LOPEZ Laurence Professeur d’école Maître-Formateur Ecole élémentaire 06 320 LA TURBIE [email protected] Equipe ERTE IUFM de NICE Groupe QUARTZ (recherche en didactique des Sciences de la Terre) LE VOLCAN ET LA TECTONIQUE DES PLAQUES EN CM1-CM2, DE LA CAT EGORIE A L’EMERGENCE DU PHENOMENE, APPROCHE CROISEE DES TEXTES INFORMATIFS, SCIENTIFIQUES ET LITTERAIRES Mots-clés : français transversal, représentations, lecture, écriture, interdisciplinarité Dans le cadre de l’horaire réservé aux sciences, le thème du volcanisme a été abordé avec des élèves de CM1-CM2. Afin d’aider les enfants à construire de nouveaux savoirs, ou au contraire à déconstruire certaines représentations erronées, de nombreuses activités de français (lecture-écriture) vont être proposées. La problèmatique qui apparaît alors concerne le rapport que l’apprenant va établir avec les différents genres de textes : Comment les perçoit-il ? Qu’en est-il de ses représentations ? Comment ces dernières vont-elles intervenir dans l’appropriation par l’enfant des savoirs portés par les textes ? L’enfant sera-t-il capable de tresser des liens entre les informations textuelles et les notions purement scientifiques découvertes jusqu’alors ? Autant de questions auxquelles cette recherche action va tenter d’apporter des éléments de réponse. La première étape des séances d’activités scientifiques sur le volcanisme a consisté à recueillir les conceptions enfantines. Les enfants ont apporté leurs réponses par écrit sur un petit questionnaire (Qu’est-ce qu’un volcan ? Où trouve-t-on des volcans sur la planète Terre ? Que se passe-t-il au cours d’une éruption volcanique ?) et ont eu à schématiser un volcan en éruption. L’analyse de ces productions écrites montre que pour tous les enfants : - le volcan est avant tout un relief (le volcan est une montagne…), - le volcan est quelque chose d’actif (bien qu’appartenant au monde minéral) : les enfants associent toujours volcan et éruption, - l’éruption volcanique se caractérise par des coulées de lave : seul le type effusif du volcanisme apparaît. Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 1 L’émergence de ces représentations semble être directement en relation avec l’univers familier de l’enfant (documents : textuels ou iconiques, vidéos…). La suite de ce travail de recherche montrera l’importance de cette étape au cours de laquelle les idées et les modes de pensée de l’enfant sont recueillis. La question qui se pose alors à l’enseignant est de savoir par quel moyen déconstruire ou modifier ces conceptions : une des solutions est de passer par la confrontation de documents (lecture d’images, lecture de textes…) et ainsi de permettre à l’enfant, par l’analyse d’images réelles et dans le cadre d’activités constructives, de modifier ses images mentales. Des activités de français (lecture, production d’écrits) vont donc être proposées. Phase 1 : Déconstruction des représentations erronées – construction de nouveaux savoirs Un volcan n’est pas une montagne : Tous les enfants conçoivent le volcan comme un relief (une montagne avec un cratère). Pour « aller-contre » cette conception qui ne correspond pas à la réalité géologique, un premier travail de lecture d’images est proposé : il s’agit d’ordonner chronologiquement sept images concernant la naissance en 1942 d’un volcan mexicain, le Paricutin. L’activité est bien réussie pour cinq groupes sur six. Au terme de la phase collective, une nouvelle définition du volcan est donnée : « Un volcan c’est d’abord un trou dans le sol. Il met en contact l’intérieur et l’extérieur de la Terre. » Une deuxième étape suit : pour que chaque enfant ait une trace écrite de ce travail de groupe, un document reprenant les images précédentes ordonnées cette fois-ci de façon chronologique est fourni. L’élève devra associer à chaque vignette le texte qui lui correspond. Ce texte est un texte scientifique, extrait de Volcans et tremblements de Terre, Ed. 2 Coqs d’Or, KRAFT M., 1983. L’activité proposée est une activité d’écriture qui ne pourra être réussie que suite à une ou plusieurs relectures du document. Elle sous -entend la mobilisation par l’enfant de compétences liées à l’organisation d’informations. Ce dernier devra tenir compte à la fois des étiquettes portant mention de la chronologie, des documents iconiques et du texte scientifique, ce dernier n’étant pas toujours redondant par rapport à l’image (rapport relais du texte scientifique). Les résultats de cette activité individuelle montrent que neuf enfants sur vingt-quatre ont eu des difficultés à organiser les différentes informations: Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 2 - le document n’a pas été lu dans sa globalité mais chaque vignette a été traitée indépendamment des autres, - la chronologie et le descriptif n’ont pas été traités simultanément. On peut donc penser que la représentation par l’image reste chez certains enfants très attachée aux représentations symboliques. Cela ne leur permet pas de prendre en compte les informations contenues dans l’écrit : il n’y a pas de relation établie entre le texte et l’image. Quelques enfants ont peut-être également eu une difficulté à interpréter l’image (gêne dans la représentation : les différentes hauteurs de l’édifice volcanique n’ont pas été toujours perçues par exemple) et ensuite à la rapprocher d’un texte. Il semble donc que ces séances n’aient pas suffi à faire évoluer chez certains leurs représentations initiales . Cette observation va donc guider la suite des activités au sein du module scientifique. Les volcans ne sont pas tous de type effusif : Un document portant quatre textes scientifiques relatant quatre éruptions volcaniques (Vésuve, Mauna-Loa, Mont Saint-Helens, Montagne Pelée) est distribué aux enfants. Chaque enfant ne devra lire qu’un texte. Il mettra ensuite en commun ses informations avec celles d’un autre camarade de classe (travail en binôme). Ils réaliseront ensuite à deux un dessin, un schéma ou une maquette de l’éruption volcanique décrite. L’analyse des premiers travaux conforte bien les premières conclusions, à savoir une très grande difficulté à déconstruire les images mentales initiales. En effet, alors que seul un texte sur quatre, est relatif à une éruption effusive, toutes les productions enfantines montreront une éruption volcanique avec coulées de lave. Il semblerait donc qu’il y ait un phénomène de recouverte, les enfants ne pouvant se représenter ce que raconte le texte. Ils n’auraient pas admis les savoirs extérieurs véhiculés par l’écrit. Les quatre textes ont été analysés comme des récits d’éruptions mais les enfants n’ont pas vu les différences de ces éruptions. On peut penser qu’il y a eu transposition de modèles narratifs : ces textes ont été lus comme des récits littéraires, lesquels ont réveillé chez les élèves, le scénario de l’éruption effusive. Les images mentales des enfants semblent donc toujours aussi présentes et bloquent l’assimilation de nouvelles notions. Au cours d’une deuxième étape, la lecture comparée des textes va aider l’enfant à construire de nouveaux savoirs. Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 3 L’enseignant lit oralement les quatre textes, les enfants sont en situation d’écoute active. Ils doivent repérer tous les mots ou expressions relatifs aux éruptions volcaniques décrites et les noter sur leur ardoise. Cette phase d’isolement lexical s’avère un véritable déclencheur dans la mesure où les enfants se rendent immédiatement compte que toutes les éruptions ne sont pas identiques. Les activités proposées jusqu’alors ont donc permis d’arriver à un début de transformation de l’image mentale par une comparaison des lexiques et du contenu scientifique. Le découpage du texte, avec isolement lexical, a aidé l’enfant à ne s’intéresser qu’à la description de l’éruption. Cette première phase de travail ouvre donc une nouvelle piste de recherche : comment l’enfant appréhende-t-il les différents types de discours (discours littéraire et scientifique) ? Phase 2 : Comment fonctionne la reconnaissance des types de discours (discours littéraire et scientifique) à l’intérieur d’un genre frontière : le conte étiologique ? Présenter des textes aux enfants est souvent un des points de départ choisi par l’enseignant pour leur faire acquérir de nouveaux savoirs. Quel rapport les enfants vont-ils établir avec le texte ? Ce rapport est-il celui que l’on attend ? Pourra-t-on alors atteindre l’objectif que l’on s’est fixé ? Les résultats obtenus dans la première phase de ce travail nous ont guidé dans cette seconde partie. Il nous a semblé important de proposer à l’enfant un conte étiologique de la civilisation hawaïenne qui, de part sa nature même, se trouve à la frontière entre genre littéraire et genre scientifique. Ce texe a pour titre “Naissance d’un île” (extrait de Contes de tous les pays, Ed. Lito). Le contexte expérimental de cette seconde phase s’appuie sur deux groupes différents d’élèves : - ceux de la classe de CM1/CM2 qui étudient les volcans depuis le mois de janvier et qui ont déjà travaillé sur le conte étiologique (transformation du conte “Le chameau et sa bosse” de Rudyard Kipling, en bande dessinée), - ceux de la classe de CM2 qui n’ont abordé ni le thème du volcanisme, ni les caractéristiques du conte étiologique. Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 4 Comment, en fonction de leurs acquis, les enfants perçoivent-ils ce texte : genre scientifique ou genre littéraire ? L’expérimentation débute par une phase de lecture silencieuse, individuelle du texte. Certains termes de vocabulaire sont expliqués à la demande des enfants puis un questionnaire portant deux volets (l’un relatif à la compréhension du texte, l’autre à sa typologie) leur est remis. à Cette histoire te fait-elle penser à une autre histoire ? A cette question, aucun enfant ne pense au conte de Kipling. C’est l’événement-noyau du conte qui déterminera leurs réponses. Seuls six enfants sur vingt-quatre chez les CM1/CM2 rapprochent cette histoire de documents étudiés en sciences (naissance de l’île de Surtsey en Islande, naissance du Paricutin). Chez les CM2, seuls trois enfants sur vingt-deux font référence à une autre histoire. Pour deux de ces enfants, il y a rapprochement de ce texte avec un autre racontant la formation d’un atoll et appartenant à leur univers de référence. Un troisième enfant rapproche “Naissance d’une île” d’une légende grecque. à Dans quel cahier ou partie du classeur collerais-tu ce document ? Les réponses obtenues à cette question montre des différences chez les deux groupes d'élèves. Dans quel cahier ou dans quelle partie du classeur collerais-tu ce document ? CM1/CM2 (23) CM2 (22) 18 10 Sciences ou géographie Maîtrise de la lecture : 3 lecture : 5 langue exp. écrite : 5 Histoire 2 Absence de 1 réponse Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 5 Si le contrat didactique que l’enfant établit implicitement avec l’enseignant au cours des séances d’activité le guide souvent dans son choix (c’est le cas notamment pour les CM2 qui ont perçu ce premier travail comme un travail de production d’un écrit argumentatif, type de texte abordé et étudié en classe), il apparaît nettement que la majorité des enfants (dix-huit élèves sur vingt-trois chez les CM1/CM2, et dix élèves chez les CM2) ont focalisé leur attention et leur lecture sur l’événement noyau du texte, à savoir, la formation de l’île d’Hawaï. Ces enfants classeraient donc ce texte en sciences. Les enfants qui ont choisi de ranger ce travail dans la partie “lecture” argumentent en tenant compte du type de travail demandé : lecture + questionnaire (reproduction du schéma typique des activités de lecture à l’école élémentaire). On peut donc penser que le descriptif scientifique à l’intérieur du genre littéraire les a guidés, ce descriptif étant assez proche de l’image mentale ou de la représentation qu’un enfant peut avoir du volcanisme. Le genre littéraire du texte n’est reconnu par aucun enfant. Comment l’enfant perçoit-il le descriptif scientifique dans ce texte littéraire ? Le deuxième questionnaire proposé va demander à l’enfant de concevoir le texte dans sa globalité ou au contraire d’en isoler un extrait (en l’occurrence, le descriptif scientifique). à Les événements racontés dans ce texte sont-ils réels ou imaginaires ? La majorité des élèves des deux groupes conçoivent les événements comme imaginaires. à Les explications de la formation de l’île sont-elles des explications scientifiques ? Les explications de la formation de l’île sont-elles des explications scientifiques ? CM1/CM2 CM2 (23) (23) oui 9 9 non 12 14 difficulté à répondre (abscence 2 0 ou double réponse) Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 6 Il s’agit pour l’enfant de ne s’intéresser qu’au paragraphe relatif au descriptif scientifique. L’analyse des réponses obtenues à cette question montre que les avis sont partagés, et ce, dans les deux classes. On note ici un véritable trouble cognitif. Alors qu’il est pratiquement évident pour tous que les personnages sont imaginaires, les enfants ont du mal à analyser, dans la fiction, ce qui pourrait être vrai. à Ce texte est-il un texte scientifique ? Ce texte est-il un texte scientifique ? CM1/CM2 CM2 (23) (23) oui 5 8 non 18 14 difficulté à répondre (abscence 0 1 ou double réponse) On demande à ce niveau-là à l’enfant de concevoir à nouveau le texte dans sa globalité et de le rattacher ou non au genre scientifique. Les enfants sont donc amenés par cette question, à comparer la partie extraite (descriptif scientifique) au tout. Cette comparaison a pour effet de produire chez la plupart des enfants un jugement juste. Les démarches et réflexions successives qu’ont engendrées les phases précédentes, font qu’à ce niveau là, le texte est enfin perçu par les enfants des deux groupes, comme non scientifique… Les raisons ne sont cependant pas encore totalement élucidées. Construction des critères relatifs au texte scientifique : Cette étape n’a pour le moment concerné que la classe de CM1/CM2. Lors d’une phase collective, les critères relatifs au texte scientifique sont avancés par les enfants : Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 7 Qu’est-ce qu’un texte scientifique ? - un texte scientifique explique vraiment, - c’est précis, il y a des données, - le vocabulaire utilisé est scientifique, - il n’y a pas de dialogues, - la première lettre du texte n’est pas décorée, - il n’y a pas de dessins mais des schémas, Le texte « Naissance d’une île » n’est pas un texte scientifique car ce qu’a vu Tiki aurait du être expliqué dès le début du texte. Un premier travail d’écriture est alors proposé aux enfants. Par groupe de quatre, ils devront réécrire le texte « Naissance d’une île » pour en faire un texte scientifique. Les premiers jets vont montrer : - que les enfants ont tous éliminés la partie narrative du texte pour ne se concentrer que sur le descriptif scientifique, - que les connecteurs temporels ont été modifiés ou supprimés de façon à rétablir une chronologie plus ancrée dans la réalité, - qu’il y a néanmoins persistance du passé simple. Les enfants ont nettement compris la nécessité d’utiliser les connecteurs temporels afin de rendre leur texte compréhensible par de futurs lecteurs : ils ont perçu la fonction de communication de l’écrit et se sont bien rendus compte que dans tout texte scientifique on se doit d’utiliser un minimum d’embrayeurs littéraires, indispensables à la compréhension du texte. Le temps du texte n’a cependant pas été modifié : le passé simple persiste. La comparaison du texte « Naissance d’une île » avec un texte scientifique expliquant la formation et l’organisation de l’île d’Hawaï (extrait de « Le guide des volcans ») permettra aux enfants d’observer la différence des temps utilisés dans les deux écrits : couple présent/passé composé dans l’écrit scientifique et couple imparfait/passé simple dans le conte étiologique. Une première réécriture est effectuée, au cours de laquelle le problème relatif à l’authenticité des informations est également soulevé : les informations contenues dans «Naissance d’une île » sont-elles scientifiquement correctes ? Doit-on les modifier ? Les documents accumulés par les enfants jusqu’à présent sur le volcanisme vont les aider : les sciences deviennent alors maintenant au service du français. Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 8 Ce travail de recherche, tel qu’il vient d’être présenté, montre donc bien la place du français transversal à l’école élémentaire mais aussi toute la difficulté pour un enfant « d’entrer » dans l’écrit. Le français transversal étant bien une réalité à l’école élémentaire, il est important en tant qu’enseignant de réfléchir à la typologie des textes, à l’interprétation de ces derniers et à la façon dont ils seront perçus tout en ayant une bonne connaissance des élèves. Une réflexion semble donc être nécessaire autour de tous les acteurs concernés afin de proposer des activités réellement constructives pour l’enfant. BIBLIOGRAPHIE : Solleau, B. Naissance d’une île. In Contes de tous les pays. Editions Lito Kraft M. (1983) Volcans et tremblements de terre, Editions 2 coqs d’or. Kohler P. (1985) Volcans, séismes et dérives des continents, Echos, Le livre de Paris, Hachette. Lacroix A. La montagne Pelée et ses éruptions, Masson. Rosi M, et al. Le guide des volcans, Delachaux et Niestlé. Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 9