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Dispersions et mouvements constitutifs [Africultures n° 72 - DOSSIER] 21
[I - DISPERSIONS ET MOUVEMENTS CONSTITUTIFS ]
La notion de diaspora appliquée
au monde noir des Amériques :
l’historicité d’un concept
par Christine Chivallon*
GéoGraphe e t ethnoloGue, directrice d e recherche a u cnrS, chriStine chivallon travaille,
entre autreS, d e p u i S d e S a n n é e S S u r l a d i a S p o r a noire d e S amériqueS. ce texte reprend d e façon
Synthétique une communication orale a y a n t donné lieu à u n article publié e n 2005 S o u S l a
référence « uSaGeS académiqueS du n concept e t variabilité d e S e n S : lexemple d e l a notion d e
diaSpora appliquée a u monde noir d e S amériqueS », cahiers d e recherches d u Grs,n°20, Ly o n
p p .267-295. l’auteure y interroGe lhiStoricité d u concept d e diaSpora e t montre comment
deux définitionS SoppoSent : celle d e l a diaSpora claSSique e t celle d e l a « diaSpora hybride »
incarnée p a r l e monde noir d e S amériqueS. ce faiSant, elle met e n lumière l e S différenteS
loGiqueS e t l e S enjeux idéoloGiqueS que recouvre c e concept.1
Je voudrais consacrer ce texte qui a servi de support oral à l’animation d’un sé-
minaire2 à ce que j’ai désigné un peu pompeusement dans l’intitulé, « l’histori-
cité » d’un concept, c’est-à-dire, non pas à une généalogie, mais à une contex-
tualisation. Je voudrais, au travers de l’exemple de la notion de diaspora, vous
montrer combien le sens des outils que nous utilisons est redevable de nos pra-
tiques, que le concept ne se comprend que saisi en rapport avec l’enchaînement
de nos pratiques, à l’intérieur des mondes sociaux nous évoluons.
Cette thématique n’est pas nouvelle. Le savoir est toujours situé. Dans mon cas,
c’est une découverte que j’ai faite assez tardivement. Lorsque j’étais étudiante, je me
souviens avoir voué une confiance presque sans limite aux sacro-saintes définitions des
concepts qu’il est d’usage de donner avant tout développement empirique. J’ai mis un
certain temps à découvrir que le concept est toujours redevable d’une histoire et d’une
historicité. Depuis, les concepts ne m’intéressent qu’en rapport avec ce qu’ils nous disent
sur la communauté des auteurs qui en forgent le sens, c’est-à-dire, nous, les académiques.
Je vous convie donc à travers la notion de diaspora, à tenter de comprendre, ou
d’approcher les processus d’élaboration et de définition des catégories, à prendre
en compte la socialité des concepts.
Ce regard sur la socialité des concepts m’est apparue de plus en plus nécessaire, et
même essentielle, comme un passage obligé, à la suite de travaux que je condui-
sais, il y a une dizaine d’années, à cheval sur deux espaces académiques : l’espa-
ce francophone et l’espace anglophone. J’ai vécu deux années en Angleterre pour
étudier les communautés jamaïcaines et leurs réseaux religieux.
Mais en fait cet objectif à lépoque a été comptement enchâssé dans un autre qui
consistait à comprendre pourquoi les concepts et notions que j’utilisais en France
n’avaient plus le même sens côté anglophone. Je découvrais à cette occasion les
contraintes normatives qui pèsent sur les discours : le discours quel qu’il soit ne
peut être extrait de son contexte ou dégagé de son historici.
La découverte de ces écarts de signification dans le discours scientique ou encore
l’extrême variabilité de sens des concepts d’un lieu à lautre, a é pour moi une
immense découverte, cette variabilité étant due notamment au passage de la vague
postmoderme –pour faire vite- qui a transfiguré le sens des concepts en usage et
de ce point de vue, le concept de diaspora est un ts bon exemple.
Cette notion la diaspora - est en rapport direct avec mes recherches portant
sur l’univers antillais, mais les interprétations quant à son utilisation dépassent le
cas spécifique qui va servir à l’illustration de mon propos. Ce terme de « diaspo-
ra » plus ou moins utili pour caractériser le monde noir des Amériques, et les
Antilles, condense de manière particulièrement aiguë cette nécessité de se livrer
systématiquement à une contextualisation des catégories, c’est-à-dire à retrouver
les logiques qui en orientent la production.
Je vais revenir très rapidement sur ce concept mais je voudrais d’abord pour plus
de clar dans l’exposé dénir très rapidement ce monde noir des Amériques.
« DES FEMMES, DES HOMMES, DES ENFANTS » INSTALLATION PHOTOGRAPHIQUE D’AGNÈS GODARD © MUSÉE DU QUAI BRANLY / AGNÈS GODARD
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Brève définition du « monde noir des Amériques »
Par « Amériques noires », ou encore « monde noir des Amériques », on désigne
généralement l’ensemble culturel dont le point commun tient à l’origine du peu-
plement, à savoir la traite transatlantique. On doit au sociologue Roger Bastide la
dénomination de cette aire culturelle sous le vocable des « Amériques noires ».
D. Cuche, un ancien étudiant de Roger Bastide livre cette finition : « le terme
d’Amériques noires désigne l’ensemble des régions du Nouveau Monde qui ont
été culturellement marquées par la présence massive desclaves africains et de
leurs descendants. Que ce soit en Amérique du Nord, en Amérique centrale, en
Arique du Sud ou dans l’archipel des Caraïbes, un me ritage historique,
lesclavage et le système de plantation, a abouti à une certaine unité, par-delà
leur diversité, des Amériques noires, tant sur le plan social que culturel. »
L’anthropologue américain Richard Price, l’un des spécialistes les plus connus de la
culture afro-américaine, définit à peu près de la même
manière l’ensemble culturel des Amériques noires,
mais il apporte cependant une autre précision : l’unité
de cette région redevable de ce double héritage, tient
aussi nous dit-il « à l’existence d’une civilisation ayant
répondu à la discrimination raciale par une singulière
vitalité culturelle dans les domaines de la religion, de
la musique et de la langue. »
Nous verrons tout au long de cet exposé que cette
expérience de la discrimination, avec la confronta-
tion violente au schème noir/blanc qu’elle suppose,
est loin d’être étrangère à la production des catégories
conceptuelles sur le monde noir des Amériques.
Je reviens maintenant au concept de diaspora. Pourquoi
celui-ci est-il particulièrement révélateur des enjeux
sociaux qui traversent toute production conceptuelle ? À travers cette notion appliquée
au monde noir des Amériques, on va être en mesure d’explorer deux dimensions
relatives à cette socialité des concepts.
La première concerne la dynamique propre du champ académique. Le concept
de diaspora, va se trouver complètement conformé aux critères de recevabilité
du discours scientifique. Ces critères variant d’un contexte à l’autre, le contenu
de la définition varie lui aussi, et au final, c’est aussi l’objet, le prétendu el,
crit au travers d’un concept aussi variable qui se trouve être modifié, mode
selon les exigences.
La deuxième dimension concerne les logiques identitaires et communautaires.
La structuration du champ académique sur les Amériques noires, autour des
grands courants sociologiques, répercute ces logiques et traduit des réseaux
de positionnement à la fois théorique et idéologique. encore le concept de
« UNE AFRICAINE DANS L’ESPACE » DE JEAN-PIERRE BEKOLO © MUSÉE DU QUAI BRANLY/JEAN-PIERRE BEKOLO
CAROLINE CARTIER © CHARLOTTE PASTERNAK
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diaspora se prête à merveille au repérage de ces logiques pour la simple raison
qu’il reçoit, selon les appartenances, une définition différente.
C’est certainement le propre de tout concept de traduire ce travail d’élaboration
qui engage un projet social, souvent à l’insu de son producteur ou son utilisateur
qui ne maîtrise jamais complètement l’intention sociale de l’activité scientifique
dautant que celle-ci sappuie sur la croyance au principe de l’apurement du
parasitage social. Mais le concept de diaspora semble tout de même offrir une
malléabilité assez remarquable qui le fait épouser un champ de possibilis de
définition assez large, capable de répercuter aisément ces intentions. Pourquoi
la « diaspora » précisément ? Simplement, je crois, parce que ce concept a été en
mesure d’être adop par divers courants, et de passer, comme nous le verrons,
par l’épreuve postmoderne, c’est-dire d’être -appropr.
Mon expova se consacrer successivement à ces deux dimensions : logiques
du champ académique ; logiques communautaires. Je formulerai en conclusion
quelques brèves remarques sur une conception particulière de la diaspora noire
des Amériques, celle développée par Paul Gilroy - pour montrer les stratégies
d’écriture qui entrent en ligne de compte dans l’effort que requiert l’oration
d’adéquation entre le el et sa finition. Car comme je le disais, au final,
c’est l’objet de recherche, ici le monde noir des Amériques, qui va se trouver
subir les distorsions indispensables à son aquation conceptuelle.
Les successions de paradigmes et leurs conséquences
sur la définition du concept de diaspora.
Ce premier point porte donc sur les logiques académiques et en particulier sur
les successions de paradigmes qui font que le consensus de la communauté
scientique dénit des gles de recevabilité du discours scientique. Il est illust
par les écarts actuels existant entre les contextes académiques francophone et
anglophone et bien sûr à travers la notion de diaspora.
Les études sur le phénomène diasporique sont très récentes et datent d’une
vingtaine d’années environ, au cours des années 1970-80 et si l’on veut
bien mettre à part les études concernées par le peuple juif. Le développe-
ment de ces recherches s’explique par l’intérêt accordé aux phénomènes
de mobilité. Les migrations s’amplifient et suscitent un intérêt grandissant
pour les peuples dispersés. La diaspora se situe dans ce renouveau des
recherches sur les migrations internationales.
Les diasporas désignent cependant un type particulier de peuples migrants. […]
Le terme « diaspora » est d’origine grecque et se forme à partir des mots speiro
(action de semer) et dia (préfixe signifiant « par-dessus », «par-delà »). Il serait une
traduction des termes hébreux «galut»(qui signifie à la fois exil et esclavage) et
golah (communauté en exil). On attribue cette traduction à l’époque hellénistique
d’Alexandrie (300 avt J. C.) quand la Bible fut traduite depuis l’hébreu en grec.
Fidèle à son origine étymologique ancrée dans l’histoire du peuple juif, la définition
classique de la diaspora s’adresse à un peuple dispersé, mais un peuple capable de
retenir sa spécificité communautaire, par delà la dispersion, au travers de réseaux
communautaires internationaux. Ce modèle engage une conception classique de la
communauté puisque ce qui prévaut dans la définition de la diaspora, c’est la capacité
à maintenir une unité et une identité par-delà le déracinement. La communauté ne
s’assimile pas dans les sociétés où elle s’établit - assimilation au sens de la perte des
traditions culturelles - mais compose au contraire selon un double registre qui la fait
être à la fois participante au sein des structures sociales elle évolue et résistante
vis-à-vis des spécificités de son identité culturelle qu’elle parvient à maintenir. [...]
Avec la promotion de ce modèle, on voit aussi se construire des peuples archétypaux :
les peuples juifs, arméniens, et grecs figurent au rang des diasporas classiques.
Ce modèle classique de la diaspora a connu une évolution très nette à la faveur
du développement des tendances postmodernes, exclusivement dans le milieu
académique anglo-aricain.
Je précise de manière quasi caricaturale que le postmodernisme s’appuie entre autres
sur une critique vive de l’essentialisme, c’est-à-dire de la
tendance à assigner à l’identité culturelle un contenu fixe,
non susceptible de changements et de négociations en
fonction des contextes et de l’historicité des peuples. La
communauté est saisie à travers sa propension à rester
stable et à se reproduire à l’identique. Cette conception
entre dans la ligne de mire de la critique postmoderne.
Une critique qui s’alimente en fait à une double source :
d’un côté le reproche de l’essentialisme qui s’attacherait
à de prétendus invariants culturels ; de l’autre la critique
du modèle objectiviste de la communauté telle qu’on le
retrouve dans la sociologie inspirée d’Émile Durkheim et
qui tend à réduire les faits sociaux à des choses, donc à les
prétendre objectivables. [...]
La diaspora intègre cette critique post-moderne.
Conceptualisée à partir de la notion d’unité commu-
nautaire, elle va finir, au cours des années 90, par être
une cible privilégiée de la critique postmoderne en
même temps que devenir emblématique de la posture
relativiste. Le fait que ce soit pciment la notion de
diaspora qui polarise l’intérêt des mouvances postmo-
dernes sexplique par la charge symbolique de ce concept
susceptible d’être détournée et réappropriée.
Car les « postmodernes» - j’insiste ici pour dire que mon
vocabulaire est assez caricatural - ne vont pas se contenter de repérer au sein du
concept ce qui vaut d’être critiqué en rapport avec un usage vieilli de la notion de
communauté. Ils vont surtout s’emparer de la notion parce qu’elle porte en elle des
éléments en adéquation avec le souci postmoderne. Ce que veulent mettre en avant
les postmodernes, c’est l’idée de variabilité et de changement : rien n’est jamais pur
et fixé d’avance. La vie sociale n’obéit pas à des lois et déterminismes mais s’établit
selon des contingences. Elle est soumise aux jeux des individus et aux aléas de la vie
ordinaire. Il s’agit là, je le répète, d’une version assez grotesque du postmodernisme
mais qui peut nous aider, par effet de grossissement bienvenu quand le temps nous est
limité - à mieux comprendre l’engouement des postmodernes pour la diaspora.
L’expérience des peuples dispersés vient en effet répondre au souci de transcrire la vie
DR
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sociale à travers des éléments de dispersion, de mobilité, de changements, de non-
assignation à une identité préconçue. La diaspora rompt d’une certaine manière avec
l’idée de la communauté enracinée et solidaire, puisqu’elle est une expérience de la
rupture territoriale. C’est pour cette raison qu’elle fait le bonheur des postmodernes
par sa charge sémantique disposée à faire émerger la fluidité du social.
Mais à travers cette appropriation de la notion pour vanter les vertus de la dispersion,
il faut aussi que s’opère la mise à l’écart de l’expérience communautaire à laquelle
fait référence le modèle classique de diaspora. C’est pourquoi les postmodernes
vont plutôt privilégier l’expérience de peuples assez atypiques. Le peuple juif qui
correspond à l’archétype du modèle classique va être remplacé chez les postmoder-
nes par le peuple noir des Amériques qui correspond à l’archétype de la diaspora
postmoderne, ou encore diaspora «hybride”. Pourquoi le peuple noir ? Simplement
parce que son histoire met en scène une trajectoire identique à celle d’une diaspora
comme le peuple juif, mais que sa construction communautaire échappe au modèle
de la communauté classique. Je reviendrai sur ce point plus loin.
Deux modèles de diaspora :
l’un classique, l’autre postmoderne
Nous sommes donc en présence de deux modèles de diaspora : l’un, classique
apparenté aux peuples archétypaux, tel le peuple juif. L’autre «postmoderne”,
ou hybride, apparenté à la trajectoire du peuple noir des Amériques devenu
emblématique de cette nouvelle conceptualisation.
« DES FEMMES, DES HOMMES, DES ENFANTS » INSTALLATION PHOTOGRAPHIQUE D’AGNÈS GODARD © MUSÉE DU QUAI BRANLY/AGNÈS GODARD
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Comme je le mentionnais, ces deux modèles reçoivent une audience bien
différenciée selon les contextes académiques. Dans l’espace francophone,
on peut dire que le modèle hybride est pratiquement absent tandis que
domine une conception plutôt classique. Côté anglophone au contraire, le
champ d’études sur les diasporas se divise de façon nette entre les classiques
et les postmodernes, ces derniers portant un projet intellectuel devenu quasi
normatif au cours des 10 dernières années, entérinant le succès de ce qu’il
est convenu d’appeler le cultural turn.
Ramené au monde noir des Amériques, l’usage du concept de diaspora vèle
deux univers de sens très typés d’où ressort la volonté de faire correspondre
cet ensemble culturel aux exigences de cohérence requises. Deux textes
suffisent à illustrer ce constat.
Dabord celui dAlain Médam, sociologue français spécialiste des diasporas et de la
diaspora juive en particulier. Dans un article publié en 1993, dans la Revue Européenne
des Migrations Internationales, Alain Médam propose une typologie des diasporas
où culmine le modèle classique, comme idéal-type, incarné par la diaspora juive et
à partir duquel se déclinent toutes les autres expériences diasporiques. Et pour que
le modèle fonctionne, il faut bien lui trouver son anti-thèse. C’est le monde noir
des Amériques, et la diaspora caribéenne en particulier, qui va lui fournir. Ainsi
Médam oppose t-il de manière hrarchique, la diaspora juive qui forme le pôle
de la diaspora quasi parfaite, parce que (je reprends les qualificatifs utilisés) stable,
durcie, cristallisée, organie, dynamique, active, pourvue de circuits de solidarité ;
et à lautre pôle, la diaspora caribéenne, où se lit l’échec de lexpérience collective de
la dispersion, puisque cette diaspora - dont on se demande bien en quoi elle rite
encore lusage du terme - se vèle instable, précaire, aventureuse, fluide, amorphe,
anomique, soumise à des pouvoirs locaux. Ce qui contribue à rendre la diaspora
spécique pour Médam, cest bien sa capacité à faire corps, à être toujours unie dans
la longue durée et la dispersion, tel le peuple juif dont la continuité est due nous dit
Medam à ce territoire substitutif qua constitué la Bible.
La contribution de Stuart Hall, deuxième texte en question, fait écho à celle d’Alain
Médam. Je reviendrai plus loin sur ce texte. Pour l’instant, je m’arrête seulement
sur la perspective comparative. Stuart Hall est un sociologue britannique d’origine
jamaïcaine. Il est connu pour être le fondateur des cultural studies. En 1990, il publie
un article resté une référence incontournable dans le champ des études diasporiques.
Ce texte est le premier à formuler les contours de la diaspora hybride en accord
avec les préoccupations que traduit le tournant postmoderne. Stuart Hall s’appuie
sur l’exemple de la Caraïbe pour parler d’un peuple qui vit par «hybridité”. Il se
défait ici du modèle de la communauté centré et s’appuie sur la diversité du peuple
antillais et sur sa légendaire absence de cohésion communautaire pour traduire une
construction collective faite à la fois de traditions et de changements, telle que la
figure les modèles de la créolisation ou du métissage culturel propre à la Caraïbe.
Mais Hall va plus loin, et suggère que la diaspora juive incarne un modèle d’eth-
nicité vieillie. «La diaspora ne fait pasrence pour moi à ces tribus dispersées
(comprendre les 12 tribus d’Israël) dont l’identité ne peut être confortée qu’en
relation avec un territoire sacré vers lequel elles doivent retourner à n’importe quel
prix, même si cela signie de pousser les autres peuples dans la mer. Ceci est une
conception vieille, imrialiste et hégémonique définition de lidenti (...).
On voit très nettement ici comment s’opère le renversement de la hiérarchie des
valeurs que l’on avait vu chez Médam. le peuple juif est vanté pour son
unité, le peuple noir est mis en valeur pour sa mobilité culturelle. Dans les deux
cas, les procédures de construction du concept fonctionnent de façon identique.
Elles s’emparent des objets de telle manière que ceux-ci ont la pleine charge de
venir signier les valeurs assiges au concept. En discriminant dans la alité, le
concept fait bien autre chose que de découper le réel et de le traduire en catégories
intelligibles. Il porte en lui-même l’intention qui préside à un tel découpage et qui
ne peut jamais être extraite du contexte qui la gouverne. [...]
Cet exemple qui met face à face ces deux textes nous renvoie bien évidemment à
des stragies identitaires : Alain dam est dorigine juive, Stuart Hall d’origine
antillaise. Il me semble important d’insister sur la manière dont la catégorie concep-
tuelle est formatée, modelée à des exigences. Elle est capable de créer des mondes
sociaux bien typées : d’un coté un monde rivé à lidéal de la communauté solidaire ;
de l’autre un univers traversé par l’utopie de la mobilité jusque dans l’indétermi-
nation des construits sociaux. Plus gravement, la création de ces mondes sociaux
en vient à se constituer sur la base d’une discrimination. Chez Médam, il est bien
question de petites et de Grandes diasporas. Le concept sert presque de label pour
distinguer certains peuples et se trouve ainsi engagé dans des procédures d’anoblis-
sement de l’objet. Chez Hall, on voit se profiler la posture de résistance à l’ordre
occidental qui implique le renversement des hiérarchies de valeurs imputables à
cet ordre, au premier rang desquelles gurent les valeurs qui structurent le registre
de la nation et de l’ethnicité. L’idéal diasporique en rejetant l’idéologie de la nation
rejette les peuples réputées être associés à cette idéologie.
On voit cependant à travers cet exemple que c’est plutôt le concept qui est
mobile et variable. L’objet en définitive est vu par les deux auteurs de manière
assez similaire : la diaspora juive est vue comme unitaire et le peuple caribéen est
associé au désordre. Ce sont plutôt les valeurs attachées au concept qui modifient
la perception d’un état préalablement conçu à lidentique. Avec la deuxme partie
de cet exposé, on va voir comment l’objet lui-même est transformé dans son état
pour être conformé aux stratégies d’énonciation du discours scientifique.
Structuration du champ de recherche
sur les Amériques noires et stratégies identitaires.
Avec ce deuxième point de l’exposé, on rétcit la perspective depuis le champ des
études diasporiques, jusqu’au champ des études sur le monde noir des Amériques,
car à l’intérieur de ce champ, on va se trouver à nouveau placés face à une extrême
variabilité de sens attrib et à la diaspora et au monde noir des Amériques. Le
concept va en fait embrasser tout le champ des possibles depuis la référence à la
communauté solidaire jusqu’à labsence de cette même communauté.
Il est possible de ramener la diversité des interprétations à trois modèles principaux
qui vont doter la notion de diaspora de significations particulières. Le premier
modèle, est le modèle classique. Il insiste sur le caractère forcé de la dispersion
depuis un territoire dorigine, l’Afrique ancestrale, revendiqué comme rérence
commune. Le second modèle est celui de la diaspora « hybride »qui, on vient de
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