colloque “territoires gérontologiques

publicité
colloque “territoires gérontologiques”
contraintes, défis et controverses
r é s u m é s d e s c o m m u n i c at i o n s o r a l e s
jeudi 14 janvier 2010
auditorium marie curie du cnrs, paris
organisé
par
la
f o n d at i o n
n at i o n a l e
de
gérontologie
sommaire
«Territoires gérontologiques» : Contraintes, défis et controverses...
Geneviève IMBERT, Anthropologue, Docteur en Santé publique, Directeur de recherche, FNG, Paris
4
Conférence inaugurale. Approche sémantique du concept «territoire» :
De la notion de «territoire» aux «territoires gérontologiques ». À propos des territoires gérontologiques
Armand FREMONT, Géographe, Professeur émérite à l’Université de Caen
5
session 1 : approche pluridisciplinaire des territoires gérontologiques
comment les experts issus de champs disciplinaires différents s’approprient la notion de territoire en relation
avec le phénomène du vieillissement/longévité de la population et ses conséquences en termes de morbidité et
de mortalité ?
Territoires gérontologiques, bassins de santé, frontières et limites
François TONNELLIER, Géographe de la Santé Directeur de recherche honoraire IRDES, Paris, France
6
La géographie différenciée du vieillissement et de la gérontocroissance
Gérard-François DUMONT, Professeur de Géographie et de Démographie, Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Président de la Revue Population & Avenir
7
Des tropismes pour vieillir, des zonages pour agir
Marie-Christine BERNARD-HOHM, Chargée d’études Pôle Habitat, Foncier, évolution sociale et
politique de la ville, Agence d’urbanisme a’urba, Bordeaux, France
8
Territoire de projets
Didier SALON, Architecte D.P.L.G., Paris, France
9
Territoires, observation et performance
Jean-Louis SANCHEZ, Délégué Général de l’Observatoire National de l’Action Sociale Décentralisée
10
Territoires gérontologiques et économie
Marie-Eve JOËL, Professeur à l’Université Paris Dauphine, Directeur du Département Master Sciences
des Organisations, Directeur du Laboratoire d’Economie et de Gestion des Organisations de Santé
11
Quelques réflexions sur les « vieux » et les territoires gérontologiques
François BLANCHARD, Gériatre au CHU de Reims, Professeur de Santé publique à l’Université de Reims
12
session 2 : dispositifs territoriaux gérontologiques
histoire et expériences
Approche historique des dispositifs gérontologiques en France
Dominique ARGOUD, Sociologue, Maître de conférences en sciences de l’éducation Université Paris Est, Créteil
13
Expérience du Québec
Aspects territoriaux de l’intégration des services aux personnes âgées fragiles : l’exemple du SIPA
François BELAND, Professeur de Santé publique, Université de Montréal et co-Directeur de Solidage
Equipe de recherche Université de Montréal et Université McGill, Québec, Canada
14
Expériences européennes et Territoires
Territoires gérontologiques : les confrontations en France au regard d’autres pays européens type
Jean-Claude HENRARD, Professeur de Santé Publique, Laboratoire Santé Vieillissement, Université de
Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
15
Présentation de l’organisation territoriale de la prise en charge des personnes âgées en situation de dépendance
Les «MAIA» (Maisons pour l’Autonomie et l’Intégration des malades Alzheimer) : un dispositif d’intégration à
l’épreuve de la fragmentation des territoires
Olivier DUPONT, Chef de projet, Equipe Projet Nationale MAIA, CNSA, Paris, France
16
Expérience des Centres Locaux d’Information et de Coordination (CLIC)
Depuis le Bureau d’Information gérontologique de Lunel : Genèse et évolution des CLIC
Alain COLVEZ, Docteur en médecine, Directeur de recherche à l’INSERM Centre languedocien d’études
et de formation (Geronto-Clef) Montpellier, France
17
Expérience hospitalière française et Territoires : Fondements et modalités
Claude JEANDEL, Gériatre, Président du Collège Professionnel des Gériatres Français,
Chargé de mission auprès des Ministères du Travail, de la Santé et de la Solidarité
Professeur de Médecine interne – Gériatrie, Montpellier, France
18
session 3 : table ronde et discussion
quels territoires gérontologiques ?
comment penser le concept de territoire et son adéquation dans le champ de la gérontologie ?
Territoire gérontologique ?
Quels sens donner à cette locution ?
Bernard ENNUYER, Sociologue, Directeur d’un Service d’Aide et de Soins à Domicile,
Enseignant chercheur à l’Université Paris Descartes, Paris, France
19
Des territoires gérontologiques au cœur de la mixité sociale
André FLAJOLET, Député du Pas-de-Calais, auteur du rapport relatif aux disparités territoriales des
politiques de prévention sanitaire
20
Les territoires de référence des décideurs pour la planification, la programmation et l’organisation de
l’offre de services en matière d’accompagnement des personnes âgées dépendantes : Constats et perspectives
Jeanne BROUSSE, Responsable du pôle programmation de l’offre en établissements et services
médico-sociaux Direction des établissements et services de la CNSA, Paris, France
21
Territoires gérontologiques : des géographies et des histoires
Bernadette PUIJALON, Anthropologue, Maître de conférences à l’Université Paris Est
22
Piloter la production de territoires gérontologiques
Philippe WARIN, Politologue, ancien Directeur du CERAT (Centre de recherche sur le politique,
l’administration, la ville et le territoire), Directeur de recherche au CNRS, UMR PACTE
(Politiques publiques, Action politique, Territoires) Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, France
23
«Territoires gérontologiques» :
contraintes, défis et controverses...
Geneviève IMBERT
Anthropologue, Docteur en Santé publique
Directeur de recherche, FNG, Paris
La multiplicité des usages et des significations du terme «territoire» rend particulièrement complexe la communication entre chercheurs.
Les nombreuses déclinaisons de la notion de territoire, territoires, territorialité,
extra-territorialité, territorialisation, déterritorialisation, utilisées récemment, résultent
du processus de mondialisation, de la mutation de nos sociétés contemporaines ainsi
que celui de l’évolution des modes de gouvernance, en particulier dans le domaine de
la santé.
Afin de réduire les inégalités de santé par la promotion de la santé, par le développement de l’accès aux diagnostics et aux soins sur l’ensemble du territoire, ce concept se
place ainsi au centre des préoccupations politiques, sanitaires et sociales. Il s’inscrit dans
l’évolution du cadre législatif et réglementaire des dispositifs de santé (i.e. Loi de Santé
publique de 2004 relative à la décentralisation des programmes de santé au niveau
local, développement de projets territoriaux de santé, et plus récemment la loi Hôpital,
Patients, Santé et Territoires du 21 juillet 2009) et des dispositifs médico-sociaux (équipes médico-sociales, Allocation Personnalisée d’Autonomie, Centres Locaux d’Information et de Coordination, etc.).
Dans ce contexte, le Colloque «Territoires gérontologiques» : contraintes, défis et controverses a pour ambition d’explorer, selon une approche réflexive, analytique et pluridisciplinaire le concept de territoire appliqué au champ de la gérontologie, et de s’interroger
sur la pertinence des dispositifs sanitaires, médico-sociaux et sociaux existants en faveur
des personnes âgées, en privilégiant une perspective humaniste, de Santé publique et
d’échanges internationaux (Canada, Suisse et Pays de l’Union Européenne).
Ce Colloque s’organise autour de trois axes :
• Un axe sémantique afin d’appréhender, selon une approche pluridisciplinaire,
le concept de territoire appliqué à la gérontologie ;
• Un axe diagnostique et analytique de l’évolution des dispositifs organisationnels sanitaires et médico-sociaux gérontologiques jusqu’à aujourd’hui, et
• Un axe prospectif qui permettra de remettre en question, lors d’une table ronde, l’utilisation de la locution « territoires gérontologiques ». Ainsi, quelle est la
pertinence de concevoir des territoires gérontologiques compte tenu de la multiplicité des territoires préexistants (administratif, politique, sanitaire, social,
populationnel, géographique, etc.), et dans quelle perspective : amélioration
de la qualité des conditions de vie et de l’accompagnement des personnes âgées
fragiles et vulnérables, dépendantes de l’aide d’un tiers pour les actes essentiels
de la vie ?
Si les actes du Colloque Territoires gérontologiques : contraintes, défis et controverses
seront publiés intégralement dans la revue Gérontologie et Société (n° 132 à paraître
au mois d’avril 2010), les connaissances issues de ces travaux pourront également être
utilisées dans le cadre de recherches pluridisciplinaires, de groupes de réflexions et de
partenariats éventuels.
4
Conférence inaugurale
Approche sémantique du concept «territoire»
De la notion de «territoire»
aux «territoires gérontologiques »
À propos des territoires gérontologiques
Armand FREMONT
Géographe
Professeur émérite à l’Université de Caen
Ancien Recteur
Ancien Directeur scientifique au CNRS pour les Sciences Humaines et Sociales
Ancien Président du conseil scientifique de la DATAR
(Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale)
L’approche des territoires gérontologiques exige une première réflexion sur la notion
même de «territoire», couramment utilisée depuis une vingtaine d’années par les chercheurs en sciences humaines et sociales, et notamment en géographie.
Un territoire est beaucoup plus qu’une portion de l’espace terrestre habité par des hommes. C’est cela mais c’est aussi un certain sentiment et une sensibilité des hommes qui
y vivent, des hommes entre eux et des hommes aux lieux. C’est un espace vécu, à la
fois logique et sensible, où l’on se reconnaît soi-même et avec d’autres. Il combine par
conséquent une certaine organisation et une somme de sentiments et d’émotions pouvant aller jusqu’à constituer des formes d’identité collective, précises ou floues, implicites ou exprimées. Il existe par conséquent bien des formes de territoires et c’est l’objet
même de la géographie. La question est d’une approche d’autant plus difficile que ces
territoires sont maintenant traversés par une extrême mobilité des populations, quels
que soient les lieux et les hommes…
Les territoires gérontologiques peuvent s’inscrire dans cette démarche, et le géographe
y reconnaîtra une grande diversité (on peut parler comme en d’autres cas de
« géodiversité »), prenant notamment en considération :
• L’organisation des territoires, dans le classicisme de leurs formes… urbain,
périurbain et rural… métropole, villes moyennes et petites villes… rural dispersé, isolé, concentré…
• L’organisation institutionnelle au service des personnes âgées… de la simplicité et du dénuement à l’extrême complexité institutionnelle et associative…
la carte des services médicaux et paramédicaux…
• La perception et l’usage que les personnes en ont… selon l’âge, le sexe, les
classes sociales, les cultures…
• Les sentiments ou émotions qui y sont attachés… de l’indifférence à l’adaptation et à l’enracinement…
• La mobilité des personnes, notamment en fonction de leur âge… le troisième
âge de la mobilité et de la liberté… le troisième âge et le quatrième âge, parfois celui du repli progressif… mais aussi l’âge d’une certaine dépendance…
5
Session 1
Approche pluridisciplinaire
des territoires gérontologiques
Comment les experts issus de champs disciplinaires
différents s’approprient la notion de territoire
en relation avec le phénomène du vieillissement/
longévité de la population et ses conséquences
en termes de morbidité et de mortalité ?
Territoires gérontologiques, bassins de santé,
frontières et limites
François TONNELLIER
Géographe de la Santé,
Directeur de recherche honoraire
IRDES, Paris, France
Après la présentation de données départementales d’espérances de vie des
personnes âgées en France, l’exposé abordera quelques questions posées par
la définition et la construction des « bassins de santé » ou territoires gérontologiques. Ces questions concernent la connaissance de la population couverte et surtout les besoins, car le but poursuivi est toujours l’équité spatiale.
Pour les territoires, il est facile de s‘accorder sur des pôles d’attraction (centres
urbains, bourgs ruraux) mais la délimitation des frontières reste parfois floue
(les frontières ne doivent pas devenir des marges). Il existe d’autres limites qui
s’ajoutent à la dimension géographique. Il faut prendre en compte la distance
« culturelle », c’est-à-dire la connaissance de filières ou de réseaux de soins efficaces, ou au contraire le retard à l’accès qui sont déterminants pour la qualité
des soins. Enfin la frontière financière demeure un frein à l’accès aux soins et
aux services avec un système complexe (sinon opaque) de remboursements et de
prise en charge.
6
La géographie différenciée du vieillissement
et de la gérontocroissance
Gérard-François DUMONT
Professeur de Géographie et de Démographie
Université Paris Sorbonne-Paris IV
Président de la Revue Population & Avenir
Le vieillissement de la population de la France est un fait incontestable,
puisque la proportion des personnes âgées dans la population totale y augmente au fil des années. Néanmoins, il importe de préciser les quatre facteurs de ce
vieillissement pour comprendre combien son intensité peut être différente selon
les différents territoires, c’est-à-dire selon les différents espaces, délimités par
exemple selon des périmètres administratifs, qui composent ensemble l’espace
national. Une telle analyse conduit à introduire la notion de « gérontocroissance »,
c’est-à-dire d’augmentation du nombre des personnes âgées, à différencier du
vieillissement.
Or, tant l’évolution actuelle que les projections géodémographiques montrent
que les dynamiques du vieillissement et de la gérontocroissance présentent une
double caractéristique géographique :
D’une part, considérant par exemple un territoire départemental, leur rythme
d’évolution n’est absolument pas semblable et peut même parfois diverger.
D’autre part, selon les territoires, les projections indiquent des évolutions extrêmement dissemblables tant pour le vieillissement que pour la gérontocroissance.
L’analyse géodémographique enseigne en conséquence l’importance d’adapter
les politiques gérontologiques à des changements géodémographiques à la fois
inédits et extrêmement différents selon les territoires.
7
Des tropismes pour vieillir, des zonages pour agir
Marie-Christine BERNARD-HOHM
Chargée d’études Pôle Habitat, Foncier, évolution sociale et politique de la ville
Agence d’urbanisme a’urba, Bordeaux, France
L’étude « Vieillir dans la métropole bordelaise » publiée en 2006 met en évidence
une forte interaction entre les modes de vieillissement des résidants d’une agglomération et la configuration des territoires où se déroulent leurs dernières
trajectoires de vie.
Aussi, a-t-on emprunté - un peu abusivement - à la biologie, la notion de
« tropismes » pour décrire des exemples de croissance en âge orientée dans l’espace et pleinement assumée, grâce aux échanges quotidiens avec un environnement immédiat choisi et accepté.
Il y a bien sûr l’irrépressible héliotropisme de la « France des pieds dans l’eau »
dont le vieillissement massif du bassin d’Arcachon représente l’exemple flagrant.
Mais à côté de ces migrations de retraite, on peut choisir de « vieillir à l’horizontal » au sein de quartiers d’habitat individuel de seconde couronne urbaine, bien
reliée à la ville et à proximité de la nature, source de loisirs et de bonne santé ;
ou de rester fidèle à sa niche écologique d’origine, et de « vieillir à la verticale »
dans de l’habitat dense, collectif, pluri-générationnel et citoyen.
Un autre territoire d’étude, le Libournais, laisse aujourd’hui découvrir bien
d’autres tropismes : secteurs ruraux viticoles où perdure la survivance d’entraide
entre voisins âgés, ville-centre équipée d’établissements où finir ses jours mais
aussi dotée d’un patrimoine ancien où se dissimulent des conditions de misère et
d’insalubrité d’une classe agricole vieillissante qui n’a plus ses repères.
Face à des besoins sus ou tus, quelles réponses apporter pour perpétuer les équilibres existants ou favoriser de nouveaux tropismes ? Le territoire de projet pertinent sera celui qui permettra de légitimer la décision politique et de coordonner
les pratiques professionnelles. Communauté de communes ou d’agglomération,
charte de pays, schémas départementaux ? Autant de bricolage institutionnel
dont la vertu sera de mobiliser les systèmes d’acteurs liés de près ou de loin au
destin des plus anciens, et qui tentera de gommer les effets de frontières et le
jeu de la concurrence entre les grands élus.
8
Territoire de projets
Didier SALON
Architecte D.P.L.G., Paris, France
Le métier d’architecte consiste à faire des projets, en principe à les réaliser et,
dans le meilleur des cas, faire en sorte qu’ils comblent toutes les attentes… ce
qui est finalement très rare sinon une utopie. Ces attentes sont nombreuses,
exigeantes voire intransigeantes et mélangées dans une vaste palette de registres souvent étrangers les uns aux autres, semblant parfois éloigner l’objet de sa
finalité principale et immédiate.
Avec et malgré cette contingence, il s’agit toutefois de donner envie à quelqu’un
d’habiter quelque part, de parcourir l’espace des intentions tout en respectant
des lignes : celles des trajectoires d’habitants et de leurs usages, celles des myriades de règlements, de contraintes techniques et de budget, tout en se projetant
vers un horizon économique, social et « terrestrement » durable. Les architectes
passent ainsi leur temps à dessiner des projets entre des lignes pour des gens qui
vont habiter entre des murs et des paysages.
Au final, il « suffirait » que ces lignes de sens s’accordent avec les lignes de sol,
pour que territoire, site et constructions fabriquent le lieu idéal de satisfaction
de nos besoins et de nos sensibilités, déroulant sous nos yeux étonnés les lignes
de force d’une histoire que nous y reconnaîtrions. Les constructions majeures ne
sont-elles pas celles qui construisent aussi le site, nous y incorporent et font de
nous les destinataires privilégiés d’un territoire particulier ?
Pour ces habitants que l’on dit « âgés », pathologiquement dépendants et/ou socialement isolés, les lignes de l’épure sont aujourd’hui balisées, voire infranchissables. Elles n’en finissent pas de se multiplier, de se superposer et de se croiser,
réduisant les espaces ouverts du projet à des interstices ténus. Le modèle institutionnel continue inlassablement de catégoriser les publics, de se raidir dans
des normes d’habitabilité et de fonctionnalité, de s’enfermer dans des ratios de
constructibilité pour des publics ciblés, toutes choses utiles mais qui éloignent
peu à peu la conception des lieux d’habitation de leur socle d’attentes singulières, locales, sensibles, etc.
Pour autant, on ne saurait habiter sans avoir créé l’espacement nécessaire,
sans avoir su « vider les lieux ». Il revient ainsi à l’architecture, à l’urbanisme, au
design, c’est à dire aux formes, d’écarter les lignes du dédale, de laisser venir la
lumière et d’éclairer l’espace, d’humaniser les territoires du projet par des lignes
de vies, pour construire des projets de territoire qui ne relient pas seulement des
cartes à des concepts, mais aussi l’humain aux lieux.
9
TERRITOIRES, OBSERVATION ET PERFORMANCE
Jean-Louis SANCHEZ
Délégué Général de l’Observatoire National
de l’Action Sociale Décentralisée
Avec les politiques de soutien au vieillissement, on se trouve en présence d’un
champ particulièrement prometteur pour l’action publique, car elle peut stimuler tout à la fois l’emploi et des dynamiques d’entraide intergénérationnelle.
A condition, toutefois, de pouvoir agir au-delà des frontières institutionnelles
des divers acteurs concernés.
En effet, pour réussir, il va falloir maîtriser le défi d’un environnement institutionnel, fonctionnel et professionnel d’une rare complexité. Les acteurs des politiques gérontologiques sont multiples et les programmes d’action se superposent
les uns aux autres sans que l’on puisse parvenir à une vision globale des besoins
et à une coordination réelle des possibilités d’intervention dans le secteur.
Aussi, une démarche d’anticipation et de rationalisation des réponses ne
peut-elle se développer de façon efficace que par une approche transversale,
faisant place à la diversité des intervenants. Or le partenariat ne se décrète pas et
il ne fonctionne bien que lorsqu’il a été précédé d’une réflexion partagée sur les
valeurs, les besoins et les réponses. On sait ainsi que la coordination souffre en
fait d’absence de perspectives, provoquée par un recours insuffisant aux outils
d’observation.
Il faut donc en convenir : seule une démarche de diagnostic et d’analyse menée en commun permettra de construire des convictions convergentes, une
reconnaissance mutuelle et donc une volonté commune de concevoir des actions
coordonnées.
10
Territoires gérontologiques et économie
Marie-Eve JOËL
Professeur à l’Université Paris Dauphine
Directeur du Département Master Sciences des Organisations
Directeur du Laboratoire d’Economie et de Gestion des Organisations de Santé
Paris, France
La notion de territoire gérontologique interpelle les économistes : existe-t-il des
facteurs économiques (modes de régulation, de gestion ou de financement…)
qui seraient constitutifs des territoires gérontologiques ?
L’approche par les économistes de la question des territoires s’est effectuée selon
deux entrées : une entrée politique directe et une entrée indirecte par le constat
des dysfonctionnements économiques.
Les hommes politiques et l’administration sociale se posent la question de l’impact local sur la croissance et l’emploi des dépenses effectuées en faveur des
personnes âgées. Comment délimiter le bon territoire où observer ces effets
économiques, construire des données comptables significatives et des variables
économiques pertinentes ? Quel est le bon territoire sur lequel analyser l’efficacité économique des politiques gérontologiques et les possibles retours sur
investissement ? La perméabilité des frontières du sanitaire, du médico-social et
du social est une source de difficulté, tout autant que les restructurations administratives issues de la décentralisation.
Les dysfonctionnements et les surcoûts économiques liés à l’absence de coordination des professionnels, à la superposition des dispositifs administratifs, à la
multiplicité des sources de financement ont fait apparaître « en creux » les déficits de la gestion territoriale. L’évaluation économique des réseaux, le coût de la
non-coordination, l’efficacité économique du case management sont autant de
questions qui conduisent inévitablement les économistes à une réflexion sur les
territoires gérontologiques.
11
Quelques réflexions sur les « vieux »
et les territoires gérontologiques
François BLANCHARD
Gériatre au CHU de Reims
Professeur de Santé publique à l’Université de Reims
Parler des « vieux » paraît souvent presque indécent bien que cela soit la manière dont ils se désignent eux-mêmes, les « professionnels » les définissent comme
« personne âgée », « senior », « 3ème âge », « 4ème âge » etc. En tout cas, eux ne
parlent jamais de gérontologie et encore moins de territoire gérontologique.
Par contre, chacun s’enracine dans un territoire. Mais, s’il y a un ancrage initial,
la vie nous transporte et l’endroit où l’on meurt, est rarement l’endroit où l’on
est né.
Si on quitte la trajectoire individuelle du vieillissement et qu’on examine cette
question du territoire géographique liée à la citoyenneté, bien des questions
peuvent se poser, par exemple celle de la représentation des personnes âgées au
niveau des diverses instances élues sur une base géographique.
A la distinction liée à l’âge s’ajoute une deuxième distinction tout aussi néfaste
entre le sanitaire et le social que l’on habille de « médico-social » car on se rend
bien compte qu’on ne peut pas prendre de décision sans un minimum d’implication avec la sphère médicale. On a ainsi des niveaux de prise de décision
difficiles à coordonner entre entité géographique superposée : un territoire de
proximité au niveau des villes, au-dessus le département, territoire essentiel
pour le «médico-social», le financement de la prise en charge de la dite
« dépendance ». C’est au niveau des départements que sont élaborés les schémas
gérontologiques. Mais pour le sanitaire, les Schémas Régionaux d’Organisations
Sanitaires Gériatriques sont élaborés au niveau Régional. Il faudra bien du talent
aux A.R.S. dont c’est l’une des missions avec la nouvelle loi HPST pour redonner
un peu de cohésion à cette dispersion des centres de décisions et de responsabilités. Un réseau gériatrique régional permettant de coordonner l’ensemble des
acteurs en proposant des outils de communication ou d’évaluation partagés et
des formations coordonnées sur l’ensemble du territoire favorise cette cohérence souhaitée pour la prise en charge. Le réseau REGECA en Champagne-Ardenne
est une initiative qui va dans ce sens.
Au final, cette question des territoires gérontologiques a fait apparaître bien des
incohérences et rend difficile une vraie politique en faveur des personnes âgées
souffrant de maladie. On ne peut que souhaiter enfin la disparition de cette
distinction entre le sanitaire et le médico-social d’une part et entre handicap et
dépendance d’autre part. Cela pose la question de la place des personnes âgées
dans notre société en tant que citoyen à part entière.
Et pour chacun de nous, comment concilier évolution, changement et l’enracinement nécessaire dans une histoire ?
12
Session 2
Dispositifs territoriaux gérontologiques :
Histoire et expériences
Approche historique des dispositifs gérontologiques en France
Dominique ARGOUD
Sociologue
Maître de conférences en Sciences de l’éducation
Université Paris Est Créteil
Dans cette contribution, il s’agira de porter un regard rétrospectif sur la mise
en place successive de dispositifs gérontologiques en France, du rapport Laroque à aujourd’hui. En particulier, sera analysée la manière dont « le territoire »
a constitué une catégorie opératoire des politiques publiques dans le secteur
gérontologique, et plus globalement dans l’ensemble du secteur sanitaire
et social. Ainsi, il apparaît que le territoire passe d’un statut de support pour
« le maillage géographique » à celui d’un lieu de mise en cohérence de politiques sectorielles, qui s’est concrétisé par de multiples tentatives pour instituer
des coordinations gérontologiques.
Les lois de décentralisation n’ont pas fondamentalement modifié la donne : si
la proximité et la territorialisation sont effectivement valorisées, l’action gérontologique n’en reste pas moins ancrée dans un cadre sectoriel dont les acteurs
peuvent difficilement s’abstraire. Les dispositifs gérontologiques sont au cœur
de cette ambiguïté originelle consistant à vouloir relier territorialité et sectorialité, ou autrement dit horizontalité et verticalité. A cette ambiguïté, s’en superpose une seconde qui repose sur la difficile conciliation entre universalité et
spécificité. A l’heure où la pertinence de la catégorie des « personnes âgées » est
de plus en plus remise en cause, cette dernière ambiguïté est même d’une grande actualité.
13
Expérience du Québec
Aspects territoriaux de l’intégration des services
aux personnes âgées fragiles : l’exemple du SIPA
François BELAND
Professeur de Santé publique
Université de Montréal et co-Directeur de Solidage
Equipe de recherche Université de Montréal
et Université McGill, Québec, Canada
Le modèle de Système Intégré pour Personnes Agées fragiles (SIPA) entendait
offrir la gamme entière de services médicaux et socio-sanitaires à une population
âgée fragile d’un territoire défini, soit les services médicaux, hospitaliers, d’hébergement médicalisé, pharmaceutiques, services infirmiers et aide à domicile,
réadaptation, etc. SIPA vise à assurer aux organisations locales responsables de la
santé et de la prestation des services sociaux et de santé toute la flexibilité requise pour répondre aux besoins des personnes âgées fragiles. Pour assurer aux SIPA
locaux la capacité de décision nécessaire à la réalisation conséquente de leur
mandat, ils reçoivent les sommes nécessaires à la prestation directe ou indirecte
des services par la population âgée fragile de leur territoire. Les SIPA locaux assument la responsabilité de la gestion financière et clinique de la prestation des
services. Ils mettent sur pied les équipes multidisciplinaires pour la prestation de
services de proximité et s’entendent sur une base contractuelle, pour les autres
types de services, avec des établissements hospitaliers, d’hébergement médicalisé et autres. La capacité de gestion des SIPA doit être suffisante pour identifier
les besoins des personnes âgées du territoire, assurer le fonctionnement en multidisciplinarité des équipes de prestataires, gérer les relations contractuelles avec
les établissements et administrer les fonds dont ils sont fiduciaires. Ces responsabilités exigent des équipes locales fortes et compétentes, capables d’affronter les
risques financiers et cliniques inhérents aux services qu’ils procurent. Ces risques
posent des exigences fonctionnelles qui peuvent être en contradiction avec des
aspirations territoriales.
La faiblesse des politiques de territorialisation réside souvent dans la difficulté
à concilier les exigences fonctionnelles de l’organisation et du financement des
services de santé avec ce qui est défini quelques fois comme la dynamique locale
socio-territoriale.
14
Expériences européennes et Territoires
Territoires gérontologiques :
les confrontations en France
au regard d’autres pays européens type
Jean-Claude HENRARD
Professeur de Santé Publique
Laboratoire Santé Vieillissement
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Deux groupes de fonctions relèvent d’un espace territorial dans le domaine de
la santé.
Ce sont : au niveau collectif, la régulation de l’offre et de la demande en services
et les décisions d’allocation des ressources ; au niveau individuel l’évaluation
des besoins, l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’intervention. Dans le
secteur de la morbidité chronique invalidante concernant tout particulièrement
les personnes du grand âge, définir les territoires pertinents est rendu difficile
du fait de la multiplicité des intervenants.
En France, les Conseils généraux départementaux bien que légitimes pour assurer les fonctions collectives n’ont pas les moyens de le
faire seuls car le secteur sanitaire leur échappe. Les communes ont investi
depuis longtemps (directement ou par l’intermédiaire d’associations mandatées) les aides à domicile, l’hébergement étant classiquement initié par
les hôpitaux et des organisations privées non lucratives. L’arrivée de nouveaux
opérateurs - promoteurs privés lucratifs, offices HLM, particuliers employeurs -,
est venue redistribuer les cartes de la territorialité. Il en résulte une plus
grande fragmentation des dispositifs rendant de plus en plus nécessaire un
certain degré de coordination sur un territoire donné si l’on veut améliorer leur qualité et leur efficience. Cette coordination n’a été réalisée que
de façon expérimentale par la construction de territoires opérationnels
de concertation.
Trois exemples européens de contournement de la fragmentation des acteurs
seront exposés : le premier est celui des municipalités scandinaves ; le deuxième
est celui des groupements de praticiens de premiers recours travaillant avec les
services sociaux et achetant les services nécessaires ; le troisième est celui des
contrats de soins intégrés entre caisses d’assurances sociales et une organisation
gestionnaire pour une population et un territoire donnés.
15
Présentation de l’organisation territoriale
de la prise en charge
des personnes âgées en situation de dépendance
Les «MAIA» (Maisons pour l’Autonomie
et l’Intégration des malades Alzheimer) :
un dispositif d’intégration
à l’épreuve de la fragmentation des territoires
Olivier DUPONT
Chef de projet
Equipe Projet Nationale MAIA
CNSA, Paris, France
Les Maisons pour l’Autonomie et l’Intégration des malades Alzheimer (MAIA)
ont été définies pour la première fois dans le Plan Alzheimer 2008-2012. Dispositifs innovants, elles auront pour objet d’améliorer la lisibilité du système
d’accompagnement d’aide et de soins en renforçant la coordination entre tous
les intervenants. Selon le Plan Alzheimer, elles « représenteront un véritable guichet unique, un lieu d’orientation de la prise en charge » pour construire un
parcours de prise en charge personnalisée avec l’aide du coordonnateur et des
professionnels. La première étape consistera à réaliser une intégration des services dans le périmètre MAIA en s’appuyant sur l’existant (réseaux de soins, CLIC,
plateforme libérale, MDPH) et sans créer de structure nouvelle pour préparer la
phase de gestion de cas.
Il s’agit pour l’heure d’une expérimentation qui devrait permettre d’élaborer un
référentiel pour la création d’un label MAIA et de généraliser ces structures sur
le territoire national courant 2011/2012. Les porteurs de projets et les territoires couverts sont très diversifiés. Urbaines pour certaines, rurales pour d’autres,
situées sur des territoires de taille différente, les MAIA offrent un éventail intéressant de situations sur toute la France. Les territoires MAIA exprimés en cantons varient de 5 à 67 (arrondissements mis à part). Les territoires d’intervention
s’expriment différemment selon le porteur du bassin de vie au département en
passant par le territoire de santé. L’expression de la fragmentation de notre système de santé et de services trouve toute sa réalité dans l’enchevêtrement des
territoires. La mise en œuvre d’un dispositif MAIA par un promoteur médico-social devra tenir compte du territoire d’intervention des professionnels du champ
sanitaire et inversement. C’est ce qui entraînera certains à débuter par un travail
sur la territorialité.
Cette diversité permettra notamment de mieux répondre à la question posée de
la territorialité compétente dans un processus d’intégration comme le propose
les MAIA à la fin de l’expérimentation.
16
Expérience des Centres Locaux d’Information
et de Coordination (CLIC)
Depuis le Bureau d’Information
gérontologique de Lunel :
Genèse et évolution des CLIC
Alain COLVEZ
Docteur en médecine, Directeur de recherche à l’INSERM
Centre languedocien d’études et de formation (Geronto-Clef) Montpellier, France
Territoire et coordination gérontologique : deux notions qui sont maintenant
intimement liées. En effet, il est apparu que la prise en compte, à l’échelle d’un
territoire, des personnes âgées en situation de handicap (dépendance) était le
meilleur moyen d’établir une cohérence des interventions qui relèvent de multiples institutions. Quoique simple, cette idée, pour être mise en œuvre, nécessite un long cheminement, depuis l’émergence du besoin et l’expérimentation,
jusqu’à la diffusion et l’appropriation par les acteurs.
Entre les années 1990 et 2000, le programme de développement des Centres Locaux d’Information et de Coordination (CLIC) aurait pu être l’exemple
d’un programme d’innovation sociale et de santé publique. Un programme
qui réussit à parcourir les étapes techniques devant permettre un maillage du
territoire français par des coordinations gérontologiques. Ainsi, le programme mis en œuvre à Lunel de 1994 à 1998 fut la phase d’expérimentation
conduite dans un cadre de recherche. À ce stade, l’objectif était de démontrer la faisabilité d’une coordination territoriale et son efficacité pour mieux
cibler les prestations sur les personnes qui en avaient le plus besoin. La seconde
phase fut l’accompagnement de 15 premiers CLIC, issus de coordinations déjà actives. La troisième phase visait à couvrir la France par un millier de coordinations
gérontologiques réparties sur l’ensemble du territoire.
On sait pourtant que ce schéma n’a pas totalement abouti. Il faut essayer d’en
analyser les raisons. La trop lente compréhension par les acteurs locaux de l’enjeu représenté par les coordinations territoriales est un premier élément. Le déficit de culture du travail en réseau est une autre raison à explorer. Au final, ce
schéma de développement, qui devrait être linéaire, apparaît plutôt « cycloïde » ;
c’est-à-dire sans cesse recommencé. Au moment du rapprochement des secteurs
« sanitaire » et « médico-social », sous la tutelle de l’Agence Régionale de la
Santé (ARS), il est temps de mieux comprendre les raisons qui font qu’il est si
difficile dans notre pays de passer de l’expérimentation à la généralisation.
17
Expérience hospitalière française et Territoires :
Fondements et modalités
Claude JEANDEL
Gériatre
Président du Collège Professionnel des Gériatres Français
Chargé de mission auprès des Ministères du Travail,
de la Santé et de la Solidarité
Professeur de Médecine interne – Gériatrie
Montpellier, France
La fréquence de la polypathologie du patient gériatrique justifie une approche
globale et intégrée, reposant sur la gestion de la polypathologie et des comorbidités et la gestion de la « complexité » médico-psycho-socio-environnementale .
L’amélioration de l’accès du patient gériatrique à un soin approprié à ses besoins
implique une organisation en filière de soins gériatriques dont la composition
devra prendre en compte les besoins spécifiques au territoire de santé au sein
duquel se situe l’établissement, l’accès au plateau technique et l’offre de l’ensemble des établissements de santé du territoire concerné.
La valeur ajoutée d’une filière de soins gériatriques est d’associer sur son territoire d’implantation l’ensemble des acteurs concourant à la prise en charge
des personnes âgées et de servir de levier à la coordination de leurs actions au
service des personnes âgées. Elle doit ainsi contribuer à fournir le juste niveau de
prise en charge en rappelant le rôle essentiel joué par le médecin traitant et celui
de premier niveau d’hospitalisation assuré par les hôpitaux locaux en cohérence
avec le projet médical de territoire.
Les réseaux de santé « personnes âgées » peuvent aussi venir très utilement
compléter l’organisation territoriale en filière et favoriser la mise en place d’une
réelle coordination des professionnels.
La filière de soins gériatriques hospitalière constitue une modalité d’organisation cohérente et graduée des soins gériatriques sur un territoire donné et
a pour objet de couvrir l’intégralité des parcours possibles du patient âgé en
tenant compte du caractère évolutif de ses besoins de santé et du niveau de
recours au plateau technique. Elle s’inscrit dans une politique globale de prise en
charge des personnes âgées.
La région doit être couverte en totalité par plusieurs filières de soins gériatriques.
Une filière doit s’attacher à prendre en charge en priorité les personnes âgées
résidant sur son territoire d’implantation.
Une bonne articulation territoriale entre les réseaux de santé « personnes âgées »,
de soins palliatifs et le cas échéant les réseaux de cancérologie est en outre
indispensable.
La filière doit également organiser l’accompagnement et les soins pour les
personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées.
18
Session 3
Table ronde et discussion
Quels territoires gérontologiques ?
Comment penser le concept de territoire et son
adéquation dans le champ de la gérontologie ?
Territoires gérontologiques ? Quels sens donner à cette locution ?
Bernard ENNUYER
Sociologue, Directeur d’un Service d’Aide et de Soins à Domicile
Enseignant chercheur à l’Université Paris Descartes, Paris, France
Le dictionnaire nous donne deux pistes de réflexion pour territoire :
• un espace géographique sur lequel vit un groupe humain.
n ce sens les « vieux », les plus de… (âge toujours à définir) vivent parmi le reste
E
de la population et il n’y a pas, pour nous, de pertinence à qualifier des territoires géographiques comme « gérontologiques » sauf à considérer que les hébergements spécifiques EHPAD et autres maisons de retraite sont des territoires
gérontologiques au sens d’une réserve de vieux (comme les réserves d’indiens,
donc une enclave plus ou moins ségrégative) ;
• une étendue de pays sur lequel s’exerce une autorité, juridiction.
n pourrait alors dire que le groupe des 60 ans et plus ou 65 ans et plus, déO
signant par pure convention les personnes âgées au sens de l’Insee, est un
« territoire gérontologique » au sens où une juridiction particulière, c’est-à-dire
des lois spécifiques, s’applique à ces « gens-là » faisant apparaître de fait une ségrégation et une discrimination, car on ne voit pas en quoi l’âge chronologique
serait pertinent pour définir des lois spécifiques à cette catégorie d’âge, ce qui
est pourtant le cas pour l’allocation personnalisée d’autonomie notamment.
Notre réflexion s’est aussi arrêtée sur la proximité territoire-terroir, terroir au
sens de région considérée comme influant sur ses habitants et réciproquement.
Cela pose la question de savoir si « les plus de… » forment un groupe qui se
donne une représentation particulière de lui-même et revendiquent eux-mêmes
une appropriation économique, idéologique et politique, spécifique ou bien si
les représentations sociales de ce groupe des plus de… imposent cette idée d’un
territoire gérontologique au sens ou l’individu qui appartient à ce territoire est
largement surdéterminé dans son identité individuelle par l’appartenance à ce
collectif plus que par ses caractéristiques personnelles.
Le territoire gérontologique serait en ce sens, non pas un espace géographique,
mais avant tout un espace socio-politique ségrégatif qui prétendrait définir et
qualifier les hommes et les femmes de plus de… considérés comme faisant partie de cet espace ainsi défini. C’est en grande partie le résultat des politiques
vieillesse depuis le rapport Laroque et en ce sens ces politiques, quelque soit leur
bon côté, sont avant tout discriminantes, stigmatisantes et ségrégatives !
19
des territoires gérontologiques
au cŒur de la mixité sociale
André FLAJOLET
Député du Pas-de-Calais,
auteur du rapport relatif aux disparités territoriales des politiques
de prévention sanitaire.
En posant la question de la pertinence ou non des territoires gérontologiques
ou pour le dire plus simplement de territoires dédiés, nous formalisons de façon
directe ou indécise une réflexion à trois niveaux et à double face :
Un territoire spécifique est-il une volonté d’apporter de la sécurité et de l’identité ou est-ce une réponse segmentée à une catégorie spécifique de population
qui met à part et donc exclut ? Autrement dit est-ce une réponse à partir de
l’humain ou à partir d’un constat d’échec qui touche une minorité d’actes mais
impose une réponse qui met en ordre toute la société ?
Promouvoir des territoires spécifiques emporte-t-il une conviction économique
ou managériale de l’organisation spatiale de la Cité impliquant des urbanistes
qui organisent la décision du politique de créer des lieux spécifiques d’économie
de proximité ?
Proposer une segmentation peut-il, d’un point de vue de rationalité et sans porter de dimension humaine particulière, trouver des raisons essentielles et existentielles au regard des affects sécuritaires et identitaires ?
Il convient également de s’interroger sur les finalités d’une politique gérontologique : est-elle et n’est-elle qu’un segment d’activité économique dont l’équilibre est garanti par la retraite et les économies personnelles ? Est-elle au moins
un lien intergénérationnel nourri à l’aune de valeurs issues du monde social,
culturel ou religieux ? Est-elle tout simplement l’exigence humaniste qui unit
les anciens qui ont fait notre histoire et méritent considération, aux acteurs
d’aujourd’hui et de demain ?
C’est donc à partir d’une conception philosophique portant une idée de l’être
comme personne et être social et une idée des relations entre les êtres humains
que doivent se conclure des espaces gérontologiques intégrés dans des territoires multiples. Cette conception permet d’évaluer la solidarité financière, non
comme une charge du cinquième risque, entièrement pris en charge par l’anonymat social producteur de nouveaux métiers en remplacement de la solidarité familiale mais comme la conséquence matérielle des circuits de solidarité humaine
où le réseau familial garde un rôle majeur et complète les actions de la société
et, in fine, lui en garde le Sens premier, celui de la société globale où l’être reste
l’unité signifiante.
20
Les territoires de référence des décideurs pour
la planification, la programmation et
l’organisation de l’offre de services en matière
d’accompagnement des personnes âgées dépendantes :
Constats et perspectives
Jeanne BROUSSE
Responsable du pôle programmation de l’offre en établissements
et services médico-sociaux
Direction des établissements et services de la CNSA, Paris, France
L’accessibilité et l’organisation territoriale de l’offre de services en faveur des
personnes âgées dépendantes est une préoccupation de la CNSA qui est chargée
de répartir les crédits destinés au fonctionnement des établissements et services
médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées
dépendantes, financés par l’Assurance maladie et relevant de la compétence de
l’État, avec, en particulier, un objectif de veiller à l’équité territoriale dans un
contexte de grandes disparités.
Les territoires, niveaux de décisions, sont départementaux (Conseils généraux - Préfets) et régionaux avec la mise en place des Agences Régionales de
Santé (ARS). L’observation et la définition des besoins tels qu’ils s’expriment
jusqu’alors au travers des schémas médico-sociaux départementaux et des programmations interdépartementales prévisionnelles de développement et de
transformation de l’offre (PRIAC) reposent sur des approches départementales
et infra départementales hétérogènes et fragmentées de l’offre de services au
regard des besoins.
La loi Hôpital Patients Santé et Territoires (HPST) vise à répondre à la nécessité de
mettre en œuvre une approche territorialisée des besoins et de l’offre de santé
pour apporter des réponses plus efficaces, en confiant aux ARS la mission de
définir des territoires de santé pertinents pour les activités de santé.
Par ailleurs, le processus d’appel à projets généralisé pour le régime des autorisations, prévu également dans la loi HPST redonne l’initiative du développement
de l’offre aux décideurs et les renvoie à une définition concertée de l’organisation territoriale de l’accompagnement de la perte d’autonomie afin d’en favoriser l’accès et la diversité.
21
Territoires gérontologiques :
des géographies et des histoires
Bernadette PUIJALON
Anthropologue, Maître de conférences à l’Université Paris Est
UFR Sciences de l’éducation, des sciences sociales
et des sciences techniques
des activités physiques et sportives, Paris, France
Dans cette table ronde, je retiendrai différents cas de figures, rencontrés dans
ma pratique professionnelle, illustrant l’intérêt de l’approche historique et les
paradoxes de l’approche territoriale.
Souplesse et rigidité : Dans le cadre du Programme d’action prioritaire n°15
(VIIe Plan) de 1977, le territoire pour implanter de nouvelles actions visant à améliorer le maintien à domicile et la participation sociale des personnes âgées était
à définir par les différents acteurs. Mais quand deux cantons appartenant à deux
départements différents ont souhaité voir reconnaître l’ancienneté de leurs liens
et la pertinence d’organiser des actions communes, les problèmes administratifs
ont été tels qu’ils ont renoncé. Le présent des institutions ne permet pas toujours
de prendre en compte les logiques du passé.
Même constat lors de la mise en place des coordinations ou des CLIC (Centre
Locaux d’Information et de Coordination).
Distance et intimité : Dans le cadre des appels à projet de la Fondation de France,
après des années de soutien à des actions ciblées sur un public ou un service
précis, l’appel à projet fondé sur le territoire avait pour but de permettre une
prise de recul pour réinterroger la pertinence de l’ensemble d’un dispositif. Des
entretiens avec des personnes âgées montrent que pour elles, le terme à retenir
est celui de territoires investis et la question se pose de la rencontre entre ces
derniers et ceux retenus par les politiques sociales vieillesse. Là aussi, l’entrecroisement des histoires s’avère fondamentale.
22
Piloter la production de territoires gérontologiques
Philippe WARIN
Politologue, ancien Directeur du CERAT
(Centre de recherche sur le politique, l’administration, la ville et le territoire),
Directeur de recherche au CNRS
UMR PACTE
(Politiques publiques, Action politique, Territoires)
Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, France
Les « territoires gérontologiques » sont définis par les politiques publiques de prise en charge du vieillissement. Chacune renvoie à des populations et à des dispositifs. Lorsque ces politiques ont pour fonction
de prévenir ou de retarder l’apparition des incapacités, mais aussi la
solitude et la désocialisation, chez celles et ceux qui n’ont pas encore atteint le
« grand âge », il s’agit de territoires de prévention. Ces territoires sont en particulier ceux de l’inter et de l’intra-générationnel, souvent au travers du bénévolat et parfois du logement. Quand le grand âge arrive avec son lot de défis à
relever associés à la dépendance, au déclin cognitif et physique, à l’isolement, et
parfois à la précarité sociale, les politiques fabriquent des territoires de prise en
charge : le domicile avec l’intervention d’aidants professionnels et/ou familiaux,
ou l’institution spécialisée. Ces territoires à la fois physiques, fonctionnels et relationnels sont pensés à partir d’une somme d’expertise sur le vieillissement, ses
étapes et ses enjeux tant pour les personnes que pour la collectivité publique.
Les politiques correspondantes sont ainsi fondées à partir de savoirs spécialisés. Pour autant, elles ne disposent pas, pour commencer, d’une connaissance
d’ensemble des populations, suffisante et actualisée, permettant d’orienter la
production de ces territoires. Sait-on en particulier identifier dans le temps les
seniors vivant sur un territoire donné : quartier, secteur, commune, agglomération, département ? A-t-on les outils pour connaître cette population selon les
étapes du vieillissement et ses ressources (économiques, relationnelles), de façon
à programmer cette production de territoires ? Dit autrement, la question de
la production des territoires de prévention ou de prise en charge est aussi celle
des instruments d’évaluation et de prospective, nécessaires aux politiques qui
les définissent. Cette intervention vise donc à introduire ce débat relatif au défi
du pilotage des politiques, en particulier à partir de constats relatifs à l’observation sociale territorialisée et à la gestion de l’APA (Allocation Personnalisée
d’Autonomie) à domicile.
23
Les actes du Colloque
« Territoires Gérontologiques » : contraintes, défis et controverses
seront publiés dans le numéro 132 de la revue Gérontologie et Société
à paraître au mois d’avril 2010. Ils seront complétés par quelques
contributions complémentaires.
Renseignements :
Fondation Nationale de Gérontologie
Tel : 01 55 74 67 02
Fax : 01 55 74 67 01
E-mail : [email protected]
organisé par
la fondation nationale
de gérontologie
avec le soutien de
Téléchargement