COLLECTION ESPACES NUMÉRIQUES dirigée par Ahmed Bounfour Coordination éditoriale : Sébastien Tran Albert David, Nicolas Monomakhoff, Amir Hasnaoui, Sébastien Damart, Luisa Zibara, Sonia Abdennadher Cheffi L’impact du Web 2.0 sur les organisations L’impact du Web 2.0 sur les organisations Springer Paris Berlin Heidelberg New York Hong Kong Londres Milan Tokyo L’impact du Web 2.0 sur les organisations Coordination éditoriale : Sébastien Tran Albert David, Nicolas Monomakhoff, Amir Hasnaoui, Sébastien Damart, Luisa Zibara, Sonia Abdennadher Cheffi Coordination éditoriale : Sébastien Tran (École de Management de Normandie et chercheur associé à M-Lab, DRM - Université Paris Dauphine) Albert David (M-Lab, DRM – Université Paris Dauphine) ; Nicolas Monomakhoff (MNM Consulting) ; Amir Hasnaoui (Groupe Sup de Co La Rochelle) ; Sébastien Damart (Université de Rouen) ; Luisa Zibara (IMRI, Université Paris Dauphine) ; Sonia Abdennadher Cheffi (Université de Rouen) ISBN 978-2-8178-0432-3 Springer Paris Berlin Heidelberg New York © Springer-Verlag France, Paris, 2013 Springer-Verlag France est membre du groupe Springer Science + Business Media Cet ouvrage est soumis au copyright. Tous droits réservés, notamment la reproduction et la représentation la traduction, la réimpression, l’exposé, la reproduction des illustrations et des tableaux, la transmission par voie d’enregistrement sonore ou visuel, la reproduction par microfilm ou tout autre moyen ainsi que la conservation des banques de données. La loi française sur le copyright du 9 septembre 1965 dans la version en vigueur n’autorise une reproduction intégrale ou partielle que dans certains cas, et en principe moyennant le paiement des droits. Toute représentation, reproduction, contrefaçon ou conservation dans une banque de données par quelque procédé que ce soit est sanctionnée par la loi pénale sur le copyright. L’utilisation dans cet ouvrage de désignations, dénominations commerciales, marques de fabrique, etc. même sans spécification ne signifie pas que ces termes soient libres de la législation sur les marques de fabrique et la protection des marques et qu’ils puissent être utilisés par chacun. La maison d’édition décline toute responsabilité quant à l’exactitude des indications de dosage et des modes d’emplois. Dans chaque cas il incombe à l’usager de vérifier les informations données par comparaison à la littérature existante. Maquette de couverture : Nadia Ouddane Illustration de couverture : © kentoh – Fotolia.com Mise en page : DESK – Saint-Berthevin Table des matières – Chapitres Note de synthèse ...................................................................................................................... 1 Introduction ................................................................................................................................. 3 PARTIE I WEB 2.0 ET ORGANISATIONS : UNE PROBLÉMATIQUE COMPLEXE 1. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe ................... 11 I. Le Web 2.0 sur la toile.................................................................................................... La technologie.............................................................................................................. La relation ....................................................................................................................... Les modèles d’affaires .............................................................................................. Intelligence collective .............................................................................................. 12 12 13 14 15 II. Web 2.0 et SI : des applications multiples autour de propriétés spécifiques ............................................................................... 16 Typologie des applications du Web 2.0 et fonctionnalités majeures .................................................................................. Des caractéristiques communes du point de vue des SI ..................... III. Web 2.0 et entreprise : une revue de littérature .......................................... Présentation de la méthodologie de la revue de la littérature en sciences de gestion sur le Web 2.0.......................... Une synthèse de la revue de littérature par thèmes............................... Many-to-many : d’une notion d’analyse des systèmes à une caractérisation des échanges sur le Web ......................................... IV. Synthèse de la partie I : les quatre visages du Web 2.0 ........................... Le Web 2.0 et l’entreprise : l’image de la plateforme .............................. Le 2.0 comme la possibilité d’un réseau complet de communication : l’image du « many-to-many » ................................. 17 19 25 25 30 39 43 43 45 VI L’impact du Web 2.0 sur les organisations Le 2.0 comme généralisation du collaboratif : l’image du communautaire................................................................................... Le 2.0 comme réintroduction de l’émergent au cœur des processus : l’image de la structure informelle, auto-reconfigurable et évolutive .............................................. 46 47 PARTIE II WEB 2.0 ET ORGANISATIONS : RETOURS D’EXPÉRIENCES 2. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences ........................................ 53 I. Études de cas ..................................................................................................................... 53 Le cas Starwood Hotels and Resort : les communautés virtuelles au service de l’innovation ........................ Le cas Valeo : la transformation sans rupture ............................................. Le cas de Dream Orange – Des « bulletins boards » nouvelle génération : utiliser le Web 2.0 pour repenser les modalités et les contenus de la relation client ................................... Le cas Bouygues Telecom : l’Intranet à l’ère du 2.0 pour un meilleur travail collaboratif et un partage de bonnes pratiques ........................ Le cas Lockheed Martin : « What’s in it for me? » ...................................... Le cas British Telecom : l’utilisation des médias et des réseaux sociaux pour la communication et le partage de connaissances .......................................................................... Utilisation des technologies Web 2.0 et Web 3.0 pour la résolution des problèmes sur les plateformes d’Open Innovation : le cas Hypios . 54 61 66 71 78 80 82 II. Ce que les managers pensent................................................................................. 86 Chez Valeo ...................................................................................................................... Chez Hypios .................................................................................................................... 86 90 III. Synthèse de la partie II : repenser le management et l’organisation de l’entreprise ................................................................................... 93 PARTIE III LE WEB 2.0 EN UNIVERS GOUVERNÉ 3. Le Web 2.0 en univers gouverné ............................................................................ 99 I. Comment piloter « un nuage » ? ............................................................................. 100 VII II. La gouvernance de l’émergent .............................................................................. 102 Une « fabrique » différente de l’intelligence collective au travers de groupes émergents ..................................................................... S’adapter à la coopétition et à l’interopérabilité....................................... Maîtriser le langage de la collaboration étendue .................................... Cultiver des champs de création de valeur pour demain .................... 103 105 105 106 III. Web 2.0 et mythes de l’organisation participante ...................................................................................... 108 PARTIE IV PERSPECTIVES POUR UN MANAGEMENT EN 2.0 4. Perspectives pour un management en 2.0 ..................................................... 117 I. La hiérarchie, la communauté, l’émergent : trois fausses évidences revisitées............................................................................... 117 II. Les quatre défis pour un management orienté 2.0 ................................... Associer one-to-many ET many-to-many ..................................................... Mobiliser le « collectif » ........................................................................................... Maîtriser une organisation « méta-dimensionnelle » ............................ Valoriser l’individu et le protéger....................................................................... III. Comment « piloter un nuage » : quatre priorités pour les SI et leurs managers .................................................... Le pilotage multidimensionnel et les référentiels enrichis ................. La gestion des communautés ............................................................................. La gestion de l’organisation et des droits et la gouvernance de l’information .................................................................. La gestion des capacités organisationnelles............................................... 120 120 122 123 124 124 126 128 130 132 Conclusion générale ............................................................................................................... 135 Références ..................................................................................................................................... 141 Annexes ........................................................................................................................................... 151 Équipe de Recherche .............................................................................................................. 165 VIII L’impact du Web 2.0 sur les organisations Table des matières – Figures Figure 1 – Le Web 2.0 tel qu’utilisé dans les entreprises ............................ 6 Figure 2 – Carte heuristique des thèmes liés à la dimension technologique du Web 2.0 ..................................................... 13 Figure 3 – Carte heuristique des thèmes liés aux relations dans le Web 2.0 ......................................................................................................... 14 Figure 4 – Carte heuristique des thèmes liés aux modèles d’affaires dans le Web 2.0 ......................................................................................................... 15 Figure 5 – Carte heuristique des thèmes liés à l’intelligence collective dans le Web 2.0 ......................................................................................................... 16 Figure 6 – Relations entre les thèmes du Web 2.0 à partir de la revue de littérature ....................................................................... 29 Figure 7 – Les différents types de relations entre entités.......................... 41 Figure 8 – Exemple visuel d’une roadmap de management dans la plateforme informatique Matrix SI ........................................................... 62 Figure 9 – Le processus d’Hypios en trois phases........................................ 84 Table des matières – Tableaux Tableau 1 – Différences entre Web 1.0 et Web 2.0 (source O’Reilly, 2005) ........................................................................................... 18 Tableau 2 – Les fonctionnalités et les applications du Web 2.0 au niveau des entreprises ..................................................................................... 20 Tableau 3 – Tableau croisé des thèmes de recherche consacrés au Web 2.0 .................................................................................................................. 27 Tableau 4 – Comparaison collaboration 1.0 et 2.0 (traduit et extrait de Turban et al., 2011) ......................................................... 112 Table des matières – Annexes Annexe 1 – Tableau de correspondance des thèmes sur le Web 2.0 à partir de la revue de littérature ....................................................................... 152 Annexe 2 – Guide d’entretien .............................................................................. 164 Note de synthèse Les technologies de l’information évoluent rapidement. Il incombe aux Directions des Systèmes d’Information (DSI) de maintenir l’entreprise en situation de veille et d’engager les investissements techniques et organisationnels à temps. L’exercice de veille est nécessaire mais complexe. En effet, le champ technologique ne peut être complètement exploré si le champ des usages ne l’est pas également. Certaines évolutions (technologiques et / ou des usages) s’enracinent profondément dans les organisations et entraînent avec elles un changement dans leur pilotage, modes de coordination, stratégies, modèles d’affaires, etc. D’autres évolutions s’avèrent plus éphémères ou présentent un potentiel d’impact beaucoup plus faible. C’est l’un des facteurs clefs de succès des DSI que de faire la part entre ces deux catégories d’évolutions et d’orienter avec clairvoyance les investissements (humains, financiers, etc.) et les pratiques. Nous avons tenté, dans cet ouvrage, de poser la question de l’impact du « 2.0 » sur les organisations, de façon à intégrer dans une même conception les dimensions communautaires et de réseaux sociaux émergents, les ressorts et enjeux de gouvernance des organisations et la dimension pilotage et systèmes d’information. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur une veille sur le Web, une revue de littérature académique et plusieurs cas emblématiques d’entreprises. Notre analyse permet de présenter le « 2.0 » selon quatre points de vue complémentaires – la plateforme, le many-to-many, le communautaire et l’émergent. Nous avons montré comment les « univers gouvernés », s’ils adoptaient les pratiques du 2.0 au service des objectifs qu’ils visent, devaient intégrer une « fabrique » différente de l’intelligence collective au travers de groupes émergents, comment ils devaient s’adapter à la coopétition et à l’interopérabilité 2 L’impact du Web 2.0 sur les organisations et maîtriser le langage de la collaboration étendue, et comment le 2.0 pouvait permettre de cultiver des champs de création de valeur pour demain. Des idées reçues et de fausses évidences autour de la hiérarchie, de la participation, du communautaire et de l’émergent ont été revisitées, et quelques enjeux critiques pour le « passage au 2.0 » identifiés : associer one-to-one et many-to-many, mobiliser le collectif, valoriser une organisation « méta-dimensionnelle » et valoriser et protéger l’individu. Enfin, nous avons vu que pour « piloter le nuage », le système d’information était central et notre réflexion débouche sur l’hypothèse que l’enjeu pour les DSI était de pouvoir progresser dans la maîtrise de quatre leviers : le pilotage multidimensionnel et les référentiels enrichis, la gestion des communautés, la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, le pilotage des capacités organisationnelles. Introduction I. SYSTÈMES D’INFORMATION, VEILLE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES Face à l’évolution rapide des technologies de l’information, il incombe aux directions des systèmes d’information (DSI) de maintenir l’entreprise en situation de veille et d’engager les investissements techniques et organisationnels à temps. L’exercice de veille est nécessaire mais complexe. En effet, le champ technologique ne peut être complètement exploré si le champ des usages ne l’est pas également. Certaines évolutions (technologiques et / ou des usages) s’enracinent profondément dans les organisations et entraînent avec elles un changement dans leur pilotage, modes de coordination, stratégies, modèles d’affaires, etc. D’autres évolutions s’avèrent plus éphémères ou présentent un potentiel d’impact beaucoup plus faible. C’est l’un des facteurs clefs de succès des DSI que de faire la part entre ces deux catégories d’évolutions et d’orienter avec clairvoyance les investissements (humains, financiers, etc.) et les pratiques. II. LE WEB 2.0 EST LA MARQUE D’UNE ÉVOLUTION Le « Web 2.0 » est une dénomination reprenant les codes utilisés dans la programmation informatique pour identifier les différents niveaux de versions d’un code ou d’un logiciel, suggérant une nouvelle version d’Internet, une deuxième version qui succéderait à une première version. Le terme « 2.0 » évoque une évolution majeure, par opposition à une évolution mineure qui n’aurait été signalée que par 4 L’impact du Web 2.0 sur les organisations un 1.1 ou 1.x – c’est comme cela que des versions correspondant à des évolutions mineures d’un logiciel sont dénommées. La qualification d’« évolution majeure » peut correspondre à des réalités très différentes selon que l’on considère que les changements sont quantitatifs (un très grand nombre de nouvelles technologies de l’information faisant leur apparition au même moment) ou que les changements sont également liés à des variations majeures des usages et des visions qui sous-tendent les technologies utilisées par et sur Internet. III. LES DIFFICULTÉS À DÉFINIR LE WEB 2.0 Il est difficile de donner une définition de ce que désigne le Web 2.0. La difficulté est de plusieurs ordres : − tout d’abord, le terme « Web 2.0 » a une généalogie complexe et incertaine (même si certains revendiquent la paternité du terme et avec cela, la paternité de la « découverte » des évolutions à venir liées aux technologies d’Internet) ; − l’appréciation du genre des technologies, des usages, du rattachable au Web 2.0, etc. n’est ni totalement consensuelle ni entièrement stabilisée (comme le serait une connaissance encyclopédique traditionnelle par exemple) ; − il est ardu de distinguer les évolutions majeures et réelles que désigne le Web 2.0 des effets de mode et des évolutions technologiques d’apparence révolutionnaires (parce que vendues comme telles) mais ne revisitant nullement des usages passés ou des théories anciennes de la performance des entreprises ; − enfin, derrière la question de terminologie et de définition se pose celle de la légitimité des acteurs (dont les DSI) qui prennent position et donnent leurs définitions du Web 2.0. Définir le Web 2.0 n’est pas juste un souci de l’homme d’académie d’avancer dans la stabilisation de connaissances. C’est également un enjeu pour les acteurs du Web en particulier, les entreprises qui participent Introduction 5 à l’élaboration du Web et qui ont naturellement intérêt à s’inscrire en pionnier sur telle ou telle technologie, modèle d’affaire ou usage pour établir durablement un avantage concurrentiel. Il faut donc parvenir à faire le tri dans la définition du Web 2.0 entre d’un côté, les effets de mode, les révolutions qui n’en sont pas, les argumentaires commerciaux, les modèles et théories réutilisés mais non revisités, et d’un autre côté, les évolutions technologiques majeures, les bouleversements dans les usages d’Internet et des technologies de l’information, les évolutions qui impacteront très fortement les fonctionnements des entreprises, leurs configurations organisationnelles, leurs modèles d’affaires et leurs stratégies. IV. QUELQUES TENDANCES Ces difficultés n’empêchent cependant pas d’observer quelques tendances semblant dessiner les contours d’un Web de deuxième génération. Dans son numéro de février 2008, la revue Harvard Business Review classait les technologies « collaboratives » (sites de réseaux sociaux, mondes virtuels, jeux en réseaux, économie peer-to-peer, etc.) comme l’une des 20 plus importantes évolutions dans le monde des affaires. Une étude de The McKinsey Quarterly réalisée auprès de managers en juin 2008 (cf. graphique ci-dessous) montre une augmentation très significative de l’utilisation des applications dites du Web 2.0 dans les entreprises sur les 12 derniers mois (blogs, flux RSS, plateformes wikis, etc.). En 2006, l’entreprise Motorola comptait déjà 2 000 plateformes wikis et 2 700 blogs (Scarff, 2006). Selon le cabinet d’études Forrester Research, le marché professionnel du Web 2.0 représentera 4,6 milliards de dollars en 2013. Si les contours du Web 2.0 sont difficiles à définir ex nihilo, ces chiffres montrent néanmoins une évolution du Web vers des 6 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Réponses à la question : "Votre entreprise utilise-t-elle les technologies ou outils suivants ?" (% répondants) 2008 2007 Figure 1 – Le Web 2.0 tel qu’utilisé dans les entreprises (extrait traduit de MacKinsey Global Survey Results, The MacKinsey Quarterly, juillet 2008) technologies à modèle d’utilisation collaboratif. Les technologies et applications évoquées plus haut ont en commun de donner à l’utilisateur une place inédite puisqu’il est à la fois utilisateur et en partie concepteur des contenus diffusés sur le Web. Une plateforme wiki correspond, en effet, à une application sur Internet permettant à un groupe d’utilisateurs de créer ensemble un contenu (une encyclopédie, un site Internet, etc.). De même, un réseau social du type de Facebook n’existe que par ses utilisateurs et l’intégralité des contenus diffusés sur ce média y est « poussée » par les utilisateurs (les membres des réseaux constitués). V. PERTINENCE D’UNE RECHERCHE SUR LES IMPACTS DU WEB 2.0 SUR LES ORGANISATIONS Ces exemples de technologies ou outils du Web 2.0 sont des supports d’interactions. Dans les entreprises, l’informatique est Introduction 7 omniprésente et il est donc pertinent de se poser la question des impacts du Web 2.0 sur les entreprises. Ceci est d’autant plus vrai que les entreprises sont en perpétuelle reconfiguration de leurs chaînes de valeur et que pour partie, la création de valeur est dépendante de la performance des dispositifs mis en place pour que les membres de l’organisation (et également les acteurs de son environnement) communiquent, interagissent, se coordonnent et coopèrent. Nous nous intéressons d’ailleurs principalement à ces dimensions organisationnelles du lien entre Web 2.0 et création de valeur, laissant de côté les problématiques strictement techniques (standards, interopérabilité, interfaces, architecture SI, etc.), bien qu’elles soient également importantes mais non abordées dans cet ouvrage. Par ailleurs, les entreprises, comme vu plus haut, ont déjà largement investi dans le champ du Web 2.0 sans qu’elles aient pu nécessairement compter sur un recul suffisant pour juger des impacts possibles de ces technologies et outils sur les organisations. VI. LES IMPACTS DU WEB 2.0 À TRAVERS PLUSIEURS PRISMES Le périmètre du Web 2.0 est difficile à circonscrire et la problématique organisation / Web 2.0 est complexe. Nous le montrons dans la première partie de cet ouvrage. Nous nous appuyons sur une exploration des thèmes et idées fréquemment associés dans les blogs et forums sur le sujet sur Internet. Nous le montrons également à travers une revue de littérature académique dont la synthèse nous conduit à identifier quatre perspectives à partir desquelles il est possible de qualifier l’entreprise 2.0 ou entreprise qui mobilise les technologies, outils du Web 2.0. Les applications qui ont été faites de ces technologies par les entreprises sont également éclairantes sur la complexité de cette question 8 L’impact du Web 2.0 sur les organisations de recherche. Nous en présentons un certain nombre, dans la seconde partie de cet ouvrage, montrant pour chaque entreprise étudiée, les enjeux, les potentiels et les risques associés au Web 2.0. Pour certains des cas présentés, nous nous appuyons également sur les discours des managers sur le Web 2.0, fruits d’entretiens réalisés auprès de managers. En grande partie, l’un des enjeux que nous mettons en évidence est la difficulté de piloter des dispositifs collaboratifs d’un genre nouveau dans des univers – les entreprises – par définition gouvernés. Nous consacrons la troisième partie de cet ouvrage à montrer les différents niveaux de questions que ce point soulève. Ce faisant, nous sommes conduits, dans la quatrième et dernière partie à mettre en perspective les quatre défis du management en univers 2.0. Partie I Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 1 Web 2.0 et organisations : une problématique complexe Les travaux académiques et professionnels suggèrent que le concept de Web 2.0 n’est pas fondé uniquement sur une évolution de la technologie mais également sur une logique socio-organisationnelle. Il correspond en théorie au prolongement du paradigme réseau dans les Systèmes d’Information (SI) avec une migration réelle des systèmes centralisés vers des systèmes décentralisés ou répartis (Akoka, 1999). Cette migration semble suivre par ailleurs l’évolution des entreprises, caractérisée par des structures hiérarchiques, et s’orientant aujourd’hui vers des structures moins formelles et plus réactives (Laudon et Laudon, 2000), notamment afin de faire face à un environnement de plus en plus concurrentiel où l’agilité et la réactivité semblent constituer des facteurs clés de succès. Cette configuration de l’entreprise agile et des SI représente un « modèle idéal » pour les décideurs et les acteurs de l’organisation. Le concept de Web 2.0 pourrait donc amener une transformation des processus organisationnels que nous tenterons de décrypter dans cette étude en faisant également la part de ce qui peut relever d’un énième phénomène de mode dans le domaine des nouvelles technologies. Il n’existe pas de définition officielle du Web 2.0 ou de définition faisant l’unanimité, mais on retrouve dans la plupart d’entre elles une liste d’applications et quelques standards techniques au niveau de l’architecture de ces dernières. Nous chercherons également à sortir d’une logique purement technique ou technologique pour nous concentrer sur les aspects organisationnels et managériaux propres à « la logique 2.0 ». 12 L’impact du Web 2.0 sur les organisations I. LE WEB 2.0 SUR LA TOILE Nous avons choisi dans un premier temps d’éclairer notre recherche sur le concept en réalisant une veille sur Internet et quelques blogs de références. Une lecture de « ce que le Web dit à propos du Web 2.0 » est intéressante à plusieurs titres : − les acteurs qui s’expriment sur le Web à travers différents médias (blogs et forums par exemple) semblent former un ensemble hétérogène et donc varié et riche : consultants, journalistes, praticiens, DSI, utilisateurs avertis du Web et des technologies de l’information, leaders d’opinion, etc. ; − par ailleurs, les médias évoqués sont généralement ouverts, car construits sur un mode collaboratif (par définition) : la connaissance n’y est pas poussée par un détenteur unique de la connaissance encyclopédique ; elle est construite par plusieurs acteurs ; − il est enfin relativement aisé de faire une revue large des thèmes évoqués et des mots clefs rattachés par les participants à ces médias à la notion de Web 2.0. Ainsi, le recours aux moteurs de recherche permet de faire apparaître les expressions, mots, idées ou thèmes récurrents sur les blogs qui traitent du Web 2.0. Ci-dessous, nous indiquons une synthèse des thèmes ou expressions que nous avons rencontrées sur les blogs au sujet du Web 2.0. LA TECHNOLOGIE La carte heuristique ci-après (Figure 2) montre que la plus grande partie des références au Web 2.0 est technologique. Le Web 2.0 est d’abord caractérisé par la multiplication des capteurs de données que les technologies associées permettent d’envisager. Les utilisateurs (par définition en grand nombre) génèrent de la donnée (ils sont d’ailleurs perçus comme centraux dans le Web 2.0, comme indiqué ci-après) et fournissent des quantités massives de données. Le Web 2.0 est un Web à l’écoute de ces « émissions de données ». L’évolution du Web (la version 3.0) est ainsi Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 13 Figure 2 – Carte heuristique des thèmes liés à la dimension technologique du Web 2.0 naturellement vue comme la marche vers une génération d’Internet qui apprend, les machines devenant capables d’interpréter toutes les données circulant sur le Web et émises par les utilisateurs. Le Web 2.0 fait également référence dans les blogs à des technologies centrées sur l’utilisateur. Cela signifie que l’ergonomie des interfaces est soignée et rendue accessible par tous, mais également que les technologies permettent que les contenus soient générés par les utilisateurs. LA RELATION Une autre partie des références au Web 2.0 faite par les blogs et forums concerne les questions des relations entre utilisateurs d’Internet (Figure 3). Le Web 2.0 est vu comme réseau mais pas uniquement au sens technique du terme : il s’agit plutôt d’un outil qui permet de générer du lien social entre utilisateurs. Il laisse envisager des possibilités importantes d’expression et de modes de participation du citoyen ordinaire aux changements du monde (au sens du citoyen activiste, dans l’action) et ainsi des formes et des natures de réseaux sociaux divers et innovants. Le Web 2.0 est également présenté comme une plateforme, c’est-àdire un support d’accueil de différents types de relations, permises 14 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Figure 3 – Carte heuristique des thèmes liés aux relations dans le Web 2.0 parce qu’il y a confiance et volonté de partager des choses entre utilisateurs présents sur la plateforme. Notons que ces relations sont parfois décrites comme des formes de coopération ou de collaboration faibles et apparaissant de façon émergente dans des univers non nécessairement gouvernés. Les blogs décrivent donc le Web 2.0 comme une génération ambitieuse de l’Internet allant jusqu’à bouleverser les processus de formation des liens sociaux et de constitution de collectifs (communautés, groupes, etc.). Ce bouleversement concerne jusqu’à l’individu dans son intimité et la façon dont il peut se vivre tel qu’il se projette sur le Web 2.0. Il peut y nouer des relations en y travestissant son identité, s’y singulariser, y tester des relations aux autres, etc. LES MODÈLES D’AFFAIRES Les blogs traitent également assez naturellement la question des modèles d’affaires (Figure 4). Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 15 Figure 4 – Carte heuristique des thèmes liés aux modèles d’affaires dans le Web 2.0 Deux questions sont récurrentes : − Le Web 2.0 permet-il d’envisager des modèles d’affaires innovants ? − Le Web 2.0 permet-il de renouveler les sources de création de valeur ? Différentes tentatives de caractérisation des modèles d’affaires sont faites dont la plupart s’accordent sur le fait que le Web 2.0 conduit à des modèles légers, c’est-à-dire simples et s’appuyant notamment sur des monétisations de l’audience innovantes (par la publicité, mais pas uniquement). Les enjeux liés à la création de valeur sont perçus comme étant situés au niveau du contrôle des données circulant sur le Web (et générées pour la plupart par les utilisateurs) et donc au contrôle ou à la mise en place des capteurs tels que définis plus haut. INTELLIGENCE COLLECTIVE L’utilisateur est placé au centre du Web 2.0. Il est donc élément clef de génération de contenus et de données, comme vu précédemment. Il se crée de façon émergente des collectifs capables d’œuvres collectives. Les blogs parlent d’un nouveau paradigme au sens d’une rupture importante : des collectifs d’individus capables d’intelligence collective (Figure 5). 16 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Figure 5 – Carte heuristique des thèmes liés à l’intelligence collective dans le Web 2.0 L’intelligence collective suggère que les collectifs sont capables d’apprentissages et c’est en ce sens qu’il y a rupture car c’est bien de groupes se formant spontanément et de façon émergente dont il est question et non d’organisations gouvernées pour lesquelles le concept d’apprentissage organisationnel a déjà été étudié. II. WEB 2.0 ET SI : DES APPLICATIONS MULTIPLES AUTOUR DE PROPRIÉTÉS SPÉCIFIQUES Nous avons souligné précédemment qu’il était difficile de trouver une définition précise du Web 2.0. Nous proposons plutôt une typologie des applications possibles qui sont rattachées au Web 2.0 et nous cherchons à déterminer leurs fonctionnalités majeures qui traduisent les propriétés du concept. Cette typologie n’est pas exhaustive et pourra être enrichie des innovations et des nouvelles applications qui seront susceptibles d’apparaître. L’intérêt réside dans l’identification des fonctionnalités permises par ces différentes technologies qui peuvent impacter les organisations et les outils de gestion. Cette première typologie est assez proche de certaines qu’on peut retrouver dans la littérature académique. Les SI déjà présents dans les organisations sont également à intégrer dans cette réflexion d’adoption et d’appropriation de nouvelles applications. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 17 Nous présentons donc les caractéristiques communes propres aux applications du Web 2.0 du point de vue des SI. TYPOLOGIE DES APPLICATIONS DU WEB 2.0 ET FONCTIONNALITÉS MAJEURES L’expression « Web 2.0 » a été médiatisée en 2003 par Dale Dougherty de la société O’Reilly Media. Ce dernier a suggéré que le Web était dans une période de renaissance ou mutation, avec un changement de paradigme et une évolution des modèles d’entreprise. Musser et O’Reilly (2006) contextualisent le Web 2.0 de la manière suivante : “the business revolution in the computer industry caused by the move to the Internet as platform, and an attempt to understand the rules for success on that new platform. Chief among those rules is this: build applications that harness network effects to get better the more people use them”. Cette phrase souvent reprise dans les articles montre que le Web 2.0 est d’abord et avant tout pensé à partir des propriétés d’Internet et que la masse critique d’utilisateurs est une des conditions de succès des applications, sousentendant dès lors les concepts de « foule », « many-to-many », de « collectif », etc. Il est également commun de considérer que le Web 2.0 est une évolution du Web première génération appelé 1.0 mais cela signifie également que le Web 2.0 serait une phase de transition vers un Web dit « 3.0 », appelé aussi parfois Web sémantique. On serait alors en présence d’un stade d’évolution du Web qui ne serait que transitoire vers le modèle idéal de l’entreprise agile. Pour revenir à notre recherche, les différences entre le Web 2.0 et le Web 1.0 sont synthétisées dans le tableau ci-dessous. Le Web 2.0 ne peut se réduire à une technologie ou une partie d’un SI tant il recouvre de nombreuses applications. De nombreuses innovations apparaissent encore sous ce concept, que ce soit au niveau des technologies, des langages de programmation, voire des modèles d’affaires. Plusieurs applications matérialisent le concept 18 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Tableau 1 – Différences entre Web 1.0 et Web 2.0 Fonction Web 2.0 Web 1.0 Liens Statique Dynamique Focus sur l’usage : architecture de réseau utilisée pour le partage de fichiers comme la vidéo, la musique et des documents texte Entreprise Client serveur, le fichier est stocké sur un serveur Communautés Peer-to-peer, les fichiers sont distribués via de nombreux PC Standard html Xml Adresse Web Pages Internet Blogs Agrégation de contenu Portals RSS Mise à jour de l’information Rigidité Syndication Recherche Répertoirestaxonomie Tags-folksonomie Données Propriétaires Partagées Contenu Via la publication CMS Via la participation Wikis (source : O’Reilly, 2005) de Web 2.0 comme les flux RSS, les plateformes wikis, les blogs, les réseaux sociaux, les mashups… On retrouve souvent les mêmes types d’applications dans les différents travaux. Le point commun est qu’elles reposent sur des technologies simples et légères fondées sur les nouveaux standards et protocoles du Web (XML, Javascript, Ajax, protocoles open sources…). Ces applications sont généralement accessibles en ligne, possèdent un degré d’interopérabilité technique assez développé et elles sont souvent hébergées en mode ASP1. 1 Application Service Provider. Ce phénomène s’amplifie avec maintenant le développement du cloud-computing dans cette logique d’hébergement et d’accès hors du périmètre de l’entreprise. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 19 Il est donc très difficile de classer les applications du Web 2.0 car nous sommes encore dans une phase d’innovation et de développement. Dans tous les cas, Internet apparaît comme une plateforme de conception des applications et constitue une partie de l’essence du concept de 2.0. Cela signifie que les applications du Web 2.0 reposent sur une logique de trajectoire technologique et d’usages par rapport au Web 1.0. On peut néanmoins distinguer plusieurs grandes fonctionnalités concernant les différentes applications au niveau des entreprises à partir des différentes lectures et des cas d’entreprises médiatisés par les cabinets de conseil et les SSII. Le tableau ci-dessous recense les fonctionnalités et les applications associées qu’on retrouve dans la plupart des articles académiques et les classifications sur les différents supports consacrés au Web 2.0. Il est important de noter que certaines applications peuvent conjuguer plusieurs fonctionnalités. Cette typologie n’est pas exhaustive car l’innovation permanente du Web 2.0 génère l’apparition permanente d’applications et les usages ne sont pas encore stabilisés. Pour autant, il semble évident que toutes les applications ne vont pas rencontrer le même succès dans les entreprises. L’histoire des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) démontre qu’après une phase d’émergence de très nombreuses applications, les entreprises vont en sélectionner et n’en conserver qu’une partie. Il est important de bien comprendre dès lors quels seront les critères de succès de ces applications pour les DSI. Un premier éclairage peut être réalisé à partir des caractéristiques des applications du Web 2.0. DES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES DU POINT DE VUE DES SI Pour comprendre quelles sont les technologies du Web 2.0 qui vont être utilisées durablement dans les organisations, il est nécessaire d’approfondir la réflexion sur les caractéristiques intrinsèques des applications sous l’angle des SI, en comprenant que l’individu 20 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Tableau 2 – Les fonctionnalités et les applications du Web 2.0 au niveau des entreprises Fonctionnalités Applications Description Communication Outils de microet information en blogging tels que mode synchrone Yammer, Twitter… ou quasi-synchrone Diffusion de messages et d’information à des groupes définis ou des communautés en temps réel ou quasi-synchrone Travail collaboratif en mode séquentiel et/ou synchrone Plateformes wikis, Google sites, espaces de travail collaboratifs comme Basecamp… Diffusion d’information, partage et travail en temps asynchrone ou synchrone de plusieurs individus sur des documents électroniques (interactivité des échanges) Agrégateurs de contenus Netvibes, flux RSS, mashups, folksonomie… Agrégation de contenus personnalisés et de veille sur différents sujets, création de métadonnées à partir de plusieurs sources identifiées et sélectionnées par les utilisateurs selon leurs besoins et leurs préférences. Une fois en ligne, ils deviennent aussi des outils de diffusion de l’information Matching relationnel (intermédiation) et social networking Sites communautaires et de rencontres professionnelles (Viadeo, LinkedIn, Feedback 2.0…) Diffusion et échanges d’informations, de données professionnelles, voire de connaissances via des sites spécialisés qui permettent une fonction de rencontre à partir de critères définis ou de centres d’intérêts communs Univers virtuels (mondes persistants), serious games Univers et espaces de collaboration en 3D comme Second Life, There, Habo… Plateformes relationnelles et de simulation avec des projections identitaires plus ou moins conformes à la réalité des individus selon les scénarios via les avatars (v-learning…) Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 21 devient l’élément central de la réflexion, que ce soit en termes de génération de contenus ou de besoins informationnels et de coordination. On peut identifier des invariants au niveau des caractéristiques du point de vue des SI. D’une part, les applications 2.0 se situent dans un environnement où les points d’accès sont multiples et non plus mono-poste, et permettent ainsi une jonction continuelle entre l’organisation et les individus dans un cadre de mobilité spatiale et temporelle étendu, et cela bien au-delà des frontières de l’organisation. Cela signifie également, dans la conception des applications et leur mode de diffusion, un détachement très marqué entre le support (hardware) et les applications (software). On retrouve l’idée d’une logique de l’accès (Rifkin et Saint Upéry, 2000) et de Web service, en opposition à une logique de propriété des biens. L’interopérabilité des systèmes associée à la multiplication des points d’accès à Internet renforce l’intérêt des applications hébergées sur le réseau pour les utilisateurs. L’intégration des applications du Web 2.0 se fait donc de manière simple et peu coûteuse pour les entreprises mais pose la question du contrôle des applications et des outils de travail des individus au sein de l’organisation2. Ce point est important car il va déplacer la réflexion vers le développement et/ou l’assemblage de services qui peuvent constituer une forme d’innovation pour les concepteurs ou les DSI qui deviennent alors des agrégateurs d’applications dans un contexte organisationnel souvent singulier. Cela peut également questionner les droits d’accès pour des applications hors des frontières de l’organisation et la logique d’investissement dans des systèmes propriétaires souvent coûteux et difficiles à mettre en place. Les possibilités de contournement des applications propriétaires, et donc de l’utilisation des données et de leur traçabilité, peuvent poser des problèmes au sein 2 La notion de bureau nomade ou bureau virtuel est un thème de recherche actuel chez plusieurs prestataires de service comme Orange par exemple. 22 L’impact du Web 2.0 sur les organisations des organisations en fonction de leur sensibilité, d’autant qu’il est difficile de contrôler l’accès à certaines applications lorsqu’elles sont hébergées sur des serveurs externes. Enfin, cela ouvre le champ à une accessibilité étendue à partir de différents terminaux (tablettes, portables, mobiles, etc.) mais nécessitant dès lors un travail sur l’ergonomie compte tenu de la taille des écrans, de la portabilité du terminal, de ses capacités techniques… Les problématiques d’interface hommes / machines doivent être repensées dans le cadre des applications du Web 2.0 avec la question d’une éventuelle interface unifiée et dynamique. D’autre part, les applications du Web 2.0 généralisent un modèle de co-conception en constante évolution au gré des innovations techniques, souvent avec les utilisateurs qui sont intégrés dans certaines phases du développement. Cette caractéristique génère une généralisation continue du versioning des applications, autrement dit « la version bêta devient la règle ». Les fonctionnalités des applications évoluent rapidement et ne sont pas stabilisées. Les modules supports des applications dites 2.0 sont souvent légers et relativement simples grâce aux nouveaux langages comme SOAP, AJAX, REST… L’ergonomie des applications devient alors essentielle, ainsi que l’intuitivité des interfaces pour les utilisateurs car l’appropriation doit se faire de manière très rapide et très simple, l’objectif étant de minimiser les coûts d’entrée et d’apprentissage. Cette ergonomie des applications du Web 2.0 s’appuie également très largement sur les propriétés et le fonctionnement d’Internet : moteur de recherche, indexation automatique, ranking des recherches selon des algorithmes, liens HTML, etc. La capacité d’intuitivité3 devient dans cet ensemble un critère d’adoption et d’appropriation très important chez les utilisateurs des applications du Web 2.0. L’utilisation à grande échelle d’Internet et la 3 L’intuitivité peut se définir comme « une proposition évidente en soi et qui ne nécessite aucune démonstration » (encyclopédie Encarta). Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 23 diffusion de l’informatique ont contribué à formater les capacités cognitives des utilisateurs et les dernières innovations renforcent de nouvelles logiques d’appropriation des technologies (capteurs 3D, écrans tactiles, gestion automatique des droits d’accès, etc.). Les utilisateurs d’applications du Web 2.0 doivent donc être capables d’utiliser de manière très opérationnelle dès la première fois l’interface développée et sans avoir été nécessairement formés au préalable. Les propriétés du Web 1.0 constituent aussi une trajectoire technologique et une forme de dépendance du sentier pour le Web 2.0, mais on peut aussi s’interroger sur le fait que ce dernier ne se limite pas uniquement à des propriétés techniques mais sous-tend de nouvelles logiques organisationnelles sur lesquelles nous reviendrons. Le développement des applications du Web 2.0 se réalise actuellement par rapport aux interfaces déjà existantes qui ont généré des effets d’apprentissage chez les utilisateurs. Ce phénomène est accentué car les applications du Web 2.0 confirment aussi un phénomène croissant et inéluctable, à savoir la pénétration et la généralisation d’outils de la sphère domestique vers la sphère de l’entreprise, ce qui constitue un retournement de logique important et une réelle problématique pour les DSI en matière de choix de technologies. En effet, c’est l’utilisateur qui choisit sa solution technologique ou du moins sa configuration, cette dernière étant plus ou moins interopérable avec les autres applications, même de conception propriétaire. Les effets d’apprentissage engendrés par l’utilisation d’applications domestiques transposées aux organisations peuvent amener les individus dans une situation de dépendance du sentier (Arthur, 1989) dont il est très difficile de sortir en raison des coûts de verrouillage. Reste à savoir si les applications du Web 2.0 peuvent atténuer ces coûts de verrouillage ou, au contraire, les renforcer bien que les standards soient plus ouverts et que l’intuitivité devienne centrale dans la 24 L’impact du Web 2.0 sur les organisations conception des applications. Par ailleurs, la capacité de personnalisation est l’une des caractéristiques du Web 2.0, de même que la possibilité laissée aux utilisateurs de générer du contenu sans que ce dernier ne fasse forcément l’objet d’une validation avant diffusion. L’un des apports fondamentaux du Web 2.0 dans la conception et le déploiement des SI réside dans la possibilité de maintien, voire même d’émergence de constructions représentatives plurielles à moindre coût. Les différentes logiques existantes, ambiguës et multiples, ne sont donc plus perçues comme des contraintes qu’il convient d’optimiser pour arriver à une convergence de sens. Certains travaux ont ainsi souligné la difficile adéquation de lier le design de l’interface SI et les nombreux « styles cognitifs » des utilisateurs (McCarthy, 2000). Il y a donc une accentuation du déplacement de la logique d’adoption favorable aux utilisateurs : c’est désormais les SI qui doivent s’adapter aux utilisateurs et non l’inverse, logique qui prédominait encore largement jusqu’à aujourd’hui. La variable la plus importante devient alors le besoin de l’utilisateur mais cela soulève des questions en matière d’administration du réseau, de contrôle et de gestion des droits d’accès, de format de données, de principes de sécurité en matière d’accès aux données et de sauvegarde, etc. L’adoption d’applications du Web 2.0 est par ailleurs difficilement contrôlable dans les organisations car il peut s’agir d’applications hébergées sur Internet accessibles en ligne ou téléchargeables par les utilisateurs sur leur poste de travail. On prête souvent dans les revues professionnelles et sites dédiés une plus grande flexibilité aux applications relevant du Web 2.0. Il existe donc un réel risque de substitution, voire de concurrence avec les TIC déployées dans les organisations conduisant à un effet millefeuille (Boukef et Kalika, 2006). Cette superposition des applications peut entraîner des problèmes d’organisation, de coordination et de management. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 25 III. WEB 2.0 ET ENTREPRISE : UNE REVUE DE LITTÉRATURE Dans le cadre de cette recherche, nous avons réalisé une revue de littérature académique essentiellement basée sur les travaux des sciences de gestion. Cette première étape est indispensable pour faire un état de l’art des travaux déjà réalisés sur le thème du Web 2.0 et identifier les problématiques déjà posées par les applications dans les organisations. Cette revue de littérature a été également l’objet d’une phase de mutualisation des connaissances entre les différents participants au projet de recherche. Dans une première partie, nous présentons la méthodologie de notre revue de la littérature, puis les principaux résultats issus de cette dernière. Cette première phase constitue une étape indispensable pour élaborer notre grille d’analyse et définir les cas d’entreprises intéressants pour mieux comprendre les aspects socio-organisationnels des usages du Web 2.0 dans les organisations. PRÉSENTATION DE LA MÉTHODOLOGIE DE LA REVUE DE LA LITTÉRATURE EN SCIENCES DE GESTION SUR LE WEB 2.0 La revue de littérature a été réalisée entre juin et décembre 2010 (première phase de notre recherche) sans mettre de limite de date quant à la parution des articles. Nous avons réalisé cette première phase à partir des bases de données académiques les plus utilisées (Jstor, Proquest, Econlit, Cairn, Elsevier, Emeral, etc.). Les deux principaux mots clés utilisés ont été « Web 2.0 » et « Entreprise 2.0 », en français et en anglais avec une recherche sur le titre, les mots clés et le résumé des articles. Compte tenu de notre périmètre de recherche, nous avons volontairement exclu les articles relevant de la sphère des sciences de l’éducation où beaucoup d’articles ont été réalisés, notamment sur la manière d’enseigner avec ces nouveaux outils et sur l’évolution du profil des apprenants. 26 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Les articles ont tous fait l’objet systématiquement d’une fiche de lecture et d’une classification dans les principaux thèmes autour du Web 2.0 que nous avons sélectionné à partir des différentes lectures et de leur récurrence. Nous avons ainsi identifié 7 thèmes à partir de nos premières lectures pour classer les articles de recherche sur le Web 2.0 : réseaux sociaux, organisation, management, marketing, systèmes d’information, modèles d’affaires et divers (cette catégorie concerne des articles généralistes traitant de plusieurs thèmes ou d’autres catégories que nous n’avons pas listés). Ces catégories permettent d’englober l’ensemble des articles et couvrent également des domaines de recherche bien identifiés en sciences de gestion d’où leurs choix. Les articles ont été classés à partir d’un résumé réalisé pour chaque fiche, identifiant les différents thèmes et les mots clés sélectionnés par les auteurs. Le tableau en annexe recense l’ensemble des articles et les différents thèmes pour chacun en distinguant le thème principal de l’article défini à partir du titre et du résumé et les thèmes connexes. Ce tableau a été utilisé pour réaliser un tableau de correspondances entre les différents thèmes abordés afin de construire une cartographie des références bibliographiques et de cerner les liens entre les thèmes du Web 2.0. Notre recherche dans les bases de données montre que le Web 2.0 reste un concept émergent dans la littérature par rapport à d’autres thèmes de recherche. On trouve plusieurs dizaines d’articles dans les bases de données avec une approche méthodologique souvent de nature qualitative (notamment beaucoup d’études de cas). Le nombre relativement limité de références et l’utilisation majoritairement de ce type de méthodologie montre que la recherche est encore à un stade exploratoire, à savoir la définition de concepts clés et l’identification des problématiques posées par les applications du Web 2.0. Peu d’articles sont parus dans les revues majeures des différentes disciplines en sciences de gestion, que ce soit au niveau national ou international, mais il faut tenir compte des délais des 7 1 2 Marketing KM Innovation 2 22 Divers Total Management Modèles d’affaires 1 2 Organisation SI 8 Réseaux sociaux 16 2 2 2 3 9 23 1 3 2 13 1 2 Réseaux Organisation Marketing Sociaux 10 1 1 7 1 1 KM 15 2 1 9 1 7 1 14 2 1 3 1 1 1 5 1 4 1 Management 5 3 1 1 2 BM 2 2 SI 1 2 3 Innovation Tableau 3 – Tableau croisé des thèmes de recherche consacrés au Web 2.0 58 8 Divers Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 27 28 L’impact du Web 2.0 sur les organisations cycles de publication pouvant être de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Nous avons cherché les liaisons entre les différents thèmes dans les articles consacrés au Web 2.0 à partir des fiches de lecture réalisées et qui sont dans la bibliographie de ce document. Ce travail nous a permis de réaliser un tableau croisé des thématiques présenté ci-dessous. La lecture se fait en ligne pour chaque thème listé. Par exemple, pour les huit articles classés dans le thème « réseaux sociaux », deux d’entre eux évoquaient clairement le thème organisation et modèles d’affaires. Les liaisons avec les thèmes connexes au thème principal ont été déterminées à partir de la lecture de chaque article, incluant l’importance donnée à chaque autre thème, que cela soit au niveau de la problématique, des hypothèses de recherche, de la méthodologie ou des résultats. La revue de littérature réalisée permet de voir que le champ des systèmes d’information s’est relativement peu emparé des questions posées par le développement et l’adoption des applications du Web 2.0. L’une des explications réside dans la difficulté d’accès au terrain étant donné la faible diffusion de ces applications dans les organisations. On trouve plus de recherche (au sens quantitatif du nombre d’articles) dans les champs du marketing, des réseaux sociaux, de l’organisation et du Knowledge Management. La variété des champs concernés par les applications du Web 2.0 illustre que les problématiques sont plus d’ordre socio-organisationnel que simplement techniques ou technologiques. On constate également avec ce tableau que les articles évoquent plusieurs thèmes (jusqu’à 3 ou 4 pour certains) soulignant un aspect très transversal aux applications du Web 2.0. Nous avons résumé les relations entre les différents thèmes dans un schéma en partant du thème le plus cité autre que le thème principal de l’article. Le graphique ci-dessous résume les liaisons entre les différents thèmes de la revue de littérature. Les chiffres entre parenthèses recensent le nombre d’articles classés dans le thème concerné. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 29 Figure 6 – Relations entre les thèmes du Web 2.0 à partir de la revue de littérature On constate avec la Figure 6 que le thème organisation est très central aux différents articles traitant du Web 2.0. Cela confirme bien que les problématiques du Web 2.0 s’inscrivent bien dans une logique socio-organisationnelle et qu’elles dépassent souvent la dimension des SI. Notre schéma met en évidence des thèmes centraux comme l’innovation, l’organisation, les réseaux sociaux et des associations assez logiques et intuitives entre les différents thèmes concernant les applications du Web 2.0 : « marketing et modèles d’affaires » ; « KM et management » ; « marketing et réseaux sociaux ». La plupart des articles de la revue de littérature concernaient un ou plusieurs autres thèmes. Il y a très peu d’articles concernant un seul thème. Cela signifie que le Web 2.0 a une forte dimension transversale dans l’organisation et que la compréhension des mécanismes d’adoption et d’appropriation ne peut se faire que dans une logique systémique. Nous proposons dans la partie suivante une synthèse de chaque thème concernant le Web 2.0 à partir de nos fiches de lectures. 30 L’impact du Web 2.0 sur les organisations UNE SYNTHÈSE DE LA REVUE DE LITTÉRATURE PAR THÈMES Comme nous l’avons mentionné précédemment, notre revue de littérature montre qu’il y a peu d’articles en SI sur le Web 2.0 et que les problématiques traitées restent relativement classiques par rapport aux autres générations de technologie. Quelques articles utilisent les modèles développés en SI, plus particulièrement le TAM (Technology Acceptance Model), pour revisiter en quoi les propriétés des applications favorisent leur adoption et leur appropriation par les utilisateurs. Les propriétés des applications influenceraient positivement la facilité d’utilisation et d’utilité perçue par les utilisateurs (Shin, 2008 ; Shin et Kim, 2008). Bien que parfois considérées comme de simples variables modératrices dans les recherches, elles contribuent à un élément essentiel du succès de la diffusion des applications, à savoir l’atteinte très rapide d’une masse critique d’utilisateurs. Toutefois, les recherches menées sous un angle SI indiquent que même si les propriétés des applications du Web 2.0 libèrent certaines contraintes du point de vue de l’utilisateur individuel, le succès de l’implémentation repose sur les dimensions organisationnelles et culturelles de l’entreprise (Trkman et Trkman, 2009). On retrouve des facteurs clés de succès classiques en SI (support de la direction, implication des utilisateurs dans la conception, formation, etc.) pour les applications du Web 2.0. Elles ne se diffusent que lorsque leurs bénéfices dans les processus métiers sont visibles mais elles renforcent également la dimension plus personnelle et individuelle des utilisateurs qui vont trouver un moyen de reconnaissance et de légitimation supplémentaire quant à l’adoption de certaines technologies. Le thème le plus développé d’un point de vue quantitatif en nombre d’articles dans notre revue de littérature est celui du marketing. Les nombreuses possibilités offertes par les applications du Web 2.0 ont permis de développer au niveau des entreprises des services où l’utilisateur tient un rôle central, soit en tant que Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 31 producteur de contenu, soit en tant que maillon du réseau, voire même en tant que promoteur de la marque ou du produit (Cooke et Buckley, 2008 ; Eccleston et Griseri, 2008). Ce qui semble intéressant est que les applications du Web 2.0 facilitent le passage d’un rôle à un autre. Le rôle central de l’individu a été accentué par le développement des réseaux sociaux avec en toile de fond le besoin de reconnaissance et d’estime des individus qui se traduit également par l’importance croissante des communautés d’utilisateurs. Ces évolutions ne sont pas sans poser de problèmes en termes de réputation et d’image car le degré de viralité des informations s’est accentué et il est impossible pour les marques de contrôler tout ce qui est dit sur elle (Viot, 2010). Certains travaux évoquent ainsi les rôles de la confiance et des normes subjectives dans la diffusion et le succès des applications du Web 2.0 (Shin, 2008). On peut également souligner la problématique récurrente dans certains articles de la sécurité/confidentialité des informations (Ruchaud, 2006 ; Viot, 2010), ainsi que celle du respect de la vie privée. Le droit doit donc également évoluer pour accompagner la diffusion des données dans certaines applications comme les réseaux sociaux. Les propriétés des applications du Web 2.0 et l’évolution des techniques marketing sont à la base de nouveaux modèles d’affaires dont on peut trouver parfois des typologies (Wirt et al., 2010) : génération de contenus, assemblage de données diverses, mise en relation et intermédiation, etc. On peut citer l’exemple des plateformes two sided market, des sites proposant des offres de niches avec le principe de la long tail (Anderson, 2006) ou des sites s’appuyant sur les réseaux sociaux. Le second point concerne l’implication et la meilleure prise en compte des consommateurs dans le processus de génération d’idées et d’évolution des produits ou services à partir de plateformes sur Internet telles que Ideastorm de Dell ou Connect and Develop de Procter & Gamble. Certains consommateurs sont également impliqués dans la construction de messages publicitaires 32 L’impact du Web 2.0 sur les organisations au niveau de la communication (Mencarelli et Pulh, 2009). Ces évolutions s’inscrivent dans le mouvement d’Open Innovation qui consiste à impliquer à certaines étapes clés du processus d’innovation, les individus disposant des compétences appropriées (Chakravorti, 2010). Les individus deviennent alors des participants actifs dans le processus de conception ou d’évolution du produit ou du service, ce qui doit se traduire par un engagement plus fort vis-à-vis de la marque et une meilleure analyse et prise en compte des tendances pour les entreprises. Ces dernières doivent néanmoins adapter leurs processus internes (incitations, transparence, communication interne…) afin que les individus participent aux outils mis en place (Chakravorti, 2010). Enfin, la diffusion croissante des applications du Web 2.0 nécessite une évolution des outils du marketing, que ce soit en termes d’études ou bien d’analyse du comportement du consommateur avec une approche favorisant la dimension qualitative et ethnographique. L’apparition de techniques telles que la « netnographie » (Kozinets, 2002), qui consiste à écouter les échanges au sein des communautés virtuelles et des réseaux sociaux, constitue un exemple parmi d’autres. Les entreprises doivent alors passer d’une posture de questionnement à une posture d’écoute avec de nouvelles méthodes d’études mixant les approches qualitatives et quantitatives (Cooke, 2008 ; Laurent, 2008). Quelques articles concernent l’impact des applications du Web 2.0 sur le processus d’innovation avec une vision très positive quant à leurs conséquences sur ce dernier. Elles sont considérées comme procurant une amélioration des processus internes de développement des innovations, notamment dans les phases amont (Dahan et al., 2010) comme la génération d’idées, l’identification des signaux faibles et des tendances émergentes, etc., mais elles ne font pas une intégration complète du processus d’innovation. L’un des avantages souvent cités repose sur l’utilisation du principe de la foule (Surowiecki, 2004) et du « crowdsourcing » en faisant appel Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 33 aux clients ou à des acteurs externes à l’organisation pour générer ou sélectionner les idées les plus pertinentes (concept de créativité collaborative). On retrouve une hypothèse forte dans les apports du Web 2.0 et ses applications, à savoir que la créativité serait meilleure à partir du moment où l’organisation fait appel à l’intelligence collective reposant donc sur une masse critique de participants et une diversité des profils impliqués. Le second aspect relève d’une dimension de partage et de création des connaissances de type Knowledge Management (Caby-Guillet et al., 2009 ; Ribière et Tuggle, 2010). Les processus d’innovation s’avèrent être ainsi plus efficaces avec la dimension collaborative des applications du Web 2.0 : certaines telles que les wikis permettent un meilleur partage des informations entre les différents acteurs du processus d’innovation (capitalisation et diffusion des connaissances tacites et explicites), mais peuvent être aussi à l’origine de l’émergence d’informations et de nouvelles connaissances, voire même de nouvelles connexions entre les acteurs. Les applications du Web 2.0 apparaissent alors comme étant des facilitateurs du processus d’innovation, que ce soit au niveau de la vitesse du processus, de l’échelle de la recherche ou de sa flexibilité (Dahan et al., 2010). Sur la thématique du management et du Web 2.0, on trouve assez peu d’articles traitant directement du thème dans les revues académiques. Toutefois, les autres articles de notre revue de littérature abordent souvent le management comme un élément explicatif de l’adoption et du succès des applications, notamment en questionnant le rôle des managers, de la direction et la culture de l’entreprise. Les réflexions portent notamment sur deux points. Le premier concerne le passage d’un management d’individus ou d’équipes vers le management de groupes ou de communautés avec la remise en cause de certains principes ou d’éléments traditionnels aux organisations (la hiérarchie, les incitations, les méthodes d’animation, les indicateurs de performance, etc.). Cela peut faire évoluer les rôles 34 L’impact du Web 2.0 sur les organisations des managers dans les organisations qui doivent être capables de se muer selon les situations de gestion en gestionnaire de groupes, modérateur, porte-parole, etc. Le second point concerne la remise en cause du lien hiérarchique et de subordination entre l’entreprise et le salarié. La notion d’entreprise est donc réinterrogée au travers des évolutions possibles issues du Web 2.0, comme le crowdsourcing ou le développement de l’Open Innovation à partir de certaines technologies. La relation de salariat traditionnelle basée sur la hiérarchie et le contrat de travail peut être susceptible d’évoluer vers des formes plus flexibles et mieux adaptées à la dilution des frontières de la firme (multisalariat, contrats à durée déterminée, etc.). On voit donc réapparaître un débat lié à l’apparition des TIC dans les organisations et reposant sur les concepts de coûts de transaction et de théorie de l’agence. Ces deux phénomènes sont accentués par l’arrivée également de la génération « digital natives » dans les entreprises. Au final, l’entreprise dite « 2.0 » serait donc la concrétisation de ses évolutions managériales associant les technologies et la remise en cause de certains principes de management. L’une des thématiques centrales dans notre revue de littérature porte sur les modèles d’affaires qui sont liés au Web 2.0 avec un lien récurrent avec la thématique du marketing. La question centrale et récurrente demeure la création de valeur dans une « économie de la gratuité » et où il est nécessaire de monétiser au bon endroit de la chaîne de valeur le service offert (Chen, 2009). Cette question est d’autant plus importante que des doutes subsistent encore sur la viabilité économique de certains modèles d’affaires. Plusieurs articles suggèrent que les applications liées au Web 2.0 s’appuient sur des modèles d’affaires déjà existants avec les TIC (modèle de courtage avec le crowdsourcing, de l’infomédiaire, modèle communautaire…) mais multipliant les opportunités d’affaires (Beuscart et Mellet, 2008). Les possibilités de combiner plusieurs applications au sein d’une même et unique plateforme pour fournir un service Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 35 permettent de faciliter la monétisation des services proposés avec une adaptation aux besoins de chaque utilisateur (exemple des two sided markets, création de contenus par et pour les utilisateurs, l’identification et l’accroissement des liens faibles…). Les propriétés des plateformes et des applications comme les externalités de réseau, le rating des utilisateurs, les folksonomies, le principe de la « long tail » (Anderson, 2006), etc. sont également des opportunités pour la mise en place de modèles d’affaires centrés sur des niches ou des services particuliers mieux adaptés parfois à une hypersegmentation au niveau des consommateurs. En revanche, d’autres reposent sur une masse critique d’utilisateurs (fondés sur les revenus publicitaires…), ce qui conditionne des stratégies spécifiques pour générer une audience importante et rapidement. Les réseaux sociaux apparaissent comme l’un des thèmes les plus importants dans notre revue de littérature, que ce soit au niveau du nombre d’articles qui traitent directement du sujet ou y faisant référence. La question centrale est leur transposition dans une organisation hiérarchique et les motivations sous-jacentes à leur utilisation par les membres. Les réseaux sociaux dont les supports sont des applications du Web 2.0 par les applications du Web 2.0 font apparaître des logiques d’acteurs non visibles par l’organisation, notamment avec la multiplication des liens faibles, ce qui signifie également qu’il n’y a pas de superposition exacte avec les réseaux sociaux existants. De plus, les réseaux sociaux comportent une forte dimension collaborative et de partage des connaissances avec une approche décloisonnée qui peut perturber les managers. Le développement de ces applications réinterroge les pratiques de travail dans les organisations, voire même la culture managériale. En effet, les acteurs peuvent passer un temps important sur les réseaux sociaux, ce qui soulève les questions de leur productivité (les échanges favorisent-ils l’atteinte des objectifs assignés au poste ? etc.), des incitations (importance de la réputation…), 36 L’impact du Web 2.0 sur les organisations de la motivation à collaborer entre les individus (appartenance à un groupe ou une communauté…). La structuration des réseaux sociaux devient donc centrale dans les organisations qui doivent maintenir une dynamique en trouvant un équilibre entre la multiplication des réseaux formels et informels et un nombre suffisamment important de participants pour la pérennité de chaque réseau. Les réseaux sociaux sont vus également comme un espace de convergence des motivations professionnelles et personnelles des individus (Aguiton et Cardon, 2007). Les différents rôles sociaux des individus se trouvent ainsi mélangés et interagissent au gré des interactions et des situations. Dans certains cas, la représentation présente alors un caractère distinctif par son alimentation (Facebook, Viadeo, etc.). On peut dès lors constater en parallèle le déplacement d’une identité déclarative à une identité calculée qui se manifeste par des variables quantitatives (nombre d’amis, nombre de groupes d’appartenance, etc.) issues du système (Georges, 2009). D’après notre revue de littérature, l’organisation est la thématique centrale (cf. Figure 6). De très nombreux articles suggèrent ainsi que les applications du Web 2.0, même si elles sont destinées à des objectifs précis, impliquent une évolution de l’organisation. Nous avons regroupé dans cette thématique les articles qui font de l’organisation un point central et qui abordent souvent plusieurs thèmes en montrant les relations entre chacun. Certains articles évoquent ainsi le concept « d’entreprise 2.0 » qui apparaît comme un modèle idéal (Wijaya et al., 2010) où l’avantage concurrentiel serait basé sur l’innovation, la productivité et la flexibilité issues des applications du Web 2.0. La compréhension de la performance et de l’appropriation des applications ne peut se faire que dans une logique systémique et à partir du moment où l’organisation s’est également adaptée. Certains articles basés sur l’organisation évoquent aussi la possibilité d’aboutir à de nouveaux agencements organisationnels (Adebanjo et Michaelides, 2010), aussi bien sur les dimensions temporelles que Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 37 spatiales, les mondes virtuels tels que Second Life étant un exemple poussé de la virtualisation de ces agencements. Les applications du Web 2.0 permettraient alors de maintenir des niveaux de coordination et de décentralisation de l’autorité suffisant pour reconfigurer les organisations selon les besoins de leur environnement. L’organisation serait donc en perpétuelle optimisation afin de maintenir son avantage concurrentiel avec comme logique celle de l’alignement entre la stratégie, les objectifs et les ressources (d’autant plus lorsqu’elles sont immatérielles comme les connaissances ou les compétences). Bien que les articles faisant référence à l’organisation en thèmes annexes soient parmi les plus nombreux dans notre classification, on trouve toutefois peu de recherches sur l’opérationnalisation de la reconfiguration des organisations et les retours en termes de performance de la mise en place des applications du Web 2.0. Le dernier thème de notre revue de littérature, et l’un des plus développés, est celui du Knowledge Management (KM). La connaissance est devenue un actif stratégique que les entreprises doivent savoir gérer car elle peut être à la base d’un avantage concurrentiel (Davenport and Prusak, 1998). Plusieurs recherches ont été menées pour montrer l’apport des TIC (Intranet, groupwares, bases de données, etc.) dans la gestion des connaissances avec le constat que cela ne fonctionne que partiellement ou dans certaines configurations pour des raisons souvent évoquées au niveau des technologies (temps, formation, perception des risques, etc.). Quelques recherches soulignent que les barrières restent les mêmes pour les applications du Web 2.0 bien qu’elles puissent paraître plus faciles à utiliser (Paroutis et Al Saleh, 2009). En revanche, les articles de notre revue de littérature sur ce thème considèrent que les technologies Web 2.0 peuvent faciliter la capitalisation et les échanges de connaissances (Mielnik et Félix, 2008) en permettant une meilleure reconnaissance des individus à partir de mécanismes non monétaires (Paroutis et Al Saleh, 2009). On retrouve une approche 38 L’impact du Web 2.0 sur les organisations similaire à l’engagement des acteurs dans les réseaux sociaux où le rôle de la confiance est essentiel (Grabner-Kraüter, 2010) ainsi que le principe de la participation d’un grand nombre d’acteurs. Audelà de la simple dimension technique qui se trouve simplifiée, les applications du Web 2.0, par leur facilité d’utilisation et la visibilité des actions qu’elles peuvent apporter aux utilisateurs, contribuent à des dispositifs de management de connaissances plus souples, moins coûteux et plus simples à mettre en place pour les organisations (Razmerita et al., 2009). Les fonctions de codification, de partage, de collaboration et d’échange de connaissances se trouvent ainsi facilitées par les propriétés des applications du Web 2.0 (extranet, plateforme wiki…) qui mettent l’accent sur le contenu, notamment lorsqu’il est créé par les individus (Razmerita et al., 2009 ; Boateng et al., 2010). Certains articles évoquent même le rôle joué par ces dispositifs de gestion des connaissances dans le développement des innovations car elles facilitent les échanges et partages de connaissances entre les acteurs à certains stades du processus (Ribière et Tuggle, 2010). Pour autant, l’organisation doit piloter la mise en place des dispositifs de KM pour arriver à une capitalisation des connaissances efficace (Lévy, 2009). Le rôle du management et la diffusion d’une culture de la gestion du KM s’avèrent également deux leviers importants pour garantir une capitalisation des connaissances et l’actionnabilité des savoirs au travers des différents dispositifs mis en place (Mielnik et Félix, 2008). En conclusion, notre revue de littérature souligne d’abord que le Web 2.0 ne peut être décrit sur sa seule dimension technologique. Même si l’on peut associer le concept à certaines innovations technologiques, le plus important réside dans le caractère très transversal des technologies, tant au niveau des usages (échange de données, communication synchrone, capitalisation des connaissances, génération et enrichissement de contenus par les utilisateurs, etc.) que des technologies à proprement parler (mondes Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 39 virtuels, blogs, wikis, flux RSS, etc.). Bien que le mouvement soit déjà amorcé dans certains travaux antérieurs propres aux SI et aux TIC, le Web 2.0 place les individus et leurs interactions au cœur de l’analyse des organisations, tout en réinterrogeant certains mythes de management qui sont parfois des fondamentaux au sein des organisations (la hiérarchie, le contrôle et la supervision, le management par objectifs). Le Web 2.0 apparaît donc au travers de sa dimension très transversale dans nos thématiques comme n’étant plus seulement une représentation formalisée d’un fonctionnement organisationnel mais également comme un levier de pilotage et d’évolution de l’organisation dans une logique moins hiérarchisée et plus centrée sur les individus ou les groupes/communautés. Cela n’est pas sans conséquence sur l’instrumentation gestionnaire qui en découle et sur le fait de devoir gérer plusieurs logiques d’acteurs ou de groupes d’acteurs simultanément tout en garantissant une nécessaire coordination pour atteindre les objectifs stratégiques fixés par le management. Par exemple, on pourrait faire l’hypothèse que le savoir combiné (Hatchuel et Weil, 1992) deviendrait une capacité organisationnelle des entreprises avec comme support les technologies du Web 2.0. Ce concept confirme également le caractère structurant des Technologies de l’Information et de la Communication pouvant aboutir à une nouvelle structure organisationnelle basée sur de nouveaux agencements qui ne sont pas forcément pensés au départ par les managers car ils reposent sur les individus et leurs interactions dans un système qui n’est pas forcément celui de l’entreprise (identification, relation de pouvoir, incitation, etc.). MANY-TO-MANY : D’UNE NOTION D’ANALYSE DES SYSTÈMES À UNE CARACTÉRISATION DES ÉCHANGES SUR LE WEB La revue de littérature nous montre que le Web 2.0 soulève des questions autour des groupes et des communautés (cf. thèmes du 40 L’impact du Web 2.0 sur les organisations marketing, des réseaux sociaux, de l’innovation, etc.). Comment les individus sont-ils en relation et échangent-ils au sein des groupes et des communautés, et plus précisément comment ces communautés interagissent entre elles ? Les relations entre individus-machinesgroupes sont plus difficiles à comprendre pour le manager et donnent lieu à l’apparition de systèmes complexes. Pour répondre à ces questions et afin de mieux modéliser ces relations et échanges et de comprendre les impacts du Web 2.0 dans l’entreprise, nous privilégions une approche fondée sur l’analyse des systèmes : « many-to-many ». Des relations et des échanges Le modèle de relations entre entités (Entity Relationship Model) permet de représenter les relations et les échanges qui peuvent avoir lieu dans un système (Ramakrishnan et al., 2002 ; Pin-Shan Chen, 1976). L’intérêt de ce modèle repose sur le fait qu’il ne simplifie pas les relations et les échanges au niveau des individus, mais il établit des niveaux différents d’interaction entre différentes « entités ». Dans la littérature des systèmes, une entité correspond à un individu. Un individu possède dans son cerveau des informations, lesquelles peuvent être échangées par le moyen d’un ordinateur. L’ensemble « ordinateur et individu » est appelé ensemble d’entités (entity set). Dans un premier temps, nous imaginons des relations à l’intérieur d’une entreprise des ensembles d’entités. Dans un deuxième temps, chaque individu et son ordinateur font partie d’un projet, d’un département et d’une entreprise. Nous retrouvons cette relation dans le graphique ci-dessous comme du 1-to-one. Chaque point correspond, par exemple, à un individu et son ordinateur et le grand cercle ovale correspond à un projet, un ensemble d’entités de deuxième niveau. La ligne correspond à des relations. Il peut y avoir des relations bilatérales entre deux ensembles d’entités, dans le cas de deux projets différents par exemple. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 41 Figure 7 – Les différents types de relations entre entités (Ramakrishnan et Gehrke, 2002) Les relations 1-to-many et many-to-1 correspondent également à des relations unilatérales. Par exemple, une entreprise qui fait de la communication en masse et qui ne reçoit aucun retour des clients serait en relation 1-to-many. Ainsi un segment du marché qui reçoit des communications des différentes entreprises serait quant à lui un cas de many-to-1. Si nous transposons ce type de relation au niveau de l’entreprise, l’absence de réciprocité dans les relations et les échanges ne favorise pas le développement de l’intelligence collective. La relation « many-to-many » devient intéressante dans le sens où elle nous permet d’établir des niveaux différents des relations et des échanges qui peuvent avoir lieu dans une entreprise Web 2.0. Par exemple, chaque point du groupe à droite serait un ensemble d’entités formé par des départements d’une entreprise et chaque point du groupe à gauche serait un ensemble d’entités représentant un segment différent du marché. Dans cette relation, les échanges sont multilatéraux et donnent lieu à une multiplication des informations échangées, favorisant ainsi l’intelligence collective (Weik et Roberts, 1993 ; McAfee, 2009). 42 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Many-to-many : la gestion des flux entre communautés Comme nous l’avons indiqué précédemment, un nombre important d’articles traitant du Web 2.0 provient du marketing. Les apports du marketing sont multiples et ils prennent leur racine justement dans la notion many-to-many. L’utilisateur des technologies n’est plus appréhendé comme un utilisateur passif, mais comme un ensemble d’entités qui interagissent. Le modèle conceptuel de Hoffman et Novak (1997) sur la gestion des flux des informations dans l’entreprise 2.0 met en lumière le fait que : − une expérience dans l’utilisation des technologies Web sera plus positive s’il existe une congruence entre les capacités techniques à manœuvrer l’application et le « challenge » de participer à quelque chose de nouveau, ainsi que l’interactivité du site et la vivacité ; − la façon dont les informations sont recueillies va affecter le flux des informations ; − les résultats obtenus par l’utilisateur vont influencer sa motivation à s’engager dans des participations futures. Dans cette optique, ce qui devient crucial est la multiplication des échanges et des relations dans un système et la gestion des flux des informations issus des relations et d’échanges many-to-many. La création de valeur de ces relations many-to-many se déroule principalement dans l’interaction entre les différentes communautés qui sont présentes dans une entreprise (Brown et Duguid, 1991). Comme nous le verrons plus tard, l’enjeu pour l’entreprise est de maintenir un niveau de participation élevé entre une multitude et une diversité d’acteurs, de gérer les informations issues de l’intersection entre les différentes communautés, de les transformer en une intelligence collective qui sera source de création de la valeur pour l’entreprise. Le Web 2.0 devient alors une question de management des relations « many-to-many ». Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 43 IV. SYNTHÈSE DE LA PARTIE I : LES QUATRE VISAGES DU WEB 2.0 Notre première approche pour appréhender les problématiques autour du concept « Web 2.0 » a permis d’identifier quatre visages de ce dernier : LE WEB 2.0 ET L’ENTREPRISE : L’IMAGE DE LA PLATEFORME Une grande proportion des travaux se situe dans cette perspective : l’entreprise 2.0 est celle qui utilise les outils du Web 2.0. C’est l’approche de McAfee : “I coined the term Enterprise 2.0 to describe how these same technologies [Web 2.0 technologies] could be used on organizations’ intranets and extranets, and to convey the impact they would have on business” (2009, p. 1). Ce point de vue part donc des technologies et outils du Web 2.0 et analyse les possibilités et les conséquences de leur utilisation en entreprise : Web services, blogs, flux RSS, wikis, podcasts, social networking, peer-to-peer, mashups4, sont les principaux, mais la liste n’est pas exhaustive. Le Web 2.0 étant présenté comme “Web as a platform”, il est naturel que l’image de la plateforme soit l’une des images de base pour faire comprendre le concept d’entreprise 2.0. Si l’on suit Musser et O’Reilly (2006), « Internet comme plateforme » est un modèle dans lequel il est central de proposer des applications qui maximisent les effets de réseau, c’est-à-dire qui fonctionnent d’autant mieux que le nombre d’utilisateurs est important. Néanmoins, dans la plupart des travaux, l’image de la plateforme n’est pas explicitement transposée à l’entreprise : il n’est pourtant pas équivalent de dire que l’entreprise 2.0 est celle qui utilise les outils du Web 2.0 4 Cette liste est celle retenue par McKinsey dans une étude de 2008 (McKinsey Quaterly, juin 2008) dont nous avons repris quelques chiffres en introduction. On peut, avec McAfee (2009), augmenter cette liste : Twitter, Facebook et autres Delicious relèvent de fonctionnalités de communication, de mutualisation, de « taggage » qui signent également le Web 2.0. 44 L’impact du Web 2.0 sur les organisations et de dire que l’entreprise 2.0 est une organisation qui fonctionne sur un mode « plateforme ». Appliqué à l’entreprise, ce modèle est néanmoins séduisant et renouvelle l’idéal-type de l’espace de travail : les organisations seraient constituées d’un ensemble de plateformes sur lesquelles se concrétiserait une partie importante des échanges, elles seraient supports et vecteurs des différents processus et projets, offrant la possibilité de multiplier les transactions de tout ordre tout en minimisant leur coût. La plateforme est une image puissante : démultiplication du nombre de participants, variété des contributions et des modes d’échange et de mutualisation, crowdsourcing généralisé : l’entreprise moderne est un ensemble de plateformes internes ou partagées avec d’autres organisations. La plateforme peut être un lieu de conception : des agencements spécifiques, les plateaux techniques existent par exemple depuis de nombreuses années dans certaines industries comme l’automobile (Midler, 1993 ; Weil, 1999). La plateforme est aussi une stratégie : Cusumano et Gawer (2002) en ont fait la démonstration sur le cas d’lntel ; Apple a montré la puissance du couplage entre un objet nomade et une plateforme de distribution d’applications conçues par des développeurs de tous horizons. Un autre aspect de la puissance du concept de plateforme est dans l’harmonisation des langages que son utilisation suppose. Il a été montré que cette harmonisation constituait l’un des effets ou des présupposés classiques des projets de SI (David et Pallez, 2001). L’étude des points communs et des différences entre ce que suppose le Web 2.0 et ce qui correspond à une logique 1.0 sort du périmètre du présent rapport, mais il serait erroné de penser que, sous prétexte d’une liberté des contenus et des modes d’échange, il n’existe pas d’harmonisation des protocoles et des pratiques : la plateforme impose nécessairement une grammaire des échanges, même si une partie des usages et des règles se crée au fur et à mesure que la variété des utilisations et le nombre d’utilisateurs s’accroissent. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 45 LE 2.0 COMME LA POSSIBILITÉ D’UN RÉSEAU COMPLET DE COMMUNICATION : L’IMAGE DU « MANY-TO-MANY » Le 2.0 est souvent associé au « many-to-many » : c’est précisément ce que le Web 2.0, d’un point de vue purement technique, permet de faire. Grâce à une architecture logicielle adaptée, de multiples interactions peuvent avoir lieu au sein d’un ensemble potentiellement très important et très dispersé d’acteurs. En pratique, sauf à ce que le nombre de participants soit relativement faible, il est difficile d’imaginer que chacun reste en liaison avec tous sur une période de temps importante. Si, par exemple, une organisation utilise Yammer5, il est difficile de gérer des groupes de plus de quelques dizaines de participants, sauf à imaginer une grammaire plus sophistiquée, avec différents groupes et sous-groupes constitués selon un certain nombre de règles6. La logique du « many-to-many » est très cohérente avec l’idée de plateforme. Néanmoins qui dit plateforme Web ne dit pas nécessairement plateforme dans ou pour l’entreprise : en ce sens, définir l’entreprise 2.0 à partir du « many-to-many » est moins spécifique, moins d’hypothèses sont faites a priori sur la structure des collectifs concernés. Au-delà de la simplicité apparente de la formule, il est aisé de repérer toute une variété de schémas possibles : 1-to-many, many-to-1, 1 to 1 to 1 to… (n fois), many-to-many (d’autres), many-to-many (les mêmes), etc. Le « many-to-many », transposé de possibilités techniques qui témoignent de la sophistication de l’informatique moderne, risque au contraire de paraître, une fois 5 Fil de discussion analogue à Twitter, où chacun, à la base, dit sur quoi il est en train de travailler, et qui suppose que les inscrits au fil partagent une même extension dans leur adresse de courrier électronique. Notons que la version payante de plateformes comme Yammer inclut une gestion des groupes et des accès plus sophistiquée que la version gratuite de base 6 Nous reviendrons sur ce point plus tard, à propos de la modélisation des groupes complexes. 46 L’impact du Web 2.0 sur les organisations transposé au fonctionnement des organisations, extrêmement simpliste : non seulement les formes effectives des réseaux concrètement observables ne se réduisent pas à la simple mise en relation de « beaucoup à beaucoup », mais la relation entre deux ou plusieurs points du réseau ne se réduit pas au fait qu’elle existe ou non. Les relations, au sein d’une organisation sociale sophistiquée, peuvent par exemple être déclinées en mandat (je demande à quelqu’un de faire quelque chose pour moi), entremise (je suis un tiers de confiance entre deux personnes), orchestration (j’organise un événement collectif) et wiki (nous construisons ensemble et progressivement un objet commun)7. LE 2.0 COMME GÉNÉRALISATION DU COLLABORATIF : L’IMAGE DU COMMUNAUTAIRE L’image de la plateforme, dans les travaux sur le 2.0, va revenir par le principe de généralisation du collaboratif : McAfee intitule la première partie de son ouvrage “Enterprise 2.0: the power of technology-enabled collaboration”. La technologie permet des accès directs et instantanés à toute personne dont la collaboration pourrait s’avérer pertinente. Dans l’idéal type du 2.0, toute personne de l’entreprise est susceptible de participer. L’infrastructure réticulaire ainsi conçue peut accueillir la structure formelle, officielle, comme un sous-ensemble particulier de liens, mais la signature organisationnelle du 2.0, en tant que porteur d’une collaboration généralisée est davantage la communauté que la hiérarchie : communautés de pratique, communautés épistémiques, mais aussi tout type de communauté provisoire – les flash mobs pourraient en être une concrétisation extrême – se trouvent remises 7 Cette déclinaison est tirée de travaux menés par la RATP, en collaboration avec le Centre de Gestion Scientifique de Mines Paristech, lors d’ateliers de conception innovante sur « le métro du 21e siècle », en décembre 2006. Voir Amar, G. (2007), Le métro du 21e siècle, Département du Développement et de l’Action Territoriale, RATP, avril. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 47 au premier plan et relégitimées par la logique du 2.0. Certains ouvrages récents comme Organisation 2.0 (Roulleaux Dugage, 2008) structurent leur argumentation autour des communautés : ils présentent tout d’abord la collaboration comme « la voie de la confiance » (p. 61), puis les outils de collaboration comme la technologie de cette confiance (p. 73), pour ensuite décrire les réseaux et les communautés comme « les structures sociales de la confiance » (p. 91) et aborder la façon de faire vivre au quotidien ces réseaux et communautés (p. 131 et suiv.). Plus fondamentalement, Benkeltoum (2009) a montré que les communautés open source relevaient d’une double généalogie : les économies de la solidarité et les systèmes de production distribuée. Ce qui est vrai pour les communautés open source pourrait, par hypothèse, s’appliquer au communautaire du 2.0, mais de tels fonctionnements ne se décrètent pas, pas plus que les communautés de pratiques telles qu’analysées par Orr (1987). L’hypothèse selon laquelle les pratiques communautaires ne se décrètent pas est cohérente avec l’importance que les travaux académiques accordent à l’émergent dans la logique du 2.0. LE 2.0 COMME RÉINTRODUCTION DE L’ÉMERGENT AU CŒUR DES PROCESSUS : L’IMAGE DE LA STRUCTURE INFORMELLE, AUTO-RECONFIGURABLE ET ÉVOLUTIVE Les travaux sur le Web 2.0 ou l’entreprise 2.0 mettent fortement l’accent sur la possibilité qu’offrent les outils du Web 2.0 de faire émerger « naturellement » les structures pertinentes : les vertus de la libre participation et les capacités des outils à tracer, guider, répertorier, mémoriser les échanges constitueraient ensemble une « fabrique » d’agencements organisationnels d’un nouveau genre. Cette structure émergente serait informelle, auto-reconfigurable, évolutive. L’image est un condensé de mythes rationnels (Hatchuel, 2001) : la structure apprenante, agile, flexible, lean (en 48 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Deux exemples de structuration des groupes par les échanges informels L’un des meilleurs exemples de ce phénomène est celui décrit par Labov dans son ouvrage sur Le parler ordinaire (1977) à propos des insultes rituelles au sein des groupes de jeunes de certains quartiers : il y a une correspondance étroite entre la place de chacun dans le groupe et sa capacité à « vanner ». Plus le niveau des « vannes » est élevé, plus haute est la place au sein de groupe, le leader du groupe étant le meilleur vanneur. On retrouve ces phénomènes de structuration émergente d’un groupe dans les forums de discussion de certains sites communautaires : les positions respectives au sein du « groupe » sont construites progressivement en fonction des contributions et commentaires des uns et des autres. On trouvera de tels échanges sur des sites comme www.audiofanzine.fr : batailles d’experts, contestations de légitimité, connaissance scientifique contre intuition musicale, contestations de la conformité des contributions au thème du fil de discussion, mais aussi transmission d’expérience, plaisir de se retrouver autour de tel ou tel instrument « mythique », expression de sentiments de divers ordres, dont le sentiment communautaire. À titre d’exemple, un fil de discussion à propos de la réédition possible, 20 ans après, d’un ouvrage sur un clavier électronique légendaire des années 80 a comptabilisé plus de mille contributions. Si les échanges sont riches en connaissances et expertises, le fil de discussion une fois clos peut être considéré comme un processus d’exploration et de résolution de problèmes en même temps qu’un processus de constitution de la structure relationnelle en rapport. Web 2.0 et organisations : une problématique complexe 49 ce que l’agencement relationnel à un instant t serait « juste ce qu’il faut »), la structure émergeant et se développant à l’exacte mesure des besoins de création de sens (Weick, 1995) et de gestion des processus. Les exemples de structures qui émergent par pure succession d’ajustements mutuels sont rares : un certain nombre de travaux fondamentaux sur le rôle des institutions (Douglas, 1989), sur les processus de structuration (Giddens, 1986) et sur les cadres de l’action quotidienne (Goffman, 1974) ont montré que si l’on considère le rôle de la culture et des institutions dans le cadrage des échanges, le modèle d’un processus purement inductif de fabrication des structures devient impossible. À l’intérieur de ce cadre culturel et institutionnel, en revanche, il y a quasi-isomorphisme entre la structure relationnelle d’un groupe social et le mode d’élaboration, d’échange et de validation des connaissances au sein du groupe8. L’encadré ci-dessus développe deux exemples de structuration des groupes par les échanges informels. 8 On peut considérer que cette correspondance entre système de relations et dynamique des connaissances est infrastructurelle : c’est le sens de l’axiomatique S/R (savoirsrelations) proposée par Hatchuel (2001). Partie II Web 2.0 et organisations : retours d’expériences 2 Web 2.0 et organisation : retours d’expériences Après avoir présenté dans la première partie un cadrage théorique et différentes perceptions issues des blogs ainsi qu’une revue de la littérature sur le Web 2.0, nous présentons dans cette partie plusieurs cas d’entreprises illustrant différentes configurations et utilisations des applications en 2.0. Compte tenu de la durée du contrat (12 mois), nous n’avons pas pu prendre en compte toutes les thématiques issues de la revue de littérature. Nous avons donc cherché des cas représentant différentes situations de gestion (marketing, organisation, innovation, etc.) et pour lesquelles les entreprises pouvaient être considérées comme des « early adopters », notamment du point de vue des usages. Certains cas comme Orange sont également à prendre comme des expérimentations du Web 2.0. I. ÉTUDES DE CAS Nous avons sélectionné 7 études de cas représentatives de quelques applications du Web 2.0. Bien entendu, il existe d’autres cas possibles et situations dans lesquelles les applications du Web 2.0 peuvent s’appliquer, mais compte tenu des limites en termes de temps, nous avons procédé à une sélection de cas. Tous les cas ont été construits à partir de données secondaires et certains ont été approfondis par des données primaires, à savoir des entretiens semi-directifs avec une ou deux personnes de l’entreprise. Ces entretiens ont été menés avec l’aide d’un guide d’entretien qui est en annexe de cet ouvrage. 54 L’impact du Web 2.0 sur les organisations LE CAS STARWOOD HOTELS AND RESORT : LES COMMUNAUTÉS VIRTUELLES AU SERVICE DE L’INNOVATION Positionnement général du cas Le cas Starwood est une illustration de l’utilisation par une entreprise de services des applications et technologies du Web 2.0 pour la gestion de la relation client et l’innovation. Starwood a cherché à mettre en place des dispositifs de dialogue avec différents types de communautés sur Internet, celles constituées de ses clients, et les autres, qui se structurent de façon émergente sur le Web. Le cas montre les difficultés liées aux stratégies que les firmes peuvent ou doivent mettre en place pour approcher des groupes que le Web 2.0 fait se constituer spontanément. Il montre également l’enjeu d’y accéder en terme de collecte d’information utilisable par la firme dans ses processus d’innovation. Starwood et le Web 2.0 Starwood Hotels and Resort est une des chaînes d’hôtels les plus importantes dans le monde. Elle compte 925 établissements disséminés, pour la plupart, sur le continent américain mais également en Europe (le Méridien en France, par exemple) dans lesquels travaillent plus de 155 000 employés. La chaîne est très régulièrement récompensée pour la qualité de ses services par différentes associations professionnelles de tourisme et de voyage. Comme la plupart des entreprises de service, Starwood est attentive à l’évaluation de la qualité de ses prestations, l’identification des besoins de ses clients mais également les évolutions de la demande et de son secteur d’activité. Elle s’appuie en partie sur sa participation active à différentes communautés de consommateurs sur Internet (Aggarwal et Albert (2009) parlent de « communautés Web 2.0 »). Starwood a mis en place son propre site (theLobby.com) sur lequel l’entreprise pousse ses offres, les présente (sous des formes différentes de celles utilisées sur le site commercial de réservation de Starwood : utilisation de vidéos, mise en ligne de témoignages et Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 55 possibilités pour tout internaute ou membre de la communauté Starwood de poster des avis, des commentaires) ou les commente. Il est également possible d’échanger sur le site avec des « experts » pouvant être des employés de Starwood (généralement des top managers, par exemple, le responsable de la gamme luxe des hôtels Starwood) mais également des personnalités expertes dans un domaine (comme la gastronomie, les habitudes d’un pays ou d’une ville, etc.). Il semble que ce site ne soit pas l’outil privilégié par Starwood pour entrer en contact avec les communautés Web 2.0. En particulier, theLobby.com ne s’adresse qu’à un certain type de clients, ceux de Starwood, et ne présente donc pas l’intérêt de pouvoir également entrer en conversation avec d’autres internautes. C’est pour cela que Starwood participe également aux échanges d’autres communautés, plus informelles, qui ne sont pas des émanations de firmes. Depuis 2000, Starwood a donc entamé une participation active, officielle et visible aux échanges des communautés formées sur Flyertalk.com, site communautaire indépendant de voyageurs d’affaires fréquents. Le site était au départ un « bulletin board » et a rapidement évolué. Il regroupe aujourd’hui 200 forums et totalise environ 7 millions de posts et 13 millions de pages. Starwood est officiellement présent via un avatar, un employé représentatif de la firme. Officiellement, l’employé en question a vocation : − à parcourir les différents forums pour surveiller les préoccupations des membres de la communauté (et donc les voyageurs d’affaires dont ceux qui ne sont pas clients de Starwood ; un forum9 en particulier est dédié à Starwood) ; − à assister certains membres qui se posent des questions ; − à corriger les incompréhensions et les erreurs postées sur le site ; 9 http://www.flyertalk.com/forum/starwood-preferred-guest-429/ 56 L’impact du Web 2.0 sur les organisations − à gérer l’image des établissements de Starwood Hotels and Resort. L’employé représentatif donne également ses « opinions personnelles » y compris sur des sujets qui ne concernent pas directement les offres Starwood. En étant présent sur le site, Starwood obtient un accès à la connaissance spécifique à propos de ses produits et de ses services. La firme obtient également, par un monitoring systématique, de la connaissance générale sur l’évolution des attentes des voyageurs d’affaires et les besoins fréquemment explicités sur le site. En marge, Starwood a pu mettre en place une base de données contenant les posts des membres de la communauté les plus actifs sur les sujets concernant directement Starwood. D’autres firmes ont tenté de mettre en place une participation de même nature, mais il semble que peu aient maintenu leur présence sur Flyertak.com (Aggarwal et Albert (2009) citent le cas d’American Airlines par exemple). Sur Flyertalk.com, il semble d’ailleurs que de nombreux membres se soient exprimés sur les pratiques de corporate phishing (façon de dénommer les pratiques invasives d’une firme dans un forum Internet). Les membres trop bienveillants à l’égard d’une firme sont rapidement entachés de suspicion et sont repérés par les autres membres de la communauté (les outils basiques dont disposent les internautes pour tracer les échanges dans lesquels un membre intervient et repérer son profil le permettent, et certains membres encouragent ce repérage). Apports, impacts et risques associés au Web 2.0 pour le cas Starwood L’accès aux communautés Web : une capacité organisationnelle Il semble ainsi que le cas de Starwood soit singulier. À partir de l’étude monographique de Starwood, Aggarwal et Albert (2009) mettent en avant les propositions suivantes qui s’appuient sur une même hypothèse : l’accès de la firme aux communautés Web 2.0 est une capacité organisationnelle permettant d’obtenir un avantage concurrentiel. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 57 La capacité d’une firme à mettre en place des relations avec des communautés Web 2.0 de consommateurs est une capacité organisationnelle qui a les propriétés suivantes : elle a de la valeur ; elle est difficilement imitable par les concurrents (Starwood semble réussir et tirer profit de sa participation mais American Airlines ou des concurrents de Starwood n’y parviennent pas) ; elle n’est pas substituable dans le sens où il n’existe pas de moyens alternatifs d’obtenir le même genre de connaissances obtenues grâce à l’accès à ces communautés ; elle est rare (et de ce fait, les firmes qui les premières ont eu l’idée d’accéder aux communautés Web ont un avantage concurrentiel ; c’est d’ailleurs probablement l’une des principales raisons expliquant le succès de Starwood dans sa relation avec certaines communautés). Le concept de capacité organisationnelle n’est pas entièrement exploré par Aggarwal et Albert (2009) mais il nous est possible de faire une liste non exhaustive des leviers de l’organisation sur lesquels la firme peut s’appuyer pour développer la capacité d’accès aux communautés Web 2.0 : − les systèmes d’information : la première voie empruntée par Starwood (theLobby.com) a nécessité des compétences de développement de plateformes de communication avec les clients (que Starwood avait peut-être déjà parce que l’entreprise était, naturellement, déjà présente sur Internet) ; de quels outils de modération et de contrôle l’entreprise dispose-t-elle et quels acteurs de l’organisation jouent les rôles liés à la modération des échanges ? (la modération est en soi une activité technique mais c’est également une activité participant à l’attribution de sens aux échanges avec les communautés Web ; qui dans l’organisation peut avoir ses deux types de compétences ?) ; − la coordination entre activités de conception et activités de veille : les concepteurs des services de Starwood utilisent des modes de veille nécessitant une interaction avec des clients ou clients 58 L’impact du Web 2.0 sur les organisations potentiels (s’agit-il d’une compétence très différente de celle mobilisée lorsque traditionnellement, une firme met en place des focus groupes pour faire réagir un panel de consommateurs à de nouveaux produits ou services ?). Cette coordination est potentiellement une compétence déjà ancienne car l’accès aux communautés Web 2.0 pour faire de la veille sur les besoins du marché est une possible réinvention du « Nous sommes à votre écoute » et des enquêtes de satisfaction des clients ; − la coordination entre les différents acteurs de l’organisation, analystes des informations collectées par les différents capteurs (Web 2.0 et outils de veille classiques). Le Web 2.0 multiplie les capteurs que les firmes peuvent utiliser et ces capteurs fournissent des informations hétérogènes qu’il faut soumettre à l’analyse. Qui sont les analystes du Web 2.0 dans les organisations ou qui dotet-on de cette capacité ? − la traduction financière du potentiel de nouveaux services tels qu’ils émergent des échanges collectés ou entretenus avec des internautes des communautés Web. Traditionnellement, une étude de marché permet d’évaluer un potentiel : une zone de chalandise pour un centre commercial, un chiffre d’affaires prévisionnel, une taille de marché, un horizon prévisionnel, etc. Quid des outils utilisés pour évaluer ces éléments dans le Web 2.0 ou inversement, quelle place pour les connaissances collectées en Web 2.0 par rapport à ces outils ? La capacité organisationnelle d’accès aux communautés Web 2.0 semble amener à des décisions de la firme à la fois porteuses d’opportunités importantes mais également de risques importants. Dangers et opportunités liés aux communautés Web 2.0 Les espaces d’expression de communautés du Web sont difficilement contrôlables et les tentatives de contrôle des firmes sont rapidement sanctionnées par les communautés en question, comme indiqué plus haut. Le cas de Starwood montre qu’il y a peu Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 59 d’alternatives entre, d’un côté, mettre en place des espaces communautaires dédiés à la firme mais dans lesquels les échanges sont d’une richesse limitée et, de l’autre côté, prendre place d’une façon ou d’une autre dans des communautés non institutionnalisées et libres dans lesquelles la firme ne contrôle rien. Aggarwal et Albert (2009) rappellent l’expérience de Belkin qui avait payé des internautes sur un forum pour orienter les évaluations des produits de la firme dans un sens positif ; en dépit des excuses officielles du dirigeant de l’entreprise, celle-ci a fortement été sanctionnée par le marché et les clients, notamment en terme de réputation). Les communautés Web sont des sources de connaissance importante du marché. Elles sont des outils que les firmes peuvent utiliser (si elles en ont la capacité) pour opérer une veille sur les besoins, les consommateurs, les attentes, les évolutions du marché, etc. Cet outil de veille est susceptible de réduire l’incertitude liée aux évolutions des besoins des consommateurs à condition que la firme puisse donner le sens qu’il convient aux échanges entre membres de la communauté. Plusieurs éléments rendent cela difficile et plusieurs questions se posent. Représentativité et fiabilité des communautés Web Comment la firme est-elle en mesure d’utiliser un outil qui potentiellement donne de la voix aux consommateurs qui souhaitent s’exprimer (et souvent pour exprimer des insatisfactions) mais qui n’éclaire pas nécessairement les avis et les besoins des consommateurs qui ne s’expriment pas ? Autrement, dit, il se pose la question de la représentativité des communautés et donc la capacité à se servir d’un outil de veille dont la fiabilité est incertaine. Périmètre des communautés Le périmètre des communautés Web n’est pas contrôlé par les firmes (sauf lorsqu’il s’agit par exemple, de communautés dédiées aux clients de l’entreprise avec accès des clients uniquement). La communauté Web forme un espace dont la firme connaît mal les 60 L’impact du Web 2.0 sur les organisations frontières. En outre, potentiellement, il s’agit d’un espace également ouvert aux concurrents des firmes ou aux éventuels nouveaux entrants. Enfin, la liste des communautés pertinentes pour la firme n’est pas une donnée triviale ; il n’est pas évident par exemple que les communautés de voyageurs soient les seules communautés intéressantes à observer pour Starwood. Communautés et contrepoids Les communautés forment des groupes sociaux réglés par (comme dans tout groupe) des codes, des normes, des façons de se comporter, des rites d’inclusions et d’exclusion, etc. L’accès à ces codes est une compétence particulière et est un facteur clef dans l’accès aux communautés (cf. plus haut). Les communautés formant des groupes, elles ont la possibilité d’adopter (de façon consciente et délibérée ou inconsciente et émergente) des comportements hostiles vis-à-vis de la firme (c’est un stakeholder). Blodgett et Tapia (2010) ont montré comment s’est organisée, récemment, en Italie, une protestation des employés d’IBM contre leur entreprise sur Second Life. Les auteurs ont mis en évidence en particulier la capacité d’un groupe à l’existence physique à se structurer virtuellement pour organiser des mouvements visant à faire pression sur IBM et virtuellement et physiquement (en quelque sorte, une interpénétration de communautés virtuelles et réelles). Captation et exploitation des connaissances L’accès à la compréhension des échanges entre membres des communautés Web repose sur plusieurs conditions : connaître les codes sociaux évoqués plus haut, traduire ces codes sous formes d’outils de repérage sémantique (permettant de faire la synthèse des échanges), ne pas être repéré par les membres de la communauté (et donc user de stratagèmes d’accès à la communauté ; être repéré et identifié explicitement et visiblement est l’une des options possibles, cf. Starwood). Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 61 LE CAS VALEO : LA TRANSFORMATION SANS RUPTURE10 Présentation de Valeo Valeo est une entreprise industrielle multibranches du secteur automobile (équipementier) qui dispose de plus de 30 centres de production dans le monde, ce qui représente plus de 70 000 salariés répartis dans plus de 25 pays différents. Son périmètre évolue en permanence au gré des rachats, cessions et partenariats avec des entreprises de la filière automobile. Le fonctionnement repose sur un principe de décentralisation avec une organisation multisites. Les entités opérationnelles sont autonomes pour mettre en œuvre la stratégie du groupe mais elles doivent respecter certaines pratiques et standards définis et formalisés par la direction. L’entreprise comporte plusieurs entités et le siège doit assurer le pilotage de l’ensemble avec un système de management approprié qui doit prendre en compte la distance géographique et culturelle des sites. Les enjeux se situent clairement sur un contrôle de niveau de maturité des sites, une mesure fiable de la progression au niveau des réseaux fonctionnels et la diffusion des meilleures pratiques. L’opérationnalisation de la stratégie doit se faire avec les différentes entités concernées pour atteindre les objectifs fixés par la direction de l’entreprise. Par ailleurs, les dirigeants souhaitent un retour des niveaux opérationnels afin également de mieux les impliquer dans la réalisation de la stratégie. Avec l’aide de MNM Consulting, Valeo a décidé de déployer un dispositif de pilotage du progrès avec une méthode baptisée Roadmaps de Management (RM) et déposée sous la marque 5 steps11. Cette méthode repose 10 Ce cas a été tiré et retravaillé à partir du contrat ANR Pilot 2.0 (ANR Techlog 07-016-01) 11 Note : 5 steps est le nom commercial de la méthode telle que présentée dans l’ouvrage « La méthode 5 steps : pour déployer efficacement une stratégie », de F. Blanc, N. Monomakhoff, AFNOR Editions, avril 2008. 62 L’impact du Web 2.0 sur les organisations sur un outil de pilotage qui doit permettre un déploiement des standards, de l’autoévaluation et un contrôle plus efficace de l’appropriation des bonnes pratiques par l’organisation. Les roadmaps de management sont des représentations graphiques sous forme de tableaux de bord bâtis sur deux dimensions structurantes et strictement identiques : la dimension évolution (niveau d’amélioration matérialisé par une échelle graduelle de 1 à 5 d’où le nom de la méthode) et la dimension objets à améliorer ou leviers. La roadmap présente ainsi, sous une forme de tableau croisé à 5 niveaux progressifs, les meilleures pratiques et les objectifs élémentaires pour la réalisation du plan d’action stratégique. La transposition de la méthode et de l’outil de gestion dans le SI de Valeo relève ainsi d’une approche en Web 1.0 qu’il s’agit de faire évoluer en 2.0 pour améliorer l’appropriation par les utilisateurs face aux difficultés rencontrées et aux objectifs assignés à l’outil de pilotage de la stratégie. Figure 8 – Exemple visuel d’une roadmap de management dans la plateforme informatique Matrix SI (Source : VRM User Manual (V2)) Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 63 Roadmaps de Management (RM) et Web 2.0 Les RM constituent un cas situé d’outil de gestion devant évoluer vers une logique 2.0 pour une meilleure appropriation par les utilisateurs, notamment afin d’être moins perçues comme un outil de reporting dans une logique top-down. Plusieurs pistes peuvent être explorées quant aux évolutions possibles des RM à partir des propriétés du Web 2.0 recensées dans la revue de littérature de cette recherche. Le choix de déployer une « logique 2.0 » peut être pensé en termes d’écosystème global ou de système nerveux dans l’organisation. La réflexion du déploiement des applications (qu’elles soient en 1.0 ou 2.0) peut se penser en terme de « barycentre », à savoir une plateforme centrale couplant les différentes applications pour les utilisateurs (la plateforme devient alors un hub où transite l’ensemble des données), ou en termes d’outils décentralisés mais interconnectés et interopérables. Dans le premier cas, les RM peuvent représenter la plateforme support de l’ensemble des applications comme la transposition d’un agrégateur de contenus de type Netvibes. La notion de flux de données peut devenir intéressante sous forme d’indicateurs de charge dans l’organisation en intégrant tous les flux informationnels, et pas seulement ceux liés aux applications de type 2.0. Les RM peuvent devenir, si elles comportent plusieurs points d’entrée de données, un système de mesure de l’activité de l’entreprise (un état de charge) avec une agrégation des différents flux de données sur la plateforme informatique Roadmap Manager. Il serait possible de mesurer un seuil au-delà duquel il est nécessaire de réguler l’activité afin de garantir un équilibre et d’éviter un risque de « surchauffe » organisationnel dans tout ou partie de l’organisation ou en réorientant l’activité sur certains sites12. 12 Les modélisations des flux de transport dans la logistique pourraient être une piste à explorer dans ce cadre. 64 L’impact du Web 2.0 sur les organisations L’une des caractéristiques des applications 2.0 est de permettre des échanges de plus en plus synchrones et un enrichissement des communications au sens de la théorie de la richesse des médias (Daft et Lengel, 1986 ; Trevino, Daft et Lengel, 1987). Ces propriétés sont des facteurs d’adoption des systèmes d’information et pourraient donc contribuer à une meilleure appropriation des RM chez Valeo via la plateforme informatique (forums, communications synchrones, flux RSS…). La contrepartie est, lorsqu’il existe une masse critique d’utilisateurs et des externalités de réseau positives, un risque de surcharge informationnelle et de dilution des coordinations. Les applications du Web 2.0 sont génératrices par nature d’informations accentuant la problématique de leur traitement par les acteurs sans compter que les récents travaux tels que la théorie du millefeuille (Kalika et al., 2007) ont souligné une superposition des outils de communication dans les organisations sans une réelle logique de cohérence et de complémentarité. La rupture des temps et des unités de lieux est également sous-jacente à ces propriétés et plusieurs entreprises ont dû adapter leurs méthodes de management. Afin de gérer ce problème de gestion de l’information et des communications, les RM peuvent représenter, par exemple, une plateforme d’intelligence collective et distribuée. Certaines applications du Web 2.0 reposent sur une approche décentralisée de la création et de l’accès à l’information et aux connaissances, aussi bien interne qu’externe à l’organisation (exemple des wikis). On attribue à ces technologies des logiques favorisant la diffusion des informations, la collaboration et le partage de documents et de connaissances en interne mais également en externe (McAfee, 2006). Cette collaboration peut ne pas être définie uniquement dans le cadre d’une relation hiérarchique mais survenir de manière exogène à l’organisation hiérarchique et fonctionnelle (McAfee, 2009). Dans le cas des RM, cela suppose un accès ouvert et défini selon certaines règles Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 65 (ou référentiels) dans l’organisation et l’élaboration d’une gestion de type communautaire (impliquant de sortir d’une vision hiérarchique mais devant permettre une forme de management). Les RM peuvent aussi constituer une plateforme de co-conception de solutions, voire d’innovation, soit dans une optique de résolution de problème pour une entité en difficulté dans les premiers niveaux de la méthode 5 steps, soit dans une optique d’innovation dans les derniers niveaux (voire de diffusion des bonnes pratiques). La plateforme permettrait alors l’accès de certains livrables en format électronique aux autres entités pour expliquer le passage à un niveau supérieur, livrables pouvant eux-mêmes être enrichis par d’autres contributeurs. Dans ce dernier cas, la plateforme soutenant les RM peut devenir un élément de légitimation de certaines communautés de pratique au sein de l’organisation. Enfin, les utilisateurs jouent un rôle plus important. Ils apportent eux-mêmes de la valeur au service qu’ils utilisent, de par leur nombre avec le principe des externalités de réseau positives (réseaux sociaux, blogs…) mais également d’autant plus lorsqu’ils peuvent modifier le contenu et l’enrichir (Tapscott et William, 2006). Ils contribuent donc à créer une partie de la valeur et peuvent en retour demander une rétribution (ou du moins l’entreprise doit les mettre en place pour maintenir une certaine dynamique). Deux questions se posent alors pour les organisations. La première relève des incitations à mettre en place pour alimenter de manière régulière les contenus, et dans notre cas, les RM. Les mécanismes liés à la réputation des acteurs et la logique de don contre don sont souvent cités en plus des mécanismes pratiqués, mais peuvent-ils avoir la même efficacité dans les entreprises (développement d’une identité calculée, de critères communautaires, personnels, logique de flux de données, etc.) ? La seconde relève du contrôle des informations et des connaissances diffusées, notamment avec une plus grande porosité des frontières de l’organisation. La sensibilité des 66 L’impact du Web 2.0 sur les organisations organisations quant à la diffusion des informations qui les concerne demeure encore très forte. Cela demande alors un travail très en amont d’identification des accès selon une analyse multicritères dépassant la simple logique des annuaires internes reposant sur des principes hiérarchiques et une gestion dynamique en quasi temps réel. Au-delà des livrables demandés entre chaque étape, on pourrait imaginer avoir d’autres espaces de diffusion et d’échanges de documents issus des utilisateurs même s’ils ne concernent pas directement les aspects opérationnels (forums, votes pour des solutions proposées, tags sur des profils ou documents, etc.). La gouvernance peut également évoluer mais un fonctionnement par groupes ou communautés pose la question de la coordination au sein de Valeo (logique many-to-many) et de l’orientation des actions vers les objectifs stratégiques. Les RM peuvent représenter des hubs d’information et de connaissances qui doivent être agrégés au niveau de la stratégie des acteurs en travaillant sur différents types d’indicateurs visibles selon les objectifs et acteurs en distinguant le niveau micro/ méso/macro (personnalisation des tableaux de bords et des indicateurs selon cette logique de niveau). LE CAS DE DREAM ORANGE – DES « BULLETINS BOARDS » NOUVELLE GÉNÉRATION : UTILISER LE WEB 2.0 POUR REPENSER LES MODALITÉS ET LES CONTENUS DE LA RELATION CLIENT On résume souvent le 2.0 à l’introduction, l’extension voire la généralisation dans l’entreprise de pratiques collaboratives et communautaires13. Le périmètre est bien sûr étendu aux clients, fournisseurs et autres parties prenantes de l’entreprise, de sorte que la relation client devient, elle aussi – et peut-être, dans bien des cas, avant l’entreprise elle-même – une relation « 2.0 ». La relation 13 Voir plus loin dans le présent rapport la partie consacrée au Web 2.0 en univers gouverné. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 67 client s’inscrit aujourd’hui, et depuis une vingtaine d’années, dans une logique plus personnelle, permanente, complexe et enrichie. Non seulement l’entreprise, ses vendeurs, ses clients sont concernés mais aussi les usages et leur évolution et, à travers ces usages, la dimension de responsabilité sociale, d’intégration du client dans une boucle qui dépasse la relation marchande au sens strict d’une transaction d’affaire. Comment alors penser des dispositifs intermédiaires, hybrides, qui permettent un développement des usages dans lequel entreprise et clients sont aussi partenaires, sans pour autant que la relation soit uniquement centrée sur l’offre de l’entreprise et son achat par le client, ni que les informations et connaissances produites par le client dans le cadre de ces dispositifs semblent « confisquées » au seul profit d’un intérêt mercantile ? On voit ici que le « 2.0 » prend un tour plus sophistiqué que la simple plateforme d’échanges et mêle de manière plus complexe le formel et l’informel, de dirigiste et le laisser-faire. Un tel dispositif suppose un pilotage subtil, son positionnement n’est pas immédiatement compréhensible par les différentes parties prenantes, les résultats qu’il produit doivent amplifier, réalimenter, faire progresser un certain nombre de processus. Se pose bien sûr, au passage, la question des systèmes d’information, tant en termes techniques d’architecture support et d’interopérabilité qu’en termes organisationnels et managériaux : on devine que si le dispositif est hybride et qu’il ne correspond pas à des configurations connues, alors les rôles, les métiers, les modes de coordination, la division du travail seront également nouveaux. Dans le cadre du projet ANR, « L’entreprise face aux mondes virtuels », démarré en 2009, en collaboration entre le laboratoire Dauphine Recherches en Management et Orange Labs14, une expérience inédite de conception innovante a été mise en place à partir du 14 Les autres partenaires du projet ANR étaient la RATP, Fabernovel et la FING. Au sein de DRM, c’est l’équipe M-Lab, dirigée par Albert David, qui était impliquée. 68 L’impact du Web 2.0 sur les organisations concept initial de « café numérique ». Ce concept a été, à l’issue d’une première phase de recherche, défini comme suit : « Une entreprise qui voudrait accompagner le développement des usages des services qu’elle vend à ses clients, une entreprise qui voudrait vendre durablement et accompagner ses clients dans leurs parcours d’usage, parce qu’elle parie que c’est une stratégie gagnante, économiquement et socialement : cette entreprise connaît les usages de ses clients pour bâtir un discours commercial efficace et une stratégie d’accompagnement empreinte de proximité. Elle se dote d’un dispositif appelé “café numérique” ». Cette formulation est loin de l’image classique du café : il fallait naturellement éviter le piège du café numérique comme un simple café virtuel, avec une salle, des tables, des chaises, des clients, des serveurs et des boissons simplement transposés dans Second Life sous forme d’avatars et d’objets virtuels. La seconde phase a consisté à étendre des pratiques de bulletin board15, relativement récentes chez Orange et mises en œuvre sur le site dreamorange, pour rendre concret ce « café numérique ». Un bulletin board – pour désigner cette fois une séquence cohérente d’échanges sur un thème – se déroule de la façon suivante : − un thème est choisi – par exemple « les papy-Webbers », « la vie des pros ». Ce thème peut venir de la « communauté des dreamers » (les internautes membres de Dream Orange, au sens où ils ont été candidats et éventuellement retenus pour participer aux bulletin boards précédents), soit que des idées intéressantes aient été exprimées explicitement, soit que l’animateur des bulletin boards (BB) ait inféré des concepts intéressants à partir des discussions. Le thème peut aussi venir du département Marketing, 15 Un bulletin board – littéralement : tableau d’affichage – est un système qui permet de dialoguer par « bulletins électroniques ». C’est le format usuel de matérialisation des contributions sur les forums et autres plateformes électroniques de communication et d’échange. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 69 qui interpelle les responsables des BB : « concevez un dispositif de développement des usages pour les personnes âgées qui n’y connaissent rien » (d’où le BB sur « les papy-Webbers »). Il peut, en troisième lieu, y avoir des besoins en connaissances au-delà des études marketing : par exemple, sur le « cloud computing » (d’où le BB : « l’informatique dans les nuages »). Les BB peuvent aussi être l’occasion de tester des prototypes ou des ß-versions de dispositifs innovants ou techniquement complexes (une chorale virtuelle, par exemple, ou « les carnets du Web », qui ont été un thème de BB avant de constituer un élément du café numérique… qui a lui-même fait l’objet d’un BB) ; − le BB est alors lancé. Des internautes sont recrutés – une vingtaine, en général. Il faut créer une histoire qui fasse sens, pour susciter des contributions à la fois spontanées et intéressantes. L’animation est un facteur clé : le rôle de « garçonne de café » (c’est la conceptrice des BB, inventeuse du concept de café numérique tel qu’exposé plus haut, qui est aussi l’animatrice) est central : écouter, relancer, rebondir, capitaliser, concevoir au fur et à mesure les différentes « vagues de discussion » qui composent progressivement le BB. C’est évidemment là un des facteurs qui différencient fondamentalement un BB d’une étude marketing, en tant que dispositif d’écoute et de co-production de connaissances entre l’entreprise et, non pas ses clients, mais des citoyens qui peuvent contribuer à une discussion sur les usages. Le fait de vendre des produits et des services n’est pas, à ce stade, l’objectif central. Il faut d’ailleurs se garder de paraître vouloir le faire, la participation des internautes devant rester relativement désintéressée16. Mais les discussions sont toujours liées à la vie numérique, et la « garçonne de café » n’oublie jamais qu’elle travaille chez Orange ; 16 Ils peuvent recevoir des bons-cadeaux, pour des montants modiques. 70 L’impact du Web 2.0 sur les organisations − un BB dure deux semaines. Environ 25 BB ont eu lieu en 2010. Pour certains, comme « Bien dans son assiette », il y a eu plus de 200 candidats (une trentaine sélectionnés). L’animation est relativement asynchrone : les participants ne se répondent pas nécessairement beaucoup les uns aux autres, mais une attention particulière est accordée aux contributions originales : aucune « moyenne » ou « représentativité » n’est recherchée. 80 % des participants se trouvent être des clients d’Orange. Alors que l’Ile Orange sur Second Life était supprimée, faute d’une performance et d’un intérêt suffisants, les BB sont devenus en peu de temps un maillon important de la relation client : − chaque BB fait l’objet d’un ou deux articles, accessibles à tous, et un rebouclage particulier est fait vers la communauté des dreamers ; − cette communication plus ou moins informelle sur les différents sujets donne en réalité une connaissance sociologique très forte ; − les « Carnets du Web », par exemple, thème de l’un des BB, sont aujourd’hui des documents qui sont distribués aux internautes par les antennistes et les installateurs d’offres Internet. Il ne s’agit bien sûr pas d’une plaquette papier : les installateurs installent dans les « favoris » sur les navigateurs des clients le lien vers les Carnets, sur le site dreamorange. « La vie des pros », autre exemple, est accessible sur la boutique en ligne Pro, des newsletters sont régulièrement envoyées aux clients ; − la démarche concerne et suppose la collaboration de tous les acteurs de la relation client : les commerciaux (portail de vente en ligne, les boutiques, les distributeurs indirects comme les antennistes), les innovateurs (R&D, Technocentre), le marketing (des services, des offres). En réalité, la collaboration est moins, à ce stade du développement du café numérique, une collaboration officielle entre les entités qu’une collaboration entre des acteurs de chaque entité qui partagent l’intérêt de la démarche. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 71 La qualité du pilotage est fondamentale, pour articuler avec pertinence et cohérence à la fois la structure relationnelle relativement complexe que supposent un tel dispositif et la finesse des processus de production de connaissances de tous ordres. L’ensemble constitue un dispositif 2.0 original, qui remplit une condition aujourd’hui reconnue comme nécessaire pour que les espaces virtuels puissent avoir un réel apport : le couplage étroit entre espaces virtuels et vie réelle, tant pendant le bulletin board (on y parle de sa vie quotidienne, on n’essaie pas de vivre une seconde vie dans un second univers, même si le sentiment de constituer temporairement une communauté peut préfigurer une sorte d’ « augmentation » du cadre de vie) que pour ce qui est d’en tirer des concepts et des connaissances actionnables, donc avec des applications concrètes. Les impacts sur l’organisation sont nombreux. Il se peut que l’entreprise parvienne à trouver une façon de coordonner ses entités existantes telle que la « structure BB » produise des résultats qui essaiment assez naturellement dans l’organigramme. Cela suppose que la division du travail que traduit l’organigramme puisse intégrer ces nouveaux éléments de connaissance et créer les capacités supplémentaires qui sont nécessaires pour les prendre en compte. À défaut, sous les BB, pourraient bien émerger des stratégies qui seraient ignorées ou freinées par les acteurs en place et les routines défensives qu’ils mobilisent plus ou moins consciemment, la division établie du travail résistant à la configuration implicite portée par ces dispositifs 2.0 de « café numérique ». LE CAS BOUYGUES TELECOM : L’INTRANET À L’ÈRE DU 2.0 POUR UN MEILLEUR TRAVAIL COLLABORATIF ET UN PARTAGE DE BONNES PRATIQUES Bouygues Telecom est un opérateur de télécommunication (téléphonie mobile, téléphonie fixe, TV et accès à Internet). Créé en 1994, 72 L’impact du Web 2.0 sur les organisations BT compte fin 2010 : 10,5 millions clients Mobile, 525 000 clients Fixe et 9 000 collaborateurs. Contexte de l’entreprise 2.0 chez Bouygues : le réseau social traverse les 5 métiers du groupe Il y a plusieurs enjeux communs aux différentes activités du groupe Bouygues tels que le développement durable, les démarches QSE (qualité, sécurité et environnement), le green IT, les achats responsables, l’innovation, les RH, le juridique et la finance. Ces sujets traversant les 5 métiers du groupe (Bouygues construction, Bouygues Immobilier, Colas, TF1, Bouygues Télécom). Pour échanger sur ces différents thèmes transverses et capitaliser sur les bonnes pratiques, le groupe a recouru au réseau social interet intra-organisationnel en l’ouvrant à tous les collaborateurs et en accueillant des partenaires extérieurs invités à y contribuer. Focus sur Bouygues Telecom (BT) La société développe plusieurs outils de Web 2.0 au sein du projet « Wooby 2.0 ». Ce projet consiste en une refonte complète de l’Intranet de BT. Il constitue une mutation d’un portail Intranet traditionnel en une plateforme de services intégrés et d’outils collaboratifs : − Wooby portail : un agrégateur de contenu personnalisable ; − Wooby motion : le service de partage de vidéos ; − Wooby mobile : la déclinaison mobile de l’Intranet pour smartphone ; − Wooby Network : le réseau social interne. Les objectifs majeurs de cette refonte : − simplifier l’accès à l’information et décloisonner l’Intranet ; − favoriser l’efficacité des collaborateurs ; − faciliter la collaboration et le partage d’expertise. Mettons l’accent dans ce qui suit sur Wooby Network. Wooby Network est créé en mai 2010. C’est un réseau social interne inspiré de Facebook et de Viadeo. « Wooby » est le nom donné à l’Intranet de BT depuis 1999. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 73 « La problématique la plus forte qui s’est dégagée pour cet outil était de dire : nos employés vont de plus en plus sur Facebook que sur notre Intranet, il faut faire quelque chose ». BT a voulu avoir son Facebook en interne, ce qui lui permet de créer les communautés qu’il avait à l’extérieur et de les rapatrier à l’intérieur. Aujourd’hui, sur le Web, on ne rapatrie pas uniquement les informations ou les communautés, on rapatrie aussi les usages. Il y a des usages sur le Web qui sont très flexibles, très faciles à utiliser, il y a des fonctionnalités conversationnelles qui créent des usages faciles type Twitter pour faciliter et améliorer les échanges. Ce qui est important, c’est de rapatrier tous ces usages en interne et de faire en sorte que les utilisateurs aient envie de communiquer entre eux sur des sujets professionnels de manière très ludique et plus interactive… avec le Web 2.0, l’organisation est complètement déstructurée, surtout informelle, ce qui facilite les échanges » (consultante MOA Sharepoint chez Plaza-design)17. Utilité Le réseau interne Wooby Network a pour objectif de « mettre en relation les collaborateurs entre eux et leur donner la possibilité de partager et travailler ensemble sur des hubs communautaires » (responsable Intranet à la direction de la communication interne). C’est un outil d’échange de travail et de partage de bonnes pratiques : « Les membres échangent sur leurs différentes manières de travailler, sur les réponses apportées à des questions communes » (responsable Intranet). Développement de l’outil Des développeurs en interne se sont inspirés des réseaux sociaux utilisés par les salariés du groupe : Facebook pour l’aspect personnel, et Viadeo ou LinkedIn pour l’aspect professionnel. 17 Plaza-design est une Web agency spécialisée dans la conception et la réalisation d’interfaces graphiques de sites Sharepoint. Elle a participé au déploiement de Wooby Network. 74 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Fonctionnement L’inscription sur la plateforme se fait d’une manière volontaire et individuelle par la création d’un profil avec une description professionnelle et des centres d’intérêts. L’utilisateur peut aussi créer ou rejoindre des communautés à l’intérieur du réseau social (joindre une business unit ou un projet). L’infrastructure technologique de l’outil repose sur Sharepoint 2007 couplée à Newsgator. D’un point de vue technique, au départ, BT utilisait Sharepoint 2007 et il n’y a pas de notion de réseau social à l’intérieur de Sharepoint 2007, c’est pourquoi ils ont retenu la solution Newsgator. Toutes les fonctionnalités sont incorporées maintenant sur Sharepoint 201018. Les 9 000 collaborateurs du groupe peuvent accéder et créer des flux d’informations et les personnaliser avec des applications de type widgets. Cette évolution fait tomber la barrière entre la partie communication de l’Intranet et la partie collaborative et métier basée sur Sharepoint : « Nos développements vont plus loin que ce que propose Sharepoint. La fonction Wooby Push permet, par exemple, de remonter des contenus ou des alertes directement dans ses applications widgets » (la responsable Intranet). L’outil permet aussi de hiérarchiser et de faciliter l’accès aux contenus (indexation des contenus) : « Nous mettons en avant cinquante flux primaires au lieu de 300. Par ailleurs, nos 200 Webmasters ont optimisé le plan de classement et tagué les contenus pour qu’ils soient plus facilement accessibles avec le moteur de recherche de Sharepoint » (la responsable Intranet). Les développements s’orientent maintenant vers l’amélioration des accès mobiles. Un tiers des employés accèdent en effet chaque mois à l’Intranet depuis leur mobile. D’autres fonctionnalités sont 18 Sharepoint server 2010 est la plateforme Microsoft permettant la mise en œuvre de sites (sites d’équipes, communautés, gestion de contenu, recherche d’entreprise, portail décisionnel). Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 75 prévues telle que la mise en place d’une plateforme de création de blogs. Pour favoriser les connexions et les mises en relation, l’une des fonctionnalités de l’outil permet à l’utilisateur de visualiser le réseau en le situant par rapport aux collaborateurs autour (proximité, points et intérêts en commun sur le réseau) : « … plus la petite bulle est proche, plus vous avez des intérêts en commun. En cliquant sur la bulle, vous savez tous les mots clés utilisés pour taguer des documents, plus vous avez le détail des activités de l’utilisateur et vous savez pourquoi cet utilisateur est expert sur tel ou tel domaine » (consultante MOA Sharepoint chez Plaza-design). L’analyse de l’activité est en effet l’un des domaines qui intéressent les éditeurs de réseaux sociaux. L’outil fonctionne sur un mode déclaratif, basé sur les informations ajoutées par chaque utilisateur à son profil. Utilisation Après trois semaines de fonctionnement, 20 % des utilisateurs ont déjà créé au moins un onglet personnel et 13 000 widgets ont été installés. Parmi les 9 000 collaborateurs de BT en France, 7 000 ont accès au réseau. 700 ont créé un profil et 300 sont utilisateurs réguliers (6 mois après sa création). L’un des responsables souligne l’importance de la reconnaissance pour favoriser la participation des utilisateurs. D’autant plus que la participation à la rédaction de documents pourrait être un moyen pour améliorer son niveau d’expertise. Attitudes vis-à-vis de l’outil Un aperçu sur les attitudes vis-à-vis de l’outil lors de son adoption : − attitude des salariés vis-à-vis de l’outil : il n’y a pas de crainte d’être espionné au travail : « Pendant longtemps, toute la relation à l’entreprise a été très “top-down”, et beaucoup de salariés ont 76 L’impact du Web 2.0 sur les organisations pris l’habitude d’être passifs. » … « Cela ne traduit pas une peur de contrôle de la part des salariés » (responsable publications internes et Intranet). Le réseau social ne sert pas à contrôler les communications des collaborateurs ; − attitudes de la DG : au moment de l’initiation du projet, « la crainte était plutôt du côté de la hiérarchie, qui n’était pas familière d’un mode de communication aussi spontané, et plutôt habituée à une communication interne réfléchie et travaillée » (responsable publications internes et Intranet). Gouvernance Il existe différentes fonctions pour organiser les pratiques Web 2.0 au sein de l’entreprise, parmi ces fonctions : − un responsable de publications internes et de l’Intranet ; − un responsable Intranet ; − un responsable de l’entité Mobilité, Portails & Support Business au sein de la DSI (il a créé son propre blog ([Intwittable]). Concernant la gouvernance de l’outil pour faciliter sa structuration et son intégration au sein de l’entreprise, BT a créé un « comité 2.0 » et une charte d’usage posant des limites en cas de dérapage. Le « comité 2.0 » a été mis en place avec la DRH, la direction des nouvelles technologies et la direction des systèmes d’information. Le projet a été accompagné de la création d’une charte d’usage. « Cette charte ne pose pas d’interdit a priori, mais des limites a posteriori. Son cadre dépasse d’ailleurs le simple contrôle du réseau social interne. Elle pose certaines règles de bon usage d’Internet, concernant Facebook notamment. L’usage du site n’est pas interdit dans l’entreprise, mais il doit rester raisonnable » (responsable Intranet). Les entreprises françaises ayant déjà mis en place une charte d’utilisation des réseaux sociaux sont rares. L’adoption de ces chartes fait l’objet d’un débat. Certaines entreprises préférèrent laisser s’installer les nouvelles pratiques avant de les réguler. Les entreprises Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 77 partisanes utilisent les chartes comme outil d’accompagnement et de prévention des conflits. Tel était le cas de BT et d’Orange. Chez BT, la charte d’usage 2.0 a été rédigée en amont. Néanmoins, elle doit évoluer avec les usages. Selon le directeur de l’innovation de BT : « Il y avait à la fois une demande des utilisateurs les plus actifs sur les blogs, les forums, les wikis de préciser les règles du jeu et une volonté de la direction de promouvoir les usages 2.0 en s’appuyant sur une stratégie de laisser-faire et de faire-savoir » Elle a pour objet de préciser les droits et les obligations d’usage « je peux ?, je ne peux pas ? ». Plusieurs services de l’entreprise peuvent contribuer à la rédaction de la charte. Cette dernière peut être confiée légitimement au service initiateur du projet ou au centre de gravité du projet 2.0. Chez BT, les projets ont une dimension plutôt technologique. Alors la direction de l’innovation a été à l’initiative de la rédaction de la charte, avec la contribution du comité 2.0. Elle a été cosignée par les directions de l’innovation, la DSI, la DRH et de la communication. Elle n’a pas de valeur juridique du fait que la direction juridique ne fait pas partie des cosignataires : « Pour nous, la charte est plus un document de communication. Cependant, elle renvoie au règlement intérieur qui, lui, a une valeur juridique et comporte plusieurs parties sur l’usage des pratiques numériques dans l’entreprise » (responsable des publications et de l’Intranet à la direction de communication). Il n’y a pas de règles formelles de présentation des chartes. À la différence d’Orange, BT a opté pour une présentation très succincte pour tenir sur une seule page pour qu’elle soit « facile à appréhender d’un seul coup d’œil » (directeur de l’innovation). Les deux chartes se différencient sur la forme, mais se ressemblent sur le fond. Elles reposent sur la confiance accordée aux collaborateurs et sur le volontariat (libre adhésion). Un utilisateur est libre de participer et de créer des communautés sans validation 78 L’impact du Web 2.0 sur les organisations managériale. La charte de BT stipule que « les ressources logicielles et techniques doivent être utilisées à des fins professionnelles et non personnelles ». Elle repose sur le principe « confiance a priori, contrôle a posteriori ». Les restrictions sont précisées soit explicitement, soit renvoyées au règlement intérieur et à la politique générale de sécurité informatique. Les contenus doivent respecter les droits de propriété intellectuelle, les droits de personnalité et de l’ordre public. Ils doivent respecter la confidentialité et ne doivent pas porter atteinte à l’image de la marque ou du groupe. Les contrôles peuvent être effectués en prévenant au préalable les intéressés. Les sanctions sont prévues dans le règlement intérieur et se veulent à caractère préventif. Les cas litigieux relèvent surtout de la publication d’information à caractère confidentiel sur des réseaux comme Twitter ou Facebook. Sur les réseaux sociaux externes, le collaborateur s’exprime en son nom personnel et ne doit pas parler au nom de son entreprise, même en bien. La parole au nom de la marque est un domaine réservé au community managers ou aux conseillers Web. La distinction de la frontière entre le privé et le professionnel est une véritable expertise en plein développement. En cas de doute, le salarié s’adresse à son manager ou fait appel à des experts Web. LE CAS LOCKHEED MARTIN : « WHAT’S IN IT FOR ME? »19 Le Web 2.0 n’échappe à aucun secteur. Lockheed Martin (LM) est une société américaine cotée en bourse spécialisée dans l’aérospatiale, la défense et la sécurité nationale. Elle compte plus de 19 Source : présentation de Shawn Dahlen et Chris Keohane – Projet Unity de Lockheed Martin – @ Web 2.0 Expo Avril 2009, San Francisco. http://www.slideshare.net/chriskeo/enterprise-20-in-the-context-of-mission-successthe-lockheed-martin-story?from=share_email_logout3, [Dernier accès : 28/03/2010]. http://tropedesign.wordpress.com/2008/06/12/e20-last-day, [Dernier accès : 28/03/2010]. http://www.atelya.com/fr/presentation/blogue/les-technologies-20-jusque-dans-laerospatiale-le-cas-lockheed-martin, [Dernier accès : 28/03/2010]. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 79 140 000 employés et ses ventes en 2009 ont atteint les 45 milliards d’US. LM fabrique principalement des avions, des voitures et des navires à fins militaires. Le projet Unity est né en 2007 chez LM comme réponse au besoin accru de collaboration. Il s’agit de permettre le travail collaboratif à l’aide d’outils 2.0. Au départ, le projet devait durer 18 mois, cependant il a connu un grand succès et il a été maintenu jusqu’à maintenant. Ce projet inclut 54 000 ingénieurs sur un total de 150 000. L’objectif du départ du projet Unity consistait à changer la culture de dizaines de milliers de travailleurs via le passage d’un modèle de collaboration désuet – basé sur les emails, meetings et présentations PowerPoint – à un modèle de collaboration novateur basé sur les fondements de l’Entreprise 2.0. La plateforme possède les caractéristiques suivantes : − fondée sur trois produits : recherche sur Google, Windows sharepoint services et Newsgator ; − une base de données automatique qui collecte tags, relations, etc. ; − espaces : un espace personnel et espaces d’équipes (sharepoint) ; − dans chaque espace il est possible d’avoir des blogs, wikis et documents ; − mais il est possible aussi d’ajouter forums, bookmarks, reports, suggestions et une page d’accueil. Ce projet s’est fondé sur l’adaptation du Web 2.0 dans le contexte de la mission tout en gardant la dimension sociale. Ce projet repose sur quatre piliers qui ont été des facteurs clés pour la réussite du projet : − la garantie d’une expérience utilisateur agréable ; − la garantie d’une réponse au « what’s in it for me » de chaque utilisateur ; − l’équilibre entre le besoin de partager et le besoin de savoir ; − la promotion d’un écosystème social qui repose sur une plateforme intégrée. 80 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Ces piliers sont ressortis comme les facteurs clés de succès du projet. Cependant, aucun d’entre eux ne repose sur la technologie. Même si les technologies du Web 2.0 sont utilisées comme levier à cette transformation, ces dernières ne sont pas suffisantes pour le changement. En effet, le succès du projet Unity provient de sa nature « humaine ». La technologie n’est qu’un support au changement. Au cours de 2010, LM a poursuivi sa transition « 2.0 » avec le lancement du logiciel libre Eureka Streams. Complémentaire à la plateforme Unity, Eureka Streams vise à tenir informé près de 36 000 employés des flux d’activités organisationnels via les microblogs et les fils RSS. Cela permet, par exemple, à un employé d’être tenu informé de toute information relative au travail de ses collègues et des communautés de pratiques auxquelles il participe. LE CAS BRITISH TELECOM : L’UTILISATION DES MÉDIAS ET DES RÉSEAUX SOCIAUX POUR LA COMMUNICATION ET LE PARTAGE DE CONNAISSANCES20 Cette monographie est réalisée par CI Groupe sur la base d’observations de terrain et d’interviews avec Ross Chestney (Head of Communication Services de BTcom) et Richard Dennison, Senior Manager – Social Media BTcom21. Le groupe BTcom opère dans plus de 170 pays à travers le monde. Le groupe est l’un des leaders mondiaux dans le développement de solutions et de services de communication. Les activités du groupe portent principalement sur les services de réseaux de TI, sur les services de télécommunications et sur les produits et services Internet. Le groupe emploie plus de 100 000 personnes. 20 Source : Cas décrit à partir d’Allison Hill (2008), Carreer Innovation Groupe (CI Groupe) http://richarddennison.files.wordpress.com/2008/09/ci-digital-generation-bt.pdf 21 Richard Dennison tient lui-même un site Internet dédié au Web 2.0 et en particulier à l’expérience de BTcom. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 81 Le groupe a entrepris une stratégie d’adoption de technologies de type médias sociaux. L’objectif annoncé est de promouvoir l’efficacité et l’échange et de rendre l’environnement de travail plus stimulant et agréable. Les témoignages de deux managers du groupe, rapportés par Allison Hill (2008), indiquent que l’idée de base de cette orientation est le choix de stimuler la communication horizontale, l’implication et la prise d’initiative au sein de l’organisation. Il est intéressant de noter que la première phase de développement de l’entreprise 2.0 s’est appuyée sur un logiciel propre à un employé sans validation officielle par le service des SI. Ce logiciel est devenu la base de l’outil Wiki du groupe et a été utilisé comme pilote pour une plateforme de blogging. La monographie de « Carreer Innovation Corp. » distingue les pratiques de Web 2.0 suivants : − la collaboration organisationnelle au sein des équipes projets et au-delà : le partage d’informations et la collaboration sont favorisés par un outil appelé BTcom Collaborate. Cet outil est ouvert à tous les employés (information d’ordre général) et aux membres d’équipes projets (information spécifique). Des centaines de milliers de pages y sont disponibles ; − le blogging : les échanges sur les idées, les feedbacks sur les procédures organisationnelles et les réunions sont véhiculés au travers de blogs ; − les news en ligne : l’application utilisée est appelée « Your Space ». Les employés y rapportent tous types d’événements et d’annonces. On a enregistré plusieurs milliers d’annonces (hits) par mois ; − les réseaux sociaux : ils contiennent les fonctionnalités de contacts, de bookmarking social, de nouveaux feeds et de questions les plus fréquemment posées. Les catégorisations des contenus chez BTcom se font notamment par type de « compétences recherchées » ou de « centres d’intérêt » ; 82 L’impact du Web 2.0 sur les organisations − podcasting : il est observé que les poadcasts de type audio ou vidéo ont été moins utilisés que les autres outils Web 2.0 ; − les RSS et taggs : ils ont été jugés utiles par les utilisateurs étant donné le grand volume d’informations disponibles sur l’entreprise 2.0 de BTcom. Signalons à ce stade que BTcom avait combiné des logiciels et des applications à la fois de type open source, d’autres en vente par des fournisseurs spécialisés ou encore des outils développés en interne (Hill, 2008). Pour le directeur de la communication du groupe, le Web 2.0 est la technologie tant attendue pour permettre la création et le partage de la connaissance organisationnelle. Ici, Hill (2008) observe que BTcom avait opté pour une plateforme Web 2.0 essentiellement hébergée en interne puisque son domaine d’activité (les télécommunications) est très réglementé. Ceci a posé la question de la sécurité. Après trois ans d’utilisation des médias sociaux, les managers de BTcom, cités par « Carreer Innovation », soulignent que parmi les avantages de l’entreprise Web 2.0 figurent : − la facilitation de la collaboration organisationnelle ; − la promotion d’une culture de la transparence au lieu de celle « du non-dit » ; − la prise de conscience des managers de lacunes liées au style du management ; − la canalisation de la tendance des employés à passer du temps sur le Web en les orientant vers le Web 2.0 de l’organisation. UTILISATION DES TECHNOLOGIES WEB 2.0 ET WEB 3.0 POUR LA RÉSOLUTION DES PROBLÈMES SUR LES PLATEFORMES D’OPEN INNOVATION : LE CAS HYPIOS Hypios est une start-up française fondée à la fin de 2008 par une dizaine de personnes. Hypios représente une plateforme d’innovation Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 83 ouverte qui fonctionne comme un marché on-line pour la résolution des problèmes difficiles de R&D. Ce marché permet la réalisation de transactions entre les Seekers et les Solvers, transactions sécurisées par Hypios. Les Seekers sont les entreprises qui ont du mal à résoudre certains problèmes au sein de leur Recherche et Développement et qui utilisent la plateforme d’Hypios pour le « broadcasting » de leurs problèmes aux Solvers potentiels. Les Solvers sont des individus ou groupes qui se trouvent à l’extérieur de l’entreprise et qui ont plus de chance d’avoir une solution aux problèmes de l’entreprise. Le développement d’Hypios s’est déroulé en trois phases : la première était la conception et le lancement du site destiné à expliquer le concept en mars 2009 ; dans la deuxième phase, en juin 2009, la beta version du site Hypios.com a été lancée. Les premiers problèmes postés sur la plateforme ont été les problèmes propres d’Hypios afin de tester la plateforme. Finalement, en octobre 2009, la plateforme a été ouverte et les premiers problèmes ont été postés par des entreprises autres que Hypios. Actuellement, Hypios compte 20 employés en incluant les executives (les dirigeants). Description du processus de Hypios Le processus d’Hypios se déroule en trois étapes. La première étape est celle de la formulation du problème. Ainsi, l’entreprise décrit précisément le problème qui sera posté sur la plateforme et définit la deadline avant laquelle les Solvers doivent apporter leur solution. Puis, l’entreprise définit la récompense pour la meilleure solution. Dans la deuxième phase du processus, le problème est posté sur la plateforme d’Hypios. Après l’ouverture du problème sur Hypios.com, le problème est visible pour la communauté des Solveurs qui peuvent réviser la description du problème et soumettre une solution sur la plateforme. Dans la dernière étape, le Seeker fait la révision des toutes solutions soumises sur la plateforme et il fait le choix de la solution gagnante. Hypios est orienté seulement vers le succès, cependant si les solutions soumises ne remplissent pas 84 L’impact du Web 2.0 sur les organisations les critères définis par l’entreprise dans la première étape ou si la solution n’est pas applicable à l’entreprise, l’entreprise peut décider de ne prendre aucune solution et, dans ce cas, Hypios ne sera pas rémunéré. En revanche, si l’entreprise choisit la solution gagnante, il obtient un droit exclusif sur cette solution. Le processus d’Hypios est illustré dans le schéma ci-dessous : Figure 9 – Le processus d’Hypios en trois phases (source : www.hypios.com). Hypios représente une plateforme interactive, qui utilise les technologies Web 2.0 et Web sémantique pour avancer leur recherche des experts (Solvers) qui peuvent apporter des solutions aux entreprises (Seekers). Deux technologies importantes ont été développées par Hypios : Communauté des Solvers Solver Surfer La communauté des Solvers représente une technologie de réseau social pour leur permettre d’interagir les uns avec les autres. Le réseau des Solvers est très important pour la plateforme de l’innovation ouverte et pour Hypios car c’est le moyen par lequel les Solvers vont communiquer et partager des informations liées aux Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 85 problèmes postés et qui potentiellement conduiront à des solutions. Le réseau d’Hypios compte environ 120 000 Solvers, qui sont officiellement inscrits sur la plateforme. Hypios a développé la technologie de « smart crowdourcing », fondée sur le Web sémantique (Solver Surfer), afin de maintenir un haut niveau d’expertise et une certaine diversité dans son réseau de Solvers. Solver Surfer est une solution intelligente qui utilise la recherche avancée d’information pour trouver des experts sur le Web, et les inviter à résoudre les problèmes sur Hypios. Ainsi, cette technologie permet d’augmenter la capacité à résoudre des problèmes sur la plateforme puisqu’elle n’est pas limitée aux seules personnes inscrites. L’utilisation d’algorithmes sophistiqués « 3.0 » (Web sémantique) permet la recherche active sur le Web des personnes, groupes ou organisations les plus susceptibles d’apporter des réponses aux problèmes qui sont mis sur la plateforme, et ainsi de faire le ciblage très personnalisé des experts en capacité de répondre. De cette manière, Hypios pratique l’innovation ouverte par le développement du Web Social et des nouvelles technologies (Web sémantique) en mettant en contact les différentes parties qui ont intérêt à collaborer entre elles. Il nous semble donc que, grâce à ces technologies, le ratio de la résolution des problèmes postés sur la plateforme d’Hypios représente 50 %22. L’avantage concurrentiel d’Hypios est la technologie de Web sémantique. Elle permet de différencier l’entreprise des concurrentes en proposant un service de crowdsourcing intelligent correspondant au modèle Web 3.0 de la machine qui comprend les échanges et les données du Web. 22 Selon Lakhani, le « broadcasting » des problèmes scientifiques aux experts à l’extérieur résulte dans un ratio de la résolution des problèmes de 29,5 % pour les problèmes qui étaient auparavant restés non résolus à l’intérieur des laboratoires R & D. À voir : Lakhani K.R. et al., 2007, « The value of openness in scientific problem solving », Working paper, Boston : Harvard Business School. 86 L’impact du Web 2.0 sur les organisations II. CE QUE LES MANAGERS PENSENT Nous avons complété notre retour d’expériences d’une collecte de points de vue de managers de grandes entreprises. Plusieurs entretiens ont été réalisés sur la base de la grille figurant en annexe de cet ouvrage. Nous les retranscrivons ci-dessous. Naturellement, il s’agit d’un matériel discursif qui ne révèle pas nécessairement la position de l’entreprise des managers interrogés mais leurs positions personnelles sur les technologies du Web 2.0 compte tenu de leur expérience de ces technologies dans leur entreprise. CHEZ VALEO23 Résumé : synthèse d’un entretien réalisé le 11/03/2011 avec le responsable du déploiement des applications Google chez Valeo dans une optique collaborative entre les équipes qui sont dispersées géographiquement dans l’organisation. Valeo est une entreprise industrielle multibranches du secteur automobile (équipementier) qui dispose de plus de 30 centres de production dans le monde, ce qui représente plus de 70 000 salariés répartis dans plus de 25 pays différents. Son périmètre évolue en permanence au gré des rachats, cessions et partenariats avec des entreprises de la filière automobile. La culture d’entreprise est également très forte et propre au contexte qui la caractérise : culture du résultat, responsabilisation des individus, diversité très forte des profils compte tenu du mode de fonctionnement en entreprise étendue, accentuation de la dispersion géographique des équipes, recours à l’externalisation, sensibilité à la performance des services administratifs. La DSI de Valeo est en charge de mener une réflexion sur le déploiement d’applications du Web 2.0 en interne. Cette réflexion a été 23 Entretien avec Hervé Dumas, Group Office Information System Director chez Valeo et en charge du déploiement des applications Google. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 87 impulsée au départ par la Direction Générale dans une logique de programme informatique classique (management de projet) et dans la continuité des autres programmes déployés en interne dont certains visaient également à améliorer la collaboration et les échanges entre les équipes. Le Web 2.0 vu par l’interviewé Selon Hervé Dumas, le Web 2.0 peut se définir comme une focalisation plus forte sur les applications/services entre les utilisateurs : « Il transforme les usages avec des applications plus collaboratives, transparentes et rapides. » Ces applications permettent normalement « de diffuser la bonne information, au bon moment, aux bonnes personnes ». Le Web 2.0 est donc souvent mis en place sous un angle collaboratif. Une application en 2.0 doit ainsi se caractériser par sa facilité d’accès et d’usage. La principale caractéristique du Web 2.0 est qu’il agit sur 3 sphères interdépendantes, ce qui explique que ce soit un processus long et complexe : la sphère personnelle, la sphère d’équipe, et la sphère entreprise. L’objectif est alors de couvrir ces 3 sphères avec le Web 2.0, sachant que certaines applications existaient déjà dans l’ancien système de Valeo (messagerie avec Lotus Note, outils de feedbacks, Intranet, etc.). Le déploiement des applications Le choix des applications Google (Gmail, Google sites, flux RSS, etc.) s’explique par leur niveau de maturité par rapport aux problématiques internes de la sphère d’équipe. Cette sphère était la moins pourvue chez Valeo en termes d’applications et représente un cadre idéal de développement d’applications pour favoriser la collaboration. De plus, l’ancien système n’avait pas atteint le niveau de performance attendu dans la logique bottom-up et il y avait un besoin croissant en interne de plus de décloisonnement et de collaboration entre les différents services qui fonctionnaient encore en silos. Il est intéressant de noter que cela était aussi une demande des équipes de disposer d’outils collaboratifs. 88 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Le déploiement des applications s’est réalisé sur un principe « de découverte » pour les utilisateurs en partant du principe que « l’adoption se fait par les usages ». Cette logique de diffusion a évité certains problèmes classiques d’adoption et d’appropriation en SI. Les solutions ont été mises en place avec les outils Google par rapport à des problèmes clairement identifiés sur l’ancien SI (le problème a donc été repensé dans le nouveau système). L’écoute des clients externes et internes a été fondamentale dans le déploiement des applications selon Hervé Dumas. Il est nécessaire dans la phase de déploiement d’avoir une véritable stratégie de gestion du changement et donc de bien connaître les usages et les attentes dans les trois sphères. La culture et la manière de travailler en interne chez Valeo ont également été importantes pour les applications du Web 2.0 en préparant les comportements des acteurs et en constituant une base pour la DSI en termes d’adoption et d’utilisation (démarche structurée, culture du résultat, responsabilisation, autonomie, justification des écarts avec les standards globaux, etc.). Par ailleurs, si les applications créent de la valeur ajoutée et sont perçues comme « problem solvers », elles vont se propager naturellement dans l’organisation par les acteurs internes. Les applications du Web 2.0 fonctionnent aussi beaucoup sur le principe du « self-service » (exemple des Google sites chez Valeo qui ont été mis à disposition des acteurs et qui n’ont pas été imposés). Toutefois la dynamique de diffusion, même avec le Web 2.0, ne peut pas concerner tous les individus de la même manière. Il est important de « respecter les rythmes des individus » dans l’adoption des applications. La DSI a ainsi adopté une posture de propositions (sauf à certains moments clés dans le projet) car il est toujours préférable que les services viennent spontanément la solliciter. Valeo a pris soin de communiquer régulièrement sur les évolutions du système en prenant des références externes qui ont un impact Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 89 important à certains moments clés du projet de déploiement. Un travail classique d’évangélisation a été réalisé autour du Web 2.0 et du cloud computing. En interne, la notion de « stratégie 2.0 » a été utilisée pour signifier l’importance de ces applications et de leur intégration dans les processus. Les apports et impacts des applications du Web 2.0 Le Web 2.0 peut transformer les organisations mais cela est une « conséquence potentielle » car c’est un processus long et complexe. Les applications du Web 2.0 impactent les 3 sphères décrites ci-dessus et notamment la sphère individuelle qui prend plus d’importance. L’un des apports est donc la présence d’applications dans la sphère individuelle qui va aider à la pénétration des applications du Web 2.0 dans les deux autres sphères (équipe et entreprise). Un projet de création d’un portail personnel personnalisable pour chaque individu est en cours de développement chez Valeo. Il doit permettre d’utiliser des applications relevant des 3 sphères et d’évoluer vers un modèle idéal « multicanal et multimédia ». Il est nécessaire par ailleurs de tenir compte de la culture d’entreprise pour comprendre comment le Web 2.0 peut faire évoluer l’organisation et le management. Les applications liées au Web 2.0 tendent à poser la question de la gouvernance des organisations. L’organisation peut évoluer vers une « gouvernance du self-service » ou « une gouvernance inversée » : cela se traduit par une logique de valorisation et d’exposition des initiatives des acteurs de l’entreprise et réinterroge le management des équipes. En résumé, les applications du Web 2.0 mettent « les acteurs au centre du projet de l’entreprise ». Les applications du Web 2.0 interrogent aussi les logiques de sécurité des SI car chaque contenu et chaque sphère doivent désormais porter en eux le contrôle d’accès : « On n’est plus dans la sécurité des périmètres mais dans celle des objets dans leur contexte. » On a donc une jonction entre les usages et la conception des services 90 L’impact du Web 2.0 sur les organisations (exemple des Google sites et de la nécessité de descendre d’un cran en sécurisant l’accès à certaines données à l’intérieur même du site créé et pas seulement l’accès au site). Enfin, le phénomène du Web 2.0 favorise l’évolution de la DSI vers « moins de techniques et plus de fonctionnel », ce qui est une tendance forte depuis plusieurs années. La mission de la DSI chez Valeo est ainsi « d’accompagner la collaboration dans l’organisation ». CHEZ HYPIOS24 Comme nous l’avons indiqué précédemment, Hypios est une start-up qui propose, à partir du Web sémantique, une plateforme d’Open Innovation permettant la résolution croisée de problèmes dans une entreprise. Le Web sémantique ou Web 3.0 vu par l’interviewé Le Web sémantique repose sur l’idée que la connaissance est enchâssée dans les mots et très diffuse sur le réseau Internet. L’idée est que « la machine doit préparer et présenter la connaissance pour l’utilisateur » et pour ce faire, la nouvelle architecture plus riche du Web est constituée de « données structures » avec des marqueurs sémantiques. C’est une tendance de fond car les données sémantiques doublent chaque année sur Internet. Le Web 3.0 n’est pas une évolution du Web 2.0 selon Milan Stankovic. Ce sont plutôt deux couches parallèles du Web qui s’auto-alimentent entre elles. Dans le Web sémantique, on retrouve trois couches : un attribut d’un agent, une ontologie et une couche visuelle. Ces trois couches convergent vers l’évolution du mythe du « Web physique » dans lequel le Web fonctionnerait de la même façon que le cerveau humain. Il s’agit d’une évolution de la connaissance. Toujours selon notre interlocuteur, le Web 2.0 n’est qu’une réponse efficace aux 24 Propos recueillis pendant deux entretiens menés le 03 Mars 2011 avec Milan Stankovic, chercheur en Web sémantique et Paul Arthur Patarin, deputy CEO d’Hypios. Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 91 besoins de socialisation et d’interactivité entre les individus. Le Web 2.0 est principalement un Web social, il s’agit de générer l’interaction entre les utilisateurs alors que le Web sémantique est un traitement différent et plus intelligent des données. La plateforme La plateforme d’Hypios se situe dans une logique d’Open Innovation entre des « seekers » (les entreprises issues de différents secteurs qui sollicitent Hypios) et des « solvers » (les individus avec des compétences et des connaissances par rapport aux problèmes posés). La caractéristique de la plateforme est qu’elle s’appuie sur le Web sémantique pour identifier les individus susceptibles de répondre aux problèmes posés par les entreprises. Il existe en effet des « liens cachés » entre les disciplines qui peuvent être découverts avec le Web sémantique. Hypios recense environ 1 million d’experts dans différents domaines. L’une des évolutions de la plateforme est également une offre à destination de grandes entreprises ou de réseaux clos fermés (syndicat professionnel, ordre professionnel, etc.). Pour le dirigeant, et de manière un peu contre-intuitive, c’est une des conditions de succès de l’offre. Dans ces cadres plus fermés, la plateforme devient alors un outil de révélation des expertises (elle ne se réduit pas à un réseau social) et de structuration des savoirs, notamment quand la connaissance est distribuée. Pour ce faire, la plateforme est capable de créer automatiquement, à partir d’un problème, une ontologie qui met en évidence des domaines de connaissances non explorés et qui peuvent ouvrir des champs innovants pour la résolution du problème en question. L’un des avantages soulignés par l’un de nos interlocuteurs est également d’identifier les tendances émergentes dans les secteurs. Les premiers clients et retours d’expérience font apparaître plusieurs observations : − un intérêt très marqué des entreprises pour explorer des chemins nouveaux et différents de ce que les autres cherchent (approche d’exploration très poussée) ; 92 L’impact du Web 2.0 sur les organisations − le taux de résolution des problèmes est de 30 % sur la plateforme. Ce taux s’avère encore trop faible pour les fondateurs compte tenu du business model (l’une des explications réside, selon l’un de nos interlocuteurs, dans l’ergonomie du site Internet très perfectible) ; − il est nécessaire d’accompagner les seekers dans la démarche de formulation du problème pour maximiser les chances de résolution (les dirigeants ont parfois même été jusqu’à organiser des calls conférences entre les seekers et les solvers et estiment que c’est ce qui fonctionne le mieux). Il existe différents types de problèmes selon les entreprises et les situations. Les problèmes « théorisables » sont les plus adaptés à Hypios, c’est-à-dire ceux demandant une réflexion associant plusieurs expertises et qui sont plus génériques. L’entreprise se concentre donc désormais sur ce type de problèmes plus que sur les problèmes précis d’ingénierie par exemple qui trouvent peu de solvers sur la plateforme (plus le champ est précis et restreint, moins le nombre de solvers potentiels est élevé). La taille, la jeunesse et le manque de notoriété d’Hypios ont parfois été également des freins quant à l’utilisation de la plateforme par de très grandes entreprises. Les fondateurs ont cherché alors à mettre en avant des success cases pour démontrer l’efficacité de leur plateforme. Les apports et impacts des applications du Web 3.0 Le cas d’Hypios illustre que les entreprises sont matures pour des démarches d’Open Innovation car elles ont de plus en plus recours à l’externalisation et elles ont pris conscience que la solution peut se trouver en dehors de leur frontière. Sur le plan technique, la plateforme fonctionne mais il existe encore des marges de progrès concernant le Web sémantique car certaines données sur des sites « privés ou fermés » ne sont pas accessibles, or c’est parfois sur ces sites que se déclare l’expertise des individus Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 93 (exemple de Viadeo). Un des axes de recherche est également de mieux comprendre les intérêts des individus à répondre à un problème (incitations monétaires, non monétaires comme la réputation, la mise en relation entre experts…). Par ailleurs, il s’avère nécessaire pour les prestataires ou les plateformes de personnaliser leur offre et d’accompagner leurs clients dans cette démarche. Dans certains cas, Hypios a même été jusqu’à rédiger et à poster elle-même les problèmes de ses clients. Hypios réfléchit actuellement à développer une alliance avec un cabinet de conseil pour mieux accompagner et éduquer ses clients. Cette démarche d’accompagnement est importante car chaque problème est spécifique à l’entreprise et son domaine, d’où l’importance de bien le formuler, ainsi que les concepts adjacents qu’on peut y associer. L’une des principales difficultés a été également la culture des entreprises qui ont « du mal à ouvrir leurs portes surtout pour montrer leurs problèmes ». Le management interne des entreprises constitue un élément décisif dans l’utilisation de la plateforme car « les gens n’aiment pas dire qu’ils ont des problèmes ». À cela s’ajoute également l’identification du bon interlocuteur dans les organisations et la longueur des processus de décisions. III. SYNTHÈSE DE LA PARTIE II : REPENSER LE MANAGEMENT ET L’ORGANISATION DE L’ENTREPRISE Les différents cas d’entreprises présentés dans cette partie illustrent bien la variété des situations de gestion auxquelles les applications du Web 2.0 sont susceptibles de s’appliquer. Que ce soit de la relation client avec Starwood au pilotage de l’organisation avec Valeo en passant par le KM et les communautés de pratiques avec Bouygues ou Lockeed Martin, les cas soulignent l’importance 94 L’impact du Web 2.0 sur les organisations de la dimension organisationnelle dans le choix, le déploiement des applications et leur appropriation par les utilisateurs. Les impacts du Web 2.0 se situent ainsi à plusieurs niveaux et concernent de toute évidence les processus métiers dans leur ensemble. Bien que la dimension technique reste importante (choix des applications, interopérabilité, coût, standards, sécurité des données…), cette dernière tend à devenir insuffisante pour comprendre les mécanismes de transformation induits par le Web 2.0. On constate que les nouveaux usages ancrés dans les applications du Web 2.0 ne peuvent se départir d’une réflexion sur le management et l’organisation de l’entreprise. Plusieurs hypothèses se dessinent ainsi à la lecture des différents cas et feront l’objet d’une réflexion plus approfondie dans les parties suivantes : − l’évolution des technologies se réalise souvent à partir des pra- tiques et des usages opérationnels internes à l’organisation sans que cela ne soit forcément planifié par un organe de direction (DSI, direction fonctionnelle) et conduit à une réflexion sur la manière finalement de légitimer et d’optimiser ces nouvelles pratiques (Bouygues, LM) qui y sont associées dans un souci récurrent et nécessaire de « performance ». Cela revient à imaginer de nouveaux dispositifs pour « enchâsser » dans l’organisation des pratiques émergentes porteuses de valeur ajoutée (comment passer de l’outil de gestion au dispositif de gestion qui est plus intégré) mais également à une réflexion sur l’alignement des initiatives autour du Web 2.0 et de la stratégie de l’entreprise ; − l’accentuation du recentrage sur l’individu comme entité amor- cée depuis quelques années en SI dans une logique systémique, concentrique et réticulaire (mes collègues proches du service, des autres services, mes communautés, mon département, mes supérieurs hiérarchiques…). Cette évolution nécessite une plus forte contextualisation des applications selon les situations et une adaptabilité des interfaces, la personnalisation des fonctionnalités Web 2.0 et organisation : retours d’expériences 95 ou des applications n’étant sans doute qu’une première étape vers plus de collaboration et moins de cloisonnement comme chez Valeo ou Bouygues (on part de l’individu pour améliorer le collectif) ; − la dimension métier se renforce et s’étend avec et au travers du SI et, comme on peut le voir avec Orange ou Starwood, elle peut même aller jusqu’à explorer des interstices entre les fonctions de l’organisation qui étaient encore vacantes ou entre des champs encore jusqu’ici peu ou pas interconnectés, comme avec la plateforme d’Hypios. Cela peut s’avérer déstabilisant pour les organes de direction et les managers car cette évolution met en lumière aussi les limites de l’organisation, par exemple sur ses propres connaissances ou compétences, voire même jusqu’à son management. La réflexion sur les capacités et compétences de l’entreprise devient alors essentielle à l’intégration des applications du Web 2.0. − Enfin, l’augmentation de la complexité organisationnelle par l’accroissement rapide des flux d’informations et des capteurs de données soulève deux problématiques : d’une part, la capacité à récupérer, trier et croiser les informations pertinentes et, d’autre part, la capacité de l’organisation à leur donner du sens dans des logiques métiers qui sont encore à géométrie variable. L’apport du Web sémantique est l’une des réponses, par exemple, mais sans doute pas la seule en matière de structuration des données et de connaissances. Partie III Le Web 2.0 en univers gouverné 3 Le Web 2.0 en univers gouverné Dans cette partie qui fera office de synthèse, nous interrogeons le Web « 2.0 » de façon à intégrer dans une même conception les approches centrées sur les communautés et réseaux sociaux émergents, les ressorts et enjeux de gouvernance des organisations et la dimension systèmes d’information. Nous montrons ensuite comment les « univers gouvernés », s’ils adoptent les pratiques du 2.0, doivent intégrer une « fabrique » différente de l’intelligence collective au travers de groupes émergents, comment ils doivent s’adapter à la coopétition et à l’interopérabilité et maîtriser le langage de la collaboration étendue, et comment le 2.0 peut permettre de cultiver des champs de création de valeur pour le futur. Des idées reçues et de fausses évidences autour de la hiérarchie, du participatif communautaire et de l’émergent sont revisitées, et quelques enjeux critiques pour le « passage au 2.0 » identifiés : associer one-to-one et many-to-many, mobiliser le collectif, valoriser une organisation « méta-dimensionnelle » et valoriser et protéger l’individu. Pour « piloter le nuage », le système d’information est central et nous faisons l’hypothèse que l’enjeu pour les DSI est de pouvoir progresser dans la maîtrise de quatre leviers : le pilotage multidimensionnel et les référentiels enrichis, la gestion des communautés, la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, le pilotage des capacités organisationnelles 100 L’impact du Web 2.0 sur les organisations I. COMMENT PILOTER UN NUAGE ? L’objectif de cette partie est de proposer une vision du 2.0 en entreprise, qui permette de mieux articuler le « communautaire émergent », qui caractérise centralement le modèle du Web 2.0, avec les ressorts des univers organisationnels plus gouvernés. L’introduction de pratiques « 2.0 » en entreprise (cf. les cas étudiés précédemment) repose sur des évolutions des systèmes d’information qui peuvent sembler minimes au départ – il suffirait d’introduire une « couche collaborative » dans le SI existant. En réalité, elles entraînent des transformations importantes dans la représentation de l’organisation et les paradigmes du pilotage de gestion : ontologie de la gouvernance et des structures, modélisation et gestion de « groupes complexes », principes et modalités d’actualisation de l’émergent en planifié, de l’informel en formalisé. Si le mandat d’une organisation gouvernée est avant tout de gérer des processus de déploiement de la stratégie et d’optimiser l’engagement des moyens au service des objectifs stratégiques qui l’animent, nous tenterons donc d’éclairer ce qui pourrait lui permettre de « piloter le nuage », de stimuler sa création de valeur, de mobiliser ses équipes à l’aide du 2.0 et d’en maîtriser l’utilisation. L’entreprise en réseau (Castells, 1998) est un modèle organisationnel qui précède la généralisation des outils et procédures qui permettent de rendre ce modèle effectif à grande échelle. Le réseau est d’abord une configuration organisationnelle. C’est ce qui explique la rapidité des interactions avec les systèmes techniques (Web, puis Web 2.0) qui apparaissent de manière concomitante et viennent concrétiser encore les dispositifs de gestion et l’imaginaire du réseau25. La dualité des technologies, dans la lignée notamment des travaux de Giddens sur la structuration, a été étudiée il y a 25 Sur les rapports généraux entre histoire et imaginaire, voir par exemple Legoff (1986). Sur la concrétisation des objets techniques, voir Simondon (1958). Le Web 2.0 en univers gouverné 101 une quinzaine d’années sur le domaine des systèmes d’information (Orlikowski, 1992). De même, le débat outil-structure s’est-il nourri d’un certain nombre de travaux sur les outils de gestion et leur interaction avec les organisations (Hatchuel et Molet, 1986 ; Moisdon, 1997 ; David, 1998 ; de Vaujany et al., 2006 ; Aggeri et Labatut, 2010). Dans ce contexte de double évolution organisationnelle et technologique, et comme nous l’avons étudié dans la première partie, une littérature abondante est consacrée au Web 2.0 (Musser et O’Reilly, 200626), dont l’entreprise 2.0 (McAfee, 2009.) est la traduction en organisation. De multiples exemples sont donnés d’adoption d’outils Web 2.0 dans des organisations de divers types, de l’entreprise (McAfee, 2009 ; Roulleaux Dugage, 2008) au gouvernement (Meijer et Thaens, 2010) ou à la science27. Dans la plupart des cas, les auteurs listent les outils du Web 2.0 et élaborent, le plus souvent en prenant appui sur ce que font des entreprises pionnières, les avantages du passage au 2.0. Mais, mis à part les cas des entreprises pionnières citées, ces travaux prennent rarement comme point de départ un univers gouverné réel. Ils ont tendance à faire un diagnostic de l’existant qui met a priori l’accent sur les limites des structures classiques. Ils négligent le fait que beaucoup d’informel et de communautaire existe dans les organisations. Les organisations hiérarchiques sont ainsi stylisées comme nécessairement dépassées, et c’est à l‘aune de cette simplification que sont avancés les arguments en faveur du passage au 2.0. Des auteurs aujourd’hui classiques (Follet, 1924 ; Barnard, 1938 ; Blau et Scott, 1962) l’ont 26 Pour la petite histoire, on attribue généralement le terme Web 2.0 à Dale Dougherty de la société O’Reilly. Certaines sources indiquent un article de DiNucci intitulé Fragmented Future, publié en 1999. 27 L’expression « science 2.0 » devient populaire (à titre indicatif, le mot-clé donne 400 000 entrées sur Google (9/2/2011). En revanche, les bases académiques ne contiennent que 8 (Business Source Elite + Econlit) et 39 (Science Direct) articles contenant l’expression, et aucun si l’on considère seulement les titres des articles. 102 L’impact du Web 2.0 sur les organisations depuis longtemps relevé : rares sont les organisations qui seraient « entièrement 1.0 », c’est-à-dire purement mécanistes au sens de Burns et Stalker (1961). Cela reviendrait à prétendre que les plateformes sociales émergentes (emergent social platforms) n’existent que depuis que des architectures logicielles (emergent social software platforms) existent pour les « supporter », ce qui est historiquement et généalogiquement contestable. Le Web 2.0, qui a envahi la sphère privée au travers des réseaux sociaux et des applications comme YouTube, Flickr, Skype, Google Apps, Twitter, Facebook ou Wikis de divers types, a beaucoup modifié la relation de l’individu à son environnement social. Introduit en entreprise, il peut donner à chaque collaborateur la possibilité de contribuer, créer, échanger, amender, savoir, dire, évaluer… mais aussi d’exister davantage qu’auparavant au-delà de sa place dans l’organigramme. Quels rôles nouveaux pour les managers, quelle nouvelle définition de mission pour la gestion de collaborateurs connectés au « nuage » ? De quels moyens se dote l’organisation pour orienter les choix de ses managers quant aux pratiques collaboratives de leurs équipes et à la gestion de la valeur émergente qu’ils contribuent à créer ? II. LA GOUVERNANCE DE L’ÉMERGENT Comme nous l’avons évoqué dans les paragraphes précédents, le « 2.0 » fait une large place aux structures émergentes. Or, la plupart des organisations professionnelles, celles au sein desquelles on voudrait mettre en place des pratiques « 2.0 » sont des organisations gouvernées. Par « organisation gouvernée », nous entendons, bien que les deux termes « organisation » et « gouverné » puissent sembler redondants, une organisation dotée d’une structure formelle, c’est-à-dire non entièrement émergente, et visant à atteindre un objectif prédéterminé. Nous considérerons donc des structures au Le Web 2.0 en univers gouverné 103 sens classique du terme plutôt qu’au sens interactionniste (Desreumaux, 1998)28. Nous nous focaliserons, de surcroît, sur des situations de gestion au sens de Girin : « Nous dirons que nous sommes en présence d’une situation de gestion chaque fois qu’à un ensemble d’activités en interactions est associée l’idée d’activité collective et de résultat faisant l’objet d’un jugement ; [nous dirons que] des agents sont engagés dans la situation de gestion lorsqu’ils se reconnaissent comme participant à des degrés divers à la production du résultat » (1983). Dans une organisation gouvernée, les managers doivent organiser les ressources qui leur sont confiées pour atteindre les objectifs fixés. Or le Web 2.0 peut modifier profondément toutes les dimensions de ce management : l’organisation, les ressources, les modes de conception, la nature et les modes de détermination des objectifs, la gestion des espaces et des temporalités. UNE « FABRIQUE » DIFFÉRENTE DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE AU TRAVERS DE GROUPES ÉMERGENTS En démultipliant les échanges d’informations, en rendant transverses les processus, en autorisant des émergences entretenues à grande échelle, mais aussi en gommant les frontières entre les sphères privées, personnelles, professionnelles, sociétales, le 2.0 fait naître une nouvelle culture et de nouvelles pratiques, où l’intelligence collective le dispute à la consigne individuelle, où la légitimité des acteurs est plus complexe et davantage discutée. Sur un plan général, tout mouvement de décloisonnement va dans ce sens : par exemple, lorsque Christian Blanc modernise la structure de la 28 Définition classique : « La structure est une configuration formelle de rôles et de procédures, officiellement consacrée, et destinée à orienter les comportements des membres de l’organisation en spécifiant ce qu’ils doivent faire et ce qui sera récompensé. » Définition interactionniste : « La structure est l’ensemble des régularités dans les comportements des acteurs, tels qu’ils sont observables au cours du temps » (1998, p. 37). 104 L’impact du Web 2.0 sur les organisations RATP (David, 1994), au début des années 90, il impose une structure plus décentralisée, mais avec une intégration plus forte (« Je suis ici pour permettre les émergences. », déclare-t-il à son arrivée dans l’entreprise). Mais les technologies du Web 2.0 permettent, en principe, d’envisager une « gestion des émergences » sur un périmètre beaucoup plus large, et d’une manière plus intensive. Le premier défi pour le management est de canaliser cette énergie nouvelle et d’en tirer le meilleur parti, sans que cela signifie nécessairement que ce qui est produit par des pratiques « 2.0 » soit purement et simplement réintégré dans du « 1.0 ». Le mode projet, par exemple, avait revisité les structures des organisations autour d’une nouvelle gouvernance, centrée, pour chaque projet, sur l’atteinte d’un objectif collectif légitimé par la Direction (Clarke et Fujimoto, 1991 ; Wheelright et Clarke, 1992 ; Midler, 1993 ; Garel, 2003). C’était un premier niveau de révision des pratiques de management, qui n’avait pas besoin des outils du 2.0 pour exister, mais dont on peut souligner plusieurs caractéristiques que le 2.0 amplifie : la multiplication de communautés « uniques » (par l’objet dont elles s’occupent), l’émergence de pratiques transverses, la difficulté, pour les managers, de gérer « l’évasion » des ressources qu’ils ont en responsabilité sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas en totalité, l’individualisation des parcours et des profils, la nécessité de travailler sur des objets intermédiaires de conception et grâce à des plateformes organisationnelles (dans certaines industries : des maquettes et des plateaux techniques, par exemple). Avec la généralisation des pratiques 2.0, il ne s’agit plus seulement de commander une structure aux contours bien définis, mais de superviser un ensemble de risques, de conduire la progression vers un objectif stratégique global. On trouvait déjà, avec l’invention et la mise en œuvre du management par objectifs et auto-contrôle dans les organisations multidivisionnelles (Drucker, 1944 ; Chandler, 1962), ce type de problématique de pilotage des grandes organisations : Le Web 2.0 en univers gouverné 105 chaque grand mouvement d’évolution des structures réinterroge, en effet, l’articulation entre différenciation et intégration déjà théorisée par Lawrence et Lorsch (1967). S’ADAPTER À LA COOPÉTITION ET À L’INTEROPÉRABILITÉ Les révisions fréquentes des chaînes de valeur, les standards Internet, la dématérialisation des échanges, la mondialisation ont contribué à créer les conditions favorables à une plus grande interopérabilité des ressources, des systèmes et des informations. Depuis plus de 10 ans, n’importe quelle entreprise peut connecter son système de supply chain avec un client ou un fournisseur à l’autre bout du monde, et les applications et pratiques de conception interagissent sur toute une filière. Le Web 2.0 autorise désormais l’émergence de réseaux informels et de coopérations innovantes audelà de l’organisation, créant de nouveaux actifs dont la propriété et le statut au regard du droit commercial sont parfois difficiles à déterminer (ce qui n’est pas forcément un obstacle, mais peut comporter des risques). Comme toujours lorsque de nouveaux agencements organisationnels deviennent possibles, les organisations performantes sont celles qui sauront le mieux utiliser cet écosystème plus ouvert, plus « coopétitif », où la frontière entre symbiose et parasitisme dans les relations entre partenaires doit être régulièrement analysée. Pour étendre à des communautés émergentes ce qui s’applique habituellement à des divisions au sein de structures multidivisionnelles aujourd’hui classiques, il faut évidemment revisiter les pratiques de pilotage et de collaboration. MAÎTRISER LE LANGAGE DE LA COLLABORATION ÉTENDUE Pour assurer cette collaboration étendue et la gestion d’une quantité sans cesse croissante d’informations, le Web 2.0 impose de simplifier l’accès et la compréhension des objets manipulés. C’est à ce titre que la maîtrise des problématiques de recherche 106 L’impact du Web 2.0 sur les organisations (moteurs de recherche, de règles et d’orchestration, outils d’indexation, annuaires), de méta-données (tags, chorégraphies, registres du Dublin Core29 (2001)) et de référentiels (privés ou normés, taxonomies ou folksonomies30) est un enjeu clé. Maîtriser un espace sémantique, définir la manière de décrire un champ d’informations ou les attributs descriptifs d’un objet revient en définitive à amener le « Many » à adopter un langage, une forme d’esprit, une vision structurante. Telle organisation gouvernée qui souhaite dominer un domaine ou influencer son évolution aura sans doute intérêt à connaître et maîtriser les acteurs qui en définissent la taxonomie. Observer les tags et la folksonomie retenue par des communautés de pratique, enrichir son contenu et aider à sa structuration peut s’avérer très riche pour analyser « en avance de phase » un champ d’innovation. On voit d’ailleurs émerger des firmes spécialisées qui proposent une structuration d’un secteur d’activité et en deviennent les pourvoyeurs d’information de référence31. CULTIVER DES CHAMPS DE CRÉATION DE VALEUR POUR DEMAIN Les actions quotidiennes des managers visent à rendre aussi efficaces que possible les processus de création des objets produits par les organisations gouvernées, qu’il s’agisse de biens de consommation ou de production immatérielle ou de service. Cette optimisation garantit un bon rendement, une bonne création de valeur pour l’organisation gouvernée. C’est en tout cas à cette aune qu’est généralement évaluée la production de valeur d’aujourd’hui. 29 « The Dublin Core Metadata Initiative, or “DCMI”, is an open organization engaged in the development of interoperable metadata standards that support a broad range of purposes and business models » (source : http://www.dublincore.org). 30 « Folksonomy: A user-created bottom-up categorical structure development with an emergent thesaurus » (Vanderwal, 2004). 31 Par exemple : JDPower pour les biens de consommations ou Hackett pour les benchmarks. Le Web 2.0 en univers gouverné 107 Certaines organisations vont également mettre en place des processus d’optimisation de leurs fonctions de développement et d’innovation (Lemasson, Hatchuel et Weil, 2006), optimisant ainsi la création de valeur innovante. Si l’on observe maintenant les échanges utilisant les supports du Web 2.0, on peut y trouver des recherches d’optimisation « classiques » (productivité et pertinence du média) sur des objets dont on peut supposer qu’ils sont déjà décrits dans le référentiel de l’organisation (ou qu’ils pourraient l’être). On trouvera aussi de la perte de temps (au vu des objectifs de l’organisation gouvernée), du slack (part acceptable de relâchement, améliorant au final la productivité, mais sans objet propre), mais on observera aussi de l’activité créatrice, de la co-conception sur des objets non encore identifiés, soit parce que l’organisation ne les connaît pas encore, soit parce que ceux qui travaillent dessus n’ont pas su trouver leur description dans les référentiels existants. Une partie au moins de ces objets peut être considérée comme la première expression de la création de valeur pour demain. En résumé, si la maîtrise des processus fournit la valeur actuelle, les processus 2.0 permettent l’émergence d’une partie de la valeur future. C’est donc un enjeu pour les managers de l’organisation gouvernée que de les capter, les suivre et les intégrer à la chaîne de valeur lorsque c’est pertinent. Cela était déjà vrai avant les outils du Web 2.0, mais les possibilités du 2.0, le phénomène de mode autour de ces outils, et les impératifs d’une gestion efficace des connaissances légitiment ce retour sur la question de l’intégration des connaissances, y compris celles qui sont produites en excès32. 32 Sur cette question de la réutilisation des connaissances produites en excès, notamment dans les processus d’innovation, voir Lemasson, Hatchuel et Weil (2006) et Lemasson (2001). 108 L’impact du Web 2.0 sur les organisations III. WEB 2.0 ET MYTHES DE L’ORGANISATION PARTICIPANTE Le Web 2.0 dans les organisations est, pour partie, sous-tendu par une philosophie managériale commune avec celle fondant les dispositifs de management participatif hérités de travaux anciens qui mettaient en avant les propriétés vertueuses des organisations participatives par opposition aux organisations hiérarchiques et centralisées. Il est utile de comprendre les ressorts mais également les limites de cette approche de façon à enrichir la place et les enjeux liés aux outils de Web 2.0 tels qu’ils peuvent être mobilisés dans les organisations. Les dispositifs de management participatif, souvent présentés comme vertueux (Wilcox, 1969), ont beaucoup été diffusés dans les recherches en organisation et en gestion et dans une certaine mesure dans les organisations elles-mêmes, notamment à partir de la fin des années 60 à travers les organisations du travail héritées du toyotisme. Cependant, McCaffrey et al. (1995) notaient qu’en dépit d’une littérature extrêmement fournie sur les systèmes participatifs, le nombre d’organisations qui avaient aux USA, dans la pratique, substitué en partie une organisation participative à un système hiérarchique fondé sur le contrôle et la supervision, était relativement faible (Halal et Brown faisaient le même constat dès 1981). Les travaux de recherche portant sur les avantages des environnements, dispositifs, systèmes et processus de décision participatifs sont pourtant nombreux. Ils mettent en évidence notamment les éléments suivants : − les organisations participatives permettent de rassembler plus de connaissances ou d’expertises que les systèmes hiérarchiques, utiles pour la résolution de problèmes ou la recherche de solutions innovantes ; − elles conduisent également à un engagement plus fort des participants (ceux-ci s’impliquent d’autant plus qu’ils savent avoir une influence sur les décisions) ; Le Web 2.0 en univers gouverné 109 − elles tolèrent et encouragent la flexibilité contrairement aux orga- nisations régulées par le contrôle centralisé et la règle uniforme et universelle (au sens de celle prévalant dans l’organisation bureaucratique de Weber, 1922). Notons que plusieurs auteurs ont montré qu’un certain nombre de recherches portant sur l’étude des avantages de la participation présentaient des faiblesses méthodologiques et conceptuelles importantes renforçant, en un certain sens, le caractère idéologique du management participatif. Citons ainsi Cotton et al. (1988) ou encore Wagner et Gooding (1987). McCaffrey et al. (1995) rappellent que les résultats sont très différents selon que l’on s’intéresse au lien entre participation et efficacité ou à celui liant participation et perception de l’efficacité. En dépit de ces insuffisances, McCaffrey et al. (1995) reprennent un travail de Dachler et Wilpert (1978), et indiquent qu’un système participatif est fondamentalement caractérisé par un ensemble de six propriétés : − une stratégie formelle et délibérée de participation traduite dans une politique managériale officielle ; − une implication directe des différentes parties prenantes ; − l’attribution dans les processus participatifs de rôles non uniquement consultatifs aux parties prenantes ; − une participation aux processus dont les enjeux sont particulièrement importants pour l’organisation ; − l’implication d’un panel large d’acteurs parties prenantes ; − une culture fondée sur la croyance en les vertus du respect et de la considération mutuelle. Différentes contraintes et difficultés expliquent néanmoins le faible recours aux organisations participatives. Citons notamment : − la culture du contrôle et les craintes liées à la perte de contrôle dans des environnements turbulents ; − les incitations à l’accroissement du leadership évaluant positivement les styles de management fondés sur le contrôle et la 110 L’impact du Web 2.0 sur les organisations capacité à superviser (et ce en dépit des recherches nombreuses, dont celles de MacGregor (1960) sur les vertus du style de management Y, participatif) ; − le poids des conditions initiales dans les organisations et notamment en matière de conflit ; les routines basées sur le conflit peuvent conduire à disqualifier tout système fondé sur la transparence, l’échange d’information ou la participation de tous (le conflit est auto-entretenu et le cycle est complexe à arrêter (à l’inverse, certains types de cultures nationales favorisent l’émergence de systèmes participatifs, cf. la théorie Z de Ouchi (1981), par exemple) ; − la collaboration n’est pas consubstantielle de la mise en situation d’interaction, même lorsque celle-ci est fréquente et répétée. Ces derniers points peuvent être utilisés pour faire apparaître les enjeux de pratiques relevant du many-to-many telles qu’elles caractérisent celles associées aux outils de Web 2.0. En premier lieu, le recours au many-to-many est, d’une certaine façon, un acte de management au sens où il décrit une prise de position dans l’arbitrage traditionnel entre la hiérarchie et la participation ainsi qu’entre le contrôle et l’autonomie. Cela signifie qu’il ne suffit probablement pas d’utiliser des outils de Web 2.0 pour transformer une organisation hiérarchique centralisée en une organisation participative et, qu’à l’inverse, mettre en place une organisation participative s’appuie sur bien d’autres leviers que les seuls outils du Web 2.0. (par exemple, le changement des styles managériaux des cadres). En second lieu, le Web 2.0 peut être en opposition, dans certains contextes, avec une culture du contrôle fortement ancrée. Ceci suggère que des mécanismes visant à préserver les marges et les distributions initiales du pouvoir soient mis en place par les acteurs de l’organisation. Une vision un peu plus nuancée conduirait à imaginer, qu’avec l’introduction d’outils de Web 2.0, d’autres marges Le Web 2.0 en univers gouverné 111 (ou zones d’incertitude au sens de Crozier et Friedberg, 1977) puissent apparaître, accaparées par certains acteurs. Il est ainsi possible d’imaginer, par exemple, des transferts implicites et subtils de pouvoir entre acteurs de la R&D et acteurs des SI, suite à la mise en place de plateformes électroniques d’innovation ouvertes dans une organisation. En troisième lieu, il est permis et raisonnable de penser que les interactions permises par les outils de Web 2.0 dans les organisations ne se substituent pas totalement aux interactions hors Web 2.0 (distinction classique entre le formel et l’informel). De même, en dépit de la constitution, grâce au Web 2.0, d’espaces nouveaux d’interactions, le système hiérarchique et les mécanismes de contrôle peuvent continuer à opérer ; dans ce cas, le Web 2.0 a d’autres fonctions que celle de redistribution des rôles et des pouvoirs. En quatrième lieu, il est également raisonnable d’envisager la possibilité que les outils de Web 2.0 soient l’un des leviers d’un management hiérarchique fondé sur le contrôle centralisé, sorte de modalité déguisée de contrôle et de récupération par la hiérarchie (l’organisation mettant progressivement en place des procédures de fonctionnement du Web 2.0 et des règles jusqu’à ne plus faire un système participatif mais un système bureaucratique). Notons qu’à l’inverse, la littérature de sociologie des organisations indique abondamment les impossibilités de contrôler totalement ce genre de dispositif. Autrement dit, le Web 2.0 ne sera jamais un univers totalement maîtrisable mais jamais non plus un univers hors d’atteinte de tout contrôle hiérarchique. Ce dernier point invite à nuancer sensiblement la description qui peut être faite des opportunités liées à l’introduction des outils de Web 2.0 dans les organisations, notamment dans la littérature en systèmes de décision ou systèmes d’information. Reprenons ainsi, par exemple, la comparaison que font Turban et al. (2011) entre la collaboration avec le Web 1.0 à celle permise, selon eux, avec le Web 2.0. 112 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Tableau 4 – Comparaison collaboration 1.0 et 2.0 Domaine Collaboration 1.0 Collaboration 2.0 Contexte Collaboration contrôlée par l’entreprise Collaboration générée par les utilisateurs, flexible et dynamique Facilité d’utilisation Peut être complexe Très « user-friendly » Coût Peut être très élevé Très bas Plateforme Plateforme propriétaire Open source, flexible Focus Transactions (homme machine) Interactions Niveau d’interactivité Faible Élevé Nature de la collaboration Structurée et initiée par l’entreprise Non structurée et initiée par les utilisateurs Gestion des applications Par l’entreprise Facile, par les utilisateurs Média de partage et E-mail, messages textes d’échange d’information Flux RSS, microblogging Flux d’information Structuré et descendant Non structuré et ascendant Recherche d’information Taggage de l’information Absence de tags, moteur par les utilisateurs, de recherche Folksonomies Environnements SI et infrastructures Extranet et Intranets Réseaux sociaux, Intranets et mondes virtuels Flexibilité Faible Élévée Logiciel de collaboration Structuré, ne peut être modifié, est installé Non structuré et généralement pas besoin d’installation (traduit et extrait de Turban et al., 2011) Le Web 2.0 en univers gouverné 113 Cette comparaison est en partie empreinte des mythes de l’organisation participante et notre propos est ici de proposer une lecture différente de la collaboration en 1.0 et en 2.0. Collaboration, structuration et contrôle Le caractère plus ou moins structuré de la collaboration n’est pas entièrement dépendant des technologies Web 1.0 ou Web 2.0. La collaboration 1.0 autorise l’informel même si les applications sont plus structurées. Le fait que les utilisateurs aient avec le Web 2.0 une place centrale (parce qu’ils sont générateurs de contenus) ne signifie pas que dans les organisations l’on ait renoncé à des formes de pilotage traditionnelles fondées sur le contrôle (y compris du contrôle très formalisé). La mise en place de plateforme de conception ouverte (outil de génération 2.0) faisant appel à la créativité des Internautes pour nourrir d’idées l’entreprise est compatible avec des procédures très formalisées de sélection des idées et de leur incubation dans l’entreprise. À l’inverse, la présence d’un ERP (outils de génération 1.0) ne rend naturellement pas impossible la mise en place d’espaces peu formalisés et faiblement contrôlés de créativité participant à l’innovation. Collaboration, interactivité et participation L’organisation n’est jamais totalement contrôlée et réglée (cf. précédemment). L’interactivité et la participation peuvent être encouragées ou découragées dans un univers 1.0 aussi bien que dans un univers 2.0. La reprise d’un dispositif relevant du Web 2.0 par la hiérarchie peut suffire à décourager la participation de tous. Une boîte à idées 2.0 sur un Intranet peut être efficace lorsque la participation est spontanée et non nécessairement récompensée par l’institution. Son efficacité peut être compromise lorsque la hiérarchie impose un mode de fonctionnement, des récompenses, des critères d’évaluation des idées, un nombre d’idées à fournir obligatoirement sur une période donnée, etc. 114 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Collaboration et gestion des SI La vague de diffusion des ERP à partir des années 90 et son effet parfois dévastateur sur les organisations ont montré le caractère centralisateur des entreprises sur la conception et la gestion des SI, génération 1.0. Néanmoins, a rapidement succédé à cette vague un mouvement de quasi-réappropriation des SI par les opérationnels, traduit par la mise en place de solutions d’interfaçage d’applications locales (sur la base de technologies 1.0). Inversement, la mise en place et la gestion des applications de Web 2.0 dans les organisations restent souvent à l’initiative de l’entreprise lorsque ces applications contribuent à la création de valeur. Autrement dit, l’entreprise reconfigure en permanence sa chaîne de valeur et continue de conserver le contrôle des applications qu’elle souhaite faire participer à cette chaîne. Il reste vrai, néanmoins, que les ERP ont mis les utilisateurs à l’écart, ceux-ci restant souvent absents des processus de paramétrage, par exemple. Finalement, il peut être difficile de comparer la collaboration 1.0 avec la collaboration 2.0 de façon aussi tranchée que ne le suggère l’approche du tableau précédent. Les outils et technologies du Web 2.0 continuent autant que ceux du Web de première génération à être adossés à des philosophies gestionnaires et des conceptions de l’organisation. Les ruptures entre 1.0 et 2.0 se jouent donc surtout au niveau de l’approche managériale, nous amenant à parler de management en univers 2.0 (cf. partie IV). C’est lorsque les paradigmes managériaux, au service desquels se trouvent placés les outils et technologies des SI, sont revisités que se produisent des changements importants. Partie IV Perspectives pour un management en 2.0 4 Perspectives pour un management en 2.0 Dans cette partie, nous allons tout d’abord éclairer les lieux communs sur les relations entre hiérarchie, communauté et émergence, pour tenter d’identifier ce que les pratiques 2.0 induisent dans l’organisation et sa gouvernance. Ensuite, nous formulerons ce qui nous semble représenter les principaux défis pour les managers et les organisations. Enfin, nous proposerons 4 champs prioritaires de transformation pour les systèmes d’information des organisations qui souhaitent s’ouvrir au 2.0. I. LA HIÉRARCHIE, LA COMMUNAUTÉ, L’ÉMERGENT : TROIS FAUSSES ÉVIDENCES REVISITÉES Tout d’abord, hiérarchie et communauté ne s’opposent pas : tout groupe social soucieux d’action se dote, de manière émergente ou planifiée, d’une structure. Les systèmes communautaires sont apparemment moins hiérarchisés, mais cela ne signifie pas qu’ils soient moins structurés : les mécanismes de coordination à l’œuvre sont seulement différents, et les structures en question sont plus souples et davantage susceptibles d’évolution et d’adaptation. Là encore, il serait hasardeux de considérer que ces capacités d’adaptation seraient vertueuses en elles-mêmes : il a été depuis longtemps démontré que l’environnement des organisations n’est pas un contexte extérieur auquel les structures devraient s’adapter mais un ensemble d’institutions, d’organisations, de systèmes de normes 118 L’impact du Web 2.0 sur les organisations et de règles en interaction. Weick est allé plus loin en proposant de considérer que les organisations « promulguent » (enact) leur environnement. Si dans la littérature sur le 2.0 les communautés sont organiques et les hiérarchies plus mécanistes, c’est parce que les secondes sont présentées comme officielles, rigides et dysfonctionnelles et les premières comme officieuses, souples, et subversives par rapport aux règles établies. Mais il existe des communautés extrêmement rigides et contraignantes, ainsi que des hiérarchies ouvertes et qui savent favoriser les initiatives. Il s’ensuit logiquement que les communautés ne sauraient être l’alpha et l’oméga de l’organisation 2.0. L’identité communautaire a été depuis longtemps répertoriée par Sainsaulieu (1977, 1995) dans ses études sur l’identité au travail. Orr (1987) a, nous l’avons dit, étudié la formation et la dynamique des communautés de réparateurs de photocopieuses chez Rank Xerox, communautés qui se sont formées relativement spontanément, en opposition ou, tout au moins, en complément de ce que prévoyaient les procédures en vigueur. L’accent mis aujourd’hui sur les communautés s’explique par une dynamique à la fois dialectique (contraste par rapport à un existant – les structures hiérarchiques – dont on pointe les limites), mimétique (on applique aux organisations un certain nombre d’évolutions de la société, on suit les entreprises pionnières dont on promeut les exploits) et métaphysique (on réduit l’action collective et sa performance à un acteur unique ou un principe totalisant – ici la communauté et le collaboratif)33. Une rhétorique classique – et simpliste – apparaît alors : « (1) les technologies du Web 2.0 permettent de faire un certain nombre de choses nouvelles et d’appliquer certains schémas d’organisation d’essence communautaire à grande échelle, (2) donc il faut passer 33 Sur les métaphysiques de l’action, voir Hatchuel (2001). Perspectives pour un management en 2.0 119 à l’entreprise 2.0, et (3) mais le 2.0 n’est pas une question de technologie, c’est une question d’état d’esprit »34. Une troisième fausse évidence est liée à la place accordée à l’émergent : nous l’avons dit, la mise en réseau permet à des groupes de se structurer progressivement, les folksonomies remplacent les taxonomies et, plus généralement, les relations et les contenus sont en co-évolution permanente d’une manière et à une échelle sans précédent. Or l’émergent n’a pas que de bonnes propriétés. Les animateurs de débats, en ligne ou dans des espaces physiques, savent depuis longtemps que les discussions doivent être structurées et que les échanges ont besoin de modération. Revenons, à nouveau, aux fondamentaux : émergent, informel, participatif, « bottom up » ne sont pas synonymes. Si l’émergent est managé, alors il s’insère dans un système de gouvernement au même titre que d’autres sources ou leviers de connaissance et d’action. Il faut donc poser la question de l’émergent au second niveau. On peut, en effet, accepter l’idée que des communautés « émergent », d’abord avec une structure basique. Cette structure de base correspondrait à une grammaire relationnelle minimale, faite d’ajustements mutuels encadrés par les normes sociales en vigueur et par les normes d’échanges imposées par la plateforme en support35. Mais ensuite, des structures plus sophistiquées peuvent être nécessaires : à nouveau, on peut les penser comme une poursuite des processus émergents qui ont matérialisé la première structure, mais on peut également supposer qu’en univers gouverné, c’est-à-dire, rappelons-le, dans un espace non entièrement fait de communautés auto-organisées, une certaine forme de régulation devra être conçue et mise en œuvre. 34 Sur la rhétorique et le management, voir notamment Laufer (2001). 35 Des grammaires relationnelles peuvent sembler non contraignantes parce que très proches des formes usuelles de l’échange social au quotidien. Or une liste, un tableau, un espace sur un écran pour écrire une phrase, des possibilités d’attacher un document constituent des formes d’organisation de la pensée. À ce sujet, voir par exemple Goody (1977). 120 L’impact du Web 2.0 sur les organisations On retrouve alors le débat classique sur les rapports entre formel et informel : d’un côté, pour Barnard (1938), le formel a pour terreau l’informel et de l’autre, pour Blau et Scott (1962), l’informel n’existe que grâce au formel, en tant que sous-produit normal du fonctionnement des organisations formelles. Nous retiendrons ici que l’émergent doit être dans un premier temps considéré comme ce qui est produit par les organisations lorsqu’elles fonctionnent en plus et à côté des systèmes formels qui sont leur structure officielle. Si, par ailleurs, on se rend compte qu’il est indispensable de capter beaucoup plus systématiquement la valeur de l’émergent, alors l’émergent devient objet de gestion et donc cible de rationalisation. II. LES QUATRE DÉFIS POUR UN MANAGEMENT ORIENTÉ 2.0 L’analyse que nous avons proposée précédemment permet de dépasser quelques idées reçues et fausses évidences. Dans cette partie, nous exposerons les principaux défis pour les managers et les organisations. ASSOCIER ONE-TO-MANY ET MANY-TO-MANY Sauf à imaginer des systèmes à la fois consciemment coordonnés et capables d’évoluer sans pilotage identifié36, les actes de management se font et continueront de se faire en un « lieu de management » à partir d’informations issues de l’organisation, souvent dans une logique « remontante » dans les systèmes hiérarchiques traditionnels. La relation classique est une relation One (le manager) to Many (les acteurs et autres sources d’information). 36 Ceci est à rapprocher de la définition que donne Barnard de l’organisation : « L’organisation est un système consciemment coordonné des énergies et activités de deux ou plusieurs personnes » (1938). Perspectives pour un management en 2.0 121 Les progrès des systèmes de reporting et de feed-back ont permis d’améliorer la dimension « Many-to-One » du management. Mais, empruntant la plupart du temps les mêmes canaux que le « Oneto-Many », ils n’ont eu que peu d’impacts structurants sur les pratiques de management : au mieux représentent-ils une boucle de rétroaction de type adaptatif – la « simple boucle » d’Argyris et Schön (1978) – et à condition que ces systèmes soient effectivement utilisés, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Les premiers travaux de Orr (1984), mentionnés plus haut, sur les communautés de pratiques ont, par exemple, montré que les systèmes officiels pouvaient ne pas être les plus efficaces ni les plus pertinents – en tout cas pas les plus utilisés – pour transmettre et faire évoluer des savoirs. Les acteurs de l’entreprise, quant à eux, sont de plus en plus « connectés » à leur univers professionnel. Les formes de ces interactions sont multiples, mais leur présence est quotidienne : communications interpersonnelles, groupes projets et de pratique, benchmarks et évaluations croisées, réseaux sociaux internes, communautés de pratiques ou groupe d’innovation ouverte, etc. Les résultats produits sont tout aussi variés : mutualisation de ressources rares, détections d’opportunités, accélération des pratiques de résolution de problèmes, intelligence collective et capitalisation des pratiques, reconnaissance non financière, développement de la polyvalence, etc. Les processus issus des nouvelles pratiques, transversaux, nombreux, et créant une valeur importante et diffuse, sont l’objet de dynamiques et de tensions que l’organisation traditionnelle a du mal à canaliser. Parce qu’ils lient des groupes d’acteurs, ou des groupes d’acteurs à d’autres groupes d’acteurs, on les qualifie de « many-to-many ». Bien utilisés, ils forment un vecteur puissant de motivation et de progrès, qui repositionne toutefois l’individu au sein d’organisations de plus en plus complexes. Maîtriser et stimuler ces formes nouvelles d’énergie organisationnelle, gérer leur émergence, valoriser leurs acteurs et utiliser leurs productions pour 122 L’impact du Web 2.0 sur les organisations le bien de l’organisation est l’impératif central du « management 2.0 ». MOBILISER LE « COLLECTIF » Dans les nouvelles organisations, irriguées par le mode projet et les pratiques 2.0, il ne s’agit plus seulement pour les managers de mobiliser la structure qu’ils dirigent, mais de contribuer à la mobilisation d’une communauté d’individus engagés dans une multiplicité de groupes. L’efficacité de l’ensemble dépend de l’efficacité de chaque groupe, mais aussi de la cohérence, de la convergence et de l’enrichissement des efforts des groupes. Le management 2.0 repose sur une capacité gestionnaire de coordination et de focalisation, plus que d’injonction au sens classique du terme. Nous pouvons faire l’hypothèse que la performance d’un tel management repose : − sur sa capacité à mettre chaque acteur en aptitude de pouvoir déterminer seul si l’action à laquelle il contribue est conforme à la stratégie collective ; − sur sa capacité à veiller à ce que les groupes variables qui interagissent ainsi se dotent de capacités d’autorégulation, toujours en conformité avec la stratégie collective ; − sur sa capacité à tirer profit des connaissances émergentes ainsi produites pour faire évoluer, en retour, la stratégie. On voit que se renouvelle ici le débat stratégie/structure déjà instruit par Chandler (1962) : stratégie et structure s’engendrent toujours mutuellement, mais selon des modalités – systèmes de relations et dynamique de la connaissance – différentes. De même, la question de la vision stratégique et de la façon dont cette vision est conçue et partagée se trouve-t-elle réinterrogée. De proche en proche c’est l’ensemble du contrat psychologique entre l’organisation et ses membres qui est ici en jeu, tant la nature et la dynamique des collaborations sont au cœur de ce qui justifie et motive un collectif. Perspectives pour un management en 2.0 123 L’une des hypothèses que l’on peut émettre est qu’une piste de solution se trouve dans le domaine des capacités organisationnelles (Penrose, 1959 ; Ulrich, 1991). En effet, définies comme le « savoir-agir » des organisations, les capacités organisationnelles transcendent les structures, pour qualifier l’aptitude d’un ensemble de ressources – y compris celles que représentent des communautés complexes – à se mettre au service d’un objectif. Si on accepte cette hypothèse, il devient stratégiquement intéressant pour une organisation gouvernée de mettre en place un système de pilotage des capacités organisationnelles (Fall, 2008 ; Blanc et Monomakhoff, 2008 ; Monomakhoff et Blanc, 2010) pour éclairer, pour chaque acteur, l’efficacité de l’opérationnalisation quotidienne de la stratégie, qu’elle soit le résultat d’action de communautés transverses ou de divisions organisées. MAÎTRISER UNE ORGANISATION « MÉTA-DIMENSIONNELLE » Dans le modèle idéal du 2.0, les organisations ne sont plus hiérarchiques, ni fonctionnelles, ni matricielles, ni territoriales, ni process, ni projet… elles sont tout à la fois et s’enrichissent de connexion avec leurs partenaires. Chaque responsable, dans son activité régulière, doit exercer des tâches de nature différente. Il peut être à la fois technicien, financier, informaticien, juriste, etc. Pour que l’efficacité d’ensemble s’améliore, des structures « métier » transverses ont été créées et font progresser les autres fonctions, s’enrichissant elles-mêmes grâce aux autres fonctions. Cette transversalité s’exerce également au-delà des limites des organisations qui créent des structures collaboratives diverses avec leurs partenaires, leurs clients et leurs fournisseurs. Pour assurer un bon management et un échange d’informations efficace au sein de cet ensemble au contour incertain, il faut assurer une représentation puissante et adaptable de l’organisation et de ses parties prenantes. Cette capacité à modéliser l’entreprise étendue ou 124 L’impact du Web 2.0 sur les organisations ce que l’on pourrait appeler « l’organisation méta-dimensionnelle » est critique. VALORISER L’INDIVIDU ET LE PROTÉGER Après le monde de la promotion individuelle par la promotion hiérarchique, les nouveaux modèles de management des ressources humaines mettent en évidence les promotions horizontales, porteuses de valeur ajoutée pour l’individu, et pour son environnement. Le Web 2.0 étend à l’ensemble de l’organisation ce qui se faisait naturellement au sein de petits groupes organisés (Shaw, 1971), rendant ainsi plus visibles des rôles – facilitateurs, communicateurs, experts, etc. – des mécanismes de reconnaissance – par les pairs – et d’intermédiation. Les communautés 2.0 induisent de nouveaux modes d’appartenance et de reconnaissance. Facilitateurs, communicateurs, experts, voire gourous : autant de façons de reconnaître et de valoriser les individus qui retrouveront dans l’entreprise une assise pour mieux exprimer certains de leurs talents. Ces outils fournissent aussi de quoi établir des critères permettant d’évaluer ces talents de formation, de synthèse, de communication, de rassemblement. L’identification de ces ressources parfois méconnues permet enfin de les protéger et éviter qu’elles ne quittent l’entreprise avec leur savoir. III. COMMENT PILOTER UN NUAGE : QUATRE PRIORITÉS POUR LES SI ET LEURS MANAGERS L’entreprise 2.0 ne se réduit pas à une organisation à laquelle on aurait ajouté un « nuage », et nous ne voudrions pas ici ajouter une métaphore de plus à l’analyse : le cloud computing est une expression à la mode dans l’univers des systèmes d’information, mais nous reprenons ici l’expression, parce qu’elle permet, au moins Perspectives pour un management en 2.0 125 temporairement, d’imager « l’entreprise augmentée » qui résulte de cette activité 2.0, et de faire comprendre la difficulté qu’il y a à « harnacher » ce nuage37. Rappelons également que le pilotage de la performance des processus, et les indicateurs financiers et physiques de réalisation sont des outils indispensables à la prospérité des organisations gouvernées. C’est en tout cas, majoritairement, la culture dominante en termes de management. Ceci posé, les nouvelles pratiques, plus communicantes, plus ouvertes, plus interopérables, plus globales… seront plus efficaces si les organisations qui les mettent en place savent maîtriser leur « cloud » et amener la valeur qui y est produite à enrichir leur propre proposition de valeur. Mais « harnacher un nuage » et le mettre à l’ouvrage est une tâche difficile ! Les managers doivent mettre en place pour cela des démarches à la fois structurantes et adaptables qui permettent de conduire les opérations et de préparer les décisions à partir d’une gestion de l’information solide et utile. En raison de la masse et de la nature des informations échangées, les systèmes d’information jouent naturellement un rôle essentiel pour la performance de ces processus de décision et d’échanges. Vu du spécialiste SI, – nous allons adopter une approche et un vocabulaire plus spécifiquement « Systèmes d’information » – les systèmes d’information permettent la captation, le traitement et la circulation de l’information, sa préservation et sa mise à disposition. Intégrés et interopérables, les SI assurent la connexion des acteurs et des organisations et leurs échanges d’information. Le point commun de toutes les innovations 2.0 est leur base technologique. Le SI est le système nerveux du « nuage ». Le système d’information est 37 L’expression est courante en langue anglaise : à titre indicatif, les mots-clés « harnessing » et « enterprise 2.0 » donnent un peu moins de 300 000 entrées sur Google, tandis que « harnessing cloud » et « 2.0 » pris ensemble en donnent 127 000. En français, « maîtriser » et « nuage » ne donnent rien qui ait trait à l’informatique, mais « maîtriser » et « cloud » donnent 62 800 résultats. 126 L’impact du Web 2.0 sur les organisations donc un facteur stratégique critique – encore davantage que dans le modèle « 1.0 » – et ce quel que soit le secteur d’activité ou la filière (de la finance à l’industrie, des collectivités territoriales aux laboratoires de recherche). Quels sont les défis lancés aux systèmes d’information, issus des constats faits dans les parties précédentes de ce rapport ? Quels sont les leviers qui peuvent aider à piloter le nuage ? Nous allons ici en aborder quatre : le pilotage multidimensionnel et les référentiels enrichis ; la gestion des communautés ; la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, et finalement le pilotage des capacités organisationnelles. LE PILOTAGE MULTIDIMENSIONNEL ET LES RÉFÉRENTIELS ENRICHIS La modélisation des organisations repose actuellement majoritairement sur des représentations de deux types. D’une part, des modélisations à vocation managériale : ces modèles de haut niveau permettent d’expliciter différentes logiques de management (organisation hiérarchique, organisation matricielle, mode projet, réseaux, etc.) (Ferrary et al., 2004). Si elles prennent bien en compte les règles de pouvoir (« qui a autorité sur qui et dans quel contexte »), elles ne permettent pas une structuration convenable des mesures, ni des consolidations multiniveaux effectives à l’échelle d’un groupe. En effet, ces représentations ne garantissent ni la complétude (les mesures couvrent-elles toute l’entreprise ou seulement quelques zones ?), ni la non-redondance des mesures (n’a-t-on pas pris en compte deux fois la même mesure ?). Par exemple, une dépense peut apparaître dans le cadre d’un projet et d’un service. Les traitements font encore beaucoup appel à des opérations manuelles (par exemple, relevés de dépenses sur un projet) et non homogènes (les regroupements peuvent être différents d’un projet à un autre). D’autre part, des modèles multidimensionnels (Gouarné, 1998) : ces modèles sont destinés à gérer des quantités d’informations Perspectives pour un management en 2.0 127 (mesures) très importantes avec des consolidations multiniveaux automatisées et rapides car très optimisées38. Des travaux récents privilégient des modèles hybrides (associant des représentations hiérarchiques issues du monde décisionnel et représentations relationnelles pour ajouter du sens) (Labrousse, 2007). Ces modèles sont qualifiés de « modèles en paillettes ». Chaque facette peut être vue comme un axe d’analyse, permettant de prendre en compte les différents modes de management (hiérarchique, fonctionnel, etc.). Ils ouvrent une piste qui permet de réconcilier les approches managériales et décisionnelles et de représenter des réalités plus complexes et plus variables dans leur structure. La collaboration à grande échelle nécessite de se mettre d’accord sur le vocabulaire et sur les références techniques. Il faut partager et rendre disponible des taxonomies pour les objets de gestion et d’information (les partenaires, les clients, les produits, les ressources, etc.). Il faut aussi définir des méta-data et des mots-clés pour classer et retrouver les informations. D’abord réalisée à l’échelle d’une partie de l’organisation, puis étendue à l’organisation, elle gagne le secteur d’activité, jusqu’à devenir universelle, au fil du développement d’approches transverses. À chaque extension, il y a des risques de remises en cause, des nécessités de redéfinitions, d’arbitrages et de résolutions de quiproquo. Comme on l’a vu plus haut, les coopérations 2.0 ont la capacité de faire émerger des taxonomies innovantes pour caractériser les nouveaux objets, mais aussi de créer de la confusion en ne sachant pas correctement appliquer les taxonomies existantes. Dans un cas 38 Des tentatives visant à réconcilier ces différentes approches existent. On peut citer par exemple la très intéressante démarche ECOGRAI (Bitton, 1990), qui s’appuie sur des outils de pilotage (grilles et réseaux GRAI) et met en exergue l’importance de la mesure et des indicateurs de décision. Mais la méthode ne structure pas suffisamment la consolidation et l’analyse multi-niveaux des mesures et indicateurs à l’échelle d’un groupe, ce qui tend à en limiter l’usage à des périmètres plus restreints (par exemple un site donné). 128 L’impact du Web 2.0 sur les organisations comme dans l’autre, l’organisation gouvernée se doit de travailler à optimiser l’engagement des ressources qui lui sont confiées. Elle cherchera donc à améliorer la maîtrise de ces référentiels émergents, et à les « institutionnaliser » régulièrement, pour enrichir son référentiel corporate de nouveaux acquis conceptuels et formels. On mesure bien l’enjeu de cette modélisation complexe, à l’aide de référentiels enrichis, sans laquelle il y a beaucoup de déperdition de création de valeur (si on ne sait pas dire, par exemple : quelle part de marché sur tel nouveau segment, tel taux de satisfaction sur tel territoire, combien d’utilisateurs de ce nouveau mot sur telle communauté ?). Intégrée aux outils de gestion intégrée (ERP) et de reporting (BI), elle garantit une couverture homogène et conforme des actes de gestion ou de production (Combien ?). À plus grande échelle, elle doit pouvoir représenter l’organisation et sa gouvernance (Qui ? et où ?). De manière plus récente et originale, elle doit intégrer la vision et les éléments clés de l’excellence opérationnelle (Comment ? Et pourquoi ?). On mesure également la difficulté de cette gestion extrêmement dynamique (beaucoup de sources et d’occasions de changement) d’éléments par définition structurants, et les contraintes qu’elle impose aux systèmes d’information à venir. LA GESTION DES COMMUNAUTÉS La façon dont les groupes se constituent et fonctionnent a fait l’objet de très nombreuses recherches. Parallèlement, les chercheurs se sont intéressés aux structures organisationnelles, à leur fonctionnement et à leurs évolutions : structures simples, fonctionnelles, « staff and line », multidivisionnelles, matricielles, de projet, en réseau, « orientées conception » ont marqué l’évolution de l’organisation des entreprises. Les systèmes de pilotage et de contrôle, dont les systèmes d’information, ont évolué en conséquence. On remarquera néanmoins une séparation entre, d’une part, les travaux sur les groupes, leur dynamique, l’intérêt comparé des démarches Perspectives pour un management en 2.0 129 autoritaires et participatives et, d’autre part, les travaux portant sur les grands outils de pilotage et de contrôle comme le management par objectifs, les démarches qualité, les méthodes et modèles du management de projet : dans ces derniers, la notion de groupe est quasi absente des représentations du collectif concerné. Les problématiques actuelles de dynamique des organisations, tout en se situant dans le prolongement de ces lignées de recherche, apportent un certain nombre de renouvellements fondamentaux : − le « temps réel » et les possibilités de communication instantanée et de polychronie accroissent la performance de certains processus mais comportent des risques de rupture qualitative dans les logiques de coordination ; − la question des équipes virtuelles se pose depuis une quinzaine d’années, les technologies de communication permettant, dans une certaine mesure, de pallier les limites de la distance physique ; pour autant, les modes de constitution et de fonctionnement des groupes restent largement à analyser ; − les entreprises étendues, les structures en réseau, les organisations orientées conception posent des problèmes de coordination et de contrôle inédits, tant pour ce qui concerne les processus opérationnels de déploiement des stratégies et d’acquisition des capacités que pour le pilotage et le contrôle des processus d’innovation ; − les pratiques de coopétition, les partenariats d’exploration, les consortia d’entreprises et de laboratoires autour de projets de recherche publics, les groupements d’entreprises qui mutualisent les ressources et les compétences sont autant de situations qui supposent des outils de pilotage et de contrôle originaux, renouvelant la question ancienne de l’équilibre entre procédures bureaucratiques et pratiques corporatives, entre formel et informel, entre centralisation et décentralisation du pilotage. L’intelligence collective s’ajoute à l’intelligence individuelle et les communautés sont l’organe fédérateur de l’intelligence collective. 130 L’impact du Web 2.0 sur les organisations À ce titre, les organisations gouvernées se doivent d’en assurer un fonctionnement correspondant à leur éthique et leurs objectifs. Le premier enjeu est en premier lieu d’en assurer le peuplement et la contribution spontanée. Il faut donc trouver et entretenir les moteurs de la motivation individuelle (reconnaissance non financière, confort des pratiques habituelles, dynamique existentielle, etc.). Une fois cet objectif atteint, la gouvernance des groupes de travail doit s’adapter à leur nature (groupe projet, groupe d’experts, groupe fonctionnel, etc.), et adopter des règles d’organisation différentes, pour que le groupe soit efficace. Il faut, enfin, faire en sorte que les contributions produites concourent à la construction d’un « meilleur », cohérent avec les objectifs stratégiques de l’organisation, en donnant aux contributeurs les repères nécessaires. On le voit, la façon dont les groupes devraient, en fonction des besoins, se constituer, évoluer, se défaire, interagir les uns avec les autres dans des situations stratégiques et managériales complexes doit faire l’objet d’analyses et d’inventions scientifiques qui concilient les deux versants de la recherche : celle sur la dynamique des groupes et celle sur les modèles et outils de pilotage et de contrôle. LA GESTION DE L’ORGANISATION ET DES DROITS ET LA GOUVERNANCE DE L’INFORMATION L’information se multiplie, se dissémine, se parcellise. La désinformation aussi. La protection de l’information devient un enjeu plus difficile à maîtriser. L’information est à la fois un capital à protéger et à communiquer. Ce dilemme ne peut se résoudre qu’avec une bonne gestion des flux d’information entre les organisations et les personnes. Garantir la propriété intellectuelle, la confidentialité et la diffusion correcte de l’information repose sur des règles de gestion et des outils techniques précis, ainsi que sur une discipline collective. Chaque organisation doit formuler sa propre charte et Perspectives pour un management en 2.0 131 former les collaborateurs à son emploi. À l’intérieur de ces groupes, les règles de gestion de l’information, ainsi que celles de publication doivent aussi être adaptées, comprises et respectées. Il faut piloter l’information que les communautés diffusent vers les personnes, et celle que les personnes capitalisent dans les communautés. Au cœur de ce pilotage se trouvent les outils de gestion des droits sur lesquels reposent à la fois la sécurité et l’efficacité. Pour que ces règles fonctionnent, l’organisation gouvernée doit être capable de décrire complètement sa gouvernance avec pertinence et précision dans un annuaire fonctionnel étendu, ce qui demande de combiner les référentiels enrichis pour décrire les objets de gestion de l’organisation, de gérer la délégation successive des domaines de responsabilité et d’affecter les individus participants à cette gouvernance (qu’ils soient ou non dans l’organisation). Dans une gestion avancée des droits, il faut également être capable, pour tout accès à une transaction ou information, de cumuler les droits d’un utilisateur issus de données de contexte local, de droits issus de ses responsabilités décrites dans la gouvernance de l’organisation et des droits issus de ses affectations à des groupes ou communautés. On le voit, la gestion des autorisations, des profils et des communautés va demander de nouveaux outils et de nouvelles approches d’architecture des S.I. La représentation de la gouvernance, la mutualisation interapplicative de la gestion des droits, la gestion de règles complexes d’autorisation et de contrôle d’accès aux données sont des chantiers complexes et ingrats qui vont se développer en même temps que les outils et pratiques 2.0. On imagine aisément les difficultés qui accompagnent la mise en œuvre de telles solutions entre plusieurs organisations, voire à l’échelle d’une méta-organisation, comme des communautés d’experts travaillant en co-conception confidentielle sur les plateformes de leur organisation dans une gestion mutualisée des droits. 132 L’impact du Web 2.0 sur les organisations LA GESTION DES CAPACITÉS ORGANISATIONNELLES Dans un programme de recherche récent sur le « pilotage 2.0 » (ANR 07 TLOG 016-01), ce pilotage est défini comme « le moyen pour les dirigeants des organisations complexes en mouvement permanent, dont les composantes sont animées par de nombreux vecteurs (hiérarchies, réseaux fonctionnels, programmes, plans d’action), de mesurer en permanence l’état et l’alignement stratégique des entités et le progrès de la performance ». L’expérience d’organisations pionnières en la matière, mais très « gouvernées » (Fall, 2008 ; Monomakhoff et Blanc, 2010), montre que la structuration et la maîtrise des connaissances métiers, traduites en actions de tous les jours et confiées aux acteurs de l’organisation, permettent l’amélioration des performances de cette organisation, quelle que soit la ressource qui a réalisé l’action et les modalités pratiques (ou processus) retenues en l’occurrence. Mais la qualité et la persistance de cette mesure reposent sur une condition forte : une pleine adhésion des acteurs de terrain, elle-même conditionnée par l’évidence de la pertinence des mesures demandées et le service rendu à l’utilisateur et aux communautés de pratiques… Il s’agit donc de définir, au service des communautés concernées, une méthodologie de mise sous contrôle de l’organisation (description, évaluation, communication), au travers d’un système de tableaux de bords capable de traiter les horizons stratégiques, tactiques et opérationnels. Le résultat doit être un outil collectif de motivation individuelle, permettant à chacun d’apporter à la communauté et de recevoir. Il en découle un pilotage qui rend facilement compte de la pertinence stratégique des modifications survenues sur le terrain et qui génère une profonde appropriation dans la culture locale des différentes communautés par le lien qu’il produit entre des réalisations quotidiennes et cette pertinence. Lié aux résultats concrets et non aux structures et processus, ce mode de pilotage des capacités organisationnelles, redonne du sens à Perspectives pour un management en 2.0 133 l’exigence qui doit orienter l’action des communautés de l’organisation gouvernée. Il complète le SI de pilotage de l’organisation, qui se dote ainsi d’un ECP (Entreprise Capacity Planning – Fall, 2008) pour piloter son évolution organisationnelle au même titre que son ERP (Entreprise Resource Planning) gère la performance de sa chaîne de production de valeur. Conclusion générale Nous avons tenté, dans cet ouvrage, de poser la question de l’impact du « 2.0 » sur les organisations, de façon à intégrer dans une même conception les dimensions communautaires et de réseaux sociaux émergents, les ressorts et enjeux de gouvernance des organisations et la dimension pilotage et systèmes d’information. Le « 2.0 » a été présenté selon quatre points de vue complémentaires – la plateforme, le many-to-many, le communautaire et l’émergent. Nous avons ensuite montré comment les « univers gouvernés », s’ils adoptaient les pratiques du 2.0 au service des objectifs qu’ils visent, devaient intégrer une « fabrique » différente de l’intelligence collective au travers de groupes émergents, comment ils devaient s’adapter à la coopétition et à l’interopérabilité et maîtriser le langage de la collaboration étendue, et comment le 2.0 pouvait permettre de cultiver des champs de création de valeur pour demain. Des idées reçues et de fausses évidences autour de la hiérarchie, de la participation, du communautaire et de l’émergent ont été revisitées, et quelques enjeux critiques pour le « passage au 2.0 » identifiés : associer one-to-one et many-to-many, mobiliser le collectif, valoriser une organisation « méta-dimensionnelle » et valoriser et protéger l’individu. Enfin, nous avons vu que pour « piloter le nuage », le système d’information était central et notre réflexion débouche sur l’hypothèse que l’enjeu pour les DSI était de pouvoir progresser dans la maîtrise de quatre leviers : le pilotage multidimensionnel et les référentiels enrichis, la gestion des communautés, la gestion de l’organisation, des droits et de la gouvernance de l’information, le pilotage des capacités organisationnelles. De nombreuses pistes de réflexion s’ouvrent à la suite de notre proposition de formulation du problème. 136 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Validation empirique du niveau d’impact du Web 2.0 sur les organisations Tout d’abord, le « 2.0 » prend pour cible des pratiques communautaires, des échanges informels, des structures émergentes. Il faudra étudier précisément, notamment à partir d’études empiriques, mais aussi en référence plus précise à la littérature sur les dispositifs de gestion, jusqu’à quel point et à quelles conditions les outils du Web 2.0 font évoluer les pratiques, les restaurent et/ou les étendent, les revalorisent à grande échelle, décloisonnent et « anarchisent » les structures, et dans quels cas, au contraire, ils ne constituent qu’une couche supplémentaire superficielle. Modélisation de nouvelles formes d’organisation et des groupes complexes Ensuite, des recherches en modélisation sont à développer. Nous l’avons dit, le 2.0 ne se réduit pas aux communautés, et la façon dont les SI seront capables d’intégrer les nouveaux métabolismes conditionnera une grande partie de l’effectivité des pratiques collaboratives associées. Si les nouvelles « formes M » (Chandler, 1962) sont non plus des structures multidivisionnelles mais des structures multicommunautaires, alors les référentiels, les groupes et leurs évolutions, leurs droits, leurs accès, tout cela relève de langages et de modélisations nouveaux : ontologie des communautés, modélisation des groupes complexes39, référentiels enrichis et nouveaux indicateurs, articulation entre taxonomies et folksonomies, modélisation des capacités organisationnelles. Le domaine des SI est centralement concerné par ces évolutions et par les perspectives de recherche qu’elles ouvrent, tant du point de vue technique que du point de vue de la philosophie de la 39 Voir à ce sujet Mathieu, E. (2010), « Modélisation des groupes complexes », mémoire de recherche, master Management de la Technologie et de l’Innovation, Université Paris-Dauphine (en collaboration avec MNM Consulting et Valeo). Conclusion générale 137 conception et de la mise en œuvre des dispositifs de management de l’information. Management 2.0 et risque de « surcharge coordinationnelle » Certaines questions importantes n’ont pas été traitées dans cet ouvrage, notamment celle des limites et des risques associés à une généralisation du 2.0 dans une organisation gouvernée. Au-delà des risques associés à tout effet de mode et aux applications irréfléchies qui en découlent, le « manager 2.0 » pourrait bien se retrouver en « surcharge coordinationnelle » comme le « manager 1.0 » était en surcharge informationnelle, avec les crises que pourraient engendrer des excès de temps réel, chacun pouvant se retrouver finalement à nourrir une machine 2.0 plus contraignante encore que son homologue classique. Un risque voisin est de voir l’activité 2.0 garder son statut « d’à côté » du 1.0, le collaboratif, le communautaire étant in fine récupérés par le système bureaucratique traditionnel. Cette tendance a été repérée historiquement sur de nombreuses évolutions du management, alors même que les managers, chercheurs ou consultants à l’origine des innovations managériales pensaient pouvoir, grâce à leur approche, réconcilier les initiatives d’essence professionnelle et le bureaucratique40. Gouvernance des communautés On peut également évoquer la question de la gouvernance des communautés. Les technologies collaboratives permettent la constitution de très nombreuses communautés, et ceci à grande échelle. Les organisations doivent maîtriser et valoriser à la fois ces groupes d’acteurs et l’information qu’ils manipulent. Il est utile et nécessaire de connaître qui communique quoi, vers quel interlocuteur, et dans quel objectif. La maîtrise des activités collaboratives est depuis longtemps un enjeu d’efficacité et de sécurité pour l’entreprise. Mais 40 C’était notamment le cas de Peter Drucker avec le management par objectifs et auto-contrôle. Voir Waring (1991). 138 L’impact du Web 2.0 sur les organisations ce qui était facile à contrôler lorsque les équipes étaient voisines de quelques bureaux, devient complexe dans un monde étendu. La constitution, la gestion, la confidentialité et la légitimité de ces ressources et des réseaux qu’elles constituent, leur animation et l’aptitude à les faire émerger et les entretenir, en résumé leur gouvernance, est un enjeu critique pour les différentes organisations. Gouvernance du diffus Plus globalement, la question de la « gouvernance du diffus » s’impose aux acteurs de « l’entreprise 2.0 ». Dans une organisation gouvernée, le mandat stratégique et les principes de gouvernance fondent la légitimité de tout engagement de ressources. La mise en place dans une organisation gouvernée d’outils de type 2.0 ne peut pas correspondre à une rupture de contrat, mais au contraire, être légitimée par un bon emploi des moyens alloués, par renforcement de l’efficacité stratégique. Le « cloud » mis en place dans l’organisation et les échanges qu’il abrite doit donc être piloté, et des règles de gouvernance communes doivent s’appliquer en son sein. Ces règles ne peuvent être trop différentes, et en tout cas pas antagonistes, des règles qui animent l’organisation gouvernée. On voit ainsi que la gouvernance du diffus doit correspondre à la diffusion de la gouvernance. On mesure l’impact de cette réalité en termes de conduite du changement et de transformation des modes de management, mais aussi en termes de lisibilité stratégique. On voit que le 2.0 demande aux managers d’adapter leurs pratiques pour pouvoir « piloter le nuage », c’est-à-dire animer des systèmes relationnels complexes et profiter de la nouvelle dynamique des connaissances. C’est une nouvelle donne dans la relation entre identité et régulation, où l’identité (l’individu) s’exprime dans un substrat technologique où elle peut être à la fois qualifiée et amplifiée, et où la régulation (l’organisation) doit légitimer, soutenir et développer. Le manager, acteur clef de la régulation, doit dans ce cadre, développer des formes de compétences inédites. Conclusion générale 139 Web 2.0, technique et soutenabilité organisationnelle Ceci pose le problème de l’alignement 2.0 des SI et de l’organisation, celui du développement d’une « congruence » nécessaire entre les communautés qui vont émerger et l’organisation telle qu’elle est ou peut être, entre possibilités de connexion et capacités de l’organisation. En d’autres termes, on ne doit ne pas confondre la capacité technique de l’architecture SI à mettre en connexion des acteurs multiples et la soutenabilité organisationnelle de cette capacité (autrement dit, ne pas confondre capacités techniques et capacités organisationnelles) et conduire les transformations nécessaires. Place des DSI Ce processus de transformation place le DSI au cœur du management stratégique de l’organisation. Acteur clé de la Direction Générale, il est à la fois : − architecte, urbaniste et aménageur des systèmes d’information, au sein de l’organisation et au-delà ; − ingénieur des pratiques, en créant les conditions favorables à la mise en œuvre de nouveaux usages et en assurant la mise en œuvre de la gouvernance ; − « éclaireur » sur les nouvelles pratiques, les évolutions de la chaîne de valeur et les émergences détectées, pour élaborer de nouvelles réflexions stratégiques. L’un des impacts du 2.0 sur les organisations est de réaffirmer le positionnement stratégique du DSI dans les organisations modernes. Références Adebanjo D, Michaelides R (2010) Analysis of Web 2.0 enabled e-clusters: A case study. Technovation 30(4): 238-48 Aguiton C, Cardon D (2007) The Strength of Weak Copperation: an Attempt to Understand the Meaning of Web 2.0. Communications & Stratégies 65(1): 51-65 Akoka J (1999) La restructuration de la fonction systèmes d’information. In : Faire de la recherche en systèmes d’information Vuibert, Fnege 259-72 Amar G (2007) Le métro du xxie siècle. Département du Développement et de l’Action Territoriale, RATP, avril Anderson C (2006) The long tail – How endless choice is creating unlimited demand. Random House Business Books, London Arthur B (1989) Competing technologies, increasing returns and lock-in by historical events. 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Long Range Planning 43(2/3): 272-90 Annexes O O O Girieud (2008) Zyl (2009) Vaast Emmanuelle (2008) The impact of social networking 2.0 on organizations Travail en réseau et réalités hiérarchiques – Ce que relèvent les systèmes d’information O Web 2.0 and Social networking Kaplan, Haenlein (2010) Mondes virtuels : retour au réalisme O O Aguiton, Cardon, (2007) The strength of Weak Cooperation : an Attempt to Understand the Meaning of Web 2.0 Le Design de la visibilité : Cardon (2008) un essai de cartographie du Web 2.0 Auteur Nom X X X Réseaux OrganiMKG Sociaux sation X X X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion Données Annexe 1 : Tableau de correspondance des thèmes sur le Web 2.0 à partir de la revue de littérature 152 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Auteur Liu & liu (2009) Gholami Behnaz, Kaviani Fatemeh & Zabihi Eman (2009) Adebanjo, Michaelides (2009) Nath, Singh, Iyer, Ganesh (2010) Increasing competitiveness of a firm and supply chain with Web 2.0 initiatives Web 2.0, a Boost in IT Infrastructure Flexibility and Team Collaboration Analysis of Web 2.0 enabled e-clusters : A case study Web 2.0 Capabilities, Business Value and Strategic Pratice The ties that bind : Social Ganley Dale, network principles in Lampe Cliff online communities (2009) Nom O O O O O X Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données X X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion Annexes 153 Chui, Miller, Roberts (2009) Mellet (2009) Six ways to make Web 2.0 work Aux sources du marketing viral X X McAfee (2009) Shattering the myths about enterprise 2.0 O O O X The fairyland of Second Kaplan, Haenlein Life: Virtual social worlds (2009) and how to use them O O Wijaya, Spruit, Scheper, Versendaal (2010) Auteur Scenarios and strategies Martin, for Web 2.0 Reddington, Kneafsey, Sloman (2009) Web 2.0-based Webstrategies for three different types of organizations Nom O X X Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données X X X X X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion 154 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Mencarelli, Pulh (2009) Auteur O Web 2.0, social networks Cooke, Buckley and the future of market (2008) research X O O O Understanding purchasing behaviors in a virtual economy: Consumer behavior involving virtual currency in Web 2.0 communities Shin (2008) Hughes (2010) Supplying Web 2.0: An empirical investigation of the drivers of consumer transmutation of culture oriented digital information goods La communication 2.0 : un dialogue sous conditions Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion Annexes 155 O (2006) Wirtz, Schilke, Ullrich (2010) Mazurek Grzegorz (2009) Du Web 2.0 au Marketing 2.0 Strategic Development of business models Web 2.0 Implications on Marketing X O O O Florès (2008) Web 2.0 et études de marché : vers une nouvelle génération d’études de marché ? X O Viot (2010) O « Toi aussi, deviens mon ami » Intégrer le Web 2.0 dans sa stratégie de communication X Eccleston, Griseri (2008) Auteur How does Web 2.0 stretch traditional influencing patterns? Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion 156 L’impact du Web 2.0 sur les organisations X O Paroutis, Saleh (2009) Determinants of knowledge sharing using Web 2.0 technologies O O O Grace (2009) Schneckenberg (2009) Web 2.0 and the empowerment of the knowledge worker X O Wikis as a knowledge management tool Chakravorti Bhaskar (2010) Stakeholder Marketing 2.0 X O Poncier Anthony (2009) La gestion de l’image de l’entreprise à l’ère du Web 2.0 Données X X X X X X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion When Web 2.0 becomes Boateng, an organizational Mbarika, Thomas learning tools: (2010) evaluating Web 2.0 tools Auteur Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Annexes 157 Razmerita, Kirchner, Sudzina (2009) Personal knowledge management Dahan Ely, Soukhoroukova Arina & Spann Martin (2010) Ribière, Tuggle (2010) New Product Development 2.0: Preference Markets — How Scalable Securities Markets Identity Winning Product Concepts and Attributes Fostering Innovation with KM 2.0 Quel partage des Mielnik, Félix connaissances en (2008) entreprise à l’heure du Web 2.0 et de l’intelligence collective ? Levy (2007) Auteur Web 2.0 implications on knowledge management Nom X X X Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données O O O O O X X X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion 158 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Auteur Caby-Guillet Laurence, Guesmi Samy, Maillard Alexandre (2009) Wiki professionnel et coopération en réseaux. Une étude exploratoire Applying the Technology Shin, Kim (2008) Acceptance Model and Flow Theory to Cyworld User Behavior: Implication of the Web 2.0 User Acceptance Lai, Turban (2008) Groups formation and operations in the Web 2.0 Environment and social network User-centric innovations Bilgram, Brem, Voigt (2008) in new product development–systematic identification of lead users harnessing interactive and collaborative online-tools Nom X X X Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données X O O O O X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion Annexes 159 Trkman, Trkman (2009) A wiki as intranet: a critical analysis using the Delone and McLean model X X Godwin (2009) Chen (2009) Beuscart, Mellet (2008) Building a platform of business model 2.0 to creating real business value with Web 2.0 for Web information services industry Business Models of the Web 2.0: Advertising or the Tale of Two Stories X X Information literacy and Web 2.0: Is it just hype? Web 2.0 in SME networks Blinn Nadine, – a design science Lindermann approach considering Nadine (2010) multi-perspective requirements Auteur Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Données X X X O O O O X X X et divers Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion 160 L’impact du Web 2.0 sur les organisations X X X X O O O O Chiang, Huang & Huang (2010) Characterizing Web Users’ Degree of Web 2.0-ness X X O La vigilance participative Cardon (2009) une interprétation de la gouvernance de Wikipédia Fréry (2010) Le management 2.0 ou la fin de l’entreprise ? X X et divers O Fréry (2010) Le management 2.0 ou la fin de l’entreprise ? X Données Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion Web 2.0 Social Networks : Grabner-Kräuter The role of trust (2009) Enders, Hungenberg, Denker, Mauch (2008) Auteur The long tail of social networking. Revenue models of social networking sites Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Annexes 161 Représentation de soi et Georges Fanny identité numérique. Une (2009) approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du Web 2.0 X Malaga Ross A. (2009) Web 2.0 Techniques for search engine optimization : Two case studies O O O Glassey Olivier (2009) Exploring the weak signals of starts-up as a folksonomic system X O et divers Gardner (2008) Auteur Données Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion Blogs, wikis and official statistics: New perspectives on the use of Web 2.0 by statistical offices Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation 162 L’impact du Web 2.0 sur les organisations 9 13 Légende * O : classification principale de l’article ; X : thèmes abordés dans l’article 7 7 5 3 3 2 9 O Ojo Adegboyega, Estevez Elsa & Janowski Tomasz (2010) Semantic interoperability architecture for Governance 2.0 TOTAL O et divers Gardner Jessica Auteur Données Business Manage- sur le InnovaIS KM Web 2.0 Model ment tion BLOGS, WIKIS AND OFFICIAL STATISTICS: New perspectives on the use of Web 2.0 by statistical offices Nom Réseaux OrganiMKG Sociaux sation Annexes 163 164 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Annexe 2 : Guide d’entretien Date : Guide d’entretien semi-directif sur le Web 2.0 Auteur : Nom entreprise : Nom du contact : Coordonnées du contact : Fonction : Qu’est le Web 2.0 selon vous ? Avez-vous une définition du Web 2.0 ? Quels sont les outils/applications concernés selon vous ? (faire réfléchir l’interlocuteur sur les différences entre le 1.0 et le 2.0 ; le 2.0 hors des TIC et des SI) Paragraphe sur la définition du Web 2.0 Dans quel cadre utilisez-vous (ou pensez-vous) utiliser le Web 2.0 et pourquoi ? Quelles sont les motivations sous-jacentes à l’utilisation du Web 2.0 pour vous et les utilisateurs ? (demander un exemple concret d’utilisation en interne de l’organisation et de l’histoire de l’application) Quels enseignements tirez-vous de la mise en place du Web 2.0 (voir les apports/ avantages) ? (structure, communication, management, substitution avec des technologies…) Avez-vous identifié des dangers et risques de la diffusion du Web 2.0 dans l’organisation ? (penser à la typologie d’Albert David sur les risques de surcharge) Votre organisation/structure/gouvernance a-t-elle changé avec l’introduction du Web 2.0 ? Pourquoi ? Quel a été (et quel est maintenant) le rôle du management dans la diffusion/ déploiement du Web 2.0 dans l’entreprise ? Remarques complémentaires/diverses durant l’entretien Qu’évoquent les termes suivants (réponses courtes) : Communautés, Many-to-many, Open innovation, Entreprise 2.0, Web 3.0 Équipe de Recherche Sonia CHEFFI est actuellement professeur de systèmes d’information et responsable pédagogique du M2 Manager des systèmes d’information à l’EM Normandie en partenariat avec l’EMSI Grenoble (Grenoble École de Management). Elle détient un Master recherche « Economie et gestion de l’information et des réseaux » ainsi qu’un Master en finance internationale. Elle a travaillé dans le secteur bancaire et financier en ingénierie titres et en ingénierie technico-commerciale pour le développement des produits Web. Sonia Cheffi a récemment obtenu une thèse de doctorat en Sciences de Gestion intitulée : « L’adoption et l’utilisation des technologies et des systèmes d’information dans le cadre de la relation dirigeants-actionnaires : le cas du vote par Internet dans les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées françaises » soutenue au sein du laboratoire PESOR de l’Université Paris 11. Ses domaines de recherche concernent l’adoption des nouvelles technologies, l’évaluation des systèmes d’information ainsi que la modernisation de la gouvernance d’entreprise actionnariale. Elle est l’auteur de plusieurs travaux de recherche et de communications scientifiques liés à l’e-gouvernance d’entreprise, la démocratie électronique et aux pratiques innovantes de responsabilité sociétale des entreprises. Sébastien DAMART, titulaire d’un Doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine, est maître de conférences au CNAM Paris et chercheur au sein du laboratoire M-Lab (DRM, UMR CNRS 7088). Il travaille depuis plusieurs années sur l’innovation managériale en général et les démarches concernant les outils de facilitation du travail en groupe. Il a publié ses recherches au sein de revues académiques au niveau national et international (Gérer et Comprendre, Decision Support System, etc.) 166 L’impact du Web 2.0 sur les organisations Il a notamment participé sur 2008-2010 à un projet financé par l’ANR sur les thèmes de l’entreprise et les mondes virtuels. Plus précisément, il a animé dans ce projet de recherche un groupe de travail sur la contribution des mondes virtuels à la conduite de réunions dans les organisations. Albert DAVID, diplômé de l’ESSEC en 1982, est actuellement Professeur des Universités à l’Université Paris Dauphine et dirige le laboratoire de recherche M-Lab (UMR CNRS 7088) spécialisé sur le management de l’innovation. Ses thématiques de recherche portent sur le management de l’innovation et de la conception, l’innovation en management, la méthodologie et l’épistémologie de la recherche en Sciences de Gestion. Il est l’auteur de plusieurs articles de recherche sur ces thématiques au sein de revues académiques et de chapitres d’ouvrage au niveau national et international (RFG, European Journal of Operational Research, Handbook of collaborative research…). Albert David est également le responsable scientifique de l’ANR « l’entreprise et les formes d’organisation économique face aux mondes virtuels » et est impliqué dans de nombreux projets de type recherche-action avec des entreprises sur l’innovation et les TIC (La RATP, Fabernovel…). Amir HASNAOUI est doctorant en dernière année à TELECOM & Management SudParis (Ex INT). Il occupe également le poste de professeur assistant en Systèmes d’Information (SI) et Technologies de l’Information et de Communication (TIC) à l’ESC La Rochelle. Ses travaux de recherche portent sur l’impact d’Internet (Web collaboratif, Web coopératif, etc.) et sur les modèles d’affaires. Il s’intéresse également à l’intégration des parties prenantes dans le processus d’appropriation des Systèmes d’Information. Ses travaux ont été publiés dans des revues à comité de lecture (Journal of eCommerce in Organizations, Revue Management et Avenir, Journal of Business Ethics, etc.) et des conférences nationales et internationales (AIM 2011, EURAM 2009, etc.). Amir HASNAOUI est un Équipe de Recherche 167 membre actif de la communauté des enseignants-chercheurs en SI. Il est membre doctorant du conseil d’administration de l’Association AIM. Il a organisé plusieurs manifestations : ECIG 2007, ECIG 2009 et AIM 2010. Il est également évaluateur pour plusieurs revues (International Journal of Electronic Business, Revue du financier, etc.) et colloques (AOM, EURAM, AIM…). La société MNM Consulting a été créée en 2002 par Nicolas MONOMAKHOFF, diplômé de Centrale Lyon, pour trouver des débouchés solvables et financer ses travaux de recherche avancée sur les modèles de pilotage des processus de création de valeur et de collaboration en « entreprise étendue ». En 2004, elle a participé à la définition de la méthode « 5 steps », permettant d’associer, en mode collaboratif, le terrain au pilotage de la performance organisationnelle. En 2007, elle a remporté un appel à projet ANR autour du concept de pilotage 2.0. Depuis, elle poursuit ses travaux sur les conditions d’émergence et d’usage des réseaux sociaux « gouvernés », c’est-à-dire issus d’une taxonomie d’entreprise, ainsi que sur l’application du processus de management des outils et pratiques du 2.0. Elle souhaite apporter au projet son expertise technique, ainsi que son éclairage de consulting et contribuer à l’enrichissement des savoirs autour de l’entreprise 2.0. Sébastien TRAN, Docteur en Sciences Économiques, est actuellement doyen de la faculté à l’Ecole de Management de Normandie et enseignant en stratégie et systèmes d’information au sein d’un Master 2 à l’université Paris Dauphine et à Télécom ParisTech. Il est chercheur associé à M-Lab, laboratoire de recherche spécialisé sur le management de l’innovation à l’Université Paris Dauphine (UMR CNRS 7088) et à l’IMRI, institut de recherche de l’Université Paris Dauphine spécialisé sur l’innovation. Il est l’auteur de plusieurs dizaines de communications dans différentes communautés académiques (AIM, AIMS, IBIMA…) et de quelques chapitres au sein d’ouvrages collectifs et d’articles académiques au sein de 168 L’impact du Web 2.0 sur les organisations revues à comités de lecture (RFG, Sciences et société, RMA, Hermès Lavoisier…) sur différentes thématiques : le rôle des TIC dans les organisations, leur adoption et appropriation par les utilisateurs en entreprise et leur impact sur la performance. Ses travaux de recherche se sont appuyés notamment sur plusieurs contrats de recherche dont récemment deux ANR, une sur les mondes virtuels de type Second Life dans les entreprises, et une autre sur les outils de gestion et les systèmes d’information. Il est également le viceprésident du comité d’organisation du colloque annuel de l’AIM à La Rochelle qui s’est tenu les 20 et 21 mai 2010. Luisa ZIBARA est docteur en Sciences Économiques et actuellement chargée de recherche au sein de l’IMRI à l’université Paris Dauphine. Elle est experte dans les communautés de pratique au sein des organisations. Sa thèse porte sur la communauté de pratique des ergonomes chez Orange et comment celle-ci contribue au processus d’innovation. Elle a également travaillé auprès de diverses communautés comme la communauté de consultants en solutions d’entreprises chez Bell et la communauté Lean chez IBM Québec. Impression & brochage - France Numéro d’impression : 04495130106 - Dépôt légal : février 2013