teledoc le petit guide télé pour la classe 2006 2007 Comment nous sommes tous devenus américains Un documentaire franco-belge de Joachim Fritz-Vannahme et Sergio En s’appuyant sur des films d’archives et sur les témoignages de diverses personnalités, ce documen- Ghizzardi (2007), taire, à l’occasion des soixante ans du plan Marshall, coproduit par montre comment, en investissant massivement dans la RTBF, Seppia, Néon la reconstruction de l’Europe, les États-Unis ont Rouge et Arte, modelé notre société dans bien des domaines. Puis il diffusé dans la soirée Thema «Tous des Américains?» 56 min suit l’évolution des relations transatlantiques sur six décennies, depuis la guerre froide jusqu’à l’invasion de l’Irak. ARTE MARDI 5 JUIN, 20 h 45 Europe/États-Unis: je t’aime, moi non plus Histoire et anglais, troisième-lycée Comment ont évolué les rapports entre l’Europe et les États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? En prenant comme élément fondateur le plan Marshall, les auteurs du film abordent l’aspect séduisant de la puissance américaine tout en évoquant la défiance croissante qu’inspire le modèle américain en Europe. Car si l’Europe d’aujourd’hui s’est largement construite sous influence américaine dans de nombreux domaines (loisirs, style de vie, politique, arts, sciences…), l’american way of life est, depuis la guerre du Viêtnam, de plus en plus remise en cause. Rehaussé par les témoignages de différentes personnalités (Wim Wenders, Philippe Labro, Daniel Cohn-Bendit, Hubert Védrine, Étienne Davignon…), des images d’archives et des extraits de films de fiction, le documentaire tente de comprendre pourquoi prévaut en Europe ce double mouvement d’antiaméricanisme et de fascination pour les ÉtatsUnis. Rédaction Mathieu Souyris, professeur d’histoire et de géographie Crédit photo Seppia / Néon rouge Édition Émilie Nicot et Anne Peeters Maquette Annik Guéry Ce dossier est en ligne sur le site de Télédoc. www..cndp.fr/tice/teledoc/ Dualité du plan Marshall > Analyser le double objectif de ce plan en 1947. On s’appuiera préalablement sur le film d’archives qui entame le film, qu’on opposera à celui qui fustige le régime stalinien: quels messages ces films cherchent-ils à faire passer? • La solidarité atlantique. Le premier aspect du plan Marshall est économique et affiche sa volonté de solidarité. De 1947 à 1951, les États-Unis injectent l’équivalent de 4 à 5% du PNB européen dans les seize pays qui acceptent le plan. Parmi eux, la France et le Royaume-Uni en sont les principaux bénéficiaires. Chose compréhensible pour la France qui se relève de ses ruines (un PIB de 54 en 1947 par rapport à un indice 100 en 1938), moins évidente pour le Royaume-Uni (PIB d’indice 108) qui utilise les fonds essentiellement pour rembourser ses dettes. Le 5 juin 1947, le général George Marshall, alors secrétaire d’État, annonce à Harvard la mise en place de l’European Recovery Program, appellation officielle du plan. Les fonds sont issus de dons, de déblocages de sommes du Trésor américain, mais aussi du produit de la vente de marchandises en provenance des États-Unis et vendues au plus offrant, produit réinvesti ensuite dans le plan dont les accords prévoyaient l’achat obligatoire de matériel américain. C’est néanmoins un formidable coup de pouce à l’économie européenne, et les intervenants allemands du documentaire insistent sur la dimension solidaire de l’aide. Ce n’était pourtant pas l’idée première: le plan Marshall remplace le plan Morgenthau de 1944 qui prévoyait de faire payer l’Allemagne, comme en 1919. Il fut abandonné, d’une part parce qu’il renouvelait les conditions d’un mécontentement germanique, d’autre part parce qu’entre 1944 et 1947, l’Allemagne était passée du statut d’ennemi à abattre à celui de pays allié nécessaire à la lutte contre l’URSS. On fera noter que, tandis que le nom originel du plan est tombé dans l’oubli, la dénomination «plan Marshall» est devenue une façon courante de désigner les plans d’aide d’urgence, comme le récent «plan Marshall pour la Wallonie» en Belgique. • Une visée politique. La seconde dimension du plan Marshall est politique: il faut soutenir l’effort de reconstruction de l’Europe afin d’en faire une alliée et un partenaire commercial stable, mais aussi un rempart contre le communisme. Staline ne s’y était d’ailleurs pas trompé en obligeant les pays de l’Est à refuser l’aide américaine, qu’il voyait comme un cheval de Troie de l’impérialisme. Cet aspect est bien évoqué par le documentaire, où l’aide financière s’accompagne d’injonctions politiques claires: adhésion à la société de consommation, réduction du pouvoir des syndicats, valorisation des valeurs américaines à travers la propagande mais aussi le cinéma (cf. extraits du film One, Two, Three de Bill Wilder). Dans cette perspective, les témoignages de Michael Nauman (directeur du quotidien allemand Die Zeit) et Philippe Labro sont intéressants: ils formeront une nouvelle élite de journalistes, formée aux États-Unis, apte à promouvoir des modes de vie et de pensée américains, allant ainsi dans le sens d’une conquête douce des mentalités (cf. encadré sur le soft power) qui se traduira ensuite par des votes en faveur des démocrates chrétiens ou des sociaux-démocrates partisans du libre-échange. Un antiaméricanisme «à l’européenne»? > Reconstituer en l’explicitant la chronologie de la perte de légitimité des États-Unis en Europe. • On repérera dans le film les différentes étapes de la montée de l’antiaméricanisme en Europe, ou tout au moins de la défiance envers les États-Unis. On rappellera que, dès l’instigation du plan Marshall, des dissonances se firent entendre: les Anglais firent des pieds et des mains pour résister à l’intégration économique immédiate qu’exigeait le plan ; les Néerlandais résistèrent à la pression en faveur du démantèlement de leur Empire au nom du libreéchange et les Autrichiens refusèrent tout net de réformer leur système bancaire et ferroviaire. Mais ce qui est le plus évident, à travers les images, c’est de voir comment les États-Unis sont passés du statut de défenseurs de la liberté (on analysera le discours de Kennedy à Berlin) à celui de promoteurs d’une hégémonie libérale et culturelle mal acceptée. • On notera ainsi plusieurs événements majeurs qui induisent une vision plus critique de la part des Européens: l’intervention au Viêtnam, la course aux armements dans les années 1980, l’inégalité de la société américaine découverte à travers les combats des militants pour les droits civiques et enfin le fait que, à partir de 1991 et l’écroulement du bloc communiste, les États-Unis se retrouvent sans ennemi identifiable, ce qui les «réduit» au statut de grande puissance unique. Comme le souligne Michael Nauman dans le documentaire, ce qui mène presque naturellement les populations à se défier de cette puissance se résume ainsi: tout pouvoir suscite opposition, surtout s’il est omnipotent. On montrera aussi comment, dans les années 1970, les jeunes Allemands lient la présence d’anciens nazis dans les universités à la politique étrangère américaine, incarnée par la doctrine Kirkpatrick, qui légitime dans les années 1980 le soutien de régimes d’extrême droite au nom du combat contre le communisme. Le fossé grandit entre les valeurs théoriques des États-Unis et leur mise en pratique. • On montrera notamment comment la lutte contre le terrorisme est mal comprise en Europe: ce combat se place dans une optique civilisationnelle et non plus politique. Or à l’époque de la guerre froide, les États-Unis étaient séducteurs car leur combat reposait sur l’idéologie et non sur des différences culturelles majeures, or les Européens préfèrent savoir pourquoi ils se battent plutôt que contre qui (cf. l’intervention de Wim Wenders). À cela s’ajoute l’émergence de l’Europe unie après 1957, elle-même porteuse de ses propres valeurs politiques, économiques et sociales. Des valeurs qui ne sont pas prises en compte par les États-Unis: le belge Étienne Davignon (ancien commissaire européen) et le francoallemand Daniel Cohn-Bendit montrent cette tendance américaine à ne croire qu’en ses propres valeurs, à les imaginer universelles. On pourra à cette occasion rappeler ce qu’est le concept de «destinée manifeste» aux États-Unis. En 2007, sommes-nous tous américains? > Dégager les aspects complexes de la relation culturelle des Européens aux États-Unis jusqu’aujourd’hui en soulignant parfois ses contradictions. • Cette question, posée directement par le titre du documentaire et de la soirée Thema dans laquelle il s’insère, mène sur les terres de l’histoire des cultures et des mentalités. On distinguera ainsi les différents vecteurs d’américanisation, cette «colonisation de l’inconscient» évoquée par Wim Wenders et Étienne Davignon. On recensera en classe les différents domaines dans lesquels l’américanisation de l’Europe dans les dernières décennies est plus manifeste. Il y a d’abord les produits, neufs, originaux, jamais vus et soutenus par une publicité permanente (cas de CocaCola). Ensuite, la mythification des États-Unis à travers les films d’Hollywood, et notamment les westerns, qui marquèrent les générations vivant entre 1945 et jusqu’en 1965, époque où le genre se transforme et devient plus critique sur l’image des ÉtatsUnis. Il faut insister sur ce décalage, rapporté par Hubert Védrine, entre la perception idéalisée des États-Unis par les Européens et la réalité du pays. On se souviendra la phrase de John Ford : « Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende.» De fait, on avancera que les Européens ont été américanisés de façon profonde, à travers leurs modes de vie et de consommation. Ce n’est pas forcément lié au plan Marshall, puisque des pays qui en bénéficièrent de façon moindre, comme l’Espagne franquiste, finirent par être américanisés alors que d’autres qui en bénéficièrent comme la Turquie restèrent plus imperméables à cette influence atlantiste. On mettra ainsi en avant une sorte d’empathie entre les Européens et les Américains sur le plan culturel, qui aboutit à des paradoxes comme celui évoqué dans le documentaire par Serge July: les jeunes antiaméricains des années 1970 portaient des vêtements américains, écoutaient de la musique américaine et regardaient des films américains; décalage, une fois de plus, entre l’image perçue et l’image vécue. • On notera cependant une réelle spécificité européenne. Une spécificité qui peut être elle aussi attractive, comme le montre l’analyste américain Jeremy Rifkin dans son livre Le Rêve européen (voir «Pour en savoir plus»). La culture américaine apparaît, à la fin de l’enquête menée par les auteurs du film, davantage comme un «vernis» que comme une véritable culture. Un parallèle est d’ailleurs établi avec les valeurs de l’Empire romain. Ce «vernis» permet la résurgence, parfois radicale, de cultures nationales, régionales ou identitaires, ou alors la formation de cultures syncrétiques comme les cultures urbaines européennes (cf. les scènes de danse de rue). On pourra alors mettre en exergue une vison complexe des rapports culturels américano-européens, faits de séduction et de défiance. On pourra terminer en évoquant l’apparition de contre-modèles comme l’était le modèle soviétique durant la guerre froide. Ainsi les Européens pourraient, à terme, être aussi influencés par ce qui se passe à Shanghai, São Paulo ou Bombay. ■ Pour en savoir plus • KAGAN Robert, La Puissance et la Faiblesse, Plon, 2003. • RIFKIN Jeremy, Le Rêve européen, Fayard, 2005. • COPPOLA Antoine, DUBOIS Régis, Histoire politique du cinéma, Sulliver, 2007. • Deux avis différents sur le plan Marshall, sa portée immédiate et ses conséquences : – l’un dans le Monde diplomatique www.monde-diplomatique.fr/1997/06/RAMONET/8782 – l’autre extrait du site du gouvernement américain http://usinfo.state.gov/journals/itps/0406/ijpf/ ellwood.htm • Pour compléter la soirée Thema, le documentaire Welcome, Mr Marshall (2007, 56 min, 21 h 45) prend pour exemple la Grèce, premier pays bénéficiaire du plan Marshall, à bien des égards banc d’essai pour la promotion de l’american way of life dans le monde. Joseph Nye et la notion de soft power L’idée de convaincre sans violenter est ancienne. Elle faisait partie de la stratégie romaine, rassemblant les élites des pays occupés autour de valeurs partagées séduisantes et fédératrices. Elle a été récemment théorisée par l’universitaire de Harvard Joseph Nye, un des analystes les plus influents aux États-Unis. Dans son livre Bound to Parties, publié en 1990, Nye, proche des cercles démocrates, soutient qu’il est impossible de revenir à l’isolationnisme des Pères Fondateurs après l’écroulement du bloc soviétique. Les États-Unis doivent assumer leur rôle de modèle pour le reste du monde. Son idée est que la puissance nord-américaine doit muter, cesser d’être la puissance « dure » (hard power) associée à la guerre froide pour devenir une puissance « douce » (soft power) en travaillant sa capacité de séduction afin que les modèles concurrents s’effondrent d’eux-mêmes (comme le modèle soviétique) et viennent adhérer spontanément aux valeurs sociales, culturelles, politiques et économiques des Américains, sans que ceux-ci aient à tirer le moindre coup de feu. Un rêve américain à l’écran Fiche de travail Billy Wilder est un réalisateur américain connu pour ses comédies (Certains l’aiment chaud ou Embrasse-moi idiot). Le film One, Two, Three, réalisé en 1961, juste avant la construction du Mur, se déroule à Berlin. Chef-d’œuvre rempli de clichés sur les Allemands, les Russes et les Américains – un patron américain essaie d’empêcher sa fille d’épouser un communiste estallemand –, c’est aussi une charge contre le système communiste. Les trois extraits diffusés dans le documentaire (15e min) permettent de voir comment, au-delà de la comédie réussie, un film d’Hollywood fait passer les valeurs américaines sans agressivité et avec humour. Questions 1. À travers les trois extraits, identifiez la façon dont le réalisateur Billy Wilder met en avant les valeurs des États-Unis comme la démocratie, la consommation, le libre-échange conquérant, le rêve américain. 2. En quoi la troisième scène est-elle une caricature politique ? 3. Billy Wilder utilise-t-il la contrainte pour faire passer les valeurs américaines ? Comment appelleriez-vous ce type de propagande ? 4. En quoi réside son efficacité ? Les Soviétiques avaient-ils les moyens de jouer sur le même registre ?