Suivi par les médecins libéraux du dépistage des troubles du

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VIE PROFESSIONNELLE
Recherche en soins primaires
Michel Bismuth, Leila Latrous, Anne
Freyens, Motoko Delahaye, Claire
Puech, Brigitte Escourrou, Stéphane
Oustric
Département universitaire de médecine
générale, Toulouse
[email protected]
Tirés à part : M. Bismuth
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Résumé
Les bilans de santé des enfants de 3-4
ans réalisés en école maternelle par les
médecins de la Protection Maternelle
et Infantile (PMI) permettent chaque
année le dépistage précoce de troubles
du langage oral, dans des pourcentages significatifs grâce au test ERTL4.
Le devenir des orientations proposées
par les médecins de PMI est peu
documenté. Nous avons cherché par ce
travail à évaluer la prise en charge des
enfants à distance du dépistage ainsi
que les causes de dysfonctionnement
éventuel du suivi de ces enfants.
Mots clés : dépistage ; troubles du
développement du langage ;
protection maternelle et infantileétudes de suivi.
Abstract
Checkups every year on 3-4 years old
children in kindergarten, undertaken
by doctors of the Mother and Child
Protection (PMI), provide the early
detection of oral language disorders, in
significant percentages thanks to the
ERTL4 test.
The future of the guidelines proposed
by the PMI doctors is poorly documented. Through this work we intended to evaluate the remote monitoring
of child care and the causes of possible
malfunction when monitoring these
children.
Key
words: screening; language
development disorders; maternal-child
health; follow-up studies.
Suivi par les médecins
libéraux du dépistage
des troubles du langage
oral par le test ERTL4
À partir de 72 enfants dépistés en maternelle
par les médecins de PMI du département de la
Haute-Garonne
Introduction
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme un état
de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement
en une absence de maladie ou d’infirmité [1]. La maîtrise du langage oral, en
conditionnant l’épanouissement de la personnalité, la réussite scolaire,
l’intégration sociale et l’insertion professionnelle future, est un élément
majeur de la santé de l’enfant [2]. Des troubles peuvent survenir dans le
développement du langage et affecter 4 à 5 % des enfants d’une tranche
d’âge, 1 % ayant des troubles sévères [3]. La prévalence et le retentissement
des troubles sur le « bien-être mental et social » des enfants concernés ont
érigé les troubles du langage, et au-delà les troubles des apprentissages, en
problématique de santé publique.
Un plan d’action interministériel, réunissant le ministère de la Santé et le
ministère de l’Éducation Nationale, a été initié en 2001. L’objectif est
d’améliorer le repérage, le dépistage, le diagnostic, et la prise en charge des
troubles spécifiques du langage [4].
Une des actions préconisées, afin de « mieux identifier les enfants ayant un
trouble du langage oral », visait l’organisation d’un dépistage par les médecins
des services de Protection Maternelle et Infantile (PMI), dans le cadre des bilans
de santé réalisés en classe de maternelle auprès des enfants âgés de 3-4 ans.
Dans le département de la Haute-Garonne, le dépistage recommandé est
effectif, et les compétences langagières sont évaluées par les équipes de PMI
grâce à un outil validé, l’Epreuve de Repérage des Troubles du Langage à 4
ans (ERTL4).
L’ERTL4 permet de déterminer si l’enfant a un niveau de langage satisfaisant
ou non, nécessitant, en cas de suspicion de trouble ou de retard, une
surveillance active, ou un bilan complémentaire immédiat (orthophonique,
ORL, psychologique/psychiatrique, psychomoteur).
DOI: 10.1684/med.2016.7
La procédure de dépistage ne pourra s’avérer pertinente que si elle amène
aux actions capables de limiter les conséquences du trouble à moyen et long
terme.
En 2014, l’observance des recommandations émises par les médecins de PMI
de Haute-Garonne n’avait pas toujours pas été évaluée.
ÉDECINE
Quel est le devenir des enfants diagnostiqués lors de ces bilans après leur
orientation vers le médecin libéral ? Ont-ils tous des orientations proposées ? Existe-t-il des échecs de prise en charge et si oui, quels en sont les
motifs ? Quelle est la portée de ce dépistage ? Combien d’enfants
nécessitant un bilan orthophonique vont avoir ce bilan ? Combien d’enfants
vont faire l’objet d’une surveillance active et d’une réévaluation lorsqu’un
MÉDECINE Mars 2016 135
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Recherche en soins primaires Suivi par les médecins libéraux du dépistage des troubles du langage oral par le test ERTL4
trouble mineur aura été dépisté ? Quelles sont les causes
d’absence de prise en charge : défaillance des parents ou
attitude passive du médecin traitant face aux résultats du
dépistage ? La coordination médecin de PMI-médecin
traitant est-elle efficiente ?
référent de l’enfant, (pédiatre ou médecin généraliste).
Ces questionnaires avaient été élaborés par un médecin
junior et un médecin senior et testés par deux médecins
généralistes et 3 médecins de PMI (les questionnaires sont
disponibles auprès des auteurs).
Nous avons évalué les suites données – par les parents et par
les médecins libéraux ayant en charge le suivi régulier de
l’enfant – aux orientations proposées par les médecins de
PMI à l’issue du dépistage par ERTL4. Nous avons évalué des
bilans en école maternelle auprès des enfants de 3-4 ans.
Items explorés par les questionnaires
L’ERTL4 dans sa version III (1999) utilisée1 permet
d’explorer rapidement (5 à 10 minutes), et de
manière ludique, la parole, le langage et la voix de
l’enfant de 3 ans 9 mois à 4 ans 6 mois. L’objectif du
test est de permettre d’orienter les enfants à risque.
Il comprend trois épreuves obligatoires, avec un
système de cotation en couleur qui distingue trois
degrés de performance pour chaque épreuve : vert
pour une épreuve réussie, orange pour une
épreuve modérément échouée et rouge épreuve
sévèrement échouée. La synthèse s’effectue en
tenant compte du nombre d’épreuves orange ou
rouges du bilan clinique et de l’anamnèse.
Méthode
Faisabilité
Le protocole de cette étude a été proposé initialement
par courrier électronique aux équipes de PMI des 23
maisons de solidarité (MDS) de Haute-Garonne puis
présenté oralement en assemblée générale le 12/03/2012.
Les médecins pratiquant ces bilans ont été contactés par
téléphone pour valider leur participation. La faisabilité de
l’étude et les modalités d’inclusion des enfants dépistés
avaient été testées au préalable par 3 médecins de PMI de
l’agglomération toulousaine. Ces tests ont permis des
améliorations sur le contenu et la présentation du
formulaire de consentement proposé aux parents à partir
d’un protocole établi par deux médecins généralistes un
junior et un senior.
Notre étude était de type longitudinal
avec deux temps
1) Réalisation des bilans de santé en école maternelle par
les médecins de PMI permettant d’identifier les enfants
ayant un profil ERTL4 pathologique orange ou rouge afin
de les inclure après l’accord des parents.
2) Enquête téléphonique auprès des familles et du
médecin libéral référent des enfants dépistés à partir
de 2 questionnaires légèrement différents, l’un à
destination des parents, l’autre à destination du médecin
1
Le test ERTL4 en pratique (d’après « ROY-MAEDER. Livret de passation
ERTL4. Com-Médic 1999 »).
136 MÉDECINE Mars 2016
– L’information retenue par les parents concernant les
résultats du dépistage et la prise en charge proposée.
– L’observance des orientations recommandées par les
médecins de PMI.
– Les causes d’absence de suivi.
– La coordination médecin de PMI-médecin traitant
libéral.
– L’implication du médecin libéral traitant dans la prise
en charge des troubles du langage oral à 3 mois ou a 6
mois en fonction du trouble diagnostiqué.
Les questionnaires ont été soumis à deux périodes en
fonction de l’orientation de l’enfant :
– Si le bilan réalisé par les médecins de PMI révélait des
troubles importants (couleur rouge), les enfants étaient
orientés immédiatement avec une proposition de réponse
au questionnaire parent et médecin traitant à 3 mois. Ce
délai nous est apparu raisonnable car il permettait aux
familles d’amorcer une démarche active de soins et
d’obtenir un rendez-vous avec les spécialistes concernés,
sans que ce délai soit préjudiciable pour l’enfant.
– Pour les enfants à surveiller et à réévaluer, le
questionnaire était soumis à 6 mois. Le critère temporel
de six mois pour la réévaluation a été choisi car il est
recommandé par les concepteurs du test ERTL4.
Les critères d’inclusion
– Réalisation du test ERTL4 au sein des 23 MDS du
département.
– Âge de l’enfant compris entre 3 ans 9 mois et 4 ans 6
mois (classe d’âge ciblée par l’ERTL4).
– Découverte d’un profil « pathologique » à l’ERTL4 en
fonction des résultats de couleur : rouge (proposition de
bilan complémentaire) ou orange (réévaluation à distance du langage).
– Recueil du consentement écrit des parents nous autorisant à les contacter par téléphone et nous indiquant le
médecin référent de leur enfant dans le cadre du suivi du
trouble dépisté.
– Recueil du numéro de téléphone des parents et du nom
du médecin référent.
– Pour les enfants évalués dans le cadre des bilans sans les
parents, nous avons choisi d’adresser le formulaire aux
parents avec le courrier explicatif sur les troubles dépistés
et des démarches à entreprendre.
Le retour des formulaires de consentement se faisait soit
par envoi direct par les parents au médecin de PMI à la
maison de solidarité, soit par remise en mains propres au
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professeur des écoles de l’enfant préalablement mis au
courant.
Troubles dépistés
Les critères d’exclusion
– Les enfants pour lesquels un trouble était déjà connu
avec ou sans prise en charge.
– Le refus de consentement des parents.
Composition du dossier de l’enfant
inclus dans l’étude et contribution
des médecins de PMI
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Tableau 1. Répartition des dossiers inclus et exploités en
fonction des orientations.
Pour chaque enfant le dossier qui nous est retourné
comprenait :
– Une copie du dossier médical de liaison destiné au
service de promotion de la santé en faveur des élèves
précisant soit le type de trouble du langage oral dépisté
(retard de langage et/ou défaut d’articulation), soit le
degré de sévérité du trouble (majeur ou mineur), soit la
couleur du profil déterminé à l’ERTL4 (rouge ou orange),
ainsi que les démarches proposées (bilan orthophonique,
consultation ORL, réévaluation à distance. . .).
– Le formulaire de consentement daté et signé par les
parents.
Les médecins de PMI étaient invités à remplir un tableau
récapitulatif comptabilisant pour chaque école le nombre
d’enfants évalués, le nombre de troubles du langage oral
dépistés et inclus dans l’étude, les motifs d’exclusion.
L’analyse des données anonymisées a été traitée informatiquement grâce au tableur EXCEL1. Pour tester le lien
entre deux variables qualitatives, nous avons utilisé le test
du Chi-2, ou à défaut le test exact de Fisher lorsque la
condition d’application du Chi-2 n’était pas respectée
(effectifs inférieurs ou égaux à 5), grâce à l’outil BiostaTGV.
Résultats
L’étude a été menée du 1er mars 2012 au 31 mars 2013.
L’entretien téléphonique n’a pas excédé cinq minutes aussi
bien pour les parents que pour les médecins (tableau 1).
– 15 médecins de PMI répartis sur 11 MDS, ont participé à
l’étude.
– 1 922 tests ERTL4 ont été réalisés pour 2 055 enfants
vus en bilan de santé.
Orientation immédiate
73,6 % (n = 53)
Réévaluation à distance
26,4 % (n = 19)
Total
100 % (72)
– 78 dossiers ayant une réponse rouge ou orange ont été
identifiés ; 72 ont pu être exploités (92,3 %) et 6 enfants
ont été perdus de vue (7,7 %).
Parmi ces 72 dossiers, 53 concernaient des enfants
orientés immédiatement vers l’orthophoniste, 19 des
enfants dont le langage était à surveiller et à réévaluer
(tableaux 2, 3, 4).
Discussion
Les forces de cette étude
Notre travail montre que la prévalence des troubles du
langage oral découverts par les médecins de PMI sur la
période d’inclusion de notre étude confirme la légitimité
et l’intérêt des évaluations du langage oral effectuées
lors des bilans de santé en école maternelle. Ces résultats
sont conformes à l’objectif de l’ERTL4, qui est de
discriminer 10 à 15 % de la population selon ses auteurs
Mæder et Roy [5], et soulignent la performance des
médecins de PMI de Haute-Garonne dans l’utilisation du
test.
Ce travail est original car, à notre connaissance, il n’y avait
jamais eu dans le département d’évaluation des suites
données au dépistage des troubles du langage oral après
leur orientation vers le milieu libéral.
Les résultats sont comparables à ceux des études portant
sur les résultats des bilans de santé en faveur des enfants
de 3-4 ans utilisant l’ERTL4 pour le dépistage des troubles
du langage. En 1999, dans l’étude de S. Petit-Carrié et al.
en Gironde [6], sur les 12 413 enfants ayant pu bénéficier
d’une exploration du langage oral par l’ERTL4 interprétable lors des bilans en école maternelle, 1 sur 6
(17,3 %, n = 2 144) présentait un trouble du langage (sans
distinction des troubles « à surveiller » ou « à adresser »),
et parmi eux, un sur sept seulement était diagnostiqué
comme porteur d’un trouble au moment du bilan.
Tableau 2. Nombre de troubles dépistés découverts par les médecins de PMI à l’occasion du bilan, et qui ont fait l’objet d’une
orientation immédiate ou d’une réévaluation à distance, et leur fréquence par rapport à l’effectif initial.
Délai de Contact
n ERTL4
n troubles dépistés
n orientation immédiate
n réévaluation à distance
3 mois
1 103
131
82
49
6 mois
878
139
81
58
Total
1 981 (100 %)
270 (13,6 %)
163 (8,2 %)
107 (5,4 %)
MÉDECINE Mars 2016 137
138 MÉDECINE Mars 2016
42
20
10
Rouge
Orange
Non précisé
Motifs :
Absence d’information
Causes d’échec de suivi
5
13
9
Défaut
d’articulation
8
7
38
–
–
–
–
oubli 43,8 % (n = 14)
MT non revu 34,4 % (n = 11)
MT pas concerné 28,1 % (n = 9)
défaut de compréhension des résultats du bilan 12,5 % (n = 4)
– dans 45,3 % (n = 24) des cas d’après
les parents/60,4 % (n = 32) d’après les
MT dans le groupe orientation immédiate.
– dans 42,1 % (n = 8) d’après les
parents/57,9 % (n = 11) d’après les MT
dans le groupe « RAD »
3) défaut de compréhension des résultats du bilan 30 % (n = 3)
4) liées au MT : (« minoration » des troubles dépistés 8,3 % (n = 2) / choix d’une
autre orientation) : 4,2 (n = 1)
– La coordination médecin de PMI/MT
– L’information du MT par les parents
2) absence de difficultés signalées par
le professeur des écoles 40 % (n = 4)
2
13
4
Réévaluation
à distance
Réévaluation à distance Groupe
1
3
6
Bilan
orthophonique
3) délais trop longs pour l’obtention d’un rendez-vous 16,7 % (n = 4)
0
2
1
Non
précisé
1) oubli de reconsulter 50 % (n = 5)
2
1
22
Autres
Orientation
1) liées aux parents :
– manque de disponibilité 45,8 % (n = 11)
– défaut d’adhésion aux soins 8,3 % (n = 2)
– interprétation inexacte des résultats du dépistage : 8,3 % (n = 2)
2) facteurs d’ordre socioéconomique 16, % (n = 4) (coût des soins d’orthophonie,
contrainte de mobilités).
2
1
4
Défaut d’articulation + retard
de langage
Trouble du langage dépisté
Retard
de langage
Groupe « orientation immédiate »
Tableau 4. Les causes d’échec de suivi.
Nombre d’enfants
Profil de couleur
à l’ERTL4
Tableau 3. Conclusions des évaluations du langage oral des 72 enfants en fonction des informations recueillies dans les dossiers de liaison (profil de couleur à l’ERTL4, trouble du
langage suspecté, et orientations).
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Recherche en soins primaires Suivi par les médecins libéraux du dépistage des troubles du langage oral par le test ERTL4
En 2001, dans les Hauts-de-Seine, sur les 1 102 enfants
évalués par l’ERTL4 dans le contexte d’un bilan de santé
réalisé au Centre de bilans de santé de l’enfant de Clichy,
géré par la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie (CPAM)
du département, 6,8 % requéraient l’intervention d’un
orthophoniste [7]. Les pourcentages d’enfants adressés
vers l’orthophoniste et à réévaluer étaient respectivement de 9,19 % et 6,15 % en Meurthe-et-Moselle pour
8 108 enfants testés à l’école par l’ERTL4 en 2005 [8].
– on dispose de deux ans pour aider l’enfant à surmonter
ses difficultés et lui permettre d’accéder aux apprentissages ultérieurs lors de l’entrée au Cours Préparatoire
(CP).
Pour les auteurs de l’ERTL4, lorsque l’aide apportée est
plus tardive, les améliorations sont « laborieuses et non
stables » [11].
Il faut donc obtenir l’adhésion des familles
et l’annonce du trouble aux parents est un
moment important
*
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*
Les troubles dépistés ont été confirmés
Dans notre travail, les troubles dépistés ont été confirmés
et une rééducation débutée pour près de 9 enfants sur 10
ayant consulté l’orthophoniste. L’ERTL4 est en effet un
test possédant une bonne valeur diagnostique, ayant fait
l’objet en 1996 d’une étude de validation par l’École de
Santé Publique de Nancy et le service de PMI de Meurtheet-Moselle auprès d’une population pédiatrique de 325
enfants, par comparaison à un bilan orthophonique de
référence. La redéfinition de ses seuils diagnostiques suite
à l’étude avait permis d’obtenir une sensibilité de 72,9 %
et une spécificité de 91 %, et des valeurs prédictives
positive de 78,7 % et négative de 88,1 % [9]. Pourtant les
suites données aux orientations qui font intervenir les
parents, le médecin de PMI et le médecin en charge de la
santé de l’enfant offrent un bilan en demi-teinte car nous
avons :
– d’un côté, un test validé, performant dans l’identification des « malades », avec des enfants atteints de
troubles passés jusqu’alors « entre les mailles du filet »
qui ont bénéficié d’un diagnostic et d’un traitement grâce
à l’ERTL4 et aux bilans de santé en école maternelle ;
– et d’un autre, des propositions d’orientations qui
n’aboutissent globalement que dans un cas sur deux.
* Quel est le regard porté par les parents sur les
troubles du langage dépistés ?
L’analyse des carences de prise en charge a révélé qu’elles
étaient en grande partie d’origine parentale car les
parents des enfants orientés ne paraissent pas mesurer
l’urgence d’un diagnostic et d’un traitement malgré une
information éclairée de la part du médecin de PMI auprès
des familles. La prise en charge orthophonique des
troubles du langage oral est pourtant une urgence
fonctionnelle du fait en particulier de répercussions
multiples sur l’avenir scolaire, professionnel, psychique et
social des sujets concernés en l’absence de traitement.
D’après C. Billard, une procédure de dépistage, pour être
valable, doit obéir à certaines règles dont celles de révéler
précocement un déficit qui nécessite une action « afin
d’en limiter les conséquences néfastes » et « d’aboutir à
une action spécifique immédiate consécutive aux résultats du dépistage » [10].
Pour Delahaie [2], deux raisons principales justifient un
dépistage et une prise en charge précoce à l’âge de 3-4 ans :
– il s’agit d’une période-clé particulièrement dynamique
sur le plan du développement linguistique ;
Peyronnet et Garnier [12] réfléchissaient ainsi dans leur
enquête aux modalités d’une annonce en deux temps :
« un temps pour comprendre, un temps pour agir », et
proposaient l’implication du médecin libéral de l’enfant
dans l’accompagnement des familles vers le soin, afin que
les bilans de santé dépassent le statut d’interventions
médicales ponctuelles pour devenir des actions de santé
au long cours [13].
Pourtant même lorsque l’annonce est bien faite et
comprise, des parents conscients des troubles dépistés,
en accord avec les orientations proposées, ont des
difficultés pour prévoir un temps pour la réalisation du
bilan en raison de contraintes familiales, professionnelles,
socio-économiques ou de mobilité.
En France, ce sont les orthophonistes libéraux qui
prennent en charge en ambulatoire la majorité des
enfants atteints d’un trouble spécifique du langage, selon
le constat établi en 2002 par les Inspections générales de
l’Éducation nationale (IGEN) et des Affaires Sociales
(IGAS) dans leur enquête sur le rôle des dispositifs médicosocial, sanitaire et pédagogique dans la prise en charge
des troubles complexes du langage [14], et les consultations se programment généralement en dehors des
horaires scolaires et donc sont accessibles. La situation
est différente en Europe où les orthophonistes peuvent
exercer en milieu scolaire dans de nombreux pays, comme
l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la
Finlande, et la Norvège, avec des débouchés salariés au
sein de l’Éducation Nationale [15].
En dehors de la difficulté liée à une prise en charge
périscolaire, les fortes disparités géographiques de
répartition des orthophonistes dans notre région et de
façon plus générale sur l’ensemble du territoire français
avec une profession majoritairement citadine (8,1 % des
orthophonistes seulement travaillaient en zone rurale au
1er janvier 2013) [16] peuvent être à l’origine de certaines
difficultés de prise en charge et donc révèlent la notion
d’inégalités dans l’accès aux soins.
*
Améliorer l’accès aux soins en orthophonie
L’amélioration de l’accès aux soins en orthophonie des
assurés a ainsi fait l’objet d’une réflexion commune de
l’Union Nationale des Caisses d’Assurance-Maladie et de
la Fédération Nationale des Orthophonistes, ayant abouti
à l’avenant n°13 à la convention nationale des orthophonistes publié au JO du 5 mai 2012 [17]. Un dispositif
expérimental visant à rééquilibrer l’offre de soins à
l’échelon national est créé avec le « contrat incitatif
MÉDECINE Mars 2016 139
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orthophoniste », qui encourage par des avantages
financiers l’installation en zone « très sous-dotée ».
doit s’intégrer de manière plus exhaustive dans un bilan
plus global (locomoteur, neurosensoriel, etc.).
Sur le plan financier les difficultés posées par l’avance des
frais des soins d’orthophonie ont été faiblement identifiées comme obstacle à la prise en charge dans notre
étude ; leur citation, même minoritaire, peut cependant
soulever un autre débat, celui de la généralisation du tiers
payant et de sa contribution à un meilleur accès aux soins.
L’alternative de l’appel téléphonique a été exprimée
comme devant être réservée pour les enfants atteints
de troubles sévères et complexes car chronophage,
ne pouvant être étendu à la totalité des enfants
dépistés.
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* Le médecin traitant apparaît comme un acteur
au rôle mal défini
Il ne peut assurer comme il le devrait la coordination des
soins et la centralisation des avis des soignants gravitant
autour de son jeune patient, par manque d’information.
Il devient donc un prescripteur inconstant des bilans
orthophoniques. Pourtant la circulaire DHOS/O1/DGS/
DGAS n°2004-517 du 28 octobre 2004 relative à
l’élaboration des Schémas Régionaux d’Organisation
Sanitaire (SROS) [18] et le rapport de D. Sommelet [19]
confirment que les médecins généralistes assuraient plus
de 80 % de la prise en charge des enfants et des
adolescents. D’autant que d’après Hourcade et al. [7] « les
anomalies du développement du langage chez l’enfant
sont fréquemment banalisées », ce qui entraînerait un
retard de prise en charge thérapeutique.
Notre étude a mis en évidence la nécessité de renforcer la
coordination entre les médecins de PMI et les médecins
traitants. En 2013, la Commission nationale de la
naissance et de la santé de l’enfant (CNNSE), dans son
rapport sur le parcours de soins des enfants et des
adolescents présentant des troubles du langage et des
apprentissages, recommandait également de renforcer
les liens entre professionnels et faisait de la coordination
du suivi une condition pour l’amélioration du parcours de
soins de ces enfants [20]. Le médecin traitant doit être un
partenaire sur qui le médecin de PMI pourrait compter ;
l’informer des résultats du dépistage, c’est lui permettre
de resensibiliser les familles sur l’importance d’une prise
en charge précoce des troubles dépistés, et de réamorcer
une démarche de soins restée en suspens. En effet, le
médecin traitant, lorsqu’il a été informé par les parents
de l’indication de bilan orthophonique ou de la nécessité
d’une réévaluation du langage, a très largement adhéré
aux recommandations des médecins de PMI.
Une bonne articulation entre les différents intervenants
de la santé de l’enfant exige l’utilisation d’outils adaptés
[19]. La fonction d’instrument de communication du
carnet de santé a été remise en question dans notre
travail. Les conclusions du bilan y figuraient pourtant et il
est d’ailleurs très peu cité par les médecins lorsqu’on les
interroge sur l’outil à employer pour favoriser le contact
avec le médecin de PMI.
*
Quels outils sont dès lors envisageables ?
Les médecins interrogés se sont largement prononcés en
faveur d’un courrier adressé directement au cabinet
médical, qui permet de garder une trace dans le dossier
médical et qui appellera la vigilance du médecin lors de
consultations ultérieures avec l’enfant car ce dépistage
140 MÉDECINE Mars 2016
À l’heure du « tout Internet », deux options, pourtant
peu citées par les médecins, pourraient constituer des
solutions d’avenir : les échanges par e-mails sur messagerie sécurisée et le déploiement du Dossier Médical
Personnel (DMP) à la population pédiatrique. Dans notre
région le développement de la messagerie sécurisée
« MEDIMAIL » [21] pourrait être dans les mois à venir
largement utilisé.
Les limites de notre travail
La question de la représentativité de notre travail se pose
du fait d’un effectif limité. Cependant, nous avons vu que
nos résultats sont en cohérence avec des chiffres de
dépistage à plus grande échelle, ce qui nous donne des
éléments pertinents de discussion concernant le devenir
de ces enfants au sein d’une triangulation parents,
médecin libéral de l’enfant et médecins de PMI, en
particulier sur le plan de la communication.
Conclusion
Interroger les médecins de PMI, les parents et les
médecins libéraux des enfants nous a permis d’avoir
une représentation globale du parcours de soins des
enfants dépistés par le test ERTL4. Nous avons eu la
confirmation de la pertinence des évaluations du langage
oral réalisées lors des bilans de santé (découverte de
troubles chez un enfant sur sept), de la performance du
test ERTL4 à discriminer les « malades » et du savoir-faire
des médecins de PMI dans son utilisation.
Il a permis de connaître les positions et les attentes des
uns et des autres sur le sujet et d’envisager des stratégies
pour améliorer la prise en charge de ces enfants.
Cependant, nos résultats sont contrebalancés par ceux,
plus contrastés, de l’évaluation des suites données aux
orientations mettant en évidence le manque d’implication des parents et le manque d’information du médecin
traitant.
Il faut faire des propositions pour une meilleure observance
des recommandations par les médecins de PMI, améliorer la
communication autour des résultats du dépistage au
niveau des parents et du médecin traitant, prendre en
compte les représentations parentales sur les troubles du
langage oral et l’importance des modalités d’annonce des
résultats du dépistage par les médecins de PMI
L’implication du médecin traitant dans les suites du
dépistage est un élément incontournable pour remobiliser
les parents et les accompagner dans l’accès aux soins
d’orthophonie en France.
VIE PROFESSIONNELLE
Recherche en soins primaires Suivi par les médecins libéraux du dépistage des troubles du langage oral par le test ERTL4
Suivi du dépistage des troubles du langage oral par le test ERTL4
Le test ERTL4 permet un dépistage précoce des troubles du langage oral avec une sensibilité de 72,9 % et une
spécificité de 91 %, et des valeurs prédictives positive de 78,7 % et négative de 88,1 %.
L’âge de 3-4 ans représente une période-clé car particulièrement dynamique sur le plan du développement
linguistique et on dispose de deux ans pour aider l’enfant à surmonter ses difficultés et lui permettre d’accéder aux
apprentissages ultérieurs lors de l’entrée au Cours Préparatoire (CP).
Le médecin traitant doit être un partenaire sur qui le médecin de PMI pourrait compter ; l’informer des résultats
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du dépistage, c’est lui permettre de resensibiliser les familles sur l’importance d’une prise en charge précoce des
troubles dépistés, et de réamorcer une démarche de soins restée en suspens.
La fonction d’instrument de communication du carnet de santé est remise en question. Un courrier adressé
directement (courrier électronique, messagerie sécurisée) permet de garder une trace dans le dossier médical et
attirer la vigilance lors de consultations ultérieures.
Ce dépistage doit s’intégrer de manière plus exhaustive dans un bilan plus global, locomoteur, neurosensoriel.
~Liens d’intérêts les auteurs déclarent n’avoir aucun lien
d’intérêt en rapport avec l’article.
RÉFÉRENCES
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MÉDECINE Mars 2016 141
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