Avec mon arc tendu de tant et tant de désirs de bien faire, j’essaie aujourd’hui par mes
flèches décochées de passer au-dessus de vos têtes pour venir déposer sur
le chemin que vous empruntez quelques jolis cairns. Ils guideront peut-être
vos pas vers un monde à réinventer. Je suis convaincu qu’un spectacle peut
changer une vie comme un livre peut provoquer une révolution mais jamais
je ne pourrai savoir ce que vous attendez de moi, de nous, artistes pourtant
sincères et dévoués. Je ne peux qu’imaginer vous rejoindre là où vous n’êtes
même pas sûrs d’aller. Dans ces zones à défendre, ces territoires à préserver
avec la conviction farouche que toutes les batailles sont loin d’être perdues.
Et tant pis s’il y a là un néoromantisme sujet à railleries de la part des
pragmatiques, résignés et calculateurs du « temps qui reste », soucieux avant
tout de profiter au maximum des miettes d’un monde contemporain en ruines.
Mon envie mon désir mon credo mon humilité : préserver votre enfance
et votre capacité d’émerveillement, préserver le silence et le droit d’être lent,
préserver les valeurs comme la loyauté, le sens de la justice, le respect de
la parole donnée ; préserver le goût de l’échange et de la solidarité, préserver
votre droit de dire non contre toute attente, votre liberté de dire oui quand
la passion vous aveugle. Attention qu’on ne s’y trompe pas, la vie n’est pas
un musée, rien n’est à conserver en l’état, le monde bouge et vous n’avez pas
plus que moi envie d’être mis en conserves. Le spectacle vivant n’est pas plus
que vous prêt à pactiser avec l’immobilité. Se battre pour « préserver » avec
la rage au ventre vaut mieux que résister pour « conserver », un mouchoir
à la main. Des écrivains visionnaires qui ne confondent pas la plainte avec le
cri écrivent aujourd’hui des pages pour demain. Je les accroche à mes flèches
décochées pour les passer au-dessus de vos têtes. Vous ne pourrez pas ne
pas les voir un jour, plus tard. Elles brilleront longtemps au soleil comme
des lucioles dans la nuit. Patrice Douchet, 13 juin 2016
je veux m’adresser
aux adultes que vous
allez devenir
Aux adolescents spectateurs pour qui nous avons pensé cette saison