CONSÉQUENCES DE L'ÉCHEC t DE €HARLES-QUINT DEVANT METZ EN 1553 (Discours de téceptiori de M. le Général DOSSE, t le 13 janvier 1937) La situation géographique de Metz en fit un centre d'échanges important et par suite une riche cité. Mais elle lui imposa de subir les fluctuations de races très différentes aux confins desquelles elle se trouvait, et de servir d'étape aux grandes invasions qui remontaient la Moselle. Elle fut naturellement convoitée par ses puissants voisins pour ses richesses et pour les possibilités qu'offrait sa situation topographique d'être une place forte barrant une grande direction. Obligée pour ces motifs de toujours se tenir prête à se défendre, elle fut néanmoins saccagée par les Allemands en 264, par Attila en 4 5 1 . Les Médiomatrici restèrent longtemps aussi sous la domination des Romains qui importèrent chez eux leur culture et leurs arts. De cette occupation, ils gardèrent toujours une forte empreinte latine s'adaptant fort bien à leurs affinités, et les poussant à se rapprocher des peuples du Sud. < Mettis fut ensuite la capitale du royaume de Metz qui devint le royaume d'Austrasie. Mettis fut ensuite occupée par les Francs de Clovis. Charlemagne y fit de nombreux séjours. Après l'avoir incorporée à son Empire, il s'attache avec un soin particulier à l'embellir et à la développer. La Cité fit ensuite partie du Royaume de Lorraine. 84 CONSÉQUENCES DE L'ÉCHEC Mais malgré les orientations diverses souvent durement imprimées par ses envahisseurs, malgré ses vicissitudes, malgré aussi ses luttes intestines nombreuses et souvent profondes, Metz, a su garder, jusqu'à la Renaissance, son caractère très particulier. Cest à sa fière conception de l'indépendance, qui réunissait tous ses habitants dans les moments graves, qu'elle doit d'avoir été longtemps une ville libre, élisant ses magistrats et vivant d'après ses propres coutumes. Elle ne fut rattachée à l'Empire germanique qu'en „1473 par l'Empereur Frédéric III, et seulement souple signe d'un serment de fidélité. Elle n'admit jamais de garnison d'Empire à l'intérieur de ses remparts. Quel est l'événement qui devait inciter la noble Cité à lier son sort aux destinées de notre pays? Après avoir été l'alliée de Louis XI, il apparaît bien que Metz a choisi délibérément entre le joug despotique de Charles-Quint et l'aide généreuse que pouvaient lui apporter Henri II et la France. La nécessité de posséder une place de couverture face aux Germains, a certainement et en grande partie inspiré leur attitude aux Rois de France; mais l'élan de la noblesse et de la bourgeoisie française et par ailleurs le penchant des Messins pour notre culture commune étaient bien deux pôles d'où devait jaillir, un jour, la claire étincelle d'une amitié et d'un attachement réciproques et profonds. * " Il semble intéressant de rechercher quelle est la série des événements qui provoqua cette étincelle? Durant _la pr/emière partie du X V I siècle l'Europe occidentale est en grande partie bouleversée par des luttes religieuses. Elle doit à la fois se protéger contre les tentatives d'invasion des Turcs et de suprématie universelle de Charles-Quint. Ayant recueilli les successions d'Autriche, de Bourgogne, de Castille, puis d'Espagne, cet imparfait émule de Charlemagne se fait élire Empereur, à la mort de Maximilien, contre la candidature de François I . C'est l'origine de quatre guerres qui opposent deux grands champions, durant 34 ans, moins pour des motifs de prépondérance germanique que pour la possession de l'Italie des Pays-Bas, des Flandres, de la Navarre et de la Bourgogne. e er DE CHARLES-QUINT D E V A N T METZ E N 1553 85 Successivement allie à Henri VIII, à Venise, au Pape et aux Suisses, puis aux^ Protestants Allemands et même aux Turcs, François I échoue dans ses tentatives de conquêtes, mais il réussit pleinement à contenir la poussée impériale. Henri II poursuit avec ténacité, mais avec plus d'habileté et de méthode, l'idée maîtresse qui avait inspiré son père. Il profite des difficultés provenant dee luttes religieuses et des rivalités qui séparent les états et villes libres d'Allemagne pour signer avec Maurice de Saxe et les protestants allemands un traité d'alliance contre Charles-Quint. Ayant reçu l'assurance que la solde de leur Armée serait payée par la France, c'est là un fait historique important, les Princes consentent à ce que Henri IL comme vicaire de l'Empire occupe et garde les villes impériales de langue française. L'Empereur, dont les forces sont: partie en Italie face aux Français, partie en Hongrie contre les Turcs, est surpris par la marche rapide de Maurice de Saxe sur Innsbrûck où il se trouve. Il est obligé de s'enfuir précipitamment. De son côté, dans un lit de justice tenu au Parlement le 12 février, Henri II laisse la régence à la Reine et se rend sans tarder près de l'Armée qu'il a formée en Lorraine. Un grand enthousiasme règne dans toute la noblesse française. Le clergé fait doiy de 300.000 écus d'or. Tous comprennent l'importance de la lutte décisive qui va s'ouvrir et s'offrent à partir pour les frontières. L'Armée française occupe Toul sans résistance. A la même époque, la population de Metz est très divisée; elle est en outre écrasée par les impôts que lui inflige Charles-Quint pour*alimenter sa lutte contre les Princes Allemands. Mais l'opinion générale penche du côté français. Les magistrats de Metz ne repoussent dès lors pas la proposition, faite à Henri II, de prendre possession de la ville, comme vicaire de l'Empire. Dans ce but, ils envoient des émissaires à Joinville. Et c'est ainsi que, le 10 avril 1552, Metz accueille le Conné table de Montmorency et son avant-garde et l'autorise à pénétrer au cœur de la ville. En réalité, l'Armée tout entière suit l'avantgarde. Le Roi Henri II fait son entrée solennelle dans la ville libre au milieu d'avril. Les ^autorités messines lui prêtent serment, et reçoivent en échange l'assurance que les libertés de la vieille er J : 86 CONSÉQUENCES D E L'ÉCHEC cité seront respectées. Le Roi se réserve cependant le droit d'y entretenir garnison. Un peu plus tard, les Etats du duché de Lorraine consentent à l'occupation de Nancy et de la Lorraine. Verdun et le Luxembourg accueillent également les troupes royales. Durant ces événements Charles-Quint est à la fois attaqué par les Turcs et les Protestants Allemands. Renié par les catholiques eux-mêmes qui ne peuvent se plier à son esprit despotique, il est en lutte avec le Pape Paul III. Surgissant au milieu de telles menaces, l'occupation des 3 évêchés, consentie par les Princes Allemands, porte à la puissance impériale un coup qui pourrait être mortel. Un effort suprême s'impose pour reconquérir un prestige très ébranlé. L'Empereur traite à Passau le 2 août avec les Princes allemands et grâce à de larges concessions il obtient d'eux l'engagement de lutter en Hongrie contre les Turcs. Mais il ne peut leur faire consentir une alliance contre Henri IL Il rassemble sur le Rhin ses meilleures troupes des Flandres, ses milices espagnoles, ses mercenaires allemands. Des le l* septembre, sous les ordres de ses plus habiles généraux, l'Armée la plus forte qu'il eut jamais réunie s'ébranle vers Metz dans le but de la submerger. La saison est, certes, défavorable, mais l'Empereur ne peut attendre. Il estime, d'autre part, que la vétusté des remparts, qui protègent mal la ville, compensera cet inconvénient. De son côté, Henri II prend les mesures nécessaires pour tenir la promesse qu'il a faite à ceux qui se sont rangés sous sa sauvegarde: « Nous mettrons toute la peine qu'il nous sera possible afin, qu'homme du monde, avec raison, ne se puisse plaindre ou dfre que notre alliance ait été ou soit dommageable à personne. » Metz fit confiance à la France, qui tint parole entière. Le destin des Français veut que dans les dangers extrêmes surgisse, au milieu d'eux, le Chef nécessaires. Ce fut, en 1552, le cas du Duc de Guise. Le Lieutenant général du Roi de France, pour la défense de Metz, a 3 3 ans. Il n'a jamais exercé d'autre commandement que celui d'une compagnie de Gendarmerie, mais en le voyant on sent qu'il est né pour commander. On vante sa taille majestueuse, la noblesse de son port. $on affabilité et sa bravoure. r DE CHARLES-QUINT D E V A N T METZ E N 1553 87 Nous lejvoyons au cours du siège faire preuve des qualités les plus caractéristiques du vrai chef de guerre français. Le Duc fit son entrée à Metz, le 17 août. De nombreux représentants de la plus illustre noblesse française l'accompagnaient. D'autre le rejoignirent avant l'investissement de la Place. Il amène avec lui. pour renforcer les 1.500 hommes de Montmorency, près de 5.000 hommes de solides troupes régulières. Une longue période; de prospérité et de paix avait fait oublier aux Messins la menace que la situation naturelle de leur ville et les conditions ethniques faisaient peser sur eux: ressources et moyens de défense ont été très négligés. Les remparts sont insuffisants, par endroits délabrés ils semblent incapables de résister à l'artillerie moderne de Charles-Quint. Les fossés et fortifications sont encombrés de bâtisses qui gênent le tir et permettent de s'approcher à couvert. Sans délai, le Duc de Guise met ordre à tout cela: la continuité de l'obstacle est rétablie, le mur est rehaussé, doublé, les tours sont renforcées, les fossés approfondis, les champs de tir sont dégagés, en rasant tous les immeubles des faubourgs. Civils et militaires mettent avec ardeur la main à l'ouvrage. Les grands seigneurs de France tiennent à honneur de manier la pelle et de porter la hotte. L'armement est complété et mis en place. Les approvisionnements en munitions et en vivres sont emmagasinés dans la Place. Le commandement est organisé; les troupes sont réparties en secteurs et sous-secteurs de défense. Un service d'hygiène est créé dans la ville, des ambulances s'installent. Une stricte discipline met son emprise sur les troupes et sur la population civile, ainsi que sur certains seigneurs turbulents, dont beaucoup s'étaient jetés dans la Place pour acquérir de la gloire dans la bataille prochaine. Enfin, les préparatifs pour la lutte s'étendent bientôt au delà des enceintes. C'est une zone vidée de se3 couverts et de ses vivres que l'armée de Charles-Quint trouvera pour s'établir. Par son énergie et sa science, le chef s'impose peu à peu. Il anime les exécutants et conquiert les esprits et les cœurs par son habileté et sa bonne humeur. Le 19 octobre, le voile se déchire. Conduisant 20.000 cavaliers, fantassins et artilleurs, qui forment l'avant-garde de 88 C O N S É Q U E N C E S Î>E L'ECHEC Charles-Quint, le Duc d'Albe apparaît devant la ville: Metz est bieù l'objectif-de l'Empereur. Le Duc arrête alors ses ultimes décisions: Toutes les bouches inutiles sont évacuées. Hommes, femmes, enfants et vieillards abandonnent leurs foyers. Ce repli a été préparé et organisé sans doute, mais il est bien douloureux. Le Gouverneur veille lui-même au recensement, à la prise en charge et à la garde, de ce que les malheureux ne peuvent emporter. Seuls sont conservés 200 habitants dont les aptitudes sont utiles aux assiégés, aussi bien matériellement que moralement. Si l'on réquisitionne armuriers, cordonniers, boulangers et chirurgiens, on n'a garde, en effet, d'oublier 80 prêtres et religieux. Dès l'apparition des troupes impériales et malgré ses faibles effectifs, le Duc de Guise prend, sans retard, l'initiative des opérations et, par suite, l'ascendant sur l'agresseur. Le jour où elle se montre vers Saint-Julien, l'avant-garde du Duc d'Albe est attaquée et le soir tombe sur le premier succès des assiégés. Ceux-ci jusqu'à la fin d'octobre, par leur activité hors des murs, ne cessent de harceler vigoureusement l'ennemi, et le retardent dans l'établissement de son camp, de ses tranchées et batteries. La mise en état de défense de la Pdace peut durant ce temps se compléter en portant l'effort principal sur le secteur de la Basse-Seille, encore mal organisé. Cette mesure est d'autant plus urgente que l'assaillant semble vouloir entreprendre des opérations en force par l'île Chambière. Dans la nuit du 2 novembre, sans sonner tambourins et en camouflant soigneusement leur mouvement, les impériaux décampent de ce secteur d'attaque et viennent s'établir entre Seille et Moselle face à la Porte Serpenoise. Ce changement d'objectif est la conséquence d'une ruse de guerre. Le Duc de Guise avait en effet adressé au roi un émissaire, porteur d'un message trompeur, après lui avoir donné mis sion de se faire prendre. * Dans le rapport ainsi intercepté le Gouverneur exprime sa joie de voir l'adversaire appliquer son eflfort principal contre le secteur le plus fort (c'était en réalité le plus faible) et négligé le plus faible (c'était celui qui avait été lé mieux organisé) Ainsi trompés, les impériaux vont désormais dépenser leurs moyens sur un secteur défendu à toute épreuve 1 z DE CHARLES-QUINT D E V A N T METZ E N 1553 89 Le 8 novembre, avant que la dernière communication avec l'extérieur soit coupée, le Duc dépêche au Roi de France un dernier compte rendu: «L'ennemi est sur moi; je suis prêt. Vous pouvez disposez à votre gré de vos forces, dont vous pouvez avoir besoin ailleurs, car ici je me charge de tout. » Le 2 0 novembre, Charles-Quint estime que les préparatifs sont terminés. Faisant le serment de mourir plutôt que de renoncer à Metz, il entame réellement les opérations du siège avec toute la vigueur dont il est capable. Pendant six semaines, à vingt contre un, l'armée impériale met en œuvre tous ses moyens pour briser la résistance morale et matérielle des assiégés. Cent vingt pièces d'artillerie battent le rempart de la Porte Serpenoise, mais il est aussitôt réparé qu'effondré. Des traîtres s'efforcent de seconder, l'assaillant à l'intérie.ur des murs. Grâce à la loyauté des habitants, ils sont aussitôt dévoilés et mis hors d'état de nuire. Le sang-froid, la ténacité et l'ardeur de la garnison ne faiblissent pas un instant. Du Gouverneur au dernier des valets d'armes, chacun s'emploie aux besognes les plus ardues., C'est ainsi que la force morale des assiégés ne tarde pas à se montrer largement supérieure à celle de leurs assaillants, et à faire pencher en leur faveur la balance, du destin. La grave erreur de l'Empereur est de n'avoir pas su organiser l'existence de son armée, en prévision des rigueurs de l'hiver.* Le froid, la neige, la boue, sont la cause d'épidémies qui rapidement affaiblissent et démoralisent des troupes mal installées, mal nourries, mal équipées. Les effets d'une telle négligence ne tardent pas à se faire sentir. - O n peut mettre en regard: d'une part les deux tentatives faites par l'Armée impériale en l'espace de six semaines, pour donner l'assaut à la brèche, que des milliers de boulets avaient ouverte, et, d'autre part, les fréquentes sorties de la garnison de Metz, audacieusément conçues, bien préparées, et qui, chaque fois victorieuses, assènent de rudes coups à l'ennemi. On peut comparer encore l'attitude des deux adversaires, dans ,1a journée du 7 décembre, quand Charles-Quint, après une préparation d'artillerie de onze jours, ordonne l'assaut qu'il espère devoir être définitif et lui permettre de pénétrer dans la place. 90 K CONSÉQUENCES D E L ECHEC Dès que l'alerte est donnée dans la ville chacun se hâte à son poste de combat. Le Duc de Guise installe son P. C. en plein secteur menacé, le gros des forces est face à la brèche, les chefs sont au premier rang ainsi que tous les grands seigneurs de France. Du côté impérial, l'Empereur, à la Horgne au Sablon, attend anxieusement le déclanchement de la progression. Mais aucun bruit ne vient rompre le silence tragique qui s'est établi sur les deux corps de bataille. Quel événement imprévu retient les lourds bataillons massés sur leur base de départ? Charles-Quint fait avancer sa litière, et se rend près des premiers échelons. Et là, il apprend que pendant la mise en place, quelques isolés dominant la brèche où ils devaient s'engouffrer pour monter à l'assaut, ont vu les assiégés, en bataille, faisant fière contenance. Ils ont renseigné leurs camarades qui dès lors refusent d'attaquer. Rien n'y fait, pas plus les exhortations que les menaces, et le tout puissant empereur doit se résigner à accepter un contre-ordre qu'il n'a pas donné. Une voix s'est élevée près de lui dans les rangs des vieux soldats: Nous savons bien qu'il n'y a pour nous que la mort au bout « de cette aventure, mais alors pourquoi cette hâte, pourquoi « nous mener à la boucherie, quand il n'y a qu'à se donner pa« tience pour nous voir périr tous de misère. » Un courtisan prend le grognard à parti, et cherche à exciter l'Empereur contre l'impertinent. La réponse que lui fait CharlesQuint révèle l'immense lassitude et l'amertume qui font plier l'homme, tout autant que l'Empereur. « Il est pardonnable à ce « soldat de vouloir aller dans sa garnison après avoir servi 25 « ans sans congé. » Et; se tournant vers le courtisan: « Quand « à vous qui ne me suivez que depuis deux ans, vous m'avez « déjà demandé deux ibis de vous absenter. » C'est ainsi qu*à la fin de décembre, dans Metz-la-Pucelle. six mille Français avec le concours de 1.200 habitants vinrent à bout de 100.000 étrangers. Le jour de Noël, alors que, tous postes de garde Renforcés en prévision d'une surprise, les assiégés célébraient l'anniversaire de la naissance du Christ, l'Empereur prit la décision de lever le siège. £>E CHARLES-QUINT DEVANT MET2 E N 1553 91 Après avoir vide leurs coffres contre ces'murailles maudites, ceux qui avaient été les assiégeants, se mirent en retraite, abandonnant avec la majeure partie du matériel, les malades, les blessés, les morts et les approvisionnements. Ce fut une sinistre déroute de gens désorganisés, misérables et désespérés. Quel tragique aveu de détresse dans ces mots jetés par un capitaine espagnol aux cavaliers sortis de Metz, et qui harcelaient les colonnes en marche vers TAllemagne: « Pourquoi nous attaquer? Vous voyez bien « que nous ne sommes pas en état de répondre à vos coups. Nous nous retirons. Ah! laissez-nous aller en paix. » Le 2 janvier, le gouverneur rend compte au Roi de la victoire. Le 15 janvier tout le pays est nettoyé d'ennemis, et de grandes cérémonies religieuses célèbrent le triomphe des assiégés. Entre temps, le chef victorieux et généraux convainc ses troupes de ne pas se laisser aller aux cruautés qu'exigeaient les coutumes de la guerre à cette époque en poussant à abandonner à leur sort et à achever blessés et infirmes. Il les fait au contraire recueillir et soigner. Le 16 janvier, les ordres sont donnés pour préparer le retour des habitants, et réparer les dommages aux biens et aux personnes. Les défenses de la ville sont remises en état. Au cours d'une grande prise d'arme, les plus braves sont à l'honneur. Sa tâche terminée, le 24 janvier, le Duc de Guise, laissant un gouverneur avec une garnison dans la place, quitte la ville et s'en retourne vers le Hoi. Metz est désormais française. L'effort suprême de la plus forte armée impériale, marquant le terme de 34 ans de guerre sanglante, s'effondre ainsi dans une débâcle sans précédent. Après s'être cruellement et inutilement vengé dans les Flandres, Charles-Quint signe le traité de Vaucelle. Henri II garde les Trois-Evêchés. Entièrement découragé, il abdique, laisse à Philippe II, son fils l'Espagne, les Pays-Bas et l'Italie et, par la volonté des Princes allemands, abandonne la couronne impériale à son frère Ferdinand. Au fond d'un palais de l'Estramadure, près du couvent de Saint-Just, celui qui a fait trembler l'Europe se plonge dans la méditation et dans la pénitence. Cependant, jusqu'à sa 11 92 CONSÉQUENCES DE l/ÉCHEC mort, en 1558, il n'est pas encore l'homme anéanti physiquement, tel qu'on le représente parfois. Il peut encore hélas, aider son fils de ses conseils. Dans un esprit plus étroit encore, Philippe II reprend, avec la même ténacité, les projets de domination universelle de son père. Malgré un éphémère succès à Saint-Quentin, il est impuissant à rétablir un prestige désormais abattu. « Il épuisa les ressources « matérielles d'un pays dont Charles-Quint avait épuisé les res« sorts moraux. » A sa mort, la prépondérance de l'Espagne est anéantie et ses ambitions mondiales injustifiées sont partout contenues avec succès par Guillaume d'Orange, Elisabeth, Henri IV. De cette longue période de luttes sanglandes, il semble bien que le fait dominant est issu des événements qui se sont déroulés sur les rives de la JMoselle en 1553. La résistance héroïque de Metz, unique dans l'Histoire, a cimenté à jamais l'union entre les villes de langues française, entre les Trois-Evêchés et la France. Depuis cette époque et même dans les moments les plus douloureux de notre histoire, notamment pendant les événements de 1871, cette union intime, basée sur une culture puisée à la même source, sur un passé glorieux, une estime profonde et un consentement commun, ne s'est jamais démentie. Aucune tentative, aucune menace, aucune propagande, n'ont pu entamer les convictions et la loyauté de ces fortes personnalités qui à travers les siècles ont fait preuve de leur volonté collective et inébranlable de ne se donner que librement et de ne se jamais laisser asservir. Les conséquences de l'arrêt d'une des tentatives d'invasion les plus dangereuses que nous ayons eues à redouter débordent le cadre d'un événement lorrain. Dans la volonté de se porter au secours de Metz nouvellement protégée par nous, un état d'esprit national nouveau s'est révélé en France, sous la forme d'un enthousiasme général. Il permet de constater combien déjà à cette époque notre race était capable d'élan dans ses amitiés et dans ses convictions. L'abandon de soi-même par Metz, après quelques hésitations compréhensibles facilement vaincues, est d'autre part la preuve que ces élans ont été admis et "appréciés par la population messine de l'époque de la Renaissance. t)E ^ C H A R L E S - Q U I N T D E V A N T M E T Z E N 1553 93 Mais T échec de Charles-Quint'dépasse encore le cadre francomessin. C'est un événement européen qui prend une place importante dans la grande histoire des peuples. Il a réellement été la cause déterminante du déclin de la puissance impériale germanique. Cette date historique marque, en outre, le début de la véritable puissance nationale française qui n'a cessé de progresser jusqu'au X V I I siècle, où elle atteignit son apogée. Seule elle était capable, sur le continent, de contrecarrer la puissance impériale et par suite d'assurer aux divers états européens leur autonomie et leur personnalité. C'est donc bien sur la porte Serpenoise, qui ne s'est pas ouverte sous 14.000 coups de canons impériaux, et sur la loyauté des habitants de Metz, qu'est venue se briser l'énorme houle qui déferlait sur un rythme inquiétant, de la Baltique vers le Golfe de Gascogne. Quatre siècles plus tard, une houle encore plus large, beaucoup plus violente et infiniment plus redoutable est venue se briser sur Verdun, tenu aussi par le chef qu'il fallait. Le Maréchal Pétain n'eut pas, comme François de Guise, la possibilité d'organiser ses forces en toute sécurité. Il eut aussi devant lui des chefs et des troupes disciplinées, d'un haut moral, et munies de tout ce que l'industrie moderne pouvait produire. Le triangle des Trois Cités, dont Metz forme, face au NordEst, la pointe extrême, «marque donc bien la limite que la poussée germanique ne saurait franchir quand elle se heurte au chef qu'il faut pour l'arrêter. Dans tous les coeurs français Metz, Toul, Verdun, qui tintent comme des notes sonores dans un grand carillon de gloire, resteront toujours confondues dans une même pensée d'ajffection profonde et de reconnaissance pour le rôle de grande histoire qu'elles ont joué dans les destinées de la Patrie. e