Gestion active de la dette
La lettre mensuelle du
Secteur Public
Qui sait, le plan de sauvetage de la Grèce et le changement des
règles de la BCE parviendront-ils à contenir la crise dans la zone
euro ? C’est ce que nous espérons, bien que cela paraisse difficile.
Les mouvements d’humeur de M. Marché prévalent en effet
aujourd’hui sur les appels au calme, et ce malgré des situations
budgétaires moins alarmantes au Portugal et en Espagne.
Au-delà des taux records auxquels la Grèce emprunte pour financer son
déficit public, où sont les actifs fortement décotés ?
Lors de la réunion annuelle de la firme Berkshire Hathaway le week-
end dernier, un actionnaire a demandé à Warren Buffett son avis sur
la situation actuelle en Europe. Il a répondu qu’il n’était pas sûr de
connaître la fin du film et « qu’il n’aimait pas aller au cinéma dans
ces conditions ». Comme d’habitude, il voit juste. En toute logique,
une fois la situation réglée en Grèce, le pire sera passé. Les autres
économies fragiles de la zone euro sont en effet en bien meilleure
santé : le Portugal et l’Italie ont des déficits nettement moins élevés,
l’Espagne affiche un ratio Dette/PIB inférieur et l’Irlande se redresse
sensiblement. Ces gouvernements sont semble-t-il plus solides
d’un point de vue structurel. Cette constatation ne fait toutefois
qu’appliquer un raisonnement « logique » à une situation aujourd’hui
largement tributaire des mouvements d’humeur de M. Marché. Après
tout, selon cette « logique », la crise grecque n’aurait jamais dû se produire
dans la mesure où son bilan n’a jamais été aussi tendu que celui du Japon,
qui lui n’a jamais été confronté à de telles tensions.
Les travaux de Reinhart et Rogoff montrent qu’il n’existe pas de « seuil
» au-delà duquel les marchés refusent de financer les déficits publics
(cf. graphique ci-dessous). Nous devons par conséquent nous garder
de penser que la crise se limitera à la Grèce simplement parce que les
autres candidats sur la liste ont des ratios d’endettement moins élevés.
Nous ne connaissons tout bonnement pas le niveau à partir duquel
la dette n’est plus soutenable.
S’il est une chose que nous savons c’est que les crises de ce type se
propagent de manière séquentielle. M. Marché se métamorphose en un
gigantesque monstre digne d’un film hollywoodien, pourchassant sans
relâche ses victimes transies de peur et détruisant tout sur son passage
avant de s’attaquer à sa prochaine proie. Nous avons assisté à un
scénario similaire en 2008. L’épicentre de la crise se déplaçait alors
d’une institution financière fragilisée à une autre, multipliant les dégâts.
Une telle situation s’est également vérifiée pendant la crise asiatique, en
1997. Le graphique ci-dessous reflète l’effondrement des principales
devises asiatiques au fur et à mesure de la propagation de la crise. Il est
important de comprendre qu’à l’époque personne ne doutait du fait que
la Corée n’était pas la Thaïlande ou l’Indonésie On jugeait alors la Corée
structurellement plus solide.
Par bien des aspects, la Corée était plus solide structurellement que les
autres économies. Malheureusement, la situation coréenne n’était pas
différente de celle des autres pays cités sur un point non négligeable :
son endettement était bel et bien gérable à un taux de change déterminé
mais ne l’était plus à un autre (la Corée, comme la plupart de ses voisins
asiatiques, avait emprunté massivement en dollars pendant la longue
période où son taux de change était fixe ; par conséquent, lorsque M.
Marché a décidé de réévaluer les taux de change, la charge réelle de la
dette étrangère a explosé, dévoilant ainsi des problèmes structurels
précédemment occultés).
Un élément bien connu de M. Marché suggère que la crise n’est pas
terminée : les actifs ne paraissent pas encore assez fortement décotés
par rapport à leur valeur intrinsèque. A l’exception de la dette grecque
(traitant à des niveaux reflétant un risque de défaut du gouvernement),
nous peinons à trouver des actifs fortement décotés : les marchés actions
grec, portugais et espagnol ont fortement baissé mais aucun d’entre eux
ne s’échange en dessous de nos estimations de valeur intrinsèque. En
effet, si l’on regarde les estimations de valeur intrinsèque pour chacune des
valeurs des bourses grecque, portugaise ou espagnole, aucun titre ne traite
en deçà de sa valeur intrinsèque ; Repsol et Gas Natural constituent les
deux seules exceptions en Espagne. Sur l’ensemble des marchés,
seul le Royaume-Uni et la Norvège présentent des ratios VI/C (Valeur
intrinsèque/Cours) supérieurs à 1,0 (c’est-à-dire : Valeur intrinsèque
> Cours). Ces marchés offrent tout simplement bien plus de valeur,
particulièrement la Norvège – malheureusement un petit marché, mais
qui reste à nos yeux une saine destination pour les capitaux.
Néanmoins, aucun de ces éléments ne nous permet d’avancer quoi
que ce soit de façon certaine. La BCE accepte désormais d’acheter
directement des obligations d’Etat. Pour ce qui est de sauver la devise
européenne sous sa forme actuelle et d’abaisser le risque systémique au
sein du système financier de la zone, il s’agit d’une excellente décision.
Et dire qu’il y a quelques mois seulement, la BCE envisageait de revenir
à ses standards de collatéraux d’avant la crise du crédit !
Entre mythes et réalité
La crise est-elle en train de se propager à l’ensemble de la zone euro ?
Numéro 29
Mai 2010