Molière
Mise en scène : Pierre Desmaret
Version 1664 en 3 actes
Reconstruite par Georges Forestier et Isabelle Grellet
TARTUFFE
OU L’HYPOCRITE
Il y a dans une pièce
classique un jeu
de reflets de l’humain
et une réfraction
de l’universel,
qui définissent l’art
dramatique et font
du théâtre un désordre
et un chaos obligés.
(Pourquoi j’ai monté Tartuffe, Louis Jouvet)
Une fois dégrafé le costume de la renommée scénique de l’œuvre, on ne peut
qu’être stupéfait de son intacte brutalité, qui concerne tous les personnages et pas
seulement le rôle-titre, une brutalité qui installe le Tartuffe dans notre présent : le
télescopage de l’actualité récente (Manif pour tous, attentats de janvier et novembre
2015) et d’un tel chef d’œuvre permet de déverrouiller l’événement ponctuel et de le
replacer dans un récit commun, pouvant être raconté, lui, en ne travaillant pas tant sur
la plaie que sur les causes de la blessure : l’envie, la frustration, qui restent le moteur
fondamental de toutes ces violences, une mécanique humaine dont Molière a conçu
la matrice indépassable.
Présenter cette œuvre cette année, n’est ni fortuit ni anodin:
le Tartuffe péné-
trant la Famille d’Orgon,
réfracte une réalité contemporaine absolument évidente, à
savoir la résurgence de valeurs et morales confessionnelles au cœur du débat public
dans une société laïque, plus ou moins « libérée » et par ailleurs largement consumé-
riste. L’épisode de « la manif pour tous » renseigne le retour à un ordre moral, et les
attentats de janvier signent l’évolution de l’intégrisme vers un terrorisme meurtrier,
ciblant la liberté d’expression satirique, rappel sanglant qu’il n’y a pas de petit débat
sur un tel sujet.
Pour autant, il n’est pas question ici de rejouer la querelle moralisante des
faux ou vrais dévots, l’hypocrisie (1664) ou l’imposture (1669) restant le moteur théâ-
tral de situations qui pourront apparaître comiques, grotesques ou dramatiques selon
la vision du metteur en scène. On ne trouvera pas dans notre projet, de commentaire
sur la religion, ses représentants et encore moins d’une religion par rapport à une
autre. Le Tartuffe ne révèle pas la superstition dans la religion ; il interroge aujourd’hui
comme hier, là où le curseur est ou pourrait être placé dans l’organisation collective. Il
invite aussi, au travers de la crédulité d’Orgon, à relativiser, par le rire,
l’esprit de cha-
pelle,
qui cette fois concerne toutes les formes excessives de l’engagement, là encore
très modernes, dont la dérive sectaire.
Enfin, la grande modernité du Tartuffe « 1664 », c’est de mettre en valeur un
personnage féminin Elmire et son « combat » face à Tartuffe et la pression sexuelle,
comme face à son propre mari et l’ordre social. Si nous n’en sommes pas encore à
l’égalité Hommes-Femmes, Elmire s’exprimant sur la « discrétion » qu’une épouse
doit à son mari, elle reste un personnage souverain de cette œuvre, révélant par le
théâtre, une vérité que les yeux d’Orgon ne peuvent envisager.
Si avec Jouvet et de façon très visionnaire, le théâtre
est le lieu du désordre
et du chaos obligé,
c’est pour mieux indiquer qu’il reste quelque chose à reconstruire
dans la réalité…
PIERRE DESMARET
Orgon, chef d’entreprise moderne, père d’un jeune homme, Damis, caractériel
et fraîchement fiancé, est remarié à Elmire, épouse indépendante qui, goûte, avec son
propre frère Cléante, un agréable « farniente » demi-mondain
largement entretenu
par son mari.
Alors que le mariage de Damis se prépare, que les fêtes estivales s’accu-
mulent, Dame Pernelle, la mère d’Orgon, entre en scène, au petit matin, dans une crise
de colère tonitruante, sur les
façons de vivre
de sa bru, de Monsieur son frère et de
son
sot en trois de lettres
de petit fils. Dorine et Flipote, assistantes personnelles de
Monsieur et Madame, ne sont pas épargnées par cette charge violente contre les ou-
trages au ciel que représente le style de vie consumériste et hédoniste de cette partie
de la famille. Elle oppose à ce « train de vie », l’ordre édicté par un certain Monsieur
Tartuffe, que son fils a récemment rencontré, qui prolonge et améliore ses propres
préceptes d’éducation religieuse. Quand Dame Pernelle excédée, sort de scène, la
pièce est lancée dans un état d’urgence, car l’on craint l’annulation du mariage de
Damis tout autant que la mise sous coupe – religieuse – de la maison, réglée par
Monsieur Tartuffe. L’espoir de la famille, la préservation des intérêts de chacun, repose
dès lors, sur la douceur d’âme que Tartuffe aurait pour Elmire, dont elle tentera de se
servir, à ses risques et ses périls.
Orgon, tiraillé entre le pesant héritage maternel, sa propre réussite et son in-
capacité à communiquer avec ses proches, tente de redonner un sens à son existence
et de gagner son « salut » : il se jette dans l’appareillage confessionnel que déploie
Tartuffe, lui apprenant à négliger Femme, Frère et Enfant, et à
ne s’en soucier autant
que de cela…
Tartuffe apparu
en guenille,
habillé, nourri, logé et élevé au rang de
frère par Orgon, puis héritier de ses biens, se lance dès lors, dans la conquête d’Elmire
et dans le piège risqué qu’elle lui a tendu, pour prouver à son mari la tartufferie de
son
héros.
Enfin, cette toute première version du Tartuffe ou l’Hypocrite, en trois actes
ouvre sur deux fins possibles, soit Tartuffe victorieux soit avec la famille (quasi) réunie,
Dame Pernelle refusant obstinément et définitivement d’accepter l’évidence.
Cette version dite de 1664 en trois actes est reconstruite par Georges Forestier
et Isabelle Grellet.
Version disponible en ligne à l’adresse suivante :
http://www.moliere.paris-sorbonne.fr/Tartuffe_1664_reconstruit.pdf
Notre Tartuffe En l’absence de témoignage contemporain sur la version originelle, l’analyse
dramaturgique et génétique permet de « gratter » la surface de la pièce en cinq actes
que Molière a fini par publier en 1669 et de se faire une idée de la physionomie de
cette œuvre initiale en trois actes :
La matière des actes I, III et IV que nous connaissons (version 1669) correspond
aux nombreuses versions antérieures de l’histoire du religieux impatronisé qui tente
de séduire la femme de son hôte, en vient à être démasqué grâce à la ruse de celle-ci
et se fait enfin chasser de la maison. Ces trois « actes » laissent clairement trans-
paraître la structure sous-jacente que l’on retrouve dans les versions romanesques
antérieures aussi bien que dans des versions « dell’ Arte » :
1) Un mari dévot accueille chez lui un homme qui semble l’incarnation de la plus
parfaite dévotion ;
2) Celui-ci, tombe amoureux de l’épouse du dévot, tente de la séduire, mais elle le
repousse tout en répugnant à le dénoncer à son mari qui, informé par un témoin
de la scène, refuse de le croire ;
3) La confiance aveugle de son mari pour le saint homme oblige alors sa femme
à lui démontrer l’hypocrisie du dévot en le faisant assister caché à une seconde
tentative de séduction, à la suite de quoi le coupable est chassé de la maison.
Ces trois séquences forment une action qui se suffit à elle-même, et l’on com-
prend que Molière se soit lancé dans la composition d’une comédie en trois actes :
un acte d’exposition, un second acte organisé autour de la tentative de séduction, un
troisième autour du piège tendu par l’épouse. On saisit bien aussi comment ce qui
devait être le dénouement initial (Tartuffe chassé) a été prolongé ultérieurement par
un rebondissement qui ouvre sur le cinquième acte de la version définitive (Tartuffe
en possession d’une donation de tous les biens d’Orgon et d’une cassette contenant
des papiers compromettants).
Dans cette structure en trois actes, les amours de Marianne et de Valère, qui
constituent toute la matière de l’acte II dans la version définitive, ne peuvent pas
trouver leur place ; ils sont en outre exclus par ce que nous savons de l’apparence
première de Tartuffe, copie conforme de ces directeurs de conscience laïcs qui témoi-
gnaient, par leur habit quasi ecclésiastique, de leur dévotion austère et chaste : un
directeur de conscience qui, comme ses confrères, avait fait vœu de célibat ne pouvait
pas songer à épouser la fille de son hôte. Inversement, la violence que manifeste
Damis envers Tartuffe dès le début de l’acte III de la version définitive — violence
peu compréhensible et artificiellement justifiée dans la version en cinq actes que nous
connaissons — et plusieurs allusions à son propre mariage, manifestement entravé
par les critiques du dévot, gardent la trace d’une version antérieure dans laquelle, en
l’absence de Valère et de Marianne, l’élément déclencheur de la crise était le mariage
contrarié de Damis.
On saisit ainsi comment Molière, après avoir ajouté un quatrième acte (l’acte
V de la version que nous connaissons), a complété sa pièce en composant encore
un acte qui, devenu l’acte II de la version définitive, a paru à tant de critiques si mal
intégré dans l’ensemble de la pièce.
Enfin, on découvre pour quelle raison l’entrée en scène du personnage prin-
cipal n’intervient qu’à l’acte III. Ce cas d’école des études dramaturgiques (Tartuffe
passe pour le type accompli du «héros retardé») est en fait le résultat d’un travail non
prémédité d’amplification d’une pièce conçue comme une comédie en trois actes...
Dans la première version de 1664, Tartuffe faisait son apparition dès l’acte II, ce qui
n’avait, pour le coup, rien d’exceptionnel.
D’APRÈS LES NOTES DE GEORGES FORESTIER
Le premier
Tartuffe,
pour une
reconstruction
raisonnée
PAR GEORGES FORESTIER
Cette version en trois actes, non pas
abrégée
mais palimpseste de la version
définitive de 1669, rapproche indéniablement le spectateur d’aujourd’hui du projet
initial de Molière : projeter toute une famille dans la tourmente de l’intégrisme dévot.
Protégé du roi, Molière ne se serait pas risqué à une critique directe de l’Eglise mais
s’opposant à l’exagération religieuse, il se range dans un état d’esprit partagé à la
Cour : le personnage de Cléante incarne le contrepoids raisonnable à l’excessive et -
forcément trompeuse - rigueur des faux dévots. Ce faisant, Molière installe le théâtre
comme alternative laïque raisonnante dans le débat public/privé, ce qui propulse son
Tartuffe dans l’actualité la plus immédiate.
Tartuffe
reconstruit permet donc de resserrer les éléments principaux de
l’œuvre et de retrouver, un motif toujours éclatant chez
Molière-auteur
: l’harmonie
poétique entre la comédie et la profondeur dramatique des contradictions humaines ;
l’alexandrin demeure ce véhicule magnifique pour porter de tels conflits, qui s’expri-
ment avec esprit, humour tout autant que dans l’excès, la violence, le grotesque. La
satire anticléricale reste bien présente dans les emprunts à Boccace, ou encore à tel
canevas de commedia dell’arte. Sources composites, souffle poétique de l’alexandrin,
unité classique, nous sommes au cœur du grand chef d’œuvre du XVIIème siècle.
Grâce à l’effacement des personnages de Valère et Marianne (acte 2 de la
version 1669) et de l’acte 5, deux autres thèmes ressortent particulièrement : la place
prépondérante accordée à une femme, Elmire, dans le répertoire classique et le fonc-
tionnement sectaire dans les relations Tartuffe/Orgon :
Elmire-Elomire-Molière : selon Marc Fumaroli, « la mondaine/comédienne
prend au piège l’hypocrite dévot. Le jeu théâtral qui s’avoue pour tel,
(je vais par des
douceurs, (…) faire poser le masque à cette âme hypocrite)
l’emporte sur le théâtre
dans la vie qui se dissimule comme théâtre et trouve un alibi dans la gravité transcen-
dante du Ciel ». Marc Fumaroli note que Tartuffe tente de reconstituer la domination
médiévale de l’Eglise sur un laïcat désarmé. Grâce à son emprise sur le paterfamilias
et sa mère, il peut dépouiller la famille de son patrimoine et traiter les femmes en
proie. L’acte 5 de 1669, fait intervenir le Roi comme rempart à la résurgence de cet
ordre social « gothique ». Dans notre version en trois actes, il revient à Elomire, de
sauver sa famille. Là encore, son courage l’emmène à l’extrême limite du sacrifice
total, lui donne un statut tout à fait exceptionnel : Elmire, à l’instar de la Comédie, sait
et peut
« du faux avec le vrai faire la différence ».
Dans les relations Orgon-Tartuffe, nous avons mis en lumière la thématique
du don et des rituels très présents dans le texte et susceptibles là encore de concerner
notre temps : la dérive sectaire tente d’intercaler le « don » à l’héritage et donc aux
droits familiaux ; Orgon le bourgeois, plagie les nobles en voulant « donner » à tour
de bras. Le Tartuffe infeste le quotidien de rituels, d’ablutions, de prières et d’injonc-
tions, ce qui est encore une façon efficace de transformer le temps « libre » de la
famille en une véritable liturgie.
Parce que les codes et symboles présents dans le Tartuffe peuvent se traduire
en appuis propices au jeu théâtral contemporain, la permanence du Tartuffe de Molière
se confirme,
pièce d’or dont on a jamais fini de rendre la monnaie
(Louis Jouvet).
Permanence
de Molière
Située par Molière à « Paris », le Tartuffe déploie son unité classique dans un
espace intermédiaire de la maison, un hall, une réception, un salon, ou encore une
salle à manger. En fait, une table et deux sièges suffisaient à la troupe de Molière.
encore le passage aux cinq actes de 1669 va transformer le diamant brut en pièce à
« grand spectacle ».
En effet, la transcription scénique d’une famille grand-bourgeoise, semble
avoir imposé aux mises en scène du « Tartuffe », un symbolisme appuyé sur des ma-
chineries complexes selon le degré d’interprétation de la « confession », très souvent,
les murs tremblent…
Dans notre cas, créant à partir d’un chapiteau théâtre, sorte de très grande
tonnelle, nous renforcerons l’esthétique du jardin d’intérieur ( ses tapis, ses meubles
en métal brossé, sa table ronde) qui portent la marque d’une décoration recherchée
illustrant la réussite sociale d’Orgon. Deux portes ouvrent sur la maison et sur la rue,
éloignant les bruits de la ville.
Ce jardin d’Orgon aide aussi à présenter la famille en villégiature, saisie dans
un farniente matinal probablement accompagné de fêtes nocturnes, contre lesquelles
Dame Pernelle s’insurge violemment. La pièce s’ouvre donc sur une matinée embru-
mée, pendant laquelle chacun souffre encore des différents outrages de la nuit, avant
le retour du « maître ». Dans cette atmosphère suspendue, on comprendra vite le
statut des personnages et comment chacun à sa manière vit aux crochets d’Orgon,
chef d’entreprise contemporain, qui a réussi et voyage pour ses affaires.
Surplombé d’un large velum, la lumière évoluera pendant tout le spectacle
passant du matin à la soirée, déroulant les trois actes en une seule et définitive jour-
née, dont on ne sait qui sortira vainqueur.
La distribution de l’espace est construite à partir d’une large table ronde
formant tréteau, qui égalise la hiérarchie familiale et sur laquelle les personnages
peuvent « monter » pour mieux s’approcher du ciel ou s’adonner à quelques interpré-
tations burlesques. Cette table deviendra aussi la roue du supplice que subit Elmire
face à Tartuffe, sous laquelle Orgon se cache, sans oser voir la réalité.
ORGON
en son jardin
CONFIGURATION SCÉNIQUE
Proposée sous le chapiteau « porte-paroles », le dispositif est présenté en configuration
bi ou tri-frontale (ou d’étrier) avec un espace scénique entrant au cœur des spectateurs,
pour une jauge d’environ 150 personnes. Là encore, la proximité des personnages avec
le public a pour objectif de donner une lecture plus fine de l’œuvre et d’en renforcer
l’impact.
CALENDRIER PRÉVISIONNEL 2015-2016-2017
• Juillet 2015 Résidence de création à La Maison
Jacques Copeau (Pernand-Vergelesses)
• Septembre 2015 Création sous chapiteau
Lyon-La Duchère
• Mars 2016 Résidence pour la reprise du spectacle
en frontal : Le Lissiaco (Lissieu)
• Juin-Juillet 2016 Festival TLMD Lyon
• Juillet 2016 Festival Villeneuve en scène
Villeneuve lez Avignon
• Mars 2017 L’Atrium Tassin La Demi-Lune
L’Arbresle
2,15m
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87654321
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87654321
24,49m
7,42m
6,50 m
20,00 m
Dessinateur : Philippe Charpenel - 0615748039
Date jeu :
Le fanal
Echelle : sans echelle
Date plan : 31/07/2015
N.F. - LE FANAL BAL
PARQUET.VSD
A3 - page 1
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Dessinateur : Philippe Charpenel - 0615748039
Date jeu :
Le fanal
Echelle : sans
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Date plan : 31/07/
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N.F. - LE FANAL BAL
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TRI FRONTAL
Banc de 3 m – 5 assises
par banc
19,15m
17,35m
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