La recherche socio-anthropologique « sous contrat

La recherche socio-anthropologique « sous contrat » : pratiques
et limites de l’expertise au regard d’expériences de terrain
Tessier Olivier - EFEO
Introduction 103
Contexte 103
Trois regards croisés 104
Les projets de développement au Vietnam 105
1. Les Termes De Référence : de la pratique scientifique à l’expertise 105
Cahier des charges et rapport contractualisé 105
Cadre logique : comment (re)construire et reformuler la demande 107
2. Organisations paysannes et action collective 109
Le « retour de l’acteur » 109
L’organisation n’est pas un système clos 110
Stratégies des acteurs et systèmes d’action concrets 110
3. Approche méthodologique et enquêtes 111
Toute enquête est spécifique 111
Trame méthodologique et outils 112
Pré-enquête : une première approche de l’objet d’étude 113
Principe méthodologique : décrirela norme pour mesurer les écarts 114
Modalités de recension quantitatives et descriptives :
«objectiver »la compréhension des modalités d’intervention du projet 116
Espace de validité et limites 118
Restitution et valorisation des résultats 119
En guise de conclusion 120
Bibliographie 121
Echanges… 122
Introduction
Contexte
Une nouvelle configuration internationale de la recherche
pour le développement, marquée par la globalisation et
l’apparition de nouveaux acteurs internationaux, s’impose
depuis le milieu des années 1990. Ainsi, parallèlement à la
recherche institutionnelle, dans le cas français (CNRS, IRD,
CIRAD, Universités, etc.), se développent de nouveaux lieux
de production des savoirs, au premier rang desquels les
grandes organisations internationales et bailleurs de fonds
(Banque mondiale, Union Européenne, Banque Asiatique
du Développement, Programme de Nations Unies pour le
Développement, UNICEF), les ONG, les fondations, etc., qui
ne disposent généralement pas à demeure de spécialistes
et font appel à une expertise externe.
La réflexion critique sur les objets, les pratiques et le
monde du développement en général ne date pas d’hier.
Mais le fait que la question de « l’utilité de la recherche »
dans un monde globalisé s’impose de plus en plus
comme un choix politique et sociétal pour les pays du
Nord (occidentaux) et non plus pour les seuls pays du Sud
(émergents, en voie de développement), amène en retour
une réflexion de la part des chercheurs en sciences
humaines et sociales (SHS) sur leurs pratiques, sur la
nature de leur savoir, sur les modalités et les conditions de
production et de diffusion des connaissances. Le débat
autour de l’axiome de « l’utilité de la recherche » que
nombre de décideurs et d’acteurs de la société civile
souhaiteraient orienter en « recherche utile » voir « en
recherche action », prend ainsi la relève de l’opposition
manichéenne et quelque obsolète « recherche fonda-
mentale » vs « recherche appliquée ».
La multiplication des colloques, conférences, forums
centrés sur un questionnement épistémologique autour
du rôle et de la place des sciences humaines et sociales
souligne la généralisation d’une réflexion qui n’est plus
le domaine de prédilection de quelques spécialistes.
Adéfaut d’en dresser une liste à la Prévert, citons deux
exemples français.
104 Les Journées de Tam Dao 2007
Le premier exemple est un séminaire intitulé « Actualité
de l’anthropologie » de l’Association Française d’Anthro-
pologie et dont l’objet est défini ainsi « Inauguré en
janvier 2002, le séminaire a mené durant les précédentes
années, une réflexion théorique et épistémologique sur
la globalisation, les transformations sociales qu’elle
engendre, ses effets sur la pratique de terrain de
l’ethnologue et sur sa position ».
Le second exemple, consacré au monde du dévelop-
pement dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire,
est celui d’un colloque au titre évocateur « Forum des
sciences humaines et sociales et recherche pour le
développement : nouveaux contextes, nouveaux défis »
qui aurait du se tenir du 27 au 29 mars 2007 à Paris au
Siège de l’UNESCO.
Trois regards croisés
En fin de compte et de façon quelque peu schématique,
les chercheurs en SHS peuvent poser trois regards
complémentaires sur les faits et les acteurs du
développement, étant entendu que l’on considère ici
toute la chaîne de réalisation d’un programme ou d’un
projet de développement, de sa conception à son
évaluation finale en passant par les étapes successives
de mise en œuvre des actions.
1. Un regard critique sur le fondement de la notion
de développement,notamment sur son ambiguïté
intrinsèque qui ne l’affranchit pas totalement d’une
vision positiviste et d’une portée universaliste, sur les
transformations endogènes que génèrent les pratiques
et projets de développement ainsi que sur les raisons
sous-jacentes qui motivent la mobilisation de moyens
externes pour l’action. Cette réflexion « sur le
développement » et « au service du développement » a
émergé en France à la fin des années 1980, notamment
avec Jean-Pierre Olivier de Sardan, qui s’attache à
définir et à codifier une « anthropologie du changement
social et du développement ». Pour ce scientifique, le
changement social se décline clairement en termes
d’enjeux de pouvoir. Les « faits de développement »
mettent en effet nécessairement en rapport des
éléments hétérogènes, mobilisent des structures
intermédiaires informelles, des réseaux et créent de fait
une interface entre le « macro » et le « micro », ne serait-
ce que parce qu’ils cristallisent la confrontation entre
contraintes externes et capacités d’initiative des
individus et des groupes locaux. Cette importance de
l’intervention du politique dans le fait même du concept
de développement est relevée par T. Bierschenk : l’aide
n’est jamais neutre socialement ne serait ce que par la
légitimité qu’elle confère aux politiques à l’échelon local
et central, à l’Etat, ainsi qu’à un groupe d’acteurs
spécialisés, les « courtiers du développement », dont
elle a suscité l’émergence et qui ont su s’imposer
comme un maillon indispensable du système, échap-
pant au contrôle des promoteurs des programmes
d’aide.
2. Un regardépistémologique et heuristique sur la
capacité des faits de développement à susciter de
nouvelles approches disciplinaires décloisonnées, de
nouvelles problématiques de recherche, de nouveaux
lieux et modes de production de savoir et, in fine, de
nouveaux courants de pensée, qui ne soient plus
uniquement d’essence exogène mais qui soient
également réfléchis et produits par les chercheurs et
institutions scientifiques des pays du Sud. En cela,
l’expérience et le dispositif des institutions de
recherche françaises vouées au développement (IRD,
CIRAD) et de certaines ONG positionnées à l’interface
entre la recherche et le développement (GRET, IRAM),
sont à même de servir de plate-forme pour une analyse
réflexive en collaboration étroite avec les chercheurs du
Sud impliqués dans le domaine. Entre autres, il
convient de s’interroger sur le devenir des SHS prises
dans un vaste mouvement de reconfiguration des
rapports scientifiques entre Nord et Sud ; sur le rôle des
SHS dans le développement en termes de mesure sur
les politiques publiques et d’impacts directs sur les
sociétés du Sud.
3. Un regard empirique posé par des acteurs du
développement sur la conception des projets et sur leur
mise en œuvre à différentes échelles d’intervention.
C’est ce troisième regard que j’ai adopté pour cette
communication, sachant qu’il ne sera question que de
la configuration particulièreoù le chercheur en SHS se
Les organisateurs de ce forum rappellent en préambule
que le développement des pays en développement n’est
plus pensé en termes de développement national, mais
comme une nécessité qui s’impose pour notre avenir
commun. Les priorités de cet avenir commun sont prag-
matiques - la lutte contre la pauvreté, la réduction de la
mortalité infantile et maternelle, l’universalisation de l’édu-
cation primaire, l’égalité des sexes, l’endiguement du SIDA
et du paludisme -, ou organisationnelles - liens entre com-
merce et développement, coopération régionale, renfor-
cement des capacités institutionnelles au Sud. Ces priorités
ont pour cibles, non plus les Etats, mais les populations et,
àcette échelle d’intervention, elles privilégient finalement la
recherche-action sur la production de connaissances
stricto sensu et la formation des communautés scienti-
fiques des pays du Sud.
Par ailleurs, dans son double rapport aux sociétés en
développement et aux sociétés riches, la recherche pour
le développement n’est donc pas le produit de la société
pour laquelle elle travaille, mais un média entre des
sociétés bailleurs et des sociétés cibles.
105
La recherche socio-anthropologique « sous contrat »
transforme en « expert » dans le cadre d’une entreprise
de « recherche sous contrat ». L’expression « recher-
che sous contrat » est utilisée ici dans une acception
restrictive : il s’agit d’une commande passée par une
organisation internationale, une agence de coopération
ou une ONG, sur un objet d’étude précis et concret qui
implique une investigation de terrain de courte à
moyenne durée et dont le cadre est fixé par des
« termes de référence » édictés par l’organisation
commanditaire de l’étude.
L’objectif de cette communication est de mettre en
lumièrecertaines limites et contraintes méthodologiques
imposées par la « recherche sous contrat » tout en
soulignant l’apport que ce genre d’exercice peut
représenter pour une pratique scientifique académique
et cela justement parce que le chercheur doit faire face
àdes contraintes inédites. Pour cela, je vais reprendre
plusieurs expériences auxquelles j’ai participé au
Vietnam et qui relèvent des deux grands temps de la vie
d’un projet ou d’un programme de coopération /
développement (identification et conception du projet
ou du programme ; évaluation d’actions particulières ou
du projet dans son ensemble), sachant que je me suis
également trouver à différentes reprises dans la situation
inverse, celle du chef de projet devant « subir » le regard
extérieur de l’expert (cf. annexe 1).
Les projets de développement au Vietnam
Au Vietnam, les projets et actions de développement en
zone rurale visent, au-delà de l’amélioration immédiate
des conditions de vie des populations, deux objectifs
concomitant qui peuvent être alternativement ou simul-
tanément considérés comme finalités de l’intervention
ou comme moyens d’accroître l’efficacité et la durabilité
de l’intervention.
a. Promotion de l’action collective et de la
participation des populations selon une rhétorique
devenue quasiment universelle qui veut que plus les
bénéficiaires s’impliquent dans l’action (choix des
priorités, réalisation, etc.) plus ils se l’approprient.
En filigrane, il s’agit rien de moins que de chercher à
garantir le transfert de l’action et de son objet en
transformant un apport exogène en un besoin
endogène. On peut citer les nombreux projets qui
mettent l’accent sur la structuration d’organisations
paysannes autour de services collectifs ou
individuels, sur l’institutionnalisation de ces mêmes
organisations paysannes, sur l’organisation de filières
d’écoulement des produits agricoles plus équitables,
et au final, sur le soutien apporté à l’émergence d’une
« société civile ».
b. Amélioration de la gouvernance et des pratiques
associées notamment en termes d’aide à la prise de
décision. C’est en quelques sortes le pendant institu-
tionnel du premier objectif avec lequel il entretient
cependant des rapports ambigus ne serait-ce que
parce qu’il peut être interprété comme un moyen de
contenir les velléités des populations de produire
localement des organisations spontanées ou infor-
melles. Il peut s’agir de projets de restructuration d’un
service technique décentralisé de l’État ; de pro-
grammes de conseils et de formation au sein de
services centraux de l’administration ; de programmes
d’échanges techniques et scientifiques entre institu-
tions de recherche nationales et étrangères, etc.
Ainsi, malgré la diversité de la naturepossible des projets
de développement, un nombre limité de concepts forme
la trame d’intervention de la plupart d’entre eux :
La participation des populations (participatory
approach) pour l’identification des besoins des futurs
bénéficiaires et l’appropriation des actions et usages ;
L’accroissement de l’implication et du pouvoir des
femmes (empowerment) et la reconnaissance de leur
statut social et économique à parité avec celui des
hommes (approche gender) ;
La formation (capacity building) des professionnels ;
Le transfert de savoirs et de technologies exogènes ;
La bonne gouvernance et l’efficacité institutionnelle
• L’émergence de la société civile.
1. Les Termes De Référence :
de la pratique scientifique à l’expertise
Cahier des charges et rapport contractualisé
Les études de terrain menées à la demande
d’organisations internationales ou d’ONG intervenant
dans le domaine du « développement » au sens large
partagent toutes un point commun : elles sont
encadrées et codifiées par des Termes De Référence
(TDR). Concrètement, la problématique générale et les
objectifs attendus sont imposés par l’organisme
commanditaire sous forme de TDR, véritable cahier des
charges qui scelle un rapport contractualisé où
l’observateur se trouve en quelques sortes dessaisies
d’une partie de l’objet de recherche.
Le texte encadré ci-dessous est un exemple de ce que
sont les TDR. Il s’agit d’un extrait résumé des TDR définis
par la Banque mondiale pour une mission intitulée
« Forestry Sector Development Project - Identification of
project’s socio-economic background » que j’ai menée
avec un collègue sociologue vietnamien en mai et juin
2002. Il s’agissait d’une des missions préparatoires pour
la conception d’un important projet de reforestation qui
devait être mis en œuvre dans cinq provinces du centre
du Vietnam. La durée globale de cette mission était de
30 jours (5 jours de préparation, 20 jours de terrain et
5 jours de rédaction du rapport final).
106 Les Journées de Tam Dao 2007
Al’image de cet exemple, les études proposées
correspondent donc à un regard orienté par la nature
même du questionnement posé, environnement
« directif » rigidifié par un certain nombre de contraintes
particulières. Avant d’envisager ces contraintes,
il convient de différencier clairement le bailleur de fonds
(BM, EU, BAD, Agence de Coopération nationale, etc.)
et l’organisation qui met en œuvre le projet ou le
programme de développement sur laquelle porte l’étude,
généralement une ONG, une agence de coopération
bilatérale, un bureau de consultants et d’expertise. Si le
premier est un acteur central, il n’est généralement pas
impliqué directement en ce sens qu’il n’est pas
physiquement présent lors de la mission alors que le
second est au cœur même de l’étude.
a. De façon générale, les TDR sont largement orientés
par la nature des actions mises en œuvre par le projet
et contiennent souvent des éléments de réponse dans
leur formulation. Il faut comprendre ici que ces études
externes constituent généralement un enjeu central
pour le projet ou le programme de développement,
étude dont les résultats conditionnent parfois la
poursuite du soutien financier octroyé au projet par le
commanditaire. C’est particulièrement vrai pour les
missions d’évaluation qui sont potentiellement por-
teuses d’une remise en cause de l’action. Aussi,
apparaissent dès le départ des signes de tension qui
évoluent parfois en véritables conflits lorsque les
résultats sont en décalages, en non-conformité, avec
les attentes du projet. Si le commanditaire offre parfois
la possibilité d’aménager certaines composantes des
TDR, il est quasiment impossible d’en redéfinir le
fondement en questionnant la légitimité même des
actions et de l’organisation qui les met en œuvre et cela
pour au moins deux raisons :
- l’action a valeur de postulat ;
- la nécessité du développement humain, social et
économique, motivée par des considérations
morales, financières, politiques tout à fait sincères
ou chargées d’arrière-pensées plus ou moins
avouables, est élevée au rang de paradigme.
On ne questionne pas le fondement des actions
menées mais les conditions de leur réalisation par
rapport aux objectifs initiaux assignés au projet.
b. Conséquence logique du premier point évoqué,
l’opérateur qui met en œuvre le projet (ONG, cabinet
de consultants), n’est pas toujours convaincu de l’in-
térêt de l’étude, cette dernière lui étant prescrite en
amont par les bailleurs de fonds (Banque mondiale,
Union Européenne, PNUD, etc.) qui financent le projet
comme une étape obligée de son déroulement (cycle :
identification, pré-projet, évaluation en cours de projet
et évaluation finale). C’est particulièrement le cas pour
le volet « expertise sociologique » qui s’est imposé
depuis le début des années 1980 et cela pour au moins
deux raisons. D’une part, prenant acte des échecs
répétés de grands projets fonctionnant de façon « top-
down »et de leur détournement au profit d’une mino-
rité d’acteurs locaux (notables, « courtiers du dévelop-
pement », etc.), les bailleurs de fonds ont jugé néces-
saire d’accroître l’implication des populations locales
et de tenter d’adapter leurs actions aux conditions
spécifiques des sociétés cibles. D’autre part, la
diversification de l’offre de projets de développement
(conséquence de la monté en puissance du mouve-
ment des ONG), leur complexification et leur impact
sociopolitique supposé sur la société « bénéficiaire »
(structuration sociale et société civile, bonne gouver-
nance, etc.), ont appelé en retour une meilleure
connaissance, fusse t’elle de façade, de l’environ-
nement social et politique où se déroule l’intervention.
c. Le temps alloué à l’étude est souvent court et
toujours compté puisque la rémunération du cher-
cheur, transformé pour le coup en « expert » ou en
« consultant », est calculée sur la base d’un forfait
journalier. L’expérience montre que les résultats
attendus définis par les TDR sont presque toujours
disproportionnés par rapport au temps alloué et aux
capacités des équipes.
d. Le commanditaire rédacteur des TDR n’est généra-
lement pas un spécialiste des sciences sociales.
Concrètement, les TDR sont pensés en dehors des
cadres conceptuels du domaine et sur la base de
catégories qui relèvent d’une vision souvent
A–Ethnic and stakeholder profiles in 2 communities
a) Initial scooping to determine whether ethnic minorities
and other vulnerable groups will be affected (+ or -) by
the proposed project.
b) Review the legal and customary rights of ethnic
minority groups to use and develop forest lands for
commercial tree plantations.
c) Identify if there is a demand from community groups for
planting trees and improving smallholder production of
timber for sale.
d) Identify the key preferences of community groups
regarding the type of assistance they need in improving
timber production.e) Identify any factors which may
help or hinder the involvement of households in the
improvement of small holder timber production.
B–Analysis of existing data on ethnic groups in
project provinces
f) Prepare tables with names and numbers of the various
ethnic groups and sketch maps of their locations of
those living in or around forest lands of the project
provinces.
g) Prepare summary profiles from published and
secondary sources.
C-Expected Output
a) Profiles of ethnic minority groups who live in or around
forest lands of the project area (legal and customary
rights / forest land).
b) Report on stakeholder profile in two communities.
c) Recommendations on outstanding issues and risks to
be addressed under the social assessment.
107
La recherche socio-anthropologique « sous contrat »
simplifiée de la complexité du local (exemple : l’unité
de la communauté villageoise) imprégnées de
valeurs morales (les groupes vulnérables, riches vs.
pauvres, etc.) définies par l’éthique de l’intervention.
e. Les attendus des études commandées se déclinent
bien souvent sous forme de données chiffrées et de
typologies socio-économiques supposées représen-
tatives de la société locale, car c’est sur la base de
cette catégorisation de la réalité que sera pour partie
élaborée la future action de terrain ou l’évaluation de
son efficacité. A contrario, l’étude qui ne débou-
cherait pas sur une typologie et sur l’identification de
groupes cibles, absence qui constitue pourtant en soi
un résultat de recherche car elle permet de valider ou
d’invalider une hypothèse de départ, sera considérée
comme ayant faillie puisque ne répondant pas à
certaines finalités énoncées dans les TDR.
f. Conséquence logique du point précédent, la multi-
plicité des échelles d’observation qu’il faudrait envi-
sager pour se conformer au TDR, est le plus souvent
incompatible avec le champ disciplinaire de l’expert
et le temps qui lui est alloué pour l’étude.
g. La plupart des études sur commandes sont conçues
comme devant êtremises en œuvre par une équipe
pluridisciplinairedont la coordination et la respon-
sabilité sont confiées à l’un des « experts interna-
tionaux »participant à la mission. Cette construction
satisfaisante sur le papier pose dans les faits un
certain nombrede problèmes. En premier lieu, le
travail en équipe n’est pas un habitus pour la majorité
des chercheurs en sciences sociales. Ce change-
ment de la « politique de terrain » est renforcé par le
cloisonnement des compétences disciplinaires : il est
en effet difficile d’élaborer et de mettre en œuvre une
trame d’enquête cohérente et pertinente lorsque
l’équipe se compose d’agronomes, d’anthropolo-
gues, de sociologues, d’économistes, de statisti-
ciens, etc. Cette difficulté est encore accrue pour le
chef de mission qui doit coordonner des travaux de
terrain, et si nécessaire les réorienter, relevant de
champs disciplinaires étrangers au sien, pour res-
tituer in fine une synthèse lissée d’études multidis-
ciplinaires débarrassée de toutes traces de cloison-
nement et d’approches parfois contradictoires.
Au final, la combinaison de ces diverses contraintes
particulières énoncées ici sous forme d’une liste « à la
Prévert » pourtant non exhaustive, impose d’élaborer
une approche méthodologique et une trame d’enquêtes
qui soient le produit d’un compromis plus ou moins
satisfaisant entre une pratique scientifique orthodoxe du
terrain et les attentes du commanditaire. Autrement dit,
dans la mesure où l’objectif n’est pas d’appliquer un
traitement exhaustif et homogène à l’objet de recherche,
les résultats obtenus n’ont qu’une valeur relative indexée
au cadre fixé par les TDR, ce qui n’hypothèque en rien
leurs intérêts potentiels.
Enfin, il faut souligner que les contraintes évoquées ne
s’imposent pas toutes simultanément ni avec la même
intensité, selon le moment du projet pour lequel est
convoquée l’expertise externe. Schématiquement, on
peut distinguer trois étapes du cycle de vie des projets
de développement où le bailleur de fonds impose une
expertise externe :
a. Conception et élaboration du projet.Les demandes
d’expertises peuvent être ici des plus variées : identi-
fication des besoins et des attentes de la population
cible ; conception des actions ; étude de faisabilité ;
évaluation de l’impact potentiel ; étude socio-écono-
mique avant le démarrage du projet afin de préciser et
de hiérarchiser les actions et de disposer d’indicateurs
pour les futures évaluations ; montage institutionnel du
projet associé à une définition des partenariats et à une
étude d’insertion ; « social screening » avec une
attention particulière portée à l’impact du projet sur les
groupes définis comme « vulnérables » (femmes,
enfants, groupes ethniques), etc.
b. Évaluation à mi-parcours (globale ou par compo-
sante).Il s’agit de mesurer et de quantifier l’écart entre
les actions effectivement réalisées par rapport aux
objectifs initiaux assignés au projet et d’évaluer son
impact sur la société locale notamment en termes
organisationnel et de groupes vulnérables. L’évalua-
tion à mi-parcours doit permettrede procéder à
d’éventuels réajustements et à une réorientation des
actions afin d’atteindreles objectifs initiaux et
impose, dans certains cas, une redéfinition des
objectifs et des moyens humains, financiers et
organisationnels à mobiliser.
c. Évaluation finale (globale ou par composante).Outre
un bilan des actions réalisées par rapport aux objectifs
assignés, l’évaluation finale doit estimer l’impact global
du projet sur la société locale notamment en termes
organisationnel et de groupes vulnérables. Elle
propose également une analyse des causes d’échecs
éventuels associée à des recommandations pour la
poursuite de l’action ou la définition de nouvelles
orientations prolongeant le projet arrivé à son terme.
Cadre logique : comment (re)construire et reformuler
la demande
Le but est de passer de la commande énoncée sous
forme de TDR à un cadre logique et faisable de l’étude.
Il ne s’agit pas encore de la définition d’une approche
méthodologique proprement dite mais d’une
déconstruction de la commande puis d’une recon-
struction sous forme de composantes, d’étapes
chronologiques ou diachroniques. En d’autres termes, il
convient de trouver une cohérence d’ensemble qui
satisfasse les attentes du commanditaire et qui soit
compatible avec les moyens humains, financiers et
logistiques alloués pour l’étude. Cette exigence impose
que les éventuels réajustements méthodologiques et
pratiques soient réalisés en temps réel, et donc un niveau
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