Derrière le poumon, le coeur : effet cardiovasculaire de l

COMPTE-RENDU DE CONGRÈS
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La Lettre du Pneumologue - Volume III - no6 - nov./déc. 2000
U
n séminaire de travail du National Institute of
Health américain a été organisé à Scottsdale
(Phœnix, Arizona) du 31 mars au 2 avril 2000,
réunissant des épidémiologistes, des pneumologues, des physio-
logistes et des pharmacologues. Les pneumologues ont depuis
longtemps cherché à connaître les conséquences de l’inhalation
de substances irritantes. Dès 1950, Pasteur Vallery-Radot et
Dubois de Montreynaud avaient étudié en bronchoscopie les
effets de l’inhalation d’allergènes (1). En 1985, les travaux de
Boushey et du groupe de Nadel à San Francisco ont clairement
fait apparaître le rôle de la pollution par l’ozone dans le déclen-
chement de crises d’asthme et ont largement contribué à orien-
ter l’attention sur le rôle de l’inflammation dans l’hyperréacti-
vité bronchique, ainsi qu’à stimuler le développement de
l’utilisation thérapeutique des corticoïdes inhalés. Plus récem-
ment, les effets de l’inhalation de particules-résidus de la com-
bustion de moteurs Diesel ont également suscité de nombreuses
études cliniques et expérimentales. C’est en raison de l’expé-
rience physiopathologique acquise à propos de ces effets sur
l’appareil respiratoire qu’une réflexion a été organisée conjoin-
tement par divers organismes pour envisager les effets cardio-
vasculaires et systémiques de l’inhalation de substances irri-
tantes et allergéniques (American Thoracic Society, American
Heart Association, Center for Disease Control, National Insti-
tutes of Health, et d’autres).
OBSERVATIONS ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Des relations statistiquement valides ont été établies entre pollu-
tion (notamment résultant du trafic automobile) et excédents de
décès (plus de 40 000 décès annuels dans une étude européenne
concernant l’Autriche, la France et la Suisse), apparition de nou-
veaux cas de BPCO (> 25 000), épisodes bronchitiques chez les
enfants (> 290 000), crises d’asthme (> 500 000), et absentéisme
résultant de ces pathologies (>16 millions de personnes-jours par
an)(2). Cependant, une très large part (en fait majoritaire) des excé-
dents de mortalité observés lors d’épisodes de pollution urbaine
est due à des accidents cardiovasculaires, provoqués notamment
par l’augmentation de la concentration atmosphérique en particules
de petite taille et en sulfates (3). Il faut donc prendre conscience
qu’à côté d’exacerbations de maladies de l’appareil respira-
toirepouvant être fatales, les épisodes de pollution causent de nom-
breuses défaillances cardiovasculaires par ischémie myocar-
dique, décompensation d’insuffisance cardiaque, tachycardie
et fibrillation ventriculaire. Ces manifestations pathologiques
sont responsables de nombreuses hospitalisations et de nombreux
décès, en particulier chez les personnes âgées (4).
MÉCANISMES ENVISAGÉS
L’inflammation
Les pneumologues savent que l’inhalation de substances irritantes
ou de particules de pollution déclenche de nombreuses mani-
festations inflammatoires pulmonaires. L’ozone stimule la pro-
duction de facteurs inflammatoires par les cellules épithéliales
bronchiques comme par les cellules inflammatoires lorsque
celles-ci sont présentes dans la muqueuse. Si ces réactions inflam-
matoires peuvent provoquer l’exacerbation de pathologies res-
piratoires, certains médiateurs inflammatoires modifieraient éga-
lement l’équilibre des facteurs de coagulation sanguine, et
donc contribueraient à la survenue de thromboses, notamment
coronariennes (4). En fait, une relation statistique forte a été
trouvée entre l’augmentation de la mortalité cardiovasculaire et
l’augmentation de la viscosité sanguine (5), ce qui conforte l’idée
qu’une réaction inflammatoire initiée dans les voies aériennes
induit des modifications sensibles de la rhéologie sanguine.
L’inflammation bronchique ou nasale s’accompagne souvent
d’une production augmentée de monoxyde d’azote (NO) du fait
de l’activation de la NO-synthase inductible épithéliale (6). Or,
le NO, qui contribue sans doute largement aux particularités vas-
culaires de la muqueuse respiratoire asthmatique (7) est respon-
sable de la grande adynamie vasculaire et cardiaque observée
dans les états de choc septique. On peut imaginer qu’au cours
d’un état inflammatoire initié dans les voies aériennes, le NO,
conjointement avec d’autres médiateurs de l’inflammation, pré-
cipite la défaillance d’un myocarde altéré, ou déséquilibre
l’homéostasie circulatoire. Expérimentalement, le NO modifie
l’activité du pacemaker cardiaque (8). Dans une étude récente,
une augmentation de fréquence cardiaque de 5 à 10 mn–1 a été
Derrière le poumon, le cœur :
effets cardiovasculaires de l’inhalation
de substances irritantes ou d’allergènes
J. Regnard
* Physiologie-explorations fonctionnelles, hôpital Jean-Minjoz, CHU de
Besançon.
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La Lettre du Pneumologue - Volume III - no6 - nov./déc. 2000
observée chez des personnes âgées un à cinq jours après un épi-
sode d’augmentation de la concentration atmosphérique en par-
ticules de 10 µ (9). Ce délai entre exposition et modification de
la fréquence cardiaque est compatible avec la synthèse pulmo-
naire de cytokines pro-inflammatoires.
La stimulation de fibres nerveuses afférentes
Elle est directement réalisée par l’impaction de particules sur la
muqueuse des voies aériennes comme par des facteurs physiques
(température, osmolarité) ou chimiques (oxydants, acides, com-
posés chlorés, etc.). Cette stimulation nerveuse peut déclencher
diverses réactions physiologiques de défense : éternuement, toux,
sécrétion de mucus, vasodilatation dans la muqueuse ou contrac-
tion du muscle lisse bronchique.
Cependant, la plupart des terminaisons nerveuses sensitives de
la paroi des voies aériennes sont des fibres afférentes vagales.
La bradycardie est une réponse médiée par le système nerveux
parasympathique comme le sont la bronchoconstriction, la vaso-
dilatation et la sécrétion de mucus. Depuis plus de dix ans, des
expérimentateurs faisant inhaler de l’ozone ou des particules à
des lapins, des cobayes ou des chiens ont souvent obtenu des
réponses cardiovasculaires importantes : bradycardie marquée
ou longue pause d’activité cardiaque, hypotension artérielle
soutenue. Ces observations n’ont été que très peu publiées, car
les rapports étaient focalisés sur les effets respiratoires des expé-
riences (10 ; Yeates D., communication personnelle).
La stimulation nerveuse dans les voies aériennes peut donc pro-
voquer des réactions quasi immédiates, pathogènes et dange-
reuses, et aussi modifier la réactivité et l’équilibre nerveux
végétatifs qui règlent l’homéostasie circulatoire en ajustant
continuellement les fonctions cardiaques et la vasomotricité.
Chez des sujets âgés aux fonctions cardiovasculaires altérées,
un épisode de pollution atmosphérique particulaire (11) ne cause
pas d’altération décelable du VEMS, du liquide de lavage nasal,
de la saturation oxygénée de l’hémoglobine, mais modifie en
revanche sensiblement la variabilité de fréquence cardiaque
en réduisant l’activité parasympathique à destinée car-
diaque (11). Or, une faible activité parasympathique (vagale)
contrôlant les fonctions cardiaques est un indicateur de mau-
vais pronostic chez les personnes atteintes d’insuffisance car-
diaque modérée et même légère (12) ou d’ischémie myocar-
dique (13), mais cet indicateur est également corrélé au risque
d’accident cardiaque pour des sujets sans antécédents car-
diaques connus (14). La diminution (délétère) de variabilité de
la fréquence cardiaque sous contrôle vagal causée par un épi-
sode de pollution atmosphérique particulaire ou par l’ozone est
de même importance que le gain (bénéfique) obtenu par réen-
traînement à l’exercice (réhabilitation) après infarctus myocar-
dique (15). La réduction de l’influence parasympathique sur le
myocarde tend à donner davantage d’importance à l’influence
orthosympathique, et ce déséquilibre majore sensiblement le
risque d’arythmie ou de tachycardie ventriculaire (16). Or, en
abaissant le seuil d’activation du second neurone orthosympa-
thique (17, 18), l’inflammation renforce l’activité nerveuse
orthosympathique, qui accroît à son tour les risques d’accidents
cardiaques (19).
Interactions inflammation-stimulations nerveuses
Comme on vient de le voir, l’inflammation peut causer ou accen-
tuer le déséquilibre du réglage nerveux végétatif des fonctions
cardiaques. Ce déséquilibre peut déclencher des accidents isché-
miques, des troubles graves du rythme ou des décompensations
d’insuffisance cardiaque. Le risque de ces accidents est majoré
chez les personnes aux fonctions déjà altérées, en particulier du
fait de l’âge, qui réduit aussi la précision et l’amplitude des
réglages effectués par le système nerveux végétatif.
Par ailleurs, la stimulation des afférences nerveuses dans la
muqueuse nasale et bronchique contribue à amplifier les réponses
inflammatoires, en particulier en causant la dégranulation mas-
tocytaire, mais aussi (ce qui a été moins étudié) en stimulant nota-
blement la production de médiateurs inflammatoires par les cel-
lules épithéliales des voies aériennes (20) et en stimulant
l’attraction de cellules inflammatoires (17). Par ailleurs, il est peu
probable que les phénomènes inflammatoires des maladies des
voies aériennes restent sans expression dans d’autres tissus (21).
Ainsi, la pollution atmosphérique particulaire ou chimique peut
déclencher des réponses nerveuses rapides aux ramifications mul-
tiples, comme des réponses inflammatoires d’abord dans les voies
aériennes, mais aux conséquences systémiques encore mal appré-
ciées. Ces diverses réponses sont capables d’interagir et de
s’amplifier en véritables cercles vicieux. Les conséquences de ces
réactions débordent largement le seul appareil respiratoire, puisque
les accidents cardiovasculaires qu’elles déclenchent sont directe-
ment responsables d’une grande partie de la surmortalité et de la
surconsommation médicale dues à la pollution, en particulier chez
les personnes aux fonctions déjà dégradées et chez les personnes
âgées. La connaissance de ce domaine physiopathologique nou-
veau devrait permettre d’envisager des attitudes préventives ou
de meilleures prises en charge de ces pathologies (22).
Des sessions d’une demi-journée étaient consacrées aux thèmes
suivants :
épidémiologie : particules, co-polluants, morbidité et mortalité ;
allergènes, particules, vapeurs et leurs interactions ;
cellules cibles pulmonaires et libération de médiateurs ;
cibles de la surveillance médicale et de possibles interventions ;
stimulation nerveuse par les substances allergéniques et irri-
tantes inhalées ;
réponses cardiaques ;
réponses vasculaires et systémiques.
Les textes des exposés de la réunion de Scottsdale devraient
être publiés dans Environmental Health Perspectives, tandis
que les synthèses et recommandations issues de la réunion pa-
raîtront dans American Journal of Respiratory and Critical
Care Medicine.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Pasteur Vallery-Radot L, Halpern BN, Dubois de Montreynaud J, Péan V.
Les bronches au cours de la crise d’asthme. Étude expérimentale, bronchosco-
pique et anatomo-pathologique. Presse Méd 1950 ; 58 : 660-4.
2. Küntzli N, Kaiser R, Medina S et al. Public health impact of outdoor and traf-
fic-related air pollution : a European assessment. Lancet 2000 ; 356 : 795-801.
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