
puisse être effective, l’UE s’est fixé l’objectif
de mettre en place un réseau de transport
à l’échelle européenne. Ancré au départ au
niveau national, la constitution d’un réseau
européen de transport est le fondement de la
politique européenne, en tant qu’instrument
pour assurer la libre circulation des personnes
et des marchandises et soutenir la croissance,
l’emploi et la compétitive dans l’UE.
Pour rester compétitive, l’Europe a besoin
d’accroître son réseau et son offre de transports, tout en privilégiant les solutions les
plus efficientes d’un point de vue environnemental. Les infrastructures ferroviaires
à grande vitesse ou de transport maritime
intérieur sont ainsi particulièrement visées
afin de diminuer le transport par route ou par
voie aérienne.
La qualité des infrastructures de transports
est un atout compétitif capital pour l’Europe
et doit être préservée dans toutes ses dimensions - énergétiques, sécuritaires, environnementales, technologiques. Dès lors, trois
enjeux sont identifiés pour guider l’effort de
la nouvelle Commission :
-La réduction d’émission de CO2 afin d’atteindre les objectifs de réduction de 60% des
émissions dues aux transports d’ici 2020 ;
L’amélioration de la sécurité et la réduction drastique du nombre d’accidents sur
les routes européennes ;
-La poursuite de la construction d’infrastructures de transports à forte valeur
ajoutée pour l’Europe : résorption des goulets d’étranglement, interopérabilité ferroviaire, liaisons transfrontalières manquantes ou à améliorer…
De nombreux progrès ont été réalisés pour
améliorer les transports européens. Toutefois,
au sein de l’UE, la qualité et la disponibilité des
infrastructures diffèrent considérablement
au sein des Etats membres.
Les systèmes de transport en Europe se sont
en grande partie développés sur une base
nationale. Par conséquent, on ne retrouve que
très peu d’interconnexions aux frontières ou
le long des principaux corridors. Depuis les
années 90, la politique européenne en matière
de transport a concentré ses efforts sur le
développement d’un réseau européen via des
grands projets d’infrastructure. Aujourd’hui,
l’UE doit viser la mise en place d’un réseau
43
L’UE doit viser
la mise en place
d’un réseau
européen solide
en investissant
davantage
dans les
interconnexions
et liaisons
transfrontalières
qui autrement
risqueraient de ne
jamais voir le jour
européen solide en investissant davantage
dans les interconnexions et liaisons transfrontalières qui autrement risqueraient de
ne jamais voir le jour.
Les efforts européens se concentrent sur la
création d’un réseau transeuropéen de transport (RTE-T). On distingue actuellement trois
échelons pour le RTE-T : un réseau global
(comprehensive netork) contenant un réseau
central (core network) englobant neuf corridors prioritaires.
Pour la première fois, afin de faciliter le
développement d’un réseau central, la
Commission a décidé la création de neuf corridors multimodaux qui quadrillent le continent du Rhin au Danube, de l’Adriatique à
la Baltique, de la Méditerranée à la mer du
Nord. L’approche par corridor est innovante.
Elle constitue un progrès important dans la
planification des infrastructures de transport.
Le développement du RTE-T constitue un
projet majeur pour les citoyens et les entreprises de l’UE.
TRANS-EUROPEAN TRANSPORT NETWORK
FIGURE 2: Le réseau transeuropéen de transport
TEN-T CORE NETWORK CORRIDORS
Source : CE
BASED ON THE OUTCOME OF THE INFORMAL TRILOGUE OF 27th JUNE 2013
44
La réalisation de ce réseau transeuropéen de
transport est nécessaire car nos pays ne sont
pas bien reliés, non seulement par le train,
l’avion ou la voiture, mais par un système de
transport complet, intermodal et cohérent.
L’objectif est d’achever ce core network à
l’horizon 2030, pour aboutir à un RTE-T global
en 2050. D’après les estimations, le réseau
central nécessiterait 250 milliards d’euro pour
la période 2014-2020. L’UE apporte une contribution pour encourager chaque Etat membre
à lancer les travaux. Une enveloppe de 23,2
milliards d’euros allouée au secteur du transport est prévue dans le cadre du Mécanisme
pour l’Interconnexion en Europe pour la période
2014-2020. La part de cofinancement que peut
apporter l’UE est considérable, jusqu’à 40%.
Une politique commune des transports nécessite d’importants investissements. La crise a
affecté négativement l’investissement dans les
infrastructures, y compris dans le transport.
En 2008, l’investissement annuel dans l'infrastructure de transport était de 130 milliards
d’euros, correspondant à environ à 1% du PIB.
4.2.2 Quelles solutions ?
Comme présenté dans la section 1.1, l'investissement a fortement chuté suite à la crise
de 2008. Au niveau du secteur du transport,
selon les estimations de la BEI, il doit maintenant s’élever au minimum à 50 milliards
d’euros par an jusqu'en 2020 pour combler
le retard et reprendre le niveau historique
TABLEAU 3: Besoin en investissement pour les transports
d’investissement. Notre proposition d’un vaste
plan d’investissement public-privé devrait
permettre de combler ce retard d’investissement et relancer une politique de transport
européenne au service du développement de
notre économie et de nos industries.
Un soutien et un accroissement des efforts de
R&D sont aussi indispensables pour réduire
les émissions dans tous les modes de transport, mais aussi pour encourager des solutions innovantes telles que trains à grande
vitesse de nouvelle génération, la robotique
de l’intermodalité ou encore les voitures sans
conducteur.
Si l’Europe veut avoir une position de leadership dans ce secteur, la politique de R&D
mais aussi sa politique commerciale et industrielle doivent être au service de cette volonté.
Pour cela, les entreprises doivent travailler
en synergie avec les Universités et les centre
de recherche pour mettre leur expertise au
service de l’innovation et de la compétitivité européenne. Il faut pouvoir à terme avoir
un ‘Airbus’ dans d’autres secteurs ! Il s’agit
d’un défi crucial, et l’Europe doit se doter de
moyens supplémentaires – tant au niveau de
l’investissement qu’au niveau humain – pour
y parvenir.
En ce qui concerne le secteur ferroviaire, le
grand défi auquel nous sommes confrontés
est l’interopérabilité des différents réseaux.
La compétitivité du rail est aujourd’hui limitée par les différences qui existent entre les
États membres au niveau du matériel, de la
Source : BEI
Annual investment (EUR billions)
Besoins en investissements / objectif
Requis
Actuel
Grap
Moderniser le transport urbain pour répondre à des
standards mondiaux:
Y compris la gestion des voies
rapides urbaines, les ports et les aéroports, la logistique
multimodale, les plates-formes, la sécurité, la gestion
du trafic et les réseaux de distribution des carburants
alternatifs
75
50
25
Assurer une capacité suffisante dans le trafic
interurbain: Y compris le réseau transeuropéen de
transport, le réseau global et les corridors, et les
connexions transfrontalières
75
50
25
Total
150
100
EUR 130bn
45
La réalisation
de ce réseau
transeuropéen
de transport est
nécessaire car
nos pays ne sont
pas bien reliés,
non seulement
par le train, l’avion
ou la voiture, mais
par un système de
transport complet
et cohérent
technologie, de la signalisation et des règles
de sécurité. Il est donc essentiel d’harmoniser les normes européennes en la matière.
L’Europe doit aussi maintenir ses efforts
dans le secteur fluvial, pour pouvoir créer
un système intégré de transport à l’échelle
européenne. Nous devons donner la priorité
à l’intermodalité car nous avons besoin d’un
système qui fonctionne en réseau où tous
les maillons doivent s’agencer efficacement.
4.3 L’UNION DE L’ÉNERGIE
4.3.1 Les constats
L’UE importe 53%
de son énergie, à
un coût d’environ
400 milliards
d’euros, ce qui en
fait le principal
importateur
d’énergie au
monde
L’énergie est un secteur cible pour une
stratégie européenne d’investissement. La
Commission a récemment appelé de ses
vœux une Union de l’énergie54. Cette Union
de l’énergie, en cas de réalisation complète,
est un projet qui a le potentiel de redéfinir le
fonctionnement de l’UE et d’être un moteur
d’intégration aussi puissant qu’a pu l’être la
CECA.
L’Union de l’énergie se compose de cinq
piliers : la sécurité énergétique ; la pleine
intégration du marché européen de l’énergie ; l’efficacité énergétique comme moyen
de modérer la demande ; la décarbonisation
de l’économie ; la recherche, l’innovation et
la compétitivité55.
L’Union européenne (UE) importe actuellement
53% de son énergie, à un coût d’environ 400
milliards d’euros, ce qui en fait le principal
importateur d’énergie au monde. 75% du
parc de logements présente une faible efficacité énergétique. 94% des transports sont
tributaires des produits pétroliers, et 90% de
ceux-ci sont importés56.
Face à une telle situation, l’Union européenne
se doit de disposer d’instruments appropriés
qui lui permettent d’une part de parachever
son marché intérieur énergétique et d’autre
part, de miser sur des énergies durables. Des
investissements bien ciblés sont nécessaires
pour garantir l’efficacité et la sécurité énergétiques. La sécurité d’approvisionnement
énergétique à des prix raisonnables tant pour
l’industrie que pour les ménages est essentielle
pour la compétitivité européenne. La hausse
des prix et les risques d’interruptions d’approvisionnement sont de plus en plus perçus
comme une menace pour la compétitivité à
long terme de l’Europe.
L’existence d’infrastructures appropriées
est une condition préalable à l’achèvement
du marché énergétique, à l’intégration des
sources d’énergie renouvelables et à la sécurité de l’approvisionnement. La Commission
soutient déjà la mise en œuvre de grands projets d’infrastructures, notamment les projets
d’intérêt commun, en utilisant les moyens
financiers disponibles, tels que le Mécanisme
pour l’interconnexion en Europe.
La transition vers un système énergétique
plus sûr et plus durable nécessitera des investissements majeurs dans la production, les
réseaux et l’efficacité énergétique, dont le
montant est estimé à quelque 200 milliards
d’EUR par an pour la prochaine décennie.
Une grande partie du déficit d’investissement
identifié dans le secteur de l’énergie concerne
l’efficacité énergétique dans les bâtiments et
l’industrie. L’Europe doit investir davantage
dans cet enjeu, tant au niveau des normes
de construction et de production qu’en ce qui
concerne le développement techniques lié à
l’efficacité énergétique.
Ainsi, construire une Union de l’énergie,
nécessite d’investir dans la mobilité durable, la
rénovation des logements, les interconnexions
énergétiques ou les énergies renouvelables.
De tels investissements rassemblent des
intérêts multiples, parmi lesquels la sécurité
énergétique ou le soutien à des secteurs très
pourvoyeurs d’emplois qui n’ont toujours pas
retrouvé leur activité économique d’avantcrise, comme le secteur de la construction.
4.3.2 Quelles solutions ?
L’Union de l’énergie prévoit à terme la mise
en place d’un marché unique européen de
54 Commission Européenne, Paquet “Union de l’Energie”, COM2015 80, février 2015.
55 Ibid., p. 4.
56 Ibid., pp. 2-3.
46
l’énergie, l’établissement de règles communes
et la mise en place d’infrastructure. Toutefois,
il n’y a pas, pour l’instant, une volonté d’avancer sur la dimension politique de l’Union de
l’énergie. Cela confirme la réticence des États
membres à gérer ensemble les défis énergétiques ou à se faire confiance.
Aujourd’hui, chaque Etat membre est responsable de son mix énergétique et de sa
sécurité d’approvisionnement. Ce système
est à la fois coûteux et inefficace.
Pour y répondre, il est nécessaire de repenser
radicalement les interconnexions européennes
en matière d’électricité et d’hydrocarbures.
Par ailleurs, les choix que nous faisons en
matière d’énergie doivent se baser sur une
vision commune des besoins et une plus grande
solidarité.
Nous proposons de laisser une certaine
liberté aux Etats membres dans leur choix
de mix énergétique et d’établir des lignes
directrices politiques qui soient capables
de garantir une coordination entre les pays.
Ce système devrait pouvoir à terme conduire
à une véritable Union politique de l’énergie.
Cela implique de s’accorder sur une approche
commune pour un mécanisme de gestion de
capacité, un ensemble de règles partagées
pour le développement des énergies renouvelables et pour le renforcement de l’efficience
énergétique.
Cette Union de l’énergie pourrait également s’appuyer sur la participation active
des citoyens et des acteurs locaux. Il faut
placer le consommateur au centre du système
énergétique comme suggéré par la Strategic
Energy Technology Plan (SET-Plan) Roadmap57.
Les réseaux électriques intelligents, ou Smart
grids, intègrent des fonctionnalités issues
des technologies de l’information et de la
communication. Cette communication entre
les différents points des réseaux permet de
prendre en compte les actions des différents
acteurs du système électrique, et notamment
des consommateurs. L’objectif est d’assurer
de manière plus fine l’équilibre entre l’offre et
la demande, avec une réactivité et une fiabilité
accrues et d’optimiser le fonctionnement des
réseaux. C’est d’autant plus important si l’on
veut intégrer davantage de sources d’énergies renouvelables dont la production peut
varier avec les conditions météorologiques.
Le système électrique passe d’une chaîne
qui fonctionne linéairement à un système où
l’ensemble des acteurs est en interaction.
Rendre les réseaux électriques intelligents
consiste donc en grande partie à leur permettre
de communiquer entre eux. Actuellement le
réseau de transport d’énergie est déjà outillé
en ce sens, notamment pour des raisons de
sécurité d’approvisionnement. En revanche,
les réseaux de distribution sont faiblement
dotés en technologies de la communication,
en raison du nombre très important d’ouvrages et de consommateurs raccordés à
ces réseaux. L’enjeu des Smart grids se situe
donc principalement au niveau des réseaux
de distribution.
La politique européenne de l’énergie ne doit
pas se développer « en silo ». Elle doit s’intégrer dans une politique d’environnement
étroitement liée dans ses objectifs comme
dans ses moyens. Elle doit aussi être articulée
avec toutes les autres politiques pertinentes,
de façon cohérente et dynamique (que ce soient
l’industrie, les transports, etc).
57 http://ec.europa.eu/energy/technology/set_plan/set_plan_en.htm
47
Une approche
commune pour
un mécanisme
de gestion de
capacité, un
ensemble de
règle partagée
pour le
développement
des énergies
renouvelables
et pour le
renforcement
de l’efficience
énergétique
5. INTÉGRER TOUS
LES INSTRUMENTS
DANS LA MÊME STRATÉGIE
48
5. INTÉGRER TOUS LES
INSTRUMENTS DANS LA
MÊME STRATÉGIE
5.1 UNE POLITIQUE MONÉTAIRE
FAVORABLE À L’INVESTISSEMENT
5.1.1. Principes généraux
La politique monétaire joue un rôle prépondérant pour favoriser la croissance et les
investissements.
Le Traité européen confère implicitement à la
BCE le double mandat consistant à lutter contre
l’inflation et à soutenir les autres objectifs de
l’Union européenne, tels que la croissance,
l’emploi et la cohésion sociale, à condition que
l’objectif de stabilité des prix ne se retrouve
pas compromis. L’objectif de stabilité de la
BCE correspond à une inflation inférieure à
2% par an, mais proche de ce chiffre.
Pour atteindre les objectifs qui lui ont été
assignés, l'instrument principal de la BCE est
le pilotage des taux d'intérêt à court terme.
D'une façon générale, on peut résumer en
disant qu'une augmentation des taux contribue
à ralentir l'inflation mais contraint l'activité,
alors qu'une baisse des taux a tendance à
favoriser l'investissement et à augmenter
l'inflation.
En effet, un taux d’intérêt élevé (politique
monétaire restrictive) incite les agents économiques à épargner plutôt qu’à investir. Si le
rendement attendu d’un investissement est
de 5% par an, alors que le taux d’intérêt est de
6%, un agent préfèrera placer son argent plutôt
que d’investir dans le projet d’investissement.
Les investissements les moins rentables, de
même que les crédits à la consommation, sont
ainsi découragés. La baisse de la demande
qui s’en suit tend à faire baisser les prix ou à
ralentir leur augmentation, ce qui correspond
à une diminution de l’inflation. A l’inverse,
une diminution des taux d’intérêt (politique
monétaire expansionniste ou accommodante)
encourage les investissements et les crédits
à la consommation, renforçant la demande et
pouvant occasionner une tension à la hausse
sur les prix à moyen terme.
Une politique monétaire peut donc avoir un
impact sur la croissance et les emplois par
le biais de la demande intérieure. Mais la
demande d’exportation peut elle aussi augmenter. Une réduction des taux d’intérêt entraîne
une fuite de capitaux vers l’étranger (vers une
zone monétaire plus rentable). Cette fuite
de capitaux induit donc mécaniquement une
réduction de la demande de monnaie domestique au profit de devises étrangères. La valeur
de la monnaie domestique, l’euro, est donc
impactée à la baisse. Or, un euro plus faible
permettra de relancer la compétitivité et les
exportations des entreprises européennes,
et donc la croissance et l’emploi en Europe.
Ces dernières années, on constate que les
Etats-Unis et le Royaume Uni ont connu la
plus forte reprise, et ont bénéficié d’une politique monétaire expansionniste (le Japon est
un contre-exemple).
Notons enfin qu’il existe un niveau de taux
d’intérêt en-dessous duquel les taux sont
tellement faibles qu’ils peuvent amener à une
situation qualifiée de « trappe à liquidité ».
Dans cette situation, les agents économiques
s’attendent à ce que les taux ne puissent que
remonter. Ils préfèrent dès lors détenir de la
monnaie plutôt que d’investir.
49
HISTORIQUE DE LA POLITIQUE MONETAIRE
EUROPEENNE DEPUIS 200858
Oct. 2008 : Face à la crise de liquidité sur le marché bancaire, la BCE apporte des mesures
de fourniture de liquidité extraordinaires pour autant que les banques puissent apporter des
garanties de qualité suffisantes.
Juin 2009 : Mise en place d’un programme d’achat d’obligations sécurisées.
Déc. 2011 : La BCE annonce des mesures de soutien au crédit bancaire à travers deux
opérations de refinancement à plus long terme (36 mois) et ramène le taux de réserves
obligatoires à 1% à partir du 1er janvier 2012. Le taux de réserves obligatoires baissera progressivement pour finalement atteindre un taux plancher de 0,05% le 10 septembre 2014.
Les réserves obligatoires sont les réserves financières que les banques doivent déposer à
la banque centrale. Le taux de réserve obligatoire s’exprime en pourcentage des dépôts. Ce
taux sert d’instrument de politique monétaire par l’effet de levier qu’il engendre.
Aout-Sept. 2012 : La BCE annonce la possibilité d’effectuer des opérations monétaires sur
L’absence de titres sur les marchés secondaires de la dette souveraine.
distinction entre
les dépenses Juillet 2013 : La BCE annonce que les taux d’intérêt resteront bas ou plus faibles qu’actuelcourantes et lement pour une période prolongée en raison de la faiblesse de l’économie.
les dépenses
d’investissement a Sept. 2014 : La BCE abaisse son taux directeur à 0,05%.
des conséquences
encore plus Janv. 2015 : La BCE annonce un rachat massif d’actifs (quantitative easing).
graves, puisqu’elle
prive les autorités
publiques de 5.1.2. Un nouvel agenda pour la BCE
des voies de financement reste néanmoins
tout levier pour
des questions qui continuent de faire débat.
relancer l’activité Alors que la Banque centrale européenne (BCE) Ces évolutions, si elles sont positives, pours’était trop longtemps concentrée uniquement
sur l’objectif de lutte contre l’inflation, cette
stratégie s’est progressivement modifiée suite
à la crise financière de 2008. Ce changement
de stratégie s’est manifesté notamment par
une diminution toujours plus forte des taux,
tant à court qu’à long terme, ainsi que par la
dégradation du taux de change de l’euro. La
dernière expression en date, particulièrement
spectaculaire, consiste en l’opération de rachat
massif d’actifs, en particulier auprès du secteur bancaire, afin de l’encourager à acquérir
d’autres actifs et donc à financer des prêts
au sein de l’économie (quantitative easing).
L’efficacité de cette politique et la répartition
raient néanmoins être poussées plus loin.
Aujourd’hui, les banques privées peuvent
emprunter à des taux particulièrement faibles
auprès de la BCE. Ces banques prêtent ensuite
cet argent aux Etats européens, qui eux ne
peuvent lever des fonds qu’à des taux par
conséquent plus élevés.
Une alternative serait que les Etats membres
de la zone euro, à condition qu’ils respectent
leurs trajectoires budgétaires, puissent
emprunter auprès de la BCE aux mêmes
conditions que les banques privées et que la
marge dégagée par la diminution des taux soit
affectée à un fond de relance visant à financer
les efforts de financement décrits ci-dessus.
58 BCE, « La politique monétaire : La stabilité des prix – L’objectif de l’Eurosystème », Présentation, 5 Février 2014, disponible sur : https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/shared/img/presentation_mp.en.zip?8d20cb665729953a1a6dad0264575727
50
Le Quantitative Easing, lancé récemment, s’apparente à cette piste, mais son application se
clôture, en principe, en 2016.
5.2 Une politique budgétaire et des
normes comptables qui renforcent la
capacité d’investir
Nous ne pouvons pas évoquer la question du
déploiement de nouveaux efforts d’investissement sans évoquer la question de la politique
budgétaire et de la coordination de celle-ci.
Depuis le Traité de Maastricht, l’Union européenne s’est dotée d’une coordination de plus
en plus contraignante des politiques budgétaires des Etats membres. L’étape la plus
récente, le Traité sur la Stabilité, la Coordination
et la Gouvernance (TSCG), a ainsi ouvert la
possibilité d’imposer des sanctions aux Etats
qui ne respectent pas leurs objectifs budgétaires et qui n’ont pas pris les mesures qui
s’imposent.
Cette plus grande coordination budgétaire était
indispensable dans le cadre de l’intégration
monétaire européenne, afin de se prémunir des
risques d’intégration dans le mécanisme de
l’Euro de pays qui développeraient des déficits
importants et dont le coût se répercuterait sur
les autres Etats membres. Cette coordination
budgétaire est liée au départ à une sanction
claire : si les objectifs budgétaires n’étaient
pas rencontrés, le pays ne pourrait pas faire
partie de la zone euro.
Une fois ce cap franchi, toutefois, la crédibilité de cette coordination s’est affaiblie.
L’incapacité à prévoir des sanctions contre les
grands Etats membres qui pourtant étaient
manifestement dans une situation de déficit grandissant a donné un mauvais signal
à l’ensemble des Etats membres. Le TSCG
de 2012 a corrigé cet élément, en prévoyant
une gradation des sanctions prévues et des
garde-fous plus nombreux.
Cette coordination budgétaire reste non seulement utile dans le cadre de la monnaie unique,
mais également compte tenu des évolutions
démographiques. Il est en effet indispensable
d’assurer un préfinancement des dépenses
liées à l’allongement de la vie, au risque dans
le cas contraire que les générations futures
doivent financer des dépenses sociales croissantes couplées à un niveau d’endettement
élevé, tout cela avec une population active qui
se réduit. La propension des Gouvernements
à privilégier les objectifs à court terme justifie amplement la nécessité de développer
une coordination budgétaire qui les pousse
à intégrer cette dimension de long terme.
Cette coordination budgétaire croissante
s’est accompagnée d’une harmonisation des
statistiques utilisées en matière de comptabilité publique. Difficile, en effet, de se doter
d’objectifs communs si l’on compare sur des
bases différentes. C’est ainsi que différents
mécanismes d’harmonisation statistique et
comptable ont vu le jour, dont le dernier : le
SEC2010. Ces règles comptables ont notamment pour objectif de déterminer avec précision quelles sont les dépenses qui doivent
être inclues dans le périmètre du secteur
public et qui, par conséquent, alourdissent
l’endettement des Etats.
Avec les différentes générations de normes
comptables, le périmètre de ce qui est inclus
dans le secteur public n’a cessé de s’élargir.
Par ailleurs, les contraintes dérivant de la
coordination budgétaire européenne ont également été resserrées.
Ces évolutions simultanées ont pour conséquence que les dépenses d’investissement portées par les autorités publiques (quel que soit
le niveau de pouvoir) sont fortement freinées.
Ainsi, en application des règles budgétaires
européennes par les autorités nationales,
toutes les autorités publiques (y compris,
en Belgique, les Régions, Communautés,
Provinces, communes…) ne peuvent plus
amortir le financement de leurs emprunts
sur plusieurs années mais sont tenues de
financer sur une seule année – l’année courante - les dépenses d’investissements qui
sont réalisées lors de cette période, afin de
se prémunir d’une aggravation de l’endettement au niveau national. Clairement, même
51
si la répartition de l’objectif global est une
responsabilité des Etats membres et non de
ses composantes, de nombreuses entités
ne disposent pas de marge financière suffisante pour appliquer une telle règle, ce qui a
pour conséquence une forte diminution des
dépenses d’investissement, alors même que
les autorités locales représentent une part
importante de ces dépenses.
Comment, alors, la Commission pourrait-elle
prendre une nouvelle orientation de renforcement des investissements alors même que le
renforcement de la coordination budgétaire
entre les Etats membres va dans une direction
exactement inverse ?
Pour sortir de cette impasse et libérer la capacité d’investissement des autorités publiques
sans nuire à la soutenabilité budgétaire des
Etats membres, nous proposons d’adopter
une démarche plus fine des dépenses prises
en compte dans le périmètre de la dette et de
réaliser une distinction entre les dépenses courantes (pour lesquelles la rigueur budgétaire
est indispensable) et les dépenses d’investissements dans des secteurs ou domaines-clés,
porteurs d’un renforcement de la croissance
potentielle. Il ne s’agit donc pas d’exonérer
toute dépense d’investissement, mais plutôt
de lier cette exonération au fait que l’investissement a un effet positif sur la croissance
à long terme et, dès lors, sur les capacités de
remboursement de l’endettement qui y est lié.
Certes, la recherche de critères qui établissent
avec certitude le lien entre les investissements
réalisés et le potentiel de croissance n’est pas
aisée à établir. Mais l’absence de distinction
entre les dépenses courantes et les dépenses
d’investissement a des conséquences encore
plus graves, puisqu’elle prive les autorités
publiques de tout levier pour relancer l’activité.
Dans le cadre du Plan Juncker, la Commission
a proposé d’exclure la contribution des autorités
publiques du périmètre de la dette. Si cette
orientation est salutaire, elle est néanmoins
trop limitée. C’est sur la totalité des dépenses
d’investissements publics qu’une analyse de
leur exonération potentielle doit être réalisée.
52
5.3 Une politique commerciale au service
du modèle de développement européen
Depuis la création du « marché commun »
de la Communauté économique européenne
jusqu’aux derniers développements autour du
Traité Transatlantique pour le Commerce et
l’Investissement (TTIP), la question de l’abaissement des barrières douanières et la promotion des échanges commerciaux est au
cœur du projet européen. Le développement
des relations commerciales a en effet été un
moteur de l’amélioration du niveau de vie des
européens et des activités en son sein.
Nous avons vu ci-dessus que le marché unique
n’était pas encore achevé dans une série de
domaines. Il y a donc encore des évolutions
importantes qui doivent être accomplies et
qui doivent notamment permettre de favoriser
les investissements et l’innovation (citons par
exemple le brevet européen, ou encore par
l’harmonisation des normes liées au transport
de marchandises ou d’énergie). La capacité
de se doter de normes communes afin de
favoriser l’activité économique doit donc être
poursuivie.
Toutefois, nous défendons l’idée que l’Union
européenne adopte une démarche trop passive
en ce qui concerne sa politique commerciale,
et qui se limite à l’abaissement des normes
douanières dans tous les domaines. Nous pensons qu’il faut faire évoluer cette orientation
et adopter une démarche plus stratégique
quant à la politique commerciale de l’Union
européenne.
Cette démarche plus stratégique doit s’articuler autour de deux éléments fondamentaux :
Une promotion des secteurs stratégiques ;
Une préservation du modèle européen à venir.
Nous constatons que d’autres régions du
monde ne sont pas aussi frileuses que l’Union
pour défendre ses intérêts économiques. La
Chine continue d’appliquer des droits de douane
à deux chiffres pour l’importation d’acier sur
son sol. Le Brésil exige, lors d’investissements sur son territoire, le recours à de la
main-d’œuvre locale. L’Inde couple l’accès
à sa main-d’œuvre bon marché à une transmission du know-how. Dans un tel contexte,
l’Union ne peut se limiter à prôner un level
playing field.
Nous savons que certaines activités
connaissent un potentiel de développement
élevé dans le monde. Ce sont bien souvent
des secteurs dans lesquels l’Europe disposait
antérieurement d’un leadership, à la pointe
de la technologie et du savoir-faire. Pensons,
par exemple, au secteur du transport à grande
vitesse, à la production et l’efficacité énergétique, etc. Ce sont des secteurs stratégiques
où la demande mondiale ne peut qu’augmenter, et qui de surcroît permet de répondre aux
prix de l’énergie appelés à augmenter dans
un futur plus ou moins proche.
Le deuxième élément de cette nouvelle politique commerciale concerne la préservation
du modèle de développement économique
et social européen. Nous constatons en effet
que la disparition de plus en plus généralisée
des barrières aux échanges et la diminution
des coûts de transport implique une mise en
concurrence exacerbée des entreprises quel
que soit le lieu où elles sont établies. Cette
mise en concurrence a pour effet que le coût
de la production intervient également de plus
en plus dans la compétitivité des entreprises.
Dès lors, les entreprises qui diminuent leurs
coûts de production grâce à des conditions
de production peu soucieuses des normes
sociales (conditions de travail, droit du travail, santé des travailleurs et risques liés à la
production…) ou environnementales (recours
à des produits dangereux pour l’homme ou
pour l’environnement, à des sources d’énergie intensives en émissions de CO2, pollution
de l’air et de l’eau…) ont un avantage sur les
firmes européennes qui sont confrontées à
des normes plus exigeantes.
Nous défendons l’idée de continuer ce processus européen d’édiction de normes qui
progressivement harmonisent, renforcent et
améliorent les normes qui s’appliquent aux
entreprises européennes en matière sociale
ou environnementale. Mais ce processus ne
peut être miné par les entreprises situées
en-dehors de l’Union.
Pour cette raison, nous proposons d’adopter un
mécanisme d’adaptation des droits de douane
en fonction des conditions de production qui
ont été d’application pour la fabrication du
produit importé. Ces droits de douane doivent
être augmentés afin de compenser l’avantage
compétitif dont a bénéficié l’entreprise importatrice. Cette approche a déjà fonctionné avec
l’adoption du règlement Reach, qui encadre
les substances chimiques présentes dans
les produits que l’on achète. Ce règlement a
l’avantage de s’appliquer à toutes les entreprises qui produisent pour le marché européen, et ce, quelle que soit la localisation de
l’entreprise productrice59.
Les traités de libres échanges devraient à
tout le moins, dans ce contexte, permettre
le respect mutuel de normes acceptées par
les signataires dudit traité en échange de
l’abaissement des droits de douane.
En conclusion, nous recommandons que
l’Union européenne se dote d’une stratégie
nouvelle pour le soutien aux secteurs stratégiques identifiés, conformément à ce qui
est détaillé plus haut dans cette contribution,
en incluant la politique commerciale dans
les outils à activer. Ce recours à la politique
commerciale devrait notamment prévoir des
mesures de rétorsions nécessaires en cas de
déséquilibre de l’accès des entreprises européennes aux marchés extérieurs ; la mise en
place des normes sociales et environnementales qui devraient être respectées par toutes
les entreprises – étrangères et européennes –
qui accèdent au marché européen ; l’activation
des délégations européennes dans le monde
au service des entreprises européenne et soutenir leur accès aux marchés étrangers, etc.
59 CANFIN Pascal, « Mondialisation : la troisième voie », Alternatives Economiques Hors-séries, Mai 2012. Disponible
sur : http://bit.ly/1buXeMw
53
Nous proposons
d’adopter un
mécanisme
d’adaptation des
droits de douane
en fonction des
conditions de
production qui ont
été d’application
pour la fabrication
du produit
importé
CONCLUSION
L’Europe souffre d’un déficit d’investissement. Depuis la crise financière de 2008, les investissements tant publics que privés sont restés anormalement bas dans l’Union européenne
par rapport au niveau attendu. Le déficit est estimé à plus de 300 milliards d’euros, ce qui
pénalise lourdement le potentiel de croissance sur le moyen et le long terme et grève depuis
trop longtemps le redéploiement européen. Ce sont en effet les investissements réalisés
aujourd’hui, tant par le secteur privé que par les autorités publiques, qui déterminent la
capacité de faire croître les activités demain.
Le choix des
investissements
nous projette en
effet sur la nature
du développement
économique,
social,
environnemental,
humain que nous
souhaitons pour
l’Europe
La nouvelle équipe de la Commission européenne semble avoir compris ce message. La
relance des investissements fait désormais figure de priorité, comme en témoignent tous les
discours du Président de la Commission. Dès son entrée en fonction, Jean-Claude Juncker
a annoncé le lancement d’un plan de relance des investissements. Ce plan vise à mobiliser
les investisseurs privés au départ d’un budget identifié au niveau européen, misant sur un
fort effet de levier. Dans le même temps, un appel a été adressé à tous les Etats membres
afin que ces derniers proposent des projets susceptibles de bénéficier de ce financement.
Le moment est particulièrement propice à une telle initiative, compte tenu de la faiblesse
des taux d’intérêt et des difficultés à relancer la machine économique.
La capacité de ce plan de relance des investissements (communément appelé « Plan
Juncker ») à déclencher une nouvelle dynamique pour l’économie européenne est cependant
sujette à caution. Si cette initiative est incontestablement positive et traduit avec ambition
une nouvelle orientation, son impact risque d’être bien moindre qu’annoncé.
Attirer des investisseurs privés avec un ratio aussi important par rapport aux capitaux publics
auxquels on recourt laisse rêveur. Beaucoup considèrent l’effet de levier annoncé comme
trop optimiste. Ensuite, les capitaux mobilisés proviennent principalement de glissements
au sein de budgets européens existants, qui visaient déjà le financement d’investissements.
Le plan Juncker déplace donc des enveloppes, au risque de freiner les initiatives en cours,
et ce, sans amener d’argent public supplémentaire.
Plus encore, il convient de s’interroger sur les motivations d’une intervention publique en
matière d’investissements. Celle-ci peut être liée à la frilosité des acteurs privés et à la
nécessité de renouer la confiance. Elle peut aussi être justifiée par le fait que l’investissement
n’est pas directement rentable (pensons, par exemple, à une liaison ferroviaire entre deux
États qui nécessiterait des ouvrages d’art coûteux) mais entraîne un rendement beaucoup
plus large et des retombées importantes. A ce stade, la volonté ferme de la Commission de
rassembler des capitaux privés pour parvenir à ses objectifs concentre l’attention sur la rentabilité à court terme des projets, sans autre garantie sur les investissements On regrettera
le manque de vision à plus long terme de la rentabilité des projets
La nécessité de relancer les investissements ne fait aucun doute. Mais il est indispensable
de s’interroger sur le type d’investissements que l’on souhaite réaliser. Le choix des investissements nous projette en effet sur la nature du développement économique, social, environnemental, humain que nous souhaitons pour l’Europe.
54
Une telle relance des investissements n’a de sens que si elle intègre une vision stratégique
plus large. Nous proposons que cette Stratégie s’appuie sur trois piliers : les investissements,
l’innovation (en particulier au travers de l’éducation et de la recherche) et la régulation du
marché intérieur. Comme trois pièces d’un même rouage, la relance des investissements
dans des secteurs-clés doit s’appuyer sur une politique forte d’innovation capable de renforcer
le leadership dans ces domaines à haute valeur ajoutée, tout en renforçant la contribution
des acteurs privés par une plus grande harmonisation et régulation au niveau européen.
Nous identifions trois secteurs-clés : l’économie numérique, le transport et l’énergie. Trois
secteurs dans lesquels l’Europe disposait d’une longueur d’avance avant d’être rattrapée
progressivement puis dépassée par ses concurrents d’autres parties du monde.
L’économie numérique est essentielle, puisque l’imprégnation des nouvelles technologies
dans les autres segments de l’économie en fait une source majeure d’amélioration de la
productivité. Quant aux secteurs du transport et de l’énergie, ils constituent non seulement
le noyau initial de la construction européenne, mais, surtout, sont déterminants pour le type
de croissance souhaitée pour l’avenir, tant en Europe que dans le monde. Faire émerger
l’Europe comme leader dans ces secteurs-clés est donc un enjeu essentiel tant pour l’avenir
de l’économie que pour la qualité de vie des citoyens européens.
Enfin, il faut que ces instruments européens naviguent dans le même sens, tant en ce qui
concerne la politique monétaire et commerciale que budgétaire. La contrainte européenne
de plus en plus forte sur les États membres en matière de monitoring budgétaire s’est avérée
totalement contre-productive par rapport au soutien aux investissements. Il est indispensable
de revoir l’application des normes comptables afin de distinguer non seulement les dépenses
courantes des investissements, mais également pour identifier les investissements porteurs.
La course de la relance a débuté. Écartons les obstacles et faisons en sorte que l’Europe
parte le vent dans le dos.
55
BIBLIOGRAPHIE
Andoura, S., L. Hancher, M. Van der Woude, Vers une Communauté européenne de
l’énergie : un projet politique, Notre Europe, 2010.
Barbiero F. Darvas Z., In sickness and in health : protecting and supporting public
investment in Europe, Bruegel Policy Contribution, Issue 2014/02, February 2014.
Chopin T. et M. Foucher, (dir.) L’Etat de l’Union, Rapport Schuman 2014 sur l’Europe,
Lignes de repères, 2014.
European Commission and EIB, The Investment Plan: Questions and answers,2014.
European Commission. 2014a. “EU launches investment offensive to boost jobs and
growth”, press release, Strasbourg, 26 November 2014,
—. 2014b. “Investing in Europe: Speech by President Juncker in the European
Parliament plenary session on the €315 billion Investment Plan”, Strasbourg, 26
November 2014,
—. 2014c. An Investment Plan for Europe.Communication from the Commission to the
and Social Committee, the Committee of the Regions and the European Investment
Bank, Brussels, 26 November 2014,
European Commission, Roadmap to a Resource-Efficient Europe, COM(2011) 571final,
2013.
European Commission , Towards Social Investment for Growth and Cohesion – including
implementing the European Social Fund 2014-2020’, COM(2013) 83 final, 2013.
European Policy Centre, Green revolution: making eco-efficiency a driver for growth,
2012.
Gros, D., The Juncker plan : From €21 to 315 billion, through smoke and mirrors, CEPS
Commentary, 2014.
IDDRI, Exiting the crisis in the right direction: A sustainable and shared prosperity plan
for Europe,2011.
IEEP, Running out of time? Stepping up action for Europe’s environment, 2012.
56
International Monetary Fund, World economic outlook : legacy, clouds, uncertainties,
October 2014.
International Energy Agency, World Energy Outlook Special Report 2013: Redrawing
the Energy Climate Map, 2013.
Jackson, T., Prosperity without growth? The transition to a sustainable economy, 2009.
Maystadt P., “Relancer l’investissement”, Question d’Europe, n.337, Fondation
Schuman, décembre 2014.
McKinsey, Resource Revolution: Meeting the world’s energy, materials, food andwater
needs. McKinsey Global Institute, 2011.
Nunez-Ferrer J., C. Egenhofer, Cities : The Juncker Commission should not miss this
key to growth, jobs and the environnement, CEPS Commentary, October 2014.
OECD, Environment outlook to 2050 – The consequences of inaction, 2012.
Unité Valeur ajoutée européenne, Evaluer le coût de la no-Europe 2014-2019, mars
2014.
Vandenbroucke, F., A. Hemerijck, and B. Palier, The EU Needs a Social Investment
Pact, OSE Paper Series, Opinion Paper 5, 2011.
Varoufakis, Y., J. K. Galbraith, S. Holland, Modeste proposition pour résoudre la crise
de la zone euro, les Petits matins, Institut Veblen, 2015
Von Hirschhausen C., Financement des infrastructures énergétiques
transeuropéennes : passé, présent et perspectives, Policy Paper 48, Notre Europe,
2011.
World Bank, Inclusive Green Growth – The Pathway to Sustainable Development,
2012.
WWF, From crisis to opportunity. Five steps to sustainable European economies,
2015.
57
TABLE DES MATIÈRES
Résumé exécutif
5
Introduction
7
1.Les priorités pour renforcer la croissance en Europe
9
1.1 Contexte général : un déficit d’investissement ?
9
1.2 Faire face au déficit d’investissement en Europe
14
2. Le plan juncker pour l’investissement
21
2.1 La mécanique
23
2.2 Evaluation
24
3. Trois piliers pour une nouvelle Stratégie de développement
27
3.1 Premier pilier : promouvoir un agenda paneuropéen pour
l’investissement public
30
3.2 Deuxième pilier : promouvoir l’éducation et la recherche
32
3.3 Troisième pilier : l’achèvement du marché intérieur
37
4. Une declinaison de la strategie dans trois secteurs :
le numérique, les transports et l’énergie
39
4.1 L’Union numérique et des télécommunications
41
4.1.1 Les constats
41
4.1.2. Quelles solutions ?
41
4.2 L’Union des transports
43
4.2.1 Les constats
43
4.2.2 Quelles solutions ?
45
58
4.3 L’Union de l’énergie
46
4.3.1 Les constats
46
4.3.2 Quelles solutions ?
46
5. Intégrer tous les instruments dans la même Stratégie
48
5.1 Une politique monétaire favorable à l’investissement
49
5.1.1. Principes généraux
49
5.1.2. Un nouvel agenda pour la BCE
50
5.2 Une politique budgétaire et des normes comptables
qui renforcent la capacité d’investir
51
5.3 Une politique commerciale au service du modèle
de développement européen
52
Conclusion
54
59
Téléchargement