A Verpel, village de 244 habi-
tants, à 25 km de Vouziers,
Albert Didier, né le 16 août
1894, est ancien combattant
du front d’Orient, durant la
Grande Guerre. Marié à
Suzanne Deveaux, il ont trois
enfants Geneviève, Pierre et
Jean, respectivement nés en
1923, 1926 et 1929.
Catholiques modérés, les
Didier sont « cultivateurs » et
tiennent, par ailleurs, un petit
café. A partir de juillet 1927,
Pierre Brytanysock - surnom-
mé « le petit marchand » ou
« le petit Russe » -, vendeur
ambulant de vêtements de tra-
vail, originaire de Nancy, com-
mence ses tournées en
camionnette dans les campa-
gnes de l’Est, aux confins de
l’Argonne, jusqu’à Verpel. Pour
les Didier, comme pour beau-
coup d’autres, c’est une aubai-
ne d’avoir à portée de main
des articles utiles et bon mar-
ché. Lors de l’offensive d’Hitler
en Ardenne, la famille Didier
évacue, le 14 mai 1940, à
Rachecourt-sur-Blaise en
Haute-Marne, là où s’était déjà
réfugiée la famille Deveaux en
1914 ! En juillet 1940, les
Didier décident de rentrer à
Verpel. Une ligne de démarca-
tion entre zone interdite et
zone occupée est installée sur
l’Aisne. Refoulés une première
fois à Montcheutin, ils réussis-
sent à la franchir une seconde
fois. Ils rentrent à Verpel, le 17
juillet 1940. Le village n’a pas
trop souffert des combats.
Deux maisons sont tout de
même détruites. Tous les habi-
tants sont revenus
rapidement ; empêchant ainsi
les Allemands de réquisition-
ner les terres. Aucun chef de
culture n’a pu s’installer. La
Wirtschaftsoberleitung III
(W.O.L. III) n’avait guère d’em-
prise sur le territoire commu-
nal. Le chef de culture alle-
mand, plutôt humain, réside à
Champigneulle. De nombreux
jeunes du pays sont retenus
prisonniers en Allemagne :
Henri Piesvaux, Pol Piesvaux,
Roger Nizet, Edgard Germont,
Raymond Gillet, Marcel
Débard... Un jour, Albert Didier
reçoit un courrier du « petit
marchand ». C’est la surprise !
Depuis plus de deux ans,
Pierre Brytanysock ne passe
plus dans le village. Il a été pri-
sonnier de guerre, libéré en
1942. De retour à Nancy, il ne
peut plus travailler. Lui et sa
famille, pourtant traqués, res-
tent dans leur maison au 5, rue
Erckmann-Chatrian. Le soir, ils
vont dormir chez une amie,
madame Mai, au 28, rue Mont-
Désert. Il a demandé à plu-
sieurs de ses connaissances
et clients - sans enfants - de
cacher les siens. Tous ont refu-
sé. C’est pourquoi il reporte
ses espoirs sur les Didier de
Verpel. Albert Didier n’hésite
pas, début 1943(1), il invite les
deux enfants à venir s’installer
chez lui (pour Lucette
Brytanisock, c’est vers le 15
février 1944). Toutefois, il n’i-
gnore pas le danger pour les
siens : en effet, quelques
semaines auparavant la pré-
fecture des Ardennes avait
adressé un courrier au maire
de Verpel, Marcel Remy, afin
de connaître la présence éven-
tuelle de personnes de confes-
sion juive dans la commune.
Alexis, né le 23 mai 1929, et sa
petite soeur Lucette, née le 17
mars 1934, sont bien accueillis
chez les Didier. Alexis, âgé d’à
peine 15 ans, aide à la ferme
de la veuve Germont. Leurs
parents restent à Nancy. Les
courriers transitent par un
monastère, dans la Meuse (à
Clermont-en-Argonne ?). Car il
est trop risqué d’adresser les
missives directement. Un fac-
teur de Nancy apporte les
courriers aux parents après sa
tournée. Malgré la transforma-
tion de leur nom en « Bryten »,
les parents seront dénoncés,
arrêtés, internés à la prison
Charles-III, puis au camp
d’Ecrouves (Meurthe-et-
Moselle). Quelques semaines
après la Libération, en novem-
bre 1944, des soldats améri-
cains, munis d’une lettre de
Pierre Brytanysock, viennent
rechercher les enfants. Les
parents avaient survécu à la
déportation. En septembre
1946, Pierre Brytanysock est
venu remercier les Didier de
leur hospitalité et de leur
dévouement. Aucun habitant
de Verpel n’a dénoncé la
famille Didier et leurs hôtes.
Tous les habitants ont su gar-
der le secret. Un fait rare en
cette période malsaine, qui
mérite d’être retenu !
A Frénois, Madame Elise
Laime, veuve, et sa fille
Henriette ont caché la petite
Marinette Krépinski, à la
suite de la grande rafle de
janvier 1944. Ses parents
travaillaient à la ferme
Giltaire, réquisitionnée par la
W.O.L. III. Lors de la rafle,
ses parents se cachent dans
le blockhaus de Bellevue.
Marinette restera chez
madame Laime jusqu’à la
Libération, puis ira vivre avec
ses parents à Sydney, en
Australie.
Madame Laime logeait aussi
madame Lotte Rosalie
Besas-Cohn, den-
tiste alle-
mande, elle aussi de confes-
sion israélite, qui sera malheu-
reusement arrêtée lors d’une
deuxième rafle. Lotte Besas
est née le 25 novembre 1889 à
Berlin. Avec son époux, Franz
J. Besas, médecin, elle quitte
Berlin, le 23 juillet 1933, fuyant
le nouveau régime nazi. Le
couple s’installe au 10, rue
Pernety et au 29, rue
Dépercieux, à Paris (XIVe). A
la déclaration de guerre, le 3
septembre 1939, les époux
Besas, de nationalité alleman-
de, sont arrêtés et internés par
la République française au
camp de Gurs, dans les
Basses-Pyrénées. Lotte est
libérée le 8 août 1940. Mais
pas son mari. Le 23 janvier
1941, un certain
« O.B. »
escroque des oeuvres d’art et
de l’argent à Lotte. « O.B. »
détourne, par ailleurs, les colis
destinés à son époux interné.
En avril-mai 1942, Lotte est
engagée comme assistante
sociale par l’Union Générale
des Israélites de France
(U.G.I.F.) jusqu’au 1er avril
1942. Fin juillet 1942, son
époux quitte le camp de Gurs.
Pour quelle destination ? Nous
ne le savons pas, pour l’ins-
tant. Lotte travaille à Paris au
moins jusqu’en mars 1943. Le
19 décembre 1943, elle dépo-
se leurs biens chez le garde-
meubles du Colisée, L. Billard.
Se sentant surveillée, elle
change souvent de nom :
Lemaire, Berger... Elle se fait
faire de faux papiers... Fin
1943, Lotte Besas vient tra-
vailler à Frénois pour la W.O.L.
sous la direction de Kopinski et
de L.J. Eskenasy, Obmann.
Elle échappe à la grande rafle
de janvier 1944 en se cachant
dans une armoire, chez mada-
me Leromain, la voisine des
Laime. Mais quelques mois
plus tard, les Allemands l’arrê-
tent. Elle sera déportée,
assassinée à Auschwitz, à
l’instar de son époux.
A Wadelincourt, près de
Sedan, madame Alice
Laroche-Ficher, née à
Escombres le 26 mai 1898,
décédée à Sedan le 5 mai
2000, cache monsieur Kiwa
Prajs, Juif polonais. Ce dernier
est arrêté à
Paris, en août
1942, et
immédiate-
ment interné
à Drancy.
Tombé grave-
ment malade
dans le camp,
il est remis en
liberté. Il
répond à l’ap-
pel de l’Union
Générale des
Israélites de
France (U.G.I.F.) pour aller tra-
vailler dans les fermes des
Ardennes, réquisitionnées par
la W.O.L.. A Wadelincourt, il
devient l’interprète de la
W.O.L.. Lors de la grande rafle
de janvier 1944, il se cache
dans les bois pendant trois
semaines. Alice Laroche et
son frère lui proposent de l’ai-
der. Il restera chez eux, dans
le grenier, pendant deux mois.
Le 10 août 1994, Yad Vashem
a décerné à Alice Laroche-
Ficher le titre de Juste des
Nations.
A Fraillicourt, Jeanne Wimart,
veuve d’un gendarme, et ses
enfants Georges et Denise
cachent la famille Davidowicz,
originaire de Pologne. Le 16
juillet 1942, l’aînée, Regina
Davidowicz est arrêtée lors de
la grande rafle du Vel’ d’Hiv’.
Elle sera ensuite assassinée à
Auschwitz. Le reste de sa
famille choisit de travailler
pour la W.O.L. au
Radois et à
Deux enfants sauvés par les Didier
de Verpel (Coll. G. Mairien-Didier)
Coll. Henriette LAIME
Henriette Laime témoigne
Une des dernières cartes postales de
Lotte Besas - visées par la censure -
adressées à son époux interné dans le
camp français de Gurs
Franz J. Besas interné au camp de Gurs.
Fausse carte d’identité de Lotte Besas