« Je me sens toujours incroyablement bien dans
un fauteuil de théâtre, car je sais que je vais être
tranquille pendant la durée du spectacle. […]
J’aime cette situation si spécifique que je ne peux
expérimenter ni en lisant un livre, ni en visitant
une exposition, et encore moins en regardant un
film sur mon ordinateur, qui m’autorise à être
avec mes contemporains hors de la normativité
des rapports sociaux. J’aime être avec mes
contemporains, assis dans la salle et partager
des choses que, même si j’étais très intime avec
certains d’entre eux, je ne pourrais pas évoquer ».
J’ai eu envie de partager cet éloge du théâtre
de Jérôme Bel pour me réjouir avec vous de
l’amour que vous avez vous aussi manifesté
pour ce théâtre au cours de la saison qui vient de
s’achever. Malgré la sombre année 2015, vous avez
été très nombreux (comme jamais), très divers
par vos âges et vos origines sociales (comme
jamais), mais surtout, vous avez été passionnés.
Je garde, entres autres, ce souvenir du grand écart
enthousiaste qui vous a fait passer sans transition
du classicisme si fin de La vida es sueño à l’émotion
brute des Sorelle Macaluso. D’un décor et de
costumes éblouissants à une scénographie tenant
dans une valise. Vous qui vous êtes passionnés
devant des formes si différentes avez aussi été
séduits par des spectacles en langue étrangère.
Ouverture, voilà bien un mot essentiel dans le
chemin que nous traçons ensemble (saison après
saison), un chemin qui serait le contraire des
selfies, relation de soi à soi dans un monde clos.
Un public élargi et conquis, une salle Vauthier
rénovée, des échanges amicaux et tardifs au
Tn’BAR après les spectacles, une 3e promotion
sortante de l’éstba que vous verrez dans Comédies
barbares pour qui l’insertion professionnelle
s’annonce déjà prometteuse… Tout va donc
pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Hélas non, et nous le savons bien. Le manifeste
farouchement volontariste que je posais pour la
1re saison : « Il est trop tard pour être pessimiste »
s’avère de plus en plus d’actualité. Les pressions
sur la culture se font de plus en plus pesantes ;
l’Art, tout comme la Recherche, s’éloigne de plus
en plus des priorités du « politique », comme
s’il était « non indispensable », une variable
d’ajustement en période de crise. Il est d’autant
plus absurde et rageant d’en être là que vous,
spectateurs, prouvez à chaque représentation
la nécessité de ces traversées émotives et
pensantes qui nous permettent d’aborder le
réel en humains responsables. Et les artistes
qui tentent fiévreusement de rendre audible
une parole et font palpiter les idées sont bien
là dans cette nouvelle saison. En pleine forme !
En ces temps d’intranquillité, gageons que nous
saurons, pour reprendre les mots de Victor Hugo :
« affronter la puissance injuste, tenir bon, tenir
tête… et trouver la lumière qui nous électrise ».
Catherine Marnas
1er juin 2016
enir bon…
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