POLICY PAPER INVESTIR, POUR QUOI FAIRE ? AU-DELÀ DU PLAN JUNCKER Mai 2015 Eugenia Bardaro | Conseillère Cepess POLICY PAPER INVESTIR, POUR QUOI FAIRE ? AU-DELÀ DU PLAN JUNCKER Mai 2015 Eugenia Bardaro | Conseillère Cepess RÉSUMÉ EXÉCUTIF L’Europe souffre d’un déficit d’investissement. Depuis la crise financière de 2008, l’Europe est confrontée à une crise de sous-investissement qui pénalise lourdement le potentiel de croissance sur le moyen et le long terme. Alors qu’au cours des dernières années, la priorité a été accordée à la réduction des déficits publics et une diminution de l’endettement, la nouvelle équipe de la Commission européenne (CE) a mis haut dans l’agenda européen le renforcement de l’investissement au travers d’un plan d’investissement à hauteur de 315 milliards d’euros. D’un trait, elle a ainsi dépassé le discours Européen dominant basé sur la rigueur budgétaire et a allié le plan d’investissement à la possibilité d’appliquer avec plus de flexibilité les règles budgétaires européennes. Ce plan d’investissement est une bonne idée pour pallier au manque d’investissement en Europe. Toutefois, se concentrer sur la seule relance des investissements ne suffit pas. Il nous faut une plus grande ambition, un élan pour l’Europe. Nous proposons de mettre en place une Stratégie d’envergure qui a pour objectif de situer l’économie européenne à la pointe d’un nouveau type de développement porteur d’une meilleure qualité de vie pour tous. Cette Stratégie s’appuie sur trois piliers : les investissements, l’innovation - à travers en particulier l’éducation et la recherche - et la régulation du marché intérieur. Ces trois piliers doivent en effet jouer de concert : la relance des investissements dans des secteurs-clés doit s’appuyer sur une politique forte d’innovation, sur une plus grande harmonisation et régulation au niveau européen. Nous avons identifié trois secteurs stratégiques : l’économie numérique, le transport et l’énergie. Faire émerger l’Europe comme leader dans ces secteurs-clés est donc un enjeu essentiel tant pour l’avenir de l’économie que pour la qualité de vie des citoyens européens. Enfin, il convient que l’ensemble des instruments européens naviguent dans le même sens, en ce qui concerne la politique monétaire et commerciale mais surtout au niveau de la coordination budgétaire européenne. INTRODUCTION Depuis 2008, l’Union européenne (UE) est confrontée à une sévère crise économique entraînant une faible croissance, un chômage élevé, une augmentation du risque de déflation ; mais également des niveaux de compétitivité inégaux et une crise de l’investissement qui pourraient avoir des conséquences graves pour son avenir économique. Aujourd’hui, deux questions cruciales auxquelles il faut répondre prioritairement se posent : comment pouvons-nous sortir de la crise et comment pouvons-nous augmenter le potentiel global de production en Europe ? La nouvelle Commission européenne mise en place en 2014 a trouvé sa réponse : doper les investissements. C’est un réel changement de cap qu’a amorcé là la nouvelle équipe, tant l’équipe de Barroso insistait surtout sur la rigueur budgétaire et les réformes structurelles à mener dans les Etats membres. L’investissement semble donc être la solution optimale. Il est vrai que la relance des investissements présente de nombreux avantages, car elle stimule la demande sur le court terme et contribue également à augmenter le potentiel de croissance de l’économie à moyen terme. Les investissements d’aujourd’hui déterminent donc l’emploi et la croissance de demain. Aujourd’hui, la compétitivité et le potentiel de croissance durable à long terme de l’Europe sont pénalisés par un sous-investissement chronique dans des domaines-clés. La crise a affaibli la confiance, réduit l’investissement global et creusé encore le déficit structurel d’investissement. La clé de la relance de l’activité économique en Europe serait donc de doper les investissements. La nouvelle Commission a dès lors proposé de lancer un plan massif de relance des investissements, baptisé « plan JUNCKER » dans ce but. La présente étude analysera si cette réponse est adéquate par rapport à ses objectifs affichés, tant en niveau qu’en qualité. Car si le niveau d’investissements est important, il est encore plus important de s’interroger sur le type d’investissements dont nous avons besoin pour favoriser une croissance de qualité et durable en Europe. Certains secteurs ont une importance particulière à cet égard : nous les identifierons et expliquerons pourquoi. Enfin, la présente étude insiste également sur la nécessaire cohérence de l’action européenne en la matière. Si effectivement la relance des investissements est cruciale, il convient de mettre les différents instruments dont elle dispose en ordre de marche par rapport à cet objectif. Les politiques budgétaires, monétaires, de commerce, de régulation intérieure, d’investissements, d’innovation, de recherche et développement, d’éducation doivent être cohérentes entre elles et se fixer des objectifs convergents si l’on souhaite que l’on dispose d’un réel levier pour l’activité et l’emploi en Europe. 7 1.LES PRIORITÉS POUR RENFORCER LA CROISSANCE EN EUROPE 1.1 CONTEXTE GÉNÉRAL : UN DÉFICIT D’INVESTISSEMENT ? La croissance économique dans les 28 États membres de l’Union européenne, 1,3 % en 2014, reste bien en dessous de son niveau pré-crise à savoir un taux de croissance de 2,3 % (en moyenne entre 2000 et 2007). Dans la zone euro, en 2014, le taux de chômage se situait à 11,6 % en moyenne, soit quatre points de pourcentage de plus qu’avant la crise mondiale de 2008, tandis que près de la moitié des demandeurs d’emploi sont au chômage depuis plus d’un an et que les femmes et les jeunes sont affectés de manière disproportionnée. Entre les pays de l’UE, d’énormes disparités sont par ailleurs relevées avec des taux de chômage particulièrement élevés frappant notamment l’Europe du Sud. En 2014, le taux de chômage dépassait 24 % en Espagne et 26 % en Grèce. Selon les dernières prévisions de la Commission européenne (CE), European Economic Forecast1, au cours de 2015, l’activité économique devrait connaître une reprise modérée dans l’Union européenne et dans la zone euro, avant de s’accélérer de façon plus marquée en 20162. La situation de l’économie européenne reste néanmoins fragile. L’Europe souffre d’une croissance faible, mais aussi, plus inquiétant encore, son potentiel de croissance à long terme est en déclin. Depuis deux décennies, l’investissement a été trop faible, et ne s’est probablement pas orienté de la manière la plus judicieuse, sapant la productivité, le potentiel de croissance de l’Europe et a mis sa compétitivité en risque. Les États membres ont aujourd’hui cruellement besoin de doper leurs perspectives de croissance s’ils veulent créer de nouveaux emplois. Pour cela, il faut renforcer l’investissement en Europe, sachant que ce dernier est aujourd’hui trop faible. GRAPHIQUE 1 Taux de chômage en 2008 et 2014 5 L’Europe souffre d’une croissance faible, mais aussi, plus inquiétant encore, son potentiel de croissance à long terme est en déclin 2008 2014 30,0 26,5 24,5 25,0 20,0 15,0 11,6 10,2 10,0 7,6 7,0 12,7 11,3 7,0 8,5 7,8 7,4 5,0 6,7 4,1 5,0 5,6 5,8 6,2 4,0 3,6 0,0 e ro ne qu eu ag lgi e m e n e B Zo All EU 1 2 e èce gn Gr pa s E e is lie ich un r Ita t s Au Éta European Commission, European Economic Forecast, Winter 2015. European Investment Bank, Investment and Investment Finance in Europe, 2013. an Jap Source : Eurostat 9 GRAPHIQUE 2 Taux de chômage et taux de chômage des jeunes en 2014 (%) Taux de chômage 60,0 Taux de chômage des jeunes 53,2 52,4 50,0 42,7 40,0 30,0 20,0 26,5 23,7 22,2 23,2 11,3 10,2 10,2 24,5 8,5 11,6 10,0 13,4 12,7 8,5 5,0 10,3 7,7 5,6 6,2 3,5 3,6 0,0 EU e ne Zo Source : Eurostat uro e ne qu ag m e All B i elg ne èce ag Gr p Es Les dernières données3 de la Banque européenne d’investissement montrent que la crise économique a causé une diminution sans précédent de l’investissement en capital fixe dans l’UE4. Cette chute est telle qu’en 2013 le niveau d’investissement était de 16,9 % plus bas qu’en 20075. En Europe, au cours des 20 dernières années, les investissements et le PIB ont évolué simultanément tout au long du cycle économique. Entre 2008 et 2012, la chute de l’investissement a été plus forte que la diminution du PIB. Ita lie e ch tri Au is un s Éta an Jap En Europe, au cours des 20 dernières années, les investissements et le PIB ont évolué simultanément tout au long du cycle économique. Entre 2008 et 2012, la chute de l’investissement a été plus forte que la diminution du PIB. Des différences notables peuvent toutefois être notées entre les Etats membres de l’UE. Dans les pays les plus touchés par la crise, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Portugal et l’Espagne, la baisse des investissements a été encore plus forte. 3 European Investment Bank, Investment and Investment Finance in Europe, 2013. 4 Voir l’analyse faite par P. Maystadt, « Investissement et financement de l’économie européenne », in Chopin et M. Foucyher (eds.), Rapport Schuman sur l’Europe, l’état de l’Union, Lignes de Repères, 2014 5 European Investment Bank, op.cit. Aujourd’hui, la baisse est de 14% par rapport au niveau pré-crise. 10 GRAPHIQUE 3 Formation brute de capital fixe par région 110 GFCF - by region OMS : EU15 sans GIIPS GIIPS : Grèce, Irlande, Italie, Portugal, Espagne NMS : Nouveaux Etats membres OMS GIIPS NMS EU28 GFCF (012008-100) 100 90 80 70 60 3 Q4-201 3 Q1-201 4 Q3-201 2 Q4-201 2 Q1-201 3 Q2-201 3 Q3-201 Q1-200 Q1-200 7 Q2-200 7 Q3-200 7 Q4-200 7 Q1-200 8 Q2-200 8 Q3-200 8 Q4-200 8 Q1-200 9 Q2-200 9 Q3-200 9 Q4-200 9 Q1-201 0 Q2-201 0 Q3-201 0 Q4-201 0 Q1-201 1 Q2-201 1 Q3-201 1 Q4-201 1 Q1-201 2 Q2-201 2 Source : ECON, sur base des données Eurostat 6 Q2-200 6 Q3-200 6 Q4-200 6 50 Le capital fixe est l’ensemble des outils, équipements (y compris les infrastructures collectives comme les écoles ou les routes) et bâtiments (y compris bâtiments d'habitation) utilisés dans une économie donnée. La formation brute de capital fixe (FBCF) désigne les ajouts annuels à ce capital fixe effectués dans l'ensemble de l'économie ou dans chacun des secteurs institutionnels. Une partie de cet ajout est destinée à remplacer le capital fixe usé ou déclassé au cours de la même année : on appelle cette partie consommation de capital fixe. 11 de l’investissement privé que public. La faible croissance de l’investissement continue à miner la reprise économique dans ces pays Entre 2007 et 2011 l’investissement a baissé de 57% en Irlande, de 47% en Grèce et de 29% en Espagne. Comme le graphique ci-dessous le montre clairement, ces pays ont décroché de la tendance moyenne en 2008 et affichaient en 2013, un niveau d’investissement 42% plus bas que celui de 2007. Ces tendances sont particulièrement inquiétantes tant au niveau La Commission a calculé un déficit annuel d’investissement en Europe de 230 à 370 milliards d’euros par rapport au taux d’investissement à long terme (soutenable). EU-27 EL, ES, IE, PT GRAPHIQUE 4 Baisse de l’investissement total dans l'UE et dans les Etats les plus touchés par la crise 10 0 -10 -20 -30 -40 3 Q1-201 2 2 Q1-201 2 Q1-201 2 Q1-201 Q1-201 1 1 Q1-201 Q1-201 1 Q1-201 1 Q1-201 0 Q1-201 0 0 Q1-201 0 Q1-201 Q1-201 Q1-200 9 Q1-200 9 9 Q1-200 9 Q1-200 8 Q1-200 8 Q1-200 Q1-200 8 Q1-200 8 -50 Source: Eurostat GRAPHIQUE 5: Le retard d’investissement en Europe (Formation brute de capital fixe, EU-28, en prix 2013, en milliards d’EUR) 3,039 Écart par rapport au niveau viable 3,021 2,869 2,714 2,567 2,527 230 2,717 2,657 2,543 2,659 2,647 2,606 2,567 2,528 2,416 Source CE 12 2013 2012 2011 2010 2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000 1999 Source: CE 370 De même, Bruegel a calculé un déficit annuel d’investissement de 260 milliards d’euros par rapport à une tendance linéaire depuis 1970. Le déficit d’investissement dans le secteur de la construction à lui seul représenterait 100 milliards d’euros. GRAPHIQUE 6: L’investissement sans le secteur de la construction dans l’EU15 L’investissement total dans l’EU15 UE15 Tendance UE15 1.500 UE15 Tendance UE15 3.000 2.800 2014 2010 2006 2002 1998 1994 1990 1.000 1986 500 1982 1.200 1970 600 2014 1.400 2010 700 2006 1.600 2002 800 1998 1.800 1994 900 1990 2.000 1986 1.000 1982 2.200 1978 1.100 1974 2.400 1970 1.200 La baisse de l’investissement, suite à la crise financière mondiale, n’a pas concerné que l’Europe. Toutefois, cette chute fut deux fois 260 bn 2.600 1978 160 bn 1.300 1974 1.400 plus prononcée en Europe qu’aux Etats-Unis ou au Japon. GRAPHIQUE 7 : Variations de l'investissement et du PIB entre 2008 et 2012 dans l'UE, aux États-Unis et au Japon Source : Eurostat 13 Il est utile de préciser qu’au début de la crise, entre 2007 et 2009, la chute de l’investissement privé aux Etats-Unis a été plus prononcée qu’en Europe. Mais à partir de 2009 on a assisté aux Etats-Unis à la reprise de celui-ci tandis qu’il a continué à diminuer en Europe6. Il est aussi important de noter qu’aux Etats-Unis, les courbes des investissements privés et publics suivent des tendances différentes. Après 2009, l’investissement public est en baisse constante mais reste néanmoins supérieur à ce qu’il est en Europe à l’exception des nouveaux Etats membres. Au niveau international, c’est le Japon qui, tant au niveau des investissements publics que privés, semble le mieux résister aux conséquences de la crise. GRAPHIQUE 8: Investissements public et privé en Europe, aux Etats-Unis et au Japon Source: Eurostat 1.2 FAIRE FACE AU DÉFICIT D’INVESTISSEMENT EN EUROPE L’investissement est souvent le premier secteur sacrifié lorsqu’il faut diminuer les dépenses Comment peut-on relancer les investissements en Europe ? Afin de répondre à cette question, il est essentiel avant tout de comprendre les causes de ce déficit d’investissement. Il dépend de nombreux facteurs qui diffèrent selon que l’investissement soit public ou privé7. Pour l'investissement public, nous pouvons citer les contraintes budgétaires. L’investissement est souvent le premier secteur sacrifié lorsqu’il faut diminuer les dépenses. Pour l'investissement privé, une multitude de raisons sont recensées, parmi lesquelles : - le ralentissement de la demande8 ; - la baisse du taux de rentabilité ; - la présence de barrières réglementaires et de réglementations inadaptées ; - la pénurie d’offres de financement ; - l’incertitude quant aux orientations politiques futures ; - la fiscalité ; - les prix de l'énergie ; - … 6 N. Valla, T. Brand et S. Doisy, “A new architecture for public investment in Europe”, in CEPII Policy Brief n.4, Juillet 2014, p.2 7 Voir Maystadt, op. cit. 8 Sous-tendu aussi par 1. le surinvestissement dans les secteurs de l’immobilier en particulier dans certains états membres et 2.le surendettement de certains ménages et Etats. 14 La Task force9 de l’UE sur les investissements souligne dans son rapport10 l’existence en Europe d’un « large large éventail de barrières et goulots d'étranglement »11 et avance une série de recommandations pour y répondre, y compris la réduction de la réglementation, l’achèvement du marché unique et la mise en place de réformes structurelles. Ce dernier terme a souvent été utilisé pour désigner des politiques visant à réduire la protection du travail, la portée de la négociation collective et les salaires. Relevons néanmoins que la Task Force n’avance pas d’arguments probants démontrant que ces mesures peuvent effectivement contribuer à une augmentation de l’investissement. Selon la Task force, le déficit d’investissement privé est principalement dû à une « basse croissance de la demande »12, conduisant à des attentes de faible demande à l’avenir. Cette hypothèse semble confirmée par les enquêtes13 Business Surveys de la Commission européenne. En 2014, plus de la moitié des entreprises manufacturières ont dû faire face à des contraintes de production et 40% de celles-ci ont indiqué « l’insuffisance de la demande » comme un facteur limitant. Loin derrière étaient mentionnées les contraintes financières et une pénurie de main-d’œuvre (respectivement 9% et 7%)14. Si en moyenne 40% des entreprises ont limité leur production à cause de la demande, ce pourcentage dépasse 65% pour l’Espagne et 55% pour la France. A l’opposé, en Allemagne seulement 17% des entreprises déclarent avoir limité leur production à cause de l’insuffisance de la demande. GRAPHIQUE 9 : Pourcentage des entreprises obligées de limiter leur production à cause du manque de demande, pénurie de main-d’œuvre ou contraintes financières Source : EC Business Surveys, Q2 2014 9 La task force spéciale de l’UE sur les investissements était menée conjointement par la Commission européenne et la BEI et comptait des représentants de tous les États membres de l’UE. La task force a été mise à la demande des ministres de l’économie et des finances de l’UE, et elle a été chargée d’identifier des actions concrètes pour stimuler l’investissement, y compris une réserve de projets de portée européenne qui pourraient être viables et seraient réalisés à court et à moyen terme. Elle a été créée lors du Conseil Ecofin du 14 octobre 2014 et a présenté son rapport lors du Conseil européen du 18 et 19 décembre. 10 Special Task force on Investment in the EU, Final Task Force Report, 2014. 11 Ibid. p. 5 12 Ibid. p.8 13 Http://ec.europa.eu/economy_finance/db_indicators 14 Commission européenne, 2013, pp. 8-9 15 5 GRAPHIQUE 10: Pourcentage des entreprises obligées de limiter leur production à cause du manque de demande, pénurie de main-d’œuvre ou contraintes financières dans certains pays 70 DEMANDE TRAVAIL FINANCE 65,4 60 40 55,5 39 50 40 36 30 26,6 17 17 20 8,6 6,4 7 8 10 4 C’est donc par la stimulation de l’investissement productif que l’économie peut être relancée e Ces éléments confirment que nous traversons dans une large mesure une crise de la demande, et ce déficit de demande est le facteur prépondérant dans certains Etats membres. Le problème conjoncturel n’est pas tant l’accès au capital que la relance et les opportunités d’investissements. C’est donc par la stimulation de l’investissement productif que l’économie peut être relancée. Pour restaurer le climat de confiance, un plan d’investissement public pourrait apporter 5 7,6 2,2 0,5 e èce Gr e li Ita nc Fra 10 5,9 1 0,7 0 e agn m e All 10 9,5 9 gn pa Es al g rtu Po une contribution significative. En ce qui concerne le taux de rentabilité des investissements, bien qu’il ait considérablement baissé dans l'UE, de grandes différences sont observées entre les différents Etats membres. Les rendements ont été plus faibles en Grèce, Slovénie, Italie et Portugal et plus élevés dans les nouveaux États membres d’Europe orientale. Les secteurs les plus touchés par le surinvestissement, tels que la construction, ont connu la plus forte baisse de rentabilité. 2005-2007 GRAPHIQUE 11: Rendements nominaux annuels sur l’investissement dans les pays de l’UE (en%) 2008-2011 25 20 39 15 10 17 5 0 EL Source : BEI 16 PT IT SL FR UK DE ES FI IE PL HU BG La crise de l'investissement est aussi liée à des déséquilibres structurels antérieurs. Dans la période qui a précédé la crise, certains pays ont connu une augmentation insoutenable de leur endettement auprès de sources à la fois nationales et étrangères. Cela a conduit à une consommation excessive et au surinvestissement dans des secteurs tels que l'immobilier. Le surinvestissement dans la construction résidentielle a été une des causes principales des difficultés rencontrées par certains Etats membres notamment l'Espagne et l'Irlande. La surcapacité a contribué à de faibles rendements, décourageant ainsi l'investissement. Toutefois, comme Philippe Maystadt15 le constate, cela n’explique pas la chute de l’investissement dans d’autres secteurs. GRAPHIQUE 12: Investissement dans le logement dans l’UE (% PIB) Source : AMECO Quel est le rôle de l’investissement public ? Une autre question importante est de savoir si l’investissement public a joué un rôle dans l’atténuation de la baisse de l’investissement total. Comme l’indique Natacha Valla16, le volume d’investissement public dans la zone euro était, en 2013, deux fois inférieur à celui des Etats-Unis : 2% contre 4% du PIB. Mais la baisse de l’investissement public n’est pas nouvelle. L’investissement public dans les principaux pays avancés a été caractérisé par une tendance à la baisse. Depuis les années 1970, le ratio de l’investissement public par rapport au PIB a diminué 15 16 17 2014/2. en trois étapes successives - dans les années 1980, au milieu des années 1990 et à la suite de la crise de 2008 -, coïncidant avec des périodes de forte consolidation budgétaire. Toutefois, dans 4 pays de la zone euro – la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal - et dans les 12 Etats membres qui ont adhéré à l’UE entre 2004 et 2007, on relève une aug- mentation progressive de l’investissement public entre 1995 et 200917. Le graphique 12 montre l’évolution de l’investissement public de 1970 à 2014 et la déviation de la tendance. P. Maystadt, op.cit. p.68. N. Valla, T. Brand et S. Doisy, op.cit. p.3. F. Barbiero, In sickness and in health: protecting and supporting public investment in Europe, Bruegel, 17 L’investissement public dans les principaux pays avancés a été caractérisé par une tendance à la baisse GRAPHIQUE 13 EA12: Euro Area Croissance potentielle La croissance potentielle est le niveau maximal de croissance compatible avec une absence de tension sur le marché des biens et services et sur celui du travail. Il correspond à l’utilisation optimale des facteurs de production, sans entraîner d’inflation. L’écart entre la croissance potentielle et la croissance réelle s’appelle l’output gap. Une croissance réelle supérieure à la croissance potentielle est signe de tensions inflationnistes sur les prix et les salaires. Nous constatons que dans la zone euro, l’investissement public a augmenté sensiblement en 2009 au-dessus de la tendance 1970 - 2005 mais a ensuite fortement baissé, donnant lieu au sous-investissement actuel de 25 milliards d’euros. Nous pouvons donc en déduire que l’investissement public ne contrecarre pas le problème de l’investissement en Europe18. Il est important de considérer la complémentarité des investissements publics et privés. Pour Olivier Marty19, la baisse de l’investissement privé peut conduire à une diminution 18 19 20 18 des stocks de capital. La chaîne de production en est perturbée et la production baisse. La croissance potentielle peut en être affectée, l’emploi aussi. La baisse de l’investissement public a également des conséquences négatives sur la croissance potentielle. Selon Natacha Valla, une augmentation de l’investissement public dans la zone euro comporte une hausse continue de la production et du stock de capital d’autant plus forte qu’il est initialement élevé20. G. Claeys, P. Hutti, A. Sapir and G. B. Wolff, Measuring Europe’s investment problem, Bruegel, novembre 2014. O. Marty, « Pour une relance de l’investissement en Europe», Question d’Europe n. 325, Fondation Robert Schumann, septembre 2014. N. Vali, op. cit, p. 4. L’investissement public agit en effet à court terme sur la demande, mais contribue aussi à augmenter L’investissement public est nécessaire à la le potentiel de fois pour fournir un stimulus immédiat de croissance de Pour L. Summers, la relance par l’investisse- la demande et parce que, sur le long terme, l’économie L’investissement public agit en effet à court terme sur la demande, mais contribue aussi à augmenter le potentiel de croissance de l’économie. Ce qui est crucial, c’est l’effet de stimulation sur l’investissement privé grâce à la hausse de la productivité engendrée par les investissements en infrastructure, en R&D et en capital humain. L’économiste américain J. K. Galbraith a proposé un « New Deal européen » fondé sur le financement par la Banque européenne d’investissement (BEI) de grands travaux d’infrastructures et le soutien aux PME innovantes à hauteur de 8% du PIB de la zone euro25. ment public est un levier puissant pour sortir les économies de la stagnation séculaire21. L’Etat doit intervenir pour générer l’investissement dont manque l’économie mondiale et l’épargne excessive peut alors être directement utilisée pour financer l’investissement public22. Quelles solutions ? Il existe désormais un quasi-consensus sur le besoin au niveau de l’UE d’un grand programme d’investissement public et privé capable de tirer la croissance européenne. Dans le rapport Fiscal Monitor d’avril 2014, le FMI souligne que les pays avancés devraient augmenter leur niveau d’investissement public de 2 points de PIB d’ici 2030 afin de stabiliser leur niveau de stock de capital23. D’autre part, la Confédération européenne des Syndicats a proposé un plan de relance de l’investissement de 2% du PIB pour une durée de 10 ans24. tous les pays ont besoin d’investissements notamment dans les infrastructures, l’éducation, la formation et la recherche, l’innovation et les nouvelles technologies. Pour le Fonds Monétaire International, « il y a des arguments solides qui plaident en faveur d’un accroissement de l’investissement dans les infrastructures publiques »26. L’infrastructure est le fondement de l’activité économique. Le renforcement des réseaux de transport, d’énergie, de télécommunication accroît la compétitivité de l’économie, stimule l’investissement privé et augmente le potentiel de croissance de nos économies. Par contre, les déficits d’infrastructures entraînent des besoins à venir encore plus importants, ils pèsent sur la qualité de vie des populations et posent des difficultés considérables au fonctionnement des entreprises. 21 L. Summers, “U.S. Economic Prospects: Secular Stagnation, Hysteresis, and the Zero Lower Bound”, Business Economics, Vol. 49, No. 2, National Association for Business Economics, 2014. 22 L. Summers, « Why public investment really is a free lunch », in Financial Times, 6 octobre 2014. 23 FMI, Fiscal Monitor, avril 2014, p.36. 24 European Trade Union Confederation, A new path for Europe: ETUC plan for investment, sustainable growth and quality jobs, 2013. 25 J. K. Galbraith, S. Holland, Y. Varoufakis, Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro, les petits matins, 2014. 26 FMI, Worlds Economic Outlook, Octobre 2014. 19 Pourquoi stimuler l’investissement maintenant ? Dans les pays qui ont besoin d’infrastructures, le moment est propice à une relance des investissements dans ce domaine27. Les taux d’intérêt souverains sont historiquement faibles dans de nombreux pays de la zone euro, de nombreux investissements publics peuvent avoir un rendement économique supérieur au coût de leur financement. Le constat du déficit d’investissement ne doit pas nous faire retenir l’hypothèse selon laquelle « plus d’investissement est toujours mieux L’étude28 du FMI constate que la hausse des investissements publics d’infrastructures donne un surcroît de croissance et de recettes fiscales par à un effet multiplicateur. Cette impulsion compense l’augmentation de la dette publique et n’entraîne pas, dans ces circonstances, un rapport dette/PIB croissant. Un accroissement de 1% du PIB des dépenses d’investissement a un effet positif de 0,4% sur le niveau de production la première année et de 1,5% quatre ans après. Selon le FMI, l’impact d’une relance de l’investissement public est maximum29 lorsque : -L’économie est en bas de cycle et la politique monétaire accommodante, cette dernière limitant la hausse des taux d’intérêt face à l’accroissement de l’investissement. -L’investissement public est très efficient et le surcroît de dépenses publiques d’investissement est alloué à des projets ayant un taux de rendement élevé. -L’investissement public est financé par endettement et non par une augmentation d’impôts ou la réduction d’autres dépenses, les deux options entraînant des baisses similaires du ratio dette publique/PIB. La zone euro réunit toutes les conditions macroéconomiques pour qu’une relance de l’investissement public ait un impact maximum sur le PIB pour autant que le niveau d’endettement soit préalablement stable ou en baisse. Il est donc crucial pour l’Europe de répondre maintenant à son déficit d’investissement via un vaste programme d’investissements publics et privés. Une impulsion publique est nécessaire et, pour les raisons que nous venons d’évoquer, il convient de commencer par relancer ce dernier. Toutefois, le constat du déficit d’investissement ne doit pas nous faire retenir l’hypothèse selon laquelle « plus d’investissement est toujours mieux ». Cela suggèrerait qu’il suffit de remplir l’écart afin de résoudre tous les problèmes. Bien souvent, la question de la qualité de l’investissement n’entre pas en compte dans les analyses du déficit d’investissement. Pourtant, il s’agit là d’une question déterminante. Il ne faut pas nécessairement investir plus mais investir mieux et dans des secteurs stratégiques. L’étude du FMI précise que si l’investissement est inefficient, la hausse de l’investissement public peut donner lieu à des gains de production limités et que le ratio dette publique/ PIB risque d’augmenter. Il est donc crucial de choisir des projets performants et investir de manière efficiente notamment en améliorant les processus d’évaluation, de sélection et d’exécution des projets et par des analyses coûts–bénéfices rigoureuses. Multiplicateur keynésien Dans l'analyse keynésienne, l’effet multiplicateur désigne le fait que la réalisation d'un investissement engendre un flux de dépenses qui, en se répandant dans l'économie, donnent naissance à des revenus qui, en étant eux-mêmes dépensés, engendreront un flux successif de demandes additionnelles. 27 Ibid. pp. 75-77. 28 FMI, op. cit. 29 Selon le FMI, en bas de cycle, un choc des dépenses publiques d’investissement augmente le niveau de production d’environ 1,5 % la même année, et de 3 % à moyen terme. En cas d’efficacité haute de l’investissement, un accroissement d’un point du PIB des dépenses d’investissement accroît la production d’environ 0,8% la même année, et de 2,6% après quatre ans. En cas d’investissements publics financés par l’emprunt, une augmentation de 1 point de PIB relève le niveau de production d’environ 2,9 % quatre ans après. 20 2. LE PLAN JUNCKER POUR L’INVESTISSEMENT 2. LE PLAN JUNCKER POUR L’INVESTISSEMENT 2.1 LA MÉCANIQUE La stratégie européenne pour sortir de la crise, impulsée par la nouvelle équipe de la Commission, se base sur un triptyque : 1) assainir les comptes publics ; 2) mettre en œuvre des réformes structurelles pour relancer l’économie ; 3) combler le manque d’investissements. Les deux premiers éléments – consolidation budgétaire et réformes structurelles – ne sont pas nouveaux et représentent les éléments-clés de la politique européenne développée dans les dernières années. L’élément de changement est la volonté de relancer la croissance au travers des investissements. Liée à ce plan d’investissement est la flexibilité créée, pour les investissements stratégiques, au premier objectif. La remise en ordre des comptes permettra désormais de se faire moins fort moins vite pour permettre un soutien fiscal ‘keynésien’ à la demande. Fin novembre 2014, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé devant le Parlement réuni à Strasbourg les grandes lignes du « plan d’investissement pour l’Europe »30. Ce plan repose sur trois piliers : (i) la mobilisation de fonds européens via le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) ; (ii) la mise en place d'un pipeline de projets au niveau de l'UE et le renforcement de l'assistance technique ; (iii) l'amélioration des conditions pour les investissements31. Selon le Président de la Commission, il devrait permettre, grâce aux fonds publics mobilisés et à l’effet de levier que celui susciterait, de lever 315 milliards d’euros (2,5% du PIB de l’UE, 0,8% par an) sur trois ans (2015-2017) pour des investissements nouveaux. Juncker a le mérite d’avoir pris la bonne direction en prenant à bras le corps l’enjeu de l’investissement et de la croissance en Europe. Ce plan représente une volonté d’agir au niveau européen pour relancer l’économie de l’UE. En plus, le timing est bon car les conditions sont réunies pour permettre de relancer la demande à court terme et d’améliorer notre potentiel de croissance à long terme. Ce plan a aussi le mérite de se focaliser sur des secteurs stratégiques européens vecteurs de croissance potentielle : énergie, transport, numérique, éducation, recherche et innovation. Environ un quart des financements seront circonscrits dans un fond d’investissement pour les PME et les entreprises de capitalisation moyenne de moins de 3.000 salariés. Le plan Juncker ouvre une possibilité d’assouplir les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance car il prévoit la neutralisation des contributions des Etats membres au FEIS. En ce qui concerne le FEIS, il sera doté d’une garantie de 21 milliards d’euros de fonds publics : 16 milliards d’euros en provenance du budget de l’UE et 5 milliards d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui apportera également son expertise dans la sélection des projets. Afin d’arriver au total promis de 315 milliards d’euros, le plan repose fondamentalement sur la mobilisation d’un montant supplémentaire de 294 milliards d’euros d’investissement privé. Cela implique de lever 15 euros en argent privé pour chaque euro d’argent public engagé. 30 J-C. Juncker, « Investir en Europe » discours du Président Juncker devant le Parlement européen, réuni en plénière, sur le plan d’investissement de 315 milliards d’euros, Strasbourg, 26 novembre 2014. 31 Commission européenne, Un plan d’investissement pour l’Europe, COM/2014/0903 final. 23 2.2 EVALUATION Si l’on veut que ce plan ait un réel impact sur l’économie, il doit engendrer des investissements supplémentaires et ne pas se substituer à des investissements prévus L’efficacité de ce plan repose sur la qualité des projets qui seront financés Le plan Juncker représente un pas dans la bonne direction pour pallier au manque d’investissement dont pâtit aujourd’hui l’Europe et au recul marqué de l’investissement public. Toutefois, avec un apport public très limité, ce plan semble insuffisant pour sortir l’économie européenne de la stagnation, stimuler durablement la croissance et répondre aux enjeux économiques d’aujourd’hui et de demain. Par rapport à ce défi majeur qu’est le manque d’investissements, il aurait probablement fallu un engagement plus fort et une volonté politique plus ambitieuse. Le budget de l’Europe, alimenté par les Etats membres, n’a pas plus de moyens. La Commission a fait donc au mieux et invite les Etats membres à emboiter le pas et utiliser leurs moyens budgétaires considérables pour relancer l’investissement. du comité de sélection des projets seront importantes afin de sélectionner les projets « supplémentaires ». Il s’agit là d’une question déterminante. L’efficacité de ce plan repose donc sur la qualité des projets qui seront financés. Par ailleurs, nous relevons que, en réalité, les fonds publics de l’UE alloués au FESI, soit 8 milliards d’euros prévus au budget (sur une garantie appelable totale de 16 milliards), ne sont pas de l’argent nouveau. Ils sont issus d’autres parties du budget européen. La Commission indique que ces 8 milliards d’euros proviendront du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (3,3 milliards d’euros), du programme « Horizon 2020 » (2,7 milliards d’euros) et de lignes budgétaires réallouées (2 milliards d’euros). Par ailleurs, la Commission table sur un effet multiplicateur très important. Ce multiplicateur semble surestimé et par conséquent la cible de 315 milliards est trop optimiste. Selon une étude de NATIXIS32, tabler sur 130 à 190 milliards sur trois ans semble plus raisonnable (un levier moyen de 2-3). Plus encore que le fait qu’il ne s’agisse pas de fonds nouveaux, l’origine de la substitution surprend également. Les fonds proviennent en effet des deux programmes qui ont probablement le plus grand potentiel d’impact économique sur la croissance : le premier vise le renforcement des interconnexions dans le domaine des transports, des télécommunications et de l’énergie; le second vise la recherche et l’innovation. Cette substitution sous-entend que la Commission considère que le coût d’opportunité de ces budgets sera plus faible que le rendement attendu de leur nouvelle affectation34. En fait, selon la Commission, les sommes prises à ces programmes et versées au FEIS permettront de bénéficier de son multiplicateur (x15) et donc de financer bien plus de projets de recherche et d’infrastructure énergétique. Cette substitution budgétaire a également d’autres conséquences. En effet, elle implique également un changement de priorités dans le type d’investissements réalisés. En somme, on peut financer bien plus mais uniquement des projets qui présentent un retour rapide (rentabilité) permettant de rembourser le Si l’on veut que ce plan ait un réel impact sur l’économie, il doit engendrer des investissements supplémentaires et ne pas se substituer à des investissements prévus. Pourtant, des doutes existent sur la capacité de ce plan à déclencher en trois ans autant d’investissements additionnels si les ressources publiques engagées ne sont pas plus importantes. Pouvons-nous être sûrs que les projets qui seront sélectionnés n’auraient pas été financés sans ce plan d’investissement européen? Si les critères d’éligibilité se font avant tout sur des critères de rentabilité, le plan Juncker est peu susceptible de générer des investissements nouveaux. Claeys, Sapir et Wolff ont mis en évidence ce problème d’investissements supplémentaires33. Ils soulignent à quel point l’expertise et l’indépendance 32 T. Cézanne, A. Lemangnen, Natixis, Plan Juncker pour l’investissement : un nouvel acronyme ! Special report, N. 147. Novembre 2014. 33 G. Claeys, P. Hutti, A. Sapir and G. B. Wolff, op.cit., 2014 34 Reinhilde Veugelers, The Achilles’ heel of Juncker’s investment plan, Bruegel, 2014. 24 financement. Donc le financement de projets sans ‘retour’ est diminué pour permettre 15x plus de financements de projets avec ‘retour’. La rentabilité des projets prend désormais une place prépondérante. Ceci explique que les efforts entrepris pour développer des transports d’avenir dans le cadre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe et des projets innovants au travers d’Horizon 2020 soient mis de côté, au profit de projets autoroutiers et de projets de recherche plus proche des applications commerciales. Le critère de rentabilité risque de privilégier des investissements routiers à détriment du rail ou du fluvial qui sont pourtant, des secteurs-clés d’une relance européenne durable. Dans le plan Juncker, il faudrait avoir une vision plus large de la rentabilité qui puisse tenir compte des externalités positives des investissements qui présentent des coûts importants mais dont les bénéfices sont bien souvent partagés entre Etats membres. La recherche de la rentabilité élevée risque aussi de concentrer ces investissements dans des pays qui ont une situation économique meilleure alors que ce sont les pays du Sud de l’Europe qui ont le plus besoin d’une relance. Le Plan Juncker ne prévoit pas de répartition géographique. Le Comité de sélection devrait veiller à ne pas concentrer les investissements dans quelques pays jugés « sûrs ». Enfin, le troisième volet du plan d’investissement est de nature réglementaire. Il s’agit de lever les obstacles à l’investissement et de renforcer encore le marché unique de manière à multiplier les effets du plan et à rendre l’Union européenne plus attractive. Le troisième volet est donc un élément déterminant pour recréer la confiance et pousser le secteur privé à investir. Renforcer le marché unique en veillant à une plus grande harmonisation des réglementations (pensons à l’exemple classique de l’élargissement des rails de chemin de fer) et par ce biais lever les obstacles à l’investissement est un objectif essentiel pour l’UE. Toutefois, l’amélioration 35 de la règlementation ne peut en aucun cas induire un affaiblissement de la santé et de la sécurité des travailleurs, ce à quoi risque de mener les propositions de la Commission dans le cadre du programme REFIT. Ce troisième volet réglementaire, présenté comme particulièrement important pour atteindre les objectifs du plan, est paradoxalement le moins détaillé. Pour l’instant il n’y a pas eu d’action concrète concernant ce pilier. Ceci est à nouveau un élément qui risque de limiter l’effet multiplicateur attendu du plan Juncker. La communication de la Commission du 26 novembre 2014 évoque trois pistes en termes très généraux : -l’amélioration des réglementations européennes et nationales, la réduction des charges administratives ou encore une amélioration de l’efficacité de la dépense publique ; -de nouvelles sources de financement à long terme, y compris des mesures visant à créer une union des marchés de capitaux ; -la suppression des obstacles à l’investissement dans le marché unique. Dans ses conclusions, le Conseil européen du 18 décembre 2014 évoque plus spécifiquement l’Union de l’énergie et le marché unique numérique. Les éléments concernant la recherche et l’innovation sont remarquablement faibles dans le plan. Le plan mentionne que pour stimuler la recherche et l’innovation, la compétitivité de l’UE bénéficierait « d’une diminution des obstacles au transfert des connaissances, d’un libre accès à la recherche scientifique et une plus grande mobilité des chercheurs »35. En revanche, il n’offre pas de nouvelles idées concrètes sur la façon d’améliorer cela. Or, l’attractivité de l’Europe repose sur sa capacité d’innovation, et la recherche scientifique est à cet égard cruciale. Ce troisième volet est certes ambitieux, mais s’apparente surtout, tout au moins pour l’instant, à une déclaration d’intention. Il est donc urgent de prendre des initiatives à ce niveau Commission européenne, op.cit., 2014, p.17 25 La rentabilité des projets prend désormais une place prépondérante et de faire preuve d’un engagement crédible Le plan pour améliorer le climat d’investissement. Juncker doit s’accompagner Enfin, se pose la question : et après ? Le d’une stratégie plan Juncker a une durée de vie de trois ans d’envergure seulement. La Commission a d’ores et déjà proposé de le rendre pérenne. Le Conseil et le Parlement négocient sa pérennité moyennant une revue après trois ou quatre ans. Des interrogations subsistent quant à l’articulation de ce plan d’investissement aux instruments que l’Union européenne a établis. De tels instruments existent déjà pour soutenir l’investissement dans les réseaux énergétiques, les infrastructures de transports durables ou encore la rénovation des bâtiments. Le plan Juncker doit s’accompagner d’une stratégie d’envergure. 26 3. TROIS PILIERS : UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT POUR L’EUROPE 27 3. TROIS PILIERS POUR UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT Nous avons analysé dans la section qui précède pourquoi la relance des investissements était cruciale pour l’avenir de l’activité économique européenne, en quoi le plan Juncker s’inscrivait dans cet objectif mais également quelles en étaient les limites. Plus fondamentalement, nous défendons ici l’idée que se concentrer sur la seule relance des investissements ne suffit pas. Il faut se doter d’une stratégie d’envergure, qui a pour objectif de situer l’économie européenne à la pointe d’un nouveau type de développement, capable de se donner du souffle et d’être porteur d’une meilleure qualité de vie pour tous. La Stratégie EU2020, actuellement en cours de révision, était conçue à l’origine tant pour coordonner les politiques socio-économiques des États membres que pour promouvoir la convergence socio-économique dans l’UE comme peuvent en témoigner ses cinq objectifs. Elle est mise en œuvre et contrôlée dans le contexte du Semestre européen. Comptetenu de la crise économique, la dimension sociale de cette stratégie a été marginalisée. L’UE a besoin d’une nouvelle stratégie de développement à moyen terme, cohérente et holistique capable d’orienter son action vers des objectifs partagés, en surmontant les résistances nationales et le climat de doute et de défiance, et de créer les meilleures conditions pour l’emploi, la croissance et le bienêtre dans chaque Etat membre. Cette nouvelle stratégie doit viser avant tout à mettre fin à la politique de l’austérité aveugle, agir en faveur de l’innovation, de la recherche et du développement, et placer l’investissement au cœur de l’agenda politique européen. Elle doit également encourager la stimulation d’une économie plus humaine par une réorientation de la production et de la consommation encourageant la transition vers un modèle éco-efficient, source de création d’emplois décents et de croissance. Cette nouvelle stratégie devrait reposer sur trois piliers : -le pilier de l’investissement ; -le pilier de l’innovation, au travers de l’éducation et de la recherche ; -le pilier du marché intérieur. Nous pensons en effet que l’articulation entre ces trois piliers est indispensable pour développer une Stratégie cohérente et équilibrée. Doper les investissements doit se situer à tous les niveaux, tant privés que publics, tant au niveau européen qu’à celui des Etats membres, comme nous l’avons développé à la section précédente. Assurer une meilleure régulation intérieure, certainement pas pour abaisser les normes d’application mais plutôt pour veiller à leur harmonisation et leur meilleure cohérence, et donner ainsi la capacité aux entreprises de se déployer plus largement sur l’espace européen, multiplie les incitants à l’investissement mais aussi à l’innovation. L’intégration de la dimension « innovation » en tant que pilier en tant que tel de la Stratégie est essentielle, non seulement pour être aux avant-postes des avancées technologiques et, par voie de conséquence, des gains de productivité possibles dans les différentes activités, mais aussi et surtout pour orienter ces sources d’innovation vers des domaines porteurs du développement économique et social que nous portons de nos vœux : un développement humain, attaché au développement d’activités nouvelles porteuses de qualité de vie pour les citoyens européens. L’innovation ne concerne pas uniquement les produits, mais également les modes 29 L’UE a besoin d’une nouvelle stratégie de développement à moyen terme, cohérente et holistique capable d’orienter son action vers des objectifs partagés Une vision stratégique permettrait aussi de hiérarchiser les projets et d’orienter les investissements européens en fonction des ces priorités d’organisation des activités économiques. La nouvelle dynamique économique européenne, en particulier en ce qui concerne les activités industrielles, ne peut reposer que sur des entreprises innovantes et économes en ressources. Si l’Europe veut atteindre un modèle de croissance « inclusive et durable », elle doit inciter ses entreprises à une utilisation efficaces des ressources. Cet objectif est bénéfique tant pour l’environnement que pour notre économie. L’Europe est plus dépendante des ressources importées que toute autre région du monde. Au total, 40% des matériaux utilisés dans l’UE sont importés. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé pour certaines ressources stratégiques. A titre d’exemple, 92% du phosphore, essentiel pour notre agriculture, est importé notamment de la Russie, la Syrie, le Maroc et la Tunisie. De nouveaux modèles économiques tels que l’économie circulaire36, l’économie de la fonctionnalité37 ou la symbiose industrielle38 doivent être encouragés. L’amélioration de l’efficacité dans l’utilisation des ressources passe par un détachement de l’économie linéaire actuelle, basée sur un modèle de production et consommation, consistant à extraire, fabriquer, utiliser et jeter. Dans une économie circulaire, tous les matériaux utilisés dans la fabrication d’un produit sont récupérés, traités, recyclés et réintégrés au maximum dans le cycle de production sous forme de matières premières secondaires et/ou d’énergie. L’Europe se doit de jouer un rôle de leader dans ces évolutions. Le WWF39 défend ainsi que l’efficacité des ressources à elle seule pourrait générer chaque année l’équivalent du plan d’investissement Juncker de plus de 300 milliards d’euros et jusqu’à 20 millions d’emplois d’ici 2020. Sans se prononcer sur la validité de ces chiffres, cela indique qu’il y a clairement un potentiel majeur dans ces évolutions. Enfin, relevons que l’articulation entre ces différents piliers et structurée autour de secteurs-clés est de nature à définir cette « véritable stratégie industrielle européenne » souvent invoquée dans de nombreux débats mais rarement identifiée et, surtout, mise en œuvre. 3.1 PREMIER PILIER : PROMOUVOIR UN AGENDA PANEUROPÉEN POUR L’INVESTISSEMENT PUBLIC Pour mettre en œuvre le premier pilier de cette Stratégie nouvelle que nous appelons de nos vœux, il est urgent de définir une stratégie européenne d’investissement public. Si les efforts de consolidation budgétaire doivent être poursuivis, l’attention réservée à la seule réduction de l’investissement public force à une vision à court terme qui crée une spirale négative et empêche une réelle opération de relance de l’économie. Pour cette raison, nous proposons des outils pour stimuler l’investissement public. Les outils développés dans le cadre de la gouvernance économique et du Semestre européen, tels que les recommandations spécifiques par pays (RSP), peuvent être mobilisés. Nous proposons notamment d’inclure une recommandation demandant l’instauration d’un niveau minimum d’investissements publics à maintenir sur le moyen terme. Le niveau devrait varier en fonction de chaque Etat membre. Nous proposons également un programme d’investissement stratégique d’intérêt européen. Pourquoi au niveau européen ? Tout simplement parce que seule une initiative européenne accompagnée d’une vision à long terme pourra garantir la reprise durable de l’investissement. Cela suppose que nous ayons une vision partagée de l’avenir de l’Europe, s’agissant notamment de la création de valeur et de la restauration de la compétitivité. Une vision stratégique permettrait aussi de hiérarchiser les projets et d’orienter les investissements européens en fonction des ces priorités. Pour entrer dans cette catégorie, Philippe Maystadt40 avance l’idée d’un investissement public qui devrait satisfaire simultanément trois critères : 36 Commission européenne, Vers une économie circulaire : programme zéro déchet pour l’Europe, COM(2014)0398. 37 L’économie de la fonctionnalité vise à remplacer l’achat d’un produit par sa location. L’exemple typique est celui d’un constructeur de pneus qui ne vend pas des pneus mais des kilomètres parcourus. 38 Dans le cas d’une symbiose industrielle, les producteurs collaborent en vue d’une utilisation mutuelle de leurs sous-produits. Le parc industriel de Kalundborg, au Danemark, est une référence mondiale dans la matière. Le concept repose sur la gestion raisonnée des matières premières et des déchets entre 39 WWF, From crisis to opportunity. Five steps to sustainable European economies, 2015. 30 1) un critère d’intérêt européen : l’investissement contribue à la réalisation d’un ou plusieurs objectifs de l’Union européenne et présente un caractère transnational ; 2)un critère de rentabilité économique : l’investissement doit atteindre un niveau minimum d’ERR (economic rate of return), calculé selon la méthodologie développée par la Banque européenne d’investissement (BEI) ; 3)un critère de soutenabilité : l’investissement doit faire appel aux technologies les plus avancées pour limiter la consommation de ressources naturelles et l’émission de gaz à effet de serre. Nous proposons que la définition et la coordination du programme européen d’investissement soient confiées à la BEI qui dispose de l’expertise technique nécessaire. Les autorités nationales et la Commission européenne peuvent veiller au respect de ces critères. Ces investissements publics prioritaires n’entreraient pas en compte pour l’application de la règle de réduction de la dette (cfr. infra). Dans quels secteurs faut-il investir ? Les axes stratégiques prioritaires doivent être identifiés à partir de domaines transversaux communs aux Etats membres : -la transition énergétique ; -la révolution numérique ; -la politique européenne de transport. L’Europe a besoin d’investissements dans les réseaux de l’énergie, de la recherche, de l’innovation et du développement et dans le secteur des télécommunications afin de créer un marché unifié et faire face aux grands enjeux numériques. Investir dans ces secteurs stratégiques doit être une priorité pour l’Europe. Sans investissements, l’Europe risque de rester à la traîne dans plusieurs secteurs-clés. Certains Etats membres ne pourront par ailleurs pas combler leur retard sans un plan 40 2014. d’investissement global et intégré. Les investissements européens devraient également être utilisés pour lutter contre la crise dans les pays où l’investissement s’est effondré. Ce serait non seulement un signe de solidarité, mais également un garant de la croissance à long terme de l’activité. Poursuivre le développement économique des pays les mieux portant en oubliant les pays qui ont le plus souffert de la crise s’apparente en effet à vouloir courir un marathon à cloche-pied. Comment financer ces investissements ? Pour financer ces investissements, différents outils complémentaires peuvent être mis en place, tant au niveau des Etats-membres qu’au niveau européen : Recourir aux project bonds. Ces obligations sont émises par des entreprises privées ou publics pour réaliser de grands projets d’investissements et bénéficient d’une forme de garantie de la BEI susceptible d’attirer les capitaux. (compagnies d’assurance, fonds de pensions, fonds souverains,…). Cette formule basée sur le partage du risque offre également des solutions de financement dont peuvent se saisir les Etats membres. Renforcer le budget de la zone euro, alimenté par des ressources propres. Ce budget pourrait être financé par une lutte beaucoup plus efficiente menée au niveau européen contre les paradis fiscaux et via une harmonisation fiscale. En Europe, chaque année, la fraude et l’évasion fiscales feraient perdre 1.000 milliards d’euros aux autorités publiques. En Belgique, cela représente 20 milliards d’euros (entre 60 et 80 milliards en France). Une lutte beaucoup plus efficace contre la fraude et l’optimalisation fiscale menée au niveau européen permettrait de renforcer les ressources fiscales des Etats membres dont une partie serait reversée au Budget européen. Ce renforcement du budget européen permettrait à l’Europe de se doter d’une capacité d’emprunt et de pouvoir donc mener une politique d’investissement cohérente et globale. P. Maystadt, « Relancer l’investissement », Question d’Europe, Fondation Robert Schuman, n.337, décembre 31 Les investissements européens devraient également être utilisés pour lutter contre la crise dans les pays où l’investissement s’est effondré L’évasion fiscale consiste à éviter ou réduire l’impôt en déplaçant un patrimoine ou des capitaux d’un pays à l’autre. Elle se distingue de la fraude fiscale par le fait qu’elle n’est pas illégale. La fraude fiscale existe dès lors qu’un contribuable omet de signaler des avoirs. La compétitivité de l’Europe doit s’appuyer sur Quelle est la différence avec le Plan Juncker ? 3.2 DEUXIÈME PILIER : PROMOUVOIR l’innovation, Notre proposition se différencie donc du L’ÉDUCATION ET LA RECHERCHE l’éducation et Plan Juncker sur au moins trois raisons la recherche et fondamentales : développement L’investissement dans l’éducation constitue un 1 L’objectif : une stratégie européenne à moyen et long terme. Une relance des investissements n’a de sens que si elle intègre une vision stratégique plus large. Nous proposons une nouvelle Stratégie qui s’appuie sur trois piliers : les investissements, l’innovation (en particulier au travers de l’éducation et de la recherche) et la régulation du marché intérieur. 2 Les moyens : l’investissement public. Nous proposons de relancer tout d’abord l’investissement public. Pour quelle raison ? Les investisseurs privés n’ont pas intérêt à investir dans les biens publics (écoles, infrastructures de transport des biens et personnes, réseau de transport d’énergie…) tandis que les gains pour la société dans son ensemble sont majeurs. L’investissement public joue donc un rôle d’entraînement vis-à-vis des investisseurs privés41. 3 La méthode : s’appuyer sur tous les instruments européens. Nus proposons d’intégrer la problématique de l’investissement dans l’agenda européen – au travers une recommandation sur le niveau minimum d’investissement - et de mettre tous les instruments – politique monétaire, budgétaire et commerciale - au service enjeu essentiel pour soutenir la croissance à long terme. En effet, la capacité d’évolution de la structure économique des États membres dépend largement de la présence d’une population mieux formée et capable de s’adapter aux innovations. La compétitivité de l’Europe doit s’appuyer sur l’innovation, l’éducation et la recherche et développement. Ce rôle fondamental de l’éducation dans la croissance a été reconnu par la fixation de deux objectifs quantitatifs dans le cadre de la stratégie EU2020 : l’abaissement du taux de décrochage scolaire à moins de 10% et l’augmentation du taux de niveau d’études supérieures à au moins 40% de la population âgée de 30 à 34 ans. Au niveau du taux d’abandon scolaire, on a pu constater une amélioration puisque la moyenne européenne est passée de près de 15% à moins de 12% entre 2008 et 2013. Cette moyenne cache une large disparité des situations nationales entre 4% pour les « meilleurs » et 24% pour les moins bons. Comme l’illustre le tableau ci-dessous, en 2014, presque un jeune sur quatre a quitté prématurément l’éducation et la formation en Espagne, contre un sur quatorze environ en Suède. En Suède, presque un jeune sur deux a un niveau d’études supérieurs, contre moins d’un sur quatre en Italie. de cette relance afin de créer un environnement propice à l’investissement. 41 Des formules mixtes, mais où l’investissement public joue un rôle premier, sont également possibles. 32 TABLEAU 1 Indicateurs relatifs à l’emploi et à l’éducation d’une sélection de pays de l’UE, 2014 Taux d’emploi pour la tranche d’âge 20-64 ans UE-28 68,4 Jeunes ayant quitté prématurémenent l’éducation et la formation en % de la population entre 18-24 ans 11,9 Niveau d’études supérieur par sexe, pour la tranche d’âge 30-34 ans Finlande 73,3 9,3 45,1 Allemagne 77,3 9,8 32,9 Pays-Bas 76,5 9,2 43,1 Belgique 67,3 11,0 42,7 Suède 79,8 7,1 48,3 Danemark 75,6 8,0 43,4 France 69,6 9,7 44,1 Espagne 58,6 23,6 42,3 Portugal 65,4 18,9 30,0 Italie 59,7 16,8 22,5 Grèce 52,9 10,1 34,6 37,1 Source : Eurostat Pour la part des diplômés du tertiaire, l’objectif est en voie d’être atteint (36,8% en 2013 contre un peu plus de 30% en 2008). Mais à nouveau avec un large éventail de situations nationales allant d’Etats membres avec des taux à presque 50%, à d’autres présentant à peine plus de 20%. Ces éléments ont inévitablement un impact sur la productivité de la main-d’œuvre et sur les perspectives d’emploi. Comme le souligne Franck Vandenbroucke42 : « Il n’y a pas de relation de cause à effet simple qui explique l’emploi en termes de niveau d’éducation mais nous remarquons que la Grèce, l’Italie et l’Espagne cumulent tous les trois des taux d’emploi faibles avec de faibles résultats PISA concernant le niveau d’éducation de leurs étudiants âgés de 15 ans ». Néanmoins, l’éducation ne reçoit toujours pas l’attention qu’elle mérite au plus haut niveau du processus décisionnel européen ainsi que dans la définition des priorités budgétaires. Selon un rapport43 de l’OIT, le succès du Plan Juncker dépendra de la façon dont le financement sera distribué à la fois dans et entre les Etats membres, et de l’introduction de mesures complémentaires telles que la formation. L’amélioration des compétences doit être au cœur de toute stratégie d’investissement. En particulier, plusieurs études44 suggèrent que l’aide dans la recherche de l’emploi et la formation sont parmi les politiques actives du marché du travail les plus efficaces. L’aide à la recherche de l’emploi s’avère une mesure efficace sur le court terme, tandis que les effets positifs de la formation augmentent sur le long terme. L’OIT propose de compléter la stratégie d’investissement par des outils de soutien, en particulier en ce qui concerne la formation. Cette attention sur la formation ne doit pas concerner uniquement les jeunes sans emploi ou sans formation, mais également 42 Franck Vandenbroucke, A European Social Union: ten tough nuts to crack, Friends of Europe, Printemps 2014. 43 International Labour Organization, An employment-oriented investment strategy for Europe, 2015. 44 D.Card, J. Kluve, Weber, “Active labor market policy evaluations: a meta-analysis”, Economic Journal, Vol. 1203, November, 2010. 33 L’éducation ne reçoit toujours pas l’attention qu’elle mérite au plus haut niveau du processus décisionnel européen ainsi que dans la définition des priorités budgétaires les travailleurs actifs afin de soutenir les processus de transitions économiques et d’évolutions des secteurs d’activité. L’exemple du « Knowlegde lift » suédois peut, à cet égard, être une source d’inspiration. Le knowledge lift est un programme massif d’éducation développé en Suède entre 1997 et 2002 visant à relever le niveau de formation des travailleurs à basse qualification vers un niveau moyen. Plus de 10% de la population active y a participé. Un enjeu crucial est aussi le renforcement des politiques pour la recherche et développement, source de progrès technologique et économique développement Une étude d’Eurofond estime qu’en 2011, le coût des jeunes sans emploi, éducation ou formation représentait l’équivalent de 1,21% du PIB de l’UE, soit une perte annuelle de 153 milliards d’euros45. Un montant de 45 milliards d’euros a été alloué à la lutte contre le chômage des jeunes pour la période 2013-2015. Les États membres ont également adopté la « Garantie pour la jeunesse » qui vise à faciliter la transition du monde de l’éducation à l’emploi en garantissant que les jeunes ne resteront pas plus de quatre mois en dehors de l’éducation, la formation ou l’emploi. Ces efforts sont à saluer et à intensifier. Nous proposons de mettre en place des stratégies convergentes sur la façon de former les jeunes générations, d’intégrer la révolution numérique dans les écoles et d’assurer que chacun puisse avoir la meilleure formation. A cet égard, une grande majorité d’Etats membres devraient renforcer leurs politiques de formation professionnelle, facteur majeur de l’employabilité. Les programmes de formation qui répondent à des compétences recherchées sont essentiels. En particulier, des mesures visant à répondre aux besoins spécifiques des travailleurs non-qualifiés et aux chômeurs de longue durée46. Un enjeu crucial est aussi le renforcement des politiques pour la recherche et développement, source de progrès technologique et économique. Certes, il n’a pas un effet immédiat sur le marché mais a toutefois un impact de grande ampleur à moyen et long terme sur celui-ci. GRAPHIQUE 14: Environnement innovant dans les économies les plus développées 45 Eurofound, NEET’s: Young people not in employment, education or training: Characteristics, costs and policy responses in Europe, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg, 2012 46 Eugenia Bardaro, Guide des bonnes 34 L’amélioration de l’environnement pour l’innovation est un défi majeur pour l’Europe. Les indicateurs d’évaluation établis par le Forum économique mondial montrent que l’UE présente de mauvais résultats par rapport aux États-Unis, le Japon ou la Corée du Sud dans plusieurs dimensions de l’innovation. Les écarts les plus importants avec les ÉtatsUnis concernent les dépenses de recherche et développement dans les entreprises et la collaboration entre les universités et l’industrie. En Europe, des différences importantes peuvent être notées. La Suède, la Finlande et l’Allemagne ont les meilleurs résultats, dépassant même ceux des Etats-Unis. Par contre, l’environnement est peu propice à l’innovation dans beaucoup de pays de l’Europe orientale et méridionale. Les faibles résultats de l’Europe en termes d’innovation sont surtout la conséquence de la faiblesse des liens entre l’industrie et la recherche scientifique et de la mauvaise commercialisation des résultats de recherche. Par ailleurs, au cours des dernières années, la performance européenne en termes d'innovation a été diminuée par trois facteurs : la crise économique, la concurrence croissante des économies des pays émergents et la force de la politique américaine visant à retrouver une position de leadership dans le domaine de la R&D. Les dépenses européennes dans la R&D en pourcentage de PIB sont inférieures à celles du Japon, des Etats-Unis et de la Corée du Sud. Selon les données de la BEI, pour atteindre l'objectif de 3% du PIB de dépenses dans la R&D, il faudra 130 milliards d’euros de dépenses annuelles supplémentaires au regard des niveaux actuels. GRAPHIQUE 15: Dépenses en R&D (PIB %) Source : Eurostat 35 Les demandes de brevets représentent un bon indicateur de l’effet des investissements R&D sur l’innovation. En termes de demandes de brevets par habitant, l’UE est à la traîne non seulement par rapport au Japon et aux États-Unis, mais aussi à la Corée du Sud. GRAPHIQUE 16: Brevets L’UE affiche des atouts Selon le rapport47 de la BEI, l’UE affiche des atouts concurrentiels dans les domaines concurrentiels du transport, de l’énergie verte, de l’eau et des technologies de traitement des déchets. dans les domaines Cependant, sa position est de plus en plus précaire. Des investissements supplémentaires du transport, de sont nécessaires pour que l’Europe puisse rester compétitive. l’énergie verte, de l’eau et des technologies de traitement des déchets. Cependant, sa position est de plus en plus précaire 47 European Investment Bank, Restoring EU competitiveness,2015. 36 TABLEAU 2 : Besoin en investissements pour la R&D Besoins en investissements/Objectifs Investissements annuels (milliards d’euros) Requis2 Actuel3 Écart 370 240 130 Secteur privé: 200 130 70 Secteur Publique: 170 110 60 Matériel de transport 55 30 25 Machines et matériel, y compris les TIC et l’électronique 75 40 35 Sciences de la vie / produits pharmaceutiques 40 15 25 Atteindre l’objectif de 3% du PIB pour les investissements annuels en R&D Investissements publics et privés par secteur- clé Les énergies renouvelable et de l’éco-innovation 20 Autres secteurs 25 Total EUR 130bn Source : BEI 1. Split based on comparing actual public and private R&D intensities with OECD average compostion 2. EIB calculations based on Eurostat data 3. Estimate for EU 28, 2013 La mise en place d’un espace de recherche intégré à l’échelle européenne s’avère fondamental. Les européens en pointe dans la recherche fondamentale ont des difficultés à transformer leurs découvertes en produits commercialisables, ce qui permettrait de créer de la croissance et de l’emploi. Une piste que nous proposons est la mise en place de structures pilotes qui mettent en relation les ressources de plusieurs universités et centres de recherche à travers l’Europe et les entreprises. Bien que l’UE finance déjà des projets similaires via des programmes tel qu’Horizon 2020, force est de constater que ce type d’actions devrait être inclus dans une stratégie globale et mis en relation avec les autres priorités politiques européennes (notamment quant aux secteurs prioritaires), afin à la fois d’en multiplier le nombre, de renforcer leur financement et de les orienter dans les secteurs-clés identifiés. La Commission devrait quant à elle veiller à assurer une meilleure coordination entre les Etats membres 3.3 TROISIÈME PILIER : L’ACHÈVEMENT DU MARCHÉ INTÉRIEUR Au-delà de l’investissement, la croissance au sein de l’UE peut être renforcée grâce à l’accomplissement du marché unique dont le potentiel, vingt ans après sa mise en place, n’est toujours pas pleinement exploité. A son lancement, la suppression des obstacles non tarifaires au commerce était supposée créer un marché unifié. Aujourd’hui, les obstacles juridiques, réglementaires et fiscaux empêchent le développement du marché européen dans de nombreux domaines. Il est indispensable de faire de l’Union un vrai marché intérieur européen qui soit le « camp de base » 37 Le marché unique est la meilleure source endogène de croissance et de création d’emplois des pays européens des entreprises européennes. Le marché unique est la meilleure source endogène de croissance et de création d’emplois des pays européens et il doit être renforcé dans deux domaines prioritaires comme l’énergie et l’économie numérique. Selon la Commission, l’Europe pourrait ajouter 4% à son PIB d’ici 2020 en stimulant le développement rapide d’un marché unique du numérique48, ce qui justifie que ce projet soit l’une des priorités du nouveau président de la Commission européenne. Concrètement, nous proposons d’articuler la nouvelle stratégie européenne autour de nouveaux objectifs découlant de ces trois piliers : investissement, éducation et recherche, marché intérieur. En marge de cette Stratégie, il convient également de veiller à renforcer la politique de cohésion économique et sociale. L’Europe doit poursuivre ses efforts non seulement vers la relance de la croissance mais permettre aussi une meilleure convergence intra-européenne afin que cette croissance soit partagée. Nous y reviendrons. 48 Commission européenne, Grand Coalition for Digital Jobs, mars 2013. 38 4.UNE DECLINAISON DE LA STRATEGIE DANS TROIS SECTEURS : LE NUMÉRIQUE, LES TRANSPORTS ET L’ÉNERGIE 39 4. UNE DECLINAISON DE LA STRATEGIE DANS TROIS SECTEURS : LE NUMÉRIQUE, LESTRANSPORTSETL’ÉNERGIE Cette Stratégie nouvelle que nous appelons de nos vœux, nous pensons qu’elle doit se décliner en particulier dans trois secteurs-clés : l’énergie, les transports et le numérique. Pour ces trois secteurs, l’articulation entre les investissements à réaliser, la recherche constante d’innovations nouvelles et la régulation unifiée seront les déclencheurs de cette nouvelle dynamique. Il s’agit de secteurs « sans frontières » et où les gains d’une approche réglementaire commune sont potentiellement élevés. Nous devons concevoir ces secteurs comme connectés entre eux. Il importe de concevoir d’emblée un système européen global d’infrastructures, un système qui soit à la fois intermodal et interconnecté. Dans ces secteurs, nous proposons d’aller au-delà du marché unique en suivant le modèle de l’union bancaire. L’achèvement de l’union de l’énergie, du numérique, des transports est porteur de richesse, d’emplois et de bien-être pour tous les Européens. Il s’agit donc de ne pas se limiter à une simple coordination ou des initiatives conjointes mais d’aller jusqu’à une législation commune, une réglementation commune et même une autorité de contrôle. FIGURE 1: Quelle est la taille du déficit d’investissement dans l’énergie, les transports et le numérique? 40 4.1 L’UNION NUMÉRIQUE ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS 4.1.1 Les constats L’Union européenne s’occupe depuis les années 1990 des questions relatives à une société fondée sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), et publie des plans d’action. Parmi les initiatives les plus récentes, on retrouve la « Stratégie numérique pour l’Europe » publiée en 2010 et qui constituait l’une des sept initiatives phares de la stratégie EU2020. La mise en place d’un marché unique du digital est une priorité de la nouvelle Commission. Cela suppose de mettre fin à la fragmentation des régulations. D’une manière générale, le marché numérique européen est caractérisé par 28 marchés distincts et 28 régimes de régulation des communications électroniques, des règles différentes en termes de protection du consommateur et de régimes de TVA. Selon l’Unité Valeur ajoutée européenne49, un marché unique numérique renforcerait l’efficacité des entreprises traditionnelles, réduirait les coûts des transactions des entreprises et les frais d’itinérance, permettant ainsi des tarifs plus compétitifs pour les consommateurs. Il faciliterait la transmission des informations dont dépendent les secteurs fondés sur la connaissance et les services. Il permettrait aussi à l’Europe de se renforcer dans le secteur des services fondés sur la connaissance. Le bénéfice économique obtenu grâce à la réalisation du marché unique numérique pourrait relever d’au moins 4% le niveau du PIB de l’UE, soit environ 520 milliards d’euros aux prix courants50. L’Unité Valeur ajoutée européenne51 considère qu’en mettant en œuvre les politiques adéquates, l’économie européenne pourrait réaliser la moitié de ce gain dans les prochaines années. Dans le numérique, au niveau international, l’Europe n’est pas aussi visible qu’elle devrait être. Les Etats-Unis ont une position prédominante. Sur les dix plus grosses entreprises mondiales en termes de chiffres d’affaires, six sont américaines. De nombreux efforts restent à faire. Des opportunités doivent être saisies, par exemple en ce qui concerne les équipements (la réussite puis la chute de Nokia montre que des réussites sont possibles mais doivent faire l’objet d’innovations et d’adaptations constantes) ou encore au niveau de la robotique (comme le montre le dynamisme des entreprises allemandes à cet égard). L’histoire récente nous démontre également que l’Europe a réussi à être leader dans ce domaine avec la technologie 2G, notamment parce qu’elle a réussi à harmoniser les standards d’utilisation de cette technologie et ainsi d’ouvrir le marché de manière large. Avec la 5G annoncée pour les années à venir, l’Europe dispose également d’une opportunité majeure de réinventer le paysage industriel des télécoms. Le bénéfice économique obtenu grâce à la réalisation du marché unique numérique pourrait relever d’au moins 4% le niveau du PIB de l’UE 4.1.2. Quelles solutions ? Une approche réglementaire commune est essentielle pour harmoniser les règles du droit d’auteur, de la protection de la vie privée, de la protection des consommateurs dans les transactions numériques. Le vrai enjeu est de créer un vrai marché unique du numérique avec des règles communes. Ainsi, les différentes réglementations en matière de données sur la vie privée rendent très difficile l’établissement de nouveaux services entre les États membres sur Internet. Cet espace, par essence, ne se préoccupe pas des frontières. La réforme du droit d’auteur doit aussi être un point central de la future stratégie numérique européenane. Aujourd’hui, il est organisé sur des bases nationales. Cela peut restreindre la diffusion des œuvres des artistes et morceler leurs publics et empêcher d’avoir des « champions européens » sur la 49 Unité Valeur ajoutée européenne, Service de recherche parlementaire européen, Evaluer le coût de la non-Europe 2014-2019, mars 2014. 50 Copenhagen Economics, Economic Assessment of the Barriers to the Internal Market for Services, rapport final, janvier 2005. 51 Unité Valeur ajoutée européenne, op.cit., p. 8. 41 Le véritable enjeu est de créer un marché unique du numérique avec des règles communes Les villes intelligentes et leurs projets peuvent devenir un puissant canalisateur pour le développement économique et social contribuant ainsi à la réorientation du modèle européen vers une croissance inclusive et durable scène mondiale dans le numérique. Po u r e n co u ra g e r l’ e - co m m e rce , l a Commission, dans sa stratégie numérique annoncée le 6 mai 2015, promet de faciliter l’accès au marché européen au travers d’une harmonisation des droits et obligations partout dans l’UE, pour les vendeurs comme pour les consommateurs. La Commission voudrait aussi rendre plus accessibles les contenus en ligne entre pays européens. Cela permettrait de supprimer le « geoblocking » qui rend certains sites d’e-commerce inaccessibles depuis certains pays ou présentent des prix différents selon le lieu de connexion. Il est également essentiel d’avancer sur la réglementation de ceux que l’on appelle les « GAFA » (Google, Amazon, Facebook et Apple) en matière de concurrence. La Commission a déjà lancée une offensive contre les pratiques jugées abusives de Google. Des solutions doivent être trouvées tant du point de vue fiscal que de la libre concurrence. Enfin, il faut faciliter la création de start-up innovantes et diffuser la culture numérique dans les pays membres. Pour cela, il faut encourager un écosystème favorable à l’émergence de clusters ou de consortiums. L’innovation doit être articulée autour de partenariats entre d’une part des petites structures agiles et innovantes et d’autre part des grands groupes qui généreront des volumes importants. Un partenariat incluant les États, les start-up, les grands groupes mais également des Universités pourrait être le moteur de cette dynamique. Cette logique de convergence va générer un effet de levier dont la valeur totale sera bien supérieure à la somme des initiatives de chacun. En particulier, l’échange de données entre entreprises (tant que cela ne porte pas atteinte à la vie privée) contribuera à la création de nouvelles solutions et de nouveaux services tout en diminuant les dépenses. Pour créer un environnement favorable à la croissance et à l’investissement et libérer le potentiel d’attractivité de l’Europe, le numérique est un facteur déterminant. Il représente non seulement un levier de croissance mais il génère des synergies dans des domaines cruciaux pour le marché unique. On peut penser notamment aux réseaux intelligents pour la gestion de l’électricité (compteurs intelligents) et de la mobilité mais aussi au domaine de la santé. A titre d’exemple, Osakidetza, le service basque de santé, a lancé avec succès une plateforme technologique pour la gestion des maladies chroniques qui permet des interactions multicanaux entre les citoyens et le système de santé. Ce système facilite les procédures, améliore le système de santé et simplifie la vie des citoyens. Il a permis entre autres la réduction des séjours d’hospitalisation aigus et généré ainsi des économies à hauteur de 42,5 millions d’euros entre 2009 et 201152. Le développement du numérique peuvent aussi être utilisés pour connecter intelligemment différents systèmes infrastructurels (énergie, transports, communications) à différents niveaux (bâtiments, quartiers, villes). Ces éléments doivent pouvoir se concrétiser dans l’idée d’une Smart City, une ville intelligente, capable de conjuguer des projets durables en matière d’énergie, de mobilité, de climat et d’intégrer les nouvelles technologies53. Dans la mesure où l’urbanisation se généralise tant en Europe que dans le monde, le développement des Smart Cities constitue un potentiel significatif d’avenir. Les Smart Cities à travers la mise en place de solutions intelligentes et durables pour diminuer leur impact environnemental, créer de nouveaux réseaux citoyens et repenser les modèles d’accès aux ressources, permettent de mieux répondre aux besoins essentiels de leurs citoyens et d’améliorer leur qualité de vie. Les villes intelligentes et leurs projets peuvent devenir un puissant canalisateur pour le développement économique et social contribuant ainsi à la réorientation du modèle européen vers une croissance inclusive et durable. Pour cela, l’Europe aura besoin d’un nouveau type d’infrastructures. Des solutions intégrées sont nécessaires dans l’énergie, les transports et 52 http://www.osakidetza.euskadi.eus/r85-ghhome00/es/ 53 Nunez-Ferrer J., C. Egenhofer, Cities: The Juncker Commission should not miss this key to growth, jobs and the environnement, CEPS Commentary, October 2014. 42 les TIC. Les infrastructures traditionnellement isolées doivent évoluer vers un système hautement intégré à différentes échelles : résidentiel et commercial ; ville et la communauté ; régional et national. Pour contribuer au développement d’une stratégie numérique commune, il faudrait : -définir une stratégie numérique fondée sur une approche réglementaire commune ; -encourager les partenariats entre grands acteurs du numérique, start-up innovantes et instituts de recherche au sein de l’Europe ; -renforcer l’imprégnation des technologies numériques dans le reste de l’économie, via des mécanismes de soutien aux investissements des entreprises et par le développement de réseaux d’entreprises ; -favoriser des programmes de R&D dans le numérique pour des priorités comme la santé et l’énergie ; Une mise en œuvre rapide et concomitante de ces quatre actions est aujourd’hui un élément-clé de la compétitivité de l’Europe sur la scène internationale. 4.2 L’UNION DES TRANSPORTS 4.2.1 Les constats La liberté de circulation, tant des personnes que des marchandises, est un des piliers de la construction européenne. Pour qu’elle puisse être effective, l’UE s’est fixé l’objectif de mettre en place un réseau de transport à l’échelle européenne. Ancré au départ au niveau national, la constitution d’un réseau européen de transport est le fondement de la politique européenne, en tant qu’instrument pour assurer la libre circulation des personnes et des marchandises et soutenir la croissance, l’emploi et la compétitive dans l’UE. Pour rester compétitive, l’Europe a besoin d’accroître son réseau et son offre de transports, tout en privilégiant les solutions les plus efficientes d’un point de vue environnemental. Les infrastructures ferroviaires à grande vitesse ou de transport maritime intérieur sont ainsi particulièrement visées afin de diminuer le transport par route ou par voie aérienne. La qualité des infrastructures de transports est un atout compétitif capital pour l’Europe et doit être préservée dans toutes ses dimensions - énergétiques, sécuritaires, environnementales, technologiques. Dès lors, trois enjeux sont identifiés pour guider l’effort de la nouvelle Commission : -La réduction d’émission de CO2 afin d’atteindre les objectifs de réduction de 60% des émissions dues aux transports d’ici 2020 ; L’amélioration de la sécurité et la réduction drastique du nombre d’accidents sur les routes européennes ; -La poursuite de la construction d’infrastructures de transports à forte valeur ajoutée pour l’Europe : résorption des goulets d’étranglement, interopérabilité ferroviaire, liaisons transfrontalières manquantes ou à améliorer… De nombreux progrès ont été réalisés pour améliorer les transports européens. Toutefois, au sein de l’UE, la qualité et la disponibilité des infrastructures diffèrent considérablement au sein des Etats membres. Les systèmes de transport en Europe se sont en grande partie développés sur une base nationale. Par conséquent, on ne retrouve que très peu d’interconnexions aux frontières ou le long des principaux corridors. Depuis les années 90, la politique européenne en matière de transport a concentré ses efforts sur le développement d’un réseau européen via des grands projets d’infrastructure. Aujourd’hui, l’UE doit viser la mise en place d’un réseau 43 L’UE doit viser la mise en place d’un réseau européen solide en investissant davantage dans les interconnexions et liaisons transfrontalières qui autrement risqueraient de ne jamais voir le jour européen solide en investissant davantage dans les interconnexions et liaisons transfrontalières qui autrement risqueraient de ne jamais voir le jour. Les efforts européens se concentrent sur la création d’un réseau transeuropéen de transport (RTE-T). On distingue actuellement trois échelons pour le RTE-T : un réseau global (comprehensive netork) contenant un réseau central (core network) englobant neuf corridors prioritaires. Pour la première fois, afin de faciliter le développement d’un réseau central, la Commission a décidé la création de neuf corridors multimodaux qui quadrillent le continent du Rhin au Danube, de l’Adriatique à la Baltique, de la Méditerranée à la mer du Nord. L’approche par corridor est innovante. Elle constitue un progrès important dans la planification des infrastructures de transport. Le développement du RTE-T constitue un projet majeur pour les citoyens et les entreprises de l’UE. TRANS-EUROPEAN TRANSPORT NETWORK FIGURE 2: Le réseau transeuropéen de transport TEN-T CORE NETWORK CORRIDORS Source : CE BASED ON THE OUTCOME OF THE INFORMAL TRILOGUE OF 27th JUNE 2013 44 La réalisation de ce réseau transeuropéen de transport est nécessaire car nos pays ne sont pas bien reliés, non seulement par le train, l’avion ou la voiture, mais par un système de transport complet, intermodal et cohérent. L’objectif est d’achever ce core network à l’horizon 2030, pour aboutir à un RTE-T global en 2050. D’après les estimations, le réseau central nécessiterait 250 milliards d’euro pour la période 2014-2020. L’UE apporte une contribution pour encourager chaque Etat membre à lancer les travaux. Une enveloppe de 23,2 milliards d’euros allouée au secteur du transport est prévue dans le cadre du Mécanisme pour l’Interconnexion en Europe pour la période 2014-2020. La part de cofinancement que peut apporter l’UE est considérable, jusqu’à 40%. Une politique commune des transports nécessite d’importants investissements. La crise a affecté négativement l’investissement dans les infrastructures, y compris dans le transport. En 2008, l’investissement annuel dans l'infrastructure de transport était de 130 milliards d’euros, correspondant à environ à 1% du PIB. 4.2.2 Quelles solutions ? Comme présenté dans la section 1.1, l'investissement a fortement chuté suite à la crise de 2008. Au niveau du secteur du transport, selon les estimations de la BEI, il doit maintenant s’élever au minimum à 50 milliards d’euros par an jusqu'en 2020 pour combler le retard et reprendre le niveau historique TABLEAU 3: Besoin en investissement pour les transports d’investissement. Notre proposition d’un vaste plan d’investissement public-privé devrait permettre de combler ce retard d’investissement et relancer une politique de transport européenne au service du développement de notre économie et de nos industries. Un soutien et un accroissement des efforts de R&D sont aussi indispensables pour réduire les émissions dans tous les modes de transport, mais aussi pour encourager des solutions innovantes telles que trains à grande vitesse de nouvelle génération, la robotique de l’intermodalité ou encore les voitures sans conducteur. Si l’Europe veut avoir une position de leadership dans ce secteur, la politique de R&D mais aussi sa politique commerciale et industrielle doivent être au service de cette volonté. Pour cela, les entreprises doivent travailler en synergie avec les Universités et les centre de recherche pour mettre leur expertise au service de l’innovation et de la compétitivité européenne. Il faut pouvoir à terme avoir un ‘Airbus’ dans d’autres secteurs ! Il s’agit d’un défi crucial, et l’Europe doit se doter de moyens supplémentaires – tant au niveau de l’investissement qu’au niveau humain – pour y parvenir. En ce qui concerne le secteur ferroviaire, le grand défi auquel nous sommes confrontés est l’interopérabilité des différents réseaux. La compétitivité du rail est aujourd’hui limitée par les différences qui existent entre les États membres au niveau du matériel, de la Source : BEI Annual investment (EUR billions) Besoins en investissements / objectif Requis Actuel Grap Moderniser le transport urbain pour répondre à des standards mondiaux: Y compris la gestion des voies rapides urbaines, les ports et les aéroports, la logistique multimodale, les plates-formes, la sécurité, la gestion du trafic et les réseaux de distribution des carburants alternatifs 75 50 25 Assurer une capacité suffisante dans le trafic interurbain: Y compris le réseau transeuropéen de transport, le réseau global et les corridors, et les connexions transfrontalières 75 50 25 Total 150 100 EUR 130bn 45 La réalisation de ce réseau transeuropéen de transport est nécessaire car nos pays ne sont pas bien reliés, non seulement par le train, l’avion ou la voiture, mais par un système de transport complet et cohérent technologie, de la signalisation et des règles de sécurité. Il est donc essentiel d’harmoniser les normes européennes en la matière. L’Europe doit aussi maintenir ses efforts dans le secteur fluvial, pour pouvoir créer un système intégré de transport à l’échelle européenne. Nous devons donner la priorité à l’intermodalité car nous avons besoin d’un système qui fonctionne en réseau où tous les maillons doivent s’agencer efficacement. 4.3 L’UNION DE L’ÉNERGIE 4.3.1 Les constats L’UE importe 53% de son énergie, à un coût d’environ 400 milliards d’euros, ce qui en fait le principal importateur d’énergie au monde L’énergie est un secteur cible pour une stratégie européenne d’investissement. La Commission a récemment appelé de ses vœux une Union de l’énergie54. Cette Union de l’énergie, en cas de réalisation complète, est un projet qui a le potentiel de redéfinir le fonctionnement de l’UE et d’être un moteur d’intégration aussi puissant qu’a pu l’être la CECA. L’Union de l’énergie se compose de cinq piliers : la sécurité énergétique ; la pleine intégration du marché européen de l’énergie ; l’efficacité énergétique comme moyen de modérer la demande ; la décarbonisation de l’économie ; la recherche, l’innovation et la compétitivité55. L’Union européenne (UE) importe actuellement 53% de son énergie, à un coût d’environ 400 milliards d’euros, ce qui en fait le principal importateur d’énergie au monde. 75% du parc de logements présente une faible efficacité énergétique. 94% des transports sont tributaires des produits pétroliers, et 90% de ceux-ci sont importés56. Face à une telle situation, l’Union européenne se doit de disposer d’instruments appropriés qui lui permettent d’une part de parachever son marché intérieur énergétique et d’autre part, de miser sur des énergies durables. Des investissements bien ciblés sont nécessaires pour garantir l’efficacité et la sécurité énergétiques. La sécurité d’approvisionnement énergétique à des prix raisonnables tant pour l’industrie que pour les ménages est essentielle pour la compétitivité européenne. La hausse des prix et les risques d’interruptions d’approvisionnement sont de plus en plus perçus comme une menace pour la compétitivité à long terme de l’Europe. L’existence d’infrastructures appropriées est une condition préalable à l’achèvement du marché énergétique, à l’intégration des sources d’énergie renouvelables et à la sécurité de l’approvisionnement. La Commission soutient déjà la mise en œuvre de grands projets d’infrastructures, notamment les projets d’intérêt commun, en utilisant les moyens financiers disponibles, tels que le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe. La transition vers un système énergétique plus sûr et plus durable nécessitera des investissements majeurs dans la production, les réseaux et l’efficacité énergétique, dont le montant est estimé à quelque 200 milliards d’EUR par an pour la prochaine décennie. Une grande partie du déficit d’investissement identifié dans le secteur de l’énergie concerne l’efficacité énergétique dans les bâtiments et l’industrie. L’Europe doit investir davantage dans cet enjeu, tant au niveau des normes de construction et de production qu’en ce qui concerne le développement techniques lié à l’efficacité énergétique. Ainsi, construire une Union de l’énergie, nécessite d’investir dans la mobilité durable, la rénovation des logements, les interconnexions énergétiques ou les énergies renouvelables. De tels investissements rassemblent des intérêts multiples, parmi lesquels la sécurité énergétique ou le soutien à des secteurs très pourvoyeurs d’emplois qui n’ont toujours pas retrouvé leur activité économique d’avantcrise, comme le secteur de la construction. 4.3.2 Quelles solutions ? L’Union de l’énergie prévoit à terme la mise en place d’un marché unique européen de 54 Commission Européenne, Paquet “Union de l’Energie”, COM2015 80, février 2015. 55 Ibid., p. 4. 56 Ibid., pp. 2-3. 46 l’énergie, l’établissement de règles communes et la mise en place d’infrastructure. Toutefois, il n’y a pas, pour l’instant, une volonté d’avancer sur la dimension politique de l’Union de l’énergie. Cela confirme la réticence des États membres à gérer ensemble les défis énergétiques ou à se faire confiance. Aujourd’hui, chaque Etat membre est responsable de son mix énergétique et de sa sécurité d’approvisionnement. Ce système est à la fois coûteux et inefficace. Pour y répondre, il est nécessaire de repenser radicalement les interconnexions européennes en matière d’électricité et d’hydrocarbures. Par ailleurs, les choix que nous faisons en matière d’énergie doivent se baser sur une vision commune des besoins et une plus grande solidarité. Nous proposons de laisser une certaine liberté aux Etats membres dans leur choix de mix énergétique et d’établir des lignes directrices politiques qui soient capables de garantir une coordination entre les pays. Ce système devrait pouvoir à terme conduire à une véritable Union politique de l’énergie. Cela implique de s’accorder sur une approche commune pour un mécanisme de gestion de capacité, un ensemble de règles partagées pour le développement des énergies renouvelables et pour le renforcement de l’efficience énergétique. Cette Union de l’énergie pourrait également s’appuyer sur la participation active des citoyens et des acteurs locaux. Il faut placer le consommateur au centre du système énergétique comme suggéré par la Strategic Energy Technology Plan (SET-Plan) Roadmap57. Les réseaux électriques intelligents, ou Smart grids, intègrent des fonctionnalités issues des technologies de l’information et de la communication. Cette communication entre les différents points des réseaux permet de prendre en compte les actions des différents acteurs du système électrique, et notamment des consommateurs. L’objectif est d’assurer de manière plus fine l’équilibre entre l’offre et la demande, avec une réactivité et une fiabilité accrues et d’optimiser le fonctionnement des réseaux. C’est d’autant plus important si l’on veut intégrer davantage de sources d’énergies renouvelables dont la production peut varier avec les conditions météorologiques. Le système électrique passe d’une chaîne qui fonctionne linéairement à un système où l’ensemble des acteurs est en interaction. Rendre les réseaux électriques intelligents consiste donc en grande partie à leur permettre de communiquer entre eux. Actuellement le réseau de transport d’énergie est déjà outillé en ce sens, notamment pour des raisons de sécurité d’approvisionnement. En revanche, les réseaux de distribution sont faiblement dotés en technologies de la communication, en raison du nombre très important d’ouvrages et de consommateurs raccordés à ces réseaux. L’enjeu des Smart grids se situe donc principalement au niveau des réseaux de distribution. La politique européenne de l’énergie ne doit pas se développer « en silo ». Elle doit s’intégrer dans une politique d’environnement étroitement liée dans ses objectifs comme dans ses moyens. Elle doit aussi être articulée avec toutes les autres politiques pertinentes, de façon cohérente et dynamique (que ce soient l’industrie, les transports, etc). 57 http://ec.europa.eu/energy/technology/set_plan/set_plan_en.htm 47 Une approche commune pour un mécanisme de gestion de capacité, un ensemble de règle partagée pour le développement des énergies renouvelables et pour le renforcement de l’efficience énergétique 5. INTÉGRER TOUS LES INSTRUMENTS DANS LA MÊME STRATÉGIE 48 5. INTÉGRER TOUS LES INSTRUMENTS DANS LA MÊME STRATÉGIE 5.1 UNE POLITIQUE MONÉTAIRE FAVORABLE À L’INVESTISSEMENT 5.1.1. Principes généraux La politique monétaire joue un rôle prépondérant pour favoriser la croissance et les investissements. Le Traité européen confère implicitement à la BCE le double mandat consistant à lutter contre l’inflation et à soutenir les autres objectifs de l’Union européenne, tels que la croissance, l’emploi et la cohésion sociale, à condition que l’objectif de stabilité des prix ne se retrouve pas compromis. L’objectif de stabilité de la BCE correspond à une inflation inférieure à 2% par an, mais proche de ce chiffre. Pour atteindre les objectifs qui lui ont été assignés, l'instrument principal de la BCE est le pilotage des taux d'intérêt à court terme. D'une façon générale, on peut résumer en disant qu'une augmentation des taux contribue à ralentir l'inflation mais contraint l'activité, alors qu'une baisse des taux a tendance à favoriser l'investissement et à augmenter l'inflation. En effet, un taux d’intérêt élevé (politique monétaire restrictive) incite les agents économiques à épargner plutôt qu’à investir. Si le rendement attendu d’un investissement est de 5% par an, alors que le taux d’intérêt est de 6%, un agent préfèrera placer son argent plutôt que d’investir dans le projet d’investissement. Les investissements les moins rentables, de même que les crédits à la consommation, sont ainsi découragés. La baisse de la demande qui s’en suit tend à faire baisser les prix ou à ralentir leur augmentation, ce qui correspond à une diminution de l’inflation. A l’inverse, une diminution des taux d’intérêt (politique monétaire expansionniste ou accommodante) encourage les investissements et les crédits à la consommation, renforçant la demande et pouvant occasionner une tension à la hausse sur les prix à moyen terme. Une politique monétaire peut donc avoir un impact sur la croissance et les emplois par le biais de la demande intérieure. Mais la demande d’exportation peut elle aussi augmenter. Une réduction des taux d’intérêt entraîne une fuite de capitaux vers l’étranger (vers une zone monétaire plus rentable). Cette fuite de capitaux induit donc mécaniquement une réduction de la demande de monnaie domestique au profit de devises étrangères. La valeur de la monnaie domestique, l’euro, est donc impactée à la baisse. Or, un euro plus faible permettra de relancer la compétitivité et les exportations des entreprises européennes, et donc la croissance et l’emploi en Europe. Ces dernières années, on constate que les Etats-Unis et le Royaume Uni ont connu la plus forte reprise, et ont bénéficié d’une politique monétaire expansionniste (le Japon est un contre-exemple). Notons enfin qu’il existe un niveau de taux d’intérêt en-dessous duquel les taux sont tellement faibles qu’ils peuvent amener à une situation qualifiée de « trappe à liquidité ». Dans cette situation, les agents économiques s’attendent à ce que les taux ne puissent que remonter. Ils préfèrent dès lors détenir de la monnaie plutôt que d’investir. 49 HISTORIQUE DE LA POLITIQUE MONETAIRE EUROPEENNE DEPUIS 200858 Oct. 2008 : Face à la crise de liquidité sur le marché bancaire, la BCE apporte des mesures de fourniture de liquidité extraordinaires pour autant que les banques puissent apporter des garanties de qualité suffisantes. Juin 2009 : Mise en place d’un programme d’achat d’obligations sécurisées. Déc. 2011 : La BCE annonce des mesures de soutien au crédit bancaire à travers deux opérations de refinancement à plus long terme (36 mois) et ramène le taux de réserves obligatoires à 1% à partir du 1er janvier 2012. Le taux de réserves obligatoires baissera progressivement pour finalement atteindre un taux plancher de 0,05% le 10 septembre 2014. Les réserves obligatoires sont les réserves financières que les banques doivent déposer à la banque centrale. Le taux de réserve obligatoire s’exprime en pourcentage des dépôts. Ce taux sert d’instrument de politique monétaire par l’effet de levier qu’il engendre. Aout-Sept. 2012 : La BCE annonce la possibilité d’effectuer des opérations monétaires sur L’absence de titres sur les marchés secondaires de la dette souveraine. distinction entre les dépenses Juillet 2013 : La BCE annonce que les taux d’intérêt resteront bas ou plus faibles qu’actuelcourantes et lement pour une période prolongée en raison de la faiblesse de l’économie. les dépenses d’investissement a Sept. 2014 : La BCE abaisse son taux directeur à 0,05%. des conséquences encore plus Janv. 2015 : La BCE annonce un rachat massif d’actifs (quantitative easing). graves, puisqu’elle prive les autorités publiques de 5.1.2. Un nouvel agenda pour la BCE des voies de financement reste néanmoins tout levier pour des questions qui continuent de faire débat. relancer l’activité Alors que la Banque centrale européenne (BCE) Ces évolutions, si elles sont positives, pours’était trop longtemps concentrée uniquement sur l’objectif de lutte contre l’inflation, cette stratégie s’est progressivement modifiée suite à la crise financière de 2008. Ce changement de stratégie s’est manifesté notamment par une diminution toujours plus forte des taux, tant à court qu’à long terme, ainsi que par la dégradation du taux de change de l’euro. La dernière expression en date, particulièrement spectaculaire, consiste en l’opération de rachat massif d’actifs, en particulier auprès du secteur bancaire, afin de l’encourager à acquérir d’autres actifs et donc à financer des prêts au sein de l’économie (quantitative easing). L’efficacité de cette politique et la répartition raient néanmoins être poussées plus loin. Aujourd’hui, les banques privées peuvent emprunter à des taux particulièrement faibles auprès de la BCE. Ces banques prêtent ensuite cet argent aux Etats européens, qui eux ne peuvent lever des fonds qu’à des taux par conséquent plus élevés. Une alternative serait que les Etats membres de la zone euro, à condition qu’ils respectent leurs trajectoires budgétaires, puissent emprunter auprès de la BCE aux mêmes conditions que les banques privées et que la marge dégagée par la diminution des taux soit affectée à un fond de relance visant à financer les efforts de financement décrits ci-dessus. 58 BCE, « La politique monétaire : La stabilité des prix – L’objectif de l’Eurosystème », Présentation, 5 Février 2014, disponible sur : https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/shared/img/presentation_mp.en.zip?8d20cb665729953a1a6dad0264575727 50 Le Quantitative Easing, lancé récemment, s’apparente à cette piste, mais son application se clôture, en principe, en 2016. 5.2 Une politique budgétaire et des normes comptables qui renforcent la capacité d’investir Nous ne pouvons pas évoquer la question du déploiement de nouveaux efforts d’investissement sans évoquer la question de la politique budgétaire et de la coordination de celle-ci. Depuis le Traité de Maastricht, l’Union européenne s’est dotée d’une coordination de plus en plus contraignante des politiques budgétaires des Etats membres. L’étape la plus récente, le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG), a ainsi ouvert la possibilité d’imposer des sanctions aux Etats qui ne respectent pas leurs objectifs budgétaires et qui n’ont pas pris les mesures qui s’imposent. Cette plus grande coordination budgétaire était indispensable dans le cadre de l’intégration monétaire européenne, afin de se prémunir des risques d’intégration dans le mécanisme de l’Euro de pays qui développeraient des déficits importants et dont le coût se répercuterait sur les autres Etats membres. Cette coordination budgétaire est liée au départ à une sanction claire : si les objectifs budgétaires n’étaient pas rencontrés, le pays ne pourrait pas faire partie de la zone euro. Une fois ce cap franchi, toutefois, la crédibilité de cette coordination s’est affaiblie. L’incapacité à prévoir des sanctions contre les grands Etats membres qui pourtant étaient manifestement dans une situation de déficit grandissant a donné un mauvais signal à l’ensemble des Etats membres. Le TSCG de 2012 a corrigé cet élément, en prévoyant une gradation des sanctions prévues et des garde-fous plus nombreux. Cette coordination budgétaire reste non seulement utile dans le cadre de la monnaie unique, mais également compte tenu des évolutions démographiques. Il est en effet indispensable d’assurer un préfinancement des dépenses liées à l’allongement de la vie, au risque dans le cas contraire que les générations futures doivent financer des dépenses sociales croissantes couplées à un niveau d’endettement élevé, tout cela avec une population active qui se réduit. La propension des Gouvernements à privilégier les objectifs à court terme justifie amplement la nécessité de développer une coordination budgétaire qui les pousse à intégrer cette dimension de long terme. Cette coordination budgétaire croissante s’est accompagnée d’une harmonisation des statistiques utilisées en matière de comptabilité publique. Difficile, en effet, de se doter d’objectifs communs si l’on compare sur des bases différentes. C’est ainsi que différents mécanismes d’harmonisation statistique et comptable ont vu le jour, dont le dernier : le SEC2010. Ces règles comptables ont notamment pour objectif de déterminer avec précision quelles sont les dépenses qui doivent être inclues dans le périmètre du secteur public et qui, par conséquent, alourdissent l’endettement des Etats. Avec les différentes générations de normes comptables, le périmètre de ce qui est inclus dans le secteur public n’a cessé de s’élargir. Par ailleurs, les contraintes dérivant de la coordination budgétaire européenne ont également été resserrées. Ces évolutions simultanées ont pour conséquence que les dépenses d’investissement portées par les autorités publiques (quel que soit le niveau de pouvoir) sont fortement freinées. Ainsi, en application des règles budgétaires européennes par les autorités nationales, toutes les autorités publiques (y compris, en Belgique, les Régions, Communautés, Provinces, communes…) ne peuvent plus amortir le financement de leurs emprunts sur plusieurs années mais sont tenues de financer sur une seule année – l’année courante - les dépenses d’investissements qui sont réalisées lors de cette période, afin de se prémunir d’une aggravation de l’endettement au niveau national. Clairement, même 51 si la répartition de l’objectif global est une responsabilité des Etats membres et non de ses composantes, de nombreuses entités ne disposent pas de marge financière suffisante pour appliquer une telle règle, ce qui a pour conséquence une forte diminution des dépenses d’investissement, alors même que les autorités locales représentent une part importante de ces dépenses. Comment, alors, la Commission pourrait-elle prendre une nouvelle orientation de renforcement des investissements alors même que le renforcement de la coordination budgétaire entre les Etats membres va dans une direction exactement inverse ? Pour sortir de cette impasse et libérer la capacité d’investissement des autorités publiques sans nuire à la soutenabilité budgétaire des Etats membres, nous proposons d’adopter une démarche plus fine des dépenses prises en compte dans le périmètre de la dette et de réaliser une distinction entre les dépenses courantes (pour lesquelles la rigueur budgétaire est indispensable) et les dépenses d’investissements dans des secteurs ou domaines-clés, porteurs d’un renforcement de la croissance potentielle. Il ne s’agit donc pas d’exonérer toute dépense d’investissement, mais plutôt de lier cette exonération au fait que l’investissement a un effet positif sur la croissance à long terme et, dès lors, sur les capacités de remboursement de l’endettement qui y est lié. Certes, la recherche de critères qui établissent avec certitude le lien entre les investissements réalisés et le potentiel de croissance n’est pas aisée à établir. Mais l’absence de distinction entre les dépenses courantes et les dépenses d’investissement a des conséquences encore plus graves, puisqu’elle prive les autorités publiques de tout levier pour relancer l’activité. Dans le cadre du Plan Juncker, la Commission a proposé d’exclure la contribution des autorités publiques du périmètre de la dette. Si cette orientation est salutaire, elle est néanmoins trop limitée. C’est sur la totalité des dépenses d’investissements publics qu’une analyse de leur exonération potentielle doit être réalisée. 52 5.3 Une politique commerciale au service du modèle de développement européen Depuis la création du « marché commun » de la Communauté économique européenne jusqu’aux derniers développements autour du Traité Transatlantique pour le Commerce et l’Investissement (TTIP), la question de l’abaissement des barrières douanières et la promotion des échanges commerciaux est au cœur du projet européen. Le développement des relations commerciales a en effet été un moteur de l’amélioration du niveau de vie des européens et des activités en son sein. Nous avons vu ci-dessus que le marché unique n’était pas encore achevé dans une série de domaines. Il y a donc encore des évolutions importantes qui doivent être accomplies et qui doivent notamment permettre de favoriser les investissements et l’innovation (citons par exemple le brevet européen, ou encore par l’harmonisation des normes liées au transport de marchandises ou d’énergie). La capacité de se doter de normes communes afin de favoriser l’activité économique doit donc être poursuivie. Toutefois, nous défendons l’idée que l’Union européenne adopte une démarche trop passive en ce qui concerne sa politique commerciale, et qui se limite à l’abaissement des normes douanières dans tous les domaines. Nous pensons qu’il faut faire évoluer cette orientation et adopter une démarche plus stratégique quant à la politique commerciale de l’Union européenne. Cette démarche plus stratégique doit s’articuler autour de deux éléments fondamentaux : Une promotion des secteurs stratégiques ; Une préservation du modèle européen à venir. Nous constatons que d’autres régions du monde ne sont pas aussi frileuses que l’Union pour défendre ses intérêts économiques. La Chine continue d’appliquer des droits de douane à deux chiffres pour l’importation d’acier sur son sol. Le Brésil exige, lors d’investissements sur son territoire, le recours à de la main-d’œuvre locale. L’Inde couple l’accès à sa main-d’œuvre bon marché à une transmission du know-how. Dans un tel contexte, l’Union ne peut se limiter à prôner un level playing field. Nous savons que certaines activités connaissent un potentiel de développement élevé dans le monde. Ce sont bien souvent des secteurs dans lesquels l’Europe disposait antérieurement d’un leadership, à la pointe de la technologie et du savoir-faire. Pensons, par exemple, au secteur du transport à grande vitesse, à la production et l’efficacité énergétique, etc. Ce sont des secteurs stratégiques où la demande mondiale ne peut qu’augmenter, et qui de surcroît permet de répondre aux prix de l’énergie appelés à augmenter dans un futur plus ou moins proche. Le deuxième élément de cette nouvelle politique commerciale concerne la préservation du modèle de développement économique et social européen. Nous constatons en effet que la disparition de plus en plus généralisée des barrières aux échanges et la diminution des coûts de transport implique une mise en concurrence exacerbée des entreprises quel que soit le lieu où elles sont établies. Cette mise en concurrence a pour effet que le coût de la production intervient également de plus en plus dans la compétitivité des entreprises. Dès lors, les entreprises qui diminuent leurs coûts de production grâce à des conditions de production peu soucieuses des normes sociales (conditions de travail, droit du travail, santé des travailleurs et risques liés à la production…) ou environnementales (recours à des produits dangereux pour l’homme ou pour l’environnement, à des sources d’énergie intensives en émissions de CO2, pollution de l’air et de l’eau…) ont un avantage sur les firmes européennes qui sont confrontées à des normes plus exigeantes. Nous défendons l’idée de continuer ce processus européen d’édiction de normes qui progressivement harmonisent, renforcent et améliorent les normes qui s’appliquent aux entreprises européennes en matière sociale ou environnementale. Mais ce processus ne peut être miné par les entreprises situées en-dehors de l’Union. Pour cette raison, nous proposons d’adopter un mécanisme d’adaptation des droits de douane en fonction des conditions de production qui ont été d’application pour la fabrication du produit importé. Ces droits de douane doivent être augmentés afin de compenser l’avantage compétitif dont a bénéficié l’entreprise importatrice. Cette approche a déjà fonctionné avec l’adoption du règlement Reach, qui encadre les substances chimiques présentes dans les produits que l’on achète. Ce règlement a l’avantage de s’appliquer à toutes les entreprises qui produisent pour le marché européen, et ce, quelle que soit la localisation de l’entreprise productrice59. Les traités de libres échanges devraient à tout le moins, dans ce contexte, permettre le respect mutuel de normes acceptées par les signataires dudit traité en échange de l’abaissement des droits de douane. En conclusion, nous recommandons que l’Union européenne se dote d’une stratégie nouvelle pour le soutien aux secteurs stratégiques identifiés, conformément à ce qui est détaillé plus haut dans cette contribution, en incluant la politique commerciale dans les outils à activer. Ce recours à la politique commerciale devrait notamment prévoir des mesures de rétorsions nécessaires en cas de déséquilibre de l’accès des entreprises européennes aux marchés extérieurs ; la mise en place des normes sociales et environnementales qui devraient être respectées par toutes les entreprises – étrangères et européennes – qui accèdent au marché européen ; l’activation des délégations européennes dans le monde au service des entreprises européenne et soutenir leur accès aux marchés étrangers, etc. 59 CANFIN Pascal, « Mondialisation : la troisième voie », Alternatives Economiques Hors-séries, Mai 2012. Disponible sur : http://bit.ly/1buXeMw 53 Nous proposons d’adopter un mécanisme d’adaptation des droits de douane en fonction des conditions de production qui ont été d’application pour la fabrication du produit importé CONCLUSION L’Europe souffre d’un déficit d’investissement. Depuis la crise financière de 2008, les investissements tant publics que privés sont restés anormalement bas dans l’Union européenne par rapport au niveau attendu. Le déficit est estimé à plus de 300 milliards d’euros, ce qui pénalise lourdement le potentiel de croissance sur le moyen et le long terme et grève depuis trop longtemps le redéploiement européen. Ce sont en effet les investissements réalisés aujourd’hui, tant par le secteur privé que par les autorités publiques, qui déterminent la capacité de faire croître les activités demain. Le choix des investissements nous projette en effet sur la nature du développement économique, social, environnemental, humain que nous souhaitons pour l’Europe La nouvelle équipe de la Commission européenne semble avoir compris ce message. La relance des investissements fait désormais figure de priorité, comme en témoignent tous les discours du Président de la Commission. Dès son entrée en fonction, Jean-Claude Juncker a annoncé le lancement d’un plan de relance des investissements. Ce plan vise à mobiliser les investisseurs privés au départ d’un budget identifié au niveau européen, misant sur un fort effet de levier. Dans le même temps, un appel a été adressé à tous les Etats membres afin que ces derniers proposent des projets susceptibles de bénéficier de ce financement. Le moment est particulièrement propice à une telle initiative, compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt et des difficultés à relancer la machine économique. La capacité de ce plan de relance des investissements (communément appelé « Plan Juncker ») à déclencher une nouvelle dynamique pour l’économie européenne est cependant sujette à caution. Si cette initiative est incontestablement positive et traduit avec ambition une nouvelle orientation, son impact risque d’être bien moindre qu’annoncé. Attirer des investisseurs privés avec un ratio aussi important par rapport aux capitaux publics auxquels on recourt laisse rêveur. Beaucoup considèrent l’effet de levier annoncé comme trop optimiste. Ensuite, les capitaux mobilisés proviennent principalement de glissements au sein de budgets européens existants, qui visaient déjà le financement d’investissements. Le plan Juncker déplace donc des enveloppes, au risque de freiner les initiatives en cours, et ce, sans amener d’argent public supplémentaire. Plus encore, il convient de s’interroger sur les motivations d’une intervention publique en matière d’investissements. Celle-ci peut être liée à la frilosité des acteurs privés et à la nécessité de renouer la confiance. Elle peut aussi être justifiée par le fait que l’investissement n’est pas directement rentable (pensons, par exemple, à une liaison ferroviaire entre deux États qui nécessiterait des ouvrages d’art coûteux) mais entraîne un rendement beaucoup plus large et des retombées importantes. A ce stade, la volonté ferme de la Commission de rassembler des capitaux privés pour parvenir à ses objectifs concentre l’attention sur la rentabilité à court terme des projets, sans autre garantie sur les investissements On regrettera le manque de vision à plus long terme de la rentabilité des projets La nécessité de relancer les investissements ne fait aucun doute. Mais il est indispensable de s’interroger sur le type d’investissements que l’on souhaite réaliser. Le choix des investissements nous projette en effet sur la nature du développement économique, social, environnemental, humain que nous souhaitons pour l’Europe. 54 Une telle relance des investissements n’a de sens que si elle intègre une vision stratégique plus large. Nous proposons que cette Stratégie s’appuie sur trois piliers : les investissements, l’innovation (en particulier au travers de l’éducation et de la recherche) et la régulation du marché intérieur. Comme trois pièces d’un même rouage, la relance des investissements dans des secteurs-clés doit s’appuyer sur une politique forte d’innovation capable de renforcer le leadership dans ces domaines à haute valeur ajoutée, tout en renforçant la contribution des acteurs privés par une plus grande harmonisation et régulation au niveau européen. Nous identifions trois secteurs-clés : l’économie numérique, le transport et l’énergie. Trois secteurs dans lesquels l’Europe disposait d’une longueur d’avance avant d’être rattrapée progressivement puis dépassée par ses concurrents d’autres parties du monde. L’économie numérique est essentielle, puisque l’imprégnation des nouvelles technologies dans les autres segments de l’économie en fait une source majeure d’amélioration de la productivité. Quant aux secteurs du transport et de l’énergie, ils constituent non seulement le noyau initial de la construction européenne, mais, surtout, sont déterminants pour le type de croissance souhaitée pour l’avenir, tant en Europe que dans le monde. Faire émerger l’Europe comme leader dans ces secteurs-clés est donc un enjeu essentiel tant pour l’avenir de l’économie que pour la qualité de vie des citoyens européens. Enfin, il faut que ces instruments européens naviguent dans le même sens, tant en ce qui concerne la politique monétaire et commerciale que budgétaire. La contrainte européenne de plus en plus forte sur les États membres en matière de monitoring budgétaire s’est avérée totalement contre-productive par rapport au soutien aux investissements. Il est indispensable de revoir l’application des normes comptables afin de distinguer non seulement les dépenses courantes des investissements, mais également pour identifier les investissements porteurs. La course de la relance a débuté. Écartons les obstacles et faisons en sorte que l’Europe parte le vent dans le dos. 55 BIBLIOGRAPHIE Andoura, S., L. Hancher, M. Van der Woude, Vers une Communauté européenne de l’énergie : un projet politique, Notre Europe, 2010. Barbiero F. Darvas Z., In sickness and in health : protecting and supporting public investment in Europe, Bruegel Policy Contribution, Issue 2014/02, February 2014. Chopin T. et M. Foucher, (dir.) L’Etat de l’Union, Rapport Schuman 2014 sur l’Europe, Lignes de repères, 2014. 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Le plan juncker pour l’investissement 21 2.1 La mécanique 23 2.2 Evaluation 24 3. Trois piliers pour une nouvelle Stratégie de développement 27 3.1 Premier pilier : promouvoir un agenda paneuropéen pour l’investissement public 30 3.2 Deuxième pilier : promouvoir l’éducation et la recherche 32 3.3 Troisième pilier : l’achèvement du marché intérieur 37 4. Une declinaison de la strategie dans trois secteurs : le numérique, les transports et l’énergie 39 4.1 L’Union numérique et des télécommunications 41 4.1.1 Les constats 41 4.1.2. Quelles solutions ? 41 4.2 L’Union des transports 43 4.2.1 Les constats 43 4.2.2 Quelles solutions ? 45 58 4.3 L’Union de l’énergie 46 4.3.1 Les constats 46 4.3.2 Quelles solutions ? 46 5. Intégrer tous les instruments dans la même Stratégie 48 5.1 Une politique monétaire favorable à l’investissement 49 5.1.1. Principes généraux 49 5.1.2. Un nouvel agenda pour la BCE 50 5.2 Une politique budgétaire et des normes comptables qui renforcent la capacité d’investir 51 5.3 Une politique commerciale au service du modèle de développement européen 52 Conclusion 54 59