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Dossier
LE MODÈLE JAPONAIS ET SES RELATIONS AVEC L’ASIE ORIENTALE
deux objectifs différents, à savoir profits et salaires, commencent
à se réaliser sans provoquer de contradictions et il faut noter à
cette époque l’existence effective d’un mouvement syndical très
puissant. Dans le contexte de l’après-guerre, le pays était dominé
par l’esprit d’appartenance à l’entreprise, mais, en dépit de cela,
les syndicats japonais de l’époque ont été assez puissants pour
agir et obtenir satisfaction concernant les revendications salariales.
Celles-ci portaient essentiellement sur le niveau du revenu annuel
(salaire mensuel + bonus semestriel) et le célèbre « shunto », ou
«offensive de printemps », était devenu classique par l’organisation
annuelle et coordonnée de grèves sur ces revendications salariale.
Le compromis salarial japonais a donc été fondé sur le pouvoir
d’achat et les emplois, non sur la durée du travail. De là est né le
mythe de l’emploi à vie. Notons toutefois que le système de l’emploi
à vie ne concernait qu’une partie du salariat japonais, les
travailleurs des grandes entreprises, masculins et réguliers, qui
constituaient environ 30 % de l’ensemble des salariés japonais.
Cette démocratie salariale avait fonctionné en faveur de ce groupe
et beaucoup moins en faveur des salariés des PME. Toutefois, tant
que la macro-économie a connu une croissance assez régulière,
ceux-ci aussi purent obtenir une partie des gains de productivité,
encore qu’ils jouaient évidemment le rôle d’amortisseur de choc
lors des récessions périodiques [Boyer & Yamada édit., 2000].
La régulation macro-économique japonaise allait fonctionner
de façon continue durant les décennies 1970-1980. Les chocs
pétroliers, par lesquels les économies occidentales ont dû passer
du boom à la longue récession, ont été pour le Japon l’occasion de
marquer son savoir-faire en matière de gains de compétitivité
industrielle. En effet, l’économie japonaise a maintenu un rythme
relativement élevé du taux de croissance et cela a débouché sur un
boom sans précédent à la fin des années 1980. La macro-économie
semblait alors en surchauffe, avec un envol inflationniste très net
dans les marchés financier et immobilier. Après avoir atteint un
niveau des cours très élevé pendant plusieurs années, la bourse
de Tokyo a cessé d’être un laboratoire d’alchimie tout au début des
années 1990. Elle avait anticipé l’effet de retournement de
l’intervention du ministère des Finances en vue de contrôler la
surchauffe du marché immobilier, mais le resserrement du robinet
financier a provoqué un choc brutal dans la situation de surchauffe
macro-économique. Cela a engendré des créances douteuses
mais, à l’époque, la plupart des observateurs économiques ont
considéré que le problème serait très vite résolu avec l’arrivée de
la reprise. Or, la reprise réelle n’est jamais venue, une reprise
aussi forte qu’avant, et cette récession prolongée a donné naissance