Périsse la nation, pourvu que Jovenel Moise aille au

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Périsse la nation, pourvu que Jovenel Moise aille au deuxième tour face à lui-même
Nous voila au premier trimestre de l’année fiscale 2015-2016, alors que l’environnement
économique international se caractérise par le « raffermissement de l’activité économique
mondiale, une évolution contenue de l’inflation, et la persistance de la baisse des prix des
produits de base sur le marché international »1, en Haïti, par contre, le taux d’inflation en
glissement annuel a atteint depuis le mois de novembre 2015 le niveau de 12% contre 6.2% en
novembre 20142. Aujourd’hui, au prix de soixante gourdes pour un dollar, la dépréciation
continue de la gourde ajoute un poids insupportable à l’activité économique avec des
conséquences néfastes non seulement sur la vie des 6.3 millions d’haïtiens qui vivent avec moins
de 81.7 gourdes par jour, mais également sur celle d’un autre 1 million de personnes qui se
trouvent en situation de pauvreté transitoire, c’est-à-dire des individus vivant légèrement au
dessus du seuil de pauvreté mais exposés à des chocs idiosyncratiques et covariés capables de les
bousculer incessamment dans la pauvreté. Cette contraction de l’activité économique a des
incidences encore plus grave sur les 2.5 millions d’haïtiens vivant en dessous du seuil d’extrême
pauvreté ne parvenant même pas à subvenir à leur besoins alimentaires3.
Si pour l’année 2015, l’activité économique est plus ou moins favorable sur le marché
international, particulièrement chez nos deux principaux partenaires commerciaux à savoir les
Etats-Unis et la République Dominicaine4, il faut toutefois trouver une explication à la
dégradation accélérée de l’économie haïtienne en fin d’année 2015. La conjoncture politique
essentiellement marquée par les résultats des élections du 9 août et du 25 octobre constitue, entre
autres, pour plus d’un la principale cause de la dégradation constatée. L’impact de la situation
socio-politique sur l’économie est en fait une évidence ne nécessitant aucune preuve. On ne
cesse, à juste titre, d’arguer que les piètres résultats économiques qu’a connus le pays de 1971 à
nos jours sont, entre autres, dus à une instabilité politique souvent accompagnée de violence qui
détériore le climat de l’investissement et mine la confiance des investisseurs. Dans son dernier
rapport sur Haïti, la Banque mondiale observe que « l’incertitude entourant la capacité des
investisseurs d’obtenir un juste rendement de leur investissement constitue un des principaux
obstacles à la croissance en Haïti »5. En dépit du fait que le gouvernement est bien imbu de
l’impact de l’instabilité politique sur l’activité économique, son entêtement démesuré à engager
le pays dans une autre tragédie électorale, un deuxième tour pour le 24 janvier 2016 entre
Jovenel Moise et Jude Célestin, est on ne peut plus surprenant. Quoique ce dernier de concert
1
Banque de la République d’Haïti (BRH). Note mensuelle sur la politique monétaire. BRH, décembre
2015. P. 4
2
Banque de la République d’Haïti (BRH). Note mensuelle sur l’inflation. BRH, novembre 2015.
3
2 Les statistiques sur la pauvreté proviennent de l’enquête sur les conditions de vie des ménages après le
Banque de la République d’Haïti (BRH). Note mensuelle sur l’inflation. BRH, novembre 2015.
3
Les statistiques sur la pauvreté proviennent de l’enquête sur les conditions de vie des ménages après le
séisme de 2012 (ECVMAS 2012)
4
L’économie américaine enregistre croissance économique de 4% en 2015 contre 3.9% en 2014. Le taux
d’inflation est passée a … Egalement pour l’année 2015 La République Dominicaine 5
Banque Mondiale (2015). Haïti: des opportunités pour tous – diagnostique – pays systématique avec beaucoup d’autres secteurs de la société haïtienne exprime un refus catégorique de
participer à ces joutes, le gouvernement, le CEP et la communauté internationale continuent de
faire montre d’une indifférence et désinvolture à l’égard de la population. On s’en fout. « Périsse
la nation, pourvu que Jovenel Moise aille au deuxième tour face à lui-même », telle semble être
l’attitude des responsables.
Selon les prévisions du Service des statistiques économiques de la Brh, l’inflation évoluera à la
hausse pour atteindre un taux de 13% en février 2016. Sans doute, ce mouvement persistant à la
hausse du niveau général des prix, imputable à celle de presque toutes les fonctions de
consommation, frappe de plein fouet les 60 pour cent des ménages pataugeant déjà dans une
pauvreté chronique. La désinflation6 (en glissement mensuel) constaté en novembre 2015, due
peut-être à un effort de la Brh de contenir la monnaie en circulation, n’a pas pu freiner la
pression inflationniste des prix. Et comme a bien souligné la Brh dans sa note mensuelle sur la
politique monétaire de décembre 2015, « cette évolution défavorable est tributaire de la
dégradation favorable du climat des affaires liée aux incertitudes engendrées par la tenue des
élections en octobre dernier et les perturbations socio-politiques provoquées par la publication
des résultats de ces joutes électorales depuis le début du mois de novembre » (p. 5)
Le constat n’est du tout pas différent pour la dégradation continue de la devise nationale. De
52,1417 gourdes en septembre 2015 à 60 gourdes pour un dollar au moment où nous rédigeons
cet article, soit un taux de dépréciation de 15%, la gourde continue à se déprécier par rapport au
dollar à un rythme sans précédent depuis 1960 et ce malgré les efforts de la Banque centrale.
Encore, cette hausse du taux de change est, entre autres, imputable, d’après la même note de la
Brh, à « l’incertitude socio-politique, qui a alimenté les anticipations de dépréciation des agent
économiques en les portant à convertir en devises étrangères leurs avoirs libellés en monnaie
nationale » (p. 6).
C’est dans cette atmosphère économique fragilisée par des crises politiques électorales que le
CEP, le gouvernement et la communauté internationale s’embourbent obstinément dans un
deuxième tour le 24 janvier 2016. Ce processus, déjà contesté par une bonne partie de la
population, ne va qu’envenimer davantage la crise socio-politique, ce qui du coup compliquera
encore plus le climat économique. L’indifférence des responsables face à ce redoutable état de
fait traduit l’attitude d’une équipe plaçant l’intérêt d’un petit groupe au dessus de l’intérêt
national. Ils s’en foutent pas mal : périsse la nation, pourvu que Jovenel Moise aille au
deuxièmes tour face a lui-même. 6
La désinflation est définie comme un ralentissement au niveau de la croissance des prix. Par exemple,
en novembre 2015, le rythme de progression de l’indice des prix a ralenti à 0,8% en variation mensuelle
contre 1% en octobre et 1,2% en septembre 2015. 
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